La Revue de la politique urbaine nationale du Maroc présente une analyse approfondie des tendances, défis et opportunités du développement urbain au Maroc. Si l’urbanisation rapide qu’a connue le Maroc ces dernières décennies a été un moteur essentiel de développement économique et social du pays, elle s’est accompagnée de nombreux défis, tels que la périurbanisation, le manque de logements adéquats et d’infrastructures de qualité, notamment de transport, ainsi que la congestion et la pollution. Si le Maroc a une longue histoire de politiques urbaines, et a mis en œuvre de nombreuses réformes structurelles pour faire face aux enjeux de l’urbanisation, le pays ne dispose toujours pas de politique urbaine nationale dédiée, malgré un élan politique fort qui émerge depuis plusieurs années. Pour définir une politique urbaine nationale rénovée, cette Revue propose une feuille de route contenant des recommandations concrètes, structurées autour de quatre piliers visant à promouvoir un développement urbain compétitif, inclusif, durable et résilient, ainsi que cinq conditions clés de réussite de planification, coordination, évaluation, financement et capacités techniques et humaines, pour atteindre ces objectifs.
Revue de la politique urbaine nationale du Maroc
Résumé
Synthèse
Le Maroc a connu une croissance urbaine rapide ces dernières décennies, la population urbaine étant passée de 38,0 % de la population marocaine en 1975 à 65,2 % en 2024, avec une projection de 67,8 % à l’horizon 2030. L’urbanisation du Maroc se caractérise par un phénomène de littoralisation, avec la présence de quelques grandes villes côtières, l’émergence de nouveaux corridors de développement tels que les corridors Euro-Méditerranéen, Trans-Africain et Trans-Atlantique, et une armature urbaine fondée sur de nombreuses villes petites et moyennes à l’intérieur du pays puisque plus des trois-quarts des 58 zones urbaines fonctionnelles marocaines (selon la définition des zones urbaines fonctionnelles OCDE/UE) ont moins de 250 000 habitants. Cette distribution des villes marocaines par taille est similaire à celle de l’Espagne, de la Pologne, ou encore de la Colombie.
Les villes marocaines sont le moteur économique du pays. Elles concentrent 80 % de l’activité productive (industrie et services) et 75 % des emplois du pays. La région de Casablanca-Settat, une région majoritairement urbaine qui concentre un quart de la population totale, génère à elle seule un tiers du PIB national. De plus, la croissance urbaine rapide a permis des avancées considérables en matière de développement humain du fait de nombreuses politiques volontaristes qui ont contribué à une nette amélioration des conditions de vie dans les villes, comme la politique Villes sans Bidonvilles.
Cependant, le développement économique des villes marocaines se heurte à plusieurs obstacles. La difficulté d’accès aux sols, ainsi que les faiblesses de la gestion du foncier, constituent un frein majeur aux investissements publics et privés et nuisent au développement économique des villes marocaines. Le manque d’infrastructures de transport, de communication et de logistique efficaces notamment entre les villes et leur périphérie, ainsi que les problèmes de congestion et les coûts de transports élevés, entravent la mobilité des biens, des services, et des travailleurs, réduisant ainsi l’attractivité des villes et limitant les bénéfices potentiels des économies d’agglomération. La forte présence du secteur informel (qui représente près de 40 % des emplois en excluant l’agriculture) est un autre frein à l’attractivité des villes aux investissements. Les villes étant le moteur principal de l’économie marocaine, mieux exploiter leur potentiel économique est un enjeu majeur pour converger plus rapidement vers les pays à revenus élevés, créer davantage d’emplois, et atteindre les objectifs du Nouveau Modèle de Développement (NMD).
Par ailleurs, malgré une nette amélioration de la situation du logement et de l’habitat dans les villes du Maroc entre les deux derniers recensements de 2004 et 2014 grâce à des politiques interventionnistes majeures comme les programmes d’habitat social, de logements à faible valeur immobilière et de Villes sans Bidonvilles, les villes marocaines continuent de faire face à des besoins importants en logements et à la persistance de bidonvilles et autres habitats insalubres (20 % du parc de logement urbain). Les ménages marocains ont également subi une hausse persistante des loyers (de 24 % entre 2010 et 2019), en particulier les ménages à revenu moyen ou faible. La croissance urbaine rapide a aussi entraîné une augmentation massive de la production de déchets, posant des défis majeurs aux infrastructures de gestion des déchets dans les villes, avec un taux de recyclage ne dépassant pas les 10 %, et provoquant des conséquences néfastes sur l’environnement et la santé publique. Enfin, les villes marocaines sont confrontées à des risques climatiques et naturels croissants, notamment en termes de sécheresses et inondations, accentués par de nombreux facteurs de vulnérabilité tels que la littoralisation de l’urbanisation et la persistance d’un habitat insalubre.
Le Maroc fait également face à des défis de gouvernance qui entravent un développement urbain compact, durable et résilient. Le développement urbain au Maroc est guidé par divers outils de planification des gouvernements nationaux, régionaux et locaux, permettant la création d'équipements publics, de zones d'activités, d'habitat et de loisirs. Cependant, ces outils pâtissent de leur rigidité, l'absence d'adaptation aux enjeux climatiques, la multiplicité d'acteurs sans responsabilités claires, la complexité des procédures, et le manque d'utilisation de données et d'indicateurs. De plus, certains projets sont basés sur des opportunités foncières plutôt que sur une utilisation raisonnée des sols, conduisant à un étalement urbain. Enfin, le financement de l’urbanisation au Maroc reste insuffisant et ne permet pas de répondre aux besoins croissants de l’urbanisation.
Le Maroc a une longue histoire en matière de développement urbain, l’histoire du droit de l’urbanisme moderne et des politiques et législations urbaines remontant au début du XXème siècle, avec la promulgation de la loi fondatrice de l’urbanisme de 1914. Les réformes structurelles mises en œuvre par le Maroc, telles que la Constitution de 2011, le Nouveau Modèle de Développement, la régionalisation avancée, la Charte de déconcentration et la nouvelle Charte de l’Investissement, permettent, en partie, de répondre aux enjeux de la croissance urbaine. En 2022, le Dialogue National de l’Urbanisme et de l’Habitat a marqué un tournant dans la réflexion nationale autour de l’urbanisme et de l’habitat, en associant toutes les parties prenantes afin d’« asseoir un cadre de référence national pour un développement urbain transparent, équitable, durable et incitatif ». Dans ce contexte, de nombreux projets structurants ont façonné le développement urbain au Maroc, tels que le projet portuaire Tanger-Med, la construction de la ligne grande vitesse Casa-Tanger (TGV), les ports de West Med et Kenitra, la construction des centrales solaires d’Ouarzazate, entre autres.
Malgré une volonté politique forte qui émerge depuis plusieurs années, le Maroc ne dispose actuellement pas de politique urbaine nationale explicite, définie par l’OCDE/ONU Habitat/UNOPS comme « une politique formellement libellée et identifiée qui repose sur un ensemble cohérent de décisions prises à travers un processus délibéré dirigé par le gouvernement, visant à coordonner et mobiliser divers acteurs autour d'une vision et d'un objectif communs qui favorisent un développement urbain plus transformateur, productif, inclusif et résilient à long terme ». Dans la continuité des progrès réalisés et face à l’émergence d’enjeux de plus en plus complexes et multidimensionnels, le Maroc devrait se doter d’une politique urbaine nationale explicitement formalisée en mettant en cohérence les différentes politiques existantes. À l'approche d'événements majeurs tels que la Coupe d'Afrique des Nations 2025 et la Coupe du Monde de football 2030, l’élaboration d'une telle politique urbaine nationale pourrait notamment contribuer à impulser les investissements nécessaires dans les infrastructures et contribuer aux objectifs macroéconomiques.
Les Principes de l’OCDE sur la politique urbaine, adoptés en 2019 lors de la 4ème Réunion ministérielle du Comité des politiques de développement régional (RDPC) de l’OCDE à Athènes, offrent un cadre solide pour guider l’élaboration de la politique urbaine nationale du Maroc. Celle-ci pourrait également s’appuyer sur les cadres et engagements internationaux, notamment les Objectifs de Développement Durable (ODD), les principes du Nouveau programme pour les villes, et les engagements de l’Accord de Paris sur le climat. Cette Revue propose donc que cette politique urbaine nationale s’articule autour de quatre piliers :
Favoriser le développement économique et réduire les disparités territoriales en consolidant le rôle des métropoles comme moteurs de l’activité économique, de compétitivité, de l’emploi et de l’innovation au Maroc, notamment grâce à la Nouvelle Charte d’Investissement ; en tirant parti de la transformation numérique comme en Finlande avec le programme « Villes innovantes » ; en renforçant la connectivité intra-urbaine, mais également entre les centres‑villes et la périphérie grâce à des infrastructures de qualité et à une gestion efficace et transparente du foncier ; en maximisant le potentiel des petites et moyennes villes en tant que pôles et relais de croissance en s’inspirant de la politique Action Cœur de Ville en France ; et en renforçant les interdépendances et la collaboration entre zones urbaines et zones rurales, comme cela est fait en Pologne.
Promouvoir la croissance inclusive dans les villes en assurant à tous les habitants des zones urbaines et périurbaines un accès aux services essentiels et aux moteurs de l’inclusion sociale tels que l’eau et l’assainissement, l’énergie, l’éducation et la culture ; en promouvant l’action locale pour soutenir l’emploi et l’entrepreneuriat dans les villes ; en recentrant la Politique de la Ville sur ses objectifs initiaux de lutte contre la précarité et l’exclusion; en impulsant une politique de logement social raisonnée, de meilleure qualité, et mieux ciblée, comme cela est fait avec les aides au logement social variables au Chili ; et en favorisant un accès aux espaces publics pour tous, notamment les jeunes, les femmes, les seniors et les personnes en situation de handicap.
Construire des villes marocaines durables sur le plan environnemental qui promeuvent l’atténuation du changement climatique en encourageant la décarbonation de l’environnement bâti et des infrastructures urbaines, notamment des bâtiments et des transports publics urbains et périurbains ; en encourageant la mobilité douce à travers l’aménagement d’infrastructures dédiées telles que des pistes cyclables et des trottoirs permettant une marche en sécurité ; en renforçant les incitations pour encourager l’efficacité énergétique dans les documents d’urbanisme ; en mettant en œuvre des solutions fondées sur la nature (SFN), telles que la création de parcs urbains et espaces verts, et soutenant la protection de la biodiversité et des solutions telles que l’agriculture urbaine ; en intégrant la problématique de l’eau au cœur de la politique urbaine nationale, comme cela est fait en Australie ; en améliorant la gestion des déchets solides dans les villes, notamment par la mise en place de stratégies d’économie circulaire en s’inspirant de l’Espagne ; et en accélérant la transition vers un secteur du tourisme plus durable.
Renforcer la résilience économique, sociale et environnementale des villes marocaines, notamment leur capacité d’adaptation au changement climatique en intégrant la dimension risque dans l’ensemble des plans territoriaux ainsi que la résilience des infrastructures, des services, de l’économie et des populations dans les documents de planification urbaine ; en augmentant les investissements dans la construction et la rénovation d’infrastructures et bâtiments capables de résister aux épisodes extrêmes ; en incorporant systématiquement les priorités de l’adaptation au changement climatique dans l’urbanisme, comme cela est fait en Italie ; en sensibilisant les populations à une culture du risque et de la résilience ; et en maximisant le potentiel des données et nouvelles technologies pour modéliser les risques et leurs impacts sur les populations et infrastructures, en s’inspirant de la cartographie climatique pour la résilience et l’adaptation mise en œuvre aux États-Unis.
Pour permettre la réalisation de ces quatre piliers, plusieurs conditions clés de réussite sont nécessaires :
Promouvoir une planification urbaine stratégique et intégrée : le Maroc pourrait favoriser davantage l’utilisation de données pour permettre une approche prospective de la planification urbaine, comme aux États-Unis avec le National Zoning Atlas. Le Maroc devrait également davantage privilégier la densification et le renouvellement urbain plutôt que l’étalement urbain, et adopter une approche flexible de la planification qui tienne compte des spécificités territoriales sans avoir recours systématiquement à l’urbanisme d’exception, en s’inspirant par exemple des Opérations d’Intérêt National (OIN) et Zones d’Aménagement Concerté (ZAC) en France. Enfin, il conviendra d’assurer une meilleure cohérence entre les différents documents et niveaux de planification, et entre les différents acteurs, ainsi qu’un meilleur suivi et évaluation de la planification.
Renforcer la coordination verticale, intersectorielle au niveau national et local, entre municipalités, et promouvoir la participation et l’engagement des parties prenantes : Pour cela, le Maroc pourrait institutionaliser les principes et mécanismes de coordination verticale et horizontale en mettant en place des incitations, des réglementations et des dispositifs pour gérer les arbitrages, mettre en place une commission interministérielle sur le développement urbain présidée au niveau du chef du gouvernement, en s’inspirant du Comité de politique urbaine en Finlande. Il pourrait également promouvoir une gouvernance et politique territoriale au-delà des périmètres administratifs des villes pour prendre en compte les zones urbaines fonctionnelles, en renforçant la coopération intermunicipale et en transformant certains Établissements de Coopération Intercommunale (ECI) en autorités métropolitaines comme cela a été fait aux Pays-Bas avec la création de la Région Métropolitaine de Rotterdam-La Haye. Enfin, des mécanismes institutionnels sont nécessaires pour assurer la participation des groupes de population vulnérables et dialoguer avec le secteur privé ainsi que le monde universitaire, le secteur associatif, et la société civile.
Promouvoir l’évaluation systématique de la politique urbaine nationale et de ses résultats et impacts : Pour cela, plusieurs actions peuvent être mises en œuvre au Maroc : i) clarifier les objectifs et cibles à atteindre par la politique urbaine nationale ; ii) intégrer une approche d’évaluation de la politique urbaine, en définissant des indicateurs clés de performance pour évaluer les actions mises en place à partir du système d’indicateurs territoriaux développé par l’OCDE et le Maroc, et en s’inspirant du cas du Chili qui a mis en place un système d’indicateurs et de normes de développement urbain, et en mettant en place des observatoires au niveau des métropoles et régions en charge de cette évaluation ; iii) promouvoir l’utilisation de données dans la prise de décisions de politiques publiques, y compris les données de masse, intelligentes, ouvertes et géospatiales ; et iv) renforcer les mécanismes de redevabilité afin de prévenir les risques de corruption, engager les citoyens et favoriser l’intégrité et la transparence, notamment dans les marchés publics des villes.
Optimiser le financement de l’urbanisation : Pour répondre aux besoins présents et futurs du développement urbain au Maroc, tels que les besoins en logements, infrastructures, transports et services publics, le Maroc doit mobiliser les financements adéquats. Pour cela, le Maroc pourrait puiser au-delà des taxes et redevances dans un large éventail d’outils de financement, publics et privés, comme les instruments de captation de la plus-value foncière tels que les redevances pour droits de développement au Brésil, les partenariats public-privé, ou encore le financement à impact social et environnemental tel que l’obligation verte de Mexico au Mexique.
Renforcer les capacités stratégiques, techniques et humaines au niveau national et infranational en encourageant les municipalités à avoir une vision claire de leurs capacités actuelles, en favorisant les synergies entre les ressources et les capacités à la bonne échelle pour fournir des services et équipements publics locaux efficients, efficaces et de qualité, en promouvant la formation continue pour leurs personnels, en instituant une école des métiers de la ville, et en utilisant les outils digitaux, y compris l’intelligence artificielle, pour aider à renforcer les capacités.
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27 juillet 2023