Le présent chapitre examine les tendances passées, récentes et futures enregistrées sur le marché du travail par les travailleurs de la classe moyenne et leurs familles. Il s’attache dans un premier temps à analyser les professions occupées par les travailleurs de la classe moyenne et les évolutions constatées dans ce domaine au cours des dernières décennies. Il étudie ensuite les conséquences de la polarisation du marché du travail et de l’essor des formes de travail atypiques sur la catégorie des revenus intermédiaires en termes d’emplois et de salaires. Il analyse aussi l’incidence des mutations en cours sur le marché du travail et de l’évolution démographique sur la probabilité qu’ont les ménages de se situer dans la classe moyenne. Enfin, il évalue les risques d’automatisation auxquels sont exposées les professions actuellement occupées par les travailleurs aux revenus intermédiaires, ainsi que leurs perspectives en termes d’évolution de l’emploi.
Sous pression : la classe moyenne en perte de vitesse
Chapitre 3. Où sont les emplois de la classe moyenne ?
Abstract
Les données statistiques concernant Israël sont fournies par et sous la responsabilité des autorités israéliennes compétentes. L’utilisation de ces données par l’OCDE est sans préjudice du statut des hauteurs du Golan, de Jérusalem-Est et des colonies de peuplement israéliennes en Cisjordanie aux termes du droit international.
Introduction et principaux résultats
La polarisation des marchés du travail se poursuit, tandis que les nouvelles technologies remplacent de nombreux emplois moyennement qualifiés1 composés de tâches répétitives par de nouveaux emplois hautement qualifiés et peu qualifiés. La contraction du nombre relatif d’emplois moyennement qualifiés est souvent considérée comme l’un des facteurs à l’origine de la contraction de la classe moyenne dans les pays de l'OCDE. Néanmoins, l’évolution de la répartition des niveaux de qualification entre les différentes catégories de revenus pourrait remettre en question le principe selon lequel certains types d’emplois donnent accès à certaines catégories de revenus, avec à la clé des frustrations susceptibles de générer des tensions sociales.
La composition des ménages à revenu intermédiaire et leurs profils sur le plan de l’emploi changent. Conformément aux grandes tendances démographiques, ces ménages sont de plus en plus composés de personnes célibataires. Si les couples à deux revenus restent la clé de voûte de la classe moyenne, le maintien de leur niveau de revenu dépend de plus en plus de l’aptitude d’au moins un des deux membres du ménage à occuper un emploi hautement qualifié.
Alors que les parts des emplois peu qualifiés et hautement qualifiés sur le marché du travail augmentent par rapport à celle des emplois moyennement qualifiés, les salaires les plus élevés progressent plus vite que les salaires situés au milieu et au bas de l’échelle de rémunération ; l’écart entre ces deux niveaux de rémunération s’est d’ailleurs creusé ou est resté stable. Dans ce contexte et contrairement au phénomène constaté sur le front des emplois, on n’observe pas de polarisation des salaires (c’est-à-dire de hausse plus marquée au sommet et au bas de l’échelle des salaires), mais bien un accroissement des inégalités de salaire (c’est-à-dire une progression plus rapide des salaires les plus élevés uniquement).
Face à la rapidité des innovations dans les domaines de l’automatisation et du numérique, nombre de personnes craignent que la technologie ne débouche sur un chômage de masse à l’avenir. Les données disponibles laissent à penser que les individus sont de plus en plus préoccupés par les retombées des progrès technologiques sur l’emploi. Ce chapitre examine également le risque d’automatisation auquel sont exposées les professions actuellement exercées par les travailleurs aux revenus intermédiaires, ainsi que leurs perspectives sur le plan de l’emploi.
Les analyses menées aux fins du présent chapitre et les données recueillies permettent de tirer plusieurs conclusions :
On compte aujourd’hui moins de ménages d’âge actif dans la catégorie des revenus intermédiaires qu’il y a trente ans. La probabilité de percevoir des revenus intermédiaires a diminué, à la fois dans les ménages dont le chef a un emploi (« ménages actifs occupés ») et dans ceux dont le chef est sans emploi (« ménages sans emploi »). Parmi les ménages actifs occupés, la contraction a été modérée et s’est traduite par une progression au bas et au sommet de l’échelle des revenus. Les ménages sans emploi aux revenus intermédiaires ont en revanche subi des pressions beaucoup plus fortes, qui ont conduit un grand nombre d’entre eux à basculer dans la catégorie des bas revenus.
Il n’existe pas d’emploi moyennement rémunéré type. Si les emplois occupés par la plus grande partie des ménages à bas revenus et à hauts revenus sont concentrés dans quelques professions, les travailleurs aux revenus intermédiaires exercent une grande diversité de métiers. Ces vingt dernières années, les professions intellectuelles et scientifiques ont remplacé les métiers qualifiés de l’industrie et de l’artisanat comme la catégorie professionnelle la plus représentée parmi les travailleurs à revenus intermédiaires. Il n’y a que dans quelques pays que les travailleurs moyennement qualifiés sont encore les plus nombreux au sein de la classe moyenne.
La polarisation du marché de l’emploi n’a eu que peu d’effet sur la taille de la classe moyenne, la contraction du nombre d’emplois moyennement qualifiés ayant été globalement compensée par une hausse du nombre d’emplois hautement qualifiés.
La relation entre le niveau de qualification et la catégorie de revenus a évolué. En effet, les niveaux de qualification ne donnent plus systématiquement accès à la catégorie de revenus qui leur était traditionnellement associée. Dorénavant, les travailleurs moyennement qualifiés ont plus de chances d’appartenir à la catégorie inférieure des revenus plutôt qu’à celle des revenus intermédiaires. Les travailleurs hautement qualifiés sont aussi moins susceptibles d’accéder à la catégorie des hauts revenus, tandis que les personnes peu qualifiées se concentrent de plus en plus dans la catégorie des bas revenus.
Pour entrer dans la catégorie des revenus intermédiaires, les ménages ont non seulement besoin de compter deux apporteurs de revenus mais aussi, de plus en plus, de compter au moins un apporteur de revenu hautement qualifié. L’évolution de la probabilité qu’un ménage à deux revenus accède à la catégorie des revenus intermédiaires dépend de son niveau de qualification. Les ménages actifs occupés dont au moins l’un des deux membres est hautement qualifié ont désormais plus de chances d’avoir des revenus intermédiaires et moins de chances d’avoir de hauts revenus. Quant aux couples comptant deux apporteurs de revenus qui ne sont pas hautement qualifiés, leurs chances de rester dans la catégorie des revenus intermédiaires sont les mêmes, mais ils sont désormais plus nombreux au bas de l’échelle des revenus et moins nombreux au sommet.
Un travailleur à revenu intermédiaire sur six occupe un emploi qui est fortement exposé au risque d'automatisation, contre un travailleur faiblement rémunéré sur cinq et un travailleur hautement rémunéré sur neuf.
3.1 La situation des ménages aux revenus intermédiaires au regard de l’emploi
Cette section présente les catégories de revenus auxquelles appartiennent les ménages ayant à leur tête un actif occupé – ci-après désignés comme les « ménages actifs occupés », ainsi que l’évolution constatée à cet égard au cours des dernières décennies.
3.1.1 La plupart des ménages actifs occupés restent dans la catégorie des revenus intermédiaires, même s’ils y sont moins nombreux qu’avant
La plus grande partie des ménages actifs occupés se situent dans la catégorie des revenus intermédiaires, même s’ils y sont moins nombreux qu’il y a une trentaine d’années (Graphique 3.1, partie A) : à l’échelle de l'OCDE, deux tiers de ces ménages se situaient dans la catégorie des revenus intermédiaires au milieu des années 2010, soit une proportion légèrement inférieure à celle constatée dans les années 1980. À titre de comparaison, sur la même période, la probabilité que les ménages actifs occupés se situent dans la catégorie des bas revenus et des hauts revenus a augmenté, d’où une légère polarisation des revenus des ménages actifs occupés aujourd’hui.
Dans 16 des 20 pays de l'OCDE pour lesquels on dispose de données, les ménages actifs occupés sont aujourd’hui moins nombreux dans la catégorie des revenus intermédiaires (Graphique 3.1, partie B). Au cours des 20 ans écoulés entre le milieu des années 90 et celui des années 2010, la part des ménages actifs occupés dans la catégorie des revenus intermédiaires a augmenté au Chili, en Italie et au Mexique ; pour autant, cette hausse n’a été réellement marquée qu’au Chili. Dans tous les autres pays, cette proportion a nettement reculé, surtout au Canada, en Israël, en Pologne, en République slovaque et au Royaume-Uni. Et dans la plupart des pays, l’augmentation de la proportion de ménages actifs occupés dans les catégories des bas revenus et des hauts revenus s’est accompagnée d’une contraction de leur représentation dans celle des revenus intermédiaires. La France, la Hongrie, le Royaume-Uni et la Suisse, où la part des ménages actifs occupés a augmenté dans la catégorie des revenus inférieurs, font exception, de même que l’Allemagne, les États-Unis, Israël et la République tchèque où la progression du nombre de ménages actifs occupés s’est principalement concentrée au sommet de l’échelle des revenus.
3.1.2 Quels sont les emplois occupés par les travailleurs aux revenus intermédiaires ?
Il n’existe pas d’emploi moyennement rémunéré type. Si les emplois occupés par les chefs de ménages appartenant aux catégories des revenus inférieurs et supérieurs s’inscrivent dans un éventail restreint de catégories professionnelles, les travailleurs aux revenus intermédiaires exercent des activités plus diverses. Dans la zone OCDE, au moins 10 % des chefs de ménages de la catégorie des revenus intermédiaires occupent des emplois correspondant aux professions intellectuelles et scientifiques, aux professions intermédiaires, aux professions administratives, aux services, au commerce et aux métiers qualifiés de l'industrie et de l'artisanat (Graphique 3.2). Les chefs des ménages modestes travaillent quant à eux principalement dans les services et le commerce, dans les professions élémentaires et dans les métiers qualifiés de l'industrie et de l'artisanat, tandis que leurs homologues appartenant aux catégories de revenus supérieures exercent principalement des professions intellectuelles et scientifiques, des professions intermédiaires et des fonctions de direction.
Les professions intellectuelles et scientifiques ont remplacé les métiers qualifiés de l’industrie et de l’artisanat comme la catégorie professionnelle la plus représentée parmi les travailleurs à revenu intermédiaire. Entre le milieu des années 1990 et le milieu des années 2010, la part des professions intellectuelles et scientifiques a augmenté dans toutes les catégories de revenus, de même que celle des professions intermédiaires. Dans les années 1990, les métiers qualifiés de l'industrie et de l'artisanat représentaient la catégorie professionnelle la plus représentée parmi les classes inférieures et supérieures. Toutefois, au milieu des années 2010, ce sont les professions intellectuelles et scientifiques qui étaient la catégorie professionnelle la plus représentée parmi les travailleurs à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, contre les professions de service parmi les travailleurs à bas revenus. Les professions intellectuelles et scientifiques étaient aussi la catégorie professionnelle la plus représentée parmi les travailleurs à hauts revenus au milieu des années 2010, puisqu’ils étaient plus d’un tiers à les exercer, contre un quart au milieu des années 1990.
3.2 Polarisation du marché du travail
Cette section examine l’incidence qu’ont, sur les ménages aux revenus intermédiaires, la polarisation des emplois et l’évolution de la situation des membres du ménage au regard de l’emploi. La polarisation des emplois (c’est-à-dire la contraction relative de la part des emplois moyennement qualifiés par rapport à celles des emplois peu et hautement qualifiés) est souvent considérée comme l’un des facteurs à l’origine du déclin de la classe moyenne dans les pays de l'OCDE. L’analyse ci-après vise à déterminer si cette hypothèse est justifiée, et si oui en quoi2.
3.2.1 La polarisation a entraîné un net rééquilibrage vers les professions hautement qualifiées
Les dernières décennies ont été marquées par une polarisation des marchés du travail dans la zone OCDE. Les nouvelles technologies ont remplacé les hommes dans de nombreux métiers moyennement qualifiés impliquant des tâches répétitives entre les années 1990 et les années 2010, mais elles ont aussi créé de nouveaux emplois peu qualifiés et hautement qualifiés (OCDE, 2017[1] ; Autor, 2015[2]). Il ressort de travaux récemment conduits par l'OCDE que, dans la plupart des pays, la part des emplois relevant des professions moyennement qualifiées a diminué par rapport à celles des professions hautement et peu qualifiées depuis le milieu des années 1990 (OCDE, 2017[1]). L'OCDE démontre en outre que la polarisation des professions est étroitement associée à l’évolution de la répartition des professions dans les secteurs, même si la désindustrialisation (c’est-à-dire le transfert des emplois du secteur manufacturier vers celui des services) joue également un rôle déterminant. Par ailleurs, la polarisation des emplois et la désindustrialisation semblent toutes deux étroitement liées aux progrès technologiques. Néanmoins, les données attestant d’un lien entre polarisation des emplois et mondialisation3 sont plus rares.
La polarisation des emplois a entraîné un net transfert des emplois vers les professions hautement qualifiées dans la plupart des pays de l'OCDE. En moyenne dans les 21 pays de l'OCDE pour lesquels on dispose de données (voir Encadré 3.1), la part des professions moyennement qualifiées dans l’emploi a diminué de 8 points de pourcentage, tandis que celle des professions peu qualifiées a reculé de 2 points environ ; la part des professions très qualifiées a quant à elle augmenté de 10 points (Graphique 3.3). S’est en effet opéré un transfert vers les emplois très qualifiés dans la plus grande partie des pays, la part des emplois moyennement qualifiés ayant diminué dans 19 pays, à l’exception du Mexique et de la République slovaque où elle a augmenté. La progression de la part des emplois hautement qualifiés a compensé ce recul, sauf aux États-Unis, en Grèce et en Hongrie. Dans ces pays, ce sont les professions peu qualifiées qui ont le plus progressé, mais leur part dans l’emploi a diminué dans plusieurs autres pays. Il n’y a qu’en Belgique qu’elles ont accusé un repli plus marqué que les emplois moyennement qualifiés. Dans l’ensemble, ce sont les emplois moyennement qualifiés qui ont perdu du terrain par rapport aux emplois peu qualifiés et aux emplois très qualifiés, ces derniers ayant enregistré la plus forte progression.
Encadré 3.1. Mesurer l’impact qu’ont, sur la classe moyenne, la polarisation des emplois et les caractéristiques des ménages en matière d’emploi
Classe moyenne
Un ménage est considéré comme appartenant à la classe moyenne si son revenu disponible est compris entre 75 % et 200 % du revenu médian national des ménages au cours d’une année donnée (voir chapitre 2.1.2).
Professions
Le niveau de qualification d’un emploi est défini conformément à la troisième version de la Classification internationale type des professions – CITP-88. Tous les pays ont modifié leur système de classification des professions, afin de leur attribuer des codes à 2 chiffres correspondant à ceux utilisés dans la CITP.
Les travailleurs peu qualifiés sont les employés non qualifiés des services et de la vente et les ouvriers et employés non qualifiés (groupes 5 et 9 de la CITP).
Les travailleurs moyennement qualifiés sont les employés de type administratif, les artisans et ouvriers des métiers de type artisanal, et les conducteurs d'installations et de machines et ouvriers de l'assemblage (groupes 4, 7 et 8 de la CITP).
Les travailleurs hautement qualifiés sont les dirigeants et cadres supérieurs d’entreprise, les professions intellectuelles et scientifiques, et les professions intermédiaires (groupes 1, 2 et 3 de la CITP).
Les données européennes postérieures à 2010 ont été converties de la CITP-08 à la CITP‑88 en appliquant la méthodologie suivante. Pour harmoniser la classification CITP-08 et celle de 1988, on s’est appuyé sur des données issues des deux vagues consécutives des enquêtes de l’Union européenne sur la population active entre lesquelles la classification a été révisée. En ayant recours à la logique floue, cette méthode permet de faire concorder le nouveau code et l’ancien code de la classification des professions, au moyen d’une technique plusieurs-à-plusieurs. Les données sur l'emploi pour le Canada et les États-Unis ont été transposées de leurs classifications des professions respectives (SOC 2000) aux classifications correspondantes de la CITP-88.
Adultes actifs occupés
Les adultes actifs occupés sont définis comme des personnes âgées de 16 à 64 ans qui travaillent habituellement comme salariés ou pour leur propre compte pendant la période de référence retenue pour calculer le revenu.
Ménages actifs occupés
Les ménages actifs occupés sont ceux qui comptent au moins un adulte actif occupé et ne comprennent pas de personne à la retraite.
Source : Les estimations sont fondées sur des données issues de l’étude Luxembourg Income Study (LIS, www.lisdatacenter.org) pour l’Allemagne (1994, 2013), l’Australie (1995, 2010), le Canada (1994, 2010), l’Estonie (2000, 2013), les États-Unis (1994, 2013), la Hongrie (1994, 2012), le Mexique (1994, 2012), la République slovaque (1996, 2013), la République tchèque (1996, 2013) et le Royaume-Uni (1994, 2013). Elles reposent sur des données extraites du Panel communautaire des ménages (PCM) et de l’enquête de l'Union européenne sur le revenu et les conditions de vie (EU-SILC) pour l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la France, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, et les Pays-Bas. Les données concernant ces pays correspondent aux moyennes pondérées des échantillons de 1995‑2000 du PCM pour le milieu des années 90 et des échantillons de 2009‑14 de l’EU‑SILC pour le milieu des années 2010.
Le net rééquilibrage vers les professions hautement qualifiées est la raison pour laquelle la polarisation des emplois n’a pas débouché sur un recul généralisé de la proportion de travailleurs aux revenus intermédiaires. En fait, si la contraction de la part des emplois moyennement qualifiés a globalement réduit le nombre de travailleurs dans les ménages aux revenus intermédiaires, l’augmentation de la part des emplois très qualifiés sur le marché du travail a eu l’effet inverse. Par conséquent, la principale explication à la fois de la progression et de la contraction de la proportion globale de travailleurs aux revenus intermédiaires n’est pas liée à la variation du poids des différentes catégories professionnelles (c’est-à-dire la polarisation des emplois), mais bien au fait que la distribution de ces professions entre les différentes catégories de revenus a changé – même à taille constante (Manfredi et Salvatori, à paraître[3]). Les variations relativement modestes de la taille de la catégorie des revenus intermédiaires masquent donc deux constats très importants pour l’action publique :
1. La composition de la classe moyenne en termes de catégories professionnelles a considérablement évolué.
2. La probabilité des différents niveaux de qualification d’accéder à la classe moyenne a évolué ces vingt dernières années.
Niveau de qualification des travailleurs aux revenus intermédiaires
Les travailleurs hautement qualifiés sont désormais plus nombreux que leurs homologues moyennement qualifiés dans la catégorie des revenus intermédiaires. En effet, leur proportion a augmenté dans tous les pays considérés entre le milieu des années 1990 et le milieu des années 2010, la moyenne de l'OCDE étant passée de 35 % à 47 % sur la période (Graphique 3.4). Même si cette progression s’inscrit dans le cadre plus vaste de l’augmentation généralisée de la part des travailleurs hautement qualifiés, elle a été particulièrement prononcée dans la catégorie des revenus intermédiaires. L’une des raisons en est que les travailleurs moyennement qualifiés peinent de plus en plus à conserver leur place dans la catégorie des revenus intermédiaires, tandis que les travailleurs très qualifiés peinent quant à eux à entrer dans la catégorie des revenus supérieurs. En fait, la part des travailleurs moyennement qualifiés dans la catégorie des revenus intermédiaires a reculé de 41 % à 32 %, à l’exception du Mexique et de la République slovaque où elle est restée stable (Graphique 3.5).
La corrélation entre le niveau de qualification et la catégorie de revenus s’affaiblit
Les niveaux de qualification permettent de moins en moins d’accéder à la catégorie de revenus à laquelle ils étaient traditionnellement associés. Les travailleurs hautement qualifiés, par exemple, sont de moins en moins susceptibles d’appartenir à la catégorie des hauts revenus dans la plupart des pays (Graphique 3.5) : alors qu’ils représentaient un quart des travailleurs de cette catégorie de revenus au milieu des années 1990, ils n’étaient plus qu’un cinquième 20 ans plus tard. De la même manière, alors que la plupart des travailleurs moyennement qualifiés vivent dans des ménages aux revenus intermédiaires, la probabilité qu’ils appartiennent à la catégorie des bas revenus a augmenté dans 14 pays. Dans 12 d’entre eux, on constate que de plus en plus de travailleurs peu qualifiés et de travailleurs moyennement qualifiés basculent dans la catégorie des bas revenus4.
L’évolution de la situation des différents niveaux de qualification peut aider à expliquer une partie de la frustration sociale qui est au cœur du débat politique en cours depuis quelques années. Il est de moins en moins possible d'obtenir le même niveau de revenu que par le passé pour certains emplois et certains niveaux de qualification. Dans la plupart des pays, les travailleurs hautement qualifiés ont moins de chances d’accéder à la catégorie des hauts revenus, tandis que les travailleurs peu et moyennement qualifiés ont moins de chances d’accéder à celle des revenus intermédiaires.
3.2.2 Évolutions structurelles des ménages actifs occupés
Les évolutions observées sur le marché du travail et sur le plan démographique ont profondément modifié la structure de l'emploi par profession et la situation au regard de l'emploi des ménages aux revenus intermédiaires.
On compte plus d’adultes célibataires et moins de couples à un seul apporteur de revenu dans la catégorie des revenus intermédiaires
De plus en plus, les ménages actifs occupés aux revenus intermédiaires sont composés d’adultes célibataires, tandis que la part des couples à deux apporteurs de revenu reste globalement stable et que celle des couples à un seul apporteur de revenu recule. Ces tendances reflètent, dans une large mesure, l’évolution de la composition des ménages dans toutes les catégories de revenus. La part des ménages composés d'un adulte célibataire dans la catégorie des revenus intermédiaires est en hausse dans la plupart des pays, puisqu’elle est passée en moyenne de 30 % à 37 % entre le milieu des années 1990 et le milieu des années 2010 (Graphique 3.6).
La part des ménages à un seul apporteur de revenu dans la catégorie des revenus intermédiaires diminue : de près d’un quart, elle a ainsi reculé à moins d’un cinquième, avec des contractions particulièrement marquées en Espagne, au Luxembourg et au Mexique. En fait, il n’y a que dans cinq pays que les ménages à un seul apporteur de revenu représentent plus d’un cinquième de la catégorie des revenus intermédiaires.
La proportion de couples à deux apporteurs de revenu dans la catégorie des revenus intermédiaires est restée stable, en moyenne, même si l’on observe des variations d’un pays à l’autre. Au Danemark, en République tchèque et en Belgique, elle a considérablement diminué mais a, en revanche, massivement augmenté en Autriche, en Espagne et au Mexique.
Niveaux de qualification et de revenu pour les ménages à deux revenus
Les ménages à deux revenus qui comptent un ou deux travailleurs hautement qualifiés sont plus susceptibles qu’il y a vingt ans d’appartenir à la catégorie des revenus intermédiaires – principalement parce qu’ils ont de moins en moins de chances d’accéder à la catégorie des hauts revenus. La probabilité des ménages à deux revenus de se situer dans la catégorie des revenus intermédiaires dépend de leur niveau de qualification, mais elle varie aussi selon les pays et dans le temps. À l’échelle de la zone OCDE, les ménages dont au moins un membre est hautement qualifié ont plus de chances d’appartenir à la catégorie des revenus intermédiaires et moins de chances d’accéder à la catégorie des hauts revenus qu’au milieu des années 90 (Graphique 3.7, partie A). Toutefois, certains pays vont à contre-courant de cette tendance. Au Danemark et aux États-Unis, les couples à deux revenus comptant au moins un travailleur hautement qualifié sont aujourd’hui plus susceptibles d’appartenir à la catégorie des hauts revenus qu’à celle des bas revenus. Au Canada et en Estonie, leur probabilité d’appartenir à la catégorie des revenus intermédiaires a reculé, étant donné qu’ils font face à un risque accru de relever de la catégorie des bas revenus.
En moyenne dans les pays de l'OCDE, les couples qui ne comptent aucun travailleur hautement qualifié ont autant de chances de relever de la catégorie des revenus intermédiaires qu’il y a vingt ans, alors qu’ils ont plus de chances d’appartenir à la catégorie des bas revenus et moins de chances d’accéder à celle des hauts revenus (Graphique 3.7, partie B). Dans cinq pays, ils sont plus susceptibles d’entrer dans la catégorie des revenus intermédiaires, même si cela tient à chaque fois (à l’exception de l’Italie) à leur plus faible probabilité d’accéder au sommet de l’échelle des revenus. Il n’y a qu’en Autriche et en Belgique que les couples à deux revenus dont aucun membre n’est hautement qualifié sont plus susceptibles que par le passé d’appartenir à la catégorie des hauts revenus.
3.3 Distribution des salaires
La présente section examine l’incidence de la polarisation des emplois sur la distribution des salaires. Elle s’attache en particulier à l'évolution des salaires au milieu de l’échelle de distribution, comparativement aux salaires situés au bas et au sommet de cette distribution.
La polarisation des emplois est davantage synonyme d’inégalités de salaires que de polarisation des salaires. Dans la plupart des marchés du travail où l’on a observé une polarisation des emplois, les salaires ont augmenté rapidement au sommet de la distribution, mais pas au bas de celle-ci. Dans une majorité de pays de l’OCDE, l’écart entre les salaires intermédiaires et les bas salaires est resté stable ou s’est creusé (Graphique 3.8). Aucun processus de polarisation des salaires n'a été donc observé (c'est-à-dire qu'ils n'ont pas augmenté moins vite au milieu de la distribution qu'au sommet et au bas de celle-ci), mais en revanche les inégalités se sont accrues (en d'autres termes, l'augmentation a été plus rapide aux niveaux supérieurs de rémunération)5.
Aux États-Unis, les hauts salaires augmentent plus vite que les salaires intermédiaires depuis les années 1980, ce qui accentue les inégalités (Spletzer et Handwerker, 2014[4] ; Verdugo, 2014[5]). Seules les années 90 ont été marquées par une polarisation des salaires. Par rapport aux salaires situés au milieu de l’échelle de distribution, les bas salaires ont reculé dans les années 1980 et sont restés stables dans les années 2000 (Acemoglu et Autor, 2011[6] ; Autor, 2015[2]). La lenteur des gains de productivité et la forte élasticité de l’offre de main-d’œuvre pourraient en partie expliquer pourquoi les professions peu qualifiées ont augmenté en nombre mais pas en rémunération par rapport aux professions moyennement qualifiées (Autor, 2015[2]). Certaines observations sur les pays de l'OCDE confirment également que la montée des inégalités au sommet de la distribution des salaires est plus généralisée et plus intense qu'en bas (Atkinson, 2008[7]).
Des données récentes laissent à penser qu'en ce qui concerne les pays européens, « la dynamique du marché de l'emploi n'a pas engendré d'évolution en matière d'inégalité salariale au cours de la dernière décennie ». Malgré les mutations d’ampleur observées dans la structure des professions au lendemain de la crise financière mondiale, la plupart des évolutions constatées dans les inégalités salariales entre 2005 et 2014 ont été le fruit d’évolutions intervenues dans la distribution des salaires au sein de chaque catégorie professionnelle plutôt qu’entre ces catégories (Eurofound, 2017[8]).
3.4 Emploi atypique et sécurité de la classe moyenne
La généralisation des formes atypiques d’emploi sur le marché du travail peut avoir accru le sentiment d’insécurité et d’anxiété dans la classe moyenne. L'emploi atypique comprend les emplois temporaires, le travail à temps partiel et le travail indépendant. S'il permet plus de souplesse dans l'organisation du travail, il offre en revanche moins de protection, de droits sociaux, de possibilités de formation et de visibilité sur la rémunération, autant d’éléments qui correspondent généralement aux préférences de la classe moyenne. Dans cette section, on examinera l’incidence de l’évolution du travail à temps partiel et du travail indépendant sur la classe moyenne6.
Il est rare que des ménages aux revenus intermédiaires aient à leur tête des travailleurs à temps partiel. Dans les 17 pays de l'OCDE pour lesquels on dispose de données, 8 % seulement des ménages actifs occupés aux revenus intermédiaires ont un chef de famille travaillant à temps partiel (Graphique 3.9). Cette proportion est plus importante parmi les ménages pauvres et à bas revenus, et moindre parmi les ménages à hauts revenus. On trouve une forte proportion de travailleurs à temps partiel comme chefs de famille dans les ménages aux revenus intermédiaires aux Pays-Bas, en Irlande, en Autriche, en Suisse, en Allemagne et en Israël. Aux Pays-Bas, la part des ménages ayant un chef de famille qui travaille à temps partiel est plus importante dans la catégorie des hauts revenus que dans les autres. Dans les économies émergentes, le nombre de ménages pauvres ayant un chef de famille travaillant à temps partiel est particulièrement élevé : plus d’un ménage sur cinq en Russie et en Afrique du Sud et un ménage sur trois au Brésil.
Les travailleurs à temps partiel sont plus souvent chefs de ménages aux revenus intermédiaires qu’il y a une trentaine d’années. La proportion d’individus vivant dans des ménages à revenu intermédiaire où le principal apporteur de revenu travaille à temps partiel a plus que doublé au cours des trois dernières décennies. Dans les 15 pays de l’OCDE pour lesquels on dispose de données, leur part est passée d’en moyenne 3 % à 7.5 % entre le milieu des années 1980 et le milieu des années 2010. Aux Pays-Bas, en Suisse et en Irlande, la probabilité qu’un travailleur à temps partiel soit chef de famille dans un ménage à revenu intermédiaire a augmenté de 10 points de pourcentage, voire plus. En revanche, cette probabilité n’a guère évolué au Canada, en Hongrie, au Mexique, en République tchèque et en République slovaque.
Les travailleurs indépendants représentent une part importante des ménages actifs occupés aux revenus intermédiaires, même si elle est inférieure à celles constatées dans les ménages pauvres et à hauts revenus. Dans les 21 pays de l'OCDE pour lesquels on dispose de données, les travailleurs indépendants sont à la tête de 9 % des ménages à revenu intermédiaire (Graphique 3.10), dans une fourchette comprise entre moins de 4 % en Estonie à près de 20 % au Mexique. Cette proportion est plus élevée dans les ménages pauvres, à 12 %, et elle est particulièrement élevée dans la catégorie des hauts revenus, à 21 %. Quant aux ménages à bas revenus, 7 % d’entre eux ont un travailleur indépendant comme chef de famille.
Dans certaines économies émergentes, une part considérable des ménages aux revenus intermédiaires ont pour chef de famille des travailleurs indépendants. Ainsi, au Brésil et en Chine, ils sont plus de 20 % dans ce cas, cette proportion étant toutefois inférieure en Afrique du Sud et en Russie.
Dans la plupart des pays, les travailleurs indépendants sont moins souvent chefs de famille dans des ménages à revenu intermédiaire qu'il y a une trentaine d'années. Dans les 20 pays de l'OCDE pour lesquels on dispose de données, la proportion moyenne de ménages à revenu intermédiaire ayant un travailleur indépendant comme chef de famille a reculé de 2 points de pourcentage entre le milieu des années 1980 et le milieu des années 2010. Ce recul a été particulièrement marqué en Espagne, en Irlande, en Italie, au Mexique, et en Norvège. Il n’y a qu’en Autriche que cette proportion a fortement augmenté.
3.4 L'avenir des emplois de la classe moyenne
Les innovations rapides en matière d'automatisation et de transformation numérique alimentent les craintes que la technologie ne débouche sur un chômage massif à l'avenir. Nous évaluons dans cette section le risque d'automatisation des emplois actuellement occupés par les travailleurs à revenu intermédiaire et les perspectives d'évolution de l'emploi dans ces professions. S’il ne s’agit pas d’établir de prévisions7, cette évaluation vise à illustrer l’ampleur potentielle des mutations qui s’annoncent au cours des prochaines décennies sur le marché du travail pour les travailleurs à revenu intermédiaire actuels, et à apporter un éclairage sur cette question.
3.4.1 Risque d’automatisation des emplois moyennement rémunérés
L'anxiété grandit au sein des populations quant à l'impact de la technologie sur l'emploi (Mokyr, Vickers et Ziebarth, 2015[9]). D'après une enquête nationale réalisée aux États-Unis par le Pew Research Center (2016[10]), deux tiers des familles américaines à revenu intermédiaire pensent que, dans 50 ans, les robots et les ordinateurs effectueront « certainement » ou « probablement » une grande partie des tâches réalisées aujourd'hui par les êtres humains. En Europe, plus des deux tiers de la population pensent que les robots et l'intelligence artificielle détruiront davantage d'emplois qu'ils n'en créeront (Commission européenne, 2017[10]).
De tout temps, l’innovation technologique a contribué à la croissance de l’emploi, et c’est encore le cas aujourd’hui. Cela tient notamment au fait que les progrès technologiques récents sont à l’origine de nouveaux emplois, comme ceux de webmasters ou de concepteurs de logiciels. Selon une étude réalisée aux États-Unis, au cours des trente dernières années, la croissance de l'emploi a été plus forte dans les professions caractérisées par un nombre plus élevé de nouveaux intitulés de postes (Acemoglu et Restrepo, 2016[11]). Surtout, et selon les caractéristiques propres aux marchés du travail et de produits concernés, les progrès technologiques tendent à améliorer la productivité, ce qui se traduit par une hausse des revenus et une baisse des prix (Bessen, 2018[12] ; Acemoglu et Restrepo, 2018[13]). Cela accroît la demande de produits et de services dans l’économie, avec à la clé une augmentation de la demande de main-d’œuvre même dans les secteurs qui ne sont pas directement concernés par l’innovation (Autor et Salomons, 2018[14]).
Les mutations qu’engendre la technologie s’agissant de la nature et de l’organisation du travail peuvent toutefois accentuer les inégalités. Un tel phénomène se produit lorsque la technologie réduit la demande de compétences qui sont abondamment représentées dans la main-d’œuvre et accroît celle qui porte sur des qualifications plus difficiles à trouver. Tant que le décalage entre l'offre et la demande de qualifications n'est pas résolu, les nouveaux emplois en question risquent de creuser les écarts de rémunération et de réduire la place des travailleurs aux revenus intermédiaires (Zia, 2017[15]).
C’est pour cette raison qu’il est primordial de déterminer dans quelle mesure les emplois occupés par les travailleurs aux revenus intermédiaires sont exposés aux fluctuations de la demande qui pourraient découler des progrès technologiques futurs. Pour évaluer le nombre et la nature des emplois susceptibles d’être concernés au cours des décennies à venir, différentes études par pays se sont appuyées sur les estimations d’experts quant aux professions les plus exposées aux risques d’automatisation à l’avenir ( (Brzeski, C., Fechner, 2018[16] ; Frey et Osborne, 2017[17]). Il est évident que leur automatisation dépendra d’un ensemble de facteurs qui ne se limitent pas à la seule technologie, y compris de certains déterminants influencés par les politiques publiques, comme l’offre de compétences ou la dynamique des salaires. Néanmoins, ces études apportent des indications utiles quant aux pressions que pourraient exercer les progrès technologiques futurs sur la classe moyenne.
Selon des estimations récentes de l'OCDE, la probabilité qu'un emploi classique soit automatisé est estimée à 47 % en moyenne à l’échelle de l'OCDE (Nedelkoska et Quintini, 2018[18]). 14 % des emplois sont exposés à un risque élevé d’automatisation (supérieur à 70 %), tandis que ce risque est compris entre 50 et 70 % pour 33 % d’autres emplois8. Les emplois les plus exposés au risque d’automatisation sont ceux qui contiennent des tâches répétitives et qui sont peu qualifiés et faiblement rémunérés. Les personnes les plus menacées sont les travailleurs peu qualifiés et les jeunes, tandis que les travailleurs moins menacés sont très divers, des professions intellectuelles et scientifiques aux travailleurs des services sociaux. Au niveau des pays, la proportion d'emplois fortement exposés au risque d'automatisation varie de 33 % en République slovaque à 6 % environ en Norvège. D’une manière générale, les emplois sont moins susceptibles d'être automatisés aux Pays-Bas, dans les pays anglophones et dans les pays nordiques que dans les pays d’Europe de l’Est et du Sud, en Allemagne, au Chili et au Japon (Nedelkoska et Quintini, 2018[18]).
Dans les 18 pays de l'OCDE pour lesquels on dispose de données, 18 % en moyenne des travailleurs aux revenus intermédiaires exercent des professions fortement exposées au risque d’automatisation. Cette proportion est plus proche de 22 % pour les travailleurs à bas revenus, tandis qu’elle ne s’élève qu’à 11 % pour les travailleurs à hauts revenus (Graphique 3.11). Au niveau des pays, l’Espagne, la Grèce, Israël, la Pologne, la République slovaque et la Slovénie comptent au moins un travailleur à revenu intermédiaire sur cinq dans des professions fortement exposées au risque d’automatisation, contre moins d’un sur dix en Corée, aux États-Unis et en Finlande.
3.4.2 Perspectives d'évolution des emplois moyennement rémunérés
Après avoir analysé le risque d'automatisation, nous décrivons dans cette section les perspectives d'évolution de l'emploi dans les professions actuellement exercées par les travailleurs à revenu intermédiaire. Les projections par catégorie de revenus (établies à partir de la structure actuelle de l'emploi par profession) montrent que l'emploi va probablement se renforcer dans certains secteurs, tandis qu'il va reculer ou ralentir dans d'autres.
Sur la base des projections relatives aux pays européens, on estime que la croissance de l'emploi variera sensiblement selon les professions d'ici à 20309. L'emploi augmentera considérablement dans les professions très qualifiées, tandis qu’il diminuera dans les professions peu qualifiées. Environ la moitié des travailleurs à revenu intermédiaire (professions intellectuelles et scientifiques ; directeurs et cadres de direction et gérants ; professions élémentaires) exercent des professions susceptibles de connaître une forte croissance de l'emploi (Graphique 3.12). À titre de comparaison, un quart des travailleurs aux revenus intermédiaires – conducteurs d'installations et de machines, personnel des services directs aux particuliers, commerçants et vendeurs par exemple – ne devraient connaître qu'une croissance de l’emploi limitée. Un autre quart, dans les catégories des métiers qualifiés de l'industrie et de l'artisanat et des employés de type administratif, exercent des professions qui devraient subir d'importantes pertes d'emplois.
Globalement, les professions exercées aujourd'hui par les travailleurs à revenu intermédiaire se caractérisent par des perspectives positives d'évolution de l'emploi. Selon les estimations, elles devraient ainsi enregistrer une progression de 7 % en moyenne d’ici à 2030 (Graphique 3.13). Au Danemark, en Espagne, en Irlande, au Luxembourg et au Royaume-Uni, les professions actuellement exercées par les travailleurs à revenu intermédiaire pourraient enregistrer une croissance de 10 %, voire plus. Il n’y a qu’en Allemagne et en Estonie que leurs perspectives d’évolution sont négatives.
Les professions offrant une rémunération élevée ont des perspectives d’évolution encore plus encourageantes, puisque la croissance de l’emploi dans ce type de professions devrait atteindre 11 % en moyenne, voire plus au Danemark, en Islande, en République tchèque et en Slovénie. Les perspectives d'évolution de l'emploi sont également positives pour les professions actuelles des travailleurs à bas revenus, même si les estimations font état d’une croissance moyenne plus modérée à l’échelle de l'OCDE, à 6 %. En Allemagne, en Estonie et en Pologne, ces professions devraient même accuser une contraction de l’emploi. Les perspectives d’évolution de l’emploi des professions actuelles des travailleurs à bas revenus sont bien plus sombres que celles des travailleurs à revenu intermédiaire dans la plupart des pays. Il n’y a qu’en France que les professions exercées par les travailleurs à bas revenus offrent des perspectives bien plus encourageantes que celles des travailleurs aux revenus intermédiaires.
3.5 Conclusion
La relation entre catégorie de revenus et situation au regard de l'emploi a nettement changé au cours des trente dernières années. La proportion de ménages à la tête desquels se trouve un travailleur à revenu intermédiaire a diminué, les pourcentages de travailleurs à bas revenus et à hauts revenus ayant augmenté. Le fait de ne pas travailler entraîne une dégradation des perspectives d'évolution en termes de catégorie de revenus nettement plus marquée qu'il y a 30 ans pour les personnes d'âge actif. La proportion de ménages à revenu intermédiaire dont le chef est une personne d'âge actif sans emploi est nettement plus faible aujourd'hui.
Il n’existe pas d’emploi moyennement rémunéré type. Si les travailleurs à bas revenus sont essentiellement répartis dans quelques professions peu qualifiées et les travailleurs à hauts revenus dans quelques professions très qualifiées, l’éventail de professions exercées par les travailleurs à revenu intermédiaire est plus large.
Toutes les catégories de revenus ont connu une élévation du niveau de qualification, la polarisation des emplois ayant abouti à une augmentation nette de la part des emplois hautement qualifiés dans la plupart des pays. Pour autant, la proportion de travailleurs hautement qualifiés a davantage augmenté dans la catégorie des revenus intermédiaires que dans les autres, étant donné que les travailleurs moyennement qualifiés ont aujourd’hui moins de chances d’accéder à la classe moyenne et que les travailleurs hautement qualifiés ont quant à eux moins de chance d’intégrer la catégorie des hauts revenus. Certains emplois ne garantissent plus le même niveau de revenu qu’autrefois. Malgré tout, les travailleurs qui occupent des emplois hautement qualifiés restent encore beaucoup plus susceptibles de bénéficier de revenus et d’un niveau de vie supérieurs.
Par ailleurs, le fait de vivre dans un ménage à deux revenus n’est plus en soi un moyen systématique d’accéder à la classe moyenne, dans la mesure où les couples peu et/ou moyennement qualifiés se situent, de plus en plus, dans la catégorie des bas revenus.
Du fait de la polarisation de l’emploi, la plupart des pays aujourd’hui ne sont donc pas tant confrontés au « problème de la classe moyenne » qu'au « problème des qualifications moyennes », dans la mesure où les travailleurs moyennement qualifiés ont désormais moins de chances d'appartenir à la classe moyenne. Ces évolutions peuvent expliquer en partie la frustration sociale qui est au cœur du débat politique, même dans les pays où la taille de la classe moyenne est restée stable.
Favoriser et soutenir l’amélioration des compétences reste un axe d'intervention fondamental pour rehausser le niveau de vie des travailleurs. Les politiques actives du marché du travail peuvent jouer à cet égard un rôle crucial, tout en veillant à ce que les jeunes soient dotés des compétences requises par les employeurs et qu'ils puissent en acquérir de nouvelles à mesure que leur carrière progresse. Les politiques de redistribution ont aussi leur importance pour empêcher que la proportion de travailleurs exclus de la classe moyenne ne continue d'augmenter.
L'acquisition de compétences sera également essentielle pour préparer les travailleurs aux évolutions et défis à venir sur le marché du travail. Les projections concernant l'évolution de l'emploi au cours des prochaines années et les estimations du risque d'automatisation au cours des prochaines décennies laissent à penser que les professions très qualifiées connaîtront une évolution nettement plus favorable que les professions moyennement ou peu qualifiées.
Il faut ajuster les politiques budgétaires afin de prendre en compte l'évolution de la relation entre professions et niveau de revenu des ménages. Il convient notamment d’adapter les systèmes d'impôts et de transferts sociaux, notamment les prestations liées à l'exercice d'un emploi, afin d'inciter les travailleurs moyennement et peu qualifiés à améliorer leurs compétences pour éviter de glisser dans la catégorie des bas revenus, voire des très bas revenus.
Références
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[32] Autor, D. et A. Salomons (s.d.), Is automation labor-displacing? Productivity growth, employment, and the labor share, https://www.brookings.edu/wp-content/uploads/2018/03/1_autorsalomons.pdf (consulté le 20 novembre 2018).
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[22] Nedelkoska, L. et G. Quintini (2018), « Automation, skills use and training », Documents de travail de l’OCDE sur les affaires sociales, l’emploi et les migrations, n° 202, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/2e2f4eea-en.
[21] OCDE (2019), Perspectives de l’emploi de l’OCDE 2019.
[1] OCDE (2017), « Comment la technologie et la mondialisation transforment le marché du travail », dans Perspectives de l’emploi de l’OCDE 2017, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/empl_outlook-2017-7-fr.
[35] OCDE (2015), Tous concernés : Pourquoi moins d’inégalité profite à tous, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/9789264235519-fr.
[34] OCDE (2015), « Travail atypique, polarisation de l’emploi et inégalités », dans Tous concernés : Pourquoi moins d’inégalité profite à tous, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/9789264235519-7-fr.
[36] OCDE (2014), Perspectives de l’emploi de l’OCDE 2014, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/empl_outlook-2014-fr.
[20] Pew Research Center (2016), Public Predictions for the Future of Workforce Automation, Pew Research Center, http://www.pewresearch.org (consulté le 9 novembre 2017).
[4] Spletzer, J. et E. Handwerker (2014), « Measuring the distribution of wages in the United States from 1996 through 2010 using the Occupational Employment Survey », Monthly Labor Review, http://dx.doi.org/10.21916/mlr.2014.18.
[19] Vaughan-Whitehead, D., R. Vazquez-Alvarez et N. Maître (2016), « Is the world of work behind middle-class erosion? », Chapters, pp. 1-61, https://ideas.repec.org/h/elg/eechap/17301_1.html (consulté le 31 janvier 2018).
[5] Verdugo, G. (2014), « The great compression of the French wage structure, 1969–2008 », Labour Economics, vol. 28, pp. 131-144, http://dx.doi.org/10.1016/J.LABECO.2014.04.009.
[15] Zia, Q. (2017), « The Not-So-Dire Future of Work », Project Syndicate, https://www.project-syndicate.org/commentary/future-of-work-labor-market-reform-by-zia-qureshi-2017-10 (consulté le 9 novembre 2017).
Notes
← 1. Voir Encadré 3.1 pour la définition des niveaux de qualifications (qualifications faibles, moyennes et élevées).
← 2. Cette section s’attache plus particulièrement aux conséquences des fluctuations de la demande de différents types d’emplois (soit la polarisation des emplois) sur la catégorie des revenus intermédiaires. Voir OCDE (2019[21]) pour une analyse de l’évolution de la probabilité de différents travailleurs (selon le sexe, l’âge et le niveau d’études) d’accéder à des emplois à différents niveaux de rémunération parallèlement à la polarisation observée sur les marchés du travail. La principale conclusion tirée dans OCDE (2019[21]) est que les jeunes non diplômés de l’enseignement supérieur ont vu leur situation sur le marché du travail se détériorer sensiblement ces dernières années (2006‑16). Ainsi, dans la zone OCDE, ils sont devenus plus susceptibles d’être sans emploi et sortis du système éducatif et d’occuper des emplois faiblement rémunérés.
← 3. L’étude de l'OCDE mesure la mondialisation à l’aune de la participation aux chaînes de valeur mondiales et du taux de pénétration des importations de la Chine (OCDE, 2017[1]).
← 4. Une analyse plus approfondie focalisée sur la période de la récession et de ses conséquences immédiates (2007‑13) montre que la diminution de la part des travailleurs hautement qualifiés dans la catégorie des hauts revenus n’a pas été particulièrement marquée. À titre de comparaison, les travailleurs moyennement qualifiés ont accusé une plus forte contraction de leurs chances d’appartenir à la classe moyenne. Enfin, la récession a aussi accéléré la chute des travailleurs peu qualifiés dans la catégorie des bas revenus (Manfredi et Salvatori, à paraître[3]).
← 5. Malgré l’absence de polarisation des salaires, la polarisation des emplois a eu pour effet d’accroître la proportion de travailleurs moyennement rémunérés qui basculent dans le non emploi et l’emploi peu qualifié (Lordan et Neumark, 2018[24] ; Cortes, Jaimovich et Siu, 2017[27]).
← 6. Les contrats temporaires ne sont pas inclus dans l'analyse faute de données.
← 7. Les projections relatives aux professions actuellement moyennement rémunérées ne constituent pas des prévisions des perspectives d’emploi futures des travailleurs aux revenus intermédiaires, notamment car elles ne tiennent pas compte de deux dimensions essentielles. Tout d’abord, les travailleurs aux revenus intermédiaires peuvent changer d’emploi et, ce faisant, de profession. Ensuite, le profil des travailleurs évolue, dans la mesure où ceux qui entrent sur le marché du travail et ceux qui le quittent diffèrent en termes de niveaux de qualification et de professions.
← 8. Ces chiffres sont calculés en s’appuyant sur une approche fondée sur les caractéristiques des professions (Frey et Osborne, 2017[17]), qui tient compte de l’hétérogénéité des tâches qui composent chaque profession. Pour chacune d’entre elles, on calcule, à partir d’un socle de compétences requises, un score qui mesure la probabilité d’automatisation. Par exemple, le critère de la dextérité accroît le score, tandis que la capacité à conseiller les autres ou à planifier le travail d’autres personnes réduit le score. Des études fondées sur une approche comparable ont estimé les probabilités d’automatisation pour l’Allemagne (Brzeski et Burk, 2015[28]), certains pays européens (Bowles, 2014[29]) et certains pays en développement (Banque mondiale, 2016[31]).
← 9. Pour des estimations à l’échelle de l’Europe, voir www.cedefop.europa.eu/en/publications-and-resources/data-visualisations/skills-forecast.