La Tunisie a soumis son droit et sa politique de la concurrence à un examen par les pairs de l'OCDE en 2022, franchissant ainsi une étape importante et démontrant sa volonté de mettre en œuvre un droit et une politique de la concurrence modernes et efficaces. Le présent rapport s'appuie sur les recommandations formulées dans le cadre de l'examen par les pairs, afin d'aider les autorités tunisiennes de la concurrence à améliorer le régime tunisien de la concurrence. À cette fin, le rapport fournit à la Tunisie des suggestions et des orientations sur la manière de remédier à certaines lacunes, notamment par l'élaboration de lignes directrices sur la concurrence. Cette section présente le rapport et décrit sa portée et son contexte.
Le rôle des lignes directrices dans la promotion de la politique de concurrence en Tunisie
2. Contexte général et portée
Abstract
2.1. Contexte du projet
Ce rapport s’inscrit dans le cadre du projet « Favoriser la concurrence en Tunisie », mis en œuvre conjointement par l’OCDE et la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ). Cette initiative commune a été lancée en novembre 2022 et s’appuie sur les conclusions de l’Examen par les pairs de l’OCDE de 2022 en vue de soutenir le pays dans les efforts déployés pour améliorer son cadre d’application et de promotion de la concurrence, y compris son régime de contrôle des concentrations et son processus de contrôle juridictionnel.
Outre ce rapport, le projet a intégré des composantes visant à offrir aux services tunisiens des activités de formation et de renforcement des capacités, afin de promouvoir le rôle des autorités de la concurrence dans l’examen des concentrations et d’autres aspects liés à l’application et la sensibilisation, et de renforcer le rôle du Tribunal administratif dans le processus de contrôle juridictionnel. En particulier, l’OCDE a organisé les séminaires suivants, avec le concours du personnel de l’OCDE et d’experts internationaux, pour les responsables tunisiens : (i) lignes directrices sur les concentrations (novembre 2022), (ii) aspects économiques du contrôle des concentrations (novembre 2022), (iii) introduction à la bonne application des règles de concurrence à l’intention des nouveaux agents (février 2023) et (iv) détection des ententes et enquêtes en la matière (avril 2023). En juin 2023, l’OCDE a co-organisé, en collaboration avec la GIZ et l’UE, la première édition de la journée de la concurrence en Tunisie. Un séminaire de haut niveau pour les juges du Tribunal administratif a été organisé en février 2024, au cours duquel a été présenté un guide d’introduction aux principes clés du droit de la concurrence pour les juges.
2.2. Contexte et interaction des entités chargées de la concurrence
La Tunisie est l’un des premiers pays d’Afrique et du Moyen-Orient à avoir adopté une loi sur la concurrence. Un premier projet de loi voit le jour en 1985, mais c’est finalement en juillet 1991 que la loi no 91-64 est adoptée. Cette loi est révisée à plusieurs reprises avant d’être abrogée par la loi no 2015-36 du 15 septembre 2015 relative à la réorganisation des prix et de la concurrence. La Tunisie a opté pour un système bicéphale comportant d’une part une autorité indépendante qui est le Conseil de la concurrence et d’autre part une direction générale de la concurrence et des enquêtes économiques (DGCEE) au sein du ministère du Commerce. Le Tribunal administratif qui statue sur les recours en appel et cassation des décisions des organes de la concurrence complète ce dispositif.
Le Conseil de la Concurrence jouit de la personnalité morale et de l’autonomie financière et assure depuis 1995 deux fonctions principales : une fonction juridictionnelle et une fonction consultative. La DGCEE du ministère du Commerce est responsable de l’élaboration, de l’exécution et de la bonne application des règles de concurrence.
Bien que, lors de l’Examen par les pairs, aucune recommandation générale n’ait été formulée concernant la structure institutionnelle, la nécessité de réaffecter les tâches dans des domaines spécifiques et d’améliorer la coordination entre les deux entités chargées de la concurrence dans le pays a été soulignée.
Le contrôle des concentrations illustre concrètement ce point. Les travaux sur le modèle de lignes directrices relatives au contrôle des concentrations entrepris dans le cadre de ce projet a permis de mettre en évidence le besoin pressant de revoir la répartition des tâches entre la DGCEE et le Conseil de la concurrence en vue de renforcer l’efficacité du processus. En fait, le ministère du Commerce est compétent pour l’examen et le contrôle des concentrations qui remplissent les conditions énoncées à l’article 7 de la loi sur la concurrence no 2015-36. Cependant, l’évaluation proprement dite de l’opération notifiée est principalement effectuée par le Conseil de la concurrence qui émet (uniquement) un avis non contraignant. L’évaluation cherche à déterminer si l’opération de concentration est susceptible de créer ou de renforcer une position dominante sur le marché national ou une partie substantielle de celui-ci. L’analyse est essentiellement juridique et ne vise pas à évaluer l’impact économique de la concentration, et l’analyse économique se limite généralement à définir les parts de marché et les effets de la concentration sur la structure du marché. Les avis du conseil sont généralement soutenus par le ministre, même si dans certains cas, le ministre du Commerce s’en est écarté (OCDE, 2022[1]).
Tant la DGCEE que le Conseil de la concurrence peuvent mener des enquêtes sur les pratiques anticoncurrentielles. Pour éviter la duplication des efforts d’enquête, la loi tunisienne stipule que le ministère du Commerce doit informer le Conseil de la concurrence des enquêtes en cours, et vice versa. Une enquête sur une pratique anticoncurrentielle peut être déclenchée de l’une des trois manières suivantes : i) une plainte d’un tiers, ii) une demande de clémence ou iii) une auto-saisine (d’office) par l’autorité chargée de l’enquête. On constate également qu’un programme de clémence est en place depuis 2003. À cet égard, la loi sur la concurrence prévoit que « le conseil peut, après audition du commissaire du gouvernement, exonérer de la sanction ou l’alléger pour quiconque qui apporte des informations pertinentes non accessibles à l’administration et de nature à révéler des accords ou des pratiques anticoncurrentielles auxquels il a pris part ». Là encore, les deux entités peuvent être impliqués dans le processus puisque la demande peut être soumise à la DGCEE ou au rapporteur général du Conseil de la concurrence.
En termes de fixation des amendes, le Conseil de la concurrence peut infliger aux entreprises des amendes allant jusqu’à 10 % de leur chiffre d’affaires au cours d’un exercice donné. Pour les particuliers, les sanctions comprennent une peine d’emprisonnement allant de 16 jours à un an, une amende de 2 000 TND à 100 000 TND ou les deux. Il s’agit notamment des personnes ayant joué « un rôle déterminant » (article 45) dans les infractions prévues à l’article 5 de la loi no 2015-36 relative à la concurrence et aux prix. Le rôle du Conseil de la concurrence prend fin avec la publication de la décision. Le ministre du Commerce est chargé de l’exécution des décisions du Conseil de la concurrence ainsi que du recouvrement des amendes.
La DGCEE et le Conseil de la concurrence se partagent les compétences en matière de promotion de la concurrence. Conformément à l’article 14, alinéa 4, de la loi no 2015-36, la DGCEE coopère avec le Conseil de la concurrence pour « la mise en œuvre des programmes et plans de sensibilisation et de promotion de la culture de la concurrence ». Les programmes de conformité font partie des outils clés pour le développement d’une culture de la concurrence au sein des entreprises. Toutefois, aucune mesure concrète n’a été prise pour promouvoir leur adoption par les entreprises en Tunisie et il n’y a pas d’indication claire quant à l’organe qui devrait jouer un rôle de premier plan à cet égard.
Lors de l’Examen par les pairs, il a été relevé que la publication de lignes directrices par des autorités administratives ne relève pas d’une pratique courante en Tunisie et l’élaboration de lignes directrices publiques a été recommandée afin de renforcer la sécurité juridique et la prévisibilité de l’action des deux entités chargées de la concurrence. Le présent rapport vise à participer à cette démarche dans les quatre domaines susmentionnés.
2.3. Portée du rapport
Le présent rapport approfondit les recommandations formulées lors de l’Examen par les pairs (OCDE, 2022[1]), afin d’aider les autorités tunisiennes de la concurrence à améliorer le régime de la concurrence en vigueur dans le pays. À cette fin, il fournit à la Tunisie des suggestions et des orientations sur la manière de remédier aux lacunes spécifiques identifiées dans le cadre de l’Examen par les pairs, en particulier par le biais de l’élaboration de lignes directrices sur la concurrence.
Le chapitre 3 contient des informations générales sur la nature des lignes directrices sur la concurrence, leurs avantages et leurs modalités d’élaboration.
Les chapitres 4 à 7 traitent du contrôle des concentrations, de la méthode de détermination des sanctions pécuniaires, des programmes de clémence et des programmes de conformité. Ces quatre domaines font partie des points clés à l’égard desquels de nouvelles actions à mettre en œuvre ont été suggéré lors de l’Examen par les pairs. Ces chapitres offrent une vue d’ensemble des questions affectant les conditions-cadres dans ces quatre domaines. En outre, ils donnent un aperçu des lignes directrices en vigueur dans les juridictions de l’échantillon, dans le but d’aider les autorités tunisiennes à élaborer leurs propres lignes directrices.
L’échantillon de sept juridictions choisies pour cette étude inclut des pays membres et des pays non membres de l’OCDE. Le choix s’est fait à partir d’une série de critères basés sur l’existence et l’accessibilité de lignes directrices en matière de concurrence dans les quatre domaines spécifiques et sur la connaissance approfondie des spécificités de ces lignes directrices par l’OCDE. Les juridictions retenues pour l’échantillon sont les suivantes :
Pays de l’OCDE : Belgique, Canada, France et Union européenne (Commission européenne) ;
Pays non membres de l’OCDE : Afrique du Sud, Kenya et Philippines.
La Belgique, le Canada et le Kenya faisaient partie des examinateurs qui ont dirigé le processus d’Examen par les pairs consacré à la Tunisie. Le choix de la Belgique, du Canada, de la France et de l’Union européenne a également été motivé par des considérations linguistiques. La disponibilité de leurs lignes directrices en français signifie que leurs pratiques sont facilement accessibles et pourraient être examinées de manière plus approfondie par les autorités tunisiennes de la concurrence, le cas échéant. L’Afrique du Sud et le Kenya sont deux juridictions africaines clés qui disposent de lignes directrices efficaces sur la concurrence. La création de l’autorité philippine de la concurrence a coïncidé avec la révision de la loi tunisienne sur la concurrence. En outre, elle a joué un rôle actif dans l’application du droit de la concurrence et a récemment réussi à adopter un ensemble de lignes directrices dans ce domaine.
Dans le chapitre 8, on trouve des recommandations que la Tunisie devrait prendre en compte lors de l’élaboration de lignes directrices sur la concurrence, dans l’esprit des meilleures pratiques ayant fait leurs preuves au niveau international. Il réitère également certaines recommandations clés présentées dans le cadre de l’Examen par les pairs qui sont liées aux quatre domaines couverts par le présent rapport.
Compte tenu de l’expérience limitée de la Tunisie en matière de lignes directrices, un projet de note d’accompagnement sur « l’élaboration de lignes directrices en matière de contrôle des concentrations » a été communiqué pour la première fois aux autorités tunisiennes en février 2023 afin de servir de référence au personnel chargé d’élaborer des lignes directrices sur les concentrations dans le cadre d’un premier projet pilote. En septembre et octobre 2023, les autorités tunisiennes de la concurrence ont transmis à l’OCDE un projet de lignes directrices tunisiennes sur les concentrations, qui a été pris en compte dans le présent rapport.
Une première version de ce rapport a été présentée aux autorités tunisiennes en janvier 2024. Le présent rapport tient compte de tous les commentaires et suggestions qui ont été recueillis.