Ce premier chapitre évalue la place du secteur des services dans l’économie mondiale. Il examine le rôle des services dans les résultats macroéconomiques récents, ainsi que la tendance marquée vers une dépendance croissante des industries manufacturières vis-à-vis des services. Il met en lumière certaines grandes tendances importantes, en particulier la transition vers l’économie numérique, largement soutenue par le secteur des services, et il montre comment l’adoption d’une réglementation appropriée des services pourrait permettre d’exploiter la révolution numérique pour accroître la productivité. À la lumière du rôle majeur que jouent les petites et moyennes entreprises (PME) dans l’économie de la plupart des pays, il examine les mesures qui pourraient faciliter leur développement international, notamment par le biais de plateformes internet et d’une participation accrue aux chaînes de valeur mondiales (CVM).
Les politiques d'échanges de services dans une économie mondialisée
Chapitre 1. L’essor des services dans l’économie mondiale1
Abstract
La transformation structurelle au profit des services
Le développement économique est associé à un mouvement qui part d’une économie agraire dominée par l’agriculture de subsistance pour aller vers une économie industrialisée dominée par le secteur des services. Le Graphique 1.1 montre que la part des services dans le PIB a augmenté au fil du temps dans tous les groupes de pays, et que c’est dans les pays à revenu intermédiaire qu’elle s’accroît le plus rapidement. En outre, à tout moment, plus un pays est riche, plus la part moyenne des services est grande.
L’essor de la part des services dans le PIB mondial a pour contrepartie le recul du secteur manufacturier et de l’industrie primaire. Ce mouvement symétrique s’explique par le rythme plus rapide du progrès technique dans les industries manufacturières que dans les services, par un renforcement de la demande de services au détriment des produits manufacturés, sous l’effet de la hausse des niveaux de revenus, et par un fléchissement des prix relatifs des biens manufacturés. Dans le même temps, la production, tant de l’agriculture que des industries manufacturières, continue de progresser régulièrement en valeur absolue. Par exemple, alors que la part des industries manufacturières dans le PIB nominal mondial est passée de 20 % en 1997 à 15 % en 2015, le niveau de la production manufacturière mondiale en valeur absolue a grimpé de 44 %2.
Le schéma d’évolution structurelle de l’emploi est semblable à celui des transformations sectorielles de l’économie, comme l’illustre le Graphique 1.2. Il représente les changements dans la structure de l’emploi sur la période 1994-2010 pour les pays à revenu élevé et intermédiaire ainsi que, séparément, pour la République populaire de Chine (ci-après « la Chine ») et pour l’Inde. Les réaffectations les plus importantes, ces dernières années, se situent dans les pays à revenu intermédiaire, où l’urbanisation rapide s’est accompagnée d’un mouvement de repli de l’emploi agricole au profit des emplois urbains dans l’industrie et les services. La comparaison de la Chine et de l’Inde met en lumière un paradoxe. Sur cette période de 15 ans, la Chine est devenue l’atelier du monde, tandis que l’Inde a accédé au rang de grand exportateur mondial de services. Pourtant, la part des services dans l’emploi total en Chine a augmenté deux fois plus vite que la part de l’industrie, alors que c’est le contraire en Inde. En outre, la part des services dans l’emploi total est beaucoup plus élevée en Chine qu’en Inde. L’explication de ce phénomène repose sur trois facteurs. En premier lieu, l’économie agraire a plus reculé en Chine qu’en Inde. Ainsi, en Chine, la part de l’agriculture est passée d’environ la moitié à un tiers de l’emploitotal, tandis qu’en Inde, la moitié de la population active est encore employée dans l’agriculture. Deuxièmement, l’Inde a enregistré une poussée sans précédent de la productivité du travail dans les services orientés vers l’exportation (Benz et al., 2017). Enfin, le secteur des services constitue un fondement essentiel, quoique largement ignoré, du développement industriel de la Chine.
Les mutations structurelles illustrées par les Graphique 1.1Graphique 1.2 révèlent que, à l’échelle mondiale, la part de l’emploi dans les services augmente plus vite que la part des services dans le PIB nominal, ce qui signifie que, en moyenne, la productivité du travail croît plus vite dans les industries manufacturières que dans les services. D’aucuns craignent donc que les économies à forte intensité de services soient moins dynamiques et créent relativement moins d’emplois stables et bien rémunérés qu’à l’âge d’or de l’emploi manufacturier. Un débat est ainsi né sur l’opportunité d’un retour à une politique industrielle classique comme moyen d’encourager une renaissance industrielle, accompagnée d’emplois de qualité pour les travailleurs faiblement et moyennement qualifiés. Cependant, le récent ralentissement des délocalisations et l’amorce d’un retour des activités manufacturières dans les pays à revenu élevé semblent avoir pour moteur, précisément, la moindre importance des coûts de main-d’œuvre, à l’aube de la quatrième révolution industrielle.
Celle-ci se caractérise par la productique, la transformation additive, l’automatisation et des techniques avancées d’analyse de mégadonnées (big data) collectées à partir du flux d’informations circulant dans l’« internet des objets » (IdO). Durant cette transition, l’emploi manufacturier hautement qualifié s’est maintenu, tant dans les pays à revenu élevé qu’intermédiaire, tandis que l’emploi manufacturier faiblement qualifié chutait en flèche (Rodrik, 2016). Si l’on en juge par ces tendances, la part de l’emploi dans les services va probablement augmenter jusqu’à ce qu’il se stabilise, autour de 80-85 %, et l’emploi manufacturier hautement qualifié peut demeurer résilient face au progrès technique. À l’instar des changements structurels survenus par le passé, la transformation en cours recèle un immense potentiel d’amélioration du bien-être humain si elle est gérée raisonnablement3.
Les services modernes rattrapent les niveaux de productivité des industries manufacturières
Le principal facteur de croissance économique est la hausse du niveau de productivité. Si, en moyenne, la productivité est plus élevée dans les industries manufacturières que dans les services, ces derniers, dans leur version moderne, comblent rapidement leur retard. Le Tableau 1.1 présente l’évolution récente de la productivité pour un échantillon de secteurs dans quatre pays4. Au moins un segment des services a enregistré une croissance de la productivité plus rapide que l’industrie manufacturière dans les quatre pays. Il est à noter que le commerce de gros et de détail a affiché, ces dernières années, une croissance de la productivité plus forte que l’industrie manufacturière dans trois des quatre pays. Ce secteur à forte intensité de main-d’œuvre a été l’un des premiers à adopter des TIC améliorant la productivité pour le commerce de détail traditionnel, et il opère actuellement une migration vers les plateformes numériques5.
Tableau 1.1. Productivité (PTF) par secteur, 2014
Indice, 2010 = 100
CITI Rév. 4 |
Branche |
Royaume-Uni |
France |
Allemagne |
Finlande |
---|---|---|---|---|---|
C |
Activités de fabrication |
101.57 |
103.68 |
106.53 |
97.43 |
G |
Commerce de gros et de détail, réparation de véhicules automobiles et de motocycles |
104.26 |
104.02 |
105.40 |
98.62 |
H |
Transport et entreposage |
105.74 |
97.37 |
94.56 |
113.40 |
J |
Information et communication |
98.17 |
103.98 |
116.35 |
117.45 |
58-60 |
Édition, activités audiovisuelles et radio- et télédiffusion |
105.28 |
94.92 |
106.35 |
88.23 |
61 |
Télécommunications |
92.87 |
123.58 |
106.75 |
142.75 |
62-63 |
Programmes informatiques et autres services d’information |
96.40 |
97.93 |
127.27 |
120.12 |
K |
Activités financières et d’assurances |
86.99 |
103.34 |
105.21 |
103.82 |
M-N |
Activités professionnelles, scientifiques et techniques et services administratifs et d’appui |
109.33 |
95.14 |
98.20 |
95.35 |
R-S |
Arts, spectacles et loisirs et autres activités de services |
102.75 |
91.88 |
97.00 |
89.79 |
Source : Base de données EU KLEMS, www.euklems.net/.
Les activités professionnelles et techniques et autres services d’appui couverts par les codes M et N de la CITI constituent une solide source de création d’emplois pour les travailleurs qualifiés et, sauf en Allemagne, ils emploient plus de salariés que les industries manufacturières. Dans ce secteur, la productivité ne s’est maintenue à la hauteur des industries manufacturières qu’au Royaume-Uni. Cependant, la transition numérique des services professionnels n’en est encore qu’à ses débuts, et recèle la promesse d’une robuste poussée de productivité à l’avenir. En outre, plusieurs études ont constaté que les services aux entreprises à forte intensité de connaissances (SFIC) stimulaient l’innovation et la productivité chez les entreprises clientes, y compris dans l’industrie manufacturière. Les SFIC sont généralement coproduits avec les clients, et leur impact sur la productivité est peut-être plus visible au niveau de l’économie dans son ensemble que dans le secteur des SFIC6.
Des informations comparables sur la productivité totale des facteurs ne sont pas aisément disponibles pour les économies de marché émergentes, mais la base de données WORLD-KLEMS contient néanmoins ce type d’informations pour l’Inde sur la période 1980‐2008/9. De façon intéressante, la croissance de la PTF des services a largement dépassé celle du secteur manufacturier en Inde pendant cette période. Par rapport à l’année 1990, le secteur manufacturier le plus performant (produits minéraux non métalliques) a vu s’accroître la PTF d’environ 40 %, alors que la productivité du segment des services le plus performant (les postes et télécommunications) a été multipliée par six sur les trois décennies couvertes. L’Inde s’est engagée sur une trajectoire de croissance propulsée par les exportations de services tout aussi impressionnante que les poussées de croissance précédemment vécues par les pays nouvellement industrialisés. L’expérience de l’Inde et de la Chine, associée aux observations émanant des pays à haut revenu en voie de désindustrialisation, laisse penser qu’un secteur des services tourné vers l’exportation peut exister même en l’absence d’une importante base industrielle, alors qu’un secteur industriel axé sur l’exportation a peu de chances de se développer en l’absence de services d’appui.
Les services renforcent la productivité et la compétitivité des industries manufacturières
Les services fournissent des intrants essentiels aux secteurs producteurs de biens marchands en améliorant la productivité, ou la compétitivité, ou les deux. En particulier, l’éducation et la santé contribuent à relever le niveau des compétences et l’adaptabilité des travailleurs. La R-D, l’ingénierie et les activités de conception fournissent des apports essentiels à l’innovation en matière de produits et de procédés, tandis que les télécommunications ainsi que les services informatiques et d’information permettent la diffusion continue de savoirs et de données qui constituent la matière première de l’innovation, tant à l’échelle nationale que par-delà les frontières. Enfin, toutes sortes de services aux entreprises aident les producteurs de biens manufacturés dans leurs relations avec les clients, les fournisseurs et les instances de réglementation. En outre, les industries arrivées à maturité réinventent leurs stratégies opérationnelles en faisant davantage appel aux services en tant que facteurs de production. Par exemple, pour un produit de consommation comme la confection, les saisons sont plus courtes et plus nombreuses parce que le suivi et l’analyse du marché informent la conception et la production des articles afin d’accompagner l’évolution rapide des goûts des consommateurs.
De plus en plus souvent, les entreprises manufacturières ajoutent des services à leur portefeuille de produits, généralement en complément des biens qu’elles fabriquent. Sur le marché interentreprises, par exemple, des sociétés de construction mécanique peuvent vendre à leurs clients un ensemble de services incluant la location et la maintenance de leurs machines. Celles-ci sont équipées de capteurs qui sont reliés au fournisseur grâce à l’IdO. Le fournisseur surveille la performance des machines en continu, ce qui contribue à réduire les coûts de maintenance et les périodes d’immobilisation pour le client. De tels arrangements existent pour une large gamme de machines – moteurs d’avion (power by the hour), photocopieurs ou machines à café des bureaux.
Sur le marché du commerce avec les consommateurs, les services après-vente sont une source majeure de recettes pour les fabricants. Le secteur automobile, par exemple, propose ce type de services, source de recettes et de bénéfices, depuis de nombreuses années7. Aujourd’hui, avec l’intensification des encombrements et des préoccupations écologiques, les voitures autonomes et les divers services d’auto-partage et de voitures de transport avec chauffeur ont déplacé le centre de l’attention : ce n’est plus tant l’automobile qui importe que les services de transport qu’elle fournit. Tous les grands constructeurs automobiles se sont associés à des services de voitures avec chauffeur, de location ou de crédit-bail, ou encore avec des logiciels et services de géolocalisation, portant ainsi la fourniture conjointe de biens manufacturés et de services à un niveau sans précédent. Enfin, la visibilité sur les réseaux sociaux est devenue indispensable sur les marchés de consommation et, dans de nombreux cas, elle s’accompagne de moyens innovants de lier la vente de biens et de services. Dans l’industrie agroalimentaire, par exemple, les recettes et les conseils diététiques figurant sur les réseaux sociaux jouent un rôle majeur dans le positionnement des produits. De manière générale, les produits de consommation sont de plus en plus souvent commercialisés sur les réseaux sociaux en tant qu’éléments de style de vie pour le segment de marché ciblé.
La fourniture conjointe de biens et de services constitue parfois une réaction de défense face à l’intensification de la concurrence plutôt qu’un processus créatif de conception de produits meilleurs. De plus, elle a un coût et entraîne, pour certains fabricants, des marges bénéficiaires moins intéressantes et un risque plus élevé de faillite. Plusieurs études de cas montrent que, pour réussir, la fourniture conjointe doit reposer sur une bonne intégration des services, des produits et des modules d’information, grâce à des services informatiques qui normalisent et modularisent les services liés8.
Les produits basés sur la capture des connaissances permettent l’échange de services par-delà les frontières
Le secteur des services est en évolution constante, avec l’apparition de nouveaux services qui en rendent d’autres obsolètes, par le biais d’une combinaison de technologies et d’une division du travail plus marquée. Afin de saisir la dynamique du secteur des services, le dernier manuel de la comptabilité nationale (SCN, 2008) a ajouté une catégorie distincte, intitulée « produits basés sur la capture des connaissances » et définie ainsi :
« Les produits basés sur la capture des connaissances concernent la fourniture, le stockage, la communication et la diffusion d’informations, de conseils et de divertissements de telle sorte que l’unité qui les consomme peut accéder aux connaissances de façon répétée. » [SCN, 2008, paragraphe 6.22]9.
Cette catégorie diffère des autres services sur deux points importants : ces produits peuvent être stockés, et on peut y accéder de façon répétée. Ce sont là aussi des propriétés qui permettent l’échange transfrontalier de ces services sans interaction directe entre le prestataire de services et le client10. En outre, l’usage répété pour un coût additionnel quasi nul permet de réaliser d’immenses gains de productivité.
La prolifération des produits basés sur la capture des connaissances lance de nouveaux défis pour l’action publique. Un coût marginal proche de zéro implique de considérables économies d’échelle qui peuvent se traduire par une dynamique du « tout au gagnant ». De plus, dans une économie numérique sans frontières, les gagnants peuvent se situer à l’échelle mondiale, alors que les autorités de réglementation opèrent à l’intérieur des frontières nationales. Un autre défi pour l’action publique, relatif à l’usage répété pour un coût quasi nul, concerne le régime actuel de la propriété intellectuelle ainsi que la protection des droits commerciaux, de la vie privée et de la sécurité qui s’y rapportent. Avec la numérisation du savoir et de l’information, il convient de réévaluer la fonctionnalité de ces systèmes.
En résumé, on observe depuis plusieurs décennies un accroissement de la part des services dans l’économie mondiale, sous l’effet de facteurs relatifs à la demande et à la technologie. La population, devenue plus riche, plus âgée et plus urbaine, consomme relativement plus de services. De nombreux segments des services rattrapent le secteur manufacturier sur le plan de la productivité. Enfin, biens et services sont étroitement liés et doivent être compris comme des intrants complémentaires dans la production et la consommation.
Le commerce des services
Le grand ralentissement des échanges : les services, moteur de la croissance du commerce mondial
Depuis le début de la crise financière, en 2008, la valeur du commerce mondial est stagnante. Pendant les dix années qui ont précédé la crise, les échanges mondiaux se sont développés pratiquement deux fois plus vite que le PIB mondial mais, en ces dernières années d’après-crise, ils peinent à suivre la croissance du PIB mondial. Le Graphique 1.3 compare le commerce des biens et celui des services depuis 2005, trois ans avant la crise. Les exportations de marchandises et de services commerciaux suivent une évolution similaire, bien que les exportations de services soient sensiblement plus stables que celles des biens. Les raisons de cette meilleure résilience des échanges de services sont peut-être que la demande est moins cyclique, que les services dépendent moins de financements extérieurs et qu’ils ont été moins visés par des mesures protectionnistes après la crise (Borchert et Mattoo, 2010). Pourtant, lorsqu’il est mesuré en termes de valeur ajoutée, le commerce des services n’est pas plus résilient que celui des biens. Compte tenu du fait qu’une grande partie des services échangés est intégrée dans les exportations d’autres secteurs (voir ci-dessous), ce n’est guère surprenant (Nagengast et Stehrer, 2016).
Le ralentissement marqué des échanges ne s’explique qu’en partie par le fléchissement de la demande qu’a subi l’économie mondiale durant la crise et pendant la reprise poussive qui a suivi. Des mutations structurelles, en particulier l’essoufflement et, dans certains cas, le délitement de chaînes de valeur mondiales, semblent avoir joué aussi un rôle important, ce qui signifie qu’il ne faut pas s’attendre à voir les échanges croître plus vite que l’économie mondiale dans un avenir prévisible (Haugh et al., 2016). Les gains réalisés grâce à la fragmentation de la production proviennent d’une spécialisation plus poussée, d’économies d’échelle dans la production de chaque composante et de l’exploitation des avantages comparatifs au niveau des tâches. La fragmentation a toutefois un coût. Lorsque les chaînes d’approvisionnement sont plus longues, le risque de perturbations est plus grand dans le cas où l’un des maillons de la chaîne fait défaut, et les coûts de transaction et de coordination augmentent avec le degré de complexité. Certaines chaînes d’approvisionnement sont arrivées à maturité et ont atteint le stade où le coût d’une fragmentation plus poussée dépasse les avantages qu’elle procure. La Chine est un acteur majeur des chaînes de valeur mondiales et une source d’échange des intrants intermédiaires. Au fil du temps, la Chine a accru sa valeur ajoutée intérieure en développantses capacités locales ainsi que l’investissement direct étranger, et ses importations de pièces et composants diminuent régulièrement, depuis le milieu des années 90, en proportion du total de ses exportations. Par conséquent, en attendant l’émergence de nouveaux moteurs du commerce, il est probable que les échanges mondiaux continueront de suivre le rythme de la croissance du PIB mondial. Dans ce contexte, les échanges de services, en particulier le commerce international de services numériques, pourraient devenir un nouveau moteur des échanges internationaux. Si de grandes économies comme l’Inde devaient s’ouvrir à la mondialisation, la croissance et les échanges mondiaux en bénéficieraient considérablement.
Les échanges de biens et de services se complètent
Les services ont toujours fait l’objet d’échanges. De fait, le transport international est aussi ancien que le commerce lui-même, et ils ont été suivis de près par la finance et l’assurance. Aujourd’hui encore, les transports et les voyages représentent environ la moitié des échanges mondiaux de services commerciaux, contre 70 % environ en 1980. Le segment le plus dynamique des échanges de services est celui des services aux entreprises, défini globalement comme englobant les télécommunications, l’informatique et les services d’information, la finance et une série d’autres services aux entreprises, notamment les SFIC. Le Graphique 1.4 illustre la composition des échanges de services commerciaux dans le monde par grande catégorie de services. Les États-Unis sont, de loin, le premier exportateur mais aussi le plus grand importateur, suivis de près par la Chine pour ce qui est des importations. Ce sont les transports et les voyages qui dominent, dans la plupart des pays, tant du côté des services exportés qu’importés. Il est à noter que la Chine est fortement déficitaire dans les services de transport et de voyage, résultat de l’expédition de ses exportations de biens manufacturés.
On constate un degré élevé de spécialisation dans les services aux entreprises en Irlande (où les services de communication sont le plus gros poste d’exportation), au Luxembourg (où les services financiers constituent l’essentiel des exportations), ainsi qu’en Inde, au Royaume-Uni, en Suisse et aux Pays-Bas (qui exportent tous une large gamme de services aux entreprises). C’est l’Inde qui se classe au premier rang des exportations de services de communication, en grande partie des services informatiques, tandis que les États-Unis sont le premier exportateur d’autres services aux entreprises. C’est en Inde aussi que les services aux entreprises représentent la plus grande part des exportations de services commerciaux, à 68 % ; le Brésil arrive en deuxième position, avec 58 %. La composition des importations est semblable à celle des exportations, sauf au Japon, où les services aux entreprises occupent une bien plus grande place dans les importations que dans les exportations. Il est à noter que les pays les plus spécialisés – Irlande et Luxembourg – importent aussi plus de services aux entreprises que la moyenne. Le Luxembourg pratique à grande échelle les échanges intrasectoriels de services financiers, tandis que, en Irlande, le schéma des échanges de services reflète le rôle de ce pays en tant que pôle d’investissement étranger dans les secteurs technologiques. Le premier poste d’exportations est constitué par les services de communication et le premier poste d’importations, par les droits d’usage de la propriété intellectuelle.Les États-Unis et l’Inde enregistrent un excédent considérable au titre des échanges de services, tandis que la Chine accuse le plus lourd déficit à ce titre.
Le Graphique 1.5 présente la croissance totale des exportations de services de communication et autres services aux entreprises par comparaison avec celle de l’ensemble des services sur les dix années précédant 2015. À l’exception de la Turquie et de l’Indonésie, les autres services aux entreprises et les services de communication ont gagné du terrain dans tous les pays présentés. C’est la Chine, suivie de près par l’Inde, qui a enregistré la plus forte croissance des exportations de services sur la dernière décennie, tandis que l’Italie et l’Afrique du Sud restaient quelque peu en retrait. Huit pays ont plus que doublé leurs exportations de services durant cette période (le Costa Rica et les sept pays situés à sa droite sur le Graphique 1.5). La Corée, suivie par la Chine, la Pologne et le Costa Rica, a enregistré une croissance très rapide de ses exportations de services, tandis que le Luxembourg et le Costa Rica affichaient la croissance la plus rapide pour les exportations d’autres services aux entreprises. Par contraste, en Indonésie, les exportations d’autres services aux entreprises sont modestes et ne s’accroissent que lentement.
La composition des échanges de services a évolué au cours des dernières décennies, tandis que les services aux entreprises prenaient une place plus importante. Néanmoins, les flux d’échanges de biens et services continuent d’évoluer dans le même sens. En 2015, les services représentaient 22 % des échanges mondiaux, et tournent autour de 20 % depuis qu’il existe des données à ce sujet. En outre, ce schéma est aussi valable pour les pays pris séparément, comme l’illustre le Graphique 1.8, qui présente les échanges de services comparés aux échanges de biens de 1960 à aujourd’hui. Seules quelques observations se situent hors du grand nuage des échanges de biens et services fortement corrélés11. Ainsi, les échanges de biens et de services demeurent les deux faces d’une même médaille : les réseaux de production manufacturière deviennent plus complexes, et il en va de même pour les services d’appui.
Au-delà des conclusions que l’on peut tirer d’une analyse des données cumulées sur les échanges, une étude approfondie des chaînes de valeur mondiales montre que les trois quarts environ des échanges de services consistent en intrants intermédiaires destinés à la production de biens et services (De Backer et Miroudot, 2013). C’est là une proportion beaucoup plus élevée que pour les biens intermédiaires (la moitié environ). Le rôle important que jouent les services en soutenant les exportations d’autres secteurs se reflète aussi dans le ratio entre valeur ajoutée et montant brut des exportations. Pour les industries manufacturières, ce ratio est passé d’environ 0.65 à 0.45 entre 1970 et 2010. Pour les services, au contraire, ce ratio est passé d’environ 1.3 à 1.6 sur la même période. Une baisse de ce ratio signifie que les intrants intermédiaires d’autres secteurs et de l’étranger représentent une part croissante de la valeur brute des exportations. Le fait que le ratio observé pour les services soit supérieur à 1 paraît, de prime abord, surprenant. Pourtant, lorsqu’on les mesure à l’aune de la valeur ajoutée, les services inclus dans les exportations d’autres secteurs contribuent au numérateur du ratio, alors que le montant brut des exportations de services inclut uniquement les services exportés directement. Un ratio supérieur à 1 signifie donc qu’un plus grand volume de services est exporté indirectement, intégré aux biens qui sont directement exportés(Johnson et Noguera, 2016).
Les services de source extérieure sont des intrants importants dans la fabrication et la commercialisation des marchandises, mais les entreprises productrices de biens fournissent aussi une gamme de services maison, et certains d’entre eux sont exportés. De fait, parmi les pays inclus dans la base de données OCDE-OMC sur les échanges en valeur ajoutée (ÉVA), entre 25 % et 60 % des emplois dans les entreprises manufacturières sont consacrés à des fonctions d’appui aux services (Miroudot et Cadestin, 2017). Par exemple, dans les entreprises manufacturières multinationales, la production de biens par une filiale étrangère s’accompagne souvent de services fournis par le siège – conception, gestion des procédés de production et contrôle de la qualité des produits. Il arrive aussi que les fabricants associent expédition des marchandises et services d’installation, de maintenance et de relation clients. Comme l’illustre le Graphique 1.7, en Belgique, en Allemagne et en Italie, les entreprises manufacturières exportent davantage de services d’architecture et d’ingénierie que les sociétés spécialisées dans les services professionnels12. Une analyse approfondie, au niveau des entreprises, des exportations belges montre que les sociétés qui exportent à la fois des biens et des services représentent environ 30 % des exportateurs de services et réalisent 36 % de leur chiffre d’affaires à l’exportation de services dans les secteurscouverts par l’analyse.
Les services transfrontaliers sont fortement concentrés selon trois dimensions : les entreprises, les marchés et les produits
La transition numérique a, en principe, ouvert la voie pour que les sociétés de services, y compris les PME, s’engagent dans le commerce international. Accéder aux marchés d’exportation et s’y maintenir exige cependant audace et courage. Le nombre absolu de micro- et petites entreprises à internationalisation rapide et précoce qui réussissent (Encadré 1.2) est suffisamment grand pour inspirer et susciter diverses initiatives publiques visant à faire des émules. Néanmoins, les exportateurs sont généralement des entreprises beaucoup plus grandes et plus productives que les non-exportateurs, et il est plus probable qu’ils appartiennent à des intérêts étrangers. En outre, la plupart des entreprises qui exportent ne s’adressent qu’à un seul marché étranger, le plus souvent celui d’un pays voisin ou d’un pays avec lequel il existe un accord de libre-échange couvrant les services13.
Le Graphique 1.8 illustre le degré élevé de concentration des exportations une fois qu’une entreprise pénètre sur un marché étranger. La part des exportateurs qui ne desservent qu’un seul marché étranger est comprise entre 17 % (en Suède) et 43 % (en Allemagne), mais leur part dans la valeur totale des exportations est très faible – entre 1 % et 6 %. À l’inverse, la part des exportateurs qui sont implantés sur plus de 25 destinations ne représente que 6 % à 29 % du total, mais leur part dans le total des exportations varie entre 53 % (en Belgique) et 88 % (en Finlande). Cependant, même les gros exportateurs sont extrêmement dépendants de leur premier marché d’exportation. Par exemple, dans l’échantillon de pays figurant au Graphique 1.8, les entreprises qui exportent vers 20 destinations envoient entre 40 % et 80 % de leur valeur exportée vers leur première destination, laquelle absorbe plus du double des exportations arrivant sur le deuxième marché14.
Ce type de concentration se retrouve pour les différents services qu’exporte une entreprise. Entre 36 % (Finlande) et 70 % (États-Unis) des entreprises exportatrices n’exportent qu’un seul produit, ce qui représente entre 2 % (Finlande) et 37 % (Belgique) du total des exportations. À l’inverse, entre 4 % et 18 % des exportateurs exportent au moins cinq services différents, et ceux-ci représentent la majeure partie du total des exportations (Rouzet et al., 2017).
Les données sur l’Allemagne montrent qu’entre 20 % et 40 % des exportateurs de services n’exportent qu’occasionnellement. C’est dans le secteur de la construction que les exportateurs « uniques » sont les plus nombreux et dans le secteur des messageries qu’ils sont le moins nombreux. Environ les deux cinquièmes des relations d’exportation s’achèvent au bout d’un an dans la construction ; cette proportion est d’un cinquième dans les messageries. Les services de messagerie sont aussi le secteur où les échanges durent le plus longtemps, puisque les deux cinquièmes des relations d’exportation dépassent une durée de dix ans. Ce secteur a bénéficié de l’essor du commerce électronique transfrontière et des réseaux de production à flux tendus qui traversent les frontières. Par contraste, dans les services de construction, environ un dixième seulement des relations d’exportation durent au moins dix années consécutives. Les relations d’exportation sont assez courtes aussi dans les services d’architecture et d’ingénierie. Une explication possible est que les exportations de services en rapport avec le secteur du bâtiment et des travaux publics sont souvent liées à un projet particulier et s’achèvent lorsque le projet se termine.
Les données au niveau des entreprises laissent penser qu’il est difficile et coûteux de pénétrer sur un marché étranger, et que les coûts augmentent plus que proportionnellement avec le nombre de destinations et de produits exportés. Lorsqu’ils s’implantent sur un nouveau marché, les exportateurs potentiels peuvent vouloir « tâter le terrain » pour évaluer les conditions locales avant de décider s’ils vont investir dans des relations client-fournisseur durables. Dans de nombreux cas, ces essais échouent et les nouveaux arrivants quittent rapidement le marché. Parmi les nouveaux exportateurs, seuls les plus productifs et innovants parviennent à prendre pied sur le marché puis à renforcer leur présence et développer leurs ventes à l’exportation.
Les services qui ne peuvent pas être stockés et ne se prêtent pas à des accès répétés sont échangés via des interactions face à face entre prestataires et clients, ou alors ils voyagent avec les produits qu’ils transforment, comme dans le cas des transports. Pour faire entrer de tels services dans la sphère des accords commerciaux internationaux, la définition des échanges de services a été élargie : au-delà du simple commerce transfrontière, elle englobe désormais les échanges qui passent par la consommation à l’étranger, la présence commerciale à l’étranger et les déplacements transfrontaliers des personnes. L’importance relative de ces différents modes de prestation n’est pas très bien connue, mais une étude pilote d’Eurostat (2016) sur le commerce extra-UE a constaté que, en 2013, les ventes par les filiales à l’étranger (mode 3) représentaient 69 % du commerce des services, les échanges transfrontières (mode 1), 21 %, la consommation à l’étranger (mode 2), 6 %, et les services fournis par des personnes physiques (mode 4), 4 %15. Au Brésil, les exportations de services suivent un schéma similaire16. De toute évidence, les exportations de services par le biais de la présence commerciale dominent largement les autres modes de prestation.
Les ventes dans les filiales à l’étranger dominent largement les autres modes de prestation, mais suivent des mouvements similaires à ceux des échanges transfrontières
On ne dispose pas d’informations sur le total des ventes dans les filiales à l’étranger, mais il existe des données sur le stock d’IDE par secteur pour un certain nombre de pays de l’OCDE. Bien que ces données ne soient pas des variables de substitution parfaites pour les ventes en filiales, elles renseignent néanmoins sur l’importance relative des services dans les activités multinationales. Le Graphique 1.9 montre que la part des services dans l’activité d’une entreprise multinationale correspond à la part des services dans le PIB et l’emploi. Si l’on regarde de plus près la composition des actifs d’IDE consacrés aux services, par secteur, sur 24 pays de l’OCDE, on constate que les services financiers y jouent un rôle prépondérant, représentant en moyenne plus de la moitié du stock d’IDE détenu à l’étranger, et plus de 40 % du stock d’IDE en provenance de l’étranger.
Une étude des ventes des filiales, au niveau des entreprises, dans une sélection de pays révèle des schémas semblables à ceux des échanges transfrontaliers. Les pays inclus dans ces analyses sont l’Allemagne, les États-Unis, la Finlande, l’Italie, le Japon et le Royaume-Uni17. Les sociétés de services multinationales ont tendance à être plus grandes et plus productives que les entreprises locales, y compris, parmi ces dernières, celles qui pratiquent l’exportation. Les ventes des filiales étrangères, par produit et par destination, sont en moyenne plus de dix fois plus élevées que les exportations de services transfrontières.
Les prestataires de services multinationaux sont peu nombreux par rapport au nombre d’exportateurs de services transfrontières. Pourtant, les ventes de leurs filiales à l’étranger constituent la majeure partie du total des échanges de services, tous modes confondus. En Allemagne, les ventes des filiales à l’étranger représentent jusqu’à 80 % du total des exportations de services dans la plupart des secteurs. À l’instar des exportateurs de services, les sociétés multinationales ont tendance à dépendre fortement de leur principal marché d’exportation, qui est le plus souvent un pays voisin. Les multinationales européennes, par exemple, s’implantent le plus souvent dans d’autres pays de l’UE, même si les États-Unis sont le pays d’accueil principal pour les multinationales britanniques, en nombre de filiales. À l’inverse, le Royaume-Uni est le marché d’accueil le plus important pour les sociétés multinationales de services américaines, par le chiffre d’affaires des filiales. La Chine figure en bonne place parmi les marchés d’accueil des multinationales allemandes et japonaises, puisqu’elle se classe au deuxième rang des destinations pour ces deux pays. La part des prestations de services transfrontières qui est assurée par des sociétés de services multinationales vers le même pays et dans le même secteur est étonnamment faible, ce qui semble indiquer que les échanges de services multimodaux ne sont pas très courants, sauf dans les transports maritimes et aériens.
La caractéristique pour laquelle il existe d’importantes différences qualitatives entre les sociétés de services multinationales et les prestataires de services transfrontières est la composition par type de produit de leur activité commerciale. Les secteurs les plus numérisés, les services informatiques, d’architecture et d’ingénierie font souvent l’objet de prestations transfrontières, tandis que les échanges de services de distribution passent généralement par la présence commerciale à l’étranger. Pour les autres segments du secteur des services, le mode de fourniture qui domine varie largement d’un pays à l’autre.
En résumé, les exportateurs de services sont des entreprises plus grandes et plus productives que les non-exportateurs, et les sociétés de services multinationales qui exportent sont encore plus grandes. La présence commerciale à l’étranger est de loin le mode de fourniture le plus répandu, suivi par les échanges de services transfrontières. Les exportateurs de services, qu’ils passent par les prestations transfrontières ou par la présence à l’étranger, ont tendance à concentrer leurs exportations sur un ou quelques marchés destinataires et sur quelques produits. Compte tenu de la migration généralisée des activités de services vers l’économie numérique, on pourrait s’attendre à ce que la prestation de services transfrontières se soit développée plus vite et ait attiré davantage de PME sur les marchés internationaux que ce n’est le cas en réalité. Comme l’expliqueront les chapitres suivants, les obstacles réglementaires aux échanges et à l’investissement nuisent de façon disproportionnée aux PME. En outre, dans les secteurs des SFIC, les prestations transfrontières pour les services à haute valeur ajoutée sont fortement complémentaires du déploiement de personnel dans les locaux des clients pendant de courtes périodes. Le Chapitre 2 montre que le mouvement des personnes est généralement le mode de fourniture le plus restrictif, ce qui pourrait considérablement freiner les prestations de services transfrontières. Une préoccupationplus récente pour les exportateurs de services concerne la limitation des flux de données nécessaires pour se lancer dans la transition numérique.
Les services dans l’économie numérique
Les services professionnels seront-ils automatisés ?
L’essor des services sur les marchés internationaux résulte dans une large mesure de la révolution des TIC (Encadré 1.1). Une fois que la production d’une activité de service peut être codifiée, elle peut aussi, en principe, être numérisée et transmise dans le monde entier via les réseaux électroniques. Les services professionnels illustrent bien ce phénomène. En effet, ils génèrent des produits basés sur la capture des connaissances, qui peuvent être stockés et auxquels on peut ensuite accéder de façon répétée. Des exemples en sont les logiciels d’automatisation des services professionnels, qui gagnent du terrain dans l’architecture, la comptabilité, les services juridiques et le conseil en gestion. La conception assistée par ordinateur (CAO) qui mène à la fabrication assistée par ordinateur (FAO) pour former des systèmes CFAO est communément utilisée dans nombre d’industries manufacturières depuis des décennies. Ce qui est nouveau, depuis quelques années, c’est que la CAO peut être séparée de la FAO dans le temps et l’espace ainsi que sur le plan institutionnel.
Encadré 1.1. Les télécommunications et l’économie numérique
Les télécommunications constituent l’épine dorsale et l’infrastructure sur lesquelles repose l’économie numérique. D’après Cisco, l’un des grands opérateurs de réseaux, le trafic internet à l’échelle mondiale est passé de 100 gigaoctets par jour en 1992 à plus de 20 000 gigaoctets par seconde en 2015. Le matériel utilisé pour acheminer le trafic internet évolue rapidement. Alors que les ordinateurs étaient l’appareil dominant, les dispositifs de machine à machine (M2M) sont les outils qui connaissent actuellement la plus forte croissance, suivis par les smartphones et les téléviseurs connectés. Néanmoins, les ordinateurs personnels acheminent encore la majeure partie du trafic (67 % en 2015), suivis par les smartphones et les téléviseurs connectés. Les connexions M2M gagnent rapidement du terrain, tant sur le marché grand public que sur les marchés professionnels. Sur le marché de la grande consommation, les usages les plus fréquents sont les applications connectées pour la maison et pour la santé, tandis que, du côté des entreprises, les dispositifs qui se développent le plus rapidement sont un large éventail de services géolocalisés tels que la gestion des chaînes d’approvisionnement et des flottes de transport, ou encore la téléconférence. La croissance de la demande de produits numériques plus perfectionnés, comme la vidéo ou des services de paiement sûrs et fiables, pour n’en citer que quelques-uns, dépend évidemmentde connexions à haut débit et de bonne qualité. En 2015, le trafic destiné à la grande consommation représentait plus de 80 % du trafic internet et IP géré. Le Graphique 1.10 illustre le débit moyen pour la large bande, la téléphonie mobile et le wifi, par grande région, en 2015.
Il existe de grandes différences entre les régions : c’est l’Asie-Pacifique – menée par la Corée et le Japon – qui affiche le plus haut débit moyen pour la large bande, et l’Amérique du Nord, la plus grande vitesse pour la téléphonie mobile et le wifi. L’Amérique latine, le Proche-Orient et l’Afrique arrivent assez loin derrière mais, d’après les prévisions, ces régions devraient connaître des progrès plus rapides au cours des trois prochaines années. De surcroît, les régions en retard n’ont pas seulement des connexions plus lentes, elles ont aussi beaucoup moins de connexions. La clé d’un accroissement du débit est l’investissement dans l’infrastructure, lequel est à son tour favorisé par un secteur des télécommunications ouvert et bien réglementé (Nordås et Rouzet, 2016).
Les connaissances peuvent être numérisées, mais elles doivent néanmoins être expliquées
Dans les transactions interentreprises, l’automatisation des services professionnels est principalement utilisée par les professionnels pour rationaliser leurs services et tirer parti de l’expérience acquise lors des projets précédents. Mais les interactions personnelles avec les clients restent au cœur de leur activité. Les situations dans lesquelles les entreprises ont typiquement besoin d’un appui professionnel sont la phase d’innovation de produit ou de procédé, l’adoption d’une nouvelle technologie, l’entrée sur un nouveau marché ou la mise en conformité avec une nouvelle réglementation. Face à de nouvelles conditions de marché, les dirigeants et le personnel d’une entreprise manufacturière, par exemple, peuvent se trouver incapables de détecter les opportunités disponibles et les moyens de les exploiter sans aide extérieure, même lorsqu’ils ont accès à des informations en ligne. Le modèle opérationnel habituel de sociétés de services professionnels ou autres, à forte intensité de connaissances, associe par conséquent des services de base automatisés, fournis sur des plateformes numériques, et la collaboration avec les clients pour les aider à trouver des solutions à l’heure de prendre d’importantes décisions stratégiques. Les éléments codifiés et tacites des SFIC sont hautement complémentaires, et généralement rassemblés au sein d’un même contrat avec le client.
Cela ne signifie pas pour autant que les SFIC ne sont pas perturbés par la révolution numérique. Des tâches routinières telles que remplir une déclaration fiscale, tenir la comptabilité et toute une série de fonctions de gestion des ressources humaines et de la clientèle sont de plus en plus souvent assurées par le recours à des services professionnels automatisés. Ceux-ci peuvent être acquis sous forme de logiciel commercial, ou en tant que logiciel-service sur un serveur distant. En outre, les avancées de la modularisation entament le cœur des services aux entreprises. La numérisation des services professionnels peut être envisagée comme un processus d’apprentissage. Les nouvelles connaissances de pointe sont souvent tacites au départ mais, au fil du temps, elles sont mieux comprises et, une fois pleinement appréhendées, elles peuvent être codifiées et numérisées. L’apprentissage automatique accélère ce processus en repérant les éléments et schémas communs sous-jacents aux informations accumulées par les professionnels et leurs clients.
La numérisation rend les services professionnels de base abordables pour les consommateurs et les PME
Les avis divergent sur l’ampleur de l’impact qu’aura la numérisation sur les services professionnels. Tous les observateurs s’accordent à dire que les tâches routinières telles que la comptabilité et les déclarations fiscales deviennent des services en ligne et que les particuliers comme les PME ne pourront plus utiliser que des plateformes en ligne pour les accomplir. L’opinion la plus radicale en la matière consiste à dire que le droit exclusif de fournir certains services par des professionnels agréés est menacé par le fait que les consommateurs et les entreprises peuvent assurer ces services eux-mêmes à l’aide de plateformes numériques. Susskind et Susskind (2015) donnent plusieurs exemples de plateformes qui deviennent le mode dominant d’accès à des connaissances qui étaient jusque-là fournies par des professionnels.
Chaque année, le nombre de différends entre usagers de eBay qui sont résolus par des mécanismes de règlement des litiges disponibles en ligne est supérieur au nombre de procès intentés dans l’ensemble du système judiciaire américain.
En 2014, aux États-Unis, 48 millions de personnes ont rempli leur déclaration de revenus à l’aide d’un logiciel en ligne au lieu de faire appel à un comptable.
Une communauté en ligne a conçu et construit une maison pour 50 000 GBP à Londres en 2014.
Ces exemples pourraient toutefois aussi signifier que les SFIC en ligne abaissent le seuil d’utilisation, par les consommateurs et les petites entreprises, de services qui seraient, sinon, d’un coût inabordable. Si tel est le cas, les SFIC en ligne auraient pour effet non pas d’étouffer l’activité de professionnels agréés, mais de développer la base de clientèle. Confirmant cette interprétation, d’autres chercheurs constatent que, même si le modèle opérationnel des SFIC est transformé par la numérisation, le fonctionnement des SFIC n’est, dans l’ensemble, pas perturbé18.
Le fait que l’usager doive dispose d’une somme considérable de compétences et de capacités pour profiter pleinement des services professionnels en ligne peut atténuer les conséquences des services en ligne pour les SFIC traditionnels. En particulier, l’usager doit être capable de formuler un problème de manière concise et d’appliquer les solutions proposées, ce qui constitue une partie importante de la panoplie de services qu’offrent les prestataires de SFIC. La littérature sur le sujet fournit de nombreux exemples montrant que l’usage de services en ligne est bien moins développé dans les PME que dans les grandes entreprises (OCDE, 2017).
Comme le démontreront les chapitres suivants, le potentiel de partage de connaissances et de diffusion des technologies par le commerce international des services professionnels est loin d’être pleinement exploité. En effet, les marchés sont fragmentés sous l’effet de différences géographiques, institutionnelles, culturelles et réglementaires, et en particulier à cause des droits exclusifs dont jouissent certaines professions pour fournir des services dans certaines juridictions. En outre, de nombreux pays interdisent les activités pluridisciplinaires couvrant plusieurs professions. À l’heure où s’estompent les frontières entre différentes professions, il est peut-être temps de repenser la conception de régimes réglementaires vieux de plusieurs siècles qui s’appliquent à certaines professions.
Encadré 1.2. « Born global » : les micro-, petites et moyennes entreprises (MPME) dans l’économie numérique
Le concept appelé « Born global » est né au début des années 1990 pour désigner les entreprises à internationalisation rapide et précoce (EIRP). Il s’agit généralement d’entreprises qui se lancent à l’international dans les trois ans suivant leur création et qui tirent au moins 25 % de leur chiffre d’affaires d’un marché extérieur à leur pays d’origine. Plusieurs études montrent que d’importants moteurs poussant ces entreprises à s’internationaliser très tôt résident dans la petite taille du marché intérieur, le potentiel de reproduction à plus grande échelle de leur produit, ou encore une stratégie de niche. Les produits des TIC correspondent bien à cette description. Il n’existe guère d’informations systématiques sur le nombre et la nature des EIRP, mais on peut néanmoins distinguer trois grandes catégories : les marchés en ligne, les applications numériques en ligne et les réseaux de production associant activités en ligne et hors-ligne.
Local Motors est un exemple de réseau de production associant activités en ligne et hors-ligne. Il illustre aussi la complémentarité entre biens et services dans une économie moderne. Créée en 2007 aux États-Unis, cette société est spécialisée dans les véhicules construits sur mesure. D’après son site web, c’est une communauté internationale d’enthousiastes, de concepteurs, d’ingénieurs, de fabricants et de spécialistes. La société employait environ 200 personnes en 2016 (contre 15 en 2010), et la communauté compte quelque 50 000 membres dans le monde entier qui collaborent sur des projets de conception. Les plans deviennent des projets par collaboration en ligne, et les automobiles sont construites à la demande dans des micro-usines. La société possède plusieurs micro-usines aux États-Unis et une en Allemagne. Le projet emblématique, à l’heure actuelle, est un véhicule électrique sans conducteur dénommé Olli (photo), et le tout dernier projet est le premier véhicule électrique au monde à être produit par une imprimante 3D (https://localmotors.com/).
Flitto est un marché en ligne doublé d’une application numérique. Son modèle opérationnel repose sur des services de traduction participative. La société a été fondée en 2012 par trois jeunes Coréens qui ont été admis dans l’incubateur SpringBoard, à Londres. L’application Flitto met en rapport des traducteurs humains avec des clients, en temps réel ; elle compte actuellement six millions d’usagers. Le paiement est constitué par un système de points qui peuvent être achetés ou gagnés en effectuant des traductions. L’application couvre actuellement 17 langues, dont l’allemand, l’anglais, l’arabe, le chinois, le coréen, le français, l’indonésien, le hindi, le japonais et le russe. Les usagers peuvent, par exemple, prendre la photo, avec leur smartphone, d’un message écrit à la main, l’envoyer sur Flitto et, au bout de quelques minutes, un traducteur l’aura traduit dans la langue souhaitée et transmis, comme indiqué sur la photo. Flitto propose aussi des services de traduction professionnels par messagerie directe. Le siège, à Séoul, emploie une quarantaine de personnes et la société a aussi une succursale à Beijing. Les recettes proviennent d’une commission prélevée sur les transactions réalisées sur l’application, mais aussi de la vente des traductions, sous forme de base de données, à des sociétés internet qui les utilisent pour l’apprentissage automatique.
Source : Site web de Flitto (www.flitto.com) et présentation de Simon Lee, le PDG de Flitto, lors d’un atelier OCDE/APEC, le 28 août 2015.
L’économie à la demande et les plateformes
Les plateformes prospèrent dans des secteurs de services à forte intensité de main-d’œuvre comme les transports, la distribution, la logistique, les messageries, le bricolage et toutes sortes de services à la personne. À vrai dire, il existe des plateformes pour pratiquement tous les services. Bien qu’il n’existe pas de définition unifiée, on s’accorde généralement à dire qu’une plateforme est, pour l’essentiel, un logiciel, un système d’exploitation ou une base de données sur lesquels tournent d’autres applications, plus petites. Les plateformes abaissent le seuil d’accès au marché pour les créateurs d’entreprise, les PME et les amateurs de toutes sortes de passe-temps ; elles réduisent considérablement les coûts de transaction en rassemblant de gros volumes de données qui assoient la réputation et suscitent la confiance ; et elles intègrent généralement des systèmes de paiement sécurisés.
Plateformes et applications s’appuient souvent dans une large mesure sur l’innovation menée par les usagers. Par exemple, les usagers jouent un rôle très important dans la création et la diffusion des services financiers fournis sur les réseaux et applications mobiles. Il est à noter, en outre, que ces services ont d’abord pris pied dans les pays en développement et, de là, se sont diffusés vers les pays développés. Nécessité étant mère d’invention, ces services sont nés lorsque la population des pays en développement, pratiquement privée de services bancaires, a pu accéder au téléphone portable (van der Boor et al., 2014). La « banque mobile » n’est que l’un de ces produits de la « fintech ». D’autres exemples de produits qui sont apparus d’abord dans les pays développés sont les plateformes de financement entre particuliers, les places boursières électroniques et même les robots-conseillers, qui font de l’analyse de marché pour les investisseurs.
La contribution effective et potentielle des plateformes à l’économie fait l’objet de nombreux débats dans la littérature sur le sujet. Leur rôle principal est-il d’améliorer l’utilisation des capacités en faisant travailler des actifs inutilisés comme des logements ou des véhicules, et d’offrir des opportunités de travail flexible à des personnes qui, autrement, n’auraient pas de travail ? Airbnb est un bon exemple : ce marché en ligne de services d’hébergement, fondé en 2008, s’est développé très rapidement et offre actuellement plus de 2 millions de références, plus que toute chaîne hôtelière (Luca, 2017). Ou alors ces plateformes offrent-elles de nouvelles occasions, pour des prestataires de services individuels, d’entrer en concurrence avec des entreprises et, pour des jeunes pousses, de s’internationaliser dès leur création ? Une réponse rapide est que les plateformes peuvent être à la fois une aubaine pour les consommateurs et les entreprises, comme le montrent les SFIC et l’Encadré 1.2, et un élément perturbateur pour les prestataires de services traditionnels.
Les conséquences des plateformes pour le marché du travail sont l’une des grandes préoccupations que suscite l’économie numérique mondialisée sur le plan social. Il est clair que l’importance relative du travail non standard s’est accrue ces dernières années dans la plupart des pays de l’OCDE (OCDE, 2016), mais le rapport avec les plateformes numériques et la mondialisation des services est, lui, moins évident. Le travail non standard est défini comme étant exercé par les travailleurs indépendants (à leur compte), les salariés temporaires à plein temps et les employés à temps partiel. Parmi eux, les travailleurs indépendants sont probablement la catégorie la plus concernée par les plateformes19.
Comme l’indique le Graphique 1.11, la part du travail indépendant dans le total de l’emploi civil était comprise, en 2015, entre 6 % environ au Luxembourg et aux États-Unis et 51 % en Colombie. D’autres pays où l’exercice indépendant représente plus de 30 % de la population active sont la Grèce (35 %), la Turquie (33 %) et le Mexique (32 %). Sur les 34 pays, principalement de l’OCDE, inclus dans les données, seuls six (l’Estonie, la Finlande, les Pays‐Bas, la République slovaque, la République tchèque et le Royaume-Uni) ont vu le travail indépendant progresser sur la période 2000-2015, les plus fortes hausses étant observées aux Pays-Bas, en République slovaque et au Royaume-Uni. Dans les 28 autres pays, le taux d’emploi indépendant a reculé entre 2000 et 2015.
Le travail indépendant recouvre beaucoup plus d’activités que celles qui sont facilitées par les plateformes et, à ce jour, ces dernières ne semblent jouer qu’un rôle mineur. Ainsi, de récentes estimations laissent penser que, aux États-Unis, la part de la population active qui travaille par le biais de plateformes de main-d’œuvre serait comprise entre 0.4 % et 0.9 %. Les services fournis par des plateformes continuent de se développer rapidement, mais pas aussi vite que dans un passé récent (Farrell et Greig, 2016 ; Katz et Krueger, 2016)20. Une conclusion commune est que le taux de rotation est élevé dans ces activités : moins de la moitié des participants, du côté de l’offre, restent sur une plateforme donnée pendant plus de douze mois, et un sixième environ des participants, au cours d’un mois donné, sont des nouveaux venus. Enfin, les gains mensuels moyens, sur les plateformes de main-d’œuvre, ont diminué entre 2014 et 2016 (Farrell et Greig, 2016).
Les plateformes : des monopoles naturels ?
Les plateformes ne servent pas simplement à relier fournisseurs et clients : ce sont aussi des entreprises à part entière. Les plateformes numériques les plus connues sont relativement récentes, et elles se sont développées très rapidement pour dominer le secteur dans lequel elles opèrent. L’actif stratégique des plateformes est constitué par les informations qu’elles obtiennent des participants. Plus les participants sont nombreux sur une plateforme, plus celle-ci recueille d’informations et plus elle devient rentable : c’est ainsi qu’il se crée un cercle de rétroaction vertueux. Plus les participants sont nombreux d’un côté d’une plateforme, plus ils attirent de participants de l’autre côté, induisant une croissance rapide une fois franchi un seuil critique. À l’inverse, si une plateforme ne parvient pas à atteindre une masse critique en quelques années, elle disparaîtra rapidement. Lorsqu’elles réussissent, les plateformes peuvent donc dominer complètement leur marché, voire, dans certains cas, présenter des caractéristiques de monopoles naturels. Elles sont généralement d’envergure mondiale et, selon le marché où elles opèrent, elles peuvent relier fournisseurs et clientèle sur un marché local (pour des services à la personne, par exemple) ou sur un marché mondial (film, musique, design, logiciel-service, notamment).
Les conséquences d’une présence dominante de plateformes mondiales pour la politique de la concurrence font débat. Les indicateurs habituels d’un pouvoir de marché significatif, comme la part de marché, une fixation des prix au-dessus des coûts moyens à long terme ou l’ampleur des marges bénéficiaires, ne s’appliquent pas à des marchés à intervenants multiples (Evans et Schmalensee, 2013 ; Evans, 2016). Pour déterminer si des mesures antitrust s’imposent, il faudrait appliquer une méthodologie plus rigoureuse, qui prenne en considération toutes les facettes du marché au cas par cas.
En résumé, la numérisation joue un rôle central dans la réalisation de gains de productivité dans les services mais aussi dans la possibilité d’échanger des services par-delà les frontières. À l’instar des révolutions technologiques du passé, la transition numérique recèle, pour les consommateurs, un énorme potentiel de gain, tout en perturbant les marchés, les modèles opérationnels et surtout le marché du travail existants.
Conclusion
Dans le monde entier, les services occupent une place croissante dans l’emploi et la consommation, sous l’effet combiné du progrès technique, de l’urbanisation et de facteurs liés à la demande. La technologie a réduit le coût des échanges et des transactions, tant pour les biens que pour les services, ce qui favorise une division du travail plus marquée et des réseaux de production plus complexes et à plus forte intensité de services. L’étroite relation qui existe entre le commerce des biens et celui des services est également illustrée par le fait que le volume de services exportés inclus dans des produits d’autres secteurs est plus grand que celui des services exportés directement. De plus, les trois quarts des services fournis directement à l’étranger sont des intrants intermédiaires, ce qui semble indiquer que les échanges de services transfrontières sont en grande partie des transactions interentreprises (B2B). Par conséquent, les flux d’échanges de biens et services évoluent dans le même sens et devraient être envisagés comme des activités complémentaires sur les marchés internationaux. Il s’ensuit que les mesures qui restreignent le commerce des services freinent les échanges de services mais aussi de marchandises.
Les échanges transfrontières de services ne représentent qu’environ 20 % du commerce total des services, une proportion relativement constante depuis des décennies. Avec la transition numérique des services, on pourrait s’attendre à ce qu’une part croissante des services soient fournis directement aux consommateurs à partir de plateformes, d’applications et d’autres formes de réseaux électroniques. Pourtant, il apparaît que l’économie mondiale des services numériques reste une éventualité lointaine. De nombreux facteurs entrent ici en jeu. En premier lieu, des tâches et modules échangeables peuvent compléter des composantes moins facilement échangeables. Par exemple, les connaissances peuvent être codifiées, numérisées et échangées, mais elles doivent néanmoins être interprétées et parfois expliquées par une personne physique au destinataire. Deuxièmement, l’implantation sur les marchés étrangers est souvent coûteuse, ce qui incite la plupart des entreprises, et en particulier les PME, à se concentrer sur leur marché d’origine. Troisièmement, les échanges de services transfrontières sont encore entravés par un certain nombre d’obstacles réglementaires, notamment dans les cas où une licence est exigée et lorsqu’une interaction face à face entre clients et fournisseurs est occasionnellement requise.
Par ailleurs, la part des services dans les stocks d’investissement étranger se rapproche de la part des services dans le PIB. Cette évolution ne signifie pas que les échanges de services par l’intermédiaire de filiales à l’étranger sont libres et gratuits. Elle laisse plutôt penser que les moteurs et les freins à l’investissement étranger seraient d’une ampleur similaire pour les biens et pour les services. Il existe cependant des variations très importantes d’un secteur à l’autre. Par exemple, les services financiers occupent une place démesurée dans les échanges de services résultant d’une présence commerciale à l’étranger. Les services financiers soutiennent toutes sortes d’activités économiques, y compris les échanges et le commerce international, et leur commerce transfrontière fait l’objet d’une réglementation sévère ou d’une interdiction pure et simple. En outre, les prestataires de services financiers doivent évaluer les risques que présentent les clients et les marchés, ce qui est peut-être plus facile lorsqu’ils ont une présence commerciale sur chaque marché. Il se peut donc que la réglementation et le modèle opérationnel privilégié poussent les échanges de services financiers vers le mode 3. Les politiques publiques déterminantes pour les échanges de services sont étudiées en détail au chapitre suivant.
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Notes
← 1. Les données statistiques concernant Israël sont fournies par et sous la responsabilité des autorités israéliennes compétentes. L’utilisation de ces données par l’OCDE est sans préjudice du statut des hauteurs du Golan, de Jérusalem-Est et des colonies de peuplement israéliennes en Cisjordanie aux termes du droit international.
← 2. Source : Indicateurs du développement dans le monde (IDM) de la Banque mondiale. La série chronologique pour les pays à revenu intermédiaire remonte à 1960 ; cette année-là, la part des services dans le PIB s’établissait à 36.5 %. Rodrik (2016) observe que, entre 1970 et 2013, la part des industries manufacturières dans le PIB, mesurée à prix constants, est restée stable à l’échelle mondiale et aux États-Unis, a sensiblement augmenté en Chine et dans le reste de l’Asie, et a un peu diminué dans tous les autres pays.
← 3. Pour une chronique passionnante des transformations que la technologie, les échanges et l’essor des services modernes ont introduites dans la vie de l’Américain moyen, voir Gordon (2016). Voir aussi De Backer et al. (2016) pour une évaluation de l’impact de la relocalisation sur le marché du travail.
← 4. La productivité est ici mesurée par la productivité totale des facteurs (PTF), qui calcule le changement du volume de la production par rapport aux variations de l’utilisation des facteurs capital, main-d’œuvre et intrants intermédiaires. Si le volume de production augmente plus vite que le volume des facteurs, alors la PTF s’élève. La base de données EU KLEMS contient des données actualisées sur la PTF pour seulement dix pays, parmi lesquels les trois plus grands et une petite économie ont été sélectionnés. Les données pour les États-Unis font apparaître des schémas similaires, c’est-à-dire que la croissance de la productivité manufacturière est en retard sur celle de nombreuses catégories de services sur cette période. La classification sectorielle est toutefois différente, et les informations sont disponibles à différents degrés d’agrégation.
← 5. En France et au Royaume-Uni, le commerce de gros et de détail emploie plus de travailleurs que les industries manufacturières.
← 6. Voir, par exemple, Aarikka-Stenroos et Jaakkola (2012), Amiti et Wei (2009), Ciriaci et al. (2015) et Rubalcaba et Kox (2007).
← 7. D’après une note récente de Arthur D. Little, les services après-vente représentaient, en 2015, 23 % du chiffre d’affaires et 54 % des bénéfices de l’industrie automobile. www.adlittle.com/downloads/tx_adlreports/AMG_Automotive_after_sales_2015_01.pdf
← 8. Dans la littérature de gestion, ce phénomène est dénommé « paradoxe de servicisation » (Gebauer et al., 2005 ; Cenamour et al., 2016).
← 10. Certains auteurs appellent « services du quaternaire » ces activités à forte intensité de connaissances, estimant qu’elles constituent un nouveau secteur, qualitativement différent du secteur tertiaire.
← 11. Les trois observations situées au-dessous du nuage, pour les exportations, représentent l’Islande dans les années 1960. Par la suite, ce pays a fortement développé ses exportations de services, en particulier dans le transport aérien. Les observations à gauche du nuage représentent Tuvalu, dont les exportations sont largement concentrées dans le secteur du tourisme.
← 12. Les informations relatives aux activités internationales des entreprises ne sont pas faciles à obtenir. Les agences statistiques des pays couverts par cette analyse ont aimablement autorisé les auteurs à analyser des données anonymisées, dans des conditions de stricte confidentialité. Les réserves suivantes s’appliquent : ces travaux reprennent des données statistiques émanant de l’Office for National Statistics (ONS), protégées par les droits d’auteur de la Couronne. L’utilisation des statistiques de l’ONS dans la présente étude n’implique pas que l’ONS approuve l’interprétation ou l’analyse qui en est faite. Cette étude utilise des ensembles de données de recherche qui ne correspondent pas toujours exactement aux agrégats de l’ONS. L’analyse statistique, au niveau des entreprises, des données américaines sur les entreprises multinationales et les exportateurs de services a été menée au bureau de l’analyse économique du ministère américain du Commerce dans le cadre de dispositions respectant les obligations légales de confidentialité. Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne reflètent pas la position officielle du ministère du Commerce.
← 13. Voir par exemple Wagner (2012) pour une récente étude de la littérature descriptive examinant la structure du commerce international à partir de l’analyse de données au niveau des entreprises.
← 14. La répartition des exportations entre les marchés destinataires semble suivre une courbe de Pareto.
← 15. Voir Eurostat (2016) http://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php?title=Services_trade_statistics_ by_modes_of_supply&oldid=320612.
← 16. Voir Rouzet et al. (2017), qui estiment la présence commerciale à 69 % du total, les échanges transfrontaliers à 23 % et la consommation à l’étranger à 8 %. Les échanges passant par le déplacement des personnes ne représentent qu’une petite fraction du total.
← 17. Pour une analyse approfondie, voir Rouzet et al. (2017).
← 18. Voir Forum économique mondial, White Paper (2017).
← 19. Il existe des différends quant à la question de savoir dans quelle mesure des plateformes de main-d’œuvre comme Uber doivent être considérées comme équivalentes à de l’emploi. Les critères retenus semblent porter sur le degré de contrôle qu’exerce la plateforme sur la conduite, le prix, les horaires de travail et les conditions d’exercice des participants. Une récente décision de justice au Royaume-Uni, par exemple, a conclu que les chauffeurs d’Uber devaient être considérés comme des employés. Il a été fait appel de cette décision. www.judiciary.gov.uk/wp-content/uploads/2016/10/aslam-and-farrar-v-uber-reasons-20161028.pdf.
← 20. Les plateformes de main-d’œuvre sont des sites qui mettent des clients en rapport avec des travailleurs indépendants ou occasionnels effectuant des tâches ou projets intermittents. La croissance annuelle de la participation à de telles plateformes se chiffrait à 102 % en juillet 2016, contre près de 500 % en juillet 2014.