Face aux chocs internationaux, ce chapitre aborde les besoins en compétences des PME qui ne se concentrent pas sur les compétences techniques mais plutôt sur des compétences transversales liées à la manière dont les PME et les entrepreneurs développent leurs activités, font face aux innovations numériques et se connectent à leurs partenaires et à leurs clients. Ces ensembles de compétences englobent les "capacités", à savoir des compétences entrepreneuriales qui affectent la résilience et la compétitivité des PME et des entrepreneurs. Ce chapitre examine également les limites des PME à internaliser les compétences dont elles ont besoin et montre dans quelle mesure elles peuvent tirer parti de leur "écosystème". Il existe de nombreux exemples internationaux de politiques qui offrent aux PME et aux entrepreneurs des possibilités de formation et des connexions pour améliorer leurs compétences transversales. Plusieurs de ces actions politiques ont une dimension spatiale explicite, puisqu'elles accompagnent les PME et les entrepreneurs au niveau local. Toutefois, ces politiques sont encore souvent de faible envergure ou déconnectées d'autres programmes politiques.
Perspectives de l'OCDE sur les PME et l'entrepreneuriat 2023
6. Le rôle des écosystèmes des PME à l’appui de la montée en compétences, de la reconversion et du recrutement des talents
Abstract
En bref
Les compétences s’avèrent particulièrement importantes pour la compétitivité et la résilience des PME qui, par rapport aux grandes entreprises, sont généralement moins à même de tirer parti d’autres sources de capital et de productivité. L’accès aux compétences est également essentiel pour permettre aux PME s’adapter aux évolutions rapides des économies, dans un contexte où la création de valeur repose de plus en plus sur le capital humain et les actifs incorporels.
La transition écologique et la transition numérique font évoluer les compétences demandées pour toutes sortes d’emplois dans les secteurs de l’économie, engendrant des difficultés et des opportunités différentes au sein des pays. La demande croissante de compétences techniques va de pair avec le nécessaire élargissement de « bouquets de compétences », qui englobent des « compétences transversales » utiles dans de multiples situations et environnements professionnels. Celles-ci comprennent des compétences cognitives, comme en numérique, en finance et en gestion, ainsi que des compétences comportementales en lien avec certains traits de comportement donc et révélatrices d’un esprit d’entreprise, tels la capacité à travailler en équipe, l’apprentissage actif, la tolérance à l’incertitude, la faculté d’adaptation et le sens des responsabilités.
Dans un contexte de tensions sur le marché du travail et de contraintes d’adaptation aux transitions numérique et écologique, les déficits et pénuries de compétences se sont généralisés. Ces évolutions accentuent les difficultés que rencontrent les PME pour trouver des talents et les valoriser. En règle générale, leurs réseaux susceptibles de les mettre en relation avec des profils qualifiés sont trop restreints et, faute de disposer de stratégies formalisées de gestion des ressources humaines, elles ont du mal à cerner les pénuries de compétences et à conserver un personnel formé et qualifié. En outre, les PME n’utilisent pas toujours les nombreuses incitations financières à disposition pour couvrir les coûts de formation, soit parce qu’elles ignorent l’existence de ces dispositifs, soit parce qu’elles ne remplissent pas les critères d’octroi.
Pour être en mesure de faire face au changement systémique et de saisir de nouvelles possibilités, les PME doivent surmonter les difficultés rencontrées de longue date pour acquérir ou développer un large éventail de compétences : des bouquets de compétences les aideront à réagir plus promptement à la nouveauté et aux opportunités qui se dessinent.
Dans l’ensemble des pays, les dispositifs à l’égard des compétences déployés par les pouvoirs publics pour soutenir les entreprises sont souvent génériques par nature. Les instruments d’action, par exemple, demeurent en grande partie axés sur des mesures en faveur de l’enseignement supérieur et de la formation professionnelle indifférenciées, dans lesquelles la dimension territoriale n’entre pas en ligne de compte. En parallèle, des approches novatrices et des bonnes pratiques se font jour : elles appellent à privilégier des stratégies d’action « sur mesure » et des programmes qui ciblent à la fois l’offre et la demande de compétences dans les PME. Mobilisant ou renforçant des écosystèmes de compétences, elles s’opèrent souvent sous un angle territorial.
Les écosystèmes de compétences donnent aux PME les moyens d’accéder à des bouquets de compétences, notamment transversales, sans avoir à les internaliser, ni à supporter intégralement les coûts afférents. Au lieu de cela, ces compétences sont accessibles par l’entremise d’un réservoir de main-d’œuvre spécialisée ou sous forme de services de connaissances. L’abondance de ces « externalités positives » peut permettre aux PME de tirer plus facilement parti d’une expertise adaptée, et de répondre durablement au besoin de compétences « non stratégiques ». L’efficacité de ces instruments d’action dépend, dans une large mesure, de leurs complémentarités avec les autres priorités des pouvoirs publics, telles que celles en lien avec le développement régional, l’innovation et le développement durable.
Les besoins en compétences des PME évoluent rapidement sous l’effet des transitions numérique et écologique
Les compétences sont essentielles à la compétitivité et à la résilience des PME
L’accès aux compétences, leur développement et leur utilisation à bon escient revêtent une importance décisive pour que les entreprises prospèrent dans des économies en constante mutation, s’appuyant toujours davantage sur la production et l’exploitation d’informations, de connaissances, de données et de technologies. Dans une économie fondée sur le savoir, connectée à l’échelle mondiale et en plein virage numérique, la création de valeur est indissociable du capital humain et des actifs incorporels. Le personnel qualifié et l’accès à une expertise spécialisée représentent un élément déterminant de la compétitivité des entreprises et de la croissance de la productivité (OCDE, 2019[1] ; Marchese et al., 2019[2]).
Les compétences s’avèrent particulièrement importantes pour la compétitivité et la résilience des PME qui, par rapport aux grandes entreprises, sont généralement moins à même de tirer parti d’autres sources de capital et de productivité. L’accès aux compétences se révèle également essentiel à l’adaptation des PME aux changements rapides qui s’opèrent dans les environnements économiques et technologiques. Des travaux de recherche établissent que le développement des compétences représente une stratégie concurrentielle clé adoptée par les petites entreprises pour intensifier leurs efforts d’innovation, s’adapter à l’accroissement de la concurrence ou se développer en accédant à de nouveaux marchés, que ce soit en investissant de nouvelles niches de produits ou en s’implantant sur de nouveaux marchés géographiques (Jansen et Lanz, 2013[3] ; Brambilla, Lederman et Porto, 2012[4] ; Love et Roper, 2015[5]).
Les besoins en compétences évoluent rapidement, marqués par l’importance croissante des « compétences transversales »
La transition vers une économie écologique et numérique, conjuguée aux changements rapides impactant l’environnement commercial et la configuration des chaînes de valeur locales et mondiales, ont des répercussions considérables sur les besoins en compétences des entreprises et des entrepreneurs. La demande croissante de compétences techniques va de pair avec le nécessaire développement de « bouquets de compétences » plus vastes. Puisque l’adoption de technologies à forte intensité de données exige des investissements complémentaires en capital humain, parallèlement aux compétences techniques indispensables à l’exercice d’emplois et de tâches spécifiques, ces bouquets doivent englober des « compétences transversales », en d’autres termes des compétences qui ne sont pas spécifiquement liées à un emploi, une tâche, un domaine d’études ou un champ du savoir donné, mais qui peuvent être exploitées dans de multiples situations et environnements professionnels (UNESCO, 2015[6] ; OCDE, 2021[7]).
Les compétences transversales comprennent des compétences cognitives, comme en numérique, en finance et en gestion, ainsi que des compétences comportementales attestant d’un savoir-être professionnel, tels la capacité à travailler en équipe, la tolérance à l’incertitude et le sens des responsabilités. Ces compétences comportementales sont au moins aussi importantes que les compétences cognitives pour le perfectionnement individuel et la réussite sur le marché du travail (Brunello et Schlotter, 2011) et constituent des caractéristiques essentielles de l’esprit d’entreprendre (encadré 6.1).
De récentes enquêtes menées auprès de salariés soulignent l’importance de ces « bouquets de compétences » pour prospérer au sein de l’économie numérique et écologique dans les années à venir. Par exemple, l’édition 2020 du Future of Jobs Report [enquête sur l’avenir de l’emploi] du Forum économique mondial établit que l’esprit critique et l’analyse, au même titre que l’aptitude à résoudre des problèmes, étaient les compétences les plus recherchées, tous secteurs d’activité confondus. De plus, au lendemain de la pandémie de COVID-19, les capacités d’autonomie, telles que l’apprentissage actif, la résilience, la tolérance au stress et la faculté d’adaptation, étaient davantage demandées (graphique 6.1) (FEM, 2020[8]).
Encadré 6.1. Définition de l’esprit d’entreprendre
L’acquisition de nouvelles compétences est une condition essentielle, mais non suffisante, pour affronter les transformations. Les entrepreneurs et les salariés doivent également être incités à se servir de leurs compétences pour créer de nouvelles opportunités. Ils doivent faire montre d’un esprit d’entreprendre, un « état d’esprit » se voulant un mode de réflexion et d’orientation sur le monde qui influe sur la perception, le ressenti et l’action des individus (Neeley et Leonardi, 2022[9]). Dans un environnement extrêmement volatil, au sein duquel l’innovation constitue le principal levier d’accroissement de la productivité, l’entrepreneuriat est de plus en plus perçu comme une marque distinctive importante, donnant aux individus la capacité de transformer des idées en des processus, produits et services inédits et durables.
L’entrepreneuriat, qui donne également corps à l’intrapreneuriat dès lors que les individus opèrent dans une entreprise qu’ils n’ont ni créée ni ne possèdent, les dote d’aptitudes à déceler les problèmes et à les résoudre, à mieux tolérer l’incertitude, à mobiliser des ressources, et à gérer les processus de création et de concrétisation de valeur (OCDE, à paraître[10]). Nombre de ces aptitudes peuvent être liées à des compétences cognitives, comme la logique et le raisonnement ou encore la mémorisation d’informations et l’expérience procédurale. Il existe toutefois un certain nombre de caractéristiques non cognitives plus vastes susceptibles d’appuyer les efforts de création de valeur. L’acquisition de ces compétences peut être bénéfique à tous les individus, et en particulier aux entrepreneurs et aux PME, indépendamment de leur spécialisation sectorielle.
Il est à noter que l’esprit d’entreprendre s’acquiert et s’enseigne. Même si, par essence, toutes les compétences non cognitives ne se rapportent pas à la gestion d’entreprise, une formation orientée entrepreneuriat peut favoriser leur développement. L’esprit d’entreprendre tel qu’il est décrit plus haut peut notamment être stimulé grâce à l’application et à l’expérimentation de pédagogies et de pratiques entrepreneuriales et à des prestations d’activités non formelles de formation (OCDE/UE, 2018[11]).
Source : Neeley, T. and P. Leonardi (2022[9]), “Developing a digital mindset. How to lead your organization into the age of data, algorithms, and AI”, https://hbr.org/2022/05/developing-a-digital-mindset; OCDE (à paraître[10]), A Policy Toolkit for Strengthening FDI and SME Linkages; Éditions OCDE, Paris; OCDE/UE (2018[11]), Supporting Entrepreneurship and Innovation in Higher Education in The Netherlands, https://doi.org/10.1787/9789264292048-en.
La transformation numérique accélérée des économies et la pression exercée pour atteindre la durabilité sont les principaux facteurs d’évolution des besoins en compétences
Au-delà de certains secteurs et métiers qui prennent de l’ampleur et proposent des biens et services numériques, les compétences numériques s’affirment comme des exigences transverses dans l’ensemble des secteurs, métiers et entreprises de toute taille (Cedefop, 2021[12]). Parmi celles-ci, il faut citer les PME, où l’utilisation d’outils numériques par le personnel a sensiblement augmenté au cours de la dernière décennie, dans une majorité d’emplois, même si des différences subsistent d’un pays à l’autre (graphique 6.2). Ainsi, sur la période 2010-21, dans les pays de l’OCDE, la proportion de salariés utilisant un ordinateur équipé d’un accès à internet au travail a progressé, passant en moyenne de 43 % à 58 % dans les petites entreprises et de 45 % à 59 % dans les moyennes entreprises.
La demande de compétences numériques s’est encore accélérée avec la pandémie de COVID-19. Alors que le télétravail, dicté par la nécessité, a pris son envol dans les entreprises tous secteurs d’activité confondus, l’utilisation effective des compétences numériques s’est avérée une composante essentielle de la résilience. L’analyse de la composition de la demande de compétences dans les annonces d’emploi publiées en ligne en 2020 en Europe montre que l’évolution la plus marquée concerne le pôle de compétences numériques, dont la part est passée de 20 % à 23 % dans la demande totale de compétences par rapport à 2019 (graphique 6.3) (Cedefop, 2020[14]).
Les technologies numériques émergentes accentuent la nécessaire intégration de compétences techniques et transversales dans les bouquets de compétences (encadré 6.2). L’analyse réalisée par l’OCDE sur les bouquets de compétences demandées dans les offres d’emploi liées à l’intelligence artificielle (IA) en fournit l’illustration : elle montre qu’en sus de compétences techniques dans le domaine numérique (par exemple, en programmation en code source ouvert, gestion de mégadonnées et analyse de données, apprentissage automatique et robotique), des compétences transversales (aptitudes à communiquer à l’écrit, à résoudre les problèmes, à travailler en équipe, mais aussi créativité) sont de plus en plus souvent exigées. En particulier, au cours de la dernière décennie, les compétences en communication ont gagné en importance relative, confirmant la nécessité de communiquer efficacement au sein des équipes, mais aussi entre les différents services de l’entreprise ou de l’institution, associés au développement et à l’adoption de l’IA afin que celle-ci soit déployée correctement (Samek, Squicciarini et Cammeraat, 2021[15]).
Encadré 6.2. Les technologies numériques émergentes engendrent des besoins en compétences multidimensionnelles
Avec l’accélération de la transformation numérique, les actifs incorporels entrent désormais pour une part plus importante dans la valeur de la quasi-totalité des entreprises, en particulier de celles axées sur les données, sans pour autant être inscrits à leurs bilans. De fait, l’amélioration de l’accessibilité, de l’utilisation et de la protection des données – en résumé, l’amélioration de la gouvernance des données – devient un enjeu stratégique pour les entreprises dans tous les secteurs (OCDE, 2022[16]). Une gouvernance efficace des données nécessite des investissements substantiels dans un ensemble diversifié de compétences englobant, entre autres, des compétences techniques (conception et gestion de bases ou d’entrepôts de données, élaboration de cadres et d’outils de cybersécurité, par exemple), des compétences analytiques (interprétation des données et déduction d’enseignements à partir de différentes sources de données, par exemple), des compétences linguistiques (création de glossaires, par exemple) et des capacités de réflexion stratégique (vision de la manière dont les données peuvent servir les objectifs stratégiques de l’entreprise, par exemple). Le capital organisationnel et les compétences managériales jouent également un rôle important dans l’adoption des technologies orientées données et contribuent à faciliter les évolutions vers des processus opérationnels fondés sur les données au sein de l’entreprise (Calvino et al., 2022[17]).
En fait, la demande croissante de compétences et de services numériques porte sur des compétences techniques spécialisées réservées à l’utilisation de technologies numériques spécifiques, mais aussi et surtout sur des compétences non techniques transversales, confirmant la nécessité de bouquets de compétences intégrés.
Les compétences non techniques, comme l’aptitude à rechercher et à évaluer des informations, à résoudre des problèmes imprévus, à communiquer et à collaborer efficacement et à faire preuve de créativité, contribuent toutes à un usage efficace des technologies numériques au sein d’une entreprise – en marge des compétences entrepreneuriales (intrapreneuriales) indispensables à l’instauration du changement. En outre, « l’esprit critique » et la « capacité à apprendre » sont des aptitudes déterminantes pour suivre un processus de formation continue – ou formation tout au long de la vie – indispensable pour rester au fait de l’évolution des outils numériques.
Source : OCDE (2022[16]), “Financing growth”, https://doi.org/10.1787/6962c7a9-en (accessed on 11 October 2022); Calvino, F. et al. (2022[17]), “Closing the Italian digital gap: The role of skills, intangibles and policies”, https://doi.org/10.1787/e33c281e-en.
La transition écologique constitue un autre moteur du changement observé dans les compétences demandées à de nombreux postes, tous secteurs confondus, créant en parallèle les conditions propices à l’exercice des métiers de demain (OCDE, 2023[18]). L’impact de la transition écologique aura de toute évidence des répercussions significatives dans des secteurs tels que l’énergie (les énergies renouvelables en particulier), les transports, les activités de fabrication (l’industrie automobile et la sidérurgie en particulier), la construction, l’agriculture et la gestion des déchets (Cedefop, 2021[19]). Toutefois, la quasi-totalité des secteurs sont touchés à des degrés divers puisque les entreprises doivent s’adapter à la transition écologique, que ce soit en innovant ou en ajustant leurs produits et leurs processus, en se conformant à la réglementation, en s’attelant aux exigences relatives aux chaînes d’approvisionnement, ou en accédant à des financements durables.
En outre, les nouvelles compétences requises ne concernent pas uniquement des métiers qui s’engagent ouvertement à lutter contre le dérèglement climatique, à protéger l’écosystème, à favoriser la biodiversité, et à réduire les émissions de carbone ainsi que la consommation d’énergie, de matières premières et d’eau. La transition écologique devrait logiquement avoir pour effet de modifier celles indispensables à un large éventail d’emplois dans tous les secteurs de l’économie, de la construction à la recherche scientifique en passant par la mode (OCDE, 2023[18]). Déjà, la demande de compétences vertes tend à se généraliser à tous les profils de postes, au même titre notamment que des notions d’économie et de comptabilité, des compétences en conception et en construction, des spécialisations en analyse de systèmes, hygiène et sécurité, gestion des données, reporting et ingénierie, entre autres (OCDE, 2023[18]). Par exemple, une analyse réalisée à partir de données LinkedIn établit que des compétences vertes sont souvent exigées pour occuper des emplois « non verts » traditionnels, dans la mode durable, la gestion de parc et la vente par exemple. Sur la période 2016-21, les « métiers verdissants » (c’est-à-dire les métiers qui nécessitent certaines compétences de nature à favoriser la durabilité environnementale des activités économiques) enregistrant la plus forte croissance renvoient à des professions exercées dans divers secteurs et entreprises, à des postes de responsable de la conformité, gestionnaire des installations ou agent technico-commercial (LinkedIn, 2022[20]). Cependant, ces évolutions, au même titre que les répercussions de la transition écologique sur la demande de compétences et sur les emplois, varient fortement d’une région à l’autre au sein d’un même pays. Aussi les dispositifs à l’appui de la montée en compétences et de la reconversion doivent-ils être associés à des initiatives de développement plus larges à l’échelon local pour s’atteler aux défis et aux opportunités spécifiques auxquels font face les divers acteurs et régions (encadré 6.3).
Encadré 6.3. Les incidences de la transition écologique sur les emplois locaux, les compétences et les actifs
Si la lutte contre le changement climatique et la dégradation de l’environnement est l’une des tâches les plus difficiles à laquelle s’attèle le monde, le manque de professionnels dotés des compétences nécessaires risque de freiner la transition écologique. Cette évolution vers une économie durable à zéro émission nette donnera lieu à une transformation significative des marchés du travail locaux, puisque la population active intègre différents métiers et secteurs, amplifiant ainsi des mégatendances comme la transformation numérique et l’évolution démographique qui redessinent la géographie des emplois et le monde du travail.
L’écologisation du marché du travail produit des effets différents sur les populations, les territoires et les entreprises. De nouveaux types de métiers apparaîtront. Certains emplois actuels, en particulier dans des activités très polluantes telles que l’extraction de charbon et de gaz, seront détruits. En outre, la transition écologique aura pour effet de modifier les compétences indispensables à l’exercice de nombreux autres dans tous les secteurs de l’économie. Puisque la géographie de ces transitions variera elle aussi, il sera vital d’opter pour une stratégie territorialisée, articulée autour de programmes de développement économique local et de soutien aux entreprises complétant les stratégies nationales de transition écologique, en particulier pour les petites et moyennes entreprises.
Les économies locales divergent quant au risque de perte d’emploi et aux possibilités d’emplois « verts »
Si la transition écologique s’inscrit dans une mégatendance mondiale en grande partie stimulée par l’action des pouvoirs publics, son impact sur le marché du travail est foncièrement local. Aussi bien les risques encourus par les actifs que les opportunités qui leur sont offertes sont contrastés entre les territoires d’un même pays. Les régions dépendantes de secteurs à l’origine d’émissions élevées risquent fort de voir des emplois disparaître sous l’effet de politiques publiques plus respectueuses de l’environnement. De même, les opportunités économiques et la création d’emplois « verts » ne se concrétiseront pas partout à l’identique. En conséquence, les effets cumulés ou les données nationales peuvent masquer des disparités régionales en ce qui concerne l’impact de la transition écologique sur le marché du travail.
Environ 18 % des travailleurs de l’OCDE exercent un emploi incluant une part significative de tâches vertes qui contribuent directement à améliorer la durabilité environnementale ou à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Or, la proportion de ces emplois impliquant la réalisation de « tâches vertes » varie d’une région à l’autre, dans une fourchette comprise entre 7 % et plus de 35 %. Certaines régions, dont nombre de régions de capitales, sont en première ligne de la transition écologique : elles présentent déjà une part élevée et croissante d’emplois reposant sur des tâches vertes et une faible part d’emplois « polluants » menacés de disparition. Dans d’autres régions, les proportions élevées d’emplois polluants et de ceux intégrant des tâches vertes concordent, faisant ainsi de la place aux transitions professionnelles. Cependant, il existe aussi des régions exposées à un risque de suppression d’emplois supérieur à la moyenne qui n’ont pas encore réussi à mettre à profit les avantages de la transition écologique. Dans l’ensemble, rares sont les régions faiblement dotées en emplois intégrant les enjeux environnementaux qui montrent des signes de rattrapage.
La transition écologique risque d’accentuer les fractures sur les marchés du travail locaux
La transition écologique est fortement corrélée à la dimension de genre sur le marché du travail. Les femmes sont en général sous-représentées dans les emplois intégrant des tâches vertes, n’occupant que seulement 28 % d’entre eux, ce qui appelle l’intervention des pouvoirs publics pour augmenter l’activité féminine dans la transition écologique. Pour leur part, les hommes seront les plus touchés par la disparition des emplois polluants.
Faute d’action gouvernementale adaptée, la transition écologique aura sans doute d’autres effets redistributifs non négligeables. La rémunération des emplois incluant des tâches vertes est, en général, jusqu’à 20 % supérieure à celle proposée à d’autres postes. Si les professions moyennement et peu qualifiées sont appelées à jouer un rôle grandissant dans les emplois verts de demain, dans des activités comme la gestion des déchets, la rénovation ou la construction, à ce jour, ce sont les travailleurs très qualifiés et diplômés qui ont essentiellement mis à profit les débouchés engendrés par la transition écologique. En revanche, les personnes justifiant d’un niveau d’études bas et occupant des postes moyennement qualifiés sont davantage exposées au risque de perte d’emploi sous l’effet de la transition écologique.
Les actions locales seront essentielles à la création d’emplois verts et viendront à l’appui du développement de compétences vertes
Les acteurs locaux joueront un rôle important dans la gestion de la transition écologique et juste, aux côtés des gouvernements nationaux. Puisque les défis comme les opportunités de la transition écologique sont propres à chaque territoire, des actions locales ou des initiatives nationales adaptées aux réalités locales s’imposent, en particulier dans les domaines des politiques de l’emploi et des compétences.
Nombre des enjeux induits par la transition écologique peuvent être traités en adaptant et en renforçant les actuels systèmes des marchés du travail et de compétences locaux, les autres nécessiteront des actions publiques sur mesure. Les systèmes de compétences locaux peinent déjà à suivre le rythme auquel évoluent les emplois et les besoins en compétences, et souvent, à cibler les individus pour lesquels une formation serait des plus profitables. Dans ces conditions, les pouvoirs publics doivent aller plus loin dans la formation des adultes, et dans les politiques actives du marché du travail étayées par des mécanismes d’évaluation et d’anticipation des compétences afin que suffisamment de travailleurs puissent acquérir les compétences vertes demandées. Cela suppose la participation active des travailleurs, des employeurs et des acteurs publics ainsi que des mesures ciblées agissant sur le risque inégal de pertes d’emplois pour les régions, les secteurs d’activité et les individus.
Source : OCDE (2023[18]), Job Creation and Local Economic Development 2023: Bridging the Great Green Divide, https://doi.org/10.1787/21db61c1-en.
En outre, la capacité des entreprises à faire face à l’impératif de durabilité dépend de plus en plus de compétences transversales. Celles-ci recouvrent des compétences cognitives (par exemple, conscience écologique et empressement à se former au développement durable ; compétences en systèmes et en analyse des risques ; aptitudes à repérer les opportunités et à créer de nouvelles stratégies pour relever les défis écologiques), mais aussi des compétences polyvalentes, telles que des qualités interpersonnelles (par exemple, compétences managériales pour faciliter les approches globales et interdisciplinaires englobant les objectifs économiques, sociaux et environnementaux ; sens de la communication et aptitudes à la négociation pour désamorcer des conflits d’intérêts dans des contextes complexes ; compétences marketing pour promouvoir des produits et services plus écologiques) et des compétences intrapersonnelles (par exemple, faculté d’adaptation permettant de se former et d’appliquer les nouvelles technologies et les processus indispensables pour « verdir » une tâche ou un métier ; compétences entrepreneuriales pour saisir les opportunités offertes par les technologies bas carbone) (Pavlova, 2018[21]). Par ailleurs, les capacités liées au raisonnement abstrait et à la résolution des problèmes peuvent accélérer la mise en œuvre des changements technologiques et organisationnels nécessaires pour gérer les opportunités et les enjeux de la transition écologique (Autor, Levy et Murnane, 2003[22]), y compris ceux déclenchés par les réglementations environnementales (Vona et al., 2018[23]).
Plusieurs facteurs conjoncturels et structurels limitent l’accès des PME aux talents
Dans un contexte marqué par des besoins croissants et urgents de bouquets de compétences transversales, les PME sont confrontées à des défis à court et long termes pour accéder aux talents qui leur sont indispensables pour rivaliser et prospérer au sein d’une économie numérique et plus verte. La façon dont les PME et les entrepreneurs définissent des besoins de compétences en constante évolution et y donnent suite est essentielle à leur adaptation réelle aux transformations majeures, mais aussi à leur résilience et à leur compétitivité dans la durée, à leur capacité à impulser le changement et à leur contribution aux besoins sociétaux et au bien-être. La crise du COVID-19 ainsi que l’agression de la Russie contre l’Ukraine ont provoqué des chocs économiques et sociétaux dont les marchés du travail ont subi les effets et qui, par contrecoup, ont compromis la capacité des PME et des entrepreneurs à accéder aux compétences (voir chapitre 1). Ces difficultés conjoncturelles s’ajoutent à celles d’ordre structurel que rencontrent les PME lors du recrutement, de la montée en compétences ou de la reconversion de leur main-d’œuvre1.
Alors que les tensions sur les marchés du travail s’accentuent et que la demande de compétences transversales augmente, les déficits et pénuries de compétences se généralisent et sont particulièrement marqués dans les PME
Les tensions sur les marchés du travail et la pénurie de travailleurs constituent, depuis quelques années, une caractéristique dominante dans la plupart des pays de l’OCDE, mettant en évidence, entre autres, l’évolution démographique (vieillissement de la population), la dynamique des agglomérations (concentration de la population dans les zones urbaines et métropolitaines), le changement technologique et les pénuries de compétences, qui se sont aggravées au sortir de la crise du COVID-19. En 2022, dans quantité de secteurs d’activité et de pays, le nombre d’entreprises faisant état de pénuries de main-d’œuvre a sensiblement augmenté, dépassant les niveaux d’avant la pandémie (OCDE, 2022[24]).
L’emploi total dans la zone OCDE a retrouvé les niveaux d’avant la pandémie à la fin de l’année 2021, poursuivant sa progression au premier semestre 2022, avant que la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine ne menace la solidité de la reprise. Le taux de chômage dans l’OCDE, qui avait atteint son pic à 8.8 % en avril 2020, est retombé à 4.9 % en juillet 2022. Sous l’effet du rebond économique de l’après-pandémie et de la montée en flèche de la demande de main-d’œuvre, au second semestre 2021 et début 2022, les offres d’emploi ont atteint des records dans de nombreux pays. En juillet 2022, aux États-Unis, plus de 11 millions d’avis de vacances de postes ont été publiés par rapport à un « réservoir » comptant moins de 6 millions de chômeurs. Le nombre d’entreprises contraintes de limiter leur production en raison de la pénurie de main-d’œuvre a progressé, dépassant sensiblement les niveaux d’avant la pandémie dans les pays de l’UE et en Türkiye, à la fois dans les services et le secteur manufacturier (27.5 % des entreprises de services faisaient état de pénuries de main-d’œuvre, soit une hausse de plus de 11 points de pourcentage par rapport au niveau d’avant la crise ; elles étaient 26 % dans le secteur manufacturier, soit 8.5 points de pourcentage de plus) (graphique 6.4) (OCDE, 2022[24]). Au Canada, entre le premier trimestre 2020 et le troisième trimestre 2022, la proportion de postes à pourvoir sur le long terme est passée de 28.5 % à 38.4 % (Lam, 2022[25]).
Dans certains pays, les démissions se sont accentuées, tout comme la pénurie de main-d’œuvre. Même si des facteurs cycliques peuvent entrer en jeu, la forte hausse de démissions qui a suivi la pandémie donne à penser que la crise sanitaire a sans doute été l’élément déclencheur d’un changement au niveau des préférences des travailleurs (Causa et al., 2022[26]). Aux États-Unis, si l’augmentation du nombre de démissions a touché tous les secteurs, atteignant des records en 2021, elle a été plus prononcée, par rapport à la taille des secteurs, dans l’industrie manufacturière, le commerce de détail, et les activités financières et d’assurances (OCDE, 2022[24]).
Les pénuries de main-d’œuvre se sont nettement accrues dans tous les secteurs, notamment ceux où les salaires sont bas, comme les activités d’hébergement et de restauration, et ceux qui ont été mis à rude épreuve durant la pandémie, comme les activités de santé et de soins. Les difficultés de recrutement se sont également multipliées dans les activités de fabrication et les secteurs offrant des rémunérations élevées, comme celui de l’information et de la communication (TIC), où le regain de demande déclenché par l’accélération de la transformation numérique a amplifié ces écarts structurels (graphique 6.5) (OCDE, 2022[24] ; Causa et al., 2022[26]).
La base de données 2022 de l’OCDE sur les compétences pour l’emploi montre que, dans l’ensemble des pays, en moyenne, plus de la moitié des emplois qui peinent à recruter en raison de pénuries de main-d’œuvre concernent des professions hautement qualifiées. Cette palette d’emplois s’étend des postes de direction aux professions très qualifiées dans la santé, l’enseignement ou les TIC. Une proportion non négligeable des pénuries de main-d’œuvre (41 % du total des emplois en tension dans les pays de l’OCDE) concerne également des professions moyennement qualifiées, notamment dans les métiers des services à la personne ou de l’électricité et de l’électronique (Figure 6) (OCDE, 2022[27]). L’analyse des tendances relatives à la pénurie de main-d’œuvre au Canada, au premier trimestre 2022, établit que 36.9 % de l’ensemble des entreprises s’attendaient à ce que le recrutement de personnel qualifié constitue un obstacle au cours des trois mois suivants ; 27.6 % prévoyaient que le maintien en poste du personnel qualifié en serait un autre (Statistics Canada, 2022[28]). En Italie, le suivi des prévisions de recrutement des entreprises réalisé en janvier 2023 par Unioncamere met en évidence des difficultés de recrutement sur 45.6 % de l’ensemble des offres d’emploi, soit 7 points de pourcentage de plus qu’en janvier 2022. Cette proportion grimpe à 66 % pour les profils de direction et à 62 % pour les ouvriers spécialisés (Unioncamere, 2023[29]).
Les pénuries conjoncturelles pèsent tout particulièrement sur les PME et les entrepreneurs…
Ces pénuries de compétences généralisées, et subites, risquent de pénaliser particulièrement les PME car les difficultés structurelles auxquelles elles se heurtent pour accéder aux compétences sont aggravées par de fortes tensions sur les marchés du travail et une « guerre des talents » exacerbée face au rythme de la transformation numérique, les évolutions vers des modèles économiques plus durables, les perturbations des chaînes d’approvisionnement et, plus généralement, un environnement économique plus incertain. Le manque de certains profils et les difficultés de recrutement ont aussi des répercussions sur le bien-être et les motivations d’effectifs et d’entrepreneurs débordés.
En dépit de données parcellaires spécifiquement axées sur les PME, il ressort de l’enquête sur l’accès au financement des PME (Survey on the Access to Finance of Enterprise, SAFE) réalisée par la Banque centrale européenne et la Commission européenne que les PME dans la zone euro partagent la préoccupation des grandes entreprises concernant la disponibilité de profils qualifiés et de cadres expérimentés ; celle-ci constitue d’ailleurs leur premier défi sur la période d’avril à septembre 2022 (graphique 6.7) (UE, 2022[30]). Au Royaume-Uni, plus des deux tiers (68 %) des PME ont été confrontées à des pénuries de compétences en 2022, un taux qui grimpe à 86 % dans les grandes entreprises (Open University/British Chambers of Commerce, 2022[31]). En Allemagne, environ 80 % des PME ont besoin de compétences numériques de base, telles que l’aptitude à se servir de logiciels standard et d’appareils numériques (Leifels, 2020[32])
À court terme, les PME et les entrepreneurs sont, en général, plus exposés à des déséquilibres de compétences de cet ordre que les grandes entreprises, qui sont d’ordinaire mieux armées pour amortir ces pénuries de compétences sur une durée plus longue en réduisant les capacités inemployées, en réorganisant leurs activités ou en les externalisant (pratiques de gestion), ainsi qu’en mettant à profit des stratégies à plus long terme d’automatisation du travail. L’absence de plateforme de gestion des talents, conjuguée à leur moindre attractivité pour des travailleurs qualifiés et agents de production, rendent les PME plus vulnérables aux déficits conjoncturels de compétences, en plus de poser un problème d’ordre structurel dans la perspective de transformations à plus long terme.
… et accentuent les difficultés structurelles rencontrées par les PME et les entrepreneurs pour accéder aux compétences
Les PME et les entrepreneurs présentent des particularités susceptibles de compromettre leur capacité à remédier aux déficits de main-d’œuvre qualifiée, en lien avec des bouquets de compétences transversales notamment.
Nombre de PME, en particulier les petites entreprises, concentrent en général leurs activités sur un domaine particulier ou sur un marché de niche, et leurs effectifs se composent essentiellement de spécialistes de domaine, les postes aux responsabilités plus génériques étant souvent assez mal pourvus. Cette polarisation risque d’entraver l’innovation horizontale et, qui plus est, l’identification de nouveaux débouchés et de tendances inédites en dehors de leur cœur de métier, tels que ceux en lien avec la transition numérique et écologique.
Pour être en mesure de gérer le changement systémique et les nouvelles possibilités, les PME doivent surmonter les difficultés de longue date qu’elles rencontrent pour acquérir ou développer un large éventail de compétences : des bouquets de compétences les aideront à réagir plus promptement à la nouveauté et aux opportunités qui se dessinent.
Pour étoffer leur vivier de talents, hormis le recrutement de candidats justifiant d’un très large éventail de compétences, les PME peuvent assurer la montée en compétences et la reconversion des salariés en poste grâce à la formation et, pour les petites structures en particulier, avoir accès à l’expertise de leur écosystème, sous la forme de services, d’informations et d’échange de connaissances explicites ou tacites.
Or, la participation active à des activités de formation demeure limitée pour une part non négligeable de PME. Comme l’indique le Programme de l’OCDE pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PIAAC), qui mesure les compétences cognitives et professionnelles des individus, le personnel des PME participe moins à des formations formelles et informelles liées à l’emploi que celui des grandes entreprises, ce qu’atteste un écart moyen ressortant à 15 points de pourcentage à l’échelle des différents pays (graphique 6.8) (OCDE, 2019[33]). En outre, même lorsque les salariés de PME suivent des formations, leur durée est en général plus courte que pour ceux des grandes entreprises (OCDE, 2020[34]).
La relative infériorité numérique des moyens de formation à disposition de leur personnel est caractéristique des PME dans leur ensemble. Habituellement, celles-ci s’impliquent peu dans les programmes de formation formelle en entreprise, tels que les cercles d’apprentissage, de même que la rotation des personnes sur les postes de travail, les échanges ou mises en doublon (OCDE, 2013[35]). En matière d’activités de formation, le fossé entre les PME et les grandes entreprises est tout aussi manifeste au regard des formations ponctuelles en entreprise, sous forme de cours et stages de formation professionnelle continue (FPC, voir Graphique 6.9).
Les PME se laissent également devancer par les grandes entreprises dans leurs investissements de formation au profit de l’économie numérique. Dans nombre de pays, moins de 10 % des petites entreprises proposent des formations en TIC à leur personnel, contre 40 % à 80 % des grandes entreprises (graphique 6.10).
Ce désintérêt des PME pour la formation, en dépit de leurs besoins en compétences multidimensionnelles, peut tenir à des paramètres différents, allant de la capacité des entrepreneurs et des dirigeants à repérer les déficits de compétences à la capacité financière en passant par l’ancrage géographique. La méconnaissance des effets positifs de la formation sur la performance ainsi que des possibilités d’accès à la formation, ne serait-ce que via les programmes publics, jouent également un rôle.
Le manque de temps conjugué au peu d’intérêt et à la sous-estimation stratégiques de la formation par les entrepreneurs et les dirigeants peuvent constituer des obstacles majeurs à l’engagement des PME en la matière (Cardon et Valentin, 2017[38] ; OCDE, 2021[36]). Le désintérêt stratégique affiché par l’entrepreneur ou le personnel de direction peut aussi traduire ses sentiments à l’égard de la formation, perçue comme une réponse à des normes ou exigences réglementaires (obligations sanitaires et de sécurité) et non comme une activité génératrice de valeur (Marchese et al., 2019[2] ; OCDE, 2019[1]).
En outre, l’obtention d’informations sur les possibilités de formation qui leur sont ouvertes peut poser problème car, contrairement aux grandes entreprises, les PME disposent rarement d’un pôle dédié aux ressources humaines, s’acquittent des activités RH de manière ponctuelle et non structurée, et ont peu de temps à consacrer au personnel en poste (OIT, 2017[39] ; Štangl Šušnjar et al., 2016[40]).
S’agissant des PME, en particulier des micro-entreprises, l’entrepreneur joue un rôle clé dans la transformation de la culture d’entreprise, de même que dans l’élaboration et la mise en œuvre de stratégies de développement des compétences, puisqu’il est bien souvent le dépositaire du savoir et de l’autorité. Pourtant, la nécessaire mise en place d’initiatives de montée en compétences et de reconversion échappe à nombre d’entrepreneurs, eux-mêmes non coutumiers de la formation continue à titre personnel et qui, de surcroît, sont rarement la cible des programmes de formation à l’entrepreneuriat, généralement davantage axés sur les jeunes (dans le cadre d’une formation initiale) ou les demandeurs d’emploi (par le jeu des services publics de l’emploi) (OCDE, 2021[41]).
La montée en compétences et la reconversion des dirigeants (lesquels peuvent aussi être les propriétaires de l’entreprise) revêtent également une importance particulière au regard des changements fonctionnels et organisationnels auxquels sont confrontées les PME en raison des transitions écologique et numérique. De récentes études consacrées à la manière dont les dirigeants doivent négocier le virage numérique, par exemple, soulignent la nécessité de justifier d’une capacité avérée à diriger et de compétences en RH, pour impulser une culture numérique dans l’entreprise et faire en sorte que les effectifs puissent maîtriser la rapidité des évolutions et, le personnel le moins qualifié en particulier, travailler avec des processus opérationnels davantage axés sur le numérique (Hamburg, 2019[42]). C’est le cas de l’étude de l’OCDE portant sur la préparation des travailleurs du tourisme à l’avenir numérique : elle établit que le profil des dirigeants peut constituer un frein dans la mesure où ils ont besoin, pour piloter des équipes, de connaissances d’ordre technologique susceptibles, par leur nature, d’être radicalement différentes de celles traditionnellement exigées dans le tourisme ; pour mettre en œuvre des stratégies numériques, de compétences et de savoirs « de niveau abstrait » ; et, pour composer avec le tassement des organigrammes, d’aptitudes en gestion des RH (OCDE, 2021[43]).
Même lorsque les entrepreneurs et dirigeants de PME sont en mesure de définir leurs besoins en compétences, disposent d’informations suffisamment complètes sur les options qui s’offrent à eux et élaborent une stratégie en la matière, il n’est pas impossible que la prise en charge de ces moyens de formation leur pose problème, en raison de contraintes financières et de coûts unitaires par salarié supérieurs à ceux supportés par les grandes entreprises. Outre les coûts financiers directs de formation, le coût d’opportunité est, lui aussi, relativement plus élevé pour les PME. Leurs effectifs étant plus restreints, la marge de manœuvre dont elles disposent est plus étroite que celle des grandes entreprises pour permettre à leurs employés d’abandonner temporairement leurs activités génératrices de revenus afin de se consacrer à la formation. De plus, les difficultés que rencontrent les PME pour conserver un personnel formé et qualifié, causées notamment par le débauchage de la part d’autres entreprises, risquent d’amoindrir le rendement de la formation et, par là-même, de dissuader les petites structures d’entreprendre cet investissement. C’est particulièrement vrai pour les investissements réalisés dans des compétences qui ne sont pas spécifiques à l’entreprise, et sont aisément transférables (OIT, 2017[39] ; OCDE, 2019[1]).
En outre, une majorité de PME n’utilisent pas toujours les nombreuses incitations financières à disposition pour couvrir les coûts de formation, soit parce qu’elles ignorent l’existence de ces dispositifs, soit parce qu’elles ne remplissent pas les critères d’octroi. (OCDE, 2020[34]). Il ressort d’une récente étude de l’OCDE consacrée aux PME à l’ère du commerce de détail (à savoir les enseignes qui utilisent des canaux de vente en magasin et en ligne) que, dans l’ensemble des pays, seule une petite proportion de PME sont au courant des divers programmes mis en place par les pouvoirs publics pour appuyer la transition numérique du secteur, qui ciblent souvent les compétences en gestion (OECD, 2023[44]).
Les possibilités de formation restreintes proposées par les PME compromettent également leur capacité à recruter des talents et des travailleurs hautement qualifiés, autre moyen important permettant de répondre à l’évolution des besoins en compétences. Force est de constater qu’il est plus difficile pour les PME que pour les grandes entreprises de trouver, d’attirer et de fidéliser du personnel qualifié, en grande partie car elles ne disposent pas de stratégie formalisée et d’infrastructure de gestion des ressources humaines (GRH), n’entretiennent que peu de liens avec les réseaux susceptibles de les mettre en relation avec des profils qualifiés, proposent des salaires plus faibles, des conditions de travail moins intéressantes et des perspectives d’évolution réduites (OCDE, 2019[1]). En outre, la flexibilité des modèles de travail s’impose comme un critère d’attraction important pour les travailleurs très qualifiés qui risque, en phase de recrutement, de désavantager les entreprises moins ouvertes aux aménagements. Par exemple, les PME qui ne peuvent donner une suite favorable aux demandes de télétravail perdront sans doute en attractivité par rapport à de grandes entreprises en mesure de leur accorder ces modalités (Credit Suisse, 2022[45]).
Les politiques relatives aux compétences doivent tenir compte des spécificités des PME
Dans ce contexte, les mesures fréquemment déployées en faveur des compétences sont majoritairement génériques par nature
À travers l’ensemble des pays, les mesures en faveur des compétences qui sont déployées pour soutenir les entreprises sont souvent génériques ; en d’autres termes, elles ne prennent pas dûment en considération les spécificités des entreprises quant à leur taille, leur spécialisation productive et leur implantation. Les instruments d’action, par exemple, demeurent axés sur des mesures en faveur de l’enseignement supérieur et de la formation professionnelle indifférenciées dans lesquelles la dimension territoriale n’entre pas en ligne de compte (Corradini, Morris et Vanino, 2022[46]).S’agissant des compétences numériques, de récents travaux de l’OCDE, s’appuyant sur une analyse internationale portant sur 485 politiques et 209 institutions, pointent une orientation relativement marquée de l’action des pouvoirs publics vers la création d’une culture des données et l’acquisition des compétences correspondantes dans l’ensemble de l’économie. En réalité, l’adoption de technologies numériques de pointe jugées importantes pour l’ensemble des entreprises, comme l’internet des objets (IdO) ou la cybersécurité, procède souvent au départ d’un enseignement ou d’une formation à caractère général, peu d’actions ciblant spécifiquement les PME (OCDE, 2022[16]).
Les politiques relatives aux compétences sont souvent élaborées et mises en œuvre en tenant pour acquis que les PME et les entrepreneurs feront preuve d’initiative en se mettant en quête d’informations et de solutions de montée en compétences et de reconversion, comme le feraient les grandes entreprises. Nombre de programmes d’action, par exemple, sont accessibles sur internet et donnent aux PME et aux entrepreneurs la possibilité de solliciter des aides financières ou de postuler à des offres de formation, ce qui suppose d’être préalablement informés de ces diverses facilités.
Dans le même ordre d’idées, il est rare que les mesures à l’égard des compétences soient expressément destinées aux PME, tenues de soutenir la concurrence des grandes entreprises pour bénéficier des instruments d’action. C’est le cas, par exemple, des fonds de formation financés par des prélèvements (à savoir les dispositifs de prélèvement-subvention), au titre desquels les sociétés immatriculées sont légalement tenues de cotiser à un fonds central unique ou à des fonds sectoriels de formation. Dans les pays où ces dispositifs sont mis en œuvre, les montants prélevés (généralement mensuellement) sur la masse salariale des entreprises varient entre 0.5 % et 2 %. Les entreprises font appel à ces fonds pour financer la formation qu’elles dispensent à leur personnel (et couvrir de 50 % à 100 % de leurs coûts). Or, les observations recueillies indiquent que ces fonds de formation sont principalement utilisés par les grandes entreprises (OCDE, 2010[47] ; Johanson, 2009[48] ; Dar, Canagarajah et Murphy, 2003[49] ; Cedefop, 2008[50]).
Les caractéristiques et l’attitude des PME devraient également être prises en compte dans l’élaboration et la mise en œuvre des dispositifs relatifs aux compétences, notamment aux fins d’identifier de possibles bénéficiaires. Sur ce point, il convient de faire la distinction entre les PME qui, par leur attitude passive, ont peu de chances de s’intéresser aux mesures gouvernementales dans ce domaine et les entreprises qui mettent d’ores et déjà spontanément en œuvre des actions pour améliorer leurs niveaux de compétences, et pour lesquelles les interventions des pouvoirs publics risquent d’être superflues (encadré 6.4). Bien que précieuse pour élaborer et mettre en œuvre les actions à mener à l’égard des compétences, ce type de catégorisation suppose de disposer d’informations importantes et de bien connaître les diverses populations de PME.
Encadré 6.4. Les petites entreprises sont-elles ouvertes au changement ?
Les petites entreprises peuvent être catégorisées selon leur degré d’ouverture au changement. Une typologie en quatre volets est formulée par Besant et al. (2009[51]) :
Entreprises passives : Ces entreprises ne sont pas convaincues de la nécessité du changement et ne savent pas ce qui pourrait être amélioré. Les mesures d’accompagnement viseront à leur faire prendre conscience de la nécessité d’opérer un changement et de faire évoluer leurs opérations dans un cadre plus stratégique.
Entreprises réactives : Si elles admettent qu’un changement s’impose, ces entreprises s’interrogent sur la manière de le mener efficacement à bien. En règle générale, leurs ressources internes sont limitées et leurs réseaux externes peu développés. Elles ont besoin d’aide pour élaborer un cadre stratégique, s’atteler aux domaines prioritaires, approfondir de nouveaux concepts et acquérir de nouvelles compétences orientées produits et processus.
Entreprises stratégiques : Ces entreprises sont persuadées que le changement est nécessaire, et leurs capacités pour le mettre en œuvre sont satisfaisantes. Cependant, étant donné qu’elles exercent généralement leurs capacités concurrentielles dans un périmètre de marché donné, il arrive qu’elles ne soient pas en mesure de repérer de nouvelles opportunités. Les mesures publiques de soutien doivent s’orienter vers des actions visant à étoffer les compétences internes déjà constituées et à stimuler les modèles économiques en cours.
Entreprises créatives : Ces entreprises, qui disposent de capacités internes étoffées, opèrent et mènent le jeu avec efficacité à l’échelle internationale. Elles disposent de cadres stratégiques pour l’innovation, de ressources internes solides et ont noué des collaborations appréciées avec des partenaires extérieurs. L’action des pouvoirs publics privilégiera les mesures destinées à enrichir les actuelles capacités internes.
Source : Besant, J., G. Tsekouras and H. Rush (2009[51]), “Getting the tail to wag – developing innovation capability in SMEs”, 10thInternational CINet.
Les stratégies capables de mettre à profit ce niveau d’informations et de proposer aux PME des services personnalisés de développement de compétences sont le plus souvent mises en pratique aux échelons local et régional, l’action des pouvoirs publics pouvant alors s’articuler avec les écosystèmes au sein desquels opèrent de potentiels bénéficiaires. Cette méthode impose de rompre avec les approches territorialement indifférenciées des politiques relatives aux compétences, et ce afin de tenir compte des nouvelles géographies du travail, à la fois sources de difficultés et d’opportunités pour les PME et les entrepreneurs. Les difficultés coutumières auxquelles sont confrontés les PME et les entrepreneurs au regard du développement de compétences et de l’accès à des ressources qualifiées (leur attractivité relativement faible en comparaison des grandes entreprises pour des travailleurs hautement qualifiés, par exemple) sont amplifiées par l’envergure, la portée et la rapidité des transformations structurelles – y compris des transitions numérique et écologique – s’opérant dans les économies nationales et régionales. En fait, le déplacement de personnel qualifié et le redéploiement des compétences et des emplois sur les marchés du travail sont susceptibles d’offrir de nouvelles opportunités aux PME pour ce qui est de trouver des profils très qualifiés (dotés d’ensembles de compétences transversales) au sein de leurs propres sphères, notamment auprès des travailleurs indépendants et des entrepreneurs. De ce point de vue, l’accès aux compétences transversales ainsi ménagé aux PME et aux entrepreneurs peut aussi être un moyen de s’attaquer aux disparités régionales, suivant la disponibilité et l’accès aux compétences.
Les écosystèmes de compétences jouent un rôle important en dotant les PME et les entrepreneurs de bouquets de compétences transversales
Pour améliorer la capacité des PME et des entrepreneurs réactifs (tout au moins) à accéder à des bouquets de compétences transversales, les politiques publiques peuvent s’appuyer sur les écosystèmes de compétences. Il s’agit de communautés et de réseaux dans lesquels s’investissent les PME et les entrepreneurs et qui contribuent à leur productivité, leur résilience et leur capacité d’innovation (encadré 6.5).
Encadré 6.5. Écosystèmes de compétences
Le concept des écosystèmes de compétences, introduit par Finegold (1999[52]) puis repris et traité de manière approfondie par des universitaires de diverses disciplines (Hall et Lansbury, 2006[53] ; Cooney et al., 2010[54] ; Buchanan, Anderson et Power, 2017[55] ; Lotz-Sisitka et Ramsarup, 2019[56]), s’efforce de définir et de pallier les freins à l’utilisation des compétences et à l’amélioration continue de celles-ci, tout en inventoriant et en renforçant leurs accélérateurs. Il fait évoluer le débat sur les compétences en l’éloignant du double centre de gravité que constitue l’offre et la demande de main-d’œuvre qualifiée (Hall et Lansbury, 2006[53] ; Spours, 2019[57]). Il reconnaît qu’une action publique se focalisant exclusivement sur l’offre de compétences par le jeu de la formation professionnelle risque de donner de piètres résultats sur le plan professionnel, tandis que les mesures consistant exclusivement à articuler le développement des compétences avec la demande ne peuvent remédier au problème de leur sous-utilisation en entreprise. Il insiste surtout sur la façon dont les éléments de l’environnement social et institutionnel constituent des « écosystèmes » qui appuient ou jugulent la demande de main-d’œuvre qualifiée, l’utilisation des compétences et l’accès au développement continu des compétences (Hall et Lansbury, 2006[53]). Il fait écho à l’argumentaire de la géographie économique qui fait ressortir à quel point le contexte institutionnel façonne les retombées des interventions en faveur du développement (Rodríguez-Pose, 2013[58]).
Finegold définit les principaux éléments d’un écosystème de compétences comme suit : (1) un catalyseur conditionné par la conjoncture qui déclenche la formation de l’écosystème – comme une évolution de la dynamique de marché ou une nouvelle innovation technologique stimulant la demande de compétences au sein des entreprises innovantes ; (2) un « carburant » permettant à ces entreprises de se développer et de renforcer leurs capacités – une offre solide de personnel qualifié et de capital de financement, par exemple ; (3) un environnement favorable aux compétences de haut niveau – comme une infrastructure de qualité, et (4) un haut degré d’interdépendance entre les entreprises et les autres institutions d’accompagnement qui, à l’instar des écosystèmes biophysiques, offre aux écosystèmes de profils très qualifiés des mécanismes auto-correcteurs qui renforcent leur résilience. Les réseaux sociaux particulièrement denses au sein de ces écosystèmes et les liens entre recherche et industrie encouragent la diffusion d’idées nouvelles, se traduisant par une innovation constante et une demande continue de nouvelles compétences de haut niveau.
Source : Finegold, D. (1999[52]), « Creating Self-Sustaining, High-Skill Ecosystems », Oxford Review of Economic Policy, vol. 15/1, pp. 60-81; Hall, R. et R. Lansbury (2006[53]), « Skills in Australia: Towards Workforce Development and Sustainable Skill Ecosystems », Journal of Industrial Relations, vol. 48/5, pp. 575-592, https://doi.org/10.1177/0022185606070106; Cooney, R. et al. (2010[54]), « Exploring Skill Ecosystems in the Australian Meat Processing Industry: Unions, Employers and Institutional Change », https://doi.org/10.1177/103530461002100208; Buchanan, J., P. Anderson et G. Power (2017[55]), « Skill Ecosystems », The Oxford Handbook of Skills and Training, pp. 444-465; Lotz-Sisitka, H. et P. Ramsarup (2019[56]), « Green Skills Research: Implications for Systems, Policy, Work and Learning », In Green Skills Research in South Africa. Routledge., pp. 208-223; Spours, K. (2019[57]), « A Social Ecosystem Model: Conceptual Developments and Implications for VET »; Rodríguez-Pose, A. (2013[58]), « Do Institutions Matter for Regional Development? », https://doi.org/10.1080/00343404.2012.748978.
Les écosystèmes de compétences se caractérisent par la présence d’un groupement d’individus et d’entreprises liés, spécialisés dans un secteur/domaine productif donné, et dont la proximité et les contacts suivis génèrent d’intéressantes externalités de connaissances et des avantages en termes de productivité et d’innovation (effets d’agglomération)2. Les écosystèmes de compétences donnent aux PME les moyens d’accéder à des ensembles de compétences techniques et transversales, sans avoir à les internaliser, ni à supporter intégralement les coûts afférents. Au lieu de cela, les compétences sont accessibles comme des « externalités positives » par l’entremise d’un réservoir de main-d’œuvre spécialisée ou sous forme de services de connaissances. L’abondance de ces « externalités positives » permet aux PME de prendre conscience de leurs propres déficits et besoins de compétences, de trouver et de tirer plus facilement parti d’une expertise adaptée, et de répondre durablement au besoin de compétences non stratégiques.
Une approche écosystémique présente des avantages pour relever les défis de longue date que rencontrent les PME dans la définition de leurs besoins en compétences, attirer les talents, et mobiliser des ressources dans une optique de montée en compétences et de reconversion. Comme mentionné précédemment, une approche écosystémique contribuerait à s’atteler aux disparités régionales, en abordant l’élaboration et la mise en œuvre des actions relatives aux compétences sous un angle territorial. La mise à profit d’écosystèmes de compétences peut s’avérer utile pour favoriser la capacité d’absorption des PME et des entrepreneurs à l’égard des mesures prises par les pouvoirs publics, notamment celles appuyant leur transition vers une économie plus écologique et plus numérique. Ces écosystèmes peuvent, par exemple, créer des conditions propices à l’amélioration des compétences managériales et entrepreneuriales des PME et des entrepreneurs. Les écosystèmes de compétences peuvent aussi produire des synergies entre les différents instruments d’action à l’appui de la compétitivité et de l’innovation, compte tenu de l’interconnexion de l’ensemble des acteurs. C’est pourquoi l’adoption d’une approche écosystémique implique que les politiques et programmes à l’égard des compétences soient corrélés à d’autres actions engagées au profit de l’innovation et de la croissance des entreprises, comme celles concrétisées dans les politiques de développement régional (Corradini, Morris et Vanino, 2022[46]).
Les évolutions récentes des politiques publiques sont de plus en plus adaptées aux PME et territorialisées dans leur exécution
Ces dernières années, les pouvoirs publics se sont progressivement attachés à adopter, dans le cadre de leurs politiques en faveur des compétences, des actions qui ciblent les PME. Les mesures de soutien consistent pour l’essentiel à mieux sensibiliser aux besoins en compétences, à réduire les coûts de formation pour les PME et à promouvoir la formation en entreprise, mais aussi à adopter une panoplie d’instruments, notamment des incitations fiscales et des subventions (chèques-formation, par exemple), en mobilisant souvent plusieurs acteurs publics et privés ainsi que les réseaux compétents.
Ces approches délaissent les mesures traditionnellement axées sur l’offre, de formation en particulier, au profit d’une perspective plus dynamique ciblant, en parallèle, la demande de compétences et leur utilisation (Corradini, Morris et Vanino, 2022[46]).
Cette tendance se vérifie particulièrement pour tout ce qui a trait aux compétences numériques : la poursuite des principaux objectifs, à savoir créer une culture des données et favoriser les compétences adaptées à l’économie numérique dans les PME, passe par une évaluation des besoins en compétences, du conseil d’entreprise et du mentorat, une formation continue ciblée ainsi qu’une aide financière pour accéder à des services de conseil privés (tableau 6.1). L’aide financière est de plus en plus octroyée sous forme de chèques, c’est-à-dire de petites allocations ou lignes de crédit utilisables pour l’achat de services auprès de fournisseurs de connaissances du secteur public ou de prestataires de services du secteur privé. Le chèque transformation numérique irlandais, par exemple, alloue jusqu’à 9 000 EUR aux PME pour l’achat de services de conseil ayant vocation à les accompagner, à travers la conception et la mise en œuvre de mesures adaptées, sur la voie d’une activité fondée sur les données. Le chèque slovène pour l’amélioration des compétences numériques finance des formations visant à développer les compétences de la direction et du personnel dans le contexte de projets de transformation numérique menés au sein des entreprises (OCDE, 2022[16]). Le Kit digital espagnol – mis au point par le secrétariat d’État à la transformation numérique et à l’intelligence artificielle en collaboration avec la Chambre de commerce espagnole et le secteur privé – consacrera au total 3 milliards EUR, entre 2021 et 2023, pour aider les petites entreprises, les micro-entreprises, les travailleurs indépendants et les entrepreneurs à prendre le virage du numérique. Les PME reçoivent un chèque numérique qu’elles peuvent utiliser en fonction de leurs besoins spécifiques, en choisissant parmi les différentes catégories de solutions que proposent des « agents du numérique » adhérents au programme, qui fournissent les services en question3. L’Espagne offre également des services sur mesure aux PME dans le cadre de l’initiative Activa Industry 4.0 du ministère de l’Industrie, du Commerce et du Tourisme, qui propose des plans de transformation numérique adaptés aux besoins spécifiques des entreprises et des entrepreneurs4.
En règle générale, les dispositifs à l’égard des compétences spécifiquement adaptés aux PME et aux entrepreneurs proposent, sous une forme ou une autre, une assistance permettant à ces derniers de mieux appréhender leurs besoins, de parcourir l’offre de formation et de retenir les solutions les plus pertinentes. Pour relever le défi consistant à atteindre un grand nombre de petites entreprises tout en maîtrisant les coûts inhérents à des prestations sur site, ces dernières années, quelques pays ont mis au point des outils numériques de diagnostic qui dispensent des conseils génériques de gestion et peuvent servir de points d’accès à de plus vastes systèmes de gestion d’entreprise, y compris pour le développement de compétences (OCDE, 2020[59]). Ciblant essentiellement les entrepreneurs et les dirigeants, ces outils, en leur donnant les moyens de cerner leurs besoins en compétences et d’y répondre, visent à améliorer la capacité de gestion des PME. C’est le cas, par exemple, du programme Skills for Better Business, lancé par les autorités irlandaises en 2022. Il comprend un outil gratuit d’évaluation en ligne permettant aux propriétaires exploitants de PME de réaliser un bilan de leurs compétences actuelles en management et en gestion, et de mettre en évidence les aspects essentiels à cibler pour améliorer les performances de croissance de leurs entreprises. L’annuaire auquel est couplé cet outil aide les propriétaires exploitants de PME à trouver et à se rapprocher d’un large éventail d’organismes spécialisés dans l’amélioration des méthodes de gestion et la formation5.
Tableau 6.1. Création d’une culture des données et acquisition des compétences correspondantes : tour d’horizon des instruments d’action ciblant les PME dans certains pays de l’OCDE
Pays |
Institution compétente |
Dispositif |
Description |
---|---|---|---|
Allemagne |
Ministère fédéral des Affaires Économiques et de l’Énergie |
Digital Now / Digital jetzt |
Digital jetzt propose des aides financières pour dynamiser la transformation numérique des petites et moyennes entreprises. Celles-ci sont destinées à soutenir les investissements réalisés dans les technologies numériques et dans la formation des salariés aux disciplines numériques. |
Centre de compétences numériques PME-Artisanat (Mittelstand-Digital Zentrum Handwerk) |
Le Mittelstand-Digital Zentrum Handwerk apporte son concours aux artisans et aux PME pour qu’ils puissent exploiter le potentiel économique de la transformation numérique. Afin de limiter les déficits d’information, les artisans et les entrepreneurs ont accès à des informations pratiques, des guides, des services de mise en œuvre et de réseau, organisés autour de six « vitrines » régionales. |
||
Autriche |
Agence autrichienne de promotion de la recherche (FFG) |
Digital Pro Bootcamps |
Le programme Digital Pro Bootcamps accompagne les entreprises et leur personnel dans le développement systématique d’une expertise en technologies de l’information et de compétences de haut niveau en transformation numérique. Il donne naissance à des « professionnels du numérique » chez les spécialistes motivés des sociétés autrichiennes qui suivent ses cycles courts de formation. Outre l’expertise en technologies de l’information et les compétences de haut niveau qu’il leur permet d’acquérir dans certains domaines liés à la transformation numérique, il met essentiellement l’accent sur les capacités de mise en œuvre en milieu professionnel. |
Chili |
Ministère de l’Économie, du Développement et du Tourisme |
Connecte ta PME (Digitaliza tu Pyme) |
Le programme, qui propose des événements, ateliers, formations et outils, s’appuie également sur un réseau de partenaires pour l’adoption des technologies numériques ; l’objectif poursuivi consiste à aiguiller et accompagner les PME dans leur processus de transformation numérique. |
Services de coopération technique (SERCOTEC) |
La voie du numérique (Ruta Digital) |
Le programme vise à former les PME afin de faciliter l’intégration des technologies et leur utilisation au service de la gestion de leurs activités. Pour ce faire, il comprend notamment des cours en ligne sur les défis de la cybersécurité et des outils liés. |
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Connecte ton magasin (Digitalize tu Almacèn) |
Aides financières à l’investissement, à l’assistance technique, à la formation et aux actions marketing en rapport avec les technologies numériques au profit de la gestion des entrepôts. |
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Danemark |
Ministère de l’Industrie, du Commerce et des Finances |
SME Digital (SMV : Digital) |
Initiative coordonnée à l’appui de la transformation numérique des PME danoises, dont la capacité d’innovation dans l’IA peut s’en trouver améliorée. Elle prévoit l’octroi de subventions aux PME pour accéder à des services de conseil privés dans les domaines liés à la transformation numérique. |
Hongrie |
AI Coalition |
Accélérateur de l’économie des données (Centre de Debrecen) |
Centre dédié à l’accompagnement des chefs d’entreprise indépendants dans la mise en place d’outils d’aide à la décision orientés données. Les dirigeants d’entreprise qui s’intéressent au développement numérique de leurs activités, et à l’exploitation des données produites en interne, peuvent bénéficier gracieusement de conseils en modernisation organisationnelle et de gestion auprès d’experts. |
Pays-Bas |
Ministère des Affaires économiques et de la politique climatique |
Commit2data |
Programme de recherche et d’innovation pluriannuel, fondé sur un partenariat public-privé pour étudier de nouveaux modèles économiques et opportunités autour des données massives dans des domaines d’application spécifiques (par exemple l’industrie du futur, l’énergie ou la logistique). Il inclut également six centres d’innovation dans les données dotant les entreprises, en particulier les PME qui tardent à s’adapter à l’innovation, de connaissances, d’outils et de modules de formation récents pour une utilisation responsable de l’IA et des données. |
Accélération de la transformation numérique des PME (Versnelling digitalisering mkb) |
Par le biais d’ateliers, ce programme dispense aux PME et aux entrepreneurs un accompagnement dans les domaines des mégadonnées, des ventes et du marketing en ligne ainsi que de l’automatisation, leur permettant d’exploiter des applications numériques de manière autonome. |
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SME IDEA (MKB!DEE) |
Programme qui épaule les PME dans la mise en place d’activités de formation continue, portant notamment sur l’acquisition des compétences en données correspondant à leurs besoins d’après leur type et taille de structure et leur secteur. |
Source : OCDE (2022[16]), Financing Growth and Turning Data into Business: Helping SMEs Scale Up, https://doi.org/10.1787/81c738f0-en, d’après le projet « Aider les PME à se développer » (Helping SMEs scale up) de l’OCDE/CE (https://www.oecd.org/cfe/smes/sme-scale-up.htm) et OCDE (2023[60]), OECD Data Lake on SMEs and Entrepreneurship (données extraites le 21 juin 2023).
Les dispositifs ciblés relatifs aux compétences sont souvent mis en place au niveau local, mobilisant des entités locales telles que des établissements d’enseignement supérieur, ou créant des institutions spécialisées. Par exemple, l’initiative Industry 4.0 Testlabs (Australie) met à profit les équipements dont disposent les structures de recherche et de formation, comme les universités, où ses experts mettent en exergue le potentiel des technologies numériques et dispensent des programmes de formation professionnelle adaptés spécialement aux effectifs des PME. Au sein de l’Union européenne, le réseau de « pôles d’innovation numérique » (Digital Innovation Hubs, DIH) aide les entreprises à intégrer des outils et pratiques numériques à leurs processus métier, en leur offrant une infrastructure technologique (via des « centres de compétences »6), un accès aux toutes dernières connaissances et à une expertise de pointe en pilotage, test et mise en œuvre de solutions numériques, ainsi qu’un financement. En Estonie, l’Agence au service des entreprises finance des « centres de compétences technologiques » afin de doter les PME des capacités techniques indispensables au déploiement de solutions faisant appel aux TIC, favoriser la mise en œuvre de modèles économiques orientés données, et encourager la mutualisation des savoirs entre chercheurs et PME. Dans le cadre du plan national italien Transition 4.0 à l’appui de la quatrième révolution industrielle, des pôles d’innovation numérique et des centres de compétences i4.0 ont été institués dans toute l’Italie pour renforcer l’écosystème d’innovation. Ces pôles axent leurs efforts sur une meilleure sensibilisation aux technologies i4.0, sur des formations assurant l’acquisition de compétences sectorielles pointues et de compétences i4.0 de base, et sur la mise en place de projets de recherche industrielle et de développement expérimental (OCDE, 2021[61] ; 2021[62]).
Certaines pratiques publiques sont en place depuis plusieurs décennies et ont fait l’objet d’évaluations positives à plusieurs reprises. Au Royaume-Uni par exemple, le réseau de centres Catapult, composé d’organismes technologiques de recherche (OTR), offre un accompagnement « à la carte » aux PME et aux start-ups en les aidant à développer leurs produits, à améliorer leurs processus et à assurer la montée en compétences et la reconversion de leur personnel. À titre d’illustration, par le biais du projet Catapult-HVM (High Value Manufacturing), les PME bénéficient d’un accès à une expertise, à des capacités, et même à des technologies et à un équipement spécialisés. Catapult-HVM repose sur le principe d’un service d’appui personnalisé aux PME, en vertu duquel le personnel du centre Catapult se mobilise fortement auprès d’elles (BEIS, 2021). Sur les sept centres Catapult-HVM que compte le Royaume-Uni, deux sont hébergés par des universités, afin de mieux articuler les activités de recherche et d’innovation dans des secteurs et régions bien précis.
Encadré 6.6. Le MEP (Manufacturing Extension Partnership) aux États-Unis
Le MEP (Manufacturing Extension Partnership) est un partenariat public-privé porteur de solutions pour les PME, qui s’appuie sur un réseau réunissant 1 450 conseillers et experts, répartis sur approximativement 430 centres de services MEP dans tous les États-Unis. Administré par le NIST (National Institute of Standards and Technology) depuis sa création en 1988, le système MEP s’est imposé comme une source de conseils fiables sur les nouvelles technologies, les techniques de production et les pratiques de gestion d’entreprise auprès d’un nombre significatif de sociétés (de 8 000 à 10 000 par an environ).
Le MEP cible les PME déjà établies. À l’instar des services de conseil en innovation technologique analogues à l’œuvre dans d’autres pays, il répond au constat selon lequel les PME en activité se trouvent souvent confrontées à des imperfections sur le marché et à d’autres défis qui compliquent systématiquement l’acquisition et le déploiement des informations, de l’expertise, des compétences et d’autres ressources. Ces freins créent des difficultés pour moderniser leurs technologies et leurs activités, contribuant par contrecoup à un retard de productivité, d’innovation et de compétitivité parmi nombre de ces établissements (National Academy of Public Administration, 2003 ; National Research Council, 2013). À travers ses prestations, le MEP assure aux PME une expertise, un diagnostic, un mentorat, une formation et d’autres formes d’accompagnement. Le MEP joue également un rôle d’intermédiation au sens où il leur donne accès à d’autres ressources publiques et privées en les aiguillant vers elles (Shapira et Youtie, 2016[63]).
Le MEP propose des services personnalisés et accessibles, s’inscrivant davantage dans une culture de résultat que dans une démarche scientifique. Les PME qui coopèrent avec le MEP le font car ses services sont adaptés à leurs besoins : des prestations équivalentes dans le secteur privé sont, soit plus onéreuses, soit inexistantes. S’ils sont efficaces, les services du MEP inciteront à prendre d’autres actions à mi-parcours (y compris, mais pas uniquement, la réalisation d’investissements en équipement, l’aménagement optimisé de l’appareil de production, la formation des salariés, l’amélioration des processus et de la qualité, les réductions de coûts, et l’introduction de nouvelles stratégies produits et marketing) ayant pour effet d’améliorer la performance des entreprises au travers, par exemple, d’une productivité, d’une durabilité et d’une croissance accrues pour ses clients.
Les établissements d’enseignement supérieur peuvent héberger des centres MEP, comme pour Purdue, dans l’Indiana
L’Université Purdue est une université publique orientée vers la recherche, créée par dotation foncière, sise dans l’État de l’Indiana. Elle est le siège de Purdue Manufacturing Extension Partnership (MEP) qui dispense des solutions abordables, à forte valeur ajoutée, aux PME manufacturières locales. Ce centre MEP local mobilise des ressources, tant dans les secteurs public que privé, pour recenser les domaines perfectibles, rationaliser les procédés et renforcer la compétitivité des PME.
Purdue MEP propose des services « sur mesure », élaborés dans le cadre de projets d’analyse sur site et d’ateliers. Allant de la formation des ressources humaines (attirer et fidéliser les salariés) à la production au plus juste en passant par le perfectionnement des pratiques dirigeantes, ces services visent à rehausser la valeur et la qualité de la production. Le centre MEP a également vocation à mobiliser les ressources de l’université et à associer le corps professoral à l’élaboration d’un processus de recherche et d’innovation spécifique
Source : Lipscomb, C. et al. (2017[64]), “Evaluating the impact of manufacturing extension services on establishment performance”, https://doi.org/10.1177/089124241774405; NIST (s.d.[65]), Manufacturing Extension Partnership (MEP), https://www.nist.gov/mep; U.S. Federal Register (2018[66]), Hollings Manufacturing Extension Partnership Program ; Knowledge Sharing Strategies, https://www.federalregister.gov/documents/2018/07/18/2018-15265/hollings-manufacturing-extension-partnership-program-knowledge-sharing-strategies#:~:text=Since%20its%20creation%20in%201988,8%2C000%20to%2010%2C000%20per%20year; Shapira, P. et J. Youtie (2016[63]), « The impact of technology and innovation advisory services », https://doi.org/10.4337/9781784711856.00013.
Aux États-Unis, le réseau MEP (Manufacturing Extension Partnership), administré par le NIST (National Institute of Standards and Technology), offre une assistance aux PME en place, via des centres implantés dans les différents États (encadré 6.6). Des études empiriques établissent que les PME ayant bénéficié du concours du MEP se révèlent plus compétitives et plus résilientes (Shapira et al., 2015[67] ; Lipscomb et al., 2017[64]). La formation dispensée aux PME est spécifique et porte notamment sur l’acquisition de compétences techniques et transversales en lien avec les activités entrepreneuriales et de gestion d’entreprise. Le MEP s’appuie sur les structures implantées à proximité, comme les universités et les établissements d’enseignement supérieur, pour y abriter ses centres. Au sein des EES, ces derniers peuvent profiter des moyens de recherche, des laboratoires et du capital social de la structure hôte, qui représente souvent un acteur phare pour le tissu de PME et d’entrepreneurs.
D’autres programmes d’action aux États-Unis s’appuient sur les ESS pour doter les PME de bouquets de compétences « sur mesure » sur certains territoires. Le programme SBDC, Small Business Development Centres (Centres de développement des petites entreprises), par exemple, repose sur un réseau d’universités et d’établissements d’enseignement supérieur. L’exemple de l’Université du Texas – San Antonio (UTSA) est explicite : le centre d’affaires international (International Trade Centre) érigé dans le cadre du programme SBDC propose des conseils gratuits sur les opérations d’importation et d’exportation, des études de marché et des solutions de formation aux petites entreprises. Les agents du SBDC accompagnent les entrepreneurs et les aident à donner corps à leur projet et à leur plan de développement. L’UTSA a internationalisé cette approche en créant un centre de développement à l’international (Centre for Global Development) qui accompagne les PME et les entrepreneurs, y compris ceux qui relèvent de l’économie informelle, dans plusieurs pays d’Amérique latine et en Tunisie (UTSA, 2021[68])7.
Dans l’Union européenne, la stratégie de spécialisation intelligente repose sur une association étroite des ESS et des établissements de recherche avec le tissu d’entreprises locales, en particulier les PME. L’Académie de la spécialisation intelligente, à l’Université de Karlstad, en Suède, en est l’illustration. L’Université coopère étroitement avec les collectivités locales du Värmland. Ces deux acteurs ont uni leurs forces pour créer cette Académie, sise au sein de l’Université, et qui a accès aux moyens de recherche et aux laboratoires de cette dernière. L’Académie met sur pied des services de développement de compétences au profit des entreprises locales ciblant plus particulièrement les PME, lesquelles ont notamment accès aux services de formation dispensés par Karlstad Lean Factory (KLF)8, qui appuient les valeurs liées à la production au plus juste pour les faire progresser au sein de l’écosystème productif régional9. Cet exemple symbolise parfaitement le rôle que peuvent tenir les ESS auprès des entreprises en leur réservant des services se rattachant à des activités de formation, de recherche et d’innovation (OCDE, 2020[69]).
Les dispositifs relatifs aux compétences peuvent également être déployés pour libérer le potentiel de croissance des PME via, par exemple, des programmes d’accélération à l’appui des PME et des entrepreneurs visant l’hypercroissance. La personnalisation des services proposés est une caractéristique importante de ces dispositifs. Par exemple, en France, l’Accélérateur PME est coordonné par Bpifrance, qui joue à la fois le rôle d’agence nationale pour l’innovation et de banque publique d’investissement. L’Accélérateur PME offre un accompagnement personnalisé aux entrepreneurs par l’intermédiaire des 50 implantations régionales de Bpifrance, qui propose aux TPE, PME et ETI des solutions adaptées aux principales étapes de leur développement : création d’activité, financement, garanties ou aide en fonds propres.
La diffusion des connaissances s’inscrit au cœur des mesures visant à soutenir la formation à la conduite d’entreprise et le perfectionnement des pratiques dirigeantes dans les PME. Des initiatives telles que le MaRS Discovery District à Toronto, au Canada, l’un des premiers pôles d’innovation urbains au monde, se sont révélées intéressantes sur ce point, réunissant professionnels de l’enseignement, chercheurs, sociologues, entrepreneurs et experts métier sous un même toit, où laboratoires, locaux à usage de bureaux et espaces dédiés à l’organisation d’événements se côtoient. MaRS Discovery District a bâti son succès sur ses services de conseil aux entreprises et les liens tissés avec les autres acteurs de cet écosystème entrepreneurial local (organismes de recherche, bailleurs de fonds, etc.) (OCDE, 2013[70]).
Conclusion
Dans un contexte marqué par plusieurs chocs internationaux, ce chapitre présente un exposé circonstancié des besoins en compétences des PME, qui ne portent pas simplement sur des compétences techniques, mais plutôt sur des bouquets de compétences transversales, en rapport avec la manière dont les PME et les entrepreneurs développent leurs propres activités, gèrent les innovations numériques, et échangent avec leurs partenaires (chaînes d’approvisionnement) et leur clientèle. Ces bouquets de compétences transversales englobent diverses « capacités », correspondant à des compétences entrepreneuriales qui conditionnent la résilience et la compétitivité des PME et des entrepreneurs.
En outre, ce chapitre s’intéresse aux obstacles qui empêchent les PME et les entrepreneurs d’internaliser totalement les compétences, y compris transversales, dont ils ont besoin. Il souligne néanmoins que ceux-ci ont la possibilité d’accéder à ces compétences à la faveur de leur « écosystème », constitué du tissu économique local et des réseaux auxquels ils participent. Il peut s’avérer efficace de ménager aux PME et aux entrepreneurs un accès à des bouquets de compétences transversales, notamment via des interactions avec les partenaires et clients de leur propre écosystème, afin d’améliorer globalement leur capacité à gérer les transitions numérique et écologique.
À l’échelle internationale, un certain nombre d’exemples de dispositifs assurent aux PME et aux entrepreneurs des moyens de formation et des mises en relation pour valoriser leurs compétences transversales. La dimension géographique de plusieurs de ces instruments d’action est évidente : l’accompagnement des PME et des entrepreneurs s’opère au plan local et l’aide au perfectionnement des compétences transversales est personnalisée. Cependant, ces mesures sont souvent limitées dans leur envergure, ou relativement déconnectées des autres priorités des pouvoirs publics. Pour renforcer la résilience et la compétitivité d’un grand nombre de PME et d’entrepreneurs dans l’ensemble des régions, il convient de prendre en compte deux enjeux majeurs : d’une part, ces instruments d’action ne concernent pas énormément de PME et d’entrepreneurs et d’autre part, ils génèrent peu de complémentarités avec les autres grands dossiers en lien avec le développement régional, l’innovation, le développement durable, etc.
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[63] Shapira, P. et J. Youtie (2016), « The impact of technology and innovation advisory services », dans Handbook of Innovation Policy Impact, Edward Elgar Publishing, https://doi.org/10.4337/9781784711856.00013.
[67] Shapira, P. et al. (2015), « Institutions for technology diffusion ».
[57] Spours, K. (2019), « A Social Ecosystem Model: Conceptual Developments and Implications for VET ».
[40] Štangl Šušnjar, G. et al. (2016), « The role of human resource management in small and medium sized companies in Central-Eastern Europe », dans Ateljević, J. et J. Trivić (dir. pub.), Economic Development and Entrepreneurship in Transition Economies, Springer, https://doi.org/10.1007/978-3-319-28856-7_12.
[28] Statistics Canada (2022), Labour Shortage Trends in Canada, https://www.statcan.gc.ca/en/subjects-start/labour_/labour-shortage-trends-canada.
[66] U.S. Federal Register (2018), Hollings Manufacturing Extension Partnership Program ; Knowledge Sharing Strategies, United States Federal Register, https://www.federalregister.gov/documents/2018/07/18/2018-15265/hollings-manufacturing-extension-partnership-program-knowledge-sharing-strategies#:~:text=Since%20its%20creation%20in%201988,8%2C000%20to%2010%2C000%20per%20year.
[30] UE (2022), Règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux subventions étrangères faussant le marché intérieur, PE-CONS 46/22, Bruxelles, 16 novembre 2022, Union européenne, https://data.consilium.europa.eu/doc/document/PE-46-2022-INIT/en/pdf.
[6] UNESCO (2015), Transversal Competencies in Education Policy & Practices, Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture.
[29] Unioncamere (2023), Progetto Excelsior. Sistema informativo per l’occupazione e la formazione, https://excelsiorienta.unioncamere.it/.
[68] UTSA (2021), Welcome to the UTSA Small Business Development Center, University of Texas at San Antonio, https://sasbdc.org/ (consulté le 26 septembre 2022).
[23] Vona, F. et al. (2018), « Environmental regulation and green skills: An empirical exploration », Journal of the Association of Environmental and Resource Economists, vol. 5/4, pp. 713-753.
Notes
← 1. La montée en compétences désigne la formation d’un membre du personnel à d’autres tâches pour exercer au mieux ses missions à son poste ; la reconversion désigne l’acquisition d’un nouvel éventail de compétences par un membre du personnel dans l’optique d’exercer d’autres tâches ou de changer d’emploi.
← 2. La proximité est un concept multifacette qui n’est pas uniquement fondé sur la géographie. Par exemple, une proximité cognitive, organisationnelle, sociale et institutionnelle peut rapprocher des agents (Ben Letaifa et Rabeau, 2013[71]).
← 3. Pour de plus amples informations sur le programme « Kit digital » : https://espanadigital.gob.es/en/measure/digital-kit-program.
← 4. Pour de plus amples informations sur l’initiative Activa Industry 4.0 : https://www.industriaconectada40.gob.es/programas-apoyo/Paginas/activa.aspx.
← 6. L’appellation « centre de compétences » est utilisée dans des contextes différents pour désigner une infrastructure dédiée à l’agencement et au transfert de connaissances, dont les acceptions peuvent varier en fonction du champ d’application, du périmètre, du domaine et du cadre socio-économique. En règle générale, les centres de compétences sont des entités collaboratives mises en place et pilotées par une branche d’activité, dont les ressources sont gérées par des chercheurs chevronnés conjointement avec des établissements de recherche habilités à entreprendre des travaux de recherche stratégique centrés sur le marché au profit de la filière en question.
← 7. En 2018, ce centre a apporté son concours à plus de 500 entreprises en leur dispensant des services de conseil et de formation qui ont généré plus de 567 millions USD de recettes et abouti à la création et à la préservation de 2 264 emplois (voir Géographie de l’enseignement supérieur (webinaire) : Entretien avec Cliff Paredes).
← 9. Les principes de production au plus juste – ou pensée Lean – ont été définis par Toyota dans les années 80. La pensée Lean, qui fait prévaloir l’efficacité et la collaboration dans le processus de production, repose sur cinq principes clés : la valeur, les flux de valeur, l’écoulement des flux, les flux tendus et la perfection.