Le processus de transformation de la géographie économique a accéléré la convergence économique de nombreux pays en développement. Cependant, la forte croissance économique du Sud est loin d’avoir résolu tous les problèmes dans les pays connaissant une transformation économique rapide, et les trajectoires de développement ont été différentes d’un pays à l’autre. La nature du développement est en effet intrinsèquement plus complexe et multidimensionnelle que ne saurait le résumer à lui seul le produit intérieur brut (PIB). S’inscrivant dans une perspective historique à long terme, ce chapitre explore les trajectoires de développement au-delà du simple indicateur du PIB. Il s’interroge sur la signification du développement à la lumière des débats actuels sur « l’après-PIB », présente des données sur l’évolution du PIB et du bien-être depuis 1820 dans un large éventail d’économies émergentes et en développement, et compare l’expérience des premiers pays qui se sont industrialisés à celle des économies qui ont opéré leur émergence plus récemment.
Perspectives du développement mondial 2019
Chapitre 3. Hier et aujourd’hui : Différences des trajectoires de développement
Abstract
La rédaction de ce chapitre est le fruit d’un travail conjoint du Centre de développement de l’OCDE, de la Direction des statistiques et des données de l’OCDE et de chercheurs de l’équipe Clio-Infra de l’Université d’Utrecht. Les sections de ce chapitre consacrées à l’analyse historique et régionale du bien-être se fondent en particulier sur les travaux de Rijpma, van Zanden et Mira d’Ercole (2018[1]).
Les données statistiques concernant Israël sont fournies par et sous la responsabilité des autorités israéliennes compétentes. L’utilisation de ces données par l’OCDE est sans préjudice du statut des hauteurs du Golan, de Jérusalem Est et des colonies de peuplement israéliennes en Cisjordanie aux termes du droit international.
L’économie mondiale connaît un processus de transformation radicale de sa géographie sous l’effet de la forte croissance économique de tout un ensemble de pays émergents et en développement. La croissance économique du Sud est toutefois loin d’avoir résolu tous les problèmes. La nature du développement est intrinsèquement plus complexe et multidimensionnelle que ne saurait le résumer la seule croissance du produit intérieur brut (PIB). Malgré la croissance économique, d’anciens problèmes subsistent et de nouveaux sont apparus. S’inscrivant dans une perspective historique à long terme, ce chapitre analyse les différentes dimensions du développement au-delà du simple indicateur du PIB par habitant. Ce faisant, il examine les différences de résultats des trajectoires de développement sur le plan de la croissance et du bien-être entre les économies ayant opéré leur émergence plus récemment et les premiers pays qui se sont industrialisés1.
Ce chapitre analyse un large éventail de dimensions, telles que la pauvreté, l’inégalité, la santé, l’éducation, la qualité environnementale et la sécurité personnelle. Il compare en outre l’expérience de ces pays depuis les années 1950 à celle des pays de l’« ancien monde » ayant connu leur essor économique au XIXe et au début du XXe siècle.
Comment la relation entre la croissance du PIB et d’autres indicateurs du développement économique, social, politique et environnemental a-t-elle évolué dans le temps ? La croissance économique et l’industrialisation au XIXe siècle ont-elles eu la même incidence sur le bien-être des individus que dans les économies ayant opéré leur émergence plus récemment ?
Les résultats semblent indiquer que les pays ont connu des expériences de croissance différentes selon les époques. La croissance de rattrapage de la République populaire de Chine (ci-après dénommée « Chine ») et de l’Inde à la fin du XXe siècle a par exemple eu une incidence différente sur le bien-être que la croissance de pays comme l’Allemagne et la Suède, qui font partie des premiers à s’être industrialisés au XIXe siècle. Sur le plan de la croissance annuelle du PIB par habitant2, les deux pays du premier groupe ont respectivement enregistré des taux de 5 % et 10 %, contre tout au plus 2 % pour les deux pays du second groupe. Une croissance plus forte du PIB permet également des progrès plus rapides sur le plan du bien-être. Toutefois, la mesure dans laquelle la croissance du PIB se traduit en progrès sur le plan du bien-être varie sensiblement. Dans certains cas, elle n’a même aucune incidence à cet égard.
Ce chapitre se fonde sur un large éventail d’indicateurs du bien-être développés par les historiens de l’économie et inclus dans la série de l’OCDE Comment va la vie ? (van Zanden et al., 2014[2])3.
Il commence par une brève analyse de la signification du « développement », avant d’examiner les initiatives lancées dans le sillage du rapport de Stiglitz-Sen-Fitoussi de 2009 afin de mesurer la performance « au-delà du PIB ».
Il examine ensuite, éléments probants à l’appui, l’évolution de la relation entre les niveaux de PIB réel par habitant et les indicateurs du bien-être à l’échelle mondiale depuis 1820.
Il analyse ensuite l’évolution depuis les années 1950 de différentes dimensions de la vie dans 23 économies émergentes4 à partir de la base de données Clio-Infra, et met au jour les similitudes et les différences entre les pays au cours de différentes périodes.
La section suivante met au jour les caractéristiques clés se dégageant de l’expérience de neuf pays du monde développé parmi les premiers à s’être industrialisés (1820-1950)5. Elle compare en outre l’expérience des premiers pays qui se sont industrialisés à celle des pays ayant connu ce processus plus tardivement, et montre comment le bien-être a progressé à un rythme moins soutenu que le PIB dans les premiers.
Enfin, la dernière section résume les principales conclusions de l’analyse, soulignant la nécessité de repenser les paradigmes de développement à la lumière de l’évolution des relations entre croissance économique et bien-être.
Ce chapitre s’articule autour des trois grands messages suivants :
Le développement ne saurait se résumer à la croissance du PIB par habitant ; sa mesure requiert un large éventail d’indicateurs.
Le PIB par habitant et les résultats en matière de bien-être ne sont pas toujours liés.
La qualité de la croissance économique des pays industrialisés plus récemment n’a pas atteint le niveau de celle des premiers pays à s’être industrialisés : les progrès réalisés sur le plan du bien-être pourraient avoir été encore plus importants au vu de la rapidité du rythme de croissance.
« Développement », certes, mais de quoi ?
En 1969, Dudley Seers affirmait que la nature des principaux défis rencontrés par le monde en développement durant la période d’après-guerre avait fait l’objet d’une perception totalement erronée :
Ce défi consistait, pensait-on, à accroître les revenus nationaux des « pays en développement », avec une cible de 9 % de taux de croissance pour la première décennie de développement. Nous avons bien sûr tous conscience que le développement ne saurait se résumer à la croissance économique [...]. Or, cette idée ne semble guère aller plus loin que les beaux discours. [...][L’]expérience de la décennie écoulée fait ressortir toute la naïveté de cette vision. [...]Maintenant que la complexité des problèmes de développement devient de plus en plus évidente, la persistance de cet entêtement à utiliser cette unique mesure agrégative en dépit de la réalité apparaît sous un jour tout à fait différent : elle pourrait laisser penser que l’on préfère éviter la réalité des problèmes de développement. (Seers, 1969[3])
Cinquante ans après ces réflexions, le défi de Seers n’a toujours pas trouvé de réponse adéquate. Néanmoins, les évolutions de ces dernières années permettent de le relever de façon plus systématique qu’auparavant. En 2009, la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social publiait un rapport décisif. Créée à l’initiative de l’ancien président français Nicolas Sarkozy, cette commission soulignait les limites de l’utilisation du PIB comme indicateur du bien-être. Elle appelait à délaisser une approche uniquement centrée sur la mesure de la production économique au profit de l’intégration de dimensions plus soucieuses de l’individu. Ce faisant, elle soulignait l’importance de combiner le PIB avec des indicateurs plus larges du bien-être économique des ménages, de la qualité de vie et des inégalités, ainsi que de la durabilité de ces dimensions dans le temps (Stiglitz, Sen et Fitoussi, 2009[4]). Depuis lors, l’OCDE joue un rôle central dans la mise en pratique de cette initiative en assurant le suivi régulier de tout un ensemble d’indicateurs du bien-être pour ses pays membres.
La notion de bien-être est proche de celle de développement humain – promue entre autres par Sen (1999[5]) – qui sous-tend les travaux de nombre des agences de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Elle cible : les résultats et possibilités revêtant une importance intrinsèque pour les individus eux-mêmes (fin en soi), et ne servant pas juste d’instrument pour parvenir à autre chose (moyen) ; la diversité de ces résultats ; et leur irréductibilité à une dimension unique (aucun niveau de revenu, quel qu’il soit, ne peut par exemple compenser le manque de libertés fondamentales).
Le concept de « capacités », développé par Sen, souligne l’importance de comprendre le développement comme un processus élargissant les possibilités de choix à disposition de chaque individu. Le rapport Comment va la vie ? de l’OCDE reconnaît toutefois que les mesures basées sur les résultats sont souvent les meilleures que l’on puisse obtenir. Plusieurs principes clés sous-tendent ces travaux. En premier lieu, ils s’attachent aux individus plutôt qu’aux conditions économiques globales. En deuxième lieu, ils mettent l’accent sur les résultats en matière de bien-être – les dimensions de l’existence revêtant une importance directe et intrinsèque pour les individus –, plutôt que sur les intrants et les extrants susceptibles d’être utilisés pour atteindre ces résultats6. Deux raisons motivent cette approche : les intrants peuvent être faiblement corrélés aux ressources dédiées à l’obtention des résultats en matière de bien-être ; et une combinaison différente d’intrants et d’extrants peut s’avérer tout aussi efficace pour l’obtention du même résultat. En troisième lieu, ils soulignent l’importance de l’inégalité pour chaque dimension du bien-être. En quatrième lieu, ils prennent en compte aussi bien les dimensions objectives que subjectives de l’existence, partant du principe que la perception et le ressenti des individus comptent autant que les conditions objectives dans lesquelles ils vivent. Enfin, ils prennent en compte la durabilité de ces résultats. Sans impliquer la négation de l’importance du PIB et de la croissance économique, cette approche reconnaît plutôt leur rôle de moyens au service d’une fin, et non de fin en soi.
Ce sont ces principes qui sous-tendent le cadre présenté dans le graphique 3.1. pour les pays de l’OCDE (OCDE, 2017[6]). Le bien-être actuel y est décrit à l’aide de 11 dimensions, elles-mêmes réparties dans deux catégories plus générales : la qualité de vie et les conditions matérielles. L’évaluation du bien-être futur se fonde sur l’évolution d’un ensemble de ressources. Les bénéfices de demain sont affectés par nos actions d’aujourd’hui. Ces ressources sont regroupées en quatre catégories de capital : économique, naturel, humain et social. Ce cadre est mis en œuvre à l’aide d’un ensemble d’indicateurs clés relatifs aux résultats (et inégalités) en matière de bien-être, ainsi qu’aux ressources susceptibles d’en assurer la durabilité.
Cette approche permet-elle de décrire avec justesse l’expérience de développement des pays plus pauvres ? Une analyse de la littérature indique qu’aucune des dimensions présentées dans le graphique 3.1. ne saurait être jugée non pertinente dans les pays moins développés. Si l’importance relative de différents aspects de l’existence peut certes varier en fonction des contextes nationaux, la plupart des dimensions sont néanmoins communes entre les pays. Elles diffèrent davantage en termes de désignation que de caractéristiques essentielles. Il conviendrait d’adapter le cadre présenté dans le graphique 3.1. afin qu’il corresponde mieux aux réalités et préoccupations des pays plus pauvres7. Toutefois, c’est l’importance attribuée aux différentes dimensions par les habitants des pays eux-mêmes qui est le plus susceptible de varier entre les pays (Boarini, Kolev et McGregor, 2014[7]). Cette conclusion concorde également avec la série d’études « La parole est aux pauvres », menées par la Banque mondiale à la fin des années 1990 (Narayan et al., 1999[8]). Ces études soulignaient l’importance des besoins complexes (c’est-à-dire d’avoir accès à l’expression et à la reconnaissance, et d’éviter la honte et l’isolement), par opposition aux besoins fondamentaux que sont la nourriture et le logement, même parmi les populations les plus démunies des pays les plus pauvres, conclusion qui va à l’encontre de la vision d’une hiérarchie rigide de besoins variant en fonction des différents stades de développement économique des pays.
La publication de l’OCDE How Was Life? décrit les tendances de développement à long terme dans un cadre géographique et temporel plus large (à partir des années 1820) (van Zanden et al., 2014[2]) (encadré 3.1), à l’aide d’une méthodologie similaire à celle utilisée dans le rapport Comment va la vie ?8. Ce type d’analyse historique est naturellement confrontée à tout un ensemble de problèmes pratiques. Les données historiques ne sont tout simplement pas disponibles pour certaines des dimensions incluses dans le graphique 3.19. Dans d’autres cas, les données disponibles peuvent se référer à des concepts qui ne sont qu’une approximation lointaine de la variable étudiée. La limitation des données rend aussi la distinction conceptuelle entre bien-être actuel et futur moins applicable à l’analyse historique. Plusieurs décennies de recherches historiques ont néanmoins aussi permis la mise au jour d’un riche corpus de données sur différents aspects de l’existence à l’échelle individuelle. Il est ainsi possible de procéder à un recueil systématique de ces données et, dans une certaine mesure, de les comparer entre les pays et dans le temps. Il s’agit là d’avoir approximativement raison plutôt que précisément tort, ce qui se produit lorsque l’on entend résumer l’expérience de développement des pays à travers la simple évolution de leur PIB par habitant.
Encadré 3.1. Le projet Clio-Infra et le rapport How Was Life?
Lancé par une équipe d’historiens de l’économie, le projet Clio-Infra est une initiative interdisciplinaire internationale visant à retracer de façon systématique les différentes dimensions du développement entre 1500 et 2010. Clio-Infra s’appuie sur un effort sans précédent de compilation d’une série d’indicateurs comparables du développement économique à l’échelle mondiale sur un millénaire (Maddison, 2001[9]).
Le rapport How Was Life? (van Zanden et al., 2014[2]) marque l’aboutissement du projet Clio-Infra. Il inclut des données sur six régions du monde (pondérées en fonction de leur population) : l’Europe de l’Ouest ; l’Europe de l’Est et l’ex-Union soviétique ; les pays d’immigration européenne (Australie, Canada et États-Unis) ; l’Amérique latine et les Caraïbes ; l’Afrique subsaharienne ; et le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. Les analyses se fondent sur l’ensemble des pays de la base de données Clio-Infra disposant de données suffisantes, avec une série distincte pour 25 des plus grands pays du monde, à savoir : l’Afrique du Sud, l’Allemagne, l’Argentine, l’Australie, le Brésil, le Canada, la Chine, l’Égypte, l’Espagne, les États-Unis, la Fédération de Russie (ci-après dénommée « Russie »), la France, l’Indonésie, l’Inde, l’Italie, le Japon, le Kenya, le Mexique, le Nigéria, les Pays-Bas, la Pologne, le Royaume-Uni, la Suède, la Thaïlande et la Turquie. Les données se réfèrent dans l’ensemble aux États nationaux sur la base des frontières existantes. Par conséquent (et dans la mesure du possible), la base de données utilise les frontières les plus récentes comme référence et corrige les données antérieures afin de prendre en compte, le cas échéant, les changements de frontières. Dans les cas où cette approche n’a pu être adoptée, les données se réfèrent aux pays sur la base de leurs frontières historiques.
Les données de How Was Life?, en partie utilisées dans ce chapitre, sont des estimations pointues réalisées par des historiens de l’économie pour différents pays. Elles sont harmonisées, dans la mesure du possible, par les participants du projet. Ces estimations concernent : le PIB et le PIB par habitant ; les salaires réels des travailleurs non qualifiés ; le niveau d’éducation ; l’espérance de vie ; la taille de la population ; les décès par homicide ; les institutions politiques ; les émissions de dioxyde de carbone et de nitrates ; et la perte de biodiversité. Des données sur les inégalités de revenu et les inégalités hommes-femmes, ainsi qu’un indice composite du bien-être, sont aussi inclus dans le rapport.
Les données du rapport How Was Life? sont présentées sous forme de moyennes décennales. La couverture des données s’améliorant pour les périodes plus récentes, des imputations sont réalisées pour les pays manquants durant les périodes antérieures. Pour l’ensemble des séries, la qualité des données (pour les pays individuels et les décennies) est évaluée à l’aune de trois critères : la crédibilité (le degré de fiabilité des sources des données) ; l’exactitude (le degré de validité et de représentativité des données au regard de la variable qu’elles entendent mesurer) ; et la comparabilité (le degré de similitude du concept mesuré par les données de différentes sources et de la méthodologie utilisée pour leur collecte).
Ces critères permettent de distinguer quatre catégories de données :
les données de qualité supérieure, produites par un organisme officiel de statistiques (national ou international) ou par des chercheurs utilisant des techniques garantissant une crédibilité équivalente
les données de qualité intermédiaire, produites à partir de sources historiques et de méthodes comparables (mais pas nécessairement identiques) à celles utilisées par les organismes officiels de statistiques
les données de qualité inférieure, résultant de recherches historiques dans un cadre où les données sont limitées et faisant appel à des données indirectes et à des estimations
les estimations, fondées sur des suppositions, conjectures et interpolations entre les années de référence, qui peuvent présenter d’importantes incohérences entre les pays ou des lacunes de couverture.
Le rapport How Was Life? examine, données probantes à l’appui, la multidimensionnalité du développement dans une perspective historique à long terme. Un sous-ensemble de ces variables (tableau 3.1) est utilisé dans ce chapitre afin de mieux comprendre la relation entre le PIB par habitant et différentes variables du bien-être, et de comparer les expériences de développement des pays dans différentes régions du monde et à différentes époques. Cette analyse montre que s’il existe bien de fortes corrélations entre le PIB par habitant et la plupart des dimensions de l’existence des individus à travers les différents lieux et époques, ces corrélations ne sont néanmoins pas toujours linéaires.
Tableau 3.1. Variables du bien-être de la base de données Clio-Infra
Résultat sur le plan du bien-être |
Nom de la variable |
Max. |
Min. |
---|---|---|---|
État de santé |
Espérance de vie à la naissance |
83.1 ans (+) |
14.5 ans (-) |
Institutions politiques |
Indicateur composite des régimes politiques (Polity2) |
10 (+) pleinement démocratique |
-10 (-) pleinement autoritaire |
Éducation |
Nombre moyen d’années de scolarisation |
13.6 années (+) |
0.01 année (-) |
Taille |
Taille moyenne de différentes cohortes de naissance |
183 cm (+) |
152 cm (-) |
Inégalités de revenu |
Coefficient de Gini |
0.74 (+) |
0.21 (-) |
Revenus |
Nombre de paniers de consommation achetés avec le salaire réel d’un travailleur non qualifié du secteur de la construction |
355 paniers de subsistance (+) |
0.5 panier de subsistance (-) |
Sécurité personnelle |
Taux d’homicides |
82 homicides pour 100 000 habitants (-) |
0 homicide pour 100 000 habitants (+) |
Qualité de l’environnement |
Émissions de dioxyde de soufre par habitant |
425 (-) kg SO2 par habitant |
0 (+) |
Bien-être global |
Indicateur composite du bien-être |
3.7 (+) |
-1.6 (-) |
Note : Le signe (+) indique que plus les valeurs de la variable sont élevées (par exemple, l’éducation), plus le bien-être augmente, tandis que le signe (-) indique que plus les valeurs de la variable sont élevées (par exemple, les inégalités de revenu), plus le bien-être diminue. Les paniers de subsistance sont une mesure des biens fondée sur un apport standard en calories et protéines (van Zanden et al., 2014[2]). L’indicateur composite du bien-être est une mesure linéaire composée de neuf variables : PIB par habitant, salaire réel, taille, espérance de vie, nombre moyen d’années de scolarisation, inégalités de revenu, gouvernance, abondance des espèces et taux d’homicides.
Source : Clio-Infra (2017[10]), Clio-Infra (base de données), www.clio-infra.eu (consulté en juillet 2018).
Le développement est un concept complexe et multidimensionnel
Le bilan de la croissance économique depuis 1990 est relativement positif, comme l’illustre le chapitre 2. La transformation de la géographie économique a amélioré les perspectives de croissance de nombreux pays en développement, les plaçant sur la voie de la convergence avec les économies plus développées à travers le monde.
Une vision plus globale du développement, tenant compte des conditions matérielles (par exemple, les revenus), ainsi que de la qualité de vie (par exemple, la santé et l’éducation) qui contribue au bien-être, révèle cependant une situation plus complexe : malgré la croissance économique, le nombre d’individus vivant dans l’extrême pauvreté continue d’augmenter dans certains pays, l’écart entre riches et pauvres se creuse, et la situation environnementale se détériore. La combinaison de la transformation de la géographie économique, de la convergence économique et du mouvement dynamique de ces dimensions du bien-être estompe la démarcation auparavant plus nette entre pays « développés » et pays « en développement ».
Depuis la création des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), des progrès considérables ont été réalisés sur le plan de la réduction de la pauvreté. La cible des OMD visant à réduire l’extrême pauvreté de moitié d’ici à 2015 a ainsi été atteinte 5 ans plus tôt que prévu (United Nations, 2015). La Chine a réduit l’extrême pauvreté dans sa population, la faisant passer de 67 % à 2 % entre 1990 et 2013, c’est-à-dire de 755 millions à 25 millions d’individus. Le nombre d’individus vivant sous le seuil d’extrême pauvreté en dehors de la Chine a également été réduit de 337 millions entre 1990 et 2013, malgré la rapidité de la croissance démographique (Banque mondiale, 2018[11]). Les Objectifs de développement durable (ODD) poursuivent l’impulsion donnée par les OMD.
Toutefois, ces grandes avancées économiques des deux dernières décennies et la poursuite de la croissance de certains des pays les plus pauvres de la planète ne suffisent pas à venir à bout de l’extrême pauvreté. En Afrique, par exemple, bien que la population en situation d’extrême pauvreté ait diminué en valeur relative (passant de 56 % en 1990 à 43 % en 2012), elle a considérablement augmenté en valeur absolue au cours de cette période, sous l’effet de la rapide croissance démographique de la région (Beegle et al., 2016[12]).
L’Horloge mondiale de la pauvreté (World Poverty Clock [WPC]) propose des estimations et un suivi en temps réel des progrès accomplis vers la réalisation du premier ODD : mettre fin à l’extrême pauvreté. D’après la WPC, en juillet 2018, environ 641 millions d’individus dans le monde vivaient encore sous le seuil d’extrême pauvreté de 1.90 USD par jour. Plus d’un tiers d’entre eux se concentraient dans trois pays : la République démocratique du Congo, l’Inde et le Nigéria. Malgré une croissance du PIB supérieure à la moyenne mondiale de 3 % entre 2010 et 2017 dans plusieurs pays en développement, le nombre de pauvres devrait encore avoir augmenté dans 15 pays à l’horizon 2030, année cible des ODD. En outre, dans 12 pays, plus de la moitié de la population vit dans l’extrême pauvreté. Les perspectives s’améliorent toutefois dans des pays comme la Guinée-Bissau, le Lesotho, le Malawi et le Mozambique, où le taux d’extrême pauvreté est en recul (graphique 3.2).
La pauvreté n’est pas le seul facteur à prendre en compte ; la répartition des bénéfices de la croissance au sein des pays joue un rôle tout aussi important (Islam (2006[13]) ; Khan (2007[14])). Les inégalités de revenu ont augmenté dans des pays comme la Chine et l’Inde, malgré la croissance du PIB et la trajectoire de convergence observées dans les pays en développement au cours des 20 dernières années (Alvaredo et al., 2017[15]). La situation n’est cependant pas identique dans tous les pays. Contrairement à l’expérience récente des économies développées, dans les pays en développement, les riches s’enrichissent, mais les pauvres aussi. L’aggravation récente des inégalités dans les économies plus développées s’explique en grande partie par l’enrichissement des riches, mais pas des pauvres (Lang et Mendes Tavares, 2018[16]).
L’évolution des autres dimensions du bien-être compte tout autant. La détérioration des conditions de vie dans nombre de pays en développement dans les années 1950 et 1960, dans un contexte d’enthousiasme pour le développement et d’effort d’industrialisation, a ouvert la voie à une conception du développement dépassant la simple question du revenu et de sa distribution. Dudley Seers, ainsi que Robert McNamara et Amartya Sen, contribueraient à accorder une place plus importante à la réduction de la pauvreté et à l’amélioration des résultats non économiques dans le programme de développement des années 1970. Inspirée par les travaux de Sen, l’Organisation des Nations Unies a lancé en 1990 son Rapport sur le développement humain. Plus récemment, les OMD en 2001, puis les ODD qui leur ont succédé en 2015, ont réaffirmé l’importance et assuré la diffusion d’une vision du développement allant bien au-delà de la seule croissance du PIB.
La relation entre le bien-être et le PIB par habitant est complexe. La satisfaction individuelle à l’égard du niveau de vie semble par exemple bel et bien augmenter avec le PIB par habitant des pays. Cette relation n’est toutefois pas linéaire. En outre, sa variance n’est pas uniforme aux différents niveaux de PIB par habitant. D’après une enquête Gallup, le pourcentage d’individus insatisfaits du niveau de vie dans leur pays varie sensiblement parmi les pays du tiers inférieur du classement en fonction du PIB par habitant, mais moins aux niveaux supérieurs (graphique 3.3).
Les pays sont parfois confrontés aux mêmes défis indépendamment de leur niveau de revenu. Pour tout un ensemble de dimensions du développement, la classification des pays en fonction de leur revenu ne suffit en effet pas à déterminer le type de défis de développement que chacun d’eux rencontre.
La classification des pays en fonction de leur revenu donne en revanche une bonne indication de la prévalence de l’extrême pauvreté. D’après de récentes analyses du Centre de développement de l’OCDE (OCDE, 2017[17]), parmi l’ensemble des pays à revenu intermédiaire, seule la République du Congo présente un niveau d’extrême pauvreté qui correspondrait à celui d’un pays à faible revenu. Ce constat concorde avec les conclusions de la littérature qui soulignent le rôle majeur de la croissance économique dans la réduction de l’extrême pauvreté monétaire (Dollar et Kraay, 2002[18]).
En revanche, la classification des pays en fonction de leur revenu n’est pas un bon indicateur du niveau d’inégalité. Aucune corrélation étroite ne s’observe entre le revenu national brut (RNB) par habitant et le coefficient de Gini des pays, indicateur standard des inégalités de revenu. Sans surprise, 13 % des pays à revenu élevé présentent des niveaux d’inégalité qui pourraient très bien s’observer dans des économies à faible revenu. En outre, près de la moitié de l’ensemble des pays à revenu intermédiaire présentent des niveaux élevés d’inégalité (avec un coefficient de Gini supérieur à 0.4). Ce constat concorde avec les conclusions de la littérature qui montrent que plusieurs pays passés dans le groupe des pays à revenu intermédiaire au cours des dernières décennies ont connu une croissance accompagnée d’un important creusement des inégalités (Sumner, 2016[19]).
On s’accorde sur la nécessité pour les pays relativement plus pauvres de connaître une croissance plus rapide, et sur le rôle fondamental de cette croissance économique pour leur développement (Milanovic, 2016[20]). Le PIB mesure la production nationale et reste un indicateur utile pour le suivi de cette dimension du développement. Toutefois, lorsque l’on s’attache à la situation des individus sur le plan du bien-être dans une société, le PIB et le PIB par habitant s’avèrent des concepts moins utiles. Le PIB par habitant ne saurait par exemple être confondu avec le revenu, le calcul du PIB incluant les revenus des non-résidents, notamment des entreprises multinationales susceptibles de rapatrier leurs bénéfices. Le PIB par habitant n’est donc pas un indicateur du revenu moyen des individus, l’une des dimensions du bien-être incluse dans la catégorie plus large des « conditions matérielles ».
Une vision plus globale du développement requiert l’adoption d’une approche différente de la notion même de mesure qui, si l’on souhaite l’élargir au-delà de l’utilisation du PIB comme unique mètre étalon, nécessite tout un ensemble d’indicateurs des différentes dimensions du bien-être et des données sur leur répartition au sein des populations.
PIB par habitant et bien-être : bref aperçu historique
Quel lien existe-t-il entre le bien-être individuel et le PIB par habitant, et comment a-t-il évolué depuis 1820 ? Dans l’ensemble, les indicateurs du bien-être présentent une corrélation étroite avec le PIB par habitant10. Les pays dont le PIB par habitant est plus élevé présentent ainsi de meilleurs résultats en termes de niveau d’éducation, de salaires réels, de taille moyenne et d’espérance de vie, ainsi que des taux d’homicides plus faibles et des institutions plus démocratiques11. Pour certains indicateurs, tels que l’inégalité des revenus et le taux d’homicides, la corrélation avec le PIB par habitant est bien plus faible et n’est devenue négative qu’au milieu du XIXe siècle et au début du XXe, respectivement (les inégalités et le taux d’homicides ont ainsi fini par être en général plus faibles dans les pays dont le PIB par habitant était plus élevé).
La relation entre différentes dimensions du bien-être et le PIB par habitant a évolué au fil du temps. Deux phases se distinguent ainsi (graphique 3.4).
Durant la première, du milieu du XIXe siècle jusqu’en 1870 environ, les pays dont le PIB par habitant était plus élevé n’affichaient pas nécessairement de meilleurs résultats sur le plan du bien-être. En moyenne, ils présentaient une espérance de vie plus courte et des taux d’homicides plus élevés, ainsi que des institutions pas plus démocratiques que dans d’autres pays. Ce constat semble indiquer que, durant cette phase, la croissance économique et l’industrialisation ne contribuaient pas nécessairement au bien-être des populations. Durant les 50 premières années de croissance économique dans les premiers pays qui se sont industrialisés, le bien-être a connu des progrès relativement limités, voire parfois un certain recul.
Durant la seconde phase, qui débute vers 1870, la corrélation entre le PIB par habitant et les indicateurs du bien-être s’est renforcée. Plusieurs évolutions sous-tendent cette convergence.
En premier lieu, l’importation en Europe de denrées alimentaires américaines meilleur marché a entraîné une chute spectaculaire des prix alimentaires, contribuant ainsi à la hausse des salaires réels et des niveaux de consommation (O'Rourke, 1997[22]).
En deuxième lieu, tandis que les premières phases d’industrialisation s’étaient déroulées dans des régimes non démocratiques, à la fin du XIXe siècle, nombre de pays en voie d’industrialisation étaient devenus démocratiques.
En troisième lieu, les percées de la connaissance médicale – telles que la théorie de l’origine microbienne des maladies, développée par Pasteur – ont créé les conditions favorables à l’offre de soins de santé bien plus efficaces. Parallèlement, les gouvernements ont souvent porté un intérêt croissant aux questions de santé publique. L’espérance de vie a ainsi commencé à s’allonger en Europe et dans les pays d’immigration européenne après 1870, sous l’effet du recul de la mortalité infantile.
En quatrième lieu, les premières mesures politiques pour répondre aux préoccupations sociales ont été prises en Europe, probablement suite à l’extension du droit de vote à la classe ouvrière. Parmi ces mesures, citons l’interdiction du travail des enfants et la législation sur la durée maximale de travail. En conséquence, un lien est apparu vers 1870 à l’échelle mondiale entre d’un côté, le PIB par habitant et de l’autre, l’espérance de vie, la taille des individus ou les institutions démocratiques (graphique 3.4), soit un changement par rapport au milieu du XIXe siècle, où aucune corrélation de ce type n’existait. Des évolutions similaires s’observent pour d’autres indicateurs du bien-être.
Le XIXe siècle a donc d’abord été marqué par une phase de divergence, le bien-être ne progressant pas au rythme du PIB par habitant, suivie d’une certaine convergence entre le PIB par habitant et différentes dimensions du bien-être. Une corrélation transversale entre le PIB par habitant et les indicateurs du bien-être à différentes époques vient confirmer ce constat.
Le graphique 3.4 illustre l’évolution de ces coefficients de corrélation à travers le temps à l’échelle mondiale. Ils ont souvent été faibles, voire négatifs, durant la première moitié du XIXe siècle, avant d’augmenter et de devenir positifs à partir de la fin de ce même siècle. Le graphique inclut l’ensemble des pays. Toutefois, comme la croissance économique se limitait aux premiers pays qui se sont industrialisés, l’expérience de ces pays détermine la plupart des résultats de corrélation observés à l’échelle mondiale au XIXe siècle.
Les corrélations dans les pays entre le PIB par habitant et différents indicateurs du bien-être ne représentent qu’une partie de l’équation. Pour nombre d’indicateurs au XIXe siècle, aucun progrès supplémentaire ne s’observe sur le plan du bien-être en dehors de ceux imputables à la croissance du PIB par habitant. Cette situation change toutefois au XXe siècle, lorsque certains indicateurs commencent à se dissocier du PIB par habitant. Le graphique 3.5 illustre les évolutions du bien-être non imputables au PIB par habitant afin d’analyser la relation entre ces deux variables12. Une valeur de zéro signifie que le niveau des indicateurs du bien-être est totalement imputable au niveau du PIB par habitant.
La relation entre le PIB par habitant et le bien-être entamait désormais une nouvelle phase. Le bien-être progressait à présent souvent plus rapidement que ne l’aurait laissé escompter la seule croissance du PIB. C’est pour l’espérance de vie que cette dissociation est la plus marquée. À la fin du XXe siècle, l’espérance de vie avait augmenté de 15 ans (un écart-type) de plus que ne l’aurait laissé escompter la seule croissance du PIB par habitant. Des tendances similaires s’observent pour la taille et le niveau d’éducation. Dans le cas du salaire réel, le niveau du PIB par habitant explique la plupart des différences entre les pays ; une dissociation s’observe durant les deux dernières décennies. Un effet inexpliqué de la croissance du PIB sur la démocratie (Polity 2) apparaît durant la seconde moitié du XIXe siècle. Hormis des tendances inverses durant la Deuxième Guerre mondiale et les années 1960 et 1970, cet effet a en grande partie perduré13. Pour ce qui est des émissions de dioxyde de soufre (SO2) (nocives pour la santé humaine, ainsi que pour la faune et la flore), il faut attendre l’année 2000 pour observer une baisse par rapport à ce que laisserait escompter le seul PIB par habitant.
Parmi les différentes dimensions du bien-être, la sécurité personnelle est la seule à ne pas suivre ce schéma de dissociation par rapport au PIB par habitant. Durant la seconde moitié du XXe siècle, les taux d’homicides étaient supérieurs au niveau escompté au vu du PIB par habitant des pays. En comparaison d’autres variables, les données sur les homicides ne remontent toutefois pas loin dans le temps pour nombre de pays en développement. Enfin, les effets inexpliqués en matière d’inégalité des revenus sont en léger recul, ce qui signifie que le niveau d’égalité progresse davantage que ne le laisserait escompter l’évolution du niveau du PIB par habitant. Notons toutefois l’irrégularité des tendances, probablement en raison de problèmes de qualité des données.
Comment expliquer cette dissociation entre croissance du PIB et bien-être au XXe siècle ? La réponse réside dans les évolutions indépendantes des régimes, politiques et technologies dont découlent les résultats en matière de bien-être. La dissociation est particulièrement nette dans le cas de l’état de santé. La relation entre l’espérance de vie et le PIB par habitant affiche une évolution constante à la hausse à partir de 1870, avec les premières grandes percées dans les sciences médicales. Façonné par les technologies et les politiques, comme les réseaux d’assainissement publics, le système de santé a permis l’amélioration constante des résultats en matière de santé sans exiger nécessairement une augmentation du PIB par habitant – phénomène connu comme le déplacement de la courbe de Preston (Preston (1975[23]) ; Bloom and Canning (2007[24])).
Le nombre moyen d’années de scolarisation a également connu une évolution similaire. Depuis les années 1960, le niveau d’éducation n’a cessé de s’élever sans augmentation du PIB par habitant. Ce résultat peut refléter l’impact des politiques publiques, mais aussi les changements structurels de l’économie et les préférences individuelles. Cette dissociation révèle un cercle vertueux : d’un côté, les parents peuvent préférer investir davantage dans l’éducation de leurs enfants, ou les adultes dans le perfectionnement de leurs propres compétences ; de l’autre, l’amélioration des compétences contribue à la croissance du PIB par habitant.
Dans l’ensemble, l’évolution générale de la relation entre le bien-être et le PIB par habitant n’explique toutefois qu’en partie les améliorations de différents indicateurs du bien-être. Comme susmentionné, cet effet est important pour l’espérance de vie, et pour le niveau d’éducation depuis les années 1960. L’absence d’une évolution des variables environnementales (comme les émissions de dioxyde de soufre) indépendante du PIB par habitant signale une aggravation de la détérioration de l’environnement avec la croissance de la production économique. Les progrès technologiques semblent n’avoir eu qu’un effet limité sur la dissociation, et l’atténuation, de la dégradation de l’environnement par rapport à la croissance économique.
Résultats sur le plan du bien-être dans les pays qui ont opéré leur développement ou leur émergence plus récemment
Quelle a été l’évolution du bien-être au regard des huit indicateurs susmentionnés dans les pays qui ont opéré leur développement ou leur émergence plus récemment ?
Cette section examine plus spécifiquement le développement depuis les années 1950 dans quatre régions clés, ciblant les pays importants en termes de poids démographique ou caractérisés par une évolution atypique au sein de leur région. Comme dans le graphique 3.5, l’analyse s’attache à la fois à l’évolution effective de différentes variables du bien-être et aux niveaux que laisserait escompter le PIB par habitant14. Sauf mention contraire, les moyennes régionales sont toujours tirées de l’ouvrage How Was Life? (van Zanden et al., 2014[2]). Il s’agit de moyennes pondérées par la population, basées sur l’ensemble des pays de la région pour lesquels on dispose de données et sur des imputations pour les pays où elles sont manquantes15.
Depuis les années 1950, les pays qui se sont développés plus tardivement, soit ceux qui n’ont commencé à s’industrialiser et à connaître une croissance rapide que ces dernières décennies, se sont démarqués des premiers pays qui se sont développés par le phénomène de « rattrapage », c’est-à-dire de convergence du PIB par habitant. Au XIXe siècle, les différences de PIB par habitant entre les pays les plus avancés et le reste du monde étaient relativement limitées. Le taux de croissance économique des pays connaissant la croissance la plus rapide ne dépassait en effet pas les 2 %. Cette situation a radicalement changé durant le XXe siècle. L’écart entre les pays plus productifs et le reste du monde s’est creusé, ouvrant d’importantes perspectives de rattrapage. L’ex-Union soviétique durant les premières phases de la planification centrale, le Japon après 1950 et les pays d’Asie du Sud-Est qui se sont industrialisés plus récemment ont atteint des taux annuels de croissance économique compris entre 5 % et 10 %. Ces taux étaient largement supérieurs à ceux enregistrés au XIXe siècle par les premiers pays qui se sont industrialisés. Ce rattrapage a en outre eu une incidence sur les résultats de ces pays sur le plan du bien-être, qui ont également connu des progrès bien plus rapides. Tous les pays du Sud n’ont toutefois pas aussi bien réussi à cet égard.
En Amérique latine, le bien-être a connu des progrès mitigés par rapport au PIB
L’Amérique latine a toujours été un lieu fascinant d’expérimentation, avec l’adoption de mesures politiques novatrices par les gouvernements, qu’ils soient de gauche ou de droite. L’amélioration à long terme des résultats sur le plan du bien-être en matière d’éducation et de santé est assez robuste dans la région, tandis que les inégalités sont restées importantes et la sécurité personnelle s’est fortement dégradée. Pour certaines dimensions, les progrès réalisés sur le plan du bien-être depuis les années 1950 sont par exemple plus importants que ceux du PIB par habitant. D’après les données Clio-Infra pour l’Amérique latine, la région affichait de mauvais résultats sur le plan du bien-être avant 1950, et ce malgré un PIB régional moyen par habitant supérieur à la moyenne mondiale. En 1930, la moyenne mondiale s’établissait par exemple à 1 673 USD, contre 1 795 USD pour la moyenne latino-américaine (van Zanden et al., 2014[2]).
Avant les années 1950, l’Amérique latine enregistrait toutefois de moins bons résultats pour tous les indicateurs du bien-être que pour le PIB par habitant, en comparaison du reste du monde. La région se caractérisait notamment par de fortes inégalités de revenu, avec le coefficient de Gini le plus élevé du monde en 1929. Les résultats obtenus sur le plan de la démocratie étaient par ailleurs les plus faibles à l’échelle mondiale. Enfin, les indicateurs clés se situaient tous en deçà des moyennes mondiales, notamment le niveau d’éducation moyen (2.0 vs. 2.5), le pourcentage de la population ayant au moins suivi un enseignement de base (36 % vs. 41 %) et l’espérance de vie moyenne (37.8 vs. 40) (van Zanden et al., 2014[2]).
Cette tendance s’est en partie inversée durant la seconde moitié du XXe siècle, malgré une croissance du PIB bien plus lente que la moyenne mondiale. En 1950, le PIB par habitant en Amérique latine était supérieur d’environ 20 % à celui du reste du monde. Cette marge est restée quasiment identique jusque dans les années 1980, puis la situation a changé en 2000 et 2010, lorsque le PIB par habitant en Amérique latine s’établissait à 90 % de la moyenne mondiale. La forte croissance du PIB en Asie de l’Est – au cœur de la transformation de la géographie économique –, conjuguée à la « décennie perdue » de faible croissance en Amérique latine dans les années 1980, ont été les principaux moteurs de ce revirement. En 1980, le PIB par habitant en Amérique latine représentait plus du double de celui d’Asie de l’Est ; il lui est désormais inférieur d’environ 30 %.
En Amérique latine, depuis les années 1950, l’évolution de certaines dimensions du bien-être comme l’éducation, la santé et la stabilité politique s’est démarquée de celle observée pour le PIB par habitant. Tout d’abord, le nombre moyen d’années de scolarisation a connu une hausse plus rapide que la moyenne mondiale. Cette dimension se situait au niveau de la moyenne mondiale en 1980, mais en 2010, elle lui était supérieure de 5 %. L’espérance de vie à la naissance dépassait déjà la moyenne mondiale dans les années 1950, et depuis les années 1980, l’écart s’est creusé pour atteindre 3.5 ans (van Zanden et al., 2014[2]). Les résultats du continent sur le plan de la démocratie ont connu une amélioration spectaculaire depuis les années 1970. Ils comptent désormais parmi les meilleurs des pays du Sud, loin devant l’Afrique et l’Asie. En revanche, la sécurité personnelle (taux d’homicides), les salaires réels et les inégalités sont les dimensions du bien-être qui accusent encore du retard dans cette région par rapport au reste du monde.
Les graphiques 3.A.1 à 6 (disponibles en ligne uniquement) en annexe du présent chapitre présentent les résultats sur le plan du bien-être pour les six indicateurs susmentionnés, ainsi que leurs projections. Celles-ci se basent sur ce que laisserait escompter l’évolution entre 1950 et 2010 du PIB par habitant des différents pays à l’étude. Les graphiques confirment que la croissance économique de ces six pays (Argentine, Brésil, Chili, Mexique, Pérou et Venezuela) se caractérise en général par son instabilité. Les reculs du bien-être escompté sont fréquents, traduisant des épisodes de baisse du PIB par habitant. À l’inverse, l’évolution du bien-être réel a été bien plus stable. En outre, sa courbe de progression n’a quasiment pas été affectée par les importantes fluctuations du PIB par habitant, ce qui illustre la dissociation entre PIB et bien-être examinée dans la section précédente. Le graphique 3.6 ci-après présente les résultats du Chili et du Pérou pour une sélection de trois dimensions du bien-être.
Le bien-être n’a cessé de progresser sur le plan de l’espérance de vie et du nombre d’années de scolarisation. La démocratie a également connu une amélioration considérable. En 1950, la qualité des institutions démocratiques (la variable « polity2 ») était en général inférieure au niveau escompté au vu du PIB par habitant. En 2005, elle avait fait de considérables progrès. Toutefois, des reculs temporaires notables s’observent dans l’ensemble de ces six pays. Au Brésil, au Mexique et au Venezuela, les taux d’homicides ont augmenté de façon dramatique, alors que la croissance du PIB par habitant aurait laissé escompter une diminution progressive. Un autre revers s’observe pour les inégalités de revenu, qui sont en général supérieures au niveau escompté, bien que dans une moindre mesure en Argentine et au Venezuela. Les données sur les inégalités de revenu s’arrêtent toutefois en 2000 et ne rendent donc en grande partie pas compte de la réduction plus récente.
Le Chili est le pays le mieux loti de la région en termes de croissance du PIB : son PIB par habitant a plus que doublé depuis les années 1990, avec une croissance de 144 %. Seul le Pérou s’approche de ce résultat (132 %). L’Argentine et le Brésil ont aussi enregistré une croissance rapide dans les années 2000, mais tous deux ont connu dans les années 2010 des évènements qui ont en partie annulé les progrès réalisés auparavant. Au Chili, le PIB a connu une évolution bien plus stable, peut-être liée à sa tradition de gouvernements de coalition et à l’absence de tensions politiques plus extrêmes comme celles connues par l’Argentine et le Brésil.
Les progrès réalisés par le Chili sur le plan de différentes dimensions du bien-être sont même plus importants que ceux enregistrés sur le plan du PIB. Le nombre moyen d’années de scolarisation et l’espérance de vie ont tous deux augmenté dans une plus large mesure que ne l’aurait laissé escompter le seul PIB par habitant. Le Chili n’enregistre des résultats inférieurs au niveau escompté au vu de son PIB que sur le plan des salaires réels et des inégalités de revenu. Les résultats du Chili en matière de bien-être se sont considérablement améliorés depuis les années 1970, notamment l’éducation et l’espérance de vie, et tout au long de la période pour le taux d’homicides. Pour le Chili comme pour le Pérou, l’amélioration de plusieurs dimensions du bien-être, notamment l’espérance de vie et l’éducation, a précédé la hausse du PIB.
Le Venezuela fait figure d’exception à plusieurs égards. En tant que pays producteur de pétrole, il a enregistré des niveaux élevés de PIB par habitant qui ne se sont toutefois pas traduits par une amélioration des indicateurs du bien-être, comme une augmentation du nombre d’années de scolarisation et un allongement de l’espérance de vie, ou une baisse du taux d’homicides. Seules les inégalités de revenu y étaient relativement plus faibles et les salaires réels relativement plus élevés par rapport à son PIB par habitant et à d’autres pays d’Amérique latine. Ces dernières décennies, les indicateurs du bien-être ont connu un fort recul au Venezuela. Le taux d’homicides y est désormais très élevé, les salaires réels et la démocratie sont tous deux en recul, et les inégalités de revenu se sont considérablement creusées.
Après un pic au XXe siècle, les inégalités de revenu se sont atténuées ces 20 dernières années, même si l’Amérique latine reste la région la plus inégalitaire. Depuis l’année 2000 environ, les responsables politiques de plusieurs pays de la région se sont fixés pour priorité de réduire les inégalités de revenu et la pauvreté, et d’améliorer le bien-être de la population (pauvre) en général. On peut y voir une tentative de corriger les fortes inégalités de revenu qui ont été, et demeurent, l’une des caractéristiques dominantes de l’Amérique latine au fil des décennies. Dans un contexte de flambée des cours internationaux des produits de base, notamment du pétrole, dans les années 2000, les gouvernements d’Amérique latine semblent être parvenus à réduire les inégalités de revenu et la pauvreté, en particulier en Bolivie, en Équateur et en Argentine et, dans une moindre mesure, au Brésil et au Chili (Lustig, Pessino et Scott, 2013[25]).
Durant les premières décennies du XXIe siècle, la réduction de la pauvreté en Amérique latine a connu des avancées remarquables. Aujourd’hui, seuls 3.7 % de la population vit sous le seuil international d’extrême pauvreté de 1.90 USD par jour (en PPA de 2011), contre 11.5 % en 1999. Trois pays ont réduit l’extrême pauvreté de plus de moitié durant cette période. Au Brésil, le taux est passé de 12.7 % à 5.5 % entre 2003 et 2011. En Bolivie et en Équateur, il est respectivement passé de 18 % à 7 % et de 10 % à moins de 5 % entre 2003 et 2015. Mais d’autres pays – le Pérou, la Colombie et le Paraguay – ont fait des progrès comparables. En Amérique latine, le taux de pauvreté moyen est passé de 12 % à 5 % entre 2002 et 2013 (Banque mondiale, 2018[11]). Seul échappe à ce constat le Venezuela, où l’extrême pauvreté a progressé de façon dramatique jusqu’en 2005 (dernière année pour laquelle on dispose de données).
Deux facteurs peuvent expliquer le recul des inégalités de revenu et de la pauvreté : tout d’abord, les dépenses publiques au titre des programmes sociaux ont augmenté ; ensuite, l’avantage salarial des actifs qualifiés s’est réduit sous l’effet de l’expansion de l’éducation et de la compression de la distribution des salaires (Lustig, Pessino et Scott, 2013[25]).
Au cours des 50 dernières années, l’Amérique latine a donc bien mieux réussi à améliorer le bien-être de sa population au regard de différentes dimensions qu’à faire croître son PIB. Il s’agit peut-être là du meilleur exemple (régional) de dissociation entre le PIB et certains indicateurs du bien-être.
En Afrique subsaharienne, les trajectoires de développement et la relation entre PIB et indicateurs du bien-être varient sensiblement
Jusque récemment, l’Afrique subsaharienne affichait de piètres résultats sur le plan de la croissance du PIB ; en 1950, le PIB moyen par habitant des pays d’Afrique dont les données sont disponibles représentait environ 40 % de la moyenne mondiale, un niveau tombé à 20 % en 2010. Dans les années 1960 et 1970, la croissance du PIB a été positive et l’écart avec la moyenne mondiale n’a augmenté que de façon marginale. Cependant, entre 1970 et 2000, la croissance économique a été nulle (le PIB par habitant s’établissait à 1 282 USD en 1970 et à 1 099 USD en 2000). Ce n’est que depuis l’année 2000, avec la phase de transformation de la géographie économique, que la croissance économique est redevenue positive (avec un PIB par habitant atteignant 1 481 USD en 2010)16. Dans l’ensemble, le PIB du continent a enregistré une croissance réelle annuelle de 5.4 % entre 2000 et 2010. La croissance économique a néanmoins récemment montré des signes de ralentissement, reflétant une chute brutale des prix des produits de base (AUC/OECD (2018[26]) ; Leke and Barton (2016[27])).
Les progrès réalisés sur le plan du bien-être depuis les années 1950 ont été légèrement meilleurs que sur le plan du PIB par habitant. Ils se caractérisent néanmoins aussi par un écart constant, et parfois croissant, avec le reste du monde. Le nombre moyen d’années de scolarisation a connu une forte augmentation en Afrique subsaharienne, passant de 0.8 à 4.2 entre 1950 et 2010. Toutes les autres régions ont néanmoins fait (bien) mieux, et l’écart absolu avec la moyenne mondiale s’est creusé. De même, l’espérance de vie s’est aussi allongée dans la région, passant de 38 ans à 52 ans entre les années 1950 et 2000. Elle reste toutefois inférieure à celle observée dans le reste du monde, et l’écart avec la moyenne mondiale demeure constant, s’établissant à environ 25 %. Les inégalités de revenu étaient et restent relativement marquées. L’indice de démocratie est la seule dimension à enregistrer des progrès constants dans la région. Les droits démocratiques étaient mal protégés dans les années 1970 et 1980, mais se sont considérablement améliorés depuis lors. Dans l’ensemble, l’indice composite du bien-être Clio-Infra semble indiquer des progrès considérables dans la région à partir de 1950 environ – après une longue période sans guère de changements entre 1850 et 1950 (van Zanden et al., 2014[2]). Cela étant, les variations au sein de la région sont considérables, à la fois entre les pays et entre le bien-être réel et celui escompté au vu du niveau de PIB par habitant.
L’évolution de huit indicateurs du bien-être dans six pays de la région – Afrique du Sud, Burkina Faso, Ghana, Kenya, Nigéria et Ouganda –, ainsi que les changements escomptés d’après le PIB par habitant, sont présentés dans les graphiques 3.A.7 à 12 (disponibles en ligne uniquement) en annexe du présent chapitre. Le graphique 3.7 ci-après présente un petit échantillon de l’ensemble des graphiques en annexe.
L’Afrique du Sud a toujours été l’un des pays les plus prospères d’Afrique subsaharienne. Son PIB par habitant affiche un niveau moyen trois à quatre fois supérieur à la moyenne de l’Afrique subsaharienne. Sa croissance économique a toutefois été modeste ces dernières années ; depuis le début du millénaire, son PIB par habitant n’a augmenté que de 1 % par an. Les inégalités de revenu y sont en léger recul, bien que l’Afrique du Sud reste l’un des pays les plus inégalitaires du monde. Son coefficient de Gini est bien plus élevé que ne le laisserait escompter son seul PIB par habitant (graphique 3.A.8 en annexe, disponible en ligne uniquement). La sécurité personnelle s’est aussi améliorée en Afrique du Sud, bien que le taux d’homicides y reste plus de cinq fois supérieur à ce que laisseraient escompter ses résultats économiques. Depuis la fin de l’apartheid, l’Afrique du Sud a enregistré de meilleurs résultats que ceux escomptés sur le plan de l’éducation et de la démocratie. Ces évolutions positives sont néanmoins assombries par le recul de l’espérance de vie : avec la propagation du VIH/SIDA, elle est ainsi passée de 62 à 52 ans entre 1990 et 2005. D’après les conclusions d’une étude récente, en 2015, l’espérance de vie des femmes en Afrique du Sud était la plus faible du monde : 48.7 ans, contre 50.7 ans pour les hommes, soit un écart notable entre les sexes, sachant que les femmes ont en général une espérance de vie supérieure à celle des hommes ailleurs dans le monde (He, Goodkind et Kowal, 2016[28]).
Les résultats de l’Afrique du Sud sur le plan de la réduction de l’extrême pauvreté sont également plutôt mauvais, bien que le pourcentage de la population vivant sous le seuil de pauvreté soit passé de 29 % en 1993, à 26 % en 2006 et à 19 % en 2014 (Sulla et Zikhali, 2018[29]). Cependant, les estimations de Moatsos (2017[30]), qui se rapportent au coût d’un panier de consommation « minimal » et sont disponibles sur une base annuelle, mettent au jour un recul encore plus limité : de 46 % en 1994, à 50 % en 2004 et à 36 % en 2014. Les transferts sociaux ont augmenté depuis la fin de l’apartheid, mais les problèmes structurels du marché du travail continuent à frapper durement l’économie sud-africaine.
Dans la plupart des six pays d’Afrique subsaharienne inclus dans les graphiques 3.A.7 à 12 (disponibles en ligne uniquement) en annexe, l’évolution du bien-être est positive, en général sous l’effet de l’augmentation du nombre d’années de scolarisation et de l’allongement de l’espérance de vie. À cet égard, les évolutions en Afrique subsaharienne, sous le signe global d’une forte amélioration du niveau d’éducation et de l’état de santé, semblent indépendantes de la croissance économique. L’évolution des institutions démocratiques est quant à elle bien moins uniforme. Elle se caractérise en effet par de très fortes fluctuations, sous l’effet de l’alternance entre des phases de dictature et des phases plus démocratiques. L’évolution est toutefois positive dans la plupart des cas et plus encore depuis les années 1990 (graphique 3.A.11 en annexe). Les salaires réels, lorsque les données sont disponibles, sont dans l’ensemble restés inchangés et les différences entre les six pays sont limitées. Au Ghana, au Kenya et au Nigéria, les salaires réels correspondent au niveau escompté au vu du PIB par habitant ; ils sont supérieurs au niveau escompté au Burkina Faso et en Ouganda, mais largement inférieurs en Afrique du Sud, signe des grandes inégalités prévalant dans le pays.
La crise du VIH/SIDA a profondément affecté le bien-être d’une grande partie du continent, bien au-delà de la seule Afrique du Sud. Les guerres civiles (en Ouganda dans les années 1970, par exemple) et l’instabilité politique en général peuvent avoir contribué à la stagnation de l’espérance de vie observée depuis les années 1970. Au lieu de profiter des évolutions indépendantes suggérées par la courbe de Preston, des pays comme le Kenya, le Nigéria et l’Ouganda ont vu leur espérance de vie stagner fortement, voire diminuer, malgré une reprise à la hausse dans les années 2000.
Les résultats des six pays subsahariens sur le plan de la réduction de l’extrême pauvreté font également apparaître un bilan mitigé. Certains pays ont rencontré un certain succès. Au Botswana, au Burkina Faso et en Ouganda, la croissance modérée à rapide du PIB s’est conjuguée à une forte réduction de l’extrême pauvreté. L’Angola a de son côté fait preuve d’un grand dynamisme sur le plan de la croissance du PIB, principalement grâce à l’augmentation des recettes tirées de sa production pétrolière (et à la fin de la guerre civile), mais l’extrême pauvreté y est restée très élevée, avec plus de 80 % de la population vivant sous le seuil de pauvreté de 1.90 USD par jour. Le Nigéria, exportateur de pétrole encore plus important, a vu son PIB par habitant doubler depuis 2000. Le niveau d’extrême pauvreté y est toutefois resté pratiquement inchangé (à environ 70 %). Le Kenya et la Tanzanie, que l’on compare souvent, ont vu leurs taux de pauvreté converger. Le Kenya – économie de marché plus performante – n’a pas beaucoup progressé sur le plan de la réduction de la pauvreté. À l’inverse, le taux de pauvreté de la Tanzanie a diminué pour s’établir au niveau bien plus faible prévalant au Kenya.
Le tableau d’ensemble se dégageant en Afrique subsaharienne est celui d’une grande diversité des trajectoires de développement. Celles-ci dépendent de la situation économique initiale, des taux de croissance du PIB et des types de croissance engagés, en particulier de l’importance de produits d’exportation stratégiques comme le pétrole. L’extrême pauvreté n’a sensiblement reculé que dans quelques pays. Les taux de pauvreté restent très élevés dans la plupart des pays africains et n’affichent pas le même recul systématique qu’en Amérique latine.
En Asie, les fruits de la croissance économique en termes de bien-être sont importants, mais en recul
L’Asie, en particulier la zone s’étendant de la Méditerranée orientale à la Chine méridionale, constituait le cœur de l’économie mondiale avant d’être devancée par l’Europe occidentale au début de l’époque moderne (fin du XVe et début du XVIe siècle) (Maddison, 2001[9]). Au début du XIXe siècle, le PIB par habitant en Europe occidentale était deux à trois fois supérieur à celui de la Chine, de l’Inde ou de l’Indonésie. Cette divergence s’est rapidement accentuée au cours du XIXe siècle. Lors de l’industrialisation de l’Europe, une grande partie de l’Asie est restée en retrait et a vu sa part de production manufacturière diminuer rapidement sous l’effet de la concurrence européenne. Durant la seconde moitié du XIXe siècle, seul le Japon a su reproduire avec succès le modèle européen d’une industrialisation à forte intensité de main-d’œuvre et axée sur les exportations. Après 1950, d’autres pays asiatiques – la Corée, Singapour et le Taipei chinois – ont adopté des stratégies de développement similaires, orientées vers l’extérieur, afin de tirer profit des débouchés sur les marchés internationaux. Ce type de stratégie s’est ensuite étendu à d’autres zones de la région : la Thaïlande, la Malaisie, l’Indonésie et, plus récemment, le Viet Nam. Depuis les années 1980, la Chine et l’Inde ont mis en place, avec grand succès, leur propre version de ce type de politique de la porte ouverte, et jouent un rôle prépondérant dans le processus de transformation de la géographie économique et l’essor des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud).
En 1900, le PIB par habitant en Asie de l’Est et du Sud-Est s’établissait en moyenne à 600 USD, soit seulement 20 % de celui des pays les plus avancés d’Europe occidentale, et 50 % de la moyenne mondiale. En 1950, le niveau du PIB réel par habitant de la région n’avait enregistré qu’une croissance marginale pour atteindre environ 660 USD, tandis que la moyenne mondiale affichait une hausse de 70 %. Jusque dans les années 1970, aucun signe ne pouvait laisser présager du comblement de l’écart entre l’Asie et l’Europe. Échappaient à ce constat le Japon et quelques autres « oies sauvages » (d’après la théorie du « vol d’oies sauvages », pays ayant adopté une stratégie économique fondée sur le leadership technologique, la hiérarchie régionale et le commerce international) ayant pris leur essor dans le sillage du succès du Japon. Les réformes des années 1980 et 1990 en faveur de l’économie de marché, et leur incidence sur la Chine et l’Inde, ont provoqué la convergence du PIB. Le changement le plus spectaculaire est le passage à l’économie de marché et à l’ouverture internationale, intervenu sous l’impulsion de Deng Xiaoping (1978-1989). Pour l’Inde, c’est l’année 1991 qui marque un tournant décisif, avec le réel début de la libéralisation économique du pays. En Indonésie, troisième pays le plus grand de la région, c’est vers 1970 que le PIB a commencé à connaître une croissance rapide, associée aux politiques économiques de l’« Ordre nouveau » du régime de Soeharto. La réussite économique de tous ces changements est bien connue. Depuis 1990, le PIB par habitant s’est vu multiplier par plus de 5 en Chine, et par 3.5 en Inde – un rythme de croissance sans précédent historique. L’Inde et l’Indonésie continuent toutefois de présenter d’importants écarts de PIB par habitant avec l’Europe, tandis que la Chine progresse bien plus rapidement. Le PIB par habitant de la Chine représente désormais environ la moitié de la moyenne des pays d’Europe de l’Ouest.
Certaines dimensions du bien-être, mais pas toutes, ont également connu des progrès spectaculaires. Les graphiques 3.A.13 à 18 (disponibles en ligne uniquement) en annexe du présent chapitre illustrent différents indicateurs du bien-être pour les six plus grands pays asiatiques (Chine, Indonésie, Inde, Philippines, Thaïlande et Viet Nam) (le graphique 3.8 ci-après présente un petit échantillon de l’ensemble des graphiques en annexe). En Chine, le bien-être n’enregistre quasiment aucun progrès avant 1940, mais la prise de pouvoir par les communistes en 1949 change la donne. En 1958, la Chine lance sa politique du « Grand bond en avant », vaste programme économique et social visant à propulser rapidement le pays vers le socialisme. Après la fin de ce programme désastreux en 1962, l’espérance de vie entame une augmentation spectaculaire (passant de 33.7 ans dans les années 1930 à 65.4 ans dans les années 1970). Depuis lors, la hausse s’est ralentie, pour atteindre 73.9 ans en 2000. Le niveau d’éducation est le deuxième facteur de progression rapide du bien-être en Chine. Ceci s’explique en partie par l’importance des investissements de l’État dans l’éducation, mais principalement par celle des investissements des parents chinois dans l’éducation de leurs enfants. Introduite en 1979, la politique de l’enfant unique a peut-être été l’instrument le plus efficace pour renforcer les investissements dans l’éducation. Suite à l’introduction de cette politique, le nombre moyen d’années de scolarisation a commencé à augmenter sensiblement, à un rythme plus soutenu que le PIB par habitant dans les années 1950 et 1960. Le nombre moyen d’années de scolarisation est ainsi passé de 1.7 an en 1950 à 6.9 ans en 2000.
Les droits politiques n’ont en revanche pas progressé, selon l’indicateur polity2 du graphique 3.A.17 en annexe. Les inégalités de revenu étaient déjà faibles en Chine dans les années 1950. Compte tenu du PIB par habitant du pays, elles ont encore reculé durant les premières décennies du communisme (années 1950-1960). À partir des années 1970, elles ont toutefois connu une hausse spectaculaire. Le coefficient de Gini est ainsi passé de 0.28 en 1970 à 0.44 en 2000 – soit à peu près le même niveau que celui observé dans d’autres pays dont le PIB par habitant est similaire.
Les progrès de l’Inde sur le plan du bien-être ont été bien plus progressifs (graphique 3.8 et graphiques 3.A.13 à 18 en annexe). La croissance du PIB était quasiment nulle avant 1948, mais depuis lors, la tendance est à la hausse, avec une accélération décisive dans les années 1980. À l’époque coloniale, l’espérance de vie avait déjà commencé à s’allonger, passant de 23.7 ans dans les années 1900 à 32.6 ans dans les années 1940. Au moment de la déclaration d’indépendance, l’espérance de vie restait inférieure au niveau escompté au vu du (faible) PIB par habitant de l’Inde. Après l’indépendance, un allongement régulier s’est amorcé, en particulier des années 1950 aux années 1970. Aujourd’hui, l’Inde a une espérance de vie supérieure au niveau que laisserait escompter son PIB par habitant.
L’Inde n’a en revanche pas réalisé d’aussi bons progrès que d’autres pays asiatiques sur le plan d’autres indicateurs du bien-être. Le nombre moyen d’années de scolarisation, déjà très faible en 1890 (2 années), a encore reculé pour s’établir à 1.2 an en 1950. L’État colonial n’est pas parvenu à améliorer le niveau général d’éducation de la population en pleine croissance du pays, et la demande de capital humain est restée faible. Depuis 1950, le nombre moyen d’années de scolarisation augmente de façon constante, mais n’a jamais dépassé le niveau escompté au vu du PIB par habitant. En 2000, le nombre moyen d’années de scolarisation n’avait pas progressé au même rythme que la croissance récente du PIB de l’Inde. En outre, les inégalités de revenu sont dans l’ensemble à la hausse, et les salaires réels des travailleurs non qualifiés globalement inchangés. Ces deux tendances vont à l’encontre des évolutions escomptées au vu de la croissance du PIB par habitant de l’Inde. En revanche, les bons résultats de l’Inde sur le plan de la démocratie sont notables, non seulement par rapport à ses pairs asiatiques, mais aussi aux niveaux escomptés au vu de son PIB par habitant. La diversité des évolutions des indicateurs du bien-être, dont certaines ne concordent pas avec la croissance du PIB, montrent une fois encore que ces deux variables ne sont pas systématiquement corrélées.
Dans l’ensemble, le bien-être a toutefois enregistré des progrès considérables en Asie, en particulier sur le plan de l’extrême pauvreté. C’est en Chine que les améliorations ont été les plus spectaculaires au cours des 50 dernières années (voir le graphique 3.8). L’extrême pauvreté a reculé de façon tout aussi spectaculaire, malgré une forte hausse des inégalités de revenu. D’après la Banque mondiale, en Inde, le pourcentage d’individus vivant sous le seuil de pauvreté dans la population totale a diminué, passant de 54 % en 1983 à 46 % en 1993, 38 % en 2004 et 21 % en 2011.
La persistance d’un taux élevé d’extrême pauvreté en Inde fait l’objet de débats (Dréze et Sen, 2013[31]), mais semble incontestable. Le Bangladesh et le Pakistan, dont le PIB par habitant a connu une croissance nettement moins forte, ont réalisé des progrès bien plus significatifs sur le plan de la réduction de l’extrême pauvreté. Le Pakistan, dont les données semblent de meilleure qualité, a fait passer son taux de pauvreté de 62 % en 1983 à 6 % en 201317. En Indonésie, l’autre géant de cette région, l’extrême pauvreté a connu un recul spectaculaire, passant (d’après les estimations de la Banque mondiale) de 70 % en 1987 à 7.5 % en 2015. Moatsos ne met cependant au jour qu’une réduction de moitié des taux de pauvreté du pays entre 1983 (57 %) et 2014 (29 %). D’autres pays de la région – la Thaïlande, la Malaisie, les Philippines et le Viet Nam – sont parvenus à faire passer leur taux de pauvreté sous la barre des deux chiffres (moins de 10 % de la population). On ne dispose pas de données pour le Cambodge et le Myanmar.
Sen (2011[32]) souligne le succès relatif du modèle centralisé chinois en termes de bien-être18 et conclut que « ceux qui craignent que les performances de croissance de l’Inde puissent pâtir d’une plus grande attention portée à des objectifs sociaux tels que l’éducation et la santé doivent garder à l’esprit que, malgré ces activités et réalisations sociales, le taux de croissance du produit national brut (PNB) chinois reste nettement supérieur à celui de l’Inde ». D’après Sen, la Chine devance l’Inde sur le plan du bien-être car les investissements dans la santé et l’éducation sont les moteurs de la croissance économique de la Chine. L’Inde accuse également un certain retard à cet égard par rapport à d’autres pays de la région. L’Indonésie affiche par exemple désormais de meilleurs résultats que l’Inde sur le plan du niveau d’éducation, et la devançait déjà dans les années 1950 en termes d’espérance de vie.
Les données sur les indicateurs du bien-être présentées dans cette section étayent la thèse de Sen. Tout d’abord, le graphique 3.8 montre que la Chine a véritablement commencé à réaliser des progrès sur le plan de l’espérance de vie dans les années 1960, et même auparavant pour d’autres indicateurs. Or, ce n’est qu’ultérieurement que le PIB a entamé sa forte croissance ; par conséquent, le graphique 3.8 montre que le bien-être réel était supérieur au niveau escompté au vu du seul PIB par habitant durant la quasi-totalité de la période19. Cet écart ne s’est réduit que ces dix dernières années, avec un ralentissement des progrès sur le plan du bien-être, mais la poursuite de la croissance du PIB. Ensuite, les indicateurs du bien-être affichent systématiquement des niveaux plus faibles en Inde qu’en Chine (hormis pour la démocratie), et l’écart se creuse entre les deux pays depuis 1950. Par ailleurs, les dernières décennies ont vu une plus forte croissance du PIB accompagnée de progrès comparativement lents des indicateurs du bien-être. De ce fait, les résultats escomptés de l’Inde sur le plan du bien-être au vu de son PIB par habitant sont désormais supérieurs à ses résultats réels. Un tel ralentissement des progrès du bien-être par rapport à la croissance du PIB par habitant s’observe également dans plusieurs autres pays asiatiques. Cela inclut à la fois des pays où le bien-être escompté est désormais supérieur au bien-être réel (Inde, Indonésie) et d’autres où la croissance du PIB rattrape les progrès antérieurs réalisés sur le plan du bien-être (Chine, Viet Nam, Bangladesh).
Les bons résultats de l’Europe de l’Est et de l’ex-Union soviétique sur le plan du PIB et du bien-être jusque dans les années 1980 ont été suivis d’une phase d’effondrement, puis de reprise
Le dernier groupe examiné est celui des pays d’Europe de l’Est ou de l’ex-Union soviétique. Cette section présente des données sur la Russie, la Bulgarie, l’Estonie, la Hongrie, la Pologne et la Roumanie.
Entre 1820 et 1930, la croissance du PIB en Europe de l’Est et en ex-Union soviétique a suivi de près la moyenne mondiale. Le PIB par habitant a doublé entre 1820 et 1910, l’essentiel de cette croissance intervenant après 1870. La Première Guerre mondiale et la Révolution russe de 1917 ont entraîné un fort recul du PIB. La Russie a toutefois connu une reprise spectaculaire dans les années 1930, sous l’effet de la planification centrale et de l’industrialisation forcée (au détriment de l’agriculture).
La planification centrale s’est avérée efficace comme instrument de modernisation de l’économie et de croissance du PIB par habitant. Durant les années 1930, l’Union soviétique a été la seule région à connaître une croissance rapide de son PIB par habitant (de 575 USD en 1920 à 1 448 USD en 1930 et 2 144 USD en 1940). Durant les années 1950 et 1960, ce modèle semble avoir continué à prouver son efficacité en termes de croissance du PIB, avec des niveaux s’établissant à 3 945 USD en 1960 et 5 575 USD en 1970 (van Zanden et al., 2014[2]). Le PIB par habitant de l’Union soviétique était inférieur à la moyenne mondiale jusqu’en 1930, avant de la dépasser largement à partir des années 1960 (de 37 % en 1950 et de 55 % en 1970). La croissance du PIB des économies d’Europe de l’Est s’est accélérée avec l’introduction dans ces pays du même modèle de planification centrale à la fin des années 1940. Il est cependant moins évident de déterminer si cette accélération est due à l’industrialisation forcée dans le cadre de la planification centrale ou à la conjoncture économique mondiale globalement favorable du boom d’après-guerre.
Les conséquences de la planification centrale et de l’industrialisation forcée sur le plan du bien-être ne peuvent être ici qu’esquissées. Le principe consistait à transférer l’excédent de production de l’agriculture et de la consommation aux investissements à grande échelle dans l’industrie à forte intensité de capital. Une forte diminution du niveau de vie était donc inévitable, constat confirmé par la grande famine de 1931‑32, qui frappa particulièrement durement l’Ukraine. Les données mettent aussi au jour une diminution de la taille de la population dans les années 1920 et 1930. Il y eut néanmoins aussi des forces compensatoires (Allen, 2003[33]). Les paysans furent nombreux à migrer vers les villes, où les revenus étaient bien plus élevés que dans les campagnes. Le niveau d’éducation a rapidement progressé (passant de 2.5 années de scolarisation en moyenne en 1930 à 5 années en 1950) et les inégalités de revenu se sont réduites pour s’établir à des niveaux extrêmement faibles. L’espérance de vie s’est considérablement allongée (après un fort recul en 1931‑32), avec l’amélioration de la qualité des services de santé publique. Le niveau des droits politiques était en revanche extrêmement faible durant la période stalinienne.
L’évaluation des conséquences à long terme de ces politiques est encore plus complexe. L’évolution de l’espérance de vie en ex-Union soviétique ne concorde pas avec celle observée dans les autres pays. Après une forte augmentation entre les années 1920 (où elle s’établissait à 32.6 ans) et les années 1960 (où elle atteignait 69 ans), l’espérance de vie a commencé à stagner sensiblement à ce même niveau (graphique 3.A.22 en annexe, disponible en ligne uniquement). La mortalité infantile pourrait même avoir augmenté dans les années 1970. Ces tendances ont amené certains experts occidentaux à s’interroger sur une éventuelle crise du système de santé soviétique dans les années 1970 et 1980 (Kingkade et Arriaga, 1997[34]). Les estimations de la taille de la population viennent toutefois infirmer le pessimisme de ce tableau. Depuis les années 1950, la taille des Russes a continué d’augmenter (passant de 169 cm dans les années 1940 à 177 cm dans les années 1990). En revanche, après l’effondrement de l’Union soviétique au début des années 1990, des signes clairs d’une grave crise sanitaire se font jour. L’espérance de vie chute à 66 ans dans les années 2000, soit l’une des diminutions les plus importantes jamais enregistrée qui ne soit pas imputable à un conflit ou une maladie infectieuse. L’espérance de vie a aussi diminué dans d’autres pays de l’ex-Union soviétique (OCDE, 2008[35]). La hausse des taux de mortalité a été mise en relation avec le stress psychosocial aigu et la consommation excessive d’alcool durant cette période d’instabilité politique et de bouleversements sociaux (Université de Florence, 2016[36]). Les taux d’homicides ont aussi connu une forte augmentation après la chute du communisme, accentuant encore davantage le recul du bien-être durant cette période (graphique 3.A.21 en annexe, disponible en ligne uniquement).
On observe aussi une stagnation de l’espérance de vie dans d’autres pays d’Europe de l’Est durant les années 1970 et 1980 (voir le graphique 3.9 et le graphique 3.A.22 en annexe). D’autres dimensions du bien-être ont toutefois enregistré des progrès rapides durant les années de planification centrale. Le niveau de capital humain était supérieur à celui escompté au vu du PIB par habitant. Les inégalités de revenu étaient faibles – jusque dans les années 1990, où elles se sont mises à augmenter rapidement –, tandis que les droits politiques étaient extrêmement limités sous le régime communiste. Au regard de nombreuses dimensions (à l’exception de la démocratie), l’Europe de l’Est est en moyenne restée tout au long du XXe siècle la troisième région en termes de niveau de bien-être, après l’Europe de l’Ouest et les pays d’immigration européenne (Australie, Canada et États-Unis) (van Zanden et al., 2014[2]).
L’expérience de développement de l’« ancien monde »
Dans les premiers pays qui se sont industrialisés, le bien-être n’a pas progressé autant que le PIB
Le rapport How Was Life? analyse l’évolution à long terme de la croissance du PIB et de nombreuses dimensions du bien-être dans l’économie mondiale depuis les prémices de l’industrialisation au début du XIXe siècle. Il est donc possible de comparer la croissance économique et le bien-être aux premiers stades de l’industrialisation pour un large échantillon de pays industrialisés, notamment le Royaume-Uni, les États-Unis, la Belgique, la Suède, l’Italie, la France, l’Allemagne, les Pays-Bas et le Japon. En Europe de l’Ouest, la fin de la période préindustrielle est intervenue vers 1820. Durant cette période, la croissance économique était soit lente, comme au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, soit inexistante, comme dans les autres pays.
Durant les 50 premières années d’industrialisation, entre les années 1820 et 1870, le taux de croissance du PIB est resté relativement faible pour ces pays industrialisés (Europe de l’Ouest et pays d’immigration européenne dans la classification de (Maddison, 2001[9])). C’est assurément le cas par rapport aux taux de croissance élevés enregistrés aujourd’hui par la Chine. En Europe de l’Ouest, le PIB par habitant a connu une croissance annuelle d’environ 1 % de 1820 à 1910. Les pays d’immigration européenne ont fait légèrement mieux, avec un taux de croissance moyen de 1.5 %. Le PIB réel a ainsi augmenté de 160 % au cours de cette période de 90 ans, soit un résultat remarquable en comparaison de la quasi-stagnation d’avant 1820.
Bien que relativement lente, la croissance du PIB était en marche, sans avoir toutefois au départ quasiment aucune incidence positive sur le bien-être. Ce constat ressort tout particulièrement des données sur les salaires réels et la taille des populations, qui reflètent fidèlement leur situation au regard des revenus et leurs modes de consommation. Aux États-Unis, la taille moyenne a diminué de plus de 4 cm entre les années 1830 (174 cm) et 1890 (169 cm). Déjà bien moindre au début du siècle que celle des Américains, la taille des populations d’Europe de l’Ouest a également diminué entre les années 1820 et 1850, passant de 166 cm à 165 cm. Dans les années 1890, les habitants de Grande-Bretagne restaient plus petits que leurs homologues des années 1820.
De même, dans les années 1870, les salaires réels étaient en Europe de l’Ouest au même niveau que dans les années 1820, et y avaient souvent été inférieurs au cours de cette période. Les données sur la santé – espérance de vie, mortalité infantile – révèlent une situation similaire. En Angleterre, l’espérance de vie était de 41 ans dans les années 1820 et de 41.1 ans dans les années 1860. Les données de la France et de la Suède font apparaître une tendance plus positive. L’année 1870 marque un véritable tournant, avec le début de l’augmentation de l’espérance de vie. Jusqu’en 1870, le processus de démocratisation a stagné dans une grande partie de l’Europe. L’indicateur moyen de la qualité des institutions démocratiques (score polity2) s’établissait à -4.2 dans les années 1820 en Europe de l’Ouest, à -3.3 dans les années 1860, avant d’atteindre -0.4 dans les années 1870. Compte tenu de la croissance du PIB et de la stagnation du niveau de vie de la population, les inégalités de revenu se sont aussi vraisemblablement rapidement creusées. Les données sont toutefois trop fragmentaires pour tirer avec certitude des conclusions sur cette tendance.
Le niveau d’éducation, qui s’est élevé entre les années 1820 et 1870 dans la quasi-totalité des premiers pays qui se sont industrialisés, constitue peut-être l’exception la plus importante à cette tendance de stagnation du bien-être. La Grande-Bretagne a toutefois enregistré des résultats relativement mauvais à cet égard. Le niveau d’éducation y était relativement élevé au début de l’industrialisation et a augmenté lentement (passant de 1.8 année de scolarisation en 1820 à 3.6 années en 1870). En Angleterre, les débuts de l’industrialisation ne se sont pas fondés pas sur une forte demande de main-d’œuvre qualifiée ; le travail très répandu des femmes et des enfants peut s’être fait au détriment de la scolarisation. Les Néerlandais (5.1 années), les Allemands (5.4 années), les Français (4.1 années) et les Suédois (4.2 années) avaient ainsi en 1870 un niveau d’éducation plus élevé que les Britanniques (3.6 années). Les pays continentaux (hormis peut-être la Belgique) ont emprunté une trajectoire de développement davantage basée sur une main-d’œuvre qualifiée que le berceau de la révolution industrielle.
Le paradoxe de la croissance des premiers pays qui se sont industrialisés : une croissance sans progrès sur le plan du bien-être
Ces résultats confirment la thèse, développée dans la littérature, de l’existence d’un « paradoxe de la croissance » pour les premiers pays qui se sont industrialisés. S’il y a bel et bien eu croissance économique durant cette période, elle ne s’est toutefois pas traduite par une amélioration du bien-être. Ce paradoxe est lié à différentes évolutions (Komlos, 1998[37])20. Tout d’abord, c’est probablement le prix que les premiers pays qui se sont industrialisés ont dû payer pour la rapidité de leur urbanisation et de leur prolétarisation. Pour la classe ouvrière en Angleterre, le quotidien dans les villes en rapide expansion était dur, le coût de la vie bien plus élevé que dans les campagnes, et la marchandisation du travail accentuait l’incertitude de l’emploi et des revenus (Engels, 1845[38]). L’offre de services sociaux par l’État et les communautés urbaines accusait aussi un certain retard. L’essor des courants économiques libéraux a en outre entraîné une diminution des dépenses sociales, la réforme des Poor Laws (lois sur les indigents) et probablement une réduction des transferts sociaux (Lindert (2004[39]) ; van Bavel and Rijpma (2015[40])). La période allant de 1840 à 1870 a également vu la libéralisation générale des questions économiques, y compris à l’échelle internationale. En 1846, les Corn Laws (lois sur le blé) – série de restrictions douanières et commerciales sur les importations de denrées alimentaires et de céréales en Angleterre – ont été abrogées et le libre-échange est devenu l’idéologie dominante. La très forte croissance des échanges internationaux, des marchés de capitaux et des flux migratoires a entraîné la première vague de mondialisation. Les bénéfices de ces changements n’ont toutefois pas été les mêmes pour les différentes classes sociales (O’Rourke et Williamson, 1999[41]), situation qui n’est pas sans rappeler la mondialisation depuis les années 1980.
Le niveau d’éducation était faible dans les zones d’industrialisation et le travail des enfants était la norme, faisant fortement concurrence à la scolarisation. Les services de santé ne sont en outre pas parvenus à faire face à la croissance des populations urbaines, ce qui s’est traduit par de mauvaises conditions de vie, de piètres conditions d’hygiène, des risques sanitaires élevés et une stagnation de l’espérance de vie (Szreter (1988[42]) ; Szreter and Mooney (1998[43])). La richesse de la nouvelle classe d’entrepreneurs industriels et commerciaux a suscité des tensions croissantes avec un prolétariat en pleine expansion, qui ont à leur tour favorisé l’essor de nouvelles idéologies (socialisme, anarchisme) et de nouveaux mouvements sociaux (syndicats, coopératives de travail et de consommation, mouvements pour l’extension du droit de vote). La publication du Manifeste du parti communiste au beau milieu de cette période n’a rien d’un hasard (Marx et Engels, 1848[44]). Elle a contribué à mettre la question sociale en tête des priorités politiques. À long terme, elle a contribué à l’augmentation des dépenses sociales et des transferts sociaux qui atténueraient les problèmes sociaux les plus urgents.
Le décalage grandissant entre le PIB et différentes dimensions du bien-être s’est inversé après 1870. Le renforcement de l’efficacité des transports et du commerce, conjugué à une baisse des barrières douanières, a permis la croissance rapide des exportations de denrées alimentaires américaines vers l’Europe. Cette « invasion agricole » – comme certains ont pu la nommer – a entraîné une chute spectaculaire des prix alimentaires, qui a elle-même contribué à l’augmentation des salaires réels et des niveaux de consommation en Europe (O'Rourke, 1997[22]). Les percées de la connaissance médicale ont en outre créé les conditions propices à l’offre de soins de santé bien plus efficaces, s’accompagnant souvent d’une attention croissante des pouvoirs publics à l’égard des questions de santé. L’espérance de vie a commencé à augmenter après 1870, et la mortalité infantile à reculer de façon tout aussi spectaculaire. Parallèlement, les premières mesures politiques pour répondre aux questions sociales ont été prises et les premiers essais de transferts sociaux et d’assurance sociale – tels que la législation d’Otto von Bismarck dans les années 1880 – ont commencé à être menés. Alors qu’au milieu du XIXe siècle, aucune corrélation ne s’observait entre le PIB par habitant et l’espérance de vie ou la taille des populations à l’échelle mondiale, ces changements et réformes politiques ont conduit à l’apparition d’un lien de ce type vers 1870 (graphique 3.4 et graphique 3.5).
Les graphiques 3.A.25 à 32 (disponibles en ligne uniquement) en annexe du présent chapitre indiquent les niveaux de différents indicateurs du bien-être pour neuf des premiers pays qui se sont industrialisés, donnant une idée plus ou moins représentative des différentes tendances en Europe de l’Ouest et dans les pays d’immigration européenne. Le graphique 3.10 ci-après présente un échantillon de ces graphiques en annexe. Comme pour les graphiques précédents, les données indiquent les résultats réels pour ces dimensions du bien-être, ainsi que les résultats escomptés au vu du PIB par habitant du pays étudié.
Les différences sont marquées au sein de ce groupe. Le graphique montre que le décollage économique du XIXe siècle, en particulier en Grande-Bretagne et en Italie, s’est accompagné de niveaux d’éducation largement inférieurs à ceux escomptés au vu des niveaux de PIB. La situation était toutefois différente aux États-Unis et en Suède, où le niveau de capital humain était relativement élevé dès le départ. De même, les inégalités de revenu étaient extrêmement fortes durant les 50 premières années de l’industrialisation, avec des coefficients de Gini parfois supérieurs de 10 à 15 points à ceux escomptés au vu du seul PIB par habitant.
Dans la plupart des premiers pays qui se sont industrialisés, on observe une tendance à la diminution des inégalités de revenu sur la période 1820‑2000, mais des reprises sont toutefois aussi à noter, en particulier durant la seconde moitié du XIXe siècle et à la fin du XXe siècle. Les taux d’homicides étaient faibles par rapport à ceux escomptés au vu du PIB en Europe de l’Ouest ; ce constat ne vaut toutefois pas pour l’Italie, et encore moins pour les États-Unis, où ces taux sont restés élevés durant toute cette période. D’importants écarts s’observent entre les taux d’homicides escomptés au vu du PIB par habitant et les taux réellement enregistrés. Ce constat semble indiquer l’existence d’un environnement relativement sûr en Allemagne, en France et en Grande-Bretagne au vu de leur niveau de PIB par habitant (huit pour 100 000 habitants, soit un écart-type sur l’ensemble de la série de données).
Le panneau consacré à l’espérance de vie dans le graphique 3.10 et le graphique 3.A.28 en annexe du présent chapitre indique une stagnation durant la première moitié du XIXe siècle, suivie de fortes augmentations après 1870 environ. La faiblesse du niveau d’espérance de vie par rapport à celui escompté au vu des niveaux de PIB est particulièrement marquée, avec des écarts pouvant aller jusqu’à 20 ans. Durant la seconde moitié du XXe siècle, et en particulier depuis les années 1970, la situation s’est inversée. La plupart des pays industrialisés ont alors obtenu de meilleurs résultats sur le plan de l’espérance de vie que ceux escomptés au vu de leur PIB. Les États-Unis font toutefois figure d’exception : l’augmentation de l’espérance de vie y a stagné par rapport aux niveaux de PIB par habitant de 1965 à 2010. Les niveaux élevés d’inégalités de revenu et de taux d’homicides ont aussi contribué à la convergence des niveaux de bien-être de part et d’autre de l’Atlantique (depuis les années 1960), comme le montre un indicateur composite des résultats en matière de bien-être (van Zanden et al., 2014[2]).
Perspective historique de l’évolution du bien-être
Quels enseignements tirer de l’expérience sur le plan du bien-être des premiers pays qui se sont industrialisés ? La comparaison de la croissance du PIB et d’un ensemble d’indicateurs du bien-être entre les premiers pays qui se sont industrialisés au XIXe siècle et les économies émergentes des dernières décennies fournit différents éclaircissements21.
En premier lieu, la croissance économique des premiers pays qui se sont industrialisés a été bien plus lente que celle enregistrée par nombre d’économies émergentes ces dernières années. Le PIB par habitant des pays d’Europe de l’Ouest a augmenté de 1 % par an en moyenne au XIXe siècle. Dans les pays d’immigration européenne, la croissance du PIB par habitant a été légèrement plus rapide. L’écart avec le taux de croissance économique de la Chine et de l’Inde ces dernières années, et des économies émergentes en général, reste toutefois important. L’une des principales raisons de cet écart est que les économies émergentes sont bien plus éloignées de la frontière de productivité et peuvent donc bénéficier du phénomène de rattrapage. À l’inverse, les premiers pays qui se sont industrialisés avaient atteint cette frontière, ou en étaient proches, et n’ont donc pas pu bénéficier dans la même mesure des avantages d’un retard à rattraper.
En second lieu, ces différences de processus de développement ont eu d’importantes répercussions sur les effets que la « croissance des premiers pays » et celle de « rattrapage » ont eu sur le bien-être. Durant les 50 premières années des débuts de l’industrialisation, avec le creusement des inégalités de revenu, la majeure partie de la population n’a guère pu profiter de la croissance du PIB par habitant. Le recul du bien-être – « les sombres moulins de Satan »22, l’extrême pollution des villes, la hausse des coûts alimentaires – observé aux débuts de l’industrialisation a annulé les effets potentiels de la croissance du PIB par habitant sur l’amélioration du bien-être. Les fortes inégalités de revenu ont suscité la montée des tensions socio-politiques et l’émergence des idéologies et mouvements socialistes. Dans les économies émergentes contemporaines, les inégalités de revenu se sont aussi creusées rapidement. Ce phénomène a souvent résulté du processus de mondialisation, même si certains facteurs endogènes (comme la pénurie croissante de certaines compétences) peuvent aussi avoir joué un rôle. Toutefois, la croissance du PIB des économies émergentes est si forte, et les évolutions autonomes du système de santé, par exemple, si efficaces, qu’en dépit du creusement des inégalités de revenu, le bien-être des populations a néanmoins connu une amélioration généralisée. Autre différence importante, l’urbanisation au XIXe siècle a eu des effets négatifs sur le bien-être (diminution de la taille et de l’espérance de vie). De nos jours, malgré la détérioration de la qualité de l’air, ses effets globaux sont probablement positifs en raison de l’accès à une meilleure alimentation et de meilleures conditions de vie dans les centres urbains. Les économies émergentes ont ainsi atteint un certain niveau d’espérance de vie et d’éducation en bien moins de temps que cela n’avait été le cas pour les économies développées (graphique 3.11).
En troisième lieu, la relation à l’échelle mondiale entre la croissance du PIB et le bien-être montre des signes d’évolution au fil des ans. Les corrélations entre différents indicateurs du bien-être et le PIB par habitant étaient faibles durant les premières décennies du XIXe siècle. Elles se sont néanmoins considérablement renforcées durant la seconde moitié du XIXe siècle et la première moitié du XXe. Durant cette période, la croissance du PIB par habitant s’est traduite par une amélioration du bien-être. Durant la seconde moitié du XXe siècle, une grande partie des progrès réalisés sur le plan du bien-être n’étaient pas imputables au PIB par habitant. Les résultats relativement élevés sur le plan du bien-être observés dans des pays ayant un faible PIB par habitant durant cette période sont l’une des raisons de cette tendance et reflètent en partie les évolutions autonomes du système de santé – le déplacement de la courbe de Preston. L’Amérique latine offre la meilleure illustration de ces évolutions : alors qu’après 1950, la croissance du PIB par habitant y était inférieure à la moyenne mondiale, les progrès de la plupart des dimensions du bien-être y étaient en revanche nettement plus rapides que cette même moyenne. Depuis l’année 2000 environ, ces évolutions positives ont été encore renforcées par la réduction des inégalités de revenu et de la pauvreté, et l’augmentation du niveau d’éducation et de l’espérance de vie. Les résultats de l’Amérique latine sur le plan de l’amélioration du bien-être sont donc positifs, malgré ses performances parfois irrégulières en termes de PIB. Cependant, l’expérience du Chili démontre qu’un arbitrage n’est pas nécessaire entre ces deux variables. Il a connu la croissance la plus rapide depuis les années 1980 et a également enregistré des progrès majeurs sur le plan du bien-être. Le Venezuela fait en revanche figure de contre-exemple : le pays a récemment vu son économie s’effondrer sous l’effet de la chute des prix du pétrole et de politiques malavisées, ce qui a entraîné un recul dramatique du bien-être. Ce type de recul spectaculaire du bien-être peut être largement indépendant de la croissance économique. En témoignent les effets de la propagation incontrôlée du VIH/SIDA sur l’espérance de vie des hommes et en particulier des femmes dans certaines régions d’Afrique, que l’adoption de politiques inadéquates a probablement aggravés.
Enfin, des parallèles et différences existent entre les expériences des premiers pays qui se sont industrialisés et des économies émergentes d’aujourd’hui, sur les plans de la croissance du PIB et du bien-être. Dans les deux cas, la croissance du PIB s’est accompagnée d’un creusement des inégalités de revenu, et de l’avancée rapide de la mondialisation. La première vague de 1840-1870, et la seconde de 1980-2010, ont toutes deux accentué les inégalités de revenu. Différence importante, les décennies du milieu du XIXe siècle ne se sont pas accompagnées du renforcement des droits politiques dans les premiers pays qui se sont industrialisés, alors qu’un tournant démocratique s’était amorcé après 1870. À l’inverse, une évolution de ce type s’est opérée dans les économies émergentes d’Amérique latine, d’Afrique subsaharienne et de certaines régions d’Asie (Corée, Indonésie, Thaïlande et, plus récemment, Myanmar) depuis les années 1980.
L’expérience montre que le développement, dans son acception plus large englobant le bien-être et la durabilité environnementale, ne suit pas toujours la croissance économique. Se posent alors des questions sur notre conception du développement et le type de stratégies que les pays doivent adopter pour atteindre des niveaux plus élevés et durables de bien-être économique, social et environnemental – questions examinées aux chapitres 4 et 5 de ce rapport.
Références
[33] Allen, R. (2003), Farm to Factory: A Reinterpretation of the Soviet Industrial Revolution, Princeton University Press, Princeton.
[15] Alvaredo, F. et al. (2017), World inequality report 2018, World Inequality Lab, https://wir2018.wid.world/files/download/wir2018-full-report-english.pdf.
[11] Banque mondiale (2018), PovcalNet (base de données), Banque mondiale, http://iresearch.worldbank.org/PovcalNet/home.aspx (consulté le 15 mai 2018).
[12] Beegle, K. et al. (2016), Poverty in a Rising Africa, Banque mondiale, http://dx.doi.org/10.1596/978-1-4648-0723-7.
[24] Bloom, D. et D. Canning (2007), « Commentary: The Preston Curve 30 years on: still sparking fires », International Journal of Epidemiology, vol. 36/3, pp. 498-499, http://dx.doi.org/10.1093/ije/dym079.
[7] Boarini, R., A. Kolev et A. McGregor (2014), « Measuring Well-being and Progress in Countries at Different Stages of Development: Towards a More Universal Conceptual Framework », Documents de travail du Centre de développement de l'OCDE, no. 325, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/5jxss4hv2d8n-en.
[10] Clio-Infra (2017), Clio Infra, International Institute of Social History, http://www.clio-infra.eu (consulté le 15 juillet 2018).
[26] CUA/OCDE (2018), Dynamiques du développement en Afrique 2018 : Croissance, emploi et inégalités, Éditions OCDE, Paris/CUA, Addis Ababa, https://doi.org/10.1787/9789264302525-fr.
[18] Dollar, D. et A. Kraay (2002), « Growth is good for the poor », Journal of Economic Growth, vol. 7/3, pp. 195-225.
[31] Dréze, J. et A. Sen (2013), An Uncertain Glory: India and Contradictions, Princeton University Press, Princeton.
[38] Engels, F. (1845), The Conditions of the Working Class in England, Stanford University Press, Stanford.
[45] Feinstein, C. (1998), « Pessimism Perpetuated: Real Wages and the Standard of Living in Britain during and after the Industrial Revolution », The Journal of Economic History, vol. 58/03, pp. 625-658, http://dx.doi.org/10.1017/s0022050700021100.
[28] He, W., D. Goodkind et P. Kowal (2016), An Aging World: 2015, Aging Population Reports, United States Census Bureau, Washington, DC, http://www.census.gov/content/dam/Census/library/publications/2016/demo/p95-16-1.pdf.
[13] Islam, R. (2006), Fighting Poverty: The Development-Employment Link, Lynne Rienner.
[14] Khan, A. (2007), Asian Experience on Growth, Employment and Poverty: An Overview with Special Reference to the Findings of Some Recent Case Studies, OIT, Genève et PNUD, Colombo.
[34] Kingkade, W. et E. Arriaga (1997), Mortality in the new independent states: Patterns and impacts, National Academy Press, Washington, DC..
[37] Komlos, J. (1998), « Shrinking in a Growing Economy? The Mystery of Physical Stature during the Industrial Revolution », The Journal of Economic History, vol. 58/03, pp. 779-802, http://dx.doi.org/10.1017/s0022050700021161.
[16] Lang, V. et M. Mendes Tavares (2018), « The Distribution of Gains from Globalization », IMF Working Paper, Fonds monétaire international, Washington, DC, vol. 18/54.
[27] Leke, A. et D. Barton (2016), 3 reasons things are looking up for African economies, Forum économique mondial, 5 mai 2016, http://www.weforum.org/agenda/2016/05/what-s-the-future-of-economic-growth-in-africa/.
[39] Lindert, P. (2004), Growing Public: Social Spending and Economic Growth since the Eighteenth Century, Cambridge University Press, Cambridge.
[25] Lustig, N., C. Pessino et J. Scott (2013), « The impact of taxes and social spending on inequality and poverty in Argentina, Bolivia, Brazil, Mexico, Peru and Uruguay: An overview », CEQ Working Paper, Tulane University, New Orleans 1313.
[9] Maddison, A. (2001), The World Economy: A Millennial Perspective, Études du Centre de développement, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/9789264189980-en.
[44] Marx, K. et F. Engels (1848), Communist Manifesto, Progress Publishers, Moscou.
[20] Milanovic, B. (2016), Global Inequality. A New Approach for the Age of Globalization, Harvard University Press, Cambridge.
[30] Moatsos, M. (2017), « Global absolute poverty: Behind the veil of dollars », Journal of Globalization and Development (à paraître).
[8] Narayan, D. et al. (1999), Can Anyone Hear Us? Voices From 47 Countries, Banque mondiale.
[41] O’Rourke, K. et J. Williamson (1999), Globalization and History: The Evolution of a Nineteenth-Century Atlantic Economy, MIT Press, Cambridge.
[6] OCDE (2017), Comment va la vie ? 2017 : Mesurer le bien-être, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/how_life-2017-fr.
[17] OCDE (2017), Next Steps for Development in Transition: A Background Paper, Présenté lors de la réunion du 18 mai 2017 à Bruxelles, Belgique, co-organisée par la Direction générale de la Commission européenne pour la coopération internationale et le développement, Centre de développement de l'OCDE, http://www.oecd.org/dev/BackgroundPaper_DiT.pdf.
[35] OCDE (2008), Mer noire et Asie centrale : Promouvoir le travail et le bien-être, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264047327-fr.
[22] O'Rourke, K. (1997), « The European Grain Invasion, 1870–1913 », The Journal of Economic History, vol. 57/04, pp. 775-801, http://dx.doi.org/10.1017/s0022050700019537.
[23] Preston, S. (1975), « The Changing Relation between Mortality and Level of Economic Development », Population Studies, vol. 29/2, p. 231, http://dx.doi.org/10.2307/2173509.
[1] Rijpma, A., J. van Zanden et M. Mira d'Ercole (2018), « A long-term perspective on the development experience of emerging and industrialised economies », SDD Statistics and Data Working Paper.
[21] Roser, M. et E. Ortiz-Ospina (2018), "Global Extreme Poverty", OurWorldInData.org, https://ourworldindata.org/extreme-poverty.
[3] Seers, D. (1969), « The Meaning of Development », IDS Communication, vol. 44.
[32] Sen, A. (2011), Quality of Life: India vs. China, https://www.nybooks.com/articles/2011/05/12/quality-life-india-vs-china/.
[5] Sen, A. (1999), Development as Freedom, Oxford University Press.
[4] Stiglitz, J., A. Sen et J. Fitoussi (2009), Rapport de la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social, http://ec.europa.eu/eurostat/documents/118025/118123/Fitoussi+Commission+report.
[29] Sulla, V. et P. Zikhali (2018), Overcoming Poverty and Inequality in South Africa : An Assessment of Drivers, Constraints and Opportunities (anglais), Groupe de la Banque mondiale, Washington, DC, http://documents.worldbank.org/curated/en/53048152173590653.
[19] Sumner, A. (2016), Global Poverty: Deprivation, Distribution and Development Since the Cold War, Oxford University Press, Oxford et New York.
[42] Szreter, S. (1988), « The importance of social intervention in Britain’s mortality decline c.1850-1914: A re-interpretation of the role of public health », Social History of Medicine, vol. 1/1, pp. 1-38.
[43] Szreter, S. et G. Mooney (1998), « Urbanization, Mortality, and the Standard of Living Debate: New Estimates of the Expectation of Life at Birth in Nineteenth-century British Cities », The Economic History Review, vol. 51/1, pp. 84-112, http://dx.doi.org/10.1111/1468-0289.00084.
[36] Université de Florence (2016), « The mortality crisis in transition economies », IZA World of Labor, vol. 298/octobre, https://wol.iza.org/uploads/articles/298/pdfs/mortality-crisis-in-transition-economies.pdf.
[40] van Bavel, B. et A. Rijpma (2015), « How important were formalized charity and social spending before the rise of the welfare state? A long-run analysis of selected western European cases, 1400-1850 », The Economic History Review, vol. 69/1, pp. 159-187, http://dx.doi.org/10.1111/ehr.12111.
[2] van Zanden, J. et al. (dir. pub.) (2014), How Was Life?: Global Well-being since 1820, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/9789264214262-en.
Annexe 3.A. Graphiques complémentaires
Tous les graphiques sont disponibles en ligne : https://doi.org/10.1787/84aa0757-fr
Graphique 3.A.1. Niveau moyen d’éducation en Amérique latine
Graphique 3.A.2. Inégalités de revenu en Amérique latine
Graphique 3.A.3. Taux d’homicides en Amérique latine
Graphique 3.A.4. Espérance de vie en Amérique latine
Graphique 3.A.5. Qualité des institutions démocratiques (Polity 2) en Amérique latine
Graphique 3.A.6. Salaires réels en Amérique latine
Graphique 3.A.7. Niveau moyen d’éducation en Afrique
Graphique 3.A.8. Inégalités de revenu en Afrique
Graphique 3.A.9. Taux d’homicides en Afrique
Graphique 3.A.10. Espérance de vie en Afrique
Graphique 3.A.11. Qualité des institutions démocratiques (Polity 2) en Afrique
Graphique 3.A.12. Salaires réels en Afrique
Graphique 3.A.13. Niveau moyen d’éducation en Asie
Graphique 3.A.14. Inégalités de revenu en Asie
Graphique 3.A.15. Taux d’homicides en Asie
Graphique 3.A.16. Espérance de vie en Asie
Graphique 3.A.17. Qualité des institutions démocratiques (Polity 2) en Asie
Graphique 3.A.18. Salaires réels en Asie
Graphique 3.A.19. Niveau moyen d’éducation en Europe de l’Est et en ex-Union soviétique
Graphique 3.A.20. Inégalités de revenu en Europe de l’Est et en ex-Union soviétique
Graphique 3.A.21. Taux d’homicides en Europe de l’Est et en ex-Union soviétique
Graphique 3.A.22. Espérance de vie en Europe de l’Est et en ex-Union soviétique
Graphique 3.A.23. Qualité des institutions démocratiques (Polity 2) en Europe de l’Est et en ex-Union soviétique
Graphique 3.A.24. Salaires réels en Europe de l’Est et en ex-Union soviétique
Graphique 3.A.25. Niveau moyen d’éducation dans les premiers pays qui se sont industrialisés
Graphique 3.A.26. Inégalités de revenu dans les premiers pays qui se sont industrialisés
Graphique 3.A.27. Taux d’homicides dans les premiers pays qui se sont industrialisés
Graphique 3.A.28. Espérance de vie dans les premiers pays qui se sont industrialisés
Graphique 3.A.29. Qualité des institutions démocratiques (Polity 2) dans les premiers pays qui se sont industrialisés
Graphique 3.A.30. Salaires réels dans les premiers pays qui se sont industrialisés
Graphique 3.A.31. Émissions de SO2 par habitant dans les premiers pays qui se sont industrialisés
Graphique 3.A.32. Taille de la population dans les premiers pays qui se sont industrialisés
Notes
← 1. Le chapitre présente une analyse de l’évolution historique du bien-être pour quatre régions clés : l’Amérique latine ; l’Afrique subsaharienne ; l’Asie ; et l’Europe de l’Est et l’ex-Union soviétique. Les moyennes régionales sont toujours tirées du rapport How Was Life?. Au sein de chacune de ces régions, le chapitre examine de plus près un sous-ensemble de pays retenus soit pour leur poids démographique, soit pour leur évolution atypique au sein de leur région : l’Argentine, le Brésil, le Chili, le Mexique, le Pérou et le Venezuela pour l’Amérique latine ; l’Afrique du Sud, le Burkina Faso, le Ghana, le Kenya, le Nigéria et l’Ouganda pour l’Afrique subsaharienne ; la Chine, l’Inde, l’Indonésie, les Philippines, la Thaïlande et le Viet Nam pour l’Asie ; et la Bulgarie, l’Estonie, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie et la Russie pour l’Europe de l’Est et l’ex-Union soviétique.
← 2. Sauf mention contraire, la « croissance du PIB » fait référence à la croissance du PIB par habitant, en dollars US de 1990.
← 3. Comment va la vie ? est un rapport bi-annuel publié depuis 2011 par la Direction des statistiques et des données de l’OCDE afin de suivre, comparer et analyser le bien-être dans les pays membres de l’OCDE et une sélection de pays partenaires. Ce rapport s’appuie sur des indicateurs clés du bien-être actuel, des ressources pour l’avenir (depuis 2013) et des inégalités (depuis 2017), sélectionnés en consultation avec les services de statistiques des pays membres de l’OCDE.
← 4. Argentine, Chili, Brésil, Venezuela, Pérou, Chine, Indonésie, Inde, Viet Nam, Philippines, Thaïlande, Afrique du Sud, Kenya, Nigéria, Ghana, Ouganda, Burkina Faso, Russie, Pologne, Hongrie, Roumanie, Bulgarie et Estonie.
← 5. Royaume-Uni, États-Unis, France, Allemagne, Belgique, Suède, Japon, Italie et Pays-Bas.
← 6. À titre d’exemple, pour la dimension relative à l’éducation, les indicateurs ciblent les compétences et aptitudes acquises plutôt que le montant des dépenses au titre des établissements d’enseignement ou le nombre d’enseignants formés.
← 7. Boarini, Kolev et McGregor (2014[7]) recommandent par exemple de se référer aux « possibilités de consommation », plutôt qu’« au revenu et au patrimoine », pour reconnaître la prévalence de la consommation comme indicateur du bien-être économique dans les pays en développement. Ils préconisent également d’élargir le concept de « sécurité personnelle » à celui de « vulnérabilité » afin de refléter l’éventail plus large de risques auxquels sont confrontées les populations des pays en développement, et de se référer aux notions d’« autonomisation et de participation », plutôt que d’« engagement civique et de gouvernance », pour souligner l’importance de l’accès à une représentation politique et à des moyens d’expression pour les individus, les communautés locales et les populations indigènes. De même, sur le plan des indicateurs, ils suggèrent l’inclusion de mesures de la vulnérabilité de l’emploi (en plus du taux de chômage traditionnellement utilisé dans les pays de l’OCDE), afin de tenir compte du caractère fortement informel du marché du travail dans ces pays.
← 8. How Was Life? omet certaines des dimensions incluses dans le cadre conceptuel de Comment va la vie ?, car certaines dimensions du bien-être (comme le bien-être subjectif) ne peuvent pas être mesurées dans un passé lointain, tandis que d’autres (comme l’équilibre vie professionnelle-vie privée) ne font pas l’objet de données historiques suffisantes.
← 9. L’auto-déclaration sur la satisfaction à l’égard de la vie et le vécu quotidien n’existait par exemple pas par le passé.
← 10. Le PIB par habitant est exprimé en parités de pouvoir d’achat sur la base des dollars US de 1990.
← 11. Les données sur l’espérance de vie et les taux d’homicides ne sont disponibles que depuis 1850.
← 12. Pour ce faire, on effectue une régression des indicateurs du bien-être (standardisés pour avoir une moyenne de 0 et un écart-type de 1 à des fins de comparabilité) sur le logarithme du PIB par habitant et une série de variables indicatrices temporelles. Ces dernières rendent compte des progrès du bien-être par rapport à 1820 (ou à l’année d’observation la plus ancienne disponible) qui ne sont pas imputables au niveau du PIB par habitant durant cette période.
← 13. La variable polity2 est exprimée sur une échelle de 21 points, qui classe les pays du rang d’autocraties (scores les plus faibles) à celui de démocraties (scores les plus élevés). Selon cet indicateur, il existerait donc un plafond au-delà duquel les institutions politiques ne peuvent plus s’améliorer. Les évolutions additionnelles dans les pays déjà classés dans la catégorie des démocraties ou des autocraties à part entière ne peuvent compenser que de façon limitée les évolutions ailleurs dans le monde.
← 14. L’approche s’inscrit dans le même esprit que celle utilisée dans le graphique 3.5, mais sans variables indicatrices temporelles distinctes. Le modèle est wb = b0 + b1*log gdppc, où wb est là aussi l’un des indicateurs du bien-être. On procède à l’estimation de la relation en utilisant la totalité de l’échantillon mondial de pays de 1820 à 2010 (ou l’année la plus ancienne/récente pour laquelle des données sont disponibles). Ce faisant, on obtient les valeurs escomptées des indicateurs du bien-être que l’on peut utiliser pour évaluer les évolutions réelles du bien-être par rapport au volume de production économique d’un pays.
← 15. Lorsque les données couvrent moins de 40 % de la population régionale, on les considère comme manquantes.
← 16. Le regain de croissance dans les années 2000 n’est pas passé inaperçu. L’Afrique subsaharienne a été identifiée comme l’une des étoiles montantes de l’économie mondiale en 2010 par le McKinsey Global Institute, qui comparait alors le potentiel et les progrès des économies africaines à des « lions en marche » ; voir www.mckinsey.com/featured-insights/middle-east-and-africa/lions-on-the-move.
← 17. D’après Moatsos (2017[30]), toutefois, le recul a été moins fort, de 65 % en 1983 à 22 % en 2014, ce qui est plus similaire à l’expérience de l’Inde.
← 18. Comme le note Sen (2011[32]) : « En Chine, l’espérance de vie à la naissance est de 73.5 ans ; en Inde, elle est de 64.4 ans. Le taux de mortalité infantile est de 50 pour 1 000 en Inde, contre seulement 17 pour 1 000 en Chine ; le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans est de 66 pour 1 000 en Inde et de 19 pour 1 000 en Chine ; et le taux de mortalité maternelle est de 230 pour 100 000 naissances d’enfants vivants en Inde et de 38 pour 100 000 naissances d’enfants vivants en Chine. Le nombre moyen d’années de scolarisation est estimé à 4.4 années en Inde, contre 7.5 années en Chine. Le taux d’alphabétisation des adultes est de 94 % en Chine, contre 74 % en Inde, d’après les tableaux préliminaires du recensement de 2011 ».
← 19. L’indicateur de gouvernance constitue une exception à cette tendance.
← 20. Dans les années 1960 et 1970, le « débat sur le niveau de vie » portait principalement sur l’évolution des salaires réels durant la période d’industrialisation en Angleterre (cf. Feinstein (1998[45]) ; depuis lors, ce débat s’est élargi via l’analyse systématique de nouvelles données issues de l’étude de la taille de la population (voir van Zanden et al., (2014[2]), chapitre 7).
← 21. Il convient de signaler deux limites à l’analyse incluse dans ce chapitre. En premier lieu, les données présentées se limitent à celles sur le niveau moyen d’éducation, d’espérance de vie, de sécurité et de droits politiques dans les pays à l’étude. Le chapitre part du principe que la distribution de ces dimensions du bien-être dans la population n’a pas connu d’évolution majeure dans le temps. Il part en outre du principe qu’il est possible d’évaluer, par exemple, le niveau d’éducation de la population uniquement sur la base de valeurs moyennes.
En second lieu, l’interprétation du lien entre PIB et résultats en matière de bien-être présente aussi certaines limites. Une relation positive entre le PIB par habitant et les résultats en matière de bien-être ne signifie pas nécessairement que la croissance du PIB est à l’origine de l’amélioration du bien-être, ou qu’il s’agit du seul facteur important à l’œuvre. De bons résultats sur les plans de l’état de santé, de l’espérance de vie, du niveau d’éducation, des droits politiques et de la sécurité personnelle, en plus de témoigner d’un plus grand bien-être en soi, contribuent également à la croissance économique. En d’autres termes, le lien de causalité opère dans les deux sens. Ce constat implique que les investissements dans l’éducation ou la santé, ainsi que dans d’autres dimensions du bien-être, peuvent s’avérer une meilleure façon d’améliorer la croissance du PIB et le bien-être que la stimulation de la croissance du PIB par d’autres moyens.
← 22. « Les sombres moulins de Satan » est une citation du poème de William Blake « And did those feet in ancient time » qui, à son tour, évoque la révolution industrielle et les effets destructeurs qu’elle a eus sur la nature et les relations humaines.