Ce chapitre explique pourquoi la politique de la concurrence, historiquement neutre du point de vue du genre, peut être analysée en fonction du rôle des femmes au sein des entreprises et de leurs expériences en tant que consommatrices. Il explore l’impact différent des règlementations sur les femmes. Des mesures dissuasives et des restrictions cachées peuvent entraver l’accès des femmes à des professions, à des marchés ou à des services spécifiques. Il explique que le genre peut conduire à une discrimination par les prix fondée sur la volonté de payer. Les tendances comportementales spécifiques au genre entre les femmes et les hommes sur certains marchés peuvent signifier que les remèdes axés sur la demande ciblant les femmes seraient plus efficaces.
Manuel pour un traitement inclusif du genre dans les politiques de concurrence
2. L'importance d’un prisme de genre dans la politique de concurrence
Abstract
Depuis toujours la politique de la concurrence est considérée comme neutre du point de vue du genre. Elle est généralement prise en considération en ce qui a trait aux consommateurs et aux entreprises. Par tradition, les consommateurs sont des groupes homogènes caractérisés par leur volonté de payer, leurs préférences (rationnelles) et leur capacité à substituer un produit offert par une entreprise à un autre. Les entreprises, pour leur part, sont définies par les objectifs de maximisation des bénéfices de leurs propriétaires et ne sont que rarement perçues comme des regroupements de personnes. La prise en compte de la dimension de genre dans la politique de la concurrence a modifié cette manière de voir les choses. L’analyse du genre dans la politique de la concurrence peut se faire sous l’angle du rôle joué par les femmes dans les entreprises et sous celui de leur expérience en tant que consommatrices.
Les femmes au sein des entreprises
Dans les entreprises, les femmes assument des fonctions de dirigeante, de membre du conseil d’administration, de haute responsable ou de professionnelle indépendante. Toutefois, lorsqu’elles entreprennent, les femmes sont parfois confrontées, dans certains pays, à des règlements qui bloquent leur entrée sur le marché de la concurrence, en les empêchant notamment d’enregistrer une entreprise, de posséder des terres ou un patrimoine ou d’avoir accès au crédit nécessaire pour financer l’entrée de leur entreprise sur le marché ou son expansion (Smith et al., 2009[3]).
Les règlements qui limitent l’accès des femmes à certains marchés ou professions sont avant tout préjudiciables pour les femmes concernées et représentent un gaspillage de leur contribution économique potentielle à la richesse et à la productivité de la population. En outre, ils nuisent gravement à la concurrence et l’efficacité des marchés et peuvent être l’occasion pour les entreprises en place de facturer des prix plus élevés à l’ensemble des consommateurs. Les marchés peuvent sembler encore concurrentiels si des entreprises moins efficaces dirigées par des hommes parviennent à combler les écarts laissés par ces distorsions de concurrence. La valeur offerte par ces entrepreneurs sera toutefois moindre, tout comme les pressions concurrentielles exercées sur les entreprises plus performantes, ce qui leur donnera plus de poids sur le marché et leur permettra ainsi de relever leurs prix ou de déprécier leur offre. Ces règles font partie des types de règlements susceptibles de restreindre la concurrence que le Manuel pour l’évaluation de l’impact sur la concurrence de l’OCDE permet de déceler.
Les autres freins et restrictions ne figurent pas toujours dans les règlements et peuvent donc être plus difficiles à éliminer. Les femmes se heurtent parfois à des obstacles à leur participation à des réseaux ou à des clubs professionnels. Les banques peuvent considérer qu’en tant qu’emprunteuses, elles encourent un risque accru. Les femmes peuvent subir des pressions négatives ou être confrontées à des obstacles tendant à les détourner des disciplines STEM1, du droit ou d’autres domaines dans lesquels les hommes sont traditionnellement surreprésentés. En outre, elles peuvent être défavorisées par le manque d’infrastructures nécessaires au moment de démarrer leur activité, comme l’accès à des services de garde d’enfants professionnels ou à d’autres solutions.
Les femmes en tant que consommatrices
Les entreprises peuvent considérer le genre comme un indicateur de la volonté de payer et, par conséquent, chercher à exercer une discrimination par les prix fondée sur le genre. Cette situation peut également résulter des différences dans les biais comportementaux entre les hommes et les femmes. Ces biais peuvent alors signifier que certains marchés sont plus favorables ou défavorables aux femmes.
Dans de nombreux pays, il est illégal de fixer un prix différent en fonction du genre. Cependant, la plupart des cas de discrimination par les prix fondée sur le genre consistent à attribuer des prix différents à des versions qui présentent de légères variantes. Lorsque de faibles différences de prix sont maintenues, il y a lieu de penser que ces différences ne reflètent pas une discrimination, mais plutôt l’existence de deux marchés entièrement distincts. La définition du marché adoptée pour le produit ou service en question doit tenir compte de cette distinction. Toutes les parts de marché devraient être calculées séparément, ce qui pourrait avoir un impact important sur l’analyse d’une fusion ou sur la question de savoir si une entreprise occupe une position dominante sur un marché donné. En termes de définition du marché, cela pourrait alors signifier que les autorités commencent à se préoccuper des effets d’une fusion ou d’un comportement sur les consommatrices uniquement, étant donné qu’elles représentent le marché pertinent.
Les biais comportementaux des femmes peuvent différer de ceux des hommes. Des écarts marqués entre les femmes et les hommes s’observent ainsi dans les valeurs des rabais, le comportement à l’égard du risque ou les compétences financières et la confiance, et ces facteurs peuvent aboutir à des résultats différents. Ces biais peuvent varier selon le marché et les différents types de consommateurs concernés. Il n’est pas évident de déterminer si ces différences se traduisent pas une amélioration ou une aggravation des résultats pour les femmes. Néanmoins, de tels écarts potentiels peuvent signifier que, sur certains marchés, les mesures correctives élaborées seraient plus efficaces en ciblant une action sur la demande de certains groupes de consommateurs en particulier, comme les femmes2.
Notes
← 1. Science, technologie, ingénierie et mathématiques.