Les amendes jouent un rôle clé dans l’arsenal de dissuasion en rendant les comportements illégaux moins rentables. L'adoption de règles ou de lignes directrices publiques concernant la fixation des sanctions pécuniaires peut renforcer la dissuasion générale en permettant aux entreprises de comprendre le poids des sanctions auxquelles elles sont susceptibles d'être soumises. Le cadre du droit tunisien de la concurrence concernant les amendes est globalement conforme aux normes internationales. Cependant, il n'existe pas de méthodologie établie en matière de détermination des sanctions pécuniaires. Cette section présente une vue d'ensemble des lignes directrices relatives à la méthodologie des amendes dans certaines juridictions, afin d'aider les autorités tunisiennes à mettre en œuvre leurs propres lignes directrices.
Le rôle des lignes directrices dans la promotion de la politique de concurrence en Tunisie
5. Méthode de détermination des sanctions pécuniaires
Abstract
5.1. Aperçu des sanctions prévues par le droit de la concurrence en Tunisie
L’article 43 de la loi no 2015-36 prévoit que les amendes infligées par le Conseil de la concurrence en cas d’infraction aux règles de la concurrence ne doivent pas dépasser 10 % du chiffre d’affaires réalisé en Tunisie par l’opérateur concerné au cours du dernier exercice. Cette loi a permis d’augmenter le plafond des amendes, auparavant fixé à 5 %.
Toutefois, comme souligné lors de l’Examen par les pairs, dans de nombreuses décisions faisant état d’infractions, aucune sanction pécuniaire n’est appliquée. Si cette pratique était plus courante autrefois, on constate encore quelques affaires ne donnant lieu à aucune amende (OCDE, 2022, pp. 91-92[1]). De ce fait, la dissuasion est considérablement réduite et les contrevenants au droit de la concurrence ne sont guère incités à recourir aux demandes de clémence, comme indiqué au chapitre 6.
Les éléments tirés de la base de données CompStats de l’OCDE indiquent que le montant total des sanctions pécuniaires imposées par le Conseil de la concurrence au cours de la période 2015-2022 était largement inférieur à la moyenne des amendes infligées dans la région Moyen-Orient et Afrique (MOA).
Les contrevenants au droit de la concurrence sont souvent condamnés à des amendes. Celles-ci représentent un coût pour les personnes morales ou physiques qui se livrent à des pratiques anticoncurrentielles illicites. Les amendes jouent un rôle dissuasif en rendant de telles pratiques moins lucratives. Les infractions aux règles de la concurrence peuvent rapporter gros aux contrevenants, à condition de ne pas se faire prendre. De fait, une entreprise ayant pour seul objectif de maximiser ses bénéfices ne se mettra pas en infraction si les sanctions pécuniaires prévisibles (en fonction de la probabilité que l'amende soit effectivement infligée) sont plus lourdes que les gains illicites qu’elle espère en tirer.
En Tunisie, il n’existe pas de méthode claire de fixation du montant des amendes. Par exemple, lors de l’Examen par les pairs, il a été recommandé à la Tunisie de tenir compte de la durée de l’infraction dans le calcul des amendes. La mise en place d’une méthode pour le calcul des amendes pourrait aider les autorités tunisiennes de la concurrence à garantir une politique cohérente en la matière. Cette approche réduirait le pouvoir discrétionnaire des autorités administratives lorsqu’elles fixent les amendes et pourrait s’avérer utile dans le cadre d’un contrôle juridictionnel, puisque les tribunaux auraient la possibilité de s’appuyer sur une procédure objective préalablement définie.
Les décisions du Conseil de la concurrence peuvent faire l’objet d’un recours devant le Tribunal administratif. Les recours ont un effet suspensif sur les décisions du Conseil de la concurrence, ce qui incite les parties condamnées à faire appel. De plus, les affaires devant le Tribunal administratif durent en moyenne entre cinq et dix ans, alors que l’article 28 de la loi no 2015-36 prévoyait une durée maximale d’un an. La même disposition précise que le Conseil de la concurrence peut, le cas échéant, ordonner l’exécution provisoire de ses décisions, mais une telle pratique n’est pas courante (OCDE, 2022, pp. 132-133[1]). Même lorsque des amendes sont infligées par le Conseil de la concurrence, leur effet n’est pas dissuasif, des années pouvant s’écouler avant que les entreprises ne finissent par les payer.
Il convient de noter que le mandat du conseil ne lui permet pas de superviser la mise en œuvre de ses propres décisions puisque celui-ci n’a pas de pouvoir de représentation devant d’autres organismes publics, y compris le Tribunal administratif. Le ministre du Commerce est en effet responsable de l’exécution des décisions du Conseil de la concurrence ainsi que du recouvrement des amendes. Ainsi, le conseil n’assure pas le suivi des résultats de ses décisions ni du recouvrement des amendes.
Bien que l’amélioration du cadre général relatif aux amendes dépende de la manière dont les autorités tunisiennes traiteront les lacunes susmentionnées, l’adoption de règles ou de lignes directrices publiques portant sur la fixation des sanctions pécuniaires – comme c’est le cas dans de nombreuses juridictions – devrait être utile à bien des égards. Une telle mesure peut renforcer l’effet dissuasif général en permettant aux entreprises de comprendre la sévérité des sanctions auxquelles elles sont susceptibles d’être soumises. Elle contribue à garantir l’existence d’une méthode fondée sur des principes visant à garantir l’effet dissuasif. Elle renforce la transparence à l’approche des autorités de la concurrence et à la logique qui la sous-tend. À terme, des orientations publiques sur la fixation des sanctions pécuniaires renforceraient la sécurité juridique.
5.2. Lignes directrices sur la méthode de détermination des sanctions pécuniaires
En règle générale, les lignes directrices portant sur la méthode utilisée pour fixer le montant des amendes décrivent généralement les objectifs et les procédures liés au calcul des amendes infligées aux acteurs du marché qui enfreignent le droit de la concurrence, en particulier en cas de comportement anticoncurrentiel.
Ces lignes directrices peuvent présenter plusieurs avantages. Par exemple, elles peuvent aider à dissuader les acteurs du marché de se livrer à des pratiques anticoncurrentielles s’ils se rendent compte que les coûts escomptés dépasseront les gains potentiels. Les lignes directrices sur le calcul des amendes permettent également aux autorités de la concurrence d’appliquer une politique cohérente sur la question. En outre, elles permettent aux parties de mieux comprendre les raisons pour lesquelles les amendes ont été fixées à un niveau donné, ce qui peut réduire le nombre de recours et encourager un plus grand respect du droit de la concurrence (OCDE, 2016, p. 37[26]).
Cette section se penche sur les éléments communément couverts par les lignes directrices relatives à la méthode utilisée pour fixer le montant des amendes, en comparant les lignes directrices publiées dans les juridictions de l’échantillon. Ces éléments pourront servir les autorités tunisiennes de la concurrence lors de l’élaboration de leurs propres lignes directrices dans ce domaine.
5.2.1. Aperçu des lignes directrices analysées
L’équipe de projet a évalué les lignes directrices sur la méthode utilisée pour fixer le montant des amendes publiées dans les juridictions de l’échantillon, dont on trouve la liste dans le Tableau A A.4 et la synthèse dans le Tableau 5.1
Tableau 5.1. Aperçu des lignes directrices analysées
Juridiction |
Lignes directrices |
Date des lignes directrices |
---|---|---|
Pays de l’OCDE |
||
Belgique |
-* |
- |
Canada |
- |
- |
Union européenne |
✓ |
2006 |
France |
✓ |
2021 |
Pays non membres de l’OCDE |
||
Kenya |
✓** |
2020 |
Philippines |
- |
- |
Afrique du Sud |
✓ |
2015 |
Note : * Bien que la Belgique ait élaboré des lignes directrices sur le calcul des amendes, celles-ci se réfèrent aux lignes directrices de la Commission européenne et présentent uniquement des adaptations particulières au contexte belge. C’est la raison pour laquelle elles n’ont pas été prises en compte pour l’analyse effectuée dans le cadre du présent rapport.
** Les lignes directrices kenyanes prévoient également des sanctions en cas de concentrations réalisées sans l’autorisation préalable de l’autorité de la concurrence et en cas de révocation de l’approbation des concentrations proposées. Ces sanctions ne seront pas prises en compte dans le présent rapport.
5.2.2. Caractéristiques communes des lignes directrices analysées
Les lignes directrices des juridictions de l’échantillon contiennent les éléments suivants, dont on trouve la synthèse dans le Tableau 5.2.
Tableau 5.2. Synthèse des caractéristiques communes figurant dans les lignes directrices sur la méthode utilisée pour fixer le montant des amendes par juridiction (échantillon)
Juridiction |
Objectifs des lignes directrices |
Objectifs des amendes |
Détermination de l’amende de base |
Durée de l’infraction |
Circonstances aggravantes et atténuantes |
Limites statutaires des amendes |
Absence de capacité contributive |
Clémence et transaction |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Pays de l’OCDE |
||||||||
Union européenne |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
France |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
Pays non membres de l’OCDE |
||||||||
Kenya |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
Afrique du Sud |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
Objectifs des lignes directrices
L’ensemble des lignes directrices indiquent expressément leurs objectifs. Si toutes les lignes directrices évoquent l’amélioration de la transparence, les documents mentionnent également d’autres finalités. Par exemple, les lignes directrices de la Commission européenne visent à « assurer la transparence et le caractère objectif de ses décisions » (Commission européenne, 2006[27]). De même, les lignes directrices sud-africaines indiquent que leur objectif principal est de « garantir un certain degré de transparence et d’objectivité dans la détermination par la commission de sanctions administratives » (Commission de la concurrence d’Afrique du Sud, 2015, p. 6[28]). Outre une plus grande transparence, les lignes directrices françaises visent à permettre aux intéressés de mieux comprendre comment sont fixées les sanctions pécuniaires, aux acteurs économiques d’anticiper les risques financiers associés à la commission d’infractions et aux juridictions d’effectuer plus aisément leur mission de contrôle (Autorité de la concurrence, 2021, p. 5[29]). Les lignes directrices kenyanes cherchent à « renforcer la transparence, la cohérence et la prévisibilité dans le calcul des sanctions financières et à assurer la proportionnalité des mesures correctives imposées par rapport à l’ampleur de l’infraction » (Autorité de la concurrence du Kenya, 2020, p. 3[30]).
Objectifs des amendes
Toutes les lignes directrices précisent également les objectifs de la politique en matière d’amendes. L’ensemble d’entre elles mentionnent l’effet dissuasif sur les comportements anticoncurrentiels. En particulier, les lignes directrices de l’Afrique du Sud, de la Commission européenne et de la France précisent que la dissuasion consiste à la fois à dissuader les entreprises en cause de se livrer au même comportement anticoncurrentiel à l’avenir (effet dissuasif spécifique) et à dissuader d’autres entreprises de s’engager dans des comportements anticoncurrentiels ou de les poursuivre (effet dissuasif général).
En outre, les lignes directrices françaises indiquent que les sanctions visent aussi à punir les auteurs d’infractions. Par ailleurs, elles soulignent expressément que les sanctions n’ont pas pour but d’obtenir une réparation (Autorité de la concurrence, 2021, p. 4[29]).
Détermination du montant de base des amendes
Suivant toutes les lignes directrices, la première étape du processus de fixation des amendes est la détermination du montant de base, calculé au prorata du chiffre d’affaires ou du volume des ventes concerné de l’entreprise en cause. La gravité de l'infraction à la législation sur la concurrence joue un rôle important dans la détermination du montant de base de l'amende imposée aux auteurs d'infractions à la législation sur la concurrence. La gravité de l'infraction fait référence à la sévérité ou à la gravité du comportement anticoncurrentiel commis par la ou les parties en infraction. L'évaluation de cette gravité tient compte de différents facteurs, notamment la nature et l'étendue de l'infraction, le préjudice causé à la concurrence, la durée de l'infraction et l'impact sur le marché.
D’une part, les lignes directrices de la Commission européenne et de la France se réfèrent à la valeur des ventes des biens ou des services en relation avec l’infraction dans le secteur géographique concerné à l’intérieur du territoire de l’EEE ou en France, respectivement. On considère qu’il s’agit d’une valeur de remplacement adéquate pour refléter l’importance économique de l’infraction ainsi que le poids relatif de chaque entreprise participant à l’infraction (Commission européenne, 2006[27] ; Autorité de la concurrence, 2021, p. 7[29]).
D’autre part, les lignes directrices kenyanes prennent en compte le chiffre d’affaires concerné d’une entreprise au cours de l’année précédant la décision de l’autorité de la concurrence, ce qui donne une indication du volume des ventes concerné (Autorité de la concurrence du Kenya, 2020, p. 4[30]). De même, les lignes directrices sud-africaines utilisent aussi le concept de chiffre d’affaires concerné, en se référant au « chiffre d’affaires de l’entreprise tiré de ventes de produits ou services réputées avoir été réalisées en rapport avec l’infraction » (Commission de la concurrence d’Afrique du Sud, 2015, p. 8[28]).
Les lignes directrices décrivent en outre la méthode de calcul de la valeur des ventes ou du chiffre d’affaires concerné, en tenant compte des facteurs géographiques et temporels. Par ailleurs, elles expliquent la manière dont ce montant doit être déterminé dans les affaires concernant des associations d’entreprises.
Par exemple, au sein de l’Union européenne et en France, lorsque l’infraction commise par une association d’entreprises porte sur les activités de ses membres, la valeur des ventes correspondra en général à la somme de la valeur des ventes de ses membres (Commission européenne, 2006[27] ; Autorité de la concurrence, 2021, p. 8[29]). Au Kenya, le chiffre d’affaires annuel brut d’une association d’entreprises est calculé à partir des chiffres d’affaires des membres individuels tirés des produits ou services en cause (Autorité de la concurrence du Kenya, 2020, p. 4[30]). En Afrique du Sud, en cas d’infraction commise par une association d’entreprises et si l’association a facilité, organisé et/ou réalisé l’infraction, cette dernière est tenue au paiement de l’amende, indépendamment des membres de l’association. Dans ces conditions, le montant total des recettes/contributions des membres aux frais sera considéré comme le chiffre d’affaires concerné (Commission de la concurrence d’Afrique du Sud, 2015, p. 9[28]).
Toutes les lignes directrices reconnaissent que, s’agissant de certaines infractions, la valeur des ventes ou le chiffre d’affaires concerné peut ne pas refléter le poids de chaque participant à l’infraction, et d’autres critères sont prévus pour déterminer le montant de base de l’amende.
Par exemple, les lignes directrices de la Commission européenne et de la France indiquent que lorsque l’étendue de l’infraction dépasse le territoire de l’EEE ou de la France, respectivement (par exemple, les ententes internationales avec accords de répartition des marchés), l’autorité de la concurrence peut estimer la valeur totale des ventes des biens ou services en relation avec l’infraction dans le secteur géographique concerné (plus vaste que l’EEE), déterminer la part des ventes de chaque entreprise participant à l’infraction sur ce marché et appliquer cette part aux ventes agrégées de ces mêmes entreprises à l’intérieur de l’EEE (Commission européenne, 2006[27] ; Autorité de la concurrence, 2021, p. 8[29]).
De même, les lignes directrices sud-africaines indiquent que lorsque le chiffre d’affaires concerné d’une entreprise est nul pour un marché donné (par exemple, dans le cas d’une répartition des marchés empêchant l’entrée d’un produit spécifique dans certaines zones géographiques), la Commission de la concurrence peut prendre en considération le chiffre d’affaires annuel de l’entreprise sur le marché qui a été protégé du fait de la pratique, c’est-à-dire le marché qui a été attribué à l’entreprise du fait du comportement anticoncurrentiel (Commission de la concurrence d’Afrique du Sud, 2015, p. 9[28]).
D’autre part, les lignes directrices françaises prévoient d’autres circonstances dans lesquelles des critères alternatifs peuvent être utilisés pour déterminer le montant de base de l’amende. Par exemple, si l’infraction consiste à s’entendre sur des commissions par lesquelles des entreprises se rémunèrent à l’occasion de la vente de certains produits ou services, l’autorité de la concurrence peut retenir ces commissions comme référence. En outre, en cas de marchés bifaces ou multifaces, l’autorité de la concurrence peut tenir compte de la valeur des ventes réalisées par l’entreprise concernée sur les marchés amont, aval et connexe, lorsque ces derniers sont en lien direct ou indirect avec l’infraction (Autorité de la concurrence, 2021, p. 8[29]).
Certaines lignes directrices présentent aussi des règles spécifiques en cas de soumissions concertées. Par exemple, les lignes directrices françaises reconnaissent que la méthode générale doit être adaptée dans de tels cas, car la valeur des ventes ne constitue pas un indicateur approprié de l’ampleur économique de ces pratiques et du poids relatif de chaque entreprise qui y prend part, en particulier lorsque leur implication consiste à réaliser des offres de couverture ou à s’abstenir de soumissionner. Le montant de base de la sanction pécuniaire résultera alors de l’application d’un coefficient, déterminé en fonction de la gravité des faits, du chiffre d’affaires total réalisé en France par l’association d’entreprises ou par l’entreprise en cause, en principe pendant l’exercice comptable complet au cours duquel a eu lieu l’infraction, ou du dernier exercice comptable complet, s’il en existe plusieurs. Ce coefficient tiendra compte du fait que ces pratiques se rangent parmi les infractions les plus graves aux règles de concurrence (Autorité de la concurrence, 2021, p. 15[29]).
Les lignes directrices kenyanes stipulent que dans les affaires de soumission concertée, l’autorité de la concurrence doit retenir la valeur du marché conclu dans le cadre de l’appel d’offres comme chiffre d’affaires concerné pour déterminer le montant des amendes (Autorité de la concurrence du Kenya, 2020, p. 10[30]).
Les lignes directrices sud-africaines prévoient que, pour les infractions relatives aux soumissions concertées, le chiffre d’affaires concerné du soumissionnaire retenu et des autres participants à l’infraction sera considéré comme le plus élevé des montants suivants : (i) la valeur de l’offre soumise par le soumissionnaire retenu, (ii) la valeur du marché conclu ou à conclure ou (iii) le montant effectivement versé au soumissionnaire retenu à l’issue de l’appel d’offres. En outre, dans les cas de soumissions concertées, l’autorité de la concurrence prendra en compte le nombre d’années du marché comme coefficient multiplicateur de la durée de l’infraction (Commission de la concurrence d’Afrique du Sud, 2015[28]).
Quant au pourcentage à appliquer à la valeur des ventes ou au chiffre d’affaires concerné, il varie selon les juridictions mais tient compte de la gravité de l’infraction. Par exemple, les lignes directrices de l’Afrique du Sud, de la Commission européenne et de la France indiquent que la proportion de la valeur des ventes devrait atteindre au maximum 30 %. Les lignes directrices précisent certains facteurs à prendre en compte pour déterminer le pourcentage à appliquer dans un cas particulier. Bien que ces facteurs varient d’un document à l’autre, on retrouve parmi les éléments communs la nature, la gravité et l’étendue de l’infraction. Les autres éléments mentionnés dans certaines lignes directrices incluent la part de marché cumulée de toutes les parties concernées, les barrières à l’entrée sur le marché et la nature des activités, des secteurs ou des marchés en cause. Par ailleurs, ces lignes directrices indiquent que le pourcentage applicable aux ententes injustifiables devrait généralement être fixé en haut de l’échelle.
Au Kenya, les pourcentages sont néanmoins préétablis à hauteur de 10 %. La durée de l’infraction est ensuite prise en compte pour ajuster le montant de base de l’amende en fonction des circonstances aggravantes (Autorité de la concurrence du Kenya, 2020, pp. 4-7[30]).
Les lignes directrices de la Commission européenne et de la France prévoient, en outre, qu’une somme comprise entre 15 et 25 % de la valeur des ventes doit être ajoutée au montant de base en cas d’ententes injustifiables, afin de décourager davantage les entreprises de se livrer à de telles pratiques. Le pourcentage spécifique devrait être déterminé en tenant compte des facteurs susmentionnés. Ce montant additionnel peut aussi être appliqué pour d’autres infractions.
Durée de l’infraction
Les lignes directrices de l’Afrique du Sud, de la Commission européenne et de la France prévoient que la durée de l’infraction sera prise en compte en multipliant le montant de base par le nombre d’années de participation à la pratique anticoncurrentielle. Par ailleurs, ces lignes directrices expliquent la manière dont la durée de l’infraction est prise en compte lorsqu’elle concerne une période de moins d’un an. D’une part, les lignes directrices de la Commission européenne indiquent que les périodes allant jusqu’à six mois sont comptabilisées comme une demi-année et que les périodes allant de six mois à un an comme une année entière. D’autre part, les lignes directrices françaises et sud-africaines prévoient que pour les infractions d’une durée inférieure à un an, le montant de base doit être multiplié par la proportion de l’année au cours de laquelle la pratique a été mise en œuvre.
Enfin, dans les lignes directrices kenyanes, la durée du comportement est considérée uniquement comme une circonstance aggravante.
Circonstances aggravantes et atténuantes
L’ensemble des lignes directrices prévoient que l’amende de base (y compris, le cas échéant, après prise en compte de la durée de l’infraction) est ensuite ajustée en l’augmentant ou en la diminuant à la lumière des circonstances aggravantes et atténuantes. Toutes les lignes directrices présentent une liste non exhaustive de ces circonstances.
Les circonstances atténuantes les plus courantes sont les suivantes : (i) la cessation immédiate de l’infraction après avoir pris connaissance de l’enquête menée par l’autorité de la concurrence (bien que ce facteur ne s'applique généralement pas aux pratiques secrètes, telles que les ententes, (ii) un rôle mineur dans le comportement anticoncurrentiel (c'est-à-dire si l'entreprise était un participant passif), (iii) la coopération avec l’autorité de la concurrence (par exemple en fournissant des preuves concernant les infractions), (iv) l’infraction a été autorisée ou incitée par les autorités publiques ou la réglementation, (v) la pression exercée par d’autres entreprises (par exemple, si l'entreprise a été contrainte par d'autres entreprises parties à l'infraction) et (vi) l’indemnisation des parties lésées1.
S’agissant des circonstances aggravantes, la plupart des lignes directrices mentionnent les facteurs suivants : (i) la récidive ou réitération (bien qu'il y ait un débat sur la question de savoir s'il s'agit de la même infraction ou d'infractions similaires et de la même entité juridique, ainsi que sur le délai de prescription de l'éventail des infractions antérieures), (ii) le refus de coopérer avec l’autorité de la concurrence (par exemple, par l’obstruction aux enquêtes et le non-respect des obligations procédurales, telles que l'absence de réponse, les réponses tardives et la fourniture d'informations incomplètes ou trompeuses), (iii) un rôle de meneur ou d’incitateur de l’infraction, et (iv) la coercition ou les mesures de rétorsion visant à assurer la poursuite de l’infraction2.
Les lignes directrices de l’Afrique du Sud, de la Commission européenne et de la France ne précisent pas dans quelle mesure le montant de base doit être réduit ou augmenté en fonction des circonstances aggravantes ou atténuantes. En revanche, les lignes directrices kenyanes prévoient un système de notation avec un pourcentage variable pour augmenter ou réduire le montant de base.
Les lignes directrices de la Commission européenne et de la France prévoient également qu’en cas de réitération, le montant de base doit être augmenté jusqu’à 100 % et entre 15 % et 50 %, respectivement. Alors que la Commission européenne mentionne uniquement « une infraction identique ou similaire » (Commission européenne, 2006[27]), la France expose de manière plus détaillée les facteurs à prendre en compte pour évaluer la réitération. Il s’agit notamment des éléments suivants : (i) l’existence d’une décision de la Commission européenne ou d’une autorité de la concurrence d’un État membre de l’UE sanctionnant des pratiques de même nature, (ii) la nouvelle pratique est identique ou similaire, par son objet ou ses effets, à celle ayant donné lieu au précédent constat d’infraction, (iii) le constat d’infraction doit avoir acquis un caractère définitif à la date à laquelle l’autorité de la concurrence statue sur la nouvelle pratique, et (iv) le délai écoulé entre le précédent constat d’infraction et le début de la nouvelle pratique est inférieur ou égal à 15 ans (Autorité de la concurrence, 2021, p. 12[29]).
Limites statutaires des amendes
L’ensemble des lignes directrices mentionnent et expliquent un plafond maximal pour les amendes, fixé par la législation. Lorsque l’amende est supérieure à ce montant, l’autorité de la concurrence doit la ramener au plafond maximal. Toutes les lignes directrices font référence à un plafond d’amende similaire de 10 % du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise, avec toutefois des caractéristiques différentes.
Par exemple, les lignes directrices de la Commission européenne indiquent que le seuil légal maximal est fixé à 10 % du chiffre d’affaires total réalisé au cours de l’exercice social précédent par l’entreprise ou l’association d’entreprises participant à l’infraction. Lorsqu’une infraction d’une association porte sur les activités de ses membres, l’amende ne peut dépasser 10 % de la somme du chiffre d’affaires total réalisé par chaque membre actif sur le marché affecté par l’infraction (Commission européenne, 2006[27]). Les lignes directrices françaises fixent le montant maximal à 10 % du chiffre d’affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d’un des exercices clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Les amendes infligées aux associations d’entreprises ne doivent pas dépasser 10 % du chiffre d’affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours de l’un des exercices clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Toutefois, lorsque l’infraction a trait aux activités de ses membres, l’amende ne doit pas dépasser 10 % de la somme du chiffre d’affaires mondial total réalisé par chaque membre actif sur le marché concerné par l’infraction (Autorité de la concurrence, 2021, p. 13[29]).
Dans les lignes directrices kenyanes, la limite statutaire est fixée à 10 % du chiffre d’affaires annuel brut de l’entreprise au cours de l’exercice financier précédent (Autorité de la concurrence du Kenya, 2020, p. 10[30]), tandis que les lignes directrices sud-africaines la fixent à 10 % du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise en Afrique du Sud et de ses exportations à partir du pays, au cours de l’exercice financier précédant celui au cours duquel l’amende est infligée (Commission de la concurrence d’Afrique du Sud, 2015, p. 15[28]).
Absence de capacité contributive
Par ailleurs, toutes les lignes directrices affirment qu’en fixant le montant de l’amende, l’autorité de la concurrence peut tenir compte, dans des circonstances exceptionnelles, de l’absence de capacité contributive d’une entreprise.
La plupart des lignes directrices imposent à l’entreprise de fournir à l’autorité de la concurrence des preuves objectives que l’imposition d’une amende, dans les conditions fixées, mettrait irrémédiablement en danger la viabilité économique de l’entreprise concernée et conduirait à priver ses actifs de toute valeur.
Les lignes directrices kenyanes précisent que la capacité contributive de l’entreprise peut être prise en compte uniquement pour permettre aux entreprises de s’acquitter des amendes en versements échelonnés raisonnables (Autorité de la concurrence du Kenya, 2020, p. 10[30]).
Clémence et transaction
Toutes les lignes directrices comportent des indications sur la clémence et/ou la transaction, bien que les approches adoptées soient différentes.
Par exemple, les lignes directrices de la Commission européenne prévoient que les autorités de la concurrence doivent considérer comme circonstance atténuante le fait que l’entreprise concernée coopère effectivement, en dehors du champ d’application de la communication sur la clémence et au-delà de ses obligations juridiques de coopérer (Commission européenne, 2006[27]). Les lignes directrices françaises indiquent que, lors de la fixation des amendes, l’Autorité de la concurrence doit tenir compte de l’exonération totale ou partielle résultant de la clémence (Autorité de la concurrence, 2021, pp. 13-14[29]).
Aussi bien les lignes directrices kenyanes que sud-africaines mentionnent la possibilité de transaction, en vertu de laquelle l’autorité de la concurrence peut proposer une réduction de l’amende à infliger à un acteur du marché pour infraction au droit de la concurrence. Les lignes directrices kenyanes mentionnent seulement que l’autorité de la concurrence est habilitée, à tout moment pendant ou après une enquête, à conclure une transaction avec les parties concernées, qui peut comporter un montant à payer à titre de sanction pécuniaire (Autorité de la concurrence du Kenya, 2020, p. 11[30]).
Les lignes directrices sud-africaines précisent quant à elles que l’autorité de la concurrence « peut, à sa seule discrétion, offrir une réduction de 10 à 50 % de la sanction administrative » calculée à partir de la méthodologie générale. Les éléments suivants doivent être pris en compte : (i) la localisation temporelle de la transaction (c’est-à-dire que les entreprises qui concluent une transaction au début de l’enquête devraient bénéficier d’une réduction plus importante que celles qui concluent une transaction à la fin de l’enquête) et (ii) le degré de coopération dans le cadre des poursuites visant d’autres entreprises impliquées dans l’infraction (c’est-à-dire si l’entreprise fournit en temps utile des informations complètes et exactes qui corroboreront d’autres éléments de preuve à la disposition de l’autorité de la concurrence) (Commission de la concurrence d’Afrique du Sud, 2015, pp. 15-16[28]).
5.2.3. Caractéristiques moins courantes mais utiles figurant dans les lignes directrices analysées
L’analyse a révélé la présence, dans les lignes directrices des juridictions de l’échantillon, de caractéristiques moins courantes mais utiles qui méritent d’être mentionnées. On peut trouver une synthèse de ces caractéristiques dans le Tableau 5.3.
Tableau 5.3. Caractéristiques moins courantes mais utiles figurant dans les lignes directrices sur la méthode utilisée pour fixer le montant des amendes
Juridiction |
Caractère juridiquement non contraignant des lignes directrices |
Terminologie |
Droits de la défense |
Responsabilité de la société-mère |
---|---|---|---|---|
Pays de l’OCDE |
||||
Union européenne |
Implicite |
|||
France |
Implicite |
✓ |
||
Pays non membres de l’OCDE |
||||
Kenya |
Implicite |
|||
Afrique du Sud |
✓ |
✓ |
✓ |
Caractère juridiquement non contraignant des lignes directrices
À l’instar des lignes directrices sur les concentrations et les programmes de clémence, certaines lignes directrices sur la méthode utilisée pour fixer le montant des amendes mentionnent leur caractère juridiquement non contraignant pour les tribunaux, tandis que dans d’autres cas, ce point n’est qu’implicitement énoncé.
Par exemple, les lignes directrices sud-africaines affirment qu’elles « ne lient pas la Commission, le Tribunal ou la Cour d’Appel de la concurrence dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire respectif ou dans leur interprétation de la loi » (Commission de la concurrence d’Afrique du Sud, 2015, pp. 6-7[28]).
Au Kenya, le caractère non contraignant des lignes directrices est implicite dans la mesure où elles précisent que « les lignes directrices ne se substituent pas à la loi et doivent être lues conjointement avec celle-ci et les règles subsidiaires qui en découlent » (Autorité de la concurrence du Kenya, 2020, p. 2[30]).
Les lignes directrices françaises indiquent qu’elles engagent l’Autorité de la concurrence, qui souhaite se référer à une méthode cohérente pour fixer les amendes. Néanmoins, il est établi que l’Autorité de la concurrence peut s’écarter des lignes directrices en fonction des circonstances particulières de l’espèce (notamment au regard des caractéristiques des pratiques en cause, de l’activité des parties concernées et du contexte économique et juridique de l’affaire) ou pour des raisons d’intérêt général (Autorité de la concurrence, 2021, p. 13[29]). Les lignes directrices de la Commission européenne contiennent une disposition similaire (Commission européenne, 2006[27]).
Terminologie
En outre, à l’instar des autres catégories de lignes directrices évaluées dans le présent rapport, les lignes directrices sur la méthode utilisée pour fixer le montant des amendes peuvent comporter des définitions des concepts clés, afin d’améliorer la compréhension du public. Les lignes directrices sud-africaines, par exemple, incluent une section présentant un glossaire des termes pertinents (Commission de la concurrence d’Afrique du Sud, 2015, pp. 4-5[28]).
Droits de la défense
Les lignes directrices françaises comprennent des règles procédurales, précisant que l’autorité de la concurrence signale aux parties concernées les principaux éléments de droit et de fait du dossier susceptibles d’influer sur la détermination de la sanction afin de leur permettre d’exercer leurs droits de la défense (Autorité de la concurrence, 2021, p. 6[29]).
Responsabilité de la société-mère
Les lignes directrices sud-africaines comportent des dispositions relatives à la responsabilité de la société-mère, précisant que les sociétés-mères qui ne sont pas directement impliquées dans l’infraction peuvent voir leur responsabilité engagée lorsque leur filiale a enfreint le droit de la concurrence. Pour déterminer la responsabilité de la société-mère, la Commission de la concurrence doit tenir compte des éléments suivants : (i) la société-mère détient la filiale à 100 %, (ii) elle contrôle directement la filiale ou exerce une influence décisive ou importante sur la politique commerciale de celle-ci, (iii) elle avait connaissance de la participation de la filiale à l’infraction, ou (iv) elle a tiré un bénéfice substantiel des activités de la filiale (Commission de la concurrence d’Afrique du Sud, 2015, pp. 17-19[28]).
Principaux éléments à retenir – Méthode de détermination des sanctions pécuniaires
Les amendes jouent un rôle dissuasif essentiel en rendant les comportements illicites moins lucratifs. L’adoption de règles ou de lignes directrices publiques relatives à la détermination des sanctions pécuniaires peut avoir un effet dissuasif général en permettant aux entreprises de comprendre le poids des sanctions qu’elles encourent.
Le cadre tunisien du droit de la concurrence concernant les amendes est globalement conforme aux normes internationales. Toutefois, il n’existe pas de méthode établie pour déterminer leur montant.
L’adoption de lignes directrices portant sur la détermination des sanctions pécuniaires peut aider les autorités tunisiennes de la concurrence à assurer la cohérence de la politique en matière d’amendes.
L’élaboration de lignes directrices sur la détermination des sanctions pécuniaires devrait prendre en compte plusieurs éléments, notamment les objectifs, la méthodologie, la gravité et la durée de l’infraction ainsi que la possible absence de capacité contributive de l’entreprise.
Notes
← 1. Comme indiqué à la section 7.2, au Canada, l’existence d’un programme de conformité est considérée comme une circonstance atténuante, tandis qu’en Belgique, en France et au sein de l’Union européenne, l’existence d’un tel programme n’est pas considérée comme une circonstance atténuante aux fins de la fixation des amendes.
← 2. Voir (OCDE, 2016[26]) pour une évaluation plus détaillée des circonstances atténuantes et aggravantes.