Ce chapitre explore les cadres légaux, politiques et institutionnels de la participation en Tunisie. Il s’intéresse également aux mécanismes et outils mis en place par la Tunisie pour la consécration, dans la pratique, du principe de démocratie participative instaurée par la Constitution de 2014, ainsi que leur usage par les citoyens. Enfin, il met en lumière les défis et les opportunités qui s’offrent au pays, pour un approfondissement et une systématisation des efforts d’engagement et de participation des parties prenantes et des citoyens tout au long du cycle des politiques publiques.
Scan de l’espace civique en Tunisie
6. La participation des citoyens et des parties prenantes en Tunisie
Abstract
6.1. Introduction
La participation citoyenne est une composante démocratique clé et un des principes fondamentaux du gouvernement ouvert (OCDE, 2017[1]). Ce concept peut recouvrir plusieurs types de pratiques, certaines institutionnalisées – telles que les élections et les processus de consultations publiques –, mais également d’autres, plus informelles, permettant aux citoyens et OSC de faire entendre leur voix – telles que l’activisme ou les manifestations. Au cours des dernières années, de nombreux pays ont mis en place plusieurs modèles d’engagement des citoyens et de la société civile, tels que les auditions publiques, les consultations en ligne ou les mécanismes de pétitions (OCDE, 2020[2]). Des formes nouvelles de participation ont également vu le jour, aussi bien menées par l’administration publique que lancées par des citoyens et des associations (OCDE, 2020[2]). L’approfondissement et la systématisation de la participation, en complément des modes de démocratie représentative, figurent aujourd’hui parmi les principaux défis pour un gouvernement ouvert.
Dix ans après la révolution, la Tunisie a réalisé des progrès importants en matière de participation citoyenne, qui est l’un des acquis principaux de la transition démocratique. Ces progrès sont notamment illustrés par le classement de la Tunisie au niveau de l’indicateur relatif à la participation des OSC élaboré par le V-Dem Institute. Le Graphique 6.1 souligne ainsi les avancées de la Tunisie depuis 2010, le pic atteint en 2013 et le léger recul enregistré depuis. Le Graphique 6.2 permet quant à lui de voir où se situe la Tunisie en termes d’engagement avec la société civile par rapport à une sélection de pays de l’OCDE. Des textes législatifs ont introduit certaines formes de participation dans l’ordre juridique tunisien, telles que la consultation, et une multitude d’outils et d’initiatives d’engagement citoyen ont été conçus, élaborés et lancés, tant au niveau national que local. En parallèle, la « culture » de la participation s’affirme progressivement, et certains secteurs de l’administration publique s’ouvrent à une contribution croissante de la population dans le cycle des politiques publiques. De plus, l’existence d’une société civile active, compétente et engagée sur les questions de gouvernance (voir Chapitre 5) représente un atout déterminant pour la mise en œuvre d’une démocratie participative efficace, permettant d’atteindre les objectifs de politiques publiques du pays, et d’instaurer un véritable climat de confiance et de coopération entre les citoyens et l’État.
Cependant, la Tunisie étant une jeune démocratie encore en transition, avec certaines mesures introduites encore récemment (comme la démocratie participative au niveau local, instaurée par le Code des collectivités locales de 2018), la culture de l’ouverture et de la mise du citoyen au centre de l’action gagnerait encore à être approfondie, systématisée et installée dans la durée au sein de l’administration publique, en particulier dans les secteurs plus sensibles ou régaliens de l’État. La pleine mise en œuvre de la participation constitue un défi important pour le gouvernement, qui met régulièrement en place de nouveaux outils et mécanismes pour impliquer les citoyens, tout en surmontant d’autres défis d’ordre technique, politique et socioculturel. Des opportunités existent pour renforcer le cadre légal, harmoniser les outils et continuer à sensibiliser les autorités publiques, afin d’atteindre une affirmation complète du principe de participation dans la pratique.
6.2. Cadre légal et état des lieux de la participation
Consacré par les circulaires administratives pour faciliter la transition démocratique en 2011, le principe de la participation a été intégré par le législateur tunisien dans la Constitution de 2014 (République tunisienne, 2014[4]). D’autres textes réglementaires relatifs à la mise en œuvre du principe de participation ont été promulgués par la suite.
6.2.1. La participation dans la Constitution de 2014
Le principe de participation est consacré par la Constitution de 2014, au sein du Préambule et de l’article 139 concernant en particulier les collectivités locales (République tunisienne, 2014[4]).
Ainsi, le Préambule de la Constitution de 2014 a fondé « un régime républicain démocratique et participatif dans le cadre d’un État civil où la souveraineté appartient au peuple » (République tunisienne, 2014[4]). De plus, afin d’appuyer le processus de décentralisation, la Constitution a instauré la participation au niveau des collectivités locales dans son article 139, stipulant que « les collectivités locales adoptent les mécanismes de la démocratie participative et les principes de la gouvernance ouverte, afin de garantir une plus large participation des citoyens et de la société civile à l’élaboration des projets de développement et d’aménagement du territoire et le suivi de leur exécution, conformément à la loi » (République tunisienne, 2014[4]). Cette constitutionnalisation du principe de la participation citoyenne a par la suite été confirmée et détaillée dans le cadre légal, et notamment dans le Code des collectivités locales ainsi que dans des décrets gouvernementaux et des circulaires.
6.2.2. Le Code des collectivités locales
La loi organique n° 2018-29 du 9 mai 2018, relative au Code des collectivités locales, a consacré plusieurs articles à la promotion de la participation au niveau local (République tunisienne, 2018[5]). Dans ses articles 29 et 30, le Code des collectivités locales « garantit une participation effective de tous les habitants et de la société civile au cours des différentes étapes d’élaboration des programmes de développement et d’aménagement du territoire et lors du suivi de leur exécution et de leur évaluation » (République tunisienne, 2018[5]). Ces dispositions sont en ligne avec la disposition 8 de la Recommandation du Conseil de l’OCDE sur le Gouvernement Ouvert, qui appelle les États parties à associer les parties prenantes à toutes les phases du cycle des politiques publiques (OCDE, 2017[1]). De plus, la loi relative aux élections locales a instauré l’obligation d’impliquer les jeunes, les femmes et les « personnes vulnérables » dans les conseils municipaux (République tunisienne, 2014[6] ; République tunisienne, 2019[7]),1 visant ainsi à renforcer l’inclusion et la participation au niveau local des différentes parties prenantes et catégories de population parfois sous-représentées.
Au titre des articles 8 et 9 du décret n° 2019-401 relatif à la fixation des conditions et procédures de mise en œuvre de la démocratie participative prévues à l’article 30 du Code, les associations ont l’obligation de s’inscrire sur le Registre des composantes de la société civile, afin de pouvoir y consigner leurs avis et interrogations (Ministère des Affaires locales, 2019[8]). Or, le décret exige de la part des associations de fournir une preuve de leur inscription au RNE, obligatoire au titre de la loi n° 2018-52, pourtant contestée par la société civile du fait des obligations et difficultés administratives supplémentaires qu’elle semble poser (voir Chapitre 5). À titre d’exemple, en avril 2021, seules environ 2 100 associations étaient inscrites au RNE, contre près de 23 937 associations déclarées d’après les chiffres du Centre Ifeda.2 Cette disposition du décret tend à réduire le nombre réel d’associations actuellement en capacité d’utiliser ce mécanisme de démocratie participative à l’échelle des collectivités locales et gagnerait à être amendée.
Par ailleurs, les collectivités territoriales ont la possibilité, au titre des articles 31, 32 et 33 du Code, d’organiser un référendum local, dont les résultats sont contraignants si le taux de participation n’est pas inférieur au tiers des électeurs inscrits (République tunisienne, 2018[5]). Le référendum peut être organisé à l’initiative du président ou d’un tiers des membres du Conseil de la collectivité – à la suite d’un vote aux deux tiers au sein du Conseil – ou encore d’un dixième des électeurs locaux. Le gouverneur de la région peut néanmoins s’opposer à la tenue de ce référendum devant le tribunal administratif de première instance. Cependant, depuis la promulgation du Code des collectivités locales, aucun référendum local n’a été organisé en Tunisie et le potentiel de cet outil de participation n’a donc pas encore été exploité. Les autorités et la société civile pourraient encourager l’usage de ce mécanisme au niveau local, afin d’évaluer l’intérêt qu’il suscite auprès des citoyens et son impact.
Dans la pratique, depuis l’entrée en vigueur du Code des collectivités locales, la participation citoyenne est restée timide, limitée, et dans une certaine mesure dépendante du niveau de la mobilisation de la société civile et de la bonne volonté des dirigeants locaux dans chaque collectivité. La société civile parvient néanmoins à jouer un rôle fondamental dans la promotion de la participation des citoyens, tout en veillant à la mise en œuvre et à la consolidation des principes constitutionnels par les différentes autorités publiques. Afin de renforcer la participation citoyenne au niveau des collectivités territoriales, il serait également opportun de renforcer la mise en œuvre du cadre légal et de continuer à sensibiliser l’administration et les différents acteurs à l’usage des nombreux mécanismes prévus par la loi.
6.2.3. Les lois et textes réglementaires
La Tunisie a promulgué un nombre important de décrets et circulaires pour faciliter l’élaboration, la mise en œuvre, le suivi et l’évaluation de certaines initiatives de promotion de la participation, afin de rétablir une relation de confiance entre les autorités publiques et les citoyens :
décret gouvernemental n° 2018-328 du 29 mars 2018 relatif à l’organisation des consultations publiques ;
décret gouvernemental n° 2018-1067 du 25 décembre 2018, complétant le décret n° 93-982 du 3 mai 1993, fixant le cadre général de la relation entre l’administration et ses usagers ;
décret gouvernemental n° 2019-1242 du 19 décembre 2019 relatif au système de communication et d’interactivité en ligne avec le citoyen ;
décret gouvernemental n° 2019-401 du 6 mai 2019, fixant les conditions et les procédures de la mise en œuvre des mécanismes de la démocratie participative cités à l’article 30 du Code des collectivités locales ;
circulaire n° 12 datée du 21 mai 2011 relative à la participation des usagers de l’administration dans l’évaluation des services publics ;
circulaire n° 13 datée du 23 mai 2011 relative à la mise en œuvre de l’approche participative dans le rapprochement des services prioritaires ;
circulaire n° 14 datée du 27 mai 2011 relative à la qualité de la réglementation ;
circulaire n° 31 datée du 30 octobre 2014 relative à l’adoption d’un processus participatif dans l’élaboration des textes législatifs.
En plus de ces textes déjà en vigueur, une circulaire relative au décret gouvernemental n° 2018-328 relatif à l’organisation des consultations publiques (présenté dans la section 6.3.2) est en phase finale d’élaboration, selon les services en charge de la réforme administrative au sein de la Présidence du gouvernement, et visera à préciser les procédures et la méthodologie des consultations publiques en Tunisie.3
Malgré les efforts des gouvernements successifs pour faciliter la conception et la mise ou œuvre des initiatives relatives à la participation, il n’existe pas encore de cadre légal spécifique, holistique ou stratégique régissant la participation des parties prenantes en Tunisie. Les autorités gagneraient donc à élaborer une loi ou un décret spécifiquement dédié à la participation, comme la « loi pour la promotion et protection du droit à la participation démocratique » en Colombie (République colombienne, 2015[9]) ou la loi de participation citoyenne de la ville de Mexico, présentée dans l’Encadré 6.1. Un tel texte, en plus de définir la participation et les outils prévus à cet effet, pourrait rendre contraignantes les consultations dans les différentes phases du cycle des politiques et des services publics, et également préciser les délais, les responsabilités et les modalités de retours à donner sur les contributions reçues lors des consultations.
Encadré 6.1. La loi de participation citoyenne de la ville de Mexico
La Constitution de la ville de Mexico, adoptée en 2017 suite à un processus participatif, reconnaît le droit à la participation des citoyens et établit qu’une loi doit préciser les formes et procédures du dialogue entre les citoyens et les autorités (articles 25-26). Afin de donner suite à ce principe constitutionnel et de le mettre en œuvre, la ville s’est dotée en 2019 de la loi de participation citoyenne.
Cette loi établit les différents mécanismes dont disposent les citoyens et les parties prenantes pour participer aux décisions publiques. Elle encadre la participation citoyenne et établit vingt mécanismes et instruments pour sa mise en œuvre, organisés par type de démocratie : six mécanismes de démocratie directe, six mécanismes de démocratie participative et huit mécanismes de démocratie représentative.
La loi met en place plusieurs instruments, parmi lesquels les consultations publiques, les budgets participatifs, les assemblées citoyennes et les initiatives citoyennes. Le texte établit également la gouvernance et les mécanismes institutionnels pour assurer la participation effective des citoyens, qui comprennent des représentants des branches exécutive, législative et judiciaire, et des institutions indépendantes. Les institutions ainsi identifiées sont chargées de garantir, de protéger et de respecter le principe de la participation tel que prévu par la Constitution. Enfin, la loi encadre l’utilisation des outils numériques de participation des citoyens et des parties prenantes.
Source : Gouvernement de la ville de Mexico (2019[10]).
6.2.4. Les stratégies et plans d’action
La promotion de la participation des parties prenantes a été consacrée dans certaines feuilles de route de politiques conçues par le gouvernement de manière participative, notamment les plans d’action nationaux (PAN) du Partenariat pour un gouvernement ouvert (PGO), la stratégie Smart Gov 2020, ou encore la stratégie nationale de l’autonomisation économique et sociale des femmes et des filles en milieu rural (2017-20), pour ne citer que les principales. Il n’existe cependant pas de stratégie nationale spécifiquement dédiée à la promotion de la participation ; l’élaboration d’un tel document pourrait se révéler utile pour faciliter une compréhension commune du concept de participation citoyenne et fournir un cadre cohérent aux efforts déjà déployés.
Les PAN dans le cadre du PGO
La Tunisie a adhéré au PGO en 2014. Dans ce cadre, elle a élaboré quatre PAN, incluant notamment des engagements relatifs au renforcement de la participation citoyenne (voir Encadré 6.2). Chaque plan d’action a été élaboré de manière participative, grâce à des consultations en ligne et des ateliers de consultation. Un comité de pilotage mixte, incluant des représentants du gouvernement et de la société civile, a par la suite approuvé ou écarté les engagements proposés (voir Encadré 6.3).
Encadré 6.2. Les engagements de la Tunisie relatifs à la participation dans ses différents PAN du PGO
Depuis 2014, la Tunisie a intégré des engagements relatifs à la participation dans l’ensemble de ses plans d’action élaborés dans le cadre de son adhésion au PGO.
PAN du PGO 2014-16
Engagement n° 10 : renforcer la participation des citoyens dans les processus de prise de décision : 1) préparation d’un cadre légal pour les consultations publiques ; et 2) développement d’un portail d’e-participation.
PAN du PGO 2016-18
Engagement n° 9 : élaborer un cadre légal pour les pétitions des citoyens.
Engagement n° 10 : développer une plateforme intégrée pour les pétitions civiles et les signalements de faits de corruption.
Engagement n° 11 : développer des mécanismes pour favoriser l’interaction avec les jeunes et leur permettre de poursuivre le dialogue sur les politiques publiques.
PAN du PGO 2018-20
Engagement n° 9 : affermir la participation de la société civile dans la préparation du budget de l’État.
Engagement n° 10 : développer des mécanismes pour promouvoir le dialogue et l’interaction avec les demandes et les préoccupations des jeunes et leur permettre de suivre leur mise en œuvre dans les politiques publiques.
PAN du PGO 2021-23
Engagement n° 9 : renforcer l’utilisation des portails nationaux de participation citoyenne.
Engagement n° 10 : consacrer le rôle des jeunes dans la maîtrise des projets publics et le suivi de leur mise en œuvre au niveau local.
Source : Présidence du gouvernement tunisien (s.d.[11]).
C’est notamment dans le cadre de la mise en œuvre de ces plans d’action qu’a été mise en place la plateforme E-people.tn (évoquée plus en détail dans la Section 6.5.1). Cependant, la réalisation des différents engagements relatifs au renforcement de la participation citoyenne et de ceux portant spécifiquement sur l’engagement des jeunes est demeurée limitée, d’après les rapports produits par le mécanisme de rapport indépendant du PGO (Independant Reporting Mechanism, IRM) (Haliou, 2017[12] ; Sfaxi, 2019[13] ; Anguelov, 2021[14]). À titre d’exemple, la Tunisie pourrait encore adopter un cadre légal relatif au droit de pétition, précisant sous quelles formes et à quelles occasions les citoyens pourraient envoyer leurs suggestions aux autorités, ainsi que la réponse attendue de l’administration publique. Selon les entretiens menés pour ce scan,4 nombre de décideurs politiques semblent considérer la pétition comme un mécanisme jugé intéressant.
Encadré 6.3. Le renouvellement du comité de pilotage du PGO et le 4e PAN
Le comité de pilotage mixte du PGO en Tunisie est chargé de la préparation du plan d’action et du suivi de sa mise en œuvre. Il est renouvelé avant de commencer le processus d’élaboration du plan d’action. Ce comité comprend un nombre égal de représentants du gouvernement et de la société civile.
La sélection du comité de pilotage du PGO pour la période 2021-23 a eu lieu avant le lancement du processus des consultations publiques pour l’élaboration du 4e plan d’action. Un appel à candidatures a été publié, pour convoquer toutes les parties prenantes souhaitant joindre le comité et prendre part aux consultations, à l’élaboration, au suivi et à l’évaluation du PAN 2021-23.
Le nombre de membres du comité de pilotage du 4e plan d’action s’est élargi en comparaison avec celui des anciens comités de pilotage, pour comprendre vingt membres au total, dont dix membres représentant les structures publiques et dix membres représentant la société civile.
Le mécanisme de sélection des nouveaux membres du comité est un élément particulièrement innovant de ce processus. En effet, pour la première fois, ce sont les présidents des instances indépendantes qui ont analysé les dossiers de candidature reçus et opéré les choix. Ce principe a renforcé la transparence et l’objectivité du processus de sélection, ces instances ne faisant partie ni du gouvernement ni de la société civile, et contribue ainsi à donner plus de légitimité aux membres du comité mixte.
Sources : Entretiens menés dans le cadre du scan ; Présidence du Gouvernement (2021[15]).
La stratégie « Smart Gov »
La stratégie nationale « Smart Gov » 2016-20 est une vision stratégique du gouvernement focalisée sur la modernisation de l’administration publique et les prestations administratives (Unité de l'administration électronique, 2016[16]). La Tunisie s’est engagée à améliorer les prestations des services administratifs, afin que ces derniers soient plus ouverts, efficaces et transparents, en plaçant le citoyen au centre du processus. L’instauration des principes de transparence, de participation et de responsabilité est au cœur des orientations de cette stratégie. En effet, dans sa septième orientation, la stratégie prévoit « des citoyens mieux informés, plus actifs dans la vie publique, et qui communiquent plus facilement avec leurs administrations, grâce à un usage intelligent et renforcé du numérique » (Unité de l'administration électronique, 2016[16]).
Pour ce faire, six projets ont été fixés dans le cadre de la stratégie :
la mise en place d’un cadre institutionnel pour l’appui à l’e-participation ;
la mise en place d’un programme de communication et de formation ;
la mise en place d’un programme d’appui à l’e-participation au niveau local ;
la mise en place d’une plateforme électronique pour la gestion des plaintes et des dénonciations des cas de corruption ;
le développement d’un service d’e-pétition ;
le développement d’un service en ligne de demande d’accès aux informations publiques.
Malgré des avancées importantes, certains de ces projets n’ont pas encore été entièrement achevés à l’échéance de la stratégie en 2020, comme il sera détaillé dans la suite de ce chapitre.
La stratégie nationale de l’autonomisation économique et sociale des femmes et des filles en milieu rural (2017-20)
En Tunisie, 32 % des femmes et des filles vivent en milieu rural dans des conditions défavorables à tout accès aux services publics de première nécessité (Ministère de la Femme, de la Famille et de l'Enfance, 2017[17]). Ces femmes et filles sont fortement touchées par les défis socio-économiques de la Tunisie et sont par la suite très peu représentées dans les politiques publiques. La stratégie nationale de l’autonomisation économique et sociale des femmes et des filles en milieu rural est une feuille de route mise en place par le ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfance, en s’appuyant sur une approche participative. L’objectif est d’apporter un soutien particulier aux femmes et filles en milieu rural, pour faciliter leur accès aux services administratifs et leur participation à la vie publique.
Dans son 3e axe, la stratégie œuvre sur « la participation des femmes à la vie publique et à la gouvernance locale », pour garantir leur représentativité dans l’élaboration des politiques publiques. Un comité de pilotage composé de représentants des structures publiques et des OSC a été créé en tant que mécanisme de coordination et de suivi du plan d’action relatif à la stratégie (Ministère de la Femme, de la Famille et de l'Enfance, 2017[17]).
6.3. Les formes de la participation des parties prenantes
La Tunisie a adhéré à la Recommandation du Conseil de l’OCDE sur le Gouvernement Ouvert en 2019, qui définit les différentes modalités de la participation des parties prenantes (voir Encadré 6.4). Dans ce cadre, des initiatives pour la réalisation des trois niveaux de participation des parties prenantes cités dans la Recommandation ont été mises en place.
Encadré 6.4. Définition de la participation des parties prenantes selon la Recommandation de l'OCDE sur le Gouvernement Ouvert
Participation des parties prenantes : ensemble des formes d’intégration des parties prenantes au cycle des politiques publiques, ainsi qu’à la conception et à la prestation des services publics, y compris :
Information : niveau initial de participation, caractérisé par une relation unilatérale dans le cadre de laquelle les pouvoirs publics produisent de l’information et la communiquent aux parties prenantes. Cette notion recouvre à la fois la fourniture d’information sur demande et les mesures « volontaristes » prises par les pouvoirs publics pour diffuser l’information.
Consultation : niveau plus poussé de participation, caractérisé par une relation bilatérale dans le cadre de laquelle les parties prenantes fournissent un retour d’information aux pouvoirs publics, et vice versa. La consultation se fonde sur une définition préalable de la question au sujet de laquelle des avis sont sollicités, et elle implique la fourniture d’une information pertinente, ainsi qu’un retour d’information sur l’issue du processus.
Engagement : cas de figure où les parties prenantes se voient offrir la possibilité et les moyens (information, données, outils numériques, etc.) de collaborer à toutes les phases du cycle des politiques publiques, ainsi qu’à la conception et à la prestation des services publics.
Source : OCDE (2017[1]), Recommandation du Conseil de l’OCDE sur le Gouvernement Ouvert.
6.3.1. L’information
L’information est consacrée en tant que droit constitutionnel dans la Constitution de 2014. L’article 32 du deuxième chapitre de la Constitution de 2014 relatif aux droits et libertés garantit ainsi le « droit à l’information et le droit d’accès à l’information ». Selon le même article, « l’État œuvre en vue de garantir le droit d’accès aux réseaux de communication » (République tunisienne, 2014[4]).
Dans son article 3 de la loi organique n° 2016-22 du 24 mars 2016 relative au droit d’accès à l’information, le législateur tunisien a défini l’accès à l’information par « la publication proactive de l’information par l’organisme concerné et le droit d’y accéder sur demande ». Dans le même texte, tous les organismes concernés par la loi doivent obligatoirement « publier les informations ayant fait l’objet d’au moins deux demandes répétitives » (article 8) (République tunisienne, 2016[18]). Le droit d’accès à l’information a par la suite été concrétisé par la création des mécanismes numériques et institutionnels. L’Instance nationale d’accès à l’information (INAI) veille sur la protection et la mise en œuvre de ce droit, en renforçant la capacité des agents chargés de l’accès à l’information dans les institutions publiques.
En outre, plusieurs plateformes et portails de données ouvertes (open data) au niveau central et local ont été créés pour améliorer la publication proactive de l’information, afin d’accroître la transparence, la redevabilité et la participation. Parmi les portails nationaux de données ouvertes, il est adéquat de citer, à titre d’exemple, le portail du budget ouvert du ministère des Finances « Notre Budget » (Ministère des Finances, s.d.[19]), le portail de données ouvertes du ministère de l’Intérieur (Ministère de l'Intérieur, s.d.[20]), le portail de données ouvertes du ministère des Transports (Ministère des Transports, s.d.[21]) ou encore le portail de données ouvertes de l’Institut national de la statistique (Institut national de la statistique, s.d.[22]).
Un décret gouvernemental instaurant le cadre légal et organisationnel facilitant l’ouverture des données publiques a été promulgué le 6 janvier 2021. Ce décret est une mise en œuvre de l’engagement 2 du troisième PAN du PGO.
Ce cadre légal vise à :
« Promouvoir les principes de transparence et de reddition des comptes.
Soutenir la participation du public à l’élaboration des politiques publiques, ainsi qu’au suivi de leur mise en œuvre et de leur évaluation.
Moderniser l’administration et améliorer la qualité et l’efficacité des services publics.
Contribuer à la mise en place d’un cadre approprié pour favoriser le développement économique et créer des opportunités d’emploi supplémentaires, notamment en stimulant la création des start-up qui œuvrent pour la création de nouveaux usages innovants en exploitant des données publiques » (Chef du gouvernement, 2021[23]).
Le chapitre 4 du présent scan aborde plus en détail la question de l’accès à l’information et des données ouvertes.
6.3.2. La consultation
La consultation publique est définie dans le décret gouvernemental n° 2018-328 comme un « processus interactif permettant aux parties prenantes de présenter leurs propositions et commentaires concernant une politique publique dans la phase de sa préparation par l’organisme concerné » (article 3) (République tunisienne, 2018[24]). Les parties prenantes identifiées dans ce contexte sont les citoyens de manière générale, les acteurs publics et non publics, et « toute personne physique ou morale concernée par la participation à la consultation publique incluant les experts, universitaires, spécialistes, organisations de la société civile, entreprises économiques et organismes publics » (République tunisienne, 2018[24]).
Selon le décret, la consultation publique vise à atteindre les objectifs suivants :
Renforcer l’ouverture de l’administration publique sur son environnement et consolider les mécanismes de communication avec les citoyens et la société civile.
Consacrer les principes de la transparence et de la participation dans la prise de décision.
Consacrer la légitimité des politiques publiques.
Renforcer la confiance du citoyen envers l’administration publique.
Améliorer la qualité et l’efficience des politiques publiques.
Malgré ce cadre réglementaire et les outils mis à la disposition des parties prenantes, le recours à la consultation publique demeure inégal parmi les acteurs publics. Le décret ne définit pas avec précision les outils à disposition et les formes de consultation pouvant être mises en place, et concerne principalement les consultations en ligne à travers le site legislation.tn.
Pour pallier certaines faiblesses du décret, un projet de circulaire relatif au décret gouvernemental de 2018 organisant la consultation publique vise à clarifier la méthodologie de la mise en œuvre des consultations publiques au sein des différentes administrations, pour lesquelles les dispositions du décret gouvernemental peuvent demeurer floues. Ce projet de circulaire a été élaboré par la Direction générale des réformes et prospectives administratives (DGRPA) au ministère de la Fonction publique et transmis au chef du gouvernement pour signature. L’équipe de recherche de ce scan n’a cependant pas pu y avoir accès. Afin de faciliter et d’approfondir la mise en œuvre par les organismes publics de processus de consultation, un guide ou référentiel présentant les normes, les modalités et les différentes options pour mener une consultation publique ou un processus d’engagement, incluant les différentes étapes, pourrait également être élaboré, à l’image des « Standards de la participation publique » élaborés par l’Autriche (Gouvernement autrichien, s.d.[25]). Il contribuerait ainsi à faciliter l’appropriation et la mise en pratique des mécanismes existants par les fonctionnaires en charge de mener des initiatives de participation.
6.3.3. L’engagement
L’engagement est un niveau avancé de la participation, qui consiste à engager les parties prenantes et à leur donner les moyens de collaborer tout au long du processus d’élaboration, de mise en œuvre et d’évaluation des politiques publiques. Parmi les bonnes pratiques tunisiennes d’engagement, on peut citer le comité de pilotage du PGO, dans le cadre duquel la société civile, les institutions publiques et le secteur privé participent à l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation du PAN.
D’autres formes d’engagement sont à la disposition des parties prenantes, comme l’outil de la charte du citoyen et le budget participatif au niveau local, décrites dans la section 6.5 de ce chapitre (République tunisienne, 2018[26] ; République tunisienne, 2019[27]).
Cependant, l’usage de ces outils gagnerait à être renforcé, en particulier au cours des phases de suivi et d’évaluation, l’engagement avec les citoyens et les efforts de consultation étant souvent mis en œuvre essentiellement au stade de l’élaboration. En outre, il reste à identifier des exemples de réelle « cocréation » de politiques, programmes ou services publics conçus et rédigés conjointement entre autorités et société civile, agissant en tant que partenaires égaux.
En s’appuyant sur les trois niveaux de participation tels que définis par l’OCDE, la Tunisie pourrait continuer à accroître la diffusion proactive de l’information, en partant des progrès considérables déjà réalisés en matière d’accès à l’information, et systématiser et institutionnaliser les consultations en amont de la conception de tout texte légal, de toute politique publique ou de tout programme gouvernemental. Les autorités pourraient également piloter des éléments de cocréation des politiques, des stratégies et des services publics, s’inspirant des expériences positives déjà mises en œuvre, notamment dans le cadre de l’élaboration des PAN pour le PGO.
6.4. Le cadre institutionnel de la participation
Il existe en Tunisie des structures qui ont des fonctions liées à la participation citoyenne et qui pourraient jouer un rôle accru dans ce domaine, en l’absence d’une institution spécifiquement en charge de la participation.
La Tunisie est dotée d’une Direction générale de la relation avec la société civile, rattachée à la Présidence du gouvernement et qui appartenait, jusqu’en août 2018, au ministère des Relations avec les instances constitutionnelles, la société civile et des droits de l’homme, supprimé depuis. En plus de prérogatives relatives à l’environnement opérationnel des OSC, ce département est également en charge d’« œuvrer à mettre en place les mécanismes à même de consacrer un dialogue continu entre le gouvernement et la société civile » et d’« œuvrer à renforcer la relation entre le gouvernement et la société civile et la faire participer dans la fixation [des] choix et [des] programmes gouvernementaux » (voir Chapitre 5) (République tunisienne, 2016[28]).
Compte tenu du potentiel qu’elle représente, la Direction générale de la relation avec la société civile pourrait jouer le rôle de coordinateur ou facilitateur des processus de consultation et d’engagement avec les organisations de la société civile entrepris par les autres ministères sectoriels. Pour ce faire, elle aurait besoin de renforcer les chaînes de communication institutionnalisée et formelle avec les différents bureaux chargés d’organiser des consultations, afin d’avoir une vue d’ensemble sur ces processus, les méthodes utilisées et les résultats obtenus.
Par ailleurs, le décret-loi n° 93-1549 a institué en 1993 des bureaux des relations avec le citoyen (BRC) au sein de chaque ministère et gouvernorat (République tunisienne, 1993[29]). Ces bureaux sont chargés des missions suivantes :
Accueillir les citoyens, recevoir leurs requêtes et, en collaboration avec les services concernés, instruire ces requêtes en vue de leur trouver les solutions appropriées.
Répondre aux citoyens directement ou par correspondance.
Renseigner les citoyens sur les procédures et formalités administratives concernant l’octroi des diverses prestations.
Centraliser et étudier les dossiers émanant du médiateur administratif, ainsi qu’assurer la coordination avec les différents services du ministère en vue de trouver les solutions adéquates à ces dossiers.
Déceler, à travers une analyse approfondie des requêtes des citoyens, les lourdeurs et complications au niveau des procédures administratives, et proposer les réformes susceptibles de les surmonter (article premier).
Une révision du décret-loi en mai 1998 charge par ailleurs les BRC, relevant de ministères entretenant des rapports de partenariat, de coopération et d’interaction avec les associations, de consolider les liens avec celles-ci (article 3) (Présidence du gouvernement, 1998[30]). Le décret-loi n° 93-1549 crée également un Bureau central des relations avec le citoyen (BCRC), chargé de la coordination et du suivi des activités des BRC, ainsi que de la communication autour des réformes de l’administration. Ce bureau a été rattaché à la Présidence du gouvernement en 2017 (République tunisienne, 1993[29]).
Aujourd’hui, selon le BCRC,5 il existe soixante-dix BRC, dont la composition varie d’un organisme à l’autre en fonction de l’activité de cet organisme, l’effectif pouvant aller de trois personnes à une vingtaine. Les BRC n’ont pas d’organigramme fixé par un texte réglementaire, mais sont généralement articulés autour d’une cellule d’accueil et d’information directe (recevant les citoyens en personne), d’une cellule d’accueil et d’information téléphonique, et d’une cellule de traitement des requêtes et statistiques.
Cet outil, qui vise à faciliter la relation qu’entretiennent les citoyens avec l’administration, pourrait être davantage exploité, selon les entretiens menés pour ce scan – et bien qu’il n’y ait pas de statistiques sur le nombre de citoyens qui appellent ou se rendent dans l’ensemble des BRC existants. En effet, les BRC font face à plusieurs défis. En premier lieu, certains ont été fortement touchés par l’instabilité politique. À titre d’exemple, les responsables du BRC au ministère de la Santé ont changé à chaque remaniement ministériel, ce qui a compromis la continuité et le travail de ce service, en compliquant la relation du ministère avec les citoyens et la société civile.6 En second lieu, la coordination et la communication entre les bureaux des différentes institutions publiques pourraient être améliorées. À titre d’exemple, on pourrait chercher à raccourcir le délai pour le transfert d’une requête d’un BRC au BRC de l’établissement compétent pour répondre à l’objet de la requête.7
Alors que l’organisation du système des BRC fait l’objet de réflexions au sein du gouvernement, il est important d’impliquer la société civile dans toute évaluation de la performance des BRC et proposition de réforme. Une collaboration plus étroite, voire une intégration ou une fusion, de ces structures avec la Direction générale de la relation avec la société civile ou l’Unité de l’administration électronique, point focal du processus du gouvernement ouvert en Tunisie, pourrait être envisagée. Si le rôle des BRC devait être réformé, il serait opportun d’accroître les efforts de communication envers les citoyens, de renforcer les outils de coordination entre les différents BRC, et d’uniformiser leurs structures et procédures. Il convient de mettre en lumière un autre cadre institutionnel de participation, le « dialogue sociétal sur les politiques, les stratégies et les plans nationaux de santé », lancé en 2012 par le ministère de la Santé pour mener des réformes dans le secteur de la santé en impliquant toutes les parties prenantes. Le BRC du ministère considère cette initiative comme l’une des plus importantes occasions de communiquer davantage sur sa mission et d’augmenter la visibilité de ses activités. Pour ce BRC, le dialogue sociétal est un outil pour renforcer les liens et la relation entre les associations et le bureau.8
Pour organiser le cadre de la participation de la société civile dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques des ministères, les différentes collaborations peuvent prendre la forme d’une convention signée entre les ministères en question et toute association souhaitant s’impliquer et s’engager dans les activités de celles-ci. Généralement, les conventions conclues entre une institution publique et une association quelconque fixent minutieusement toutes les formes de collaboration prévues entre les deux parties, sans oublier de préciser préalablement la date de la fin du partenariat.
Plusieurs associations ont exploré cette possibilité, non seulement au niveau national avec des ministères – comme c’est le cas pour des associations féministes avec le ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfance –, mais aussi au niveau local. Entre autres, il est possible de citer l’exemple de l’Association Renouvellement et Appartenance (ARA) dans la ville de Béja. Elle a signé une convention avec la commune en 2019 afin d’encadrer son partenariat avec la municipalité, dans le but de mettre en œuvre des activités relatives au projet de la charte du citoyen pour le service de la collecte des taxes municipales.9
6.5. Les outils et mécanismes de participation
Plusieurs outils ont été créés et mis à la disposition des parties prenantes pour promouvoir leur participation dans la conception, l’évaluation et le suivi des politiques publiques. Le gouvernement central et les autorités locales ont surtout misé sur le numérique, tout en recourant à d’autres formes et mécanismes pour répondre aux particularités des parties prenantes cibles de chaque mécanisme de participation créé. Malgré les efforts mis en place pour leur création, plusieurs de ces outils pourraient davantage être utilisés et d’autres ont été abandonnés. Sans se vouloir exhaustive, cette section propose une brève revue des outils et mécanismes les plus intéressants mis en place en Tunisie.
6.5.1. L’e-participation
Selon l’indice de l’e-participation, la Tunisie a été classée 73e parmi 193 pays en 2020, après avoir occupé le 53e rang en 2018 (United Nations, 2020[31]). Malgré ce classement, l’indice de l’e-participation en Tunisie (0.6905) reste élevé, avec un score de données gouvernementales ouvertes médium, à savoir 0.7838 (United Nations, 2020[31]).
Le gouvernement tunisien a saisi les opportunités que présente le numérique comme vecteur de participation des citoyens. Plusieurs plateformes nationales ont été développées pour faciliter l’e-participation des parties prenantes, à travers la consultation, l’accès à l’information, le dépôt de requêtes et de suggestions, des forums ou encore des mécanismes d’alerte (voir Tableau 6.1). Cependant, l’usage de ces outils numériques de participation demeure limité, aussi bien de la part des administrations que de celle des citoyens, et gagnerait à être renforcé au vu du potentiel que représente la participation numérique en Tunisie. Cette situation s’explique en partie par la multiplication des plateformes de participation au cours des dernières années – rendant l’écosystème de l’e-participation peu lisible pour le citoyen et l’administration –, le manque de communication autour de ces plateformes et des exercices de consultation en cours, l’absence d’une architecture technique globale qui favoriserait l’ouverture et la réutilisation des composants, et enfin l’insuffisante mise en valeur sur les plateformes des interactions et commentaires des citoyens, les sites étant davantage orientés vers l’administration (OCDE, 2019[32]). Pour pallier la multiplication des plateformes et faciliter l’usage du numérique comme vecteur de participation, il pourrait être opportun d’unifier l’ensemble ou une partie de ces fonctions en un portail destiné uniquement à la participation ou, à défaut, de créer des liens entre ces différents sites Internet. La plateforme espagnole Transparencia représente à ce titre un exemple de guichet unique pour l’accès à l’information et les consultations publiques (voir Encadré 6.6). Il serait également pertinent de relancer des campagnes de communication pour faire connaître les plateformes de participation, ainsi que de renforcer le back office de l’e-participation en recrutant ou affectant des fonctionnaires publics en charge uniquement de la gestion et la promotion des outils et mécanismes de l’e-participation. Cela permettrait en particulier d’assurer un retour sur les propositions formulées par les citoyens, ce qui constitue un élément déterminant pour favoriser un plus grand usage et une appropriation accrue de ces plateformes par les citoyens.
Tableau 6.1. Plateformes gouvernementales de participation
Portails / Plateformes |
Détails |
Domaines |
---|---|---|
E-people |
Portail géré par le BCRC / Présidence du gouvernement. Il offre des services de médiation pour les citoyens. |
Requête, suggestion, alerte Information, forum et enquête Consultation |
E-participation |
Portail géré par l’Unité de l’administration électronique (UAE) (point focal du gouvernement ouvert). Il comprend des modules de consultation, de débat public et de proposition d’idées. |
Consultation Suggestion Forum |
OGP.Tunisie.gov.tn |
Site Internet géré par l’UAE, dédié à l’accès à l’information sur les activités/projets sur le gouvernement ouvert en Tunisie, notamment les PAN. |
Processus du PGO en Tunisie |
Open Data |
Portail visant à faciliter l’accès aux données publiques ouvertes par secteur. |
Accès à l’information, transparence |
Source : Élaboration de l’auteur.
Face à ces constats et aux opportunités que représente l’e-participation, le gouvernement tunisien s’est publiquement engagé – dans le cadre de l’engagement n° 9 du 4e PAN du PGO – à poursuivre le développement et l’amélioration des portails nationaux de participation, tout en œuvrant à l’amélioration de la fréquence de leur utilisation par les citoyens à travers la mise en œuvre d’un plan de communication (Présidence du gouvernement, 2021[33]). Cette tâche pourrait être appuyée par l’élaboration d’un plan d’action pour la mise en œuvre des recommandations élaborées dans le cadre de l’évaluation de ces plateformes effectuée par l’OCDE en 2019 (OCDE, 2019[32]). Par ailleurs, l’intérêt du gouvernement tunisien pour le numérique comme outil de participation a été illustrée en janvier 2022 à travers l’organisation d’une consultation nationale de grande en ampleur sur une plateforme en ligne créée pour l’occasion (voir Encadré 6.5).
Encadré 6.5. Une consultation nationale en ligne en Tunisie
Suite aux décisions du 25 juillet 2021 qui mettent en place un état d’exception, le président de la République a promulgué le décret n° 2021-117 qui définit des mesures exceptionnelles. Selon l’article 22 de ce décret « le président de la République élabore les projets de révisions relatives aux réformes politiques avec l’assistance d’une commission », projets qui « doivent avoir pour objet l’établissement d’un véritable régime démocratique » (Présidence de la République, 2021[34]). Dans le contexte de la feuille de route annoncée de sortie de l’état d’exception, le président de la République a annoncé lors d’un discours tenu le 13 décembre 2021 l’organisation d’une consultation nationale à travers une plateforme en ligne.
D’après le gouvernement tunisien, cette consultation nationale visait à donner l'opportunité à tous les citoyens tunisiens, en Tunisie ou à l’étranger, d’exprimer leurs visions relatives à l’avenir du pays, s’inscrivant dans le cadre du renforcement de l’approche participative et des efforts entrepris par les autorités tunisiennes depuis la révolution pour impliquer les citoyens dans processus de prise décision et de gestion des affaires publiques.1. Plusieurs organisations de la société civile, partis politiques et observateurs ont cependant exprimé leur doute quant à l’objectif et la finalité de cette consultation, la protection des données à caractère personnel dans ce contexte, la pertinence et la formulation des questions posées, et l’usage réel qui serait fait des résultats dans un projet de réformes (Dahmani, 2022[35] ; Mimouna, 2022[36]). En matière de protection des données, le gouvernement a saisie l’Instance Nationale de Protection des Données Personnelles (INPDP) qui a effectué une mission de contrôle et d’audit de la plateforme et a assuré, dans un communiqué publié le 18 janvier 2022, que la consultation nationale ne traite pas de données permettant de reconnaitre l’identité des participants (Gnetnews, 2022[37]).
La consultation nationale, qui s’est déroulée du 15 janvier au 20 mars 2022, a été mise en œuvre par le ministère des Technologies de la Communication sur une plateforme de consultation ad hoc, www.e-istichara.tn, et non pas sur le portail national existant, e-participation.tn. Après une inscription faite sur la base du numéro de carte d’identité nationale ou de passeport pour les Tunisiens résidents à l’étranger, les citoyennes et citoyens tunisiens de plus de 16 ans ont été invités à répondre à une série de questions selon six axes définis : (1) Affaires politiques et électorales ; (2) Qualité de vie ; (3) Affaires sociales ; (4) Économie ; (5) Développement durable ; (6) Éducation et culture. Au total, 534 915 citoyens ont participé à cet exercice.
La consultation nationale a été accompagnée par des efforts de communication auprès de la population, notamment à travers des sms, des communications sur les médias publics ou encore des interventions de responsables publics. La plateforme propose en outre en temps réel une cartographie des participants à la consultation, notamment en termes de localisation géographique, de genre ou de tranche d’âge. Ce module permet un certain degré de transparence quant aux profils des personnes ayant participé à cette consultation, et d’ainsi avoir une lecture plus informée et analytique des résultats finaux. Les données révèlent en effet une représentativité limitée de l’ensemble de la population tunisienne, puisque, à titre d’exemple seuls 31.5% des participants sont des femmes.
Par ailleurs le caractère exclusivement numérique de la consultation a également soulevé des questions quant à l’accessibilité de cette consultation à l’ensemble de la population, en particulier les personnes âgées, analphabètes, en situation de handicap, ou ne disposant pas de compétences techniques nécessaires ou d’un accès à internet (Elboudrari, 2022[38]). Ainsi, une approche multicanale, permettant de coupler une consultation en ligne à des réunions publiques par exemple, est encouragée pour renforcer le caractère inclusif des processus de participation (Elboudrari, 2022[38] ; Nafti, 2022[39]).
Les résultats de la consultation sont consultables sur la plateforme www.e-istichara.tn.
1. Entretien avec la présidence du Gouvernement, juin 2022.
En outre, les initiatives de la société civile se sont également multipliées dans le même sens, pour mettre à la disposition des parties prenantes plusieurs outils, modalités et mécanismes facilitant leur participation (voir Tableau 6.2).
Tableau 6.2. Plateformes de participation lancées par des OSC
Portails / Plateformes |
Détails |
Domaines |
---|---|---|
Cabrane |
Site dédié au suivi des projets publics. Géré par une association tunisienne, ce site – disponible aussi sous forme d’application mobile – vise à impliquer les citoyens dans le contrôle des projets publics, en leur permettant de rapporter les dysfonctionnements et les abus constatés. Il permet de suggérer et/ou de voter de nouveaux projets, notamment dans les régions. |
Information Consultation Suggestion |
Informini |
Site Internet permettant aux citoyens de déposer des demandes d’accès aux données publiques, développé dans le cadre du programme Onshor pour stimuler la diffusion de l’information publique. |
Information Requête |
Ektbelhom |
Site permettant aux citoyens d’adresser directement un message électronique à l’un des 217 députés de l’ARP. Cependant, cette plateforme semble très peu utilisée. |
Suggestion |
Source : Élaboration de l’auteur.
La Tunisie pourrait également s’inspirer d’une initiative mise en place par l’Espagne, le portail Transparencia pour la participation (voir Encadré 6.6).
Encadré 6.6. Le portail Transparencia pour la participation en Espagne
Le portail Transparencia de l’administration générale de l’État espagnol (transparencia.gob.es) est une plateforme numérique créée par le gouvernement espagnol par la loi 19/2013 du 9 décembre 2013 sur la transparence, l’accès à l’information publique et la bonne gouvernance (en espagnol, Ley de transparencia, acceso a la información pública y buen gobierno, LTBG), et mise en service le 10 décembre 2014 pour publier proactivement toutes les informations relatives à l’organisation des institutions et structures publiques, que la loi exige de rendre publiques.
En plus de cette fonction relative au droit d’accès à l’information, Transparencia donne aussi au gouvernement espagnol la possibilité d’impliquer les citoyens dans le processus législatif, à savoir l’élaboration des normes ayant rang de lois et de règlements dans le cadre d’une consultation publique.
Selon l’article 133 de la loi 39/2015 du 1er octobre 2015 sur la procédure administrative commune des administrations publiques, il existe deux formes de consultations publiques :
La consultation publique préalable : il s’agit d’une étape préalable à la rédaction d’un projet de loi, qui permet de recueillir l’avis des citoyens sur « les problèmes à résoudre avec l’initiative ; la nécessité et le moment de son approbation ; les objectifs de la norme ; et les solutions alternatives réglementaires et non réglementaires possibles ».
L’audition et l’information du public : il s’agit d’un outil qui permet de recueillir le retour et les avis des citoyens directement ou à travers des associations qui les représentent, lorsqu’un projet de loi déjà établi touche à leurs droits ou intérêts légitimes. Les contributions supplémentaires sont aussi ouvertes pour toute autre entité et personne.
Les consultations publiques publiées sur le portail Transparencia sont accessibles et regroupées par secteur. Elles sont publiées par les ministères concernés, et ouvertes au public pour un délai minimum de 15 jours.
Le nombre total des utilisateurs du portail est passé de 209 119 en 2014 à 1 380 702 en 2020. Depuis le début de l’année 2021 jusqu’à la fin du mois d’août de la même année, 839 478 utilisateurs se sont connectés au portail. Ces chiffres indiquent l’évolution du nombre d’utilisateurs qui exploitent les différents services proposés. Cependant, la participation citoyenne aux consultations publiques reste le service le moins exploité sur le portail, ce qui a poussé le gouvernement espagnol à multiplier les stratégies et initiatives adéquates pour promouvoir la culture de la participation. À ce titre, dans le cadre du 4e PAN du PGO (2020-24), le gouvernement espagnol s’est engagé à créer une plateforme au sein de Transparencia, dédiée spécifiquement au lancement des consultations citoyennes, ainsi qu’à la collecte des propositions et suggestions sur les plans et projets autour du gouvernement ouvert, y compris l’information sur les processus participatifs en cours et les questionnaires de satisfaction.
Sources : Séance d’échange entre l’Espagne et la Tunisie organisée par l’OCDE les 10-11 juin 2021 ; Gouvernement espagnol (s.d.[40]), Portail Transparencia.
6.5.2. Le budget participatif
Le budget participatif est un levier important de participation citoyenne et fait partie des premiers outils mis en œuvre et rapidement institutionnalisés en Tunisie après la révolution. Lancé en 2013 par l’association Action associative, le principe du budget participatif a été consacré par la suite dans l’article 130 du Code des collectivités locales, qui prévoit que les collectivités « s’engagent, lors de la préparation de leur budget annuel, à observer la transparence et à adopter la méthode participative » (République tunisienne, 2018[5]). Cette approche doit permettre aux parties prenantes d’orienter les choix budgétaires de la municipalité vers des décisions qui répondent aux besoins et attentes des citoyens.
En effet, chaque municipalité a le droit de consacrer un montant précis à la mise en œuvre du processus du budget participatif, pour couvrir l’appel à un expert, les frais de la campagne de communication et la logistique. En 2018, 18 municipalités ont adopté le budget participatif, impliquant 6 500 citoyens dans le processus. Bien qu’elle reste très limitée, cette pratique a contribué à l’amélioration de la relation entre les citoyens et les collectivités locales, dans la mesure où les citoyens prennent pleinement part au processus, de l’élaboration au suivi des projets d’investissements municipaux (OCDE, 2018[41]).
6.5.3. La webradio
Les médias locaux et associatifs sont des vecteurs déterminants de la participation citoyenne, et permettent de garantir l’inclusion de certains groupes régionaux et sociaux spécifiques dans la vie publique, en s’assurant que leurs voix sont entendues (OCDE, 2019[42]). Le cadre légal tunisien reconnaît l’existence des médias associatifs (République tunisienne, 2011[43]), ce qui a permis l’éclosion d’un nombre important de radios locales et en ligne au cours des dernières années, jouant un rôle important dans l’animation du débat citoyen (OCDE, 2019[42]).
Si cette question a déjà été traitée en profondeur dans le rapport de l’OCDE La Voix citoyenne en Tunisie : Le rôle de la communication publique et des médias pour un gouvernement plus ouvert (OCDE, 2019[42]), on peut ici rappeler quelques exemples d’initiatives réussies. Plusieurs radios locales ont ainsi été lancées par des municipalités tunisiennes pour améliorer la participation des citoyens, comme Radio Ward Ariana de la municipalité de l’Ariana ou encore la webradio Enfidha de la municipalité Enfidha (dans le gouvernorat de Sousse). Ces initiatives ont encouragé d’autres municipalités à lancer leur propre radio Web, comme la commune de Sidi El Hani (Sousse), qui a récemment finalisé son projet de radio Web, Sidi El Hani.
Cette initiative n’est pas limitée aux collectivités locales. L’Instance nationale de lutte contre la corruption (INLUCC), à titre d’exemple, s’est dotée d’une webradio, Radio Nazaha, pour sensibiliser et promouvoir la participation des citoyens dans la lutte contre la corruption.
6.5.4. Les numéros verts
Certaines autorités publiques ont mis un numéro vert à la disposition des citoyens, pour faciliter la communication, la consultation et la gestion des plaintes. Parmi les numéros verts les plus communiqués à l’échelle nationale, on peut citer le 80102222 de l’INLUCC, pour signaler des cas de corruption, ou encore le 1881 du BCRC.
En outre, en 2016, le ministère de la Femme, de la Famille et des Seniors a lancé le 1899, une ligne téléphonique gratuite, mise à la disposition des femmes victimes de violences, pour une prise en charge multisectorielle,10 ainsi que d’autres services en matière de « coordination avec les parties prenantes des structures gouvernementales et des associations le cas échéant ». Depuis la pandémie de COVID-19, le nombre de recours et plaintes enregistrés sur la ligne verte s’est multiplié (Ayadi, 2020[44]). La pression sur la ligne a incité le ministère de la Femme à lancer une seconde ligne verte, à la disposition des enfants et des familles pour tout soutien psychologique pendant le confinement. Entre le 23 mars et le 31 mai 2020, 9 800 appels ont été enregistrés sur les deux numéros, soit neuf fois plus qu’en temps normal (Ayadi, 2020[44]).
6.5.5. Les conseils locaux pilotes des jeunes
La participation des jeunes représente un enjeu important en Tunisie (voir Encadré 6.7), ce qui a poussé le gouvernement tunisien à mettre en place certaines initiatives ciblées. Lancés en 2019 pour mettre en œuvre l’engagement 10 du troisième PAN du PGO en partenariat entre le ministère de la Jeunesse et des Sports et celui de la Fonction publique, les conseils locaux des jeunes est une initiative qui vise à impliquer les jeunes dans le processus de la conception, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques publiques au niveau local.
Le gouvernement a organisé des élections et mis en place cinq conseils pilotes dans les municipalités d’Ibn Khaldoun, de Testour, de Ben Guerdane, de Kasserine et d’El Kef. Cette initiative a suscité un certain enthousiasme et pas moins de 800 jeunes ont voté dans la seule municipalité de Ben Guerdane, selon un entretien. Les conseils ont commencé leur travail avec des objectifs ambitieux, mais, après la fin du cycle du plan d’action en 2020, le ministère de la Jeunesse et des Sports aurait diminué son soutien actif et certains conseils ont été contraints de réduire, voire de cesser leurs activités (Anguelov, 2021[14]). L’Observatoire national de la jeunesse a cependant salué cette initiative, en insistant sur l’importance de procéder à son évaluation avant de passer à la généralisation et à l’institutionnalisation des conseils locaux de la jeunesse au niveau local, pour éviter tout détournement politique de cet outil (Présidence du gouvernement, s.d.[11]).
Encadré 6.7. La participation des jeunes en Tunisie
Bien que les jeunes Tunisiens et Tunisiennes constituent près de la moitié de la population du pays (48 %), leur représentation dans la prise de décision politique demeure limitée, leur intérêt pour la politique très faible, et leur confiance et participation dans les institutions politiques formelles que sont les partis politiques et les conseils élus en baisse (voir Graphique 6.3).
En Tunisie, comme dans de nombreux autres pays, les jeunes Tunisiens et Tunisiennes continuent à rencontrer des difficultés pour s’épanouir individuellement, participer à la vie publique et contribuer pleinement au développement social et économique du pays. Les besoins actuels du marché du travail nécessitent en effet une adaptation de l’éducation initiale et de la formation professionnelle. Aujourd’hui, la situation complique l’accès à l’emploi décent et crée une dépendance économique accrue vis-à-vis des générations plus âgées, ainsi que des difficultés sociales, telles que l’accès à un logement abordable et à des soins de santé de qualité. Par ailleurs, la pleine participation civique et politique des jeunes pourrait être encouragée, notamment au niveau du cadre légal et réglementaire, en renforçant les capacités des institutions de la jeunesse, ou encore en favorisant une approche gouvernementale intégrée pour soutenir la transition des jeunes Tunisiens vers une vie autonome.
Malgré cela, les jeunes Tunisiens et Tunisiennes manifestent de manière croissante leur intérêt pour les sujets d’intérêt général et cherchent à faire entendre leurs voix par des canaux nouveaux, variés et non institutionnalisés. En effet, les jeunes sont par exemple très actifs au sein de la société civile, et participent à des activités de terrain (comme le bénévolat ou le volontariat), ainsi qu’aux mouvements sociaux et manifestations de rue.
En 2021, l’OCDE a rédigé le rapport « Renforcer l’autonomie et la confiance des jeunes en Tunisie », qui dresse un état des lieux de la gouvernance des affaires de la jeunesse en Tunisie. Il examine la législation, les politiques et stratégies, les capacités institutionnelles, les ressources financières et humaines, ainsi que les outils et mécanismes de gouvernance mis en œuvre dans le pays pour assurer des politiques et des services publics qui répondent aux besoins de la jeunesse tunisienne. Il présente aussi les défis et les opportunités en matière de participation des jeunes. Plus important encore, il propose des recommandations à l’attention du gouvernement tunisien, qui s’appuient sur l’expérience des pays membres de l’OCDE, ainsi que sur les standards de l’OCDE en matière de politiques de la jeunesse, particulièrement concernant l’autonomisation et la participation des jeunes dans la vie publique.
Le rapport souligne qu’au-delà des initiatives visant à accroître la représentation et la participation des jeunes, il est essentiel d’adopter une approche gouvernementale intégrée, à travers par exemple le choix d’une stratégie nationale de la jeunesse, afin de répondre efficacement aux différents défis auxquels les jeunes font face, de renforcer leur autonomie et d’améliorer leur niveau de confiance envers les institutions publiques. Ce cadre contribuerait à une approche intégrée de la participation des jeunes dans les instances gouvernementales et avec les collectivités locales, tout en aidant à préciser ses formes et outils. Par exemple, lors de la planification de la participation des jeunes, les autorités publiques pourraient convoquer ou associer l’ensemble des parties prenantes. Il s’agit également de mettre en place des mesures incitatives et des formes de participation innovantes, pour remobiliser l’intérêt des jeunes et faciliter leur participation à la prise de décision politique.
Afin que ces opportunités soient connues et donc saisies plus largement par les jeunes, il convient enfin d’accompagner leur développement par une communication large et adaptée. Le manque d’information des jeunes concernant ces opportunités constitue, en effet, une des entraves principales à leur participation, comme les données recueillies par l’OCDE le montrent. Les autorités publiques auraient notamment intérêt à proposer des outils de sensibilisation à ces différents mécanismes, mis en ligne sur les réseaux sociaux et sur les sites Internet institutionnels, pour maximiser leur visibilité auprès des jeunes.
6.5.6. La charte du citoyen
La charte du citoyen est un autre type d’outil, qui consiste à impliquer les parties prenantes (société civile, citoyens et autorités publiques) pour élaborer et mettre en œuvre des engagements dans le but d’améliorer la qualité des services publics (République tunisienne, 2018[26]). Cet outil a été réglementé par le décret gouvernemental n° 2018-1067 du 25 décembre 2018, complétant le décret n° 93-982 du 3 mai 1993, fixant le cadre général de la relation entre l’administration et ses usagers, renforcé par la suite par une circulaire pour expliquer la méthodologie et les procédures des trois étapes de l’adoption de la charte du citoyen (Ministère des Affaires locales et de l'Environnement, 2019[48]).
La charte du citoyen a été élaborée et adoptée dans certaines collectivités locales pilotes, pour donner la possibilité à la société civile d’appuyer l’application des engagements pris par l’autorité publique et de veiller à la mise en œuvre de la charte à travers la fixation préalable des indicateurs de mesures. En effet, avec la supervision de la Direction générale des réformes et prospectives administratives (DGRPA) et l’appui technique de l’OCDE, huit municipalités (Béjà, Tozeur, Sidi Ali Ben Oun, Cebbelat Ouled Asker, Ghomrassen, Bir Lahmer, Sidi El Heni et Enfidha), deux hôpitaux publics (le CHU Sahloul de Sousse et l’hôpital Charles Nicolle de Tunis), ainsi que la chambre régionale du tribunal administratif de Sidi Bouzid ont conçu et mis en œuvre une charte du citoyen de manière participative. Les domaines d’intervention des chartes élaborées diffèrent d’une collectivité locale à une autre et recouvrent aussi bien la collecte des déchets, la collecte des impôts, la gestion des plaintes ou la communication, que les services d’accueil et les consultations externes pour la santé.
Cependant, selon le décret, la charte devrait être obligatoire pour toute administration publique en contact direct avec les citoyens, ce qui n’est pas encore le cas. Il serait donc opportun d’étendre et de généraliser l’adoption de cet outil en ligne avec le décret n° 2018-1067, d’autant plus qu’il s’agit d’un outil innovant de participation citoyenne, qui a su faire ses preuves dans les différents projets pilotes menés.
6.5.7. L’espace citoyen
L’espace citoyen est une initiative créée au niveau d’un certain nombre d’institutions publiques pour améliorer la qualité des services publics, ainsi que pour appuyer la démarche e-services du gouvernement tunisien et la qualité de l’interaction (GIZ, 2015[49]). Un espace citoyen est un bureau de proximité pour les citoyens, dont l’objectif est de centraliser les démarches administratives municipales dans un seul espace, suivre en ligne des demandes, et réduire les délais et les temps d’attente.
Avec l’appui de la GIZ, 20 municipalités ont adopté cet outil, pour faire suite à la directive du 22 décembre 2015 relative à la mise en place du système de gestion des plaintes de la Direction générale des collectivités locales et de la Caisse des prêts et de soutien des collectivités locales, relevant du ministère des Affaires locales et de l’Environnement. Depuis son lancement en 2013, cet outil a été étendu au niveau de plusieurs municipalités tunisiennes, en créant un espace d’interaction entre la municipalité et les citoyens, tout en améliorant un certain nombre de services administratifs, comme le dépôt de différents types de demandes d’autorisation et de dossiers, ou encore la provision des réclamations, plaintes et suggestions.
Les informations recueillies pendant les entretiens menés dans le cadre du présent scan montrent cependant un faible taux d’utilisation de ces outils par les citoyens.11 Cette situation s’explique principalement par le manque de visibilité et de communication autour des services en ligne créés au niveau des sites Internet des municipalités, ainsi que par les chargés de la gestion des services en ligne au niveau de certains services publics.
6.5.8. L’Assemblée des représentants du peuple et la participation citoyenne
L’Assemblée des représentants du peuple (ARP) a mis en place un certain nombre de mécanismes et d’outils, afin de renforcer la participation des OSC à ses travaux et, plus largement, l’interaction avec les citoyens.12
Le règlement intérieur de l’ARP prévoit par exemple la possibilité d’inviter des OSC lors des travaux des commissions (article 60), ainsi que l’ouverture des séances plénières aux représentants de la société civile, des médias et des citoyens (article 101).13 Il n’existe cependant pas de cadre juridique régissant explicitement la relation entre les OSC et l’ARP. Afin d’amorcer l’institutionnalisation de l’engagement entre ces deux entités, l’ARP a adopté, le 10 juillet 2020, une charte élaborée afin de poser les fondements et principes directeurs de cette relation. Sa signature par le président du Parlement et les représentants de la société civile a eu lieu le 30 juin 2021, après un retard dû à l’amplification de la crise du COVID-19 (Webmanager Center, 2021[50]).
L’ARP a également travaillé au renforcement de ses relations avec les OSC situées dans les régions éloignées de la capitale, à travers l’élaboration d’un programme de « parlement de proximité ». Celui-ci vise à organiser régulièrement des visites de terrain d’une vingtaine de députés dans les régions, au cours desquelles des réunions avec les associations locales et les citoyens seraient mises en place.14
Une plateforme facilitant la communication et la participation des associations dans l’élaboration des textes juridiques et des politiques publiques a été mise à la disposition de la société civile (societecivile.arp.tn). Si l’usage de cette plateforme gagnerait à être renforcé, notamment à travers davantage de sensibilisation des députés et des OSC sur son existence et son mode d’utilisation, cet outil a le potentiel de renforcer la participation des parties prenantes aux travaux de l’ARP. Un Parlement plus transparent, ouvert et impliquant les citoyens contribuerait considérablement au passage du gouvernement ouvert à un État ouvert, tel que préconisé par la Recommandation de l’OCDE sur le gouvernement ouvert (OCDE, 2017[1]).
La crise politique de 2021, et notamment la suspension de l’ARP annoncée par le président de la République le 25 juillet 2021 et formalisée dans le décret 2021-80 du 29 juillet, implique cependant la suspension de ces différentes initiatives, dont l’avenir devra être analysé en fonction de l’évolution du contexte au sein du Parlement (Présidence de la République, 2021[51]).
6.5.9. Des processus innovants de participation
Une innovation intéressante dont la Tunisie pourrait s’inspirer concerne le recours à des processus délibératifs. Au cours des dernières années, et en particulier depuis 2010, des autorités publiques dans les pays de l’OCDE et ailleurs ont mis en place des initiatives innovantes et intéressantes de participation citoyenne (OCDE, 2020[2]). On peut citer en particulier les processus d’assemblées délibératives. Il s’agit d’initiatives dans lesquelles des citoyens, ayant fait l’objet d’un tirage au sort, consacrent un temps significatif à s’informer et à collaborer, dans le cadre d’une délibération facilitée, en vue de formuler des recommandations collectives éclairées à l’intention des autorités publiques, y compris sur des sujets complexes. Un récent rapport de l’OCDE a compilé et analysé 289 cas d’étude, montrant que ces formes de participation citoyenne innovante font jouer aux citoyens un rôle plus direct dans la formulation des décisions publiques qui les affectent, et contribuent à obtenir de meilleurs résultats de l’action publique, à une légitimité accrue pour faire des choix difficiles et au renforcement de la confiance à l’égard des pouvoirs publics (OCDE, 2020[2]). La communauté germanophone de Belgique présente un des exemples les plus avancés d’assemblée citoyenne délibérative (voir Encadré 6.8).
Encadré 6.8. Un modèle délibératif permanent : l’exemple du dialogue citoyen permanent de la communauté germanophone en Belgique
En Belgique, la communauté de l’Ostbelgien (communauté germanophone de l’est de la Belgique, qui compte environ 78 000 habitants) a récemment élaboré un modèle qui combine un organe délibératif représentatif permanent avec l’utilisation continue de processus délibératifs représentatifs (ci-après le modèle Ostbelgien), mis en place par un décret voté en février 2019 sur le dialogue citoyen permanent. Ce projet poursuit en particulier deux objectifs : 1) institutionnaliser la participation citoyenne ; et 2) rendre les décisions politiques compréhensibles pour les citoyens. Il institue un organe délibératif permanent, le conseil citoyen, qui a pour mandat de mettre en lumière et de trancher les questions d’assemblées citoyennes mises en place de manière ad hoc.
Dans ce modèle, 24 citoyens choisis au hasard forment le conseil citoyen et ont pour mandat de représenter leurs concitoyens pour une période d’un an et demi. Les 24 premiers membres sont composés de 3 groupes différents : 6 membres sont choisis au hasard parmi les participants d’une précédente assemblée de citoyens ayant eu lieu dans la région ; 6 sont des personnalités politiques – une de chaque parti politique – et 12 sont des citoyens choisis au hasard parmi la population de la communauté. Tous les 6 mois, un tiers de la cohorte est remplacé par des citoyens sélectionnés au hasard. Les personnalités politiques seront les premiers acteurs à être éliminés par rotation et seront remplacées par des citoyens sélectionnés par le biais d’une loterie civique. L’objectif de ce mécanisme de rotation est de permettre une certaine continuité, tout en s’assurant que le conseil citoyen ne devienne pas un corps de personnes qui se sont professionnalisées en politique et en proie aux mêmes problématiques rencontrées par les élus.
Le conseil citoyen a le pouvoir d’établir son propre programme et de mettre en place jusqu’à trois assemblées citoyennes ad hoc sur les questions politiques les plus urgentes de leur choix. Les propositions citoyennes disposant du soutien d’au moins 100 citoyens, ainsi que les propositions des groupes parlementaires ou du gouvernement peuvent également être soumises à l’examen du conseil. Chaque assemblée citoyenne est composée de 25 à 50 citoyens choisis au hasard, qui se réunissent au moins trois fois en trois mois. Le conseil citoyen décide du nombre de participants et de la durée de l’assemblée citoyenne.
Conformément à la législation, le parlement régional est tenu de débattre et de répondre aux recommandations élaborées par les assemblées. Le conseil citoyen surveille en outre la mise en œuvre des recommandations convenues. Le modèle Ostbelgien représente le seul exemple où une nouvelle institution met en place un mécanisme permanent permettant de donner aux citoyens une véritable voix dans la définition de l’agenda politique et de leur fournir le cadre et les outils pour explorer activement les questions de leur choix.
La première assemblée citoyenne, qui a vu le jour en mars 2020 et a été interrompue jusqu’en septembre 2020 du fait de la pandémie de COVID-19, s’est réunie au cours de quatre séances autour de la thématique (définie avant la pandémie) des soins médicaux. Une réunion d’évaluation de la mise en œuvre des recommandations de l’assemblée citoyenne aura lieu en 2022, soit un an et demi après le processus délibératif, conformément à la législation.
Sources : Anna Stuers, secrétariat du Dialogue permanent de la communauté germanophone de Belgique, présentation, avril 2021 ; OCDE (2020[2]), Innovative Citizen Participation and New Democratic Institutions: Catching the Deliberative Wave, Éditions OCDE, Paris.
6.6. Les défis et les opportunités pour renforcer la participation en Tunisie
En dépit des efforts du gouvernement pour la mise en place d’un environnement propice à la participation des parties prenantes à travers le cadre légal et le développement d’outils techniques, numériques et institutionnels, la participation citoyenne en Tunisie reste limitée et ad hoc, et ce à cause de plusieurs défis d’ordre politique, technique, culturel et financier.
6.6.1. L’instabilité politique
L’instabilité politique que connaît la Tunisie depuis la révolution de 2011, alors que dix gouvernements se sont succédé en l’espace de dix ans, représente un des principaux obstacles à l’adoption des politiques ambitieuses et à long terme répondant aux préoccupations et aux besoins fondamentaux des citoyens. La stabilité et l’engagement politique des décideurs publics au niveau central et aussi au niveau local sont des éléments essentiels et indispensables afin d’assurer la continuité des initiatives et bonnes pratiques, et d’accélérer leur mise en œuvre. Les avancées, pourtant réelles, ont cependant été ralenties voire suspendues du fait de l’instabilité politique, qui a impliqué plusieurs changements de décideurs et de priorités stratégiques.
6.6.2. Le cadre institutionnel de coordination des initiatives de participation
En plus de ressources humaines et de capacités techniques limitées pour promouvoir des processus d’engagement citoyen, il serait bon de mettre en place une structure qui puisse coordonner les efforts de participation et soutenir les ministères et autres institutions publiques qui voudraient lancer un processus participatif.
Comme indiqué dans la section 6.4, il existe des structures qui jouent déjà un rôle d’appui à la participation ou à l’engagement de la société civile, telles que l’UAE (point focal pour le gouvernement ouvert), la Direction de la relation avec la société civile, la Direction générale des réformes et prospectives administratives et le BCRC. Toutes ces structures se trouvant à présent rattachées à la Présidence du gouvernement, elles pourraient être mieux intégrées, ou bien l’une d’entre elles pourrait être officiellement chargée de coordonner les processus de participation. Ce rôle pourrait inclure la gestion d’une base de données des processus participatifs mis en place par toute l’administration publique, l’appui technique aux structures ayant l’intention de lancer des processus participatifs et la promotion du principe de la participation au sein de l’administration. Un tel organe pourrait également être chargé de renforcer la coordination et l’échange d’informations entre les ministères sur les différents processus d’engagement avec les citoyens et la société civile, ainsi que sur les méthodes et outils utilisés, tout en menant des évaluations et des analyses d’impact périodiques.
6.6.3. Les ressources humaines et financières
Selon les entretiens menés dans le cadre de ce scan, les ressources humaines et financières limitées comptent parmi les grands défis dans la promotion et le renforcement des mécanismes de participation des parties prenantes.15 Il faudrait ainsi augmenter les ressources mobilisées pour répondre aux attentes et aux besoins nécessaires pour lancer ou assurer la pérennité de certaines initiatives, en particulier celles relatives à l’e-participation. Le manque de ressources a affecté la qualité de la communication, ainsi que la mise en œuvre et l’évaluation des initiatives mises en place, qui pourraient être davantage connues, soutenues et donc utilisées.
Dans certains cas, le gouvernement a eu recours aux prêts pour mettre en œuvre certaines politiques publiques relatives à l’e-participation. Par exemple, pour son projet d’appui à la mise en place du plan national stratégique « Tunisie digitale 2020 », la Tunisie a sollicité un prêt de la Banque africaine de développement (BAD), ce qui démontre l’engagement du gouvernement tunisien dans ce processus. Ainsi, plusieurs initiatives de participation déjà citées ont reçu des contributions ou ont été financées en bonne mesure par des bailleurs internationaux.
En plus de ressources financières limitées, les effectifs sont parfois insuffisants dans certaines structures publiques, et ce malgré le nombre total élevé d’agents publics en Tunisie, soit plus de 800 000 fonctionnaires publics pour 11 millions d’habitants en 2020. Cette situation implique le besoin de réexaminer l’organisation et la priorisation des ressources humaines dans certains cas (Ben Gamra, 2020[52]).16 La participation étant un sujet relativement nouveau en Tunisie, il est nécessaire de continuer à renforcer les compétences et l’expertise des fonctionnaires publics en la matière, ainsi que de les sensibiliser sur les bénéfices d’impliquer davantage les citoyens dans le cadre de leur travail.
Ce manque de ressources est également un facteur limitant au niveau des collectivités locales, qui gagneraient à disposer de davantage de ressources humaines dédiées aux efforts d’engagement avec les citoyens et les OSC. Ces pratiques demeurant nouvelles et peu systématisées, il serait également pertinent de prévoir un travail pour continuer à instaurer une véritable culture participative et de collaboration au niveau des collectivités locales.
6.6.4. La connaissance des outils de participation
Il ressort des entretiens menés pour ce scan que la majorité des associations et des citoyens tunisiens ne connaissent ni les possibilités de participation offertes par la loi ni les outils à leur disposition, tels que les plateformes d’e-participation ou les séances de consultation.17 Même les associations œuvrant dans le domaine de la gouvernance, de la transparence ou de la participation sont peu informées de l’existence de plateformes numériques telles qu’E-people et E-Participation.tn, et avouent ne pas les utiliser.18
Les OSC disposent par ailleurs de peu d’informations et de visibilité sur les suites données aux discussions et recommandations effectuées à l’occasion des consultations. Un retour sur les processus de consultation et d’engagement auxquels elles ont participé tendrait à encourager leur participation dans des processus à venir, et promouvrait ainsi la systématisation des efforts de coopération et d’engagement entre les citoyens, les associations et le gouvernement.19 Il est donc nécessaire d’assurer un retour aux OSC mais également aux citoyens, afin de permettre aux différentes parties prenantes d’apprécier l’impact de leur participation et de leurs recommandations sur l’élaboration des politiques publiques, ou de leur expliquer de manière transparente les raisons pour lesquelles leurs contributions ont été écartées.
Ainsi, les processus de consultation pourraient faire l’objet d’une restitution expliquant et justifiant les choix effectués dans la prise de décision finale, tout en rendant compte des différents avis exprimés. En l’absence de tels mécanismes, les OSC peuvent percevoir les processus de consultation comme des exercices purement formels ou « cosmétiques » et à l’impact limité, entraînant à terme une forme de lassitude et un recul des efforts d’engagement avec le gouvernement.20
Une stratégie de communication semble donc nécessaire pour continuer à sensibiliser la population à la participation et l’informer sur les outils disponibles. Les campagnes de communication pourraient aussi expliquer la réponse des autorités aux contributions des citoyens et présenter des bonnes pratiques liées aux suggestions de la population qui ont été intégrées dans des textes légaux ou des programmes gouvernementaux. Dans le même temps, il serait bon d’envisager une diversification des outils au-delà des plateformes numériques et des applications mobiles, afin de ne pas écarter les catégories de population moins à l’aise avec les nouvelles technologies, dans un souci d’inclusivité.
6.6.5. La participation dans le contexte de la pandémie de COVID-19
Certaines parties prenantes interrogées admettent que la participation s’est dégradée depuis l’entrée en vigueur des mesures d’exception relatives au COVID-19.21 Alors que certains gouvernements ont profité de la pandémie de COVID-19 pour engager et renforcer la participation, d’autres ont suspendu ou bien ralenti la mise en œuvre de leurs engagements envers la participation des parties prenantes.22
En Tunisie, la société civile a par ailleurs prouvé son rôle déterminant dans le cadre de la pandémie, en créant des mécanismes de coordination pour apporter des aides sociales aux groupes vulnérables les plus touchés par la pandémie, soutenant ainsi l’administration dans la prestation de services publics en temps de crise. La société civile a également mis en place des campagnes de sensibilisation auprès de la population sur le danger que représente la pandémie, ainsi que sur les précautions et gestes à adopter afin d’en limiter la propagation (Solidarité Laïque, 2020[53]). De même, des associations de défense des droits humains et des minorités de genre ont pu mettre en place des relais sur le territoire, afin d’acheminer les médicaments nécessaires aux personnes touchées par le VIH ne pouvant se déplacer en raison des restrictions.23
Malgré cela, les règles de distanciation sociale et l’interdiction (ou la limitation) de l’organisation d’événements publics, d’ateliers et de réunions ont été citées par les OSC et les autorités comme une des raisons principales de la diminution des initiatives de consultation et engagement citoyen en 2020-21.
Cependant, le contexte difficile de la pandémie a aussi facilité des initiatives de participation intéressantes. Des projets gouvernementaux ont été mis en place pour appuyer les initiatives de la société civile, à l’image de l’initiative « Azima », lancée par les services des Relations avec les instances constitutionnelles, la société civile et des Droits de l’homme auprès de la Présidence du gouvernement, afin d’impliquer la société civile dans la lutte contre la pandémie à travers des actions sur le terrain (Webmanager Center, 2020[54]).
Les OSC ont aussi lancé plusieurs initiatives pour soutenir les efforts du gouvernement pour faire face à la pandémie. C’est par exemple le cas de la plateforme Belkamcha, créée par l’ONG I Watch pour suivre les mesures prises par le gouvernement pour limiter la propagation du virus et dénoncer les abus ou dépassements. D’autres initiatives ont été mises en place pour apporter un soutien psychologique, comme l’initiative « PsyCovid », lancée pour préserver la santé mentale des Tunisiens pendant la période du confinement, ainsi que la ligne verte gratuite « 80 105 050 », pour tout soutien psychologique. La plateforme « COVID fighters » de l’association Jamaity a rassemblé les initiatives créées pour une meilleure coordination et plus de visibilité.
6.6.6. Une perception de recul des efforts de participation
Les entretiens menés dans le cadre de ce rapport ont révélé, au sein des OSC, un sentiment de recul des efforts de participation.24 Parmi les raisons de ce recul, on peut citer les restrictions liées à la pandémie, les tensions politiques exacerbées depuis les élections de 2019, une situation économique de plus en plus critique – qui ravive les revendications sociales –, mais aussi une volonté politique d’engager les citoyens qui, selon plusieurs associations, mériterait de connaître un nouvel élan après l’enthousiasme démocratique des années qui ont immédiatement suivi la révolution. Selon le gouvernement, ce recul se ressent principalement au niveau national, les initiatives d’engagement des citoyens continuant à progresser au niveau local.25
Après la révolution, les OSC ont profité d’un environnement favorable, qui leur a permis d’être largement impliquées dans le processus de transition démocratique et dans l’élaboration de politiques. Cependant, depuis quelques années, cet élan s’est épuisé et elles ont le sentiment d’avoir été progressivement mises à l’écart. L’exemple des partenariats établis entre certaines OSC (notamment sur le droit des femmes) et des ministères a été évoqué lors de la consultation du 26 février 2021 :26 ceux-ci continuent d’exister, mais ils sont devenus largement formels. Une relance de ces processus semble donc nécessaire ; les autorités pourraient ainsi la préparer en discutant au préalable avec des représentants de la société civile, afin de concevoir ensemble des processus participatifs et de nouveaux modes d’engagement en ligne avec les priorités des associations, et d’en établir conjointement les formes et les objectifs.
Références
[14] Anguelov, S. (2021), Independent Reporting Mechanism (IRM): Tunisia Transitional Results Report 2018-2020, https://www.opengovpartnership.org/wp-content/uploads/2021/08/Tunisia_Transitional-Results_Report_2018-2020_EN.pdf.
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[23] Chef du gouvernement (2021), « Décret gouvernemental n° 2021-3 du 6 janvier 2021, relatif aux données publiques ouvertes », Journal officiel de la République tunisienne, vol. 4, pp. 72-77, https://legislation-securite.tn/fr/law/104946.
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[25] Gouvernement autrichien (s.d.), Partizipation.at, https://partizipation.at/ (consulté le 15 septembre 2021).
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[40] Gouvernement espagnol (s.d.), Portail de la transparencia, https://transparencia.gob.es/transparencia/es/transparencia_Home/index/ParticipacionCiudadana/ParticipacionProyectosNormativos.html (consulté le 8 juin 2021).
[12] Haliou, J. (2017), Independent Reporting Mechanism (IRM) Tunisia : 2014-2016 End of Term Report, https://www.opengovpartnership.org/wp-content/uploads/2017/08/Tunisia_EOTR_2014-2016.pdf.
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[22] Institut national de la statistique (s.d.), Portail de données ouvertes de l’Institut national de la Statistique, http://dataportal.ins.tn/ (consulté le 7 juin 2021).
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[20] Ministère de l’Intérieur (s.d.), Site des données ouvertes du ministère de l’Intérieur tunisien, http://opendata.interieur.gov.tn/fr/ (consulté le 7 juin 2021).
[8] Ministère des Affaires locales (2019), « Décret gouvernemental n° 2019-401 du 6 mai 2019, fixant les conditions et procédures de la mise en œuvre des mécanismes de démocratie participative prévus par l’article 30 du Code des collectivités locales », Journal officiel de la République tunisienne, vol. 39, https://legislation-securite.tn/law/104564.
[48] Ministère des Affaires locales et de l’Environnement (2019), « Circulaire n° 2019-17 du 5 août 2019, sur l’amélioration de la qualité des prestations administratives à travers le mécanisme « la charte du citoyen » ».
[19] Ministère des Finances (s.d.), Portail Mizaniatouna, http://www.mizaniatouna.gov.tn/tunisia/template_fr/index.html (consulté le 7 juin 2021).
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[51] Présidence de la République (2021), « Décret présidentiel n° 2021-80 du 29 juillet 2021, relatif à la suspension des compétences de l’Assemblée des représentants du peuple », Journal officiel de la République tunisienne, vol. 64, p. 2004.
[33] Présidence du gouvernement (2021), 4ème plan d’action national du Partenariat pour un Gouvernement Ouvert, http://www.ogptunisie.gov.tn/fr/index.php/2021/06/25/quatrieme-plan-daction-national-du-pgo-2021-2023/.
[15] Présidence du gouvernement (2021), Comité mixte chargé du suivi de l’élaboration et de la mise en œuvre du 4ème plan d’action national du PGO (2021-2023), http://www.ogptunisie.gov.tn/fr/index.php/2021/01/22/comite-mixte-charge-du-suivi-de-lelaboration-et-de-la-mise-en-oeuvre-du-4eme-plan-daction-national-du-pgo-2021-2022/.
[30] Présidence du gouvernement (1998), « Décret n° 98-1152 du 25 mai 1988, modifiant le décret n° 93-1549 du 26 juillet 1993, portant création des bureaux des relations avec le citoyen », Journal officiel de la République tunisienne, vol. 44, https://legislation-securite.tn/fr/law/42323.
[11] Présidence du gouvernement (s.d.), OGP Tunisia, http://www.ogptunisie.gov.tn/fr/.
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[27] République tunisienne (2019), « Décret gouvernemental n° 2019-401 du 6 mai 2019, fixant les conditions et procédures de la mise en œuvre des mécanismes de démocratie participative prévus par l’article 30 du Code des collectivités locales », Journal officiel de la République tunisienne, vol. 39, pp. 1422-1425.
[7] République tunisienne (2019), « Loi organique n° 2019-76 du 30 août 2019, modifiant et complétant la loi organique n° 2014-16 du 26 mai 2014, relative aux élections et aux référendums », Journal officiel de la République tunisienne, vol. 70, https://legislation-securite.tn/fr/law/104633.
[26] République tunisienne (2018), « Décret gouvernemental n° 2018-1067 du 25 décembre 2018, complétant le décret n° 93-982 du 3 mai 1993, fixant le cadre général de la relation entre l’administration et ses usagers », Journal officiel de la République tunisienne, vol. 2, pp. 5-6.
[24] République tunisienne (2018), « Décret gouvernemental n° 2018-328 du 29 mars 2018, relatif à l’organisation des consultations publiques », Journal officiel de la République tunisienne, vol. 28.
[5] République tunisienne (2018), « Loi organique n° 2018-29 du 9 mai 2018, relative au Code des collectivités locales », Journal officiel de la République tunisienne, vol. 39, pp. 1653-1716, http://www.collectiviteslocales.gov.tn/wp-content/uploads/2019/11/Code_CL_Loi2018_29.pdf.
[28] République tunisienne (2016), « Décret gouvernemental n° 2016-465 du 11 avril 2016, portant création du Ministère de la Relation avec les Instances constitutionnelles et la Société civile et des Sroits de l’Homme et fixant ses compétences et ses attributions », Journal officiel de la République tunisienne, vol. 30, pp. 1186-1188.
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[4] République tunisienne (2014), Constitution de la République tunisienne, https://lib.ohchr.org/HRBodies/UPR/Documents/Session27/TN/6Annexe4Constitution_fr.pdf.
[6] République tunisienne (2014), « Loi organique n° 2014-16 du 26 mai 2014, relative aux élections et référendums », Journal officiel de la République tunisienne, vol. 42, pp. 1310-1331, http://www.isie.tn/wp-content/uploads/2018/01/Loi-Organique-n%C2%B02014-16.pdf.
[43] République tunisienne (2011), « Décret-loi n° 2011-116 du 2 novembre 2011, relatif à la liberté de la communication audiovisuelle et portant création d’une Haute Instance indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA) », Journal officiel de la République tunisienne, vol. 84, pp. 2430-2439, https://legislation-securite.tn/law/43555.
[29] République tunisienne (1993), « Décret-loi n° 92-1549 du 26 Juillet 1993, portant création des bureaux des relations », Journal officiel de la République tunisienne, vol. 57, https://legislation-securite.tn/fr/law/41049.
[13] Sfaxi, E. (2019), Independent Reporting Mechanism (IRM): Tunisia End-of Term Report 2016-2018, https://www.opengovpartnership.org/wp-content/uploads/2020/08/Tunisia_End-of-Term_Report_2016-2018_EN.pdf.
[53] Solidarité Laïque (2020), Covid-19 : La société civile tunisienne se mobilise, https://www.solidarite-laique.org/informe/covid-19%E2%80%AF-la-societe-civile-tunisienne-se-mobilise/ (consulté le 2 juin 2021).
[16] Unité de l’administration électronique (2016), Projet d’appui à la mise en œuvre de l’e-Government et de l’Open Government en Tunisie – Présentation de la stratégie et de la feuille de route du programme « Smart Gov 2020 ».
[31] United Nations (2020), E-Government Survey 2020: Digital Government in the Decade of Action for Sustainable Development, United Nations, https://publicadministration.un.org/egovkb/Portals/egovkb/Documents/un/2020-Survey/2020%20UN%20E-Government%20Survey%20(Full%20Report).pdf.
[3] V-Dem Institute (2020), Variable Graph, https://www.v-dem.net/data_analysis/VariableGraph/ (consulté le 12 janvier 2022).
[50] Webmanager Center (2021), « Le Parlement et la société civile signent une charte de coopération environnementale », Webmanager Center, https://www.webmanagercenter.com/2021/07/02/470121/le-parlement-et-societe-civile-signent-une-charte-de-cooperation-environnementale/ (consulté le 3 août 2021).
[54] Webmanager Center (2020), « Lutte contre le coronavirus : Séance de travail entre Faouzi Mahdi et Thouraya Jeribi », Webmanager Center.
Notes
← 1. Articles 49 nonies, decies et undecies, loi organique n° 2014-16 du 26 mai 2014, relative aux élections et référendums, telle que modifiée et complétée par la loi organique n° 2019-76 du 30 août 2019.
← 2. Entretien avec le Centre national du Registre des entreprises.
← 3. Séance d’échange entre l’Espagne et la Tunisie organisée par l’OCDE les 10 et 11 juin 2021.
← 4. Entretien avec la Présidence du gouvernement, 8 décembre 2021.
← 5. Correspondance avec le BCRC, 6 décembre 2021.
← 6. Entretien avec le ministère de la Santé, 6 juillet 2021.
← 7. Ibid. et correspondance du BCRC, 6 décembre 2021.
← 8. Ibid.
← 9. Le projet de la charte du citoyen est mis en œuvre avec l’appui du Royaume-Uni et de l’OCDE, voir https://www.oecd.org/fr/sites/mena/gouvernance/anti-corruption-tunisie.htm
← 10. Il s’agit de la plateforme « SOS Femmes Violences », visitable en suivant ce lien : http://www.sosfemmesviolences.tn/?page_id=10396&lang=fr.
← 11. Table ronde avec des OSC, 29 avril 2021.
← 12. Entretien avec un membre de l’ARP, 9 juin 2021 ; entretien avec l’administration de l’ARP, 11 juin 2021.
← 13. Règlement intérieur de l’ARP, adopté lors de la séance plénière du lundi 2 février 2015.
← 14. Entretien avec un membre de l’ARP, 9 juin 2021 ; entretien avec l’administration de l’ARP, 11 juin 2021.
← 15. La plupart des fonctionnaires publics interrogés ont cité la faiblesse des moyens disponibles comme un des défis principaux pour une plus grande participation citoyenne.
← 16. Si l’estimation de 800 000 fonctionnaires publics, souvent citée, est correcte, le pourcentage d’employés publics sur le total de la population employée (4 188 200 selon les dernières données de l’Institut national des statistiques pour le troisième trimestre 2020 et 4 107 933 selon la Banque mondiale pour 2020) se situe entre 19 % et 20 %, ce qui est plus élevé que la moyenne des pays de l’OCDE (17.9 % en 2019 tel qu’indiqué dans le rapport Panorama des administrations publiques 2021 de l’OCDE) ; (Institut National de la Statistique, 2020[57] ; Banque mondiale, 2021[58] ; OCDE, 2021[56]).
← 17. Table ronde avec des OSC, 29 avril 2021.
← 18. Entretiens avec des OSC, 14 juin et 4 août et 2021.
← 19. Séance de consultation de la société civile, Tunis, 26 février 2021.
← 20. Séance de consultation de la société civile, Tunis, 26 février 2021 ; table ronde avec des OSC, 29 avril 2021 ; entretien avec une OSC, 20 mai 2021.
← 21. Séance de consultation de la société civile, Tunis, 26 février 2021.
← 22. Pour une analyse de l’impact de la pandémie sur les principes du gouvernement ouvert, du gouvernement numérique et l’innovation publique dans le monde : OCDE (2020[55]), The Covid-19 Crisis: A Catalyst for Government Transformation?, Éditions OCDE, Paris.
← 23. Entretien avec une OSC de défense des droits des minorités, 6 mai 2021.
← 24. Séance de consultation de la société civile, Tunis, 26 février 2021 ; table ronde avec des OSC, 29 avril 2021.
← 25. Entretien avec la Présidence du gouvernement, 18 novembre 2021.
← 26. Séance d’information et de consultation de la société civile organisée par la Direction générale de la relation avec la société civile et la Direction générale de la relation avec les instances constitutionnelles auprès de la Présidence du gouvernement et l’OCDE le 26 février 2021.