L’incertitude qui caractérise le climat économique actuel limite la faculté d’établir des projections solides. On peut néanmoins affirmer, sans trop craindre de se tromper, que, dans l’ensemble, la demande de mobilité continuera de croître au cours des trois décennies à venir. Le volume de transport de personnes va pour ainsi dire tripler entre 2015 et 2050, en passant de 44 000 milliards à 122 000 milliards de voyageurs-kilomètres. La Chine et l’Inde représenteront un tiers de ce trafic en 2050, contre un quart en 2015.
Les véhicules individuels resteront le premier moyen de locomotion utilisé dans le monde. Les transports publics et les solutions de mobilité partagée gagneront du terrain, en particulier dans les villes, pour normalement représenter plus de la moitié du nombre total de voyageurs-kilomètres parcourus en 2050. Les déplacements internationaux de personnes, actuellement en hausse à l’échelle mondiale, devraient s’intensifier le plus fortement dans les pays en développement. D’après les estimations, rien qu’en Inde et en Chine, le trafic aérien aura pratiquement quadruplé en 2050, pour s’élever à 21 583 milliards de passagers-kilomètres, contre 5 506 milliards en 2015.
Si la tendance actuelle se maintient, la demande mondiale de fret aura triplé entre 2015 et 2050. Parmi tous les modes jusqu’en 2050, le plus haut taux de croissance annuel composé est attendu à 4.5% dans le transport aérien, qui n’intervient pourtant que modestement dans le trafic total en tonne-km. Ainsi, plus des trois quarts des opérations de transport de marchandises continueront d’être effectuées par navires en 2050, soit à peu près autant qu’en 2015. Les difficultés qui touchent actuellement l’économie mondiale et la multiplication des différends commerciaux compromettent la précision des projections relatives au transport de marchandises car la demande dépend au premier chef de la croissance économique et du commerce international.
Les émissions de CO2 imputables aux transports restent une grande source de défis. Par extrapolation, on constate que les ambitions actuelles de l’action publique ne permettront pas de juguler ces émissions compte tenu de l’essor de la demande de transport attendue dans les années à venir. Dans le scénario qui repose sur l’exécution des politiques d’atténuation actuellement engagées et annoncées (scénario d’ambitions inchangées), les émissions mondiales de CO2 dues aux transports auront augmenté de 60 % en 2050, principalement à cause du gonflement de la demande de transport de marchandises et des déplacements non urbains de personnes, estimé à 225 % pour l’ensemble de la période considérée. Ce même scénario prévoit en revanche que les émissions liées au transport urbain de personnes diminueront de 19 % sous l’effet des politiques actuellement centrées sur le transport urbain.
La mise en œuvre de politiques de décarbonation plus ambitieuses dévie considérablement les trajectoires prévisionnelles de la demande de transport et des émissions connexes de CO2. Ainsi, le scénario d’ambitions élevées prévoit pour 2050 une demande mondiale de transport de voyageurs (-20%) et des émissions connexes (-70%) plus faibles que le scénario d’ambitions inchangées. Si les deux scénarios tablent sur une stabilité relative de la demande mondiale de transport de marchandises, le premier promet un volume d’émissions connexes de carbone inférieur de 45 %. Toutefois, cela ne suffirait pas pour obtenir une élévation moyenne de la température de la planète nettement en dessous de 2° C par rapport aux niveaux pré-industriels, conformément à l’objectif défini dans l’Accord de Paris.
Un certain nombre de perturbations endogènes et exogènes menacent le secteur des transports. Les effets individuels ou conjugués de leur concrétisation ont été modélisés pour les besoins des présentes Perspectives des transports.
La généralisation des solutions de mobilité partagée pourrait diviser par deux le nombre de véhicules-kilomètres parcourus en milieu urbain et réduire ainsi, à l’horizon 2050, les émissions de CO2 imputables au transport urbain de 30 % par rapport aux projections fondées sur les ambitions actuelles. La banalisation des véhicules autonomes se traduirait probablement par une augmentation du nombre de véhicules-kilomètres effectués et de tonnes de CO2 rejeté dans la plupart des régions urbaines. D’après les simulations, un recours accru au télétravail pourrait, au cours de la période considérée, contracter le trafic voyageurs en milieu urbain et les émissions connexes de CO2 d’environ 2 % de plus que dans le scénario d’ambitions inchangées.
Il ressort également des simulations qu’avec la prolifération des services aériens à bas prix, le volume du trafic non urbain et des émissions connexes de CO2 dépasserait de 1 % les projections actuelles pour 2050. De même, le déploiement de systèmes de train à très grande vitesse ferait grimper la fréquentation ferroviaire de 1 % et fléchir les émissions de CO2 imputables aux modes de transport non urbain de moins de 1 %. En revanche, l’utilisation de carburants de substitution pour l’aviation pourrait oblitérer les émissions de CO2 dues au transport aérien, pour l’essentiel en décarbonant les vols court-courriers ; en 2050, le secteur aérien intérieur produirait ainsi 55 % émissions de moins que prévu dans le scénario d’ambitions inchangées.
Avec l’essor du commerce en ligne, les volumes de fret pourraient grossir dans des proportions modestes, comprises entre 2 % et 11 %, selon le mode de transport considéré, ce qui accroîtrait les émissions de CO2 liées au transport de marchandises de 4 %. Le déploiement à grande échelle de l’impression 3D dans les activités de fabrication et à des fins domestiques pourrait amoindrir les volumes de fret et d’émissions connexes de CO2 de 27 % et 28 % de plus que dans le scénario d’ambitions inchangées. Il est toutefois peu probable que l’impression 3D connaisse un tel succès.
L’ouverture de nouvelles voies commerciales ne pèserait guère sur le volume total des échanges : en 2050, par rapport aux projections actuelles, ce volume aura diminué de 2 % et celui des émissions connexes de CO2 de 1 % seulement. En revanche, la restructuration géographique du transport de marchandises susceptible d’en découler aurait des retombées considérables sur les chaînes logistiques mondiales et l’infrastructure des réseaux de transport.
En ce qui concerne le transport terrestre de marchandises, le déploiement extensif des véhicules de grande capacité pourrait se traduire, en 2050, par un niveau d’émissions de CO2 inférieur de 3 % à celui des projections actuelles. L’utilisation de carburants faiblement ou non carbonés dans le fret routier longue distance pourrait faire reculer les émissions de CO2 de 16 % à l’horizon 2050. D’après les simulations, le recours aux véhicules de grande capacité et poids lourds autonomes dans le transport routier de marchandises aura peu d’incidence sur la demande globale de fret et le volume des émissions en résultant. En revanche, la généralisation des camions automatisés entraînerait un important report du ferroviaire sur le mode routier (-9 % pour le ferroviaire, +6 % pour le routier en 2050).
Dans les scénarios de rupture complète, fondés sur la convergence de plusieurs tendances, les valeurs estimées de la demande de transport et des émissions connexes de CO2 pour 2050 sont inférieures aux projections du scénario d’ambitions inchangées, tous secteurs confondus. Les réductions d’émissions les plus fortes résultent des politiques en place pour continuer de décarboner le secteur et, dans certains cas, orienter les phénomènes de rupture. Dans le transport urbain de voyageurs, par exemple, la généralisation des véhicules partagés et autonomes pourrait, sous réserve que les pouvoirs publics prennent les mesures d’accompagnement appropriées, se traduire à l’horizon 2050 par des émissions de CO2 et une congestion inférieures de 73 % et 24 % respectivement aux projections actuelles.
De même, dès lors que les ruptures technologiques qui touchent le transport non urbain de voyageurs font l’objet de mesures d’encadrement, leur potentiel de réduction des émissions à l’horizon 2050 s’en trouve augmenté : il est estimé à 76 %, contre 63 % en l’absence de mesures d’encadrement. Les résultats sont du même ordre dans le transport de marchandises, où l’intervention des pouvoirs publics destinée à affermir l’efficience logistique stimule la réduction des émissions induite par les ruptures technologiques. En effet, cette réduction dépasse de 44 % et 60 % les projections actuelles selon qu’il existe ou non des politiques logistiques.
Considérées dans leur ensemble, les simulations révèlent que l’incidence des perturbations sur l’évolution de la demande de transport et de son empreinte carbone dépendra fortement des politiques de transport en place. Si, simultanément à ces perturbations, des mesures sont prises pour atténuer les émissions de CO2, les réductions obtenues seront plus importantes dans tous les segments du secteur des transports. Les décideurs ont donc un rôle crucial à jouer en cernant la nature et l’ampleur du changement, même lorsque des bouleversements considérables attendent les systèmes de transport.