Ces dernières décennies, le progrès a entraîné la création de richesses et d’opportunités sans précédent. Tous les indicateurs disponibles le confirment : le monde n’a jamais connu situation si prospère. Et pourtant, le ressentiment monte de toutes parts, car le partage des bénéfices est loin d’être équitable. Dans les pays les plus avancés, les classes moyennes en difficulté sont de plus en plus désabusées face à l’enrichissement des plus riches, et la confiance envers les institutions s’affaiblit. Dans les pays plus pauvres, c’est un autre tableau : d’un côté, il y a les oubliés de cette prospérité mondiale, ces lieux en proie à la fragilité et aux conflits, où la souffrance et la pauvreté restent omniprésentes ; de l’autre, ces lieux où malgré la réalisation de progrès spectaculaires sur le plan de la réduction de la pauvreté et du développement humain, la persistance des inégalités nourrit de graves tensions sociales.
Notre conception historique collective du processus de développement ces 50 à 70 dernières années ne concorde donc plus avec la réalité des expériences récentes de développement de nombreux pays. Nous continuons à considérer le développement économique et le développement humain comme deux dimensions distinctes, alors qu’ils doivent s’envisager comme un processus unique. Parallèlement, le monde a connu de profondes transformations, en grande partie sous l’effet de l’essor des économies émergentes. La Chine, mais aussi le Brésil, l’Inde, l’Indonésie, l’Afrique du Sud et la Fédération de Russie, occupent ainsi une place de plus en plus importante sur la scène internationale et participent au processus de développement des autres pays. Depuis 2010, la série des Perspectives du développement mondial s’attache à suivre l’incidence de ces différents changements sur le développement.
La transformation de la géographie économique mondiale ne s’est toutefois pas opérée du jour au lendemain ; il s’agit d’un processus long et graduel, dont les effets sur le développement sont donc moins perceptibles.
Certaines choses ont bel et bien changé, mais pas toutes. La conception traditionnelle du développement a chaussé une paire de lunette flambant neuve au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, et malgré de petites révisions ponctuelles, c’est cette même vision qui prévaut encore aujourd’hui.
Or, nous devons aujourd’hui changer de lunettes : le moment est venu, en particulier, de repenser les stratégies de développement. L’OCDE s’y attelle d’ailleurs déjà, notamment avec ses « Nouvelles approches face aux défis économiques » (NAEC) et son « Initiative du vivre mieux », mais il nous faut aller encore plus loin. Nous devons reconnaître pleinement la pluralité des trajectoires individuelles de développement et la nécessité, pour le processus multidimensionnel du développement, d’une nouvelle approche de la coopération mondiale.
Mario Pezzini
Directeur, Centre de développement de l’OCDE
Conseiller spécial auprès du Secrétaire général de l’OCDE chargé du développement