La transformation de la géographie économique mondiale a profondément changé l’ordre mondial et progressivement remis en question de nombreux paradigmes de développement jusque-là tenus pour acquis. Il n'y a jamais eu de trajectoire unique menant au développement. Cependant, on considère en général que les responsables politiques peuvent mettre leur pays sur une voie qui converge avec les pays les plus développés du monde, en adoptant un ensemble de mesures économiques s'étant avérées efficaces pour favoriser structurellement la croissance. Mais chaque pays doit adapter sa stratégie pour prendre en compte ses particularités en termes de dotations, de culture et d’institutions. Il leur faut aussi faire face à de nombreux nouveaux défis auxquels les pays s’étant industrialisés plus tôt n’avaient pas été confrontés. Ce chapitre aborde ces défis, d’ordre économique, social et environnemental, qui surgissent sur la voie du développement.
Perspectives du développement mondial 2019
Chapitre 5. Relever les nouveaux défis du développement
Abstract
Les données statistiques concernant Israël sont fournies par et sous la responsabilité des autorités israéliennes compétentes. L’utilisation de ces données par l’OCDE est sans préjudice du statut des hauteurs du Golan, de Jérusalem Est et des colonies de peuplement israéliennes en Cisjordanie aux termes du droit international.
Il n’y a jamais eu de trajectoire unique menant au développement. Cependant, la théorie du développement a laissé entendre que les responsables politiques pouvaient mettre leur pays sur une voie qui converge avec les pays les plus développés du monde, en adoptant un ensemble de mesures économiques qui favorisent structurellement la croissance. La transformation de la géographie économique mondiale a progressivement remis en question de nombreux paradigmes de développement qui semblaient jusque-là tenus pour acquis. D’un côté, la croissance de la République populaire de Chine (ci-après dénommée « Chine ») et d’autres grandes économies depuis les années 1990 a bel et bien contribué à placer de nombreux pays sur une voie économique convergente avec les pays les plus riches du monde, et devrait a priori continuer à le faire. De l’autre, les trajectoires de développement que ces pays empruntent sont de plus en plus variées.
Il semble de plus en plus clair que les mesures nécessaires pour poursuivre la croissance et garantir de meilleurs résultats sociaux doivent répondre à une approche plus adaptée au contexte local, aux dotations et aux institutions de chaque pays. Les progrès enregistrés par les premiers pays qui se sont industrialisés (ou ceux qui ont récemment fait un saut significatif) ne sont pas forcément tous attribuables à une stratégie de développement commune, reposant sur une recette toute faite.
Aucun paradigme de développement ne suffit à refléter la complexité des trajectoires que les pays empruntent dans les faits. Les trajectoires de développement économique et social ont beaucoup varié dans l’histoire entre les différents pays et régions du monde. La croissance économique elle-même n’a pas nécessairement abouti à l’amélioration du bien-être et de la durabilité environnementale. Par ailleurs, les premiers pays qui se sont industrialisés ont réalisé des progrès significatifs sur le plan du bien-être à des niveaux de croissance du produit intérieur brut (PIB) relativement plus faibles, par rapport aux pays aujourd’hui en développement.
Ce chapitre est tourné vers l’avenir. Il aborde d’abord les facteurs et les enjeux externes qui influencent en général les trajectoires de développement, et qui nécessitent l’adoption de stratégies spécifiques. Il passe ensuite en revue les nouveaux défis à l’échelle mondiale, qui obligent les pays à redéfinir leurs stratégies. Enfin, il analyse en quoi la transformation constante de la géographie économique a de tous temps marqué la définition et l'émergence de nouvelles stratégies de développement, tout en évoquant les enjeux de leur mise en œuvre.
Le développement, un état de transition permanente
Le développement est multiforme. Il devient de plus en plus complexe à mesure que les pays grimpent l’échelle : les différences s’accentuent, tant sur le plan de la vitesse que de la nature de la transition à l’œuvre, et les pays s’engagent sur des trajectoires de plus en plus diverses. Plusieurs raisons expliquent pourquoi les pays ne se développent pas au même rythme. Tout d’abord, le développement fait entrer en jeu de nombreuses variables, qui ne se mesurent pas uniquement en termes de croissance économique. Comme analysé au chapitre 3, le développement concerne aussi les progrès sociaux et la durabilité environnementale, des aspects que chaque pays aborde de façon différente. Ensuite, chaque pays se distingue par des dotations, une culture et des institutions qui lui sont propres : la façon de faire face aux enjeux et de s’y adapter diffère donc de l’un à l'autre.
Les trajectoires économiques, sociales et environnementales évoluent à des rythmes différents
La transition des pays n’est pas automatique. En témoigne le grand nombre de pays qui ont vu leur revenu augmenter ces 30 dernières années, mais qui continuent d’enregistrer de mauvais résultats sur le plan social et environnemental. Comme souligné au chapitre 3, les pays en développement ne constituent pas un groupe homogène suivant une trajectoire linéaire.
Les pays à revenu intermédiaire sont ceux qui divergent le plus sur tout un ensemble de caractéristiques. En 2016, le nombre moyen d’années de scolarisation allait ainsi d’environ 6 ans en République dominicaine à plus de 9 ans en Malaisie. Le taux d’emploi dans le secteur agricole varie de 0.6 % en Argentine à 33 % en Thaïlande. Au Brésil, près de neuf habitants sur dix vivent en zone urbaine, contre seulement la moitié des citoyens chinois. Tandis qu’en Afrique du Sud, la prévalence du VIH est de 19 %, elle est inférieure à 0.5 % au Pérou et au Mexique (Banque mondiale, 2018[1]).
On constate la même disparité sur le plan des facteurs environnementaux. Entre 2002 et 2012, par exemple, la déforestation a réduit la couverture tropicale en Malaisie et au Brésil dix fois plus qu’en Thaïlande et au Pérou (Carrasco et al., 2017[2]).
On mesure souvent le développement à partir d’indicateurs économiques car, d’une certaine façon, la trajectoire économique est la plus directe. Depuis 1979, la Banque mondiale classe les pays selon quatre groupes de revenu. Ce classement repose sur le revenu national brut (RNB) par habitant. On distingue ainsi1 : les pays à faible revenu, les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure et les pays à revenu élevé. Depuis 1990, 54 pays en développement ont accédé pour la première fois à une catégorie de revenu supérieure.
Le statut de pays les moins avancés (PMA) constitue un indicateur plus général de développement économique. Il s'agit d’un groupe d’économies extrêmement vulnérables et fragiles d’un point de vue structurel. Pour sortir du groupe des PMA, un pays doit atteindre un certain niveau sur les plans du RNB par habitant, des ressources humaines (à partir d’un indicateur de santé et d’éducation) et de l’indicateur de vulnérabilité économique. En 2018, le groupe des PMA rassemblait 47 pays. Il convient de souligner que depuis la création de ce statut en 1971, cinq pays seulement en sont sortis : le Botswana, le Cabo Verde, les Samoa, la Guinée équatoriale et les Maldives. En revanche, le nombre de pays sur la liste a doublé depuis sa création. Ce résultat montre qu’il ne suffit pas de mesurer le RNB ou le PIB pour rendre compte du développement dans toute sa complexité. Certains résultats économiques peuvent ne pas être aussi linéaires que les trajectoires économiques. Ainsi, Kuznets (1955[3]) a décrit le rapport entre le revenu par habitant et l’inégalité : l’inégalité commence par s’accroître avec le développement, puis se réduit quand un certain seuil est franchi.
Les progrès sociaux et environnementaux ne sont pas aussi faciles à mesurer. Comme le démontre le chapitre 3, le développement emprunte des voies très diverses. En 1934, Simon Kuznets, l’architecte du système de comptabilité national américain, mettait d’ailleurs déjà en garde contre la tendance à associer la croissance du PIB au bien-être économique ou social (Costanza et al., 2009[4]). En 2008, la Commission Stiglitz-Sen-Fitoussi, créée sur proposition du président français de l’époque, Nicolas Sarkozy, s’est attachée à réévaluer les limites d’un indicateur de développement fondé sur le PIB. Ses travaux concluaient à la nécessité de créer un indicateur multidimensionnel et comparable à l'échelle internationale (Stiglitz, Sen et Fitoussi, 2008[5]). L’indicateur du vivre mieux de l’OCDE s’attache à évaluer le progrès social à l’aune du bien-être au sein des pays. Cette initiative reflète le besoin de recueillir des statistiques à la fois subjectives et objectives pour définir des politiques qui améliorent la qualité de vie.
Le développement a également à voir avec la durabilité environnementale et la capacité à utiliser, gérer et préserver les ressources de façon pérenne. Au départ plutôt basses, les émissions de dioxyde de carbone (CO2) dans les premiers pays qui se sont industrialisés ont augmenté à mesure que la production se développait. Avec le changement climatique, il est devenu évident que le développement devait renouer avec une faible production de carbone pour éviter une catastrophe. Reste à savoir comment les pays actuellement en développement peuvent gérer les contraintes environnementales. Les questions d’environnement ne se cantonnent plus à des problèmes à l’échelle d’un pays ou d’une zone spécifique. Aucun recoin de la Planète n’est aujourd’hui épargné par cet enjeu global. D’ailleurs, le modèle d’émissions dans les pays émergents ne correspond pas forcément aux prévisions. En effet, on pouvait s’attendre à un rapport en U inversé entre PIB par habitant et émissions de CO2 : à mesure qu’un pays s’enrichit, ses émissions augmentent, jusqu’à atteindre un point où il commence à investir dans des activités à faible taux d’émissions de carbone. On a pu y voir une sorte de « courbe environnementale de Kuznets », en référence à la corrélation qu’il avait initialement mise au jour entre le revenu par habitant et les inégalités. Mais nous en savons peu sur cette relation dans les faits. Le graphique 5.1 décrit la relation entre PIB par habitant et émissions de CO2, et semble indiquer que dans les BRIICS (Brésil, Fédération de Russie [ci-après dénommée « Russie »], Inde, Indonésie, Chine et Afrique du Sud) et aux États‑Unis, l’intensité des émissions s’est réduite de façon constante depuis 1990.
Face à la complexité des interactions entre les dimensions économique, sociale et environnementale, les pays peuvent emprunter des trajectoires variées pour se développer. Une telle diversité est encore accentuée par la manière dont les pays font face aux défis mondiaux.
Les pays sont confrontés à des défis similaires sur la voie du développement
La transformation de la géographie économique et l’avènement rapide de nouvelles technologies ont modifié le contexte global du développement. Mais les risques auxquels ont été confrontés les premiers pays qui se sont industrialisés existent encore aujourd’hui. En se basant sur plusieurs sources, on constate que les principaux défis d’avenir à l’échelle mondiale se situent sur deux grands axes : risques économiques et préservation de la cohésion sociale (tableau 5.1) ((McKinsey (2016[7]) ; National Intelligence Council (2017[8]) ; Initiative de l’OCDE relative aux Nouvelles approches face aux défis économiques, 2013-18 ; The Economist Intelligence Unit (2018[9]) ; Forum économique mondial (2018[10])). En l’absence d’une solution simple ou standard, les économies émergentes d’aujourd’hui doivent donc encore prendre en compte ce type de risques.
Tableau 5.1. Les pays doivent faire face à des défis économiques et sociaux séculaires
Défis économiques ralentissement de la croissance du PIB mondial, risque d’une nouvelle crise financière montée du protectionnisme, recul du commerce international, vulnérabilité face aux chaînes de valeur mondiales fractionnement du système de gouvernance mondiale qui permet les échanges économiques et la croissance |
Défis sociaux accroissement des inégalités, recul de la cohésion sociale rapidité de la croissance démographique, urbanisation, migrations internationales extrême pauvreté, insuffisance de la protection sociale, accès aux soins de santé pollution localisée, logement, qualité de l’air |
Défis économiques
Les premiers pays qui se sont industrialisés se sont développés sur fond de progrès technologiques et d’évolutions sociétales. Toutefois, ce développement ne s’est pas fait sans risques économiques, qui ont mis en péril la stabilité politique et macroéconomique. Ainsi, la longue dépression aux États-Unis et en Europe entre 1873 et 1896, puis le crash de 1929, ont sapé les périodes de croissance relativement exceptionnelle qui avaient précédé. Cela a abouti à des évolutions, par exemple, dans la gestion commerciale et macroéconomique. Des leçons ont été tirées en matière de protectionnisme commercial et de gestion du risque global.
La transformation de la géographique économique, l’offre et la demande de ressources naturelles, la pression en faveur de la mondialisation et l’importance donnée au système multilatéral, ont tous joué un rôle dans la façon dont la géopolitique mondiale s'est structurée depuis la Seconde Guerre mondiale. Comme par le passé, le système de gouvernance mondiale a été mis à rude épreuve. Il a fallu plusieurs décennies pour que le monde retrouve les taux migratoires et commerciaux atteints dans les années 1920, par exemple.
Aujourd’hui, les économies émergentes doivent encore faire face à des risques économiques, à l’heure où plane la menace d’une nouvelle crise financière. Le dernier pic de croissance et de convergence enregistré dans les années 2000 a en effet fait place à une récession majeure en 2008-09. Malgré un ralentissement de la croissance du PIB et du commerce international ces dernières années, il y a des raisons d’être optimiste, avec l’émergence de nouveaux pôles de croissance de la production et le renforcement des liens Sud-Sud (FMI (2018[11]) ; OCDE (2018[12])).
Les risques économiques continueront toutefois à mettre les pays à l’épreuve. Des doutes persistent quant à la stabilité de l’architecture financière mondiale et la perspective d’une nouvelle crise financière majeure. La chute des taux d’intérêt mondiaux a favorisé la reprise économique après la crise de 2008-09, mais on s’inquiète aujourd’hui de savoir si cette reprise résistera quand ces taux d’intérêt auront retrouvé leur niveau habituel. En outre, la montée du protectionnisme commercial a affaibli le commerce mondial, fragilisant les pays ayant des liens et des intérêts dans les chaînes de valeur mondiales.
Il est important de souligner que les grandes économies (G20) ont élaboré une réponse coordonnée à la crise en 2008 et 2009 (G20 (2008[13]), (2009[14])). Quant aux pays en développement, ils ont utilisé leurs réserves et leur marge de manœuvre budgétaire pour résister à la crise. Dans le contexte actuel, marqué par les discours sur le protectionnisme et le multilatéralisme, il semble beaucoup moins probable que les pays apporteraient une réponse coordonnée et coopérative à une nouvelle crise.
Défis sociaux
Dans les premiers pays qui se sont industrialisés, la croissance s’est heurtée à une hausse des inégalités, des tensions en matière de cohésion sociale et une pression démographique, avec l’arrivée sur le marché du travail d’une jeunesse relativement plus importante en nombre que les générations précédentes, une urbanisation effrénée et une vague d’immigration portée par la quête d’une vie meilleure. Chacun de ces défis a été affronté avec de nouvelles politiques et une capacité de résilience : les systèmes fiscaux ont été redéfinis, les villes reconstruites et agrandies pour accueillir davantage de populations, les systèmes de santé et d’éducation ont été réformés, et la priorité a été donnée à la sécurité.
Les économies émergentes font aujourd’hui face à des défis similaires. Dans de nombreux pays, les inégalités se creusent dans un contexte de croissance rapide (Alvaredo et al., 2017[15]). Nombre de pays connaissent une urbanisation rapide. Dans les 30 prochaines années, les pressions démographiques seront particulièrement fortes en Asie du Sud, en Asie du Sud-Est et en Afrique subsaharienne, où une jeunesse innombrable exercera une pression sur les villes, les marchés du travail et les migrations internationales. Depuis le milieu des années 2000, la plus grande partie de la population mondiale vit en zone urbaine, mais ce n’est pas le cas partout. Tandis que l’Amérique latine s’est rapidement urbanisée dans les années 1980 et 1990, les populations restent avant tout rurales en Asie et en Afrique. En outre, tandis que les taux d’émigrants internationaux par rapport aux populations d’origine sont relativement élevés en Amérique latine et dans les Caraïbes (5.8 %), ils restent les plus faibles du monde en Afrique subsaharienne (2.5 %) et en Asie du Sud (2.1 %), ce qui implique que la croissance démographique pourrait provoquer des basculements spectaculaires dans ces régions (UNDESA (2017[16]), (2017[17])).
Les pays émergents devront aussi faire face à une méfiance croissance à l’égard de la gouvernance. Cette tendance inclut par exemple la hausse du scepticisme envers la mondialisation, notamment au sein des classes moyennes. Ce sentiment de défiance pourrait certes être nourri par les évolutions technologiques, comme lors de la première révolution industrielle, mais c’est souvent une réticence généralisée envers les importations de produits et les investissements directs étrangers, accusés de nuire à la sécurité du travail et à l’égalité, qui prévaut.
Les progrès technologiques et le multilatéralisme sont des catalyseurs de développement
Les risques décrits ci-dessus ne sont ni isolés ni mutuellement exclusifs. Ils peuvent s’entrecroiser, augmenter leurs effets, voire générer de nouvelles menaces. Ainsi, le protectionnisme et l’affaiblissement de la gouvernance mondiale peuvent fragmenter le système mondial et aboutir à un ralentissement de la croissance du PIB. Les pressions sociales et démographiques ont poussé les gouvernements à engager des mesures protectionnistes, accentuant ainsi l’isolement des pays et l’effritement de la croissance économique mondiale (OMC, 2018[18] ; Evenett et Fritz, 2018[19]). Un tel ralentissement mondial peut entraîner une réduction des emplois, qui à son tour alimente d’autres déséquilibres sociaux.
Les pays n’affrontent plus de la même façon les enjeux économiques, sociaux et environnementaux du développement. Cela est en partie dû aux évolutions des paradigmes mondiaux du développement, qui ont influencé les responsables politiques et le flux de financement du développement. Par ailleurs, les enjeux sont devenus plus complexes, face à la hausse des contraintes sur le plan national. Le contexte n’était pas le même lors de la première révolution industrielle, ni pour des pays comme la Corée ou la Chine qui se sont industrialisés après la Seconde Guerre mondiale.
Pour les économies émergentes d’aujourd'hui, la question de la gouvernance mondiale est devenue essentielle. Alors que le multilatéralisme est actuellement mis à rude épreuve, il est frappant de penser à l’importance qu’a revêtue la coopération multilatérale lors de la première révolution industrielle, en termes de commerce, de paix, de sécurité, de migration ou d’investissement. Ce constat vaut également pour les progrès technologiques, qui étaient certes perçus comme une source de tension sociale, mais qui se sont avérés avantageux en termes de développement. Cela ne veut pas dire que la gouvernance mondiale et les nouvelles technologies aboutiront automatiquement aux meilleurs résultats de développement pour les nouvelles économies émergentes. En réalité, le contexte environnemental et technologique à l’échelle mondiale a tellement évolué que les économies émergentes font face à des défis que la plupart des premiers pays qui se sont industrialisés n’ont pas connus, et les enseignements tirés du passé n’offrent pas forcément de clés pour l’avenir.
Le développement est plus que jamais mis à l'épreuve
Les pays en développement doivent aujourd’hui faire face à des défis inédits, qui ne faisaient pas partie de l’équation lors de la première vague d’industrialisation ou de l’industrialisation récente. Ces défis sont d’ordre technologique, social, environnemental et économique (tableau 5.2).
Tableau 5.2. Nouveaux défis mondiaux
Nouveaux défis technologiques • transformation numérique et automatisation • révolution des nouveaux matériaux • révolution biotechnologique • risques de cyber-attaques. |
Nouveaux défis sociaux • poursuite de la croissance démographique rapide dans nombre de pays en développement vs. vieillissement rapide de la population dans d’autres • augmentation des risques de pandémies en raison des déplacements internationaux plus nombreux et rapides • accroissement de la mobilité, risque de « fuite des cerveaux ». |
Nouveaux défis environnementaux • changement climatique • pollution et qualité de l’air • épuisement des ressources naturelles, de l’eau en particulier • augmentation des catastrophes liées aux phénomènes météorologiques extrêmes. |
Nouveaux défis économiques • limitation accrue de l’environnement économique international sous l’effet des règlementations mondiales • accélération des changements économiques en raison de l’avancée de la mondialisation et du renforcement des interdépendances entre les pays. |
Sources : Compilation des auteurs à partir de différentes sources, notamment : McKinsey (2016[7]), Urban world: Meeting the demographic challenge, https://www.mckinsey.com/~/media/McKinsey/Featured%20Insights/Urbanization/Urban%20world%20Meeting%20the%20demographic%20challenge%20in%20cities/Urban‑World‑Demographic‑Challenge_Full‑report.ashx ; National Intelligence Council (2017[8]), Global trends. Paradox of progress, https://www.dni.gov/files/documents/nic/GT‑Full‑Report.pdf ; Initiative de l’OCDE relative aux Nouvelles approches face aux défis économiques (2013‑2018) ; EIU (2018[9]), Cause for concern? The top 10 risks to the global economy ; WEF (2018[20]), The Global risks report 2018, 13th edition, http://www3.weforum.org/docs/WEF_GRR18_Report.pdf.
La technologie perturbe les trajectoires du développement
Les progrès technologiques ont alimenté de nombreuses autres tendances comme la croissance économique et la mondialisation, ainsi que la pression environnementale. Ils sous-tendent également la hausse de la productivité, la baisse des coûts de transport et de communication, la diversification des produits et des services, le renouvellement des sources d’énergie et les progrès en matière de santé et d’espérance de vie. Avec les remarquables avancées du numérique, de la biotechnologie et de la nanotechnologie, on peut aujourd’hui collecter et exploiter des données sur tout et n’importe quoi. Ces technologies permettent aussi la création de nouveaux matériaux, qui ont des répercussions profondes sur les interactions économiques et sociales (Rothkopf, 2017[21])
Nous serions face à la « quatrième révolution industrielle », d’après le Forum économique mondial (Schwab, 2015[22]). On assiste notamment à des progrès dans les domaines de l’automatisation, l’intelligence artificielle, l’analyse des mégadonnées, la technologie des chaînes de bloc, l’Internet des Objets et l’impression 3D. Cela a des répercussions sur les pays en développement, en termes de marché du travail (pressions accrues sur les revenus des emplois non qualifiés et sur les exigences en matière de compétences), de capacité de concurrence, de localisation des activités économiques et des questions de confidentialité et de sécurité (OCDE, 2017[23]).
Technologies de mégadonnées
Il n’existe pas à l’heure actuelle de consensus sur la définition du terme « mégadonnées » (big data), mais ses caractéristiques sont souvent décrites avec trois « V » : volume, vitesse (à laquelle sont créées, traitées et stockées les données) et variété (du type de données) (Laney, 2001[24]). On y a récemment ajouté deux autres V, pour « véracité » et « volatilité ». La véracité évoque la difficulté à obtenir des données qui aient à la fois de la valeur et une validité, en raison de ce que l’on appelle le « bruit » des données. Quant à la volatilité, elle se réfère à l’évolution constante de la technologie et des activités économiques. Contrairement aux données statistiques, qui sont compilées à des fins spécifiques, les mégadonnées sont un produit dérivé des systèmes administratifs, des réseaux sociaux, ou des objets connectés. Il s’agit de la capacité croissante à générer, gérer, analyser et synthétiser des données pour créer ou détruire différentes formes de valeur. Par exemple, grâce aux mégadonnées, une entreprise peut augmenter sa capacité à comprendre et à cibler ses clients, en obtenant un aperçu détaillé de leurs préférences, de leurs valeurs et de leur comportement.
La portée des mégadonnées sur tous les fronts, ainsi que les compétences académiques et technologiques nécessaires pour leur donner une application, constituent un enjeu majeur pour de nombreux pays. Toutefois, dans les pays en développement notamment, le manque de connectivité et de capacités de stockage et de traitement rend impossible la gestion efficace d’un volume même relativement limité de données (Taylor, 2013[25]). Faute des capacités techniques suffisantes, les pays en développement ne sont pas en mesure de tirer entièrement parti des mégadonnées, qui ouvrent pourtant en permanence de nouvelles perspectives, en matière de capacité de prédiction des oléoducs, par exemple, d’anticipation des catastrophes ou de réactivité. Or, l’application la plus frappante du big data concerne justement l’amélioration de la capacité de réaction d'un pays. Au lendemain du tremblement de terre au Népal en 2015, par exemple, le personnel de secours a pu recueillir des données issues des drones déployés sur la zone et travaillant à partir de cartes imprimées en 3D, pour faire parvenir des vivres aux survivants et cartographier les efforts de reconstruction (Sharma, 2016[26]).
Internet des Objets
Le terme « Internet des Objets », qui concernait au départ la gestion de la chaîne logistique, a évolué pour devenir un mot clé couvrant un vaste éventail d’applications intelligentes et interconnectées, dans le domaine des transports, des soins de santé ou encore des services collectifs. Cela ouvre de très nombreuses perspectives pour les pays en développement : de la réduction des accidents de la route grâce aux systèmes de conduite intelligente à une amélioration de la prise en charge sociale pour les personnes défavorisées (Miazi et al., 2016[27]).
Cependant, à mesure que les objets gagnent en « intelligence » et en interconnexion, des questions se posent en termes de sécurité et de respect de la vie privée. Ces appareils peuvent devenir la cible de hackers et de cyberattaques lancées depuis le monde entier. Les pompes à eau, les centrales électriques et les réseaux d’électricité peuvent être détournés ou désactivés depuis l’extérieur, paralysant ainsi des processus essentiels, aussi bien pour la société que pour l’économie. Ces menaces peuvent s’accentuer si le personnel n'est pas doté des compétences adéquates ou si la fourniture en énergie n'est pas suffisante pour faire face à la demande croissante d’objets interconnectés.
Technologie des chaînes de bloc
Les chaînes de bloc (blockchain) utilisent des informations protégées par cryptographie (techniques utilisées pour sécuriser la communication) et stockées sur un réseau décentralisé. Cette technologie pourrait elle aussi venir ébranler l’économie mondiale. D’ici 2027, 10 % du PIB mondial sera stocké sur des chaînes de bloc, contre 0.025 % en 2015 (FEC, 2015[28]). Pour les pays en développement, cette technologie sécurisée présente de nombreux avantages. Elle contribue par exemple à réduire la corruption et la fraude en permettant un financement du développement sans intermédiaires. Le Programme alimentaire mondial teste actuellement des systèmes de transfert de fonds en espèces basés sur les chaînes de bloc dans les camps de réfugiés au Pakistan et en Jordanie. Ainsi, en octobre 2018, plus de 100 000 réfugiés avaient déjà utilisé ce système pour retirer leur aide financière. Cela a permis de conserver une trace sécurisée de ces transactions en interne et de réduire le coût des transactions, tout en garantissant aux réfugiés une plus grande confidentialité (WFP, 2018[29]).
Les chaînes de bloc améliorent aussi l’efficacité des échanges commerciaux et du financement de la chaîne d’approvisionnement, et l’exécution des contrats ou des droits de propriété. Toutefois, certains obstacles empêchent encore les pays en développement de bénéficier pleinement de cette technologie. Citons par exemple la faiblesse de l’infrastructure numérique, la haute consommation d’énergie des serveurs, ou encore les lacunes en termes de réglementation (Kshetri, 2017[30]).
La croissance démographique sans précédent et la hausse des risques de pandémies font naître de nouveaux défis sociaux
L’évolution des tendances de croissance démographique pose de nouveaux défis sociaux. Après la Seconde Guerre mondiale, les progrès réalisés en matière de médecine préventive et la généralisation des pratiques de santé et d’assainissement ont abouti à un déclin rapide des taux de mortalité et à une hausse parallèle de la population. La main-d’œuvre a aussi rapidement augmenté. Alors que la croissance démographique s’est ralentie dans les pays développés, elle a continué à augmenter dans la plupart des régions en développement.
Aujourd’hui, dans une grande partie du monde développé et certains grands pays en développement comme le Brésil, la Chine, la Russie et le Viet Nam, le ralentissement de la croissance de la population et de la population active est asymétrique. Dans les pays en développement, au contraire, la population et la population active continuent d’augmenter rapidement. C’est notamment le cas en Afrique, où la croissance économique s’est considérablement ralentie ces dix dernières années, tandis que la croissance démographique devrait rester largement supérieure à la moyenne mondiale d’ici 2100. En 2030, la part de l’Afrique dans la population mondiale devrait se situer aux alentours de 19 %, contre 16 % en 2015 (ONU, 2017[31]).
Ces asymétries de croissance démographique posent de nouveaux défis aux pays concernés par un vieillissement rapide de la population, comme le Japon, la plupart des pays européens, mais aussi la Chine. Cela provoque aussi des tensions dans les pays où la population active augmente bien plus vite que le nombre d’emplois productifs, comme la plupart des pays d’Afrique et d’Asie du Sud. Cette asymétrie accentue aussi le nombre de migrants venant de pays présentant une population en hausse et des perspectives d’emploi limitées, vers des pays dont la population est en baisse et qui offrent de meilleures conditions de vie.
Un autre défi social tient au plus grand risque de pandémies, résultant de l’augmentation des mouvements de populations entre les pays. On a ainsi attribué la propagation entre 2014 et 2016 de l’épidémie d’Ébola en Afrique de l’Ouest et au-delà à une mobilité transfrontalière sans précédent (PNUD, 2014[32]). Les pandémies ont toujours existé, mais elles se propagent aujourd’hui plus vite, en raison de la plus grande mondialisation, de l’accélération des déplacements et de la taille croissante des agglomérations. Cette menace accrue concerne tout autant les pays en développement que les pays développés (Campbell, 2017[33]).
La pression environnementale accrue sur toute la Planète appelle à l’action dans tous les pays
Le principal défi environnemental est le changement climatique, reconnu dans presque tous les pays du monde, notamment dans l’Accord de Paris signé en décembre 2015. Cependant, l’engagement des pays à l’échelle nationale n’est pas suffisant pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de façon à maintenir la hausse des températures mondiales en deçà de l’objectif fixé des 2 °C. Le retrait des États-Unis de cet accord en 2017 amoindrit un peu plus les perspectives de réalisation.
Si le changement climatique est une menace à long terme, c’est bel et bien aujourd’hui qu’il faut agir. Il entraîne des effets à court terme, comme des phénomènes météorologiques extrêmes (ouragans, inondations, sécheresses), dont la fréquence a nettement augmenté ces 40 dernières années (EASAC (2013[34]) ; Swiss Re (2018[35])). Cela place les populations et les économies à la merci de la grande volatilité des récoltes et des oscillations imprévisibles de prix agricoles. Les pays les plus pauvres ont une capacité encore plus limitée à y faire face.
La pollution et l’épuisement des ressources naturelles sont d’autres défis environnementaux. Tant que les pays n’engagent pas de mesures dans ce sens, l’industrialisation continuera à accentuer la pollution de l’air, de l’eau et du sol. La déforestation et l’épuisement des ressources en eau douce posent des problèmes majeurs dans les pays en développement, dont la croissance repose essentiellement sur l’extraction des ressources naturelles.
L'environnement économique mondial a changé
Les premiers pays qui se sont industrialisés, ainsi que ceux qui se sont développés au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, évoluaient dans un contexte mondial différent en termes de politiques, de règles et de normes industrielles. Ces pays avancés menaient en effet des pratiques industrielles et commerciales qui sont aujourd’hui bannies par l’Organisation mondiale du commerce (OMC), tout comme certaines dispositions des accords régionaux et bilatéraux de commerce et d’investissement. C’est le cas de la protection des industries émergentes à travers des taxes à l’importation, de vastes subventions publiques, des règles relatives au contenu local, des réserves de marché et de la priorité donné aux sociétés nationales dans les marchés publics (Chang, 2002[36]). Ainsi, lors de leur première phase de développement, les pays aujourd'hui avancés d’Europe de l’Ouest et les États-Unis prélevaient des droits de douane élevés sur les produits manufacturés. Ils ont même continué quand ils devançaient leurs concurrents (Bairoch, 1993[37]).
L’irruption rapide et massive de la Chine sur la scène économique mondiale et l’essor des nouvelles technologies bouleversent également l’environnement économique. La Chine a occupé une grande partie de l’espace alloué aux exportations de produits à forte intensité de main-d’œuvre, qui avaient si fortement contribué au développement du Japon, de Hong-Kong (aujourd’hui Hong-Kong [Chine]), de la Corée, de Singapour et du Taipei chinois. Parallèlement, l’essor rapide des technologies d’automatisation est en train de mettre à mal l’avantage des pays en développement en termes de bas coûts de main-d’œuvre. Les pays en développement doivent donc trouver de nouveaux moteurs de croissance.
Par ailleurs, au rythme de la mondialisation des échanges commerciaux et financiers, du transport et des déplacements, des communications et des technologies numériques, les évènements s’accélèrent et peuvent avoir un impact sans précédent à l’autre bout du monde. Dans ce contexte, les pays doivent être en mesure de s'adapter rapidement pour faire face à des évènements comme les crises financières ou la forte concurrence exercée par d’autres régions du monde.
Les défis sont liés entre eux
Faute d’une réponse adéquate, ces défis menacent la capacité des pays à poursuivre leur progression sur la voie du développement durable et peuvent faire avorter les stratégies de développement définies à l’échelle nationale. D’un côté, chaque défi doit être étudié à part pour en comprendre les tenants et les aboutissants, et élaborer des mécanismes d’intervention à même d’en contrer les effets négatifs. Ainsi, malgré des prévisions relativement précises concernant la hausse des températures et des précipitations d’ici la fin du XXIe siècle, on sait encore peu de choses sur la variabilité temporelle et spatiale des évènements. Les pays où le secteur agricole est prépondérant doivent adapter leurs cultures à des conditions climatiques plus extrêmes.
De l’autre, tous les défis sont intrinsèquement liés. Ils se renforcent ou se compensent mutuellement. Pour trouver des réponses appropriées, il faut donc adopter une approche globale et systémique. Malgré tous les risques qui y sont associés, la technologie sera amenée à jouer un rôle dans la résolution de ces menaces.
En 2018, un milliard de personnes sont encore déconnectées du réseau électrique et n’ont pas accès à des sources d’énergie fiables dans les pays en développement. Par ailleurs, près de trois milliards de personnes dépendent du bois et de la biomasse pour cuisiner et se chauffer (Banque mondiale, 2018[38]). La pollution de l’air intérieur et extérieur qui en résulte accentue le changement climatique et coûte la vie à des millions de personnes chaque année. Les systèmes de paiement mobile basés sur l’intelligence artificielle, comme M-Pesa, facilitent l’obtention de crédits destinés à l’achat de panneaux solaires, ce qui peut améliorer les conditions de chauffage et atténuer le changement climatique.
Dans les économies en développement, notamment dans certaines régions d’Asie, du Moyen-Orient et d’Afrique, l’agriculture, l’industrie et la production énergétique souffriront de la pénurie d'eau. La hausse des températures sous l’effet du changement climatique augmentera aussi l'aridité des terres et réduira la productivité du travail, accentuant ainsi les problèmes sociaux. Les nouvelles technologies peuvent soulager les contraintes imposées par le changement climatique et les pénuries d’eau grâce aux systèmes d’irrigation intelligente.
De telles solutions nécessitent toutefois une stratégie de développement bien définie, reposant sur des efforts communs des gouvernements et de la société civile, avec le soutien des partenaires internationaux et du secteur privé, afin de surmonter les obstacles techniques et institutionnels.
Qu'impliquent de tels défis pour les stratégies de développement ?
Les tendances décrites ci-dessus demandent d’adapter les stratégies de développement pour obtenir de véritables progrès en termes de qualité de vie. Cette section se penche sur les défis en matière de technologie, d’environnement, de démographie et de gouvernance mondiale auxquels doivent répondre les stratégies de développement, avant d’examiner dans quelle mesure les stratégies nationales prennent en compte ce type de défis.
Les technologies de rupture remettent en cause des stratégies de croissance qui avaient fait leurs preuves, mais ouvrent aussi de nouvelles perspectives
Le développement et la généralisation de nouvelles technologies de production soulèvent de nombreuses interrogations (Dahlman, 2017[39]). Plusieurs facteurs entrent en jeu pour déterminer le caractère perturbateur de ces technologies, en particulier la vitesse à laquelle elles se développent, se généralisent et impactent la production et l’utilisation de biens et de services. Une étude sur la diffusion de 15 technologies dans 166 pays au cours des 200 dernières années a par exemple conclu qu’il faut en moyenne 45 ans pour que les pays adoptent les nouvelles technologies (Comin et Hobijn, 2010[40]). Ce chiffre varie en fonction des pays et du type de technologies. Mais les technologies les plus récentes, comme le téléphone portable, se répandent bien plus rapidement et sont adoptées de façon bien plus générale que leurs ancêtres comme la vapeur ou les moteurs alternatifs utilisés sur les navires, les trains et les voitures.
Les facteurs qui influencent les nouvelles technologies constituent à la fois des menaces et des opportunités. Avec l’automatisation et les nouvelles technologies de production, par exemple, les coûts de main-d’œuvre représentent une part plus petite des coûts totaux. La main-d’œuvre bon marché est donc plus difficilement un facteur de compétitivité et les pays en développement ne sont concurrentiels que dans des secteurs où la main-d’œuvre bon marché reste un atout. C’est notamment le cas des marchés intérieurs et régionaux qui ne sont pas encore exposés à la concurrence internationale.
Par ailleurs, l’écosystème nécessaire à l’utilisation de nouvelles technologies comme l’Internet des Objets et l’Industrie 4.0 est de plus en plus exigeant. Les écosystèmes technologiques de demain demanderont entre autres une logistique bien développée, une connectivité à haut débit, une infrastructure de pointe, des compétences spécialisées et des normes spécifiques, autant d’éléments impliquant une capacité qui fait défaut à nombre de pays en développement. Certaines technologies, utilisées dans les pays développés depuis de nombreuses années, ne sont pas courantes dans les pays en développement. C’est le cas de l’accès haut débit fixe. De façon plus générale, les pays en développement ont des systèmes d’innovation fragiles.
Les services, fournis pour la plupart par l’économie numérique, occupent une part de plus en plus importante de la production et de la consommation. Les pays en développement doivent donc améliorer l’étendue et la compétitivité de leur secteur tertiaire. Cependant, la plupart des services impliquent un haut degré de compétences et des infrastructures de pointe, dont sont souvent dépourvus les pays en développement.
Le capital humain reste faible dans les pays en développement. On y observe des lacunes en termes de niveau d’instruction et de qualité de l’enseignement. De même, les compétences spécialisées nécessaires pour adopter, adapter ou développer de nouvelles technologies sont souvent inexistantes (Banque mondiale, 2018[41]). Les pays en développement n’ont pas les ressources suffisantes pour prendre en charge les travailleurs remplacés par les nouvelles technologies. De nombreuses économies en développement sont actuellement en phase de transition, depuis les secteurs primaire et secondaire, vers le secteur des services. Par ailleurs, nombre d’entre elles connaissent une hausse de la population active, pour laquelle il n’est pas facile de trouver des emplois productifs.
Il semble que le paradigme de croissance traditionnel dans les pays en développement, basé sur des exportations de produits manufacturés à forte intensité de main-d’œuvre, a atteint sa limite (Hallward-Driemeier et Nayyar, 2017[42]). Cette tendance est accentuée par la mondialisation et la bonne performance de la Chine en termes de production et d’exportations. En 2015, la Chine représentait plus de 50 % de l’emploi manufacturier mondial, 25 % de la production manufacturière mondiale et 13 % de l’ensemble des exportations de marchandises dans le monde. En outre, la Chine est en train d’adopter rapidement la robotique et devrait être, d’ici 2020, le premier pays du monde en termes de robots installés (Hallward-Driemeier et Nayyar, 2017[42])
La part de la valeur manufacturière ajoutée (dans le PIB) et la part de l’emploi manufacturier (dans l’emploi total) représentent aujourd'hui des niveaux plus bas du revenu par habitant (Rodrik, 2015[43]). Par ailleurs, le super-cycle des matières premières, qui avait stimulé la croissance des pays en développement exportateurs de ressources naturelles, est arrivé à terme. Il leur faut donc trouver de nouveaux moteurs de croissance et de développement.
L’automatisation et son impact sur le travail de demain ne concernent pas seulement les pays en développement. McKinsey (2017[44]) a analysé les répercussions que pourraient avoir sur l’emploi les technologies d’automatisation, notamment l’intelligence artificielle et la robotique. D’après les conclusions de cette étude, tandis que la moitié des emplois dans le monde pourraient techniquement être automatisés en adaptant les technologies aujourd’hui éprouvées, la part des emplois réellement supprimés d’ici 2030 devrait être inférieure aux prévisions, en raison de facteurs techniques, économiques et sociaux qui nuiraient à l’adoption de ces technologies (McKinsey, 2017[44]).
La proportion d’automatisation varie selon les pays. Dans les pays avancés où les salaires sont plus élevés, l’automatisation présente plus d’avantages que dans les pays en développement.
Face à la prédominance de la robotique dans des secteurs situés sur un échelon supérieur en termes de compétences, les derniers arrivés ont plus de mal à revaloriser leur secteur. Cela peut limiter la portée de leur industrialisation à des secteurs de production offrant de plus bas salaires et moins dynamiques (en termes de croissance de la productivité), comme le textile et le prêt-à-porter. Cela peut même étouffer le rattrapage économique de ces pays, en faisant stagner leur productivité et la croissance de leur revenu par habitant (CNUCED, 2017[45]). Toutefois, les perspectives sont plus optimistes pour les pays d’Europe centrale ; à l’instar des pays les plus robotisés (graphique 5.2), ils ont réussi à relever le défi du revenu intermédiaire pour accéder récemment à la catégorie supérieure de revenu.
Les pays en développement ont des expériences variées avec l’automatisation. L’Inde a un potentiel plus modeste d’automatisation en raison de ses salaires relativement bas. Cependant, le pays doit aussi relever le défi de trouver des emplois productifs pour sa population active, qui devrait augmenter de 138 millions de personnes d’ici 2030 (McKinsey, 2017[46]).
La Chine est plus susceptible de tirer parti de l’automatisation, étant donné que les salaires y ont augmenté plus vite que dans d’autres pays, réduisant ainsi sa compétitivité dans le secteur manufacturier. La substitution de travailleurs chinois par des robots se fait rapidement et la Chine a déjà la plus grande base de robots installés du monde (Hallward-Driemeier et Nayyar, 2017[42]).
On estime que 118 millions d’emplois seront supprimés en Chine avec la mise au point et le déploiement des technologies d’automatisation. Cependant, la courbe de tendance et l’évolution structurelle de l’économie chinoise pourraient créer 231 millions d’emplois dans le pays (McKinsey, 2017[46]). Tandis que le nombre de travailleurs employés dans le secteur manufacturier devrait légèrement augmenter, la plus grande partie des emplois devrait être créée dans le secteur des services, notamment l’hébergement et la restauration, les soins de santé, le commerce de détail et la vente en gros.
La population active devrait diminuer de 90 millions de personnes en Chine d’ici 2040, en raison du vieillissement de la population (Banque mondiale, 2015[47]). Face à cette probable pénurie de main-d’œuvre, l’automatisation pourrait donc être positive en Chine, contrairement à la plupart des autres pays en développement. Cependant, la Chine pourrait avoir le plus grand nombre de travailleurs contraints de changer d’emploi, jusqu’à 12 % de la population active, dans un scénario de transition rapide à l’automatisation. Par conséquent, un défi majeur sera de promouvoir le recyclage professionnel et le développement de compétences, tout en garantissant la prise en charge des travailleurs pendant cette période de transition. De façon plus générale, la Chine doit maintenir une croissance économique solide pour garantir la création d’emplois, tout en améliorant le dynamisme et la mobilité sur le marché du travail.
Certaines nouvelles technologies sont susceptibles d’améliorer la compétitivité des pays en développement et de pallier les principaux problèmes sociaux. Mais il n’est pas toujours évident de tirer parti de ces nouvelles technologies. Dans nombre de pays, l’écosystème industriel est dépourvu des éléments de soutien nécessaires pour s’engager dans une automatisation complète propre à l’Industrie 4.0.
Les pays en développement peuvent souvent adopter certains éléments des nouvelles technologies et les adapter aux besoins les plus pressants dans les différents secteurs de leur économie. C’est le cas du recours à l’impression 3D pour surmonter les contraintes d’échelle et l’absence de sous-traitants et d’opérateurs logistiques bien développés. Cela peut rapprocher ces pays des chaînes de l’offre mondiale (Ishigoma et Mtaho, 2014[48]). Les pays en développement peuvent également utiliser des robots pour une partie de leur production, sans pour autant opter pour des usines entièrement automatisées.
Les nouvelles technologies comme l’intelligence artificielle et l’Internet des Objets peuvent combler des lacunes de connaissances dans des secteurs clés
Les systèmes d’intelligence artificielle et l’Internet des Objets peuvent combler des lacunes dans la production, l’agriculture et les services.
Dans l’agriculture, les capteurs et les détecteurs électroniques peuvent notamment améliorer l’irrigation au goutte-à-goutte, les récoltes, et la distribution des produits agricoles (Cornell University, INSEAD and WIPO, 2018[49] ; Lee et Choudhary, 2017[50]).
Concernant les services, les nouvelles technologies permettent de surmonter des contraintes dans le secteur financier, énergétique et social. Au sein du secteur financier, Internet a contribué à développer des systèmes de paiement mobile comme M-Pesa au Kenya et en Tanzanie, pour atteindre des personnes sans accès au système bancaire traditionnel. Les populations sous-bancarisées au Bangladesh ont pu obtenir des prêts grâce aux systèmes fonctionnant sur Internet. Les plateformes Web et l’économie du partage, comme Uber dans les transports, AirBnb dans l’hébergement et Taskrabbit dans le travail free-lance, peuvent également être favorables quand le capital est limité ou la main-d’œuvre inadaptée.
Dans le secteur de l’énergie, l’Internet des Objets peut porter l’électricité aux communautés hors réseau, grâce aux centres d’énergie solaire, en Inde et dans plusieurs pays d’Afrique.
Grâce à l’intelligence artificielle, des ballons gonflés à l’hélium et placés en orbite stratosphérique permettent d’élargir l’accès à Internet en Afrique (Simonite, 2015[51]).
Dans le domaine social, Internet et les appareils électroniques permettent à des millions d’utilisateurs dans des pays à bas revenu d’accéder à l’éducation et la formation. Avec les nouvelles techniques de diagnostic et des systèmes d’intelligence artificielle, simples et bon marché, les communautés rurales isolées en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud peuvent avoir accès à des services médicaux.
La mobilisation du savoir peut augmenter la productivité
Il existe de nombreuses façons d'accéder au savoir actuel et de le mobiliser pour renforcer la productivité.
Cirera et Maloney (2017[52]) expliquent que les technologies offrent une occasion formidable pour augmenter la productivité dans les pays en développement, mais que le manque de capacités de gestion au niveau des entreprises reste un obstacle. La productivité du travail dans les pays en développement représente en général moins de 10 % de celle des pays développés. À de rares exceptions (notamment la Chine), l’écart de productivité s'est creusé ces dernières décennies (OCDE, 2014[53] ; Hallward-Driemeier et Nayyar, 2017[42]).
Or, il existe de multiples façons d’accéder aux connaissances mondiales en matière de productivité. Les investissements étrangers peuvent apporter dans le pays des technologies, des techniques de gestion et des modèles d’organisation plus avancés. Les pays en développement peuvent importer des biens de production et des services qui intègrent les nouvelles technologies, acheter des technologies étrangères et obtenir un soutien en matière de gestion. La Chine a par exemple pris les devants dans les fonds de lancement et les brevets en matière d'intelligence artificielle. Sur la seule année 2017, la part de dotation en capital chinois pour l’intelligence artificielle représentait 48 % du total mondial, laissant les États-Unis au deuxième rang, avec 38 % (CB Insights, 2018[54]). Les pays en développement peuvent également compter sur les connaissances, les compétences en gestion et le financement des populations de la diaspora dans les pays plus avancés. Il existe en outre d’autres possibilités, comme partir étudier et travailler à l’étranger, avoir recours à la copie et la rétro-ingénierie, ou encore utiliser l’électronique et d’autres moyens pour accéder aux connaissances techniques et managériales (OCDE, 2014[53]).
Certains pays ont eu plus de succès que d’autres dans l’accès aux connaissances mondiales. Les efforts de la Chine pour accéder aux connaissances ont donné des fruits impressionnants. Cependant, la trajectoire de la Chine n’est pas facile à répliquer, étant donné les particularités de son mode de gouvernance et l’avantage que suppose la taille de son marché.
D’autres pays ont mis au point des stratégies efficaces pour accéder au savoir mondial et répondre aux besoins locaux. C’est le cas de la Corée et de Singapour en Asie, du Chili en Amérique latine et de l’Éthiopie et du Rwanda en Afrique. En outre, de nombreuses nouvelles technologies peuvent répondre aux besoins locaux, y compris dans des pays à faible revenu d’Afrique et d’ailleurs.
Il est essential d’investir dans la formation aux technologies high-tech
La qualité de l’enseignement scientifique et technique est essentielle pour s’engager sur la voie d’un développement reposant sur l’innovation. Pour développer les capacités scientifiques et technologiques, il est nécessaire de soutenir l’enseignement basé sur la recherche et d’encourager la participation des chercheurs au sein des communautés scientifiques et technologiques à l’échelle internationale. Les universités de recherche doivent en outre être capables de transmettre la technologie au monde de l’entreprise, notamment aux PME.
Les liens internationaux sont primordiaux, mais les entreprises doivent être en mesure d’absorber les nouvelles technologies pour tirer au mieux parti du transfert des technologies et de la diffusion des technologies via les investissements directs étrangers, la concession de licences et l’importation de capitaux. Les entreprises ont également besoin de se doter de responsables et d’employés qualifiés, capables de maîtriser les technologies et de les améliorer. La qualité de la formation de la population est donc un pilier du développement, dans tous les domaines. La Chine et l’Inde illustrent bien ce phénomène. La richesse des compétences informatiques et logicielles dans ces deux pays a été essentielle pour en faire des pôles de recherche pour les multinationales américaines et attirer un nombre incalculable d’investissements destinés aux brevets et à la recherche et développement (R-D). Entre 2004 et 2014, les dépenses en R-D des filiales étrangères des multinationales américaines ont quadruplé en Chine et ont été multipliées par 25 en Inde (Branstetter, Glennon et Jensen, 2018[55]).
Combler la fracture numérique est une tactique non négligeable pour réduire les inégalités et encourager un développement inclusif à long terme. L’application et l’adaptation des technologies du XXIe siècle reposent en grande partie sur l’existence d’une infrastructure des technologies de l’information et des communications (TIC), et sur la capacité à y accéder. Cette infrastructure doit être abordable, résiliente et fiable, et relayée par des services efficaces.
Pour rester compétitives sur le marché mondial, les entreprises doivent également pouvoir compter sur des services efficaces dans le domaine des transports, des finances, de l’information, de l’informatique et des télécommunications. Les mesures engagées dans le domaine des services doivent donc trouver un équilibre entre efficacité et création d’emplois.
Le passage à une économie sobre en carbone et résiliente face au changement climatique devient un impératif
Les stratégies de développement peuvent être un outil essentiel dans l’effort mondial pour réduire les émissions à effet de serre et répondre à d’autres défis environnementaux.
Le changement climatique appelle à une action immédiate d’atténuation et d’adaptation. Les décisions de planification adoptées aujourd’hui peuvent ouvrir la voie à une réduction des émissions, une résilience future, ou au contraire retenir les pays dans des schémas à fortes émissions. Si les stratégies de développement adoptées consistent à imiter la façon dont les pays se sont modernisés par le passé grâce à des systèmes d’énergie et des processus industriels gourmands en carbone, il y a de forts risques que les objectifs de l’Accord de Paris restent lettre morte.
La transition vers une économie sobre en carbone nécessitera une nouvelle infrastructure capable de prendre en charge des systèmes électriques décarbonisés, des processus économes en énergie et des systèmes de transport propres et à faibles émissions (OCDE/ONU/Banque mondiale , 2018[56]). Pour ce faire, il faut que les politiques aillent à leur tour dans ce sens et créent les incitations adéquates. Taxer le carbone et réformer les subventions en faveur des combustibles fossiles, par exemple, peut contribuer à modifier les comportements et à réorienter les décisions d’investissement. Il est intéressant de noter que le coût des énergies renouvelables est en baisse, et que de plus en plus de pays intègrent des sources renouvelables à leur bouquet énergétique (AIE, 2018[57]).
Outre ses répercussions positives sur l’environnement, une économie plus verte peut s’avérer efficace en termes de croissance économique et de création d’emplois (OCDE, 2017[58]). La Chine a par exemple reconnu le potentiel formidable du marché des énergies renouvelables et s’attache à devenir leader dans ce domaine. Il faut cependant souligner que les énergies renouvelables se centrent principalement sur l’électricité, qui constitue une part relativement faible (moins de 20 %) de la consommation énergétique mondiale. Il existe encore un fort potentiel de croissance dans les énergies renouvelables appliquées aux secteurs du chauffage et des transports (AIE, 2018[57]).
Les stratégies de développement doivent aussi inclure des mesures pour préparer les pays aux effets du changement climatique. Ces effets touchent de nombreux domaines, comme la sécurité de l’eau et ses risques (lutte contre les inondations, par exemple), les infrastructures (exposition des infrastructures littorales, par exemple), la santé publique (évolution des modèles de maladies infectieuses, par exemple), l’agriculture (rendement du sol, par exemple), la sécurité énergétique, etc.
Étant donné l’incertitude inhérente aux impacts climatiques, les plans d’adaptation doivent être flexibles et adopter une approche itérative de la gestion du risque (OCDE, 2015[59]). Les stratégies de développement doivent prévoir une série de résultats possibles plutôt que de se centrer sur la prévision la plus probable. Elles doivent aussi tirer parti des connaissances au sujet des risques liés au changement climatique à partir d’évaluations nationales.
Les défis démographiques varient d’une région à l’autre
Selon les prévisions générales, l’Europe et certains pays en développement comme le Brésil, la Chine, la Russie et le Viet Nam, devraient voir leur population diminuer. A l’inverse, la plupart des pays d’Afrique, notamment subsaharienne, enregistreront une croissance démographique rapide. La croissance annuelle de la population asiatique est restée sous la moyenne mondiale depuis 2000. Elle était de 1.0 % en 2015 et devrait être négative d’ici 2060. En Afrique, au contraire, la croissance démographique devrait rester largement supérieure à la moyenne mondiale jusqu’en 2100.
Les tendances démographiques, qu’elles soient à la hausse ou à la baisse, sont synonymes de défis. Les pays dont la population diminue devront faire face à des pressions budgétaires en raison de la dépendance croissante de la population âgée, des coûts de santé et du ralentissement de la croissance. Certains facteurs pourraient atténuer cette situation, comme la part croissante des femmes dans la population active, le report de l’âge du départ à la retraite et le recours plus systématique à l’automatisation. Les pays dont la population augmente pourraient quant à eux tirer parti de l’allègement de la dépendance et de la hausse de la croissance.
Les pays dont la population augmente devront relever des défis particuliers, comme la façon d’exploiter ce potentiel démographique et de gérer l’urbanisation rapide et la migration.
Les pays ne bénéficieront pas du dividende démographique s’ils ne sont pas en mesure de garantir éducation et emploi à cette population active en hausse. Certains pays enregistrant une hausse rapide de la population pourraient voir cette croissance démographique se réduire de façon significative. Ils pourraient même atteindre une transition démographique, avec une croissance chutant sous le seuil de reproduction d’ici 2030. Cependant, le nombre de personnes déjà nées viendra déjà gonfler les rangs de la main-d’œuvre. Cette hausse de la population active créera des tensions sur le plan du marché du travail et de la stabilité sociale.
L’urbanisation rapide pose par ailleurs autant de problèmes qu’elle ouvre de perspectives :
intégration et prestation de services pour les millions de nouveaux habitants
définition de politiques d’urbanisme adaptées au changement climatique
attention croissante portée à l’efficacité énergétique en termes de localisation des zones résidentielles et productives, de transports en commun et de bâtiments écologiques
développement de villes intermédiaires viables pour absorber la main-d’œuvre issue de l’agriculture
besoin de répondre aux défis de cohésion sociale et de migration.
Les taux d’urbanisation dans le monde varient sensiblement d’une région à l’autre (graphique 5.3). Ces taux sont passés de 30 % à 50 % entre 1930 et 2008, et devraient atteindre 60 % en 2050. Le taux d’augmentation prévu sera toutefois inférieur en Amérique du Nord, en Océanie et en Europe, zones qui sont en majorité urbanisées depuis 1950. En revanche, l’Asie et l’Afrique, où le taux d’urbanisation était inférieur à 20 % en 1950, devaient rapidement s’urbaniser d’ici 2050.
Le défi de la croissance démographique est particulièrement sensible en Afrique. À l’instar de certains pays d’Asie et d’Amérique latine, l’Afrique pourrait exploiter son dividende démographique pour soutenir et accélérer la croissance économique et le développement. La population africaine devrait plus que doubler entre 2015 et 2063. L’un des principaux défis qui se pose donc au continent est la capacité à créer suffisamment d’emplois productifs pour ces nouveaux contingents de travailleurs. S’il n’est pas rare que la croissance de la population s’accélère lors de la phase de transition démographique, la hausse de la population africaine en chiffres absolus est néanmoins sans précédent.
La gouvernance mondiale devient de plus en plus complexe et fragmentée
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, une architecture a été établie à l’échelle mondiale pour régir les relations entre les pays. Cela inclut le système des Nations Unies et ses agences spécialisées, chargées de la sécurité et de nombreuses questions globales. Le Fonds monétaire international a été créé pour pallier la crise de la balance des paiements. L’OMC a été instaurée pour gérer les questions commerciales. Quant à la Banque mondiale et d’autres banques de développement régionales, elles ont été établies pour fournir financements et conseils en matière de développement. Malgré la Guerre Froide qui a perduré jusqu’à la fragmentation de l’Union soviétique en 1991 et les différents conflits ayant impliqué plusieurs pays, aucune grande guerre mondiale n'a eu lieu depuis 1945. Par ailleurs, l’architecture mondiale pour le commerce et l’investissement a été généralement ouverte. Elle a soutenu la croissance rapide du commerce qui a bénéficié à l’économie mondiale et a contribué à réduire la pauvreté dans de nombreux pays en développement.
Ces derniers temps, on observe des signes d’un mécontentement croissant envers le multilatéralisme (OCDE, 2018[60]). On lui reproche notamment la lenteur des réponses sur les questions urgentes (comme la crise des réfugiés), l’incapacité à garantir que toutes les parties respectent les règles, ou encore un déséquilibre entre le poids des pays dans l’économie mondiale et leur voix dans les processus multilatéraux. Plus généralement, certains ont le sentiment que les bénéfices de la mondialisation n’ont pas été équitablement partagés.
En parallèle, la Chine et d’autres grandes économies émergentes ont instauré des institutions multilatérales qui viennent compléter les dispositifs de gouvernance mondiale existants. Ainsi, sur le front de l’économie et de l’aide, la Chine a créé la Nouvelle banque de développement avec les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), ainsi que la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures.
Ces dynamiques sont à la fois menaçantes et prometteuses pour les pays qui définissent leur stratégie de développement. D’un côté, ces stratégies doivent être capables de placer les pays dans une architecture de gouvernance mondiale de plus en plus complexe et fragmentée. De l’autre, la plus grande diversité des institutions de financement du développement, par exemple, augmente les possibilités d’accès au financement international et de coopération pour le développement.
Le tableau 5.3 résume les implications de tous ces changements pour les stratégies de développement. Ces stratégies doivent être adaptées aux particularités de chaque pays, à leurs institutions et à leurs capacités.
Tableau 5.3. Implications des changements pour les stratégies de développement
Changement |
Implication pour les stratégies de développement |
---|---|
Accélération des changements sur les plans de la technologie, de l’économie et de la société. |
Renforcer les capacités afin d’optimiser le temps de réaction. Cela implique la nécessité de renforcer les capacités des pouvoirs publics et des entreprises, notamment par le développement de l’éducation et de la formation, et le soutien des institutions à la flexibilité. |
Accroissement de l’incertitude. |
Renforcer la flexibilité des stratégies, ce qui nécessite davantage de suivi, d’évaluation et d’ajustement à l’échelle mondiale. |
Diversité des contextes de croissance dans les pays en développement - préemption de stratégies d’exportation de produits manufacturés à forte intensité de main-d’œuvre en raison de la domination de la Chine et des évolutions technologiques réduisant les besoins en main-d’œuvre - renforcement des règles du système commercial mondial |
Adopter de nouvelles stratégies de croissance exploitant le potentiel des nouvelles technologies : • améliorer la productivité agricole, notamment de l’agriculture vivrière, une part importante de la population étant amenée à rester rurale • développer l’agro-industrie • développer l’industrie rurale • développer les services ruraux • continuer à développer la fabrication de produits ayant un potentiel de compétitivité • développer le secteur des services, notamment à l’aide des technologies numériques • développer le secteur non marchand, notamment l’eau, l’assainissement, la santé, l’éducation, l’infrastructure physique et numérique, le logement, le secteur des entreprises et le secteur public. |
Rapidité du développement et de la diffusion de nouvelles technologies de rupture. |
Accorder davantage d’attention aux technologies et renforcer les capacités pour exploiter le potentiel de celles existantes ou nouvelles. Pour ce faire, augmenter les investissements dans le développement des compétences techniques, à la fois dans le cadre de l’éducation formelle et de l’apprentissage tout au long de la vie. Renforcer par ailleurs l’efficacité des systèmes nationaux d’innovation, ainsi que le soutien à l’entrepreneuriat et à la création d’entreprises axées sur les nouvelles technologies |
Omniprésence du numérique. |
Investir davantage dans l’infrastructure numérique, les compétences et les capacités numériques des pouvoirs publics et des entreprises. |
Recul de la cohésion sociale, augmentation des inégalités. |
Inclure des objectifs explicites de renforcement de la cohésion, de réduction des inégalités et d’amélioration de la protection sociale. |
Renforcement des asymétries démographiques, recul vs. croissance démographique. |
Apporter une réponse explicite aux implications des dynamiques démographiques Recul : augmenter le taux d’activité, en particulier des femmes ; reporter l’âge de départ à la retraite ; accroître l’immigration et l’automatisation. Croissance : garantir l’accès à la santé, à l’éducation et aux compétences ; offrir des emplois productifs à ces nouveaux contingents de jeunes actifs. |
Urbanisation rapide sans emplois productifs. |
Améliorer la planification urbaine pour optimiser son efficacité énergétique ; développer les villes intermédiaires ; offrir des emplois plus productifs ; améliorer l’efficacité de la fourniture de services comme l’accès à l’eau et aux installations sanitaires, etc. |
Risque d’effets négatifs importants du changement climatique si davantage d’actions ne sont pas menées à l’échelle mondiale pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. |
Inclure dans les stratégies des objectifs environnementaux explicites en termes de protection de l’environnement et de croissance verte. En outre, au vu de l’insuffisance de l’atténuation du changement climatique, les pays en développement doivent renforcer leurs capacités d’adaptation et prendre des mesures défensives, notamment déplacer les populations pour les éloigner des zones côtières basses ou présentant des risques d’inondation ou de sécheresse, ou encore développer une agriculture et une infrastructure plus résistantes aux phénomènes météorologiques, etc. |
Changement des dispositifs de gouvernance mondiale. |
Prêter attention aux changements géopolitiques et réfléchir au positionnement des pays face à l’évolution des alliances mondiales et à ses implications en termes de stratégies commerciales, d’énergie, de prix des produits de base, de capitaux internationaux, etc. |
Les stratégies nationales de développement ne résisteront pas forcément à l'épreuve du temps
Cette section revient sur une quarantaine de plans de développement élaborés par des pays en développement (voir le tableau 5.A.1 en annexe). Il ne s’agit pas d’une liste exhaustive, mais d’un échantillon de pays représentant toutes les zones en développement du monde et présentant des particularités régionales intéressantes.
Les plans de croissance se centrent sur la diversification de l’économie, mais rares sont ceux qui contiennent des stratégies globales de modernisation technologique
Tandis que la croissance économique reste au cœur de la quasi-totalité des plans, 75 % d’entre eux soulignent l’importance de diversifier leur économie et près de 60 % évoquent la nécessité de progresser sur la chaîne de valeur. Les stratégies envisagées pour atteindre ces objectifs incluent une expansion de l'infrastructure physique (80 %), mais à peine plus de la moitié évoquent le besoin d’élargir l’infrastructure numérique et sa disponibilité.
Parmi ces plans, 66 % prévoient d’attirer des investissements directs étrangers dans le domaine technologique. Mais les projets d’interaction avec le secteur privé restent limités dans moins de 40 % de ces plans. La hausse de l’épargne nationale n'est abordée que dans 40 % d’entre eux, tandis que moins de 25 % mentionnent l'amélioration des finances publiques.
La quasi-totalité des plans évoquent la nécessité de renforcer l’innovation, mais seuls 60 % envisagent une hausse de la R-D. Environ 66 % des plans mentionnent une amélioration de l’enseignement supérieur et de la formation professionnelle. Cependant, moins de 50 % parlent d’encourager l’apprentissage tout au long de la vie, de consolider les programmes d’étude, ou encore d’accorder davantage d’importance aux sciences, aux technologies, à l’ingénierie et aux mathématiques.
La plupart des plans reconnaissent que la croissance économique ne suffit pas à elle seule
Il est encourageant de constater que la plupart des plans ne se limitent pas à la croissance économique et tentent d’être inclusifs tout en tenant compte de la durabilité environnementale. Cela étant, peu d’entre eux décrivent comment atteindre ces objectifs spécifiques. Les questions sociales et environnementales sont prioritaires dans environ trois quarts des plans de développement. Sur le plan social, il est surtout question de viser une croissance inclusive et de réduire les inégalités, tandis que la question de la protection sociale est moins abordée.
Dans le domaine environnemental, les plans évoquent principalement la protection de l’environnement, la gestion des catastrophes et la transition énergétique. Moins de la moitié posent des objectifs explicites en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre. La Chine fait toutefois figure d’exception : sa stratégie est bel et bien centrée sur la croissance verte et comprend des plans détaillés sur la réduction du CO2 et le développement des ressources énergétiques sans carbone.
Comme l’a montré l’analyse historique au chapitre 3, les dimensions d’inclusion et de durabilité environnementale sont des éléments importants pour les stratégies de développement. La croissance économique ne suffit pas à elle seule à enregistrer une bonne performance sur des dimensions clé du bien-être. Une marge de manœuvre existe pour améliorer la performance en termes sociaux et environnementaux, même sans croissance économique.
Les logiques à court terme et le manque de vision stratégique peuvent entraver la résilience
Peu de plans semblent avoir conscience des tendances à grande échelle, et des défis et opportunités de développement qui y sont associés, ou tenir compte de leur évolution incertaine. Pourtant, cette incertitude devrait figurer dans les plans de développement nationaux. Les pays ont besoin de plus de flexibilité et de résilience pour s’adapter à un contexte en constante évolution.
En moyenne, les plans prévoient une mise en œuvre sur sept ans. L’horizon de planification tend à être plus long en Asie de l’Est et en Afrique subsaharienne qu’en Amérique latine.
Outre ces délais serrés, les plans décrivent rarement des mécanismes d’intervention concernant les principaux changements pouvant se produire dans les conditions économiques mondiales (crise financière), ou encore en cas d’évolution géopolitique (guerre commerciale) ou d’irruption de technologies de rupture. Seuls 15 % évoquent le besoin de préparer l’économie à de tels changements dans les domaines de la technologie numérique ou de la géopolitique. La Chine fait encore une fois figure d’exception. Elle a élaboré des plans ambitieux pour prendre de l’avance dans des technologies de rupture, et pour améliorer la performance globale de son économie à travers l’innovation.
La plupart des plans prévoient une amélioration de la gouvernance
This contrasts with targets to improve the rule of law or reduce bureaucracy and red tape in less than 50% of plans. Près de 60 % des plans évoquent la nécessité de renforcer les capacités du gouvernement, en abordant les questions de corruption, le manque de redevabilité du gouvernement et la transparence globale. En revanche, moins de 50 % des plans fixent des objectifs visant à améliorer l’état de droit ou à réduire la bureaucratie et les lourdeurs administratives.
Enfin, l’écart est grand entre planification et exécution. Sur tous les plans étudiés, cinq seulement décrivent une stratégie concrète de mise en œuvre. Quant au budget nécessaire pour appliquer de telles stratégies, il n’est évoqué que dans deux plans.
Transformer les défis en opportunités
Les vents favorables amenés par la transformation de la géographie économique contribueront sans doute à poursuivre sur la même voie. La mise en œuvre des plans de développement bénéficiera d’une démographie favorable, d’une urbanisation continue, d’une baisse des prix des produits de base, d’une hausse des salaires en Chine et du passage du flambeau à l’Inde, comme vu au chapitre 2.
L’Inde a pris le dessus sur la Chine en termes de croissance du PIB (mais non par habitant). La transformation de la géographie économique de demain pourrait bien s’alimenter d’un moteur à double turbo, Chine-Inde. Il s’agirait d’une bonne nouvelle pour la convergence et l’économie mondiale. L’Inde devrait contribuer à hauteur de près de 10 % à la croissance mondiale, et dépasser ainsi la contribution de l’Union européenne (UE). Le soutien de ce double turbo à l’économie mondiale dépendra toutefois du maintien d’un système commercial ouvert et de la coopération multilatérale.
Trois facteurs contribueront à augmenter l’épargne et l’investissement en Asie : une démographie favorable en dehors de la Chine, une baisse des taux de dépendance et une hausse de la population active occupée, même dans le secteur informel. Ces tendances favorables seront renforcées par une scolarisation plus longue et un enseignement de meilleure qualité, notamment pour les filles. L’avancée de l’urbanisation dans les économies duales contribuera à une hausse de la productivité, car les personnes et les talents pourront se tourner vers des activités plus productives, à l’instar de ce qui s’est passé en Chine.
Dans les années 2010, les exportateurs de produits de base en Afrique et en Amérique latine ont dû faire face à une baisse des prix de ces produits. Le rééquilibrage de la Chine a lui aussi favorisé, bien que progressivement, les importateurs nets de produits de base. Il pourrait aussi bénéficier aux pays à faible revenu : ce seront les pays les mieux placés pour exporter des biens de consommation, y compris des produits agricoles, en Chine qui tireront le plus profit d’une croissance chinoise plus équilibrée.
Dans la mesure où la hausse des salaires chinois entraînera une hausse des coûts unitaires de la main-d’œuvre, la Chine perdra sa compétitivité extérieure sur des produits bas-de-gamme. La relocalisation de la production bas-de-gamme venue de Chine pourrait renforcer l’effet sur les revenus de la baisse des prix des matières premières dans les pays importateurs de pétrole. On passerait donc d’une logique traditionnelle soucieuse de sécuriser les ressources naturelles à la perspective de créer un pôle de production, et gagner à terme en qualité démocratique et en gouvernance.
La plupart des plans de développement étudiés éludent les questions de mise en œuvre
Les pays ont toutes sortes de plans, certains à long terme (voir le tableau 5.A.1 en annexe). Mais pour la plupart, les stratégies qui y sont définies sont loin d’être mises en pratique. D’ailleurs, d’après Albert Hirschman, le terme de « mise en œuvre » consiste à comprendre la complexité de la tâche, ce qui dépend fortement de l’ignorance et de l’incertitude de départ, et qui implique en réalité une forte courbe d’apprentissage dans tout un éventail de domaines (Hirschman, 1967[61]).
Ces difficultés de mise en œuvre reposent sur quatre grandes lacunes : l’insuffisance des capacités, des moyens financiers, des capacités à engager des réformes économiques, et des mécanismes d’intervention.
Les gouvernements n’ont souvent pas les capacités suffisantes pour mettre en œuvre leur plan
La première lacune, et sans doute la plus courante, est le manque de capacité des gouvernements. D’importants efforts sont souvent déployés pour élaborer les plans et les annoncer, mais les ressources allouées à leur mise en œuvre sont insuffisantes. L’élaboration des plans de développement doit tenir compte de questions clés : Quel sera le rôle gouvernement ? Quel sera celui du secteur privé ? Qu’est-ce qui incitera le secteur privé à accomplir les objectifs visés (création d’emplois, mise à jour technologique, etc.) ? D’où proviennent les ressources ? Quelles sont les politiques et les réglementations à changer ou à améliorer ? Quels programmes spéciaux faudra-t-il mettre en place ? Qui les mettra à exécution ?
Ces contraintes obligent les pays à augmenter les capacités de leur gouvernement, en encourageant la formation, la transparence et la redevabilité de la part des fonctionnaires. Cela peut se faire à travers des études classiques suivies dans le pays ou dans des établissements à l’étranger. Il existe en outre de nombreuses formations spécialisées à mi-carrière, associant pour certaines des cours en face à face et une formation en ligne. Les pays peuvent par ailleurs tirer parti de programmes de jumelage avec des spécialistes d’autres pays et engager des experts pour les aider à mettre en œuvre leurs programmes.
Les gouvernements n'ont souvent pas les moyens financiers pour mettre en œuvre leur plan
Les aspects financiers constituent souvent un obstacle majeur, mais qui peut toutefois être surmonté. La capacité financière concerne les questions suivantes : la disponibilité du budget de l’État, la possibilité d’augmenter les revenus de l’État via le recouvrement d’impôts, et la capacité du gouvernement à émettre suffisamment de dette extérieure.
Quelles sont les sources de financement disponibles et pertinentes ? Le gouvernement peut-il obtenir davantage de devises étrangères en augmentant les exportations, en attirant plus de transferts de fonds ou d’investissements directs étrangers ou d’investissements de portefeuille, en obtenant des prêts internationaux ou en émettant des obligations étrangères ? Concernant les pays à faible revenu, peuvent-ils obtenir davantage d’aide étrangère au développement ?
Les questions de capacité gouvernementale évoquées ci-dessus sont liées à la question du financement, notamment la formation des fonctionnaires. Une partie de cette formation peut être financée par l’aide bilatérale ou des programmes d’assistance technique de banques de développement multilatérales, ou d’autres institutions de développement. Les grandes entreprises privées ayant un intérêt au développement de l’expertise locale peuvent également participer au financement. En Chine, Motorola a par exemple investi des millions dans la formation des responsables de 1 000 entreprises publiques. C’est également le cas d’Avon, qui a investi de grosses sommes pour permettre la participation de hauts fonctionnaires chinois, rattachés au gouvernement central ou à des sociétés publiques, à d’importants voyages d’études aux États-Unis.
Les gouvernements n'expérimentent pas assez pour surmonter l’économie politique de la réforme
L’économie politique de la réforme est largement portée par la nature des institutions d’un pays (North (1994[62]) ; (Acemoglu et Robinson, 2012[63]). Il existe cependant peu d’éléments permettant de déterminer les changements à l’échelle des institutions qui aboutissent à de meilleurs résultats de développement. Solon North (1994[62]), l’histoire est importante. Si un pays n’a pas la bonne histoire, il ne deviendra pas un pays développé. Mais une telle conception n’apporte rien aux responsables politiques ou aux agences d’aide étrangères qui tentent de favoriser le développement.
Pritchett, Sen et Werker (2017[64]) soulignent quant à eux l’importance des institutions. Ils établissent un cadre d’analyse d’économie politique pour expliquer les aléas de la croissance dans les pays en développement, contrairement aux pays développés où la croissance est lente, mais plus régulière. En substance, ils estiment que la croissance et la transformation structurelle résultent de l’interaction entre « l’équilibre et la répartition du pouvoir entre des groupes sociaux et des classes sociales opposés, sur lesquels tout État repose » et la structure des opportunités économiques dans le pays. Un tel cadre part du principe que plusieurs facteurs jouent sur le développement. Ils évoquent notamment la nature du compromis politique fait entre les élites en place et la mesure dans laquelle cette élite cherche une légitimité à travers un progrès économique. Non moins important, la façon dont le progrès se répercute sur les intérêts économiques et politiques, et comment ces intérêts, à leur tour, marquent l’engagement politique. Cela mène à l’essence du pouvoir de État.
Pour répondre à de tels enjeux, il faut prendre davantage en compte le pouvoir des différentes parties prenantes et la façon d’obtenir le soutien suffisant pour engager des réformes politiques. Andrews, Pritchett et Woolcock (2017[64]) proposent ce qu’ils appellent l’adaptation itérative axée sur les problèmes (PDIA - problem-driven iterative adaptation). Cette stratégie consiste à se concentrer sur les problèmes identifiés au niveau local et à travailler de façon itérative pour définir les réponses les mieux adaptées. Ang (2016[65]) va encore plus loin, en étudiant la façon dont la Chine a réussi à sortir de la pauvreté. D’après elle, c’est faire fausse route que de chercher à déterminer si la qualité des institutions est un facteur de croissance économique, ou vice-versa. Elle considère en effet que « ni la croissance économique ni la bonne gouvernance n’arrivent en premier dans le développement ». Elle affirme qu’il n’est pas raisonnable d’attendre que des pays pauvres construisent des institutions modernes et efficaces, comme le font ce qui estiment que la bonne gouvernance est le moteur du développement. En revanche, État et marchés peuvent évoluer ensemble. « Les États et les marchés interagissent et s’adaptent les uns aux autres, changeant mutuellement au fil du temps ». Il s’agit de créer des « environnements qui aident les principales parties prenantes à improviser ».
Sans mécanismes d’intervention, les plans risquent de ne pas supporter les chocs ou les ruptures
Une mise en œuvre réussie demande aussi des mécanismes d’intervention pour faire face aux situations de choc ou de rupture, comme les catastrophes naturelles ou les conflits internes ou externes. Cela concerne également les évolutions du contexte international, comme la hausse des taux d’intérêt mondiaux, une crise financière globale (ou la contagion d’une crise dans les pays voisins), les conditions de commerce (changement des prix des matières premières, efficacité croissante des concurrents ou hausse du protectionnisme dans les principaux marchés d’exportation), la géopolitique, ou encore les technologies de rupture. Pour faire face à de tels enjeux, il faut obtenir plus de résilience et de flexibilité dans l’économie, tant à l'échelle macroéconomique que structurelle.
À l'échelle macroéconomique, cela implique de créer des outils pour réguler la marge de manœuvre budgétaire afin d’augmenter les dépenses de l’État, la gestion des réserves de change et l’accès aux lignes de crédit d’urgence. Cela peut compenser les changements à court terme dans la balance commerciale ou les pics dans le service de la dette internationale.
À l'échelle structurelle, il s’agit d’augmenter la capacité de l’économie à réagir rapidement, ce qui implique d’améliorer le régime institutionnel, d’accélérer le développement du marché financier, d’améliorer l’efficacité du marché du travail, d’investir dans l’éducation et les compétences, de renforcer la protection sociale, et d’encourager l’innovation et la création d’infrastructures.
Les stratégies de développement s'adaptent déjà au nouveau contexte mondial
L’examen des plans de développement, ainsi que les éléments apportés dans les trois chapitres précédents, semblent indiquer que les pays sont bel et bien en train d’élaborer de nouvelles stratégies de développement national.
La couverture sociale n’est plus réservée aux classes moyennes urbaines
Alors que la transformation de la géographie économique a amélioré les perspectives économiques dans les pays en développement, le nombre de personnes vivant sans un niveau suffisant de protection sociale et de services de santé continue à augmenter. Moins de la moitié de la population mondiale a accès à une protection sociale (OIT, 2017[66]), avec une couverture particulièrement faible en Afrique et en Asie. Au moins la moitié de la population mondiale n’a pas non plus accès aux services de santé essentiels, et chaque année, un grand nombre de ménages s’appauvrissent en raison des coûts de santé, supérieurs à leurs moyens (OMS/Banque Mondiale, 2017[67]). La plupart de ces facteurs se manifestent quand la richesse d’un pays augmente et que les citoyens deviennent plus exigeants envers leurs dirigeants. Cela a poussé certains gouvernements à chercher des façons d’atteindre plus de segments de la population, et de déployer des programmes malgré les graves contraintes budgétaires.
Le nombre de pays en développement qui déploient des programmes de protection sociale a nettement augmenté ces dernières décennies. Cette expansion a été motivée par la prise de conscience du fait que la croissance économique ne suffit pas à elle seule pour éradiquer la pauvreté et qu’une grande partie des personnes sortant de la pauvreté ont de fortes chances d’y retomber. Les dépenses sociales peuvent également freiner la hausse des inégalités associées à la structure du développement économique d’un pays.
Par ailleurs, il apparaît clairement que l’impact de la protection sociale va bien au-delà de la réduction de la pauvreté. Les investissements sociaux peuvent améliorer le capital humain des bénéficiaires, ce qui à long terme peut renforcer le potentiel de croissance des pays. Des innovations dans le domaine social par des pays comme le Mexique ou le Brésil ont apporté de solides arguments en faveur de l’efficacité des transferts de fonds, notamment ceux adressés aux enfants. Des programmes similaires sont à présent déployés en Afrique et en Asie. Ces programmes opèrent souvent à grande échelle : en Inde, le Plan national de garantie de l’emploi en milieu rural du Mahatma Ghandi garantit la prise en charge de plus de 50 millions de foyers, tandis qu’en Afrique du Sud, près du tiers des habitants reçoivent des allocations.
Cependant, les écarts de couverture restent énormes au niveau mondial, tandis que les dépenses varient nettement entre les pays. Le manque de ressources vient s’ajouter aux difficultés administratives pour empêcher les programmes d’assistance sociale d’atteindre tous ceux qui se trouvent en situation de pauvreté. Par ailleurs, l’économie informelle, qui persiste dans de nombreux pays en développement, exclut de nombreux travailleurs des structures d’assurance sociale. Néanmoins, la Chine a nettement amélioré la couverture de son programme de pension de retraite contributive, en apportant aux travailleurs ruraux des cotisations sociales bon marché et subventionnées. Quant à l’Indonésie, elle est en passe d’atteindre une couverture de santé universelle grâce aux subventions aux cotisations d’assurance de santé pour la population pauvre.
Les migrations sont perçues comme partie intégrante des stratégies de développement
Pour la première fois, la communauté internationale a inclus les migrations dans l’agenda du développement, à travers le Programme d’action d’Addis-Abeba de 2015, le Programme de développement durable à l’horizon 2030 et deux Pactes mondiaux sur les migrations et les réfugiés en 2018. Ces instruments politiques reconnaissent la contribution positive des migrants à la croissance économique et au développement durable, dans les pays d’origine comme de destination.
Le nombre de migrants dans le monde a augmenté de près de 70 % entre 1990 et 2017, passant d’environ 153 à 258 millions (ONU, 2017[31]). Ces chiffres masquent cependant le fait que la transformation de la géographie économique a augmenté le nombre de pays participant à la mobilité globale. Dans un tel contexte, la part des pays prenant part tant à l’émigration qu’à l’immigration a augmenté. Mais l’émigration est toutefois plus concernée que l’immigration (graphique 5.4). Cela s’explique par l’écart encore important qui persiste entre les pays de l’OCDE et les autres, notamment en termes de résultats sur le plan du bien-être.
L’immigration reste dominée par quelques pays plus riches. Les migrations vers l’OCDE, notamment, augmentent plus vite que celles qui s’opèrent entre les autres groupes de pays (OCDE, 2016[68]). Cependant, plusieurs pays en développement ont commencé à attirer une immigration locale, en offrant des emplois motivés par leur croissance économique et de meilleures conditions de vie. C’est le cas de l’Argentine, du Costa Rica, de la Côte d’Ivoire, de l’Afrique du Sud et de la Thaïlande. Un rapport a récemment confirmé que les immigrés ont un impact généralement positif, quoique limité, sur plusieurs pays en développement (OCDE/OIT, 2018[69]). Cependant, les tendances économiques, la disparité des modèles de développement, la facilité des déplacements, les politiques migratoires rigides dans le Nord et les revenus en hausse dans le Sud sont amenés à jouer un rôle croissant. L’immigration deviendra alors une réalité dans d’autres pays en développement. Pourtant, la question de l’intégration des migrants n’est toujours pas abordée dans les stratégies de développement (Gagnon and Khoudour-Castéras (Gagnon et Khoudour-Castéras, 2011[70] ; OCDE, 2016[68]).
Face à une géographie économique en pleine transformation, il faut s’attendre à une hausse de la mobilité mondiale. Un niveau de revenu minimum est nécessaire pour couvrir les dépenses de la migration. La hausse des niveaux de revenu aide donc à soulager les contraintes financières liées à la migration. Ainsi, quand le PIB par habitant augmente dans un pays pauvre, l’impact sur l’émigration tend à être positif, pour un certain temps. Quand les revenus atteignent un niveau supérieur, les habitants sont moins attirés par l’étranger et le taux d’émigration repart progressivement à la baisse.
Cependant, ces 20 dernières années, les migrations ont opéré un revirement stratégique remarquable. Elles faisaient sans conteste partie du développement des premiers pays qui se sont industrialisés, aussi bien en qualité de pays d’origine que de pays de destination. Pourtant, les politiques visant à tirer profit des transferts de fonds, des migrations de retour et de l’engagement de la diaspora sont restées rares, et n’ont jamais été intégrées à une stratégie à l’échelle nationale.
Jamais dans l’histoire les pays n’avaient parié sur la migration avec autant d’ingéniosité et de largesse qu’aujourd’hui. Dans les pays d’origine, l’émigration désengorge le marché du travail. Parallèlement, les transferts de fonds, les migrations de retour et l’engagement de la diaspora stimulent les investissements en capital financier et humain.
Les politiques publiques jouent un rôle important et plusieurs pays ont commencé à associer les migrations à certains objectifs de développement. Cependant, les politiques non migratoires dans les pays d’origine comme de destination, dans les domaines de l’éducation, du travail, de l’agriculture et de la sécurité sociale, ne sont pas non plus négligeables (OCDE, 2017[73]).
Associer les migrations au développement est donc une question de cohérence politique, de coordination et de stratégie. Au cours des seules deux dernières années, des pays comme l’Albanie (Stratégie nationale sur les migrations et la diaspora, 2018), l’Arménie (Plan d’action sur les migrations, 2017), le Belize (loi nationale sur les migrations et le développement, en cours), le Burkina Faso (Stratégie nationale sur les migrations, 2017), la Géorgie (Stratégie sur les migrations, 2016), Maurice (Politique nationale de migration et de développement, 2018) et l’Afrique du Sud (Livre blanc sur l’immigration, 2017) ont défini ou commencé à déployer des stratégies associant migrations et développement national dans un certain nombre de domaines. Aux Philippines, le gouvernement envisage même de créer un ministère des Migrations et du Développement.
Il faut dépasser la dichotomie rural-urbain dans la gestion territoriale
Les stratégies de développement avaient autrefois tendance à se centrer sur la nature rurale ou urbaine d’une région. Aujourd’hui, elles reflètent la réalité de cette géographie en continu, où les atouts et les obstacles concernent l’ensemble du territoire national. Les villes intermédiaires, avec moins d’un million d’habitants, jouent par exemple un rôle clé dans les dynamiques d’urbanisation des pays à faible revenu. Elles accueillent en effet la plus grande part de population urbaine du monde.
À titre d’exemple, les villes intermédiaires d’Asie avec moins de 500 000 habitants représentaient en 2015 47 % de la population urbaine totale. Elles sont aussi les agglomérations les plus dynamiques en termes de croissance démographique, notamment dans des régions comme l’Afrique, où les villes intermédiaires avec moins de 300 000 habitants ont représenté 58 % de la croissance de la population urbaine sur la période 2000-10. Cette croissance ne suit pas le schéma classique de transition rurale-urbaine. En Amérique latine, par exemple, les villes intermédiaires accueillent un nombre croissant de personnes et d’entreprises venues de la capitale ou de grandes villes. Les villes intermédiaires devraient poursuivre leur croissance, et représenter, entre 2010 et 2030, près de 40 % de la population urbaine mondiale (BAD/OCDE/PNUD, 2017[74] ; ONU-Habitat\CESAP, 2015[75]).
Les villes intermédiaires constituent des marchés essentiels pour la production rurale, ainsi que des plateformes de transit vers les grandes zones métropolitaines. Par ailleurs, elles facilitent l’accès à l’emploi non agricole à travers le travail saisonnier, ce qui renforce les migrations circulaires rurales-urbaines. C’est là que sont traités et distribués les produits agricoles issus des zones rurales, et ces villes en absorbent la main-d’œuvre qualifiée et non qualifiée (Berdegué et Proctor, 2014[76]). Or, malgré leur rôle majeur, les connaissances sont encore trop limitées sur les mécanismes permettant à ces villes intermédiaires de contribuer au développement. C’est l’une des raisons pour laquelle elles ne sont souvent pas prises en compte dans les stratégies de développement à l’échelle nationale. On constate aussi un manque de données considérable concernant ces villes intermédiaires.
De nombreuses raisons expliquent ces lacunes en termes de connaissances et de données. D’abord, il y a une forte tendance à privilégier la capitale et les grandes villes, alimentée par leur pouvoir politique et le fait qu’elles sont mieux dotées en termes de données et de ressources. Ensuite, les autorités du pays (tout comme les organismes internationaux) ont tendance à considérer les zones rurales et urbaines comme des silos. Or, les villes intermédiaires chevauchent les frontières entre rural et urbain. Une telle approche néglige le rôle central des villes intermédiaires dans l’interaction socio-économique entre zones rurales et zones urbaines, et leur potentiel pour la transformation économique du pays.
Les villes intermédiaires se heurtent également à un déséquilibre financier considérable. Souvent, les autorités locales ne sont pas dotées des compétences nécessaires pour mobiliser les ressources et générer les revenus capables de garantir des services publics de qualité. Cela les rend fortement tributaires des transferts budgétaires du gouvernement central. Ainsi, la part des recettes fiscales locales dans les recettes totales est de 46 % en Asie, 28 % en Amérique latine et 20 % en Afrique (OECD/UCLG, 2016[77]). Dans de nombreuses collectivités locales d’Afrique, le taux d’imposition est estimé à environ 0.7 % du revenu des ménages (BAD, OCDE et PNUD (2017[74]) ; ONU-Habitat et CESAP (2015[75])).
Pour garantir un développement durable et équilibré dans les pays à faible revenu, les villes intermédiaires doivent faire l’objet d’une gestion et d’un aménagement adéquat. Pour ce faire, il convient de mettre en place des mécanismes financiers pour investir dans les services publics et garantir l’intégration des villes intermédiaires dans le maillage urbain du pays. Les plans de développement devraient puiser dans le vaste potentiel des villes intermédiaires, qui pourraient fonctionner comme des lieux de développement des chaînes de valeur agricoles, à travers la mise en place de systèmes de traitement des produits agricoles, et entraîner des effets en amont pour l’industrie manufacturière à petite échelle. Par ailleurs, les villes intermédiaires bénéficient d’une situation stratégique pour la distribution de biens, de services et d’infrastructures aux populations rurales environnantes.
La part de l’économie informelle dans la production d’un pays est aujourd’hui reconnue
La prévalence et la persistance de l’économie informelle ont toujours été un obstacle majeur au développement. Les activités non déclarées ne contribuent pas au trésor public et passent entre les filets de la réglementation, ce qui limite la portée de l’État. Par ailleurs, les travailleurs non déclarés ne bénéficient d’aucune protection sociale et sont exposés aux violations des droits du travail. Si les politiques doivent certes avoir pour but de réduire le niveau d’emploi informel dans l’économie, il est néanmoins de plus en plus admis que l’informalité représente plusieurs niveaux de travailleurs et d’entreprises, qui font preuve pour beaucoup d’une productivité plus grande que dans le secteur formel.
D’après les dernières données comparables produites par l’OIT (2018[78]), 61 % des emplois dans le monde sont informels, ce qui équivaut à plus de deux milliards de personnes. La part de l’emploi informel est très forte dans les pays à faible revenu, où il concerne plus des trois quarts de la population. Cette part est bien plus faible dans les pays à revenu élevé, à hauteur de 18 % selon l’OIT. Dans les pays à revenu intermédiaire, le secteur informel se trouve entre ces deux extrêmes, avec de très grandes différences même pour des niveaux de revenu similaires. Ainsi, près de la moitié des travailleurs du Panama sont employés dans le secteur informel, contre à peine 13 % en Croatie, pays qui a pourtant un niveau de PIB par habitant équivalent (OCDE, 2018[79]).
Beaucoup d’individus survivent grâce au secteur informel. Alors que l’économie informelle était autrefois considérée comme un désagrément pour l’économie, les pays cherchent aujourd’hui des moyens de garantir une certaine protection sociale aux travailleurs non déclarés, tout en faisant en sorte que les entreprises informelles aient accès aux chaînes de valeur productive du pays et voient un avantage à s’immatriculer et à déclarer leurs activités (Jütting et de Laiglesia, 2009[80]).
Les défis de demain nécessiteront de nouvelles modalités de financement du développement
Au cours des dix dernières années, les réflexions autour du développement ont largement dépassé les cercles des agences d’aide occidentales et des institutions internationales ou académiques. La coopération internationale est devenue un effort plus mondial, englobant des philanthropes privés, des gouvernements et d’autres parties prenantes. Le développement a beaucoup progressé, mais les efforts se sont centrés sur les aspects les plus « faciles ». Les famines à grande échelle, les calamités et les fléaux, qui ont accompagné l’existence humaine depuis toujours, sont aujourd’hui pratiquement de l’histoire ancienne (Andrews, Pritchett et Woolcock, 2017[81]). Même les guerres civiles se raréfient.
Mais de nombreux pays souffrent encore de la pauvreté et de capacités financières limitées. Vu l’ampleur de la tâche, il sera donc de plus en plus difficile de concevoir et de mettre en œuvre des stratégies couronnées de succès. L’aide internationale au développement devra augmenter, mais quel type d’aide sera le plus efficace ? Certains cercles estiment que si de nombreux efforts ont été déployés pour lutter contre la pauvreté, d’autres enjeux du développement ont été négligés, comme l’emploi, l’inclusion et l’environnement (OCDE (2016[82]) ; Kharas et Rogerson (2017[83])). Ils considèrent que l’aide publique au développement (APD) devrait être destinée à des projets à long terme, comme les infrastructures, les services collectifs, l’agriculture, l’industrie, ou encore les services de santé et d'éducation, plutôt que d’être accaparée par les interventions d’urgence à court terme, comme l’aide alimentaire et la reconstruction (OCDE, 2016[82]). Pourtant, les secours humanitaires sont amenés à augmenter, étant donné que la pauvreté et les maladies associées se concentrent dans des États en déroute (Kharas et Rogerson (2017[83]) ; OCDE (2016[82])).
Trois autres tendances ressortent des stratégies actuelles en matière de financement du développement (Kharas et Rogerson (2017[83])). On constate d’abord une inclination pour le populisme, avec un regain des discours du type « mon pays d’abord », ainsi qu’un rejet des institutions internationales, des échanges commerciaux au niveau mondial et de l’immigration. Ensuite, l’engagement croissant du monde des affaires dans le développement est un signe encourageant pour les pays en développement. Enfin, une Chine plus active et prospère s’engage à son tour dans le développement à l’échelle internationale, en proposant des règles différentes.
Car l’empreinte croissante de la Chine au niveau mondial, en matière de commerce, de finances, d’investissements directs, de prêts et d’aide au développement, n’a pas la même conditionnalité ni les mêmes liens aux questions de gouvernance que celle qui caractérise les pays occidentaux. Autrement dit, l’aide traditionnellement fournie par le Comité d’aide au développement (CAD) se trouve face à une sérieuse concurrence. Le CAD doit déterminer les domaines de collaboration et de compétition avec la Chine. D’ailleurs, dans un rapport de 2017, le Panel de haut niveau du CAD de l’OCDE préconisait de renforcer la dimension inclusive du CAD et d’intensifier le dialogue avec les autres partenaires de développement (OCDE, 2017[84]).
La taille, l’échelle et la portée de l’initiative BRI (« Nouvelle route de la soie ») témoignent de la hausse de l’engagement de la Chine dans le financement international. En utilisant des estimations prudentes, l’investissement total de la BRI, à hauteur de 1 000 000 millions d’USD, dépasse n’importe quel autre programme de développement comparable dans l’histoire récente. Le Plan Marshall, en comparaison, s’est chiffré à environ 14 000 millions d’USD entre 1948 et 1951, ce qui équivaut à environ 142 000 millions d’USD en 2018 (tableau 5.4). Le Plan Marshall constituait en grande partie (90 %) une aide du gouvernement américain (The Economist, 2018[85]). La BRI, en revanche, est financée par une combinaison d’investissements directs du gouvernement chinois dans les infrastructures et de prêts issus des principales banques commerciales et publiques de Chine (Deloitte, 2018[86]).
À base d'investissements, d’échanges commerciaux et d’intégration régionale, le Plan Marshall a pu soutenir le redressement économique de l’Europe après la guerre. Une fois cette mission remplie, le Plan Marshall a abandonné son objectif financier pour devenir un centre de coopération internationale et de partage des connaissances, finalement sous l’égide de l’OCDE. De la même façon, la portée de la BRI pourrait dépasser sa force de frappe financière. En fin de compte, son plus grand impact pourrait résider dans la capacité transformative offerte aux pays en développement à travers une amélioration des infrastructures et des gains de productivité. Le transfert de technologie en est un exemple. La Chine a mené des essais sur la technologie réseau 5G, la cinquième génération de téléphonie mobile, en partenariat avec les opérateurs télécom du monde entier. Depuis 2015, le pays a dépensé 57 milliards d’USD de plus que les États-Unis, deuxième pays en termes de dépenses, dans les infrastructures sans fil et s’est engagé à investir 400 milliards d’USD de plus dans la technologie 5G d’ici 2020 (Deloitte, 2018[87]). D’ici 2022, la Chine devrait donc être le plus gros marché mondial de la 5G, et la plupart de ses partenaires se trouvent dans des pays en développement, comme le Bangladesh et le Pakistan.
Tableau 5.4. La valeur des investissements de la BRI est supérieure à celle de tout autre programme comparable dans l’histoire récente
Programmes |
Valeur de 2018 en millions d’USD |
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Nouvelle route de la soie (estimations prudentes) (2013-2049) |
1 000 000 |
Plan de redressement et de réinvestissement des États-Unis de 2009 (2009-2019) |
986 640 |
New Deal (1933-1938) |
808 303 |
Alliance pour le progrès (1962-1967) |
168 244 |
Plan Marshall (1948-1952) |
142 201 |
Prêts de la Banque mondiale (en 2017) |
59 000 |
Fonds Mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme (2002-17) |
33 800 |
Fonds d’affectation spéciale pour la reconstruction de l’Afghanistan (en 2017) |
10 173 |
Programme élargi d’assistance technique des Nations Unies (1949-1970) |
4 764 |
Compact for Africa (en 2017) |
3 786 |
Note : Toutes les valeurs de 2018 sont calculées à partir des indices moyens des prix à la consommation des États-Unis par année civile, d’après les données communiquées par le US Bureau of Labor Statistics.
La taille relative des différentes sources de financement du développement varie selon la région (graphique 5.5). Ainsi, en Amérique latine et dans les Caraïbes, les investissements directs étrangers (IDE) ont été la principale source de financement extérieur en 2016, à hauteur de près de 3.5 % du PIB, tandis que l’APD représentait environ 0.25 %. Ces chiffres contrastent fortement avec l’Afrique subsaharienne, où l’APD tournait autour des 3 % du PIB, contre près de 2.5 % pour les IDE et les transferts de fonds. En Asie du Sud, les transferts de fonds sont la principale source relative, les fonds renvoyés par les migrants équivalant à près de 4 % du PIB, tandis que l’APD représentait moins de 1 % et les IDE, moins de 2 %. De telles réalités doivent refléter les stratégies et les réponses au développement pour chaque région. Ainsi, les politiques mettant à profit les transferts de fonds peuvent jouer un rôle relativement plus grand en Asie du Sud.
Les transferts de fonds ont été désignés comme des sources prometteuses pour redéfinir le financement du développement. Comme vu précédemment, les migrations sont en hausse et les transferts de fonds, en tant que transferts de revenus de particuliers, sont un moyen efficace de réduire la pauvreté. Il est en revanche peu probable que la Chine ait un rôle important à jouer sur ce plan. Concernant les transferts de fonds depuis la Chine, bien que les données à ce sujet ne soient disponibles que jusqu’en 2014, l’écart entre les principales sources de transferts de fonds et la Chine est tel qu’il s’est sans doute maintenu en 2018. De fait, les chiffres semblent indiquer que la principale source de transferts de fonds a été l’Espace économique européen et le Conseil de coopération du Golfe (graphique 5.6).
Passé, présent et avenir des stratégies de développement imaginatives de la Chine
Par le passé, la stratégie de développement de la Chine a essentiellement consisté en une réforme lente et pragmatique de l’économie, pour passer d’un modèle de planification communiste à un modèle socialiste aux spécificités chinoises (Ang (2016[65]) ; Naughton (2007[89])). Cette stratégie a été bien résumée dans la fameuse phrase de Deng Xiaoping, l’architecte de la transition chinoise après les 27 ans de règne chaotique de Mao Zedong : « Traverser la rivière en tâtonnant sur chaque pierre. » Une telle conception contraste fortement avec le conseil des économistes occidentaux à la Russie, qui la sommaient de débarquer sur le marché tel un big-bang, en réformant tout le système économique d’un coup. L’approche pragmatique adoptée par la Chine se distingue par une forte expérimentation, l’acquisition de technologies étrangères et un contrat social implicite avec les citoyens.
Cependant, alors que la Chine a vite trouvé la voie de la croissance économique, le pays a vu augmenter les inégalités et son environnement se dégrader. Cela a poussé le pays à réagir avec son douzième plan quinquennal (2011-15), qui délaisse l’objectif de forte croissance au profit d’un modèle de croissance de qualité, équilibrée et durable. Ce plan vise notamment à mettre l’accent sur la consommation plutôt que sur l’investissement, et à privilégier le marché intérieur plutôt que les exportations. Il envisage un développement des zones rurales et intérieures les plus pauvres, une réduction des inégalités de revenu, et une poursuite des efforts de développement durable et d’ouverture économique.
Cette nouvelle approche a déjà porté ses fruits, en réorientant l’économie chinoise vers une croissance plus durable et inclusive. Cependant, la Chine est en train d’atteindre un plafond technologique dans de nombreux domaines. À cet égard, le treizième plan quinquennal (2016-20) a ajouté de nouveaux objectifs : priorité à l’innovation, économie plus verte, abandon de la politique de l'enfant unique et autorisation d’avoir deux enfants, et plus grande participation au développement international.
La Chine joue ainsi un rôle de plus en plus important sur la scène économique internationale, en offrant un modèle de développement alternatif et en travaillant aux côtés des bailleurs traditionnels du CAD.
La protection des biens communs mondiaux devient une priorité pour tous les pays
Les évènements à l’échelle mondiale ont des répercussions significatives sur les perspectives de croissance des pays en développement. Les nations situées sur des îles à faible altitude, par exemple, courent le risque d’être submergées, faute d’une action globale suffisante sur le changement climatique. De même, le protectionnisme commercial peut avoir des conséquences importantes sur les exportations et les importations des pays tiers. D’ailleurs, les flux commerciaux et la coopération internationale se voient déjà affectés par le recul de la libéralisation des échanges et la hausse du protectionnisme (Evenett et Fritz, 2015[90]). Le soutien à la mondialisation a fortement chuté dans certains pays avancés, laissant place à des réactions politiques hostiles (Rodrik, 2018[91]).
Le monde recèle une série de biens communs qu’il convient de protéger pour améliorer le bien-être à l’échelle de la Planète : l’échange de biens et de services, l’infrastructure financière globale, les investissements directs étrangers, l’immigration et la circulation des connaissances et des idées. La gouvernance mondiale mériterait aussi d’être élargie dans d'autres domaines, comme la sécurité, l’environnement (et le changement climatique) et la santé publique (pour éviter les pandémies).
Mais pour préserver ces biens communs, voire les étendre, il faut des investissements, de la coopération et une volonté de renoncer à des objectifs nationaux étriqués. Sans de telles concessions, les résultats seront pires pour toutes les nations du monde, riches et pauvres. Sans un effort plus concerté pour contrer certaines tendances négatives, le système mondial risque de se fragmenter encore davantage. Ainsi, parier sur la mondialisation et le multilatéralisme n’est pas seulement une affaire de prospérité économique pour un pays en développement. Cela peut aussi avoir un effet décuplant sur le bien-être sociétal ; un objectif qui mérite d’être poursuivi. La mondialisation et le renforcement des perspectives commerciales via la demande mondiale alimentent la richesse des pays en développement, par le biais du revenu et de l’emploi.
Une vaste campagne de communication est nécessaire pour contrer la dévalorisation de la gouvernance mondiale à laquelle on assiste. Ce constat vaut particulièrement pour certains pays avancés, où les dirigeants et une grande partie de l’opinion publique se retournent contre de tels efforts internationaux.
Les stratégies de développement doivent être adaptées au contexte, tout en reposant sur des principes communs
Les règles du jeu ont changé. La pensée du développement s’inscrit dans un contexte plus large et institutionnel. Ce qui se jouait auparavant dans un cercle restreint constitué d’agences d’aide, de groupes d’experts, d’universités et d’organismes internationaux implantés en Occident, est devenu un effort plus mondial. Cela implique des acteurs publics et privés et des experts issus de pays en développement. Ce groupe élargi a donné accès à une quantité croissante de données et d’informations au sujet du développement. Résultat, le discours autour des sujets de développement est devenu non seulement plus complexe, mais aussi plus contesté. Il est donc devenu encore plus important de trouver des consensus autour des connaissances générées en matière de développement (Turner (2001[92]) ; Berger et Esguerra, (2018[93])).
De nouvelles institutions sont entrées en jeu sur la scène internationale, comme l’OMC et la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (et la Conférence des Parties). Elles apportent des avantages et des obstacles nouveaux, auxquels doivent s’adapter les pays. Il en va de même pour les nouveaux enjeux liés par exemple à l’automatisation, à la transformation numérique et au changement climatique. Ce qui fonctionnait il y a 100 ans doit pour le moins être adapté à de nouvelles stratégies et de nouvelles formes de coopération.
Faute d’un paradigme unique de développement mondial, on peut toutefois identifier des principes sur lesquels construire la trajectoire de progression d’un pays. Comme le montrent les bonnes pratiques, les stratégies devraient être multisectorielles, participatives, territorialisées et multilatérales (graphique 5.7).
Les stratégies doivent être multisectorielles
Les stratégies nationales de développement doivent être multisectorielles pour répondre aux défis multidimensionnels et transversaux que doivent relever les pays. Prises isolément, les mesures engagées pour répondre à des questions sectorielles apportent rarement les bénéfices escomptés. En outre, il ne s’agit pas de superposer des plans sectoriels développés chacun de leur côté. Pour être véritablement multisectorielle, une stratégie doit tenir compte des complémentarités et des interactions entre les politiques, identifier le séquencement des mesures nécessaires pour supprimer les obstacles au développement, et faciliter la coordination des actions entre différents ministères et parties prenantes (Rodrik, 2009[94]).
Il se peut par exemple que la lutte contre l’économie informelle soit l’un des objectifs d’une stratégie nationale de développement. S’agissant d’un phénomène transversal, les tenants et les aboutissants de l’économie informelle concernent de nombreux pans de l’économie et de la société. D’après de récentes expériences, si les mesures engagées contre ce phénomène se limitent à un seul domaine, que ce soit la politique fiscale, la réglementation du travail, la protection sociale ou la réglementation commerciale, les résultats seront limités. En revanche, si la question de l’économie informelle est abordée dans une logique multisectorielle, on obtient une action publique plus efficace.
La coopération internationale peut aider les pays à adopter une telle approche lors de la conception de leur stratégie de développement. Les examens multidimensionnels par pays de l’OCDE sont l’un de ces outils. Dans une perspective globale, ces examens étudient si les questions qui entravent la progression dans un secteur donné sont aussi des obstacles ailleurs, et si elles révèlent des faiblesses sous-jacentes. Une telle méthodologie favorise également la coordination entre différentes instances du gouvernement, qui ne sont pas forcément habituées à travailler ensemble pour atteindre des objectifs communs et peuvent manquer de mécanismes de coordination.
Les stratégies doivent être participatives
Les stratégies doivent être participatives pour encourager les personnes à tous les niveaux de la société à définir leur propre trajectoire de développement. Dans les années 1970 et 1980, cette logique participative a connu un regain d’intérêt dans les pays en développement, en réaction à la forte centralisation des stratégies de développement de l’époque. Les activistes et les organisations non gouvernementales (ONG) ont alors réalisé le manque de connexion entre les besoins de la population et les logiques de développement que l’on imposait aux pays et aux sociétés (Mansuri et Rao, 2012[95]). Permettre à la population de se faire entendre au sujet des questions qui la concernent, avec une approche ascendante, a permis une plus grande connexion avec la classe politique.
Le développement participatif dans les premiers pays qui se sont industrialisés a amélioré la qualité des services publics et la responsabilisation des dirigeants locaux. Aux États‑Unis, la participation a marqué les mouvements nationaux pour les droits civiques qui aspiraient à transformer le processus politique. En Allemagne et en France, les structures associatives comme les syndicats ont œuvré pour améliorer les conditions de travail dans certains secteurs industriels, rappelant les corporations de métiers dans les cités-États de l’Europe médiévale (Wahl, 2018[96]).
Le développement participatif a également obtenu de bons résultats dans certains pays en développement. En 1997, suite à la crise financière asiatique, la Thaïlande a inscrit le développement communautaire dans sa Constitution. L’accent a été mis sur l’échelon communautaire le plus local, caractérisé par des liens interpersonnels solides et des réseaux de soutien utiles (Nuttavuthisit, Jindahra et Prasarnphanich, 2014[97]). En Chine, depuis 1978, des approches participatives ont également été adoptées dans les communautés les plus locales. Ainsi, les organisations de la société civile se sont vu confier un rôle consultatif au sujet des politiques mises en œuvre par les gouvernements régionaux (Caizhen, 2009[98]).
Le développement participatif est en outre devenu un outil politique majeur pour les organismes bailleurs, en donnant aux communautés locales des éléments de contrôle direct sur leur développement. Le développement porté par la communauté locale en Chine, qui a été progressivement encouragé par la Banque mondiale, a opté pour l’apprentissage par la pratique. Les communautés locales ont ainsi pu décider de la destination des fonds et des facteurs d’amélioration de leurs conditions de vie (Banque mondiale, 2012[99])
Les stratégies doivent être territorialisées
Les stratégies de développement doivent être territorialisées et prendre en compte des facteurs qui dépassent la dichotomie rural/urbain. La complexité du développement des régions, des communes, voire des quartiers au sein des villes, s’explique par la grande quantité de forces qui affectent à la fois la croissance, le bien-être et le revenu des populations. Ces forces locales demandent des réponses adaptées au lieu, à ses structures socio-économiques traditionnelles, ainsi qu’aux spécificités culturelles qui dictent les choix et le comportement des individus.
Les décalages nationaux et régionaux dans les facteurs de développement se reflètent souvent aux échelons locaux. Ainsi, il n’existe pas un Mexique unique, ou un Chiapas unique, tout comme il n’y a pas une Éthiopie unique. La région du Chiapas est plus pauvre que le reste du pays, mais sa capitale, Tuxtla Gutierrez, est environ huit fois plus riche que les communes locales les plus pauvres. En Éthiopie, l’accès des ménages agricoles aux marchés varie autant au sein des régions qu’à l’échelle du pays (Koo et al., 2016[100]).
On trouve ainsi à différents niveaux géographiques et à différentes époques des exemples qui illustrent l’importance de mettre en place des politiques territorialisées. Tous ces exemples ont néanmoins un point commun : chaque lieu se distingue par un savoir-faire, des capacités de production, des compétences éducatives ou des contraintes infrastructurelles et institutionnelles qui lui sont propres. Ces facteurs constituent un écosystème dans lequel les individus peuvent s’épanouir socialement et physiquement de façon productive, en absorbant de nouvelles connaissances et en améliorant ainsi leur bien-être général (Hausmann, Pietrobelli et Santos, 2018[101]). Les politiques doivent donc être élaborées pour favoriser la construction d’écosystèmes fertiles, en supprimant les obstacles territorialisés qui entravent le développement.
Les stratégies doivent reposer sur une coopération multilatérale
Les stratégies de développement doivent être multilatérales pour donner aux pays un rôle actif dans la gouvernance mondiale. La logique multilatérale permet aux pays en développement de faire entendre leur voix. On passe alors d’une définition individuelle de stratégies nationales à la conception proactive de politiques globales. En inscrivant leurs stratégies de développement dans un cadre multilatéral, les pays peuvent augmenter la portée de leurs politiques nationales, ce qui leur permet de rester au fait des questions qui dépassent les frontières nationales et de tirer parti des politiques engagées à des échelons supranationaux.
Cette perspective multilatérale au sein des stratégies nationales permet d’obtenir un consensus international et une action collective qui sont nécessaires pour préserver les biens communs mondiaux et créer des conditions d’égalité entre les pays. Ainsi, pour obtenir des résultats dans la lutte contre les flux financiers illégaux et l’évasion fiscale, élément clé de mobilisation des ressources nationales dans les pays en développement, il est essentiel de reposer sur des accords internationaux sur l’échange d’informations comme l’initiative BEPS (Érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices) de l’OCDE (OCDE, 2013[102]). Le développement d’un pays sera plus direct s’il peut s’alimenter de fonds adaptés au contexte ou de l’expertise technique d’instances multilatérales.
Par ailleurs, pour que les échanges commerciaux et financiers internationaux bénéficient aux pays en développement, il est nécessaire de mettre en place de façon multilatérale un système régulé et transparent communément admis. En fin de compte, les stratégies multilatérales de développement permettent la coordination des politiques pour endiguer les principales menaces ou, dans le pire des cas, en atténuer les effets secondaires et les retombées à l’échelle des pays.
Vers de nouvelles modalités de coopération internationale
Le Plan Marshall a donné une leçon importante, qui ne peut être appréciée que rétrospectivement : le développement s’opère dans un contexte de coopération internationale. C’est le rôle de l’OCDE, qui a été créée pour préserver les apprentissages de la coopération internationale et du Plan Marshal après la dissolution de l’Organisation européenne de coopération économique (OECE).
La coopération internationale reste l’une des meilleures solutions pour relever les défis du développement, de plus en plus complexes. Mais pour rester efficace, elle doit s’adapter à un contexte en constante évolution. Pour que tous les pays atteignent les objectifs fixés dans le Programme de développement durable à l’horizon 2030, il faudra engager de nouvelles formes de coopération, tout en adoptant de nouveaux outils qui permettent de mieux évaluer les défis et mettre en œuvre les solutions. Ces nouvelles modalités sont diverses : coopération Sud-Sud ou triangulaire, meilleur partage des connaissances, transferts de technologie et dialogue politique entre pairs. Il est crucial que l’accès à la coopération internationale ne dépende pas du niveau de revenu d’un pays. Comme l’a démontré le présent rapport, les indicateurs liés au revenu, comme le PIB par habitant, sont trop restreints pour évaluer le développement d’un pays dans toute sa complexité. Il convient au contraire d’instaurer un système plus inclusif de coopération internationale sur le développement durable, pour garantir à tous bien-être et prospérité
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[29] WFP (2018), Cash transfers & blockchain, https://innovation.wfp.org/project/building-blocks (consulté le November 2018).
Annexe 5.A. Plans nationaux de développement
Tableau d’annexe 5.A.1. Plans nationaux de développement évalués dans le cadre de ce chapitre
Afrique subsaharienne |
Burkina Faso |
PNDES 2016-2020 |
Ouganda |
Vision 2040 |
|
Botswana |
Vision 2036 |
|
Éthiopie |
Plan II de croissance et de transformation 2015/16-2019/20 |
|
Côte d’Ivoire |
Plan National de Développement 2016-2020 |
|
Namibie |
Vision 2030 |
|
Afrique du Sud |
NPD 2030 |
|
Sénégal |
Plan Sénégal Émergent 2035, Plan d’actions prioritaires 2014-2018 |
|
Moyen-Orient et Afrique du Nord |
Égypte |
Vision 2030 |
Jordanie |
Jordan 2025 |
|
Maroc |
Plan d’Accélération Industrielle 2014-2020 |
|
Asie de l’Est et du Sud-Ouest |
Cambodge |
NSDP 2014-2018 |
Chine |
Chine 2030, 13e plan quinquennal 2016-2020 |
|
Indonésie |
Accélération et expansion du développement économique de l’Indonésie 2011-2025 |
|
RDP Lao |
NSEDP 2016-2020 |
|
Malaisie |
Vision 2020 |
|
Thaïlande |
12e plan national de développement économique et social 2017-2021 |
|
Viet Nam |
Stratégie Croissance verte 2011-2020 |
|
Myanmar |
Plan national de développement global 2011-2031 |
|
Asie centrale |
Arménie |
Stratégie 2014-2015 |
Azerbaïdjan |
Azerbaïdjan 2020 |
|
Turquie |
Programme à moyen terme 2018-2020, 10e plan de développement 2014-2018 |
|
Russie |
Stratégie nationale de sécurité économique jusqu’en 2030 |
|
Kazakhstan |
Stratégie 2050 |
|
Asie du Sud |
Bangladesh |
7e plan quinquennal 2016-2020 |
Népal |
Feuille de route des ODD 2016-2030 |
|
Sri Lanka |
Vision 2025 |
|
Inde |
12e plan quinquennal 2012-2017 |
|
Amérique latine |
Argentine |
PAI 2020 |
Chili |
Productividad para un Crecimiento Inclusivo 2014-2018, Plan de Accion Nacion de Cambio Climatico 2017-2022 |
|
Colombie |
Plan Nacional de Desarrollo 2014-2018 |
|
Équateur |
Plan Nacional de Desarrollo 2017-2021 |
|
Mexique |
Plan Nacional de Desarrollo 2013-2018 |
|
Pérou |
Plan bicentenario hasta 2021 |
|
El Salvador |
Plan Quinquenal de Desarrollo 2014-2019 |
|
Uruguay |
Plan Uruguay 2015 – 2020 |
|
Bolivie |
Agenda Patriotica 2025 |
|
Panama |
Vision 2030 |
|
Brésil |
Plano Plurianual 2016-2019 |
Note
← 1. Le RNB mesure la valeur ajoutée totale nationale et étrangère revenant aux résidents, et se compose du PIB augmenté des recettes nettes du revenu primaire (rémunération des salariés et revenus fonciers) issues de l’étranger.