Si la promotion de la mobilité résidentielle ne constitue pas une fin en soi, elle n’en demeure pas moins un enjeu de taille pour l'action publique, en particulier dans les pays affichant de forte disparités territoriales et dont le marché du travail présente d’importantes inadéquations des compétences. Parce qu’elles favorisent la croissance de la productivité et la mobilité sociale, les mesures permettant de supprimer les freins à la mobilité sont des sources potentielles de gains d’efficience et d’équité. Lever les obstacles à la mobilité résidentielle qui relèvent de l'action publique peut s’avérer très utile pour faciliter l’ajustement du marché du travail pendant la phase de reprise au sortir de la crise du COVID-19.
Pierre par pierre
6. Lever les obstacles à la mobilité résidentielle
Abstract
Principaux enseignements pour l’action publique
Les pays de l’OCDE présentent une importante disparité sur le plan de la mobilité résidentielle, puisque ce phénomène est relativement marqué en Australie, aux États-Unis et dans les pays nordiques, et nettement moins dans les pays d'Europe de l’Est et du Sud1. Tous pays confondus, les propriétaires sont bien moins mobiles que les locataires.
Les conditions de logement et les politiques du logement influent sur la décision et les possibilités de changer de lieu de résidence. De fait :
La mobilité résidentielle est d’autant plus élevée que l’offre de logement se montre réactive à l’évolution de la demande. Réformer des politiques d’occupation des sols et d’aménagement du territoire mal pensées peut favoriser la mobilité en réduisant les écarts de prix des logements entre les différents territoires.
On observe une corrélation positive entre les dépenses sociales (en espèces ou en nature) liées au logement, et la mobilité résidentielle. L'offre de logement social peut être pensée de manière à éviter les effets de verrouillage, par exemple en levant les exigences de résidence et d’attente pour les chômeurs qui déménagent en vue de prendre un emploi dans une nouvelle région.
Une réglementation stricte du marché locatif, à la fois en termes d’encadrement des loyers et de sécurité d’occupation, est associée à une plus faible mobilité résidentielle, en particulier pour les locataires, les ménages peu qualifiés et à faible revenu. La réglementation du marché locatif doit chercher à concilier les intérêts des bailleurs et ceux des locataires, assurer la sécurité d’occupation et à développer l’offre de logements locatifs abordables.
Des coûts de transaction élevés pour l’achat et la vente d’un logement, en particulier les droits de mutation tels que les droits de timbre et les frais de notaire, sont également associés à une faible mobilité résidentielle notamment chez les jeunes ménages, plus susceptibles de figurer parmi les primo-accédants.
Des réformes fiscales visant à remplacer les impôts non périodiques (ex.: droits de mutation) par des impôts périodiques pourraient contribuer à la réduction des obstacles à la mobilité. Il faudrait toutefois veiller à ne pas compromettre la résilience, sachant que des droits de mutation élevés permettent de juguler une volatilité excessive des prix des logements et les comportements spéculatifs.
Les politiques sociales et du travail ont également un effet sur la mobilité. On observe en particulier qu'un montant élevé de prestations en espèces versées aux travailleurs à bas salaire en situation de chômage, ainsi que l’existence de minima sociaux dans les dispositifs de protection sociale, sont associés à une plus grande mobilité résidentielle.
Ne pas freiner la mobilité résidentielle
La mobilité résidentielle est un enjeu important. La facilité avec laquelle il est possible de changer de lieu de résidence a des répercussions sur l’efficience dans la mesure où elle joue sur le processus d’appariement entre offres et demandes d’emploi. De fait, une faible mobilité résidentielle peut constituer un obstacle au redéploiement géographique de la main-d’œuvre, ce qui pèse sur l’efficience des marchés du travail, avec des conséquences négatives sur les performances globales de l’économie (Oswald, 1996[1]; Caldera Sánchez and Andrews, 2011[2]; Blanchflower et al., 2013[3]; Banque mondiale, 2018[4]).Cette facilité a également des répercussions sur la résilience puisqu’elle agit sur la rapidité d’adaptation aux chocs en déterminant la capacité des travailleurs à quitter les régions très touchées par le chômage pour rejoindre des régions où le taux de chômage est faible.
Les autres répercussions notables relèvent du bien-être et de l’équité : en effet, la facilité à changer de lieu de résidence ouvre aux individus et aux familles des possibilités de progresser dans l’échelle sociale par divers moyens (Judge, 2019[5]) ; par exemple, en ayant accès à des emplois mieux rémunérés dans des régions plus prospères, à de meilleures possibilités d’éducation et de formation, ou encore à un environnement local plus propice, notamment pour les enfants et les jeunes issus de milieux défavorisés. Il ressort du projet américain « Moving to Opportunity » que les enfants des familles tirées au sort pour bénéficier des chèques-logements leur permettant de quitter les quartiers pauvres pour s’installer dans des quartiers plus aisés affichaient par la suite un taux plus élevé de poursuite des études supérieures, des revenus plus élevés une fois dans la vie active et pâtissaient moins des effets de la monoparentalité (Chetty, Hendren and Katz, 2016[6]). Ce constat confirme tout l’intérêt qu’il y a à lutter contre la ségrégation et à réduire les séparations spatiales par revenus et patrimoine. Il montre par ailleurs que les avantages de la mobilité sont particulièrement intéressants pour les enfants, qui bénéficient ainsi d’un coup de pouce vers de meilleures opportunités, qui vaudront pour toute leur vie. Cela étant, changer de logement n’est pas toujours bénéfique. En cas d’expulsion, par exemple, les individus quittent leur logement parce qu’ils y sont contraints, ce qui n’est dans l’intérêt ni des personnes concernées ni de l’économie et de la société dans son ensemble. Une mobilité résidentielle excessive peut avoir des effets négatifs, que ce soit sur la stabilité sociale dans l’environnement local en dévalorisant le capital social local, ou sur les résultats scolaires des enfants s’ils sont contraints de changer d’établissement trop souvent (OCDE, 2020[7]).
En complément de la présente étude, les futurs travaux de l’OCDE portant sur le logement et la mobilité livreront de nouvelles données plus fines sur la mobilité interrégionale, la propension des individus à réagir à des chocs économiques locaux (y compris des poussées du chômage), en changeant de lieu de résidence, et l’influence que peuvent exercer les politiques publiques sur cette capacité de réaction (Causa, Abendschein, Cavalleri, 2021 ; Cavalleri, Luu, Causa 2021). Ces travaux permettront ainsi d’étudier la nécessité de mettre en œuvre des trains de mesures structurelles et territorialisées permettant à la fois d’encourager les individus qui le souhaitent à aller s’installer dans les territoires offrant de meilleures possibilités, mais aussi d’ouvrir des perspectives et de mettre l’accent sur le développement local dans les territoires à la traîne.
Le logement joue un rôle important dans la mobilité et les propriétaires apparaissent bien moins mobiles que les locataires
Une analyse empirique montre que la mobilité résidentielle est étroitement liée aux conditions du marché du logement et aux mesures prises en matière de logement (Encadré 6.1). Il ressort des enquêtes menées auprès des ménages que les principales motivations pour déménager tiennent aux préférences et aux besoins en matière de logement, notamment à l’envie de changer de statut d’occupation, de bénéficier d’un logement neuf ou de meilleure qualité, ou encore de s’installer dans un quartier plus agréable (
Graphique 6.1). Les mouvements résidentiels varient considérablement selon les pays de l’OCDE : c’est en Australie et aux États-Unis, ou plus de 40 % des individus déménagent sur une période de cinq ans, que la mobilité résidentielle est la plus élevée, et dans les pays d’Europe de l’Est et du Sud, où le taux tombe à moins de 10 %, qu’elle est la plus faible (Graphique 6.2).
Encadré 6.1. Des données recueillies au niveau des ménages et une approche empirique au service de l’étude de la mobilité résidentielle
L’analyse de Causa et Pichelmann (2020[8]) s’appuie sur des données d’enquête recueillies au niveau des ménages dans les pays de l’OCDE membres de l’UE, les États-Unis et l’Australie. Ces ensembles de données ont l’avantage d’être fondés sur un échantillonnage aléatoire représentatif de la population et d’inclure des informations sur les mouvements résidentiels (changement de logement, statut socio-économique du ménage, notamment statut d’occupation, revenu, composition et taille du ménage, informations sur le marché du travail, niveau de diplôme, mais aussi degré d’urbanisation du lieu ou de la région de résidence), et donc de permettre une analyse complète des déterminants de la mobilité des individus et des ménages. Pour l’UE, les données relatives aux ménages sont extraites de la base de données sur les ménages des Statistiques de l’Union européenne sur le revenu et les conditions de vie (EU-SILC). L’analyse porte sur l’échantillon 2012 qui comportait cette année-là un module spécifique consacré aux conditions de logement des ménages, notamment des informations sur le changement de logement et les raisons ayant motivé ce changement. Les données relatives aux pays européens se complètent de données au niveau des ménages pour les États-Unis et l’Australie. Les données relatives à l’Australie proviennent de l’enquête HILDA (Household, Income and Labour Dynamics in Australia), enquête menée auprès d’un panel de ménages afin de recueillir des informations sur le bien-être économique et subjectif, la dynamique du marché du travail et les dynamiques familiales des ménages australiens. Les données relatives aux États-Unis sont tirées de l’enquête AHS (American Housing Survey), qui recueille des données sur les caractéristiques des ménages et des logements, et sur les nouveaux arrivants.
Pour mieux cerner les éléments qui jouent sur la mobilité résidentielle dans les pays de l’OCDE, une approche en deux temps a été adoptée. Dans un premier temps, on a estimé l’incidence des caractéristiques des ménages et des individus (statut d’occupation, revenu, âge, etc.) sur la mobilité résidentielle pour chaque pays. Il s’agit d’une étape essentielle pour pouvoir comparer les effets selon les pays des caractéristiques des ménages sur la mobilité, ainsi que l’incidence du statut d’occupation des individus sur la mobilité, tout en neutralisant les facteurs de confusion que sont les autres déterminants de la mobilité au niveau individuel, comme l’âge et le niveau de diplôme. Dans un second temps, l’approche empirique utilise la diversité des politiques et des institutions entre les différents pays pour évaluer le rôle des politiques publiques dans la mobilité résidentielle. Sont prises en compte dans l’analyse les politiques du logement, comme les mesures concernant la réglementation du marché locatif et les coûts des transactions immobilières, mais aussi d’autres politiques susceptibles d’influer sur la mobilité comme celles concernant la protection sociale et la protection de l’emploi. L’incidence de ces politiques est également évaluée par catégories socio-économiques (par statut d’occupation, niveau de diplôme, âge, etc.) afin de repérer les écarts entre catégories, ce qui fait ressortir les effets redistributifs de ces moyens d’action.
Même si les taux de mobilité sont très différents d’un pays à l’autre, partout, les propriétaires occupants sont moins mobiles que les locataires (Graphique 6.3), d’où une corrélation négative, dans tous les pays, entre propriété du logement et mobilité résidentielle (Graphique 6.4). Les écarts de mobilité en fonction du statut d’occupation demeurent même après prise en compte d’un large éventail de facteurs de mobilité chez les individus comme parmi les ménages (âge, niveau de diplôme, revenu, etc.) (Causa and Pichelmann, 2020[8]).
La mobilité est la plus élevée parmi les personnes qui louent leur logement au prix du marché et la plus faible parmi les personnes pleinement propriétaires de leur habitation (non accédants). Les locataires de logements sociaux ou subventionnés sont généralement moins mobiles que les locataires du marché privé.
Les différences de mobilité en fonction du statut d’occupation sont très marquées dans tous les pays : ainsi, en moyenne dans les pays de l’OCDE membres de l’UE, les locataires du marché privé sont environ 5.6 fois plus mobiles que les personnes pleinement propriétaires de leur logement. Aux États-Unis, pays qui affiche l’un des taux de mobilité les plus élevés de cette étude, l’écart est également considérable puisque les locataires du marché privé sont environ trois fois plus mobiles que les propriétaires non accédants.
Adopter des mesures favorisant la mobilité résidentielle
Réduire les coûts des transactions immobilières
La baisse des coûts des transactions immobilières induite par l’action publique encourage la mobilité résidentielle. Les droits de mutation liés à l’acquisition d’un logement, qui sont des impôts non périodiques acquittés lors de l’acquisition ou de la cession d’un bien immobilier, ont un effet dissuasif sur la mobilité résidentielle, en particulier parmi les jeunes ménages, ces prélèvements étant susceptibles de peser plus lourd pour les primo-accédants. Les frais de notaire appliqués aux transactions immobilières dans certains pays ont également un effet dissuasif. Par conséquent, réformer la fiscalité immobilière de manière à abandonner les impôts non périodiques au profit d’impôts périodiques — par exemple, en mettant en place un impôt annuel sur la propriété immobilière — pourrait grandement contribuer à renforcer la mobilité résidentielle.
De fait, il ressort des simulations réalisées que l’abandon des prélèvements fiscaux non périodiques augmenterait la mobilité résidentielle (Graphique 6.5). Des réformes visant à alléger les prélèvements sur les transactions immobilières ont récemment été mises en œuvre dans quelques pays (Encadré 6.2)
Encadré 6.2. Réformes récentes visant à alléger les coûts des transactions immobilières
En 2017, le Royaume-Uni a supprimé les droits de mutation pour les primo-accédants en Angleterre et au Pays de Galles, pour les acquisitions immobilières de plus de 300 000 GBP.
En 2011, l’Irlande avait ramené son droit de timbre de 9 % à 1 % de la valeur d’un bien immobilier si celle-ci n’excède pas 1 million EUR, et à 2 % pour les biens d’une valeur supérieure. Dans le même temps, tous les allègements et exonérations du droit de timbre sur les biens immobiliers d’habitation ont été supprimés. En 2013, le gouvernement a complété cette réforme en décidant d’imposer un impôt périodique sur le patrimoine immobilier, de 0.18 % pour tous les biens immobiliers d’habitation jusqu’à 1 million EUR et de 0.25 % pour les autres.
L’Australie a remplacé les impôts immobiliers non périodiques par des impôts périodiques à la faveur de la réforme déployée en 2014 par l’administration du Territoire de la Capitale australienne, qui a abaissé les droits de mutation et supprimé les taxes sur les assurances tout en augmentant les impôts fonciers.
Les Pays-Bas ont ramené la taxe sur les transactions immobilières de 6 % à 2 % en 2012, baisse financée par la suppression de l’exonération fiscale au titre des indemnités de déplacement professionnel, y compris l’exonération au titre de l’utilisation de véhicules de société pour un usage privé.
Supprimer les points de blocage qui limitent la capacité d’ajustement de l’offre de logements
La mobilité résidentielle est d’autant plus élevée que l’offre de logements a la capacité de s’adapter à l’évolution de la demande. Cette réactivité de l’offre de logements est fonction de caractéristiques géographiques, mais aussi des politiques publiques, en particulier des règles d’urbanisme qui influent sur l’affectation des sols et des logements à différents usages (voir le chapitre 2). Ainsi, une réglementation restrictive se traduit presque toujours par une grande disparité des prix des logements entre les régions et empêche les ménages de quitter les régions où les prix sont bas pour rejoindre des régions où le logement est plus cher pour y rechercher de meilleures possibilités d’emploi et de formation. Une situation de nature à peser sur l’affectation des ressources et sur la mobilité sociale.
Des simulations montrent, de fait, que des réformes permettant d’améliorer la réactivité de l’offre de logements peuvent être très utiles pour accroître la mobilité résidentielle (Graphique 6.5). Des réformes de ce type ont récemment été mises en œuvre dans un certain nombre de pays de l’OCDE. Les Pays-Bas, par exemple ont simplifié en 2018 la procédure d’approbation et levé les obligations imposées aux sociétés gestionnaires de logements souhaitant louer sur le marché privé, et accordé de plus en plus de prérogatives aux municipalités en matière de zonage et de planification du marché locatif privé. La Suède s’est également orientée dans ce sens en 2016, lorsque le gouvernement a présenté des mesures législatives visant à rendre l’aménagement du territoire plus efficient et a accordé des aides aux municipalités en fonction du nombre de logements autorisés.
Par ailleurs, les conditions de l’offre de logements peuvent influer sur les incitations économiques aux migrations interrégionales, et, par ricochet, sur la répartition territoriale des travailleurs au niveau national (Causa, Abendschein and Cavalleri, 2021[9]; Causa, Cavalleri and Luu, 2021[10]). Une offre de logements souple renforce la sensibilité des individus au PIB local par habitant et au taux de chômage régional, ce qui peut contribuer à une adéquation efficace entre les travailleurs et les emplois, à une réduction des déséquilibres locaux et à une plus grande souplesse face à d’éventuels chocs locaux (Encadré 6.3). L’allègement des obstacles induits par les politiques publiques qui entravent la capacité d’adaptation de l’offre de logements, par exemple via une réforme de la gouvernance de l’utilisation des sols, peut également renforcer l’inclusivité en favorisant l’accès à des emplois de meilleure qualité et en limitant le risque pour les individus de se trouver piégés dans des zones défavorisées. De fait, aux États-Unis, on a observé que les différences de plus en plus marquées dans les prix des logements entre les régions créent notamment des obstacles à la mobilité des travailleurs peu qualifiés vers les zones métropolitaines (Causa, Cavalleri and Luu, 2021[10]; Bayoumi and Barkema, 2019[11]). De manière générale, l’absence de possibilités de mobilité régionale à laquelle se heurtent certaines catégories socio-économiques peut avoir des effets négatifs sur la croissance et l’inclusivité (Hsieh and Moretti, 2019[12]).
Encadré 6.3. Le rôle du logement dans les migrations interrégionales
Le nombre de migrations interrégionales a diminué dans plusieurs pays de l’OCDE au cours des dernières décennies. Ce recul est attribué à une baisse de la rentabilité économique de ces migrations qui s’explique en partie à l’augmentation des prix des logements (Bayoumi and Barkema, 2019[11]). La hausse des revenus attendue de cette migration n’est plus suffisante pour compenser l’augmentation des prix des logements, notamment pour les travailleurs qui se situent au bas de l’échelle des salaires et des compétences.
De récents travaux de l’OCDE (Causa, Abendschein and Cavalleri, À paraître[13]; Causa, Cavalleri and Luu, 2021[10]) exploitant des analyses de régression internationales et par pays, ont établi que des facteurs économiques et en lien avec le logement influent sur la direction et l’intensité des flux de migrations interrégionales. On observe qu’un PIB élevé par habitant et de faibles taux de chômage attirent de nouveaux arrivants, alors que des prix des logements élevés au niveau régional exercent un effet dissuasif sur la mobilité. Il apparaît donc que des prix des logements élevés ou en hausse pèsent sur l’attractivité économique d’une région. On a par exemple estimé qu’une hausse de 10 % des prix des logements dans une région fait baisser le nombre d’arrivées dans la région de 3 % en moyenne.
Dans le même temps, le niveau élevé des prix des logements dans la région de résidence peut favoriser le départ d’habitants anticipant des difficultés grandissantes d’accessibilité financière des logements. Certaines personnes — notamment parmi les groupes sociaux désavantagés — peuvent être amenées à quitter une région faute de pouvoir accéder financièrement à un logement stable et de qualité adaptée. Dans certains pays européens, on constate une augmentation du nombre de départs (souvent de jeunes ménages avec enfants) des grandes zones métropolitaines, et parallèlement, une hausse des déplacements pendulaires interrégionaux. Cette tendance est alimentée par l’amélioration des infrastructures de transport et par la hausse des prix des logements et le phénomène de congestion des grandes zones métropolitaines. En effet, les données empiriques montrent que les départs sont plus nombreux dans les régions où, par comparaison, les prix des logements augmentent plus rapidement. En moyenne, une hausse de 10 % des prix des logements est associée à une augmentation de 1.5 % des départs. Dans l’ensemble, l’effet négatif des prix des logements sur les arrivées est relativement plus important que l’effet positif sur les départs, ce qui laisse supposer que la hausse des prix des logements dans une région peut l’amener à perdre régulièrement des habitants au fil du temps.
L’importance et l’ampleur de l’effet des prix des logements sur les flux migratoires interrégionaux varient suivant les pays (Graphique 6.6). Il a été établi que l’effet des prix des logements sur les migrations internes est plus marqué dans les pays où ces prix ont augmenté de façon sensible au cours des dernières années (comme en Suède, Suisse, Australie et Canada), ou lorsque les différences de prix entre régions sont plus prononcées (comme aux États-Unis et au Royaume-Uni).
Les politiques liées au logement peuvent jouer sur l’évolution des prix des logements au niveau régional et par conséquent, exercer un effet direct sur les migrations interrégionales. Elles peuvent aussi avoir un effet indirect en influant sur la sensibilité des migrations à d’autres facteurs économiques. À titre d’exemple, on a observé que lorsque l’offre de logements est plus souple, les migrations interrégionales sont plus sensibles aux conditions économiques locales, comme le PIB par habitant et le taux de chômage. À l’inverse, une réglementation plus stricte du marché locatif, à la fois en termes d’encadrement des loyers et de protection de la sécurité d’occupation, est associée à une plus faible sensibilité des migrations interrégionales à la situation du marché du travail local.
Réformer une réglementation trop rigide du marché locatif
Plus la réglementation du marché locatif est stricte (encadrement des loyers et règles régissant les relations entre bailleurs et locataires) plus la mobilité résidentielle est faible. Les locataires bénéficiant d’un logement à loyer encadré sont généralement réticents à l’idée de quitter ce logement et à renoncer à ce loyer inférieur au prix du marché. Par ailleurs, les mesures d’encadrement des loyers de protection des locataires pénalisent majoritairement des ménages défavorisés ainsi que les ménages peu ou moyennement qualifiés. Ces catégories sociales sont par nature les moins mobiles, ce qui signifie qu’une réglementation trop restrictive du marché locatif peut involontairement constituer un obstacle supplémentaire à la mobilité des groupes qui sont déjà les moins mobiles. En outre, lorsque les loyers sont déconnectés des conditions du marché du logement, les propriétaires sont moins enclins à mettre leur bien en location, ce qui réduit la taille du marché locatif (voir le chapitre 3), avec des répercussions potentiellement négatives sur l’accessibilité financière. Par ailleurs, en cas de protection excessive des locataires, les travailleurs vulnérables, par exemple ceux disposant de contrats atypiques, notamment les jeunes, sont particulièrement désavantagés.
Des simulations montrent que l’adoption de règles garantissant un meilleur équilibre entre les intérêts des bailleurs et des locataires, et l’assouplissement de l’encadrement des loyers, peut faciliter la mobilité résidentielle (Graphique 6.7). Dans la majorité des pays, les règles régissant les relations entre bailleurs et locataires ont évolué en faveur des premiers au cours de la décennie écoulée, notamment en Autriche et en Finlande, malgré un durcissement de l’encadrement des loyers sur la même période — à quelques exceptions près comme en République tchèque, au Royaume-Uni et aux États-Unis, où il a été allégé.
S’il est établi que l’assouplissement d’une réglementation trop restrictive du marché locatif encourage la mobilité, les réformes en la matière peuvent avoir leur revers. Une réglementation trop stricte du marché locatif peut être un obstacle à la construction de nouveaux logements et à l’entretien du parc locatif en raison du plafonnement des prix des loyers. Ces règles sont dictées par l’objectif légitime de pallier l’asymétrie du pouvoir de négociation entre les bailleurs et les locataires, ce qui est d’autant plus important dans les circonstances actuelles, où les pouvoirs publics doivent éviter l’expulsion des ménages en proie à des difficultés financières2. Face à la crise liée au COVID-19, plusieurs pays ont provisoirement durci la réglementation du marché locatif, le plus souvent en suspendant temporairement les expulsions, parfois, en accordant aux locataires en situation difficile des remises ou des reports de loyers (voir Encadré 1.6 du chapitre 1).
Investir dans le logement social
La mobilité résidentielle dépend en partie du niveau des transferts sociaux en espèces ou en nature et de la conception des dispositifs s’y rapportant, notamment pour les locataires et les catégories de population à faible revenu. Les allocations de logement (c’est-à-dire les transferts sociaux en espèces liés au logement) et l’offre de logements sociaux sont associées à une plus grande mobilité. Or, les locataires de logements sociaux sont moins mobiles que ceux du parc privé (Graphique 6.3), en raison de la portabilité limitée du droit au logement social, ce qui crée des effets de verrouillage.
Il ressort des simulations effectuées que la hausse des dépenses sociales consacrées au logement, notamment sous forme de transferts en espèces (allocation de logement par exemple) et en nature (ex. : logements sociaux), renforcerait la mobilité résidentielle (Graphique 6.7). Comme on l’a vu au chapitre 2, les dépenses sociales consacrées au logement, qui poursuivent principalement des objectifs d’accessibilité financière et d’inclusivité, sont en recul dans bon nombre de pays. Certains néanmoins, comme la Belgique, le Canada, le Luxembourg et la Nouvelle-Zélande, ont pris des mesures visant à étoffer ou rénover leur parc de logements sociaux. Sous réserve de règles d’attribution conçues de manière à éviter les effets de verrouillage, ce type de réformes peut résoudre les problèmes d’accessibilité financière des logements tout en permettant aux ménages défavorisés de changer de logement plus facilement.
References
[4] Banque mondiale (2018), Living and Leaving: housing, mobility and welfare in the European union, Banque mondiale.
[11] Bayoumi, T. and J. Barkema (2019), “Stranded! How Rising Inequality Suppressed US Migration and Hurt Those Left Behind”, Vol. 19/122.
[3] Blanchflower, D. et al. (2013), Does High Home-Ownership Impair the Labor Market?, http://www.nber.org/papers/w19079.ack.
[2] Caldera Sánchez, A. and D. Andrews (2011), “Residential Mobility and Public Policy in OECD Countries”, OECD Journal: Economic Studies, Vol. 2011, https://doi.org/10.1787/eco_studies-2011-5kg0vswqt240.
[9] Causa, O., M. Abendschein and M. Cavalleri (2021), The laws of attraction: economic drivers of inter-regional migration, housing costs and the role of policies, Documents de travail du Département des Affaires économiques de l’OCDE, p. à paraître.
[13] Causa, O., M. Abendschein and M. Cavalleri (À paraître), The laws of attraction: economic drivers of inter-regional migration,housing costs and the role of policies, OCDE, Documents de travail du Département des Affaires économiques.
[10] Causa, O., M. Cavalleri and N. Luu (2021), Migration, housing and regional disparities: a gravity model of inter-regional migration with an application to selected OECD countries, OCDE, Documents de travail du Département des Affaires économiques, p. à paraître.
[8] Causa, O. and J. Pichelmann (2020), “Should I Stay or should I Go? Housing and residential mobility across OECD countries”, OECD Economics Department Working papers (à paraître), Éditions OCDE.
[6] Chetty, R., N. Hendren and L. Katz (2016), The effects of exposure to better neighborhoods on children: New evidence from the moving to opportunity experiment, American Economic Association, http://dx.doi.org/10.1257/aer.20150572.
[12] Hsieh, C. and E. Moretti (2019), “Housing Constraints and Spatial Misallocation”, American Economic Journal: Macroeconomics, Vol. 11/2, pp. 1-39, http://dx.doi.org/10.1257/mac.20170388.
[5] Judge, L. (2019), Moving Matters: Housing costs and labour market mobility, Resolution Foundation Briefing, info@resolutionfoundation.org, http://www.nuffieldfoundation.org.
[7] OCDE (2020), Housing and Inclusive Growth, Éditions OCDE, https://www.oecd.org/fr/social/housing-and-inclusive-growth-6ef36f4b-en.htm.
[1] Oswald, A. (1996), “A Conjecture on the Explanation for High Unemployment in the Industrialized Nations: Part 1”, University of Warwick Economic Research Paper No. 2068-2018-901.
Notes
← 1. Ce chapitre, inspiré de l’étude Causa et Pichelmann (2020[37]), présente de nouvelles données factuelles relatives au logement et à la mobilité résidentielle dans les pays de l'OCDE, et à l’incidence des politiques publiques, notamment celles liées au logement, sur la mobilité,
← 2. D’après les nouvelles données de la Base de données sur le logement abordable, au moins trois millions de procédures officielles d’expulsion ont été engagées dans les 18 pays de l’OCDE pour lesquels on dispose de données. Voir la Base de données de l’OCDE sur le logement abordable.