Exacerbée par la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine en 20221, la hausse des prix de l’énergie consécutive à la reprise qui a suivi la pandémie de COVID-19 en 2021 a conduit les États à travers le monde à venir en aide aux ménages et aux entreprises. Les mesures de soutien ont cependant soulevé diverses inquiétudes, notamment quant à leur caractère équitable, leur coût financier, leur efficacité dans la lutte contre l’inflation et leur compatibilité avec les objectifs d’atténuation du changement climatique. Ainsi, la probabilité élevée que les ménages à hauts revenus bénéficient de ces mesures (voir, par exemple, Ari et al. (2022[1])) pose des questions d’équité. En outre, l’incidence de certaines mesures de soutien préoccupe aussi du fait que les réductions d’impôt profitent généralement davantage aux producteurs qu’aux consommateurs lorsque l’offre énergétique est inélastique (voir, par exemple, OCDE (2022[2]), Van Dender et Raj (2022[3])). Une autre source de préoccupation est l’impact sur les signaux-prix du carbone. Compte tenu de l’urgence croissante de lutter contre le changement climatique, baisser les prix de l’énergie et, partant, les signaux-prix du carbone sape les incitations à atteindre les objectifs de neutralité carbone.
L’outil de suivi des mesures d’aide énergétique mis au point par l’OCDE (OECD Energy Support Measures Tracker2) est un ensemble de données qui permet de faire le point sur l’ensemble des interventions publiques engagées depuis février 2021 pour soutenir les consommateurs d’énergie. La version utilisée dans le présent rapport contient des données collectées jusqu’au 30 janvier 2023 et couvre 41 pays, dont tous les pays de l’OCDE excepté la Hongrie, l’Islande et la Suisse, et trois économies du G20 (Afrique du Sud, Brésil et Inde). À la date de la rédaction du présent rapport, il s’agit de la source de données la plus exhaustive sur les mesures d’aide énergétique en place dans les économies de l’OCDE (voir Hemmerlé et al. (2023[4])).
La plupart de ces mesures peuvent être considérées comme des mesures de soutien des prix ou des revenus, et leur portée peut être ciblée ou globale ; dans le secteur du transport routier, l’aide des pouvoirs publics a essentiellement pris la forme de mesures non ciblées de soutien face aux prix de l’énergie. D’après l’outil de suivi des mesures d’aide énergétique élaboré par l’OCDE, 72 % des plus de 110 mesures recensées depuis février 2021 visaient à soutenir face aux prix de l’énergie et 82 % n’étaient pas ciblées3. Lorsqu’elles l’étaient, elles concernaient en premier lieu les entreprises du secteur tertiaire.
Ce chapitre traite des droits d’accise sur les carburants et des taxes carbone appliqués dans le secteur du transport routier. La raison en est que ces deux types d’instrument de tarification carbone (qui, pris ensemble, forment le taux effectif de taxe sur le carbone) sont plus importants dans ce secteur que dans tous les autres (voir par exemple, OCDE (2019[5]), Amores et al. (2022[6]) et Graphique 2.4). Leur évolution influence donc de manière notable les prix du carbone. Conformément à la méthode retenue pour calculer les TEC, les montants collectés sont ceux en vigueur au 1er avril (ou à la date disponible la plus proche) de 2021, 2022 et 2023 pour 45 pays de l’OCDE et du G204. Cette collecte a été effectuée dans les cas où le carburant représentait plus de 5 % des émissions de dioxyde de carbone (CO2) du secteur du transport routier, ce qui implique que l’analyse concerne principalement le gazole et l’essence.
Sont exclues de l’analyse les réductions de TVA5, les réductions de prix (par exemple, les plafonnements des prix) ainsi que les baisses de droits d’accise sur les carburants ou de taxe carbone intervenues à titre temporaire entre deux des dates mentionnées ci-dessus6. Cela concerne par exemple le plafonnement des prix du gazole et de l’essence que le gouvernement hongrois a appliqué à titre temporaire de novembre 2021 à juillet 2022, ou encore les réductions de TVA introduites au Luxembourg. Le périmètre de l’analyse est donc cohérent avec les moyens d’action pris en compte dans la méthode de calcul des taux effectifs sur le carbone. On trouvera de plus amples détails sur les mesures qui en sont exclues dans le rapport annuel de l’OCDE sur les réformes des politiques fiscales (Tax Policy Reforms, (OECD, 2023[7])) et dans l’analyse de l’OCDE de l’outil de suivi des mesures d’aide énergétique (OECD Energy Support Measures Tracker) (Hemmerlé et al., 2023[4]).
L’analyse exposée dans ce chapitre repose pour l’essentiel sur les prix constants de 2021 et non sur les prix courants7. La première partie consiste toutefois à examiner (voir Tableau 4.1) l’orientation des montants en termes courants des taxes appliquées dans les différents pays, par type de carburant. S’il est intéressant de s’y intéresser, c’est parce qu’en général, les droits d’accise sur les carburants et les taxes carbone ne sont pas indexés sur l’inflation8. Lorsque la plupart du monde connaissait des taux d’inflation faibles, suivre l’évolution, en termes courants, des droits d’accise sur les carburants et des taxes carbone appliqués dans un pays donné n’avait guère d’impact sur l’évolution du signal-prix. L’examen en termes courants permet donc d’étudier quels dispositifs de tarification du carbone les pays ont activement mis en œuvre (dans la plupart des cas). Dans le contexte actuel, marqué à l’échelle mondiale par une inflation de 4.7 % en 2021 et de 8.8 % en 2022 (IMF, 2022[8] ; IMF, 2023[9]) (et une prévision à 5.9 % pour les pays du G20 en 2023 (OCDE, 2023[10])), même si les dispositifs n’ont peut-être pas encore évolué de manière à inclure des facteurs comme l’inflation, les montants des taxes en termes constants sont plus pertinents pour les besoins des études comportementales, en particulier lorsqu’il s’agit d’étudier le signal-prix effectif donné en faveur de la décarbonation. C’est pourquoi la majeure partie de l’analyse, qui présente des taxes par tonne de CO2 (plutôt que par unité de carburant), repose sur les taux évalués en termes constants de 2021.
Entre 2021 et 2023, dans les 45 pays de l’OCDE et du G20 étudiés ici, les montants des taxes en vigueur dans le secteur du transport routier (frappant le gazole, l’essence et, dans certains cas, le GPL et le gaz naturel) exprimés en unité de monnaie locale (UML) en valeur courante ont baissé dans 15 pays, stagné dans 19 et augmenté dans 20. Sept des 19 pays qui ont relevé le montant des taxes sur les carburants sont dotés de dispositifs permettant d’augmenter le montant des droits d’accise sur les carburants en même temps que l’inflation (voir note de bas de page 8). Entre 2022 et 2023, aucun taux n’a baissé dans les pays où ils avaient augmenté en UML en valeur courante entre 2021 et 2023, même s’il a pu y avoir des baisses entre 2021 et 2022. Dans les pays où les taux sont restés inchangés, ils ont stagné tout au long de la période, sauf en Italie, où le montant des droits d’accise sur le gazole a baissé de 40 % entre 2021 et 2022, avant de revenir en 2023 à son niveau de 2021. Pour les pays dont le montant des droits d’accise sur les carburants a diminué de 2021 à 2023, l’essentiel de cette diminution a eu lieu entre 2021 et 2022. Pour mémoire, les baisses d’impôt temporaires intervenues sur un an et les réductions tarifaires (plafonnement des prix), pourtant fréquentes, ont été exclues de l’analyse.
À l’exception de la Slovénie, qui a supprimé la sienne en 2023, les taxes carbone exprimées en UML en valeur courante sont restées stables ou ont augmenté dans la plupart des pays qui en disposaient en 2021. Dans les treize autres pays dotés de taxes carbone, leur montant n’a pas baissé, même quand le droit d’accise sur les carburants a diminué (Irlande, Mexique, Norvège et Suède). Les contraintes de la politique économique liées à la hausse de la taxation du carbone pourraient faire partie des raisons qui expliquent ce découplage. La taxe carbone est un instrument de tarification explicite du carbone, contrairement au droit d’accise sur les carburants, qui est avant tout une taxe sur l’énergie9, et cela peut aussi contribuer à expliquer le constat suivant : là où les droits d’accise sur les carburants ont été revus à la baisse afin d’aider les ménages et les entreprises à faire face à la crise énergétique actuelle, l’objectif n’était pas nécessairement de désactiver les signaux-prix du carbone.
Dans l’échantillon analysé ici, les baisses de taxes sont essentiellement intervenues en Europe et en Asie centrale, là où la crise en Ukraine a probablement le plus exacerbé la crise énergétique. Parmi les 45 pays de l’OCDE et du G20 considérés, les droits d’accise sur les carburants ont été abaissés au moins une fois entre 2021 et 2023 dans 12 des 28 pays d’Europe et d’Asie centrale, deux des sept pays d’Asie de l’Est et du Sud et Pacifique et un des six pays d’Amérique latine et Caraïbes.
Les hausses et les baisses des montants des droits d’accise sur les carburants et des taxes carbone exprimés en UML en valeur courante n’ont pas particulièrement touché davantage le gazole que l’essence. L’essence a connu deux augmentations de plus que le gazole sur le montant des droits d’accise sur les carburants, tandis que le gazole a connu deux baisses supplémentaires par rapport à l’essence. Par tonne de CO2, la « remise gazole » (Harding, 2014[11] ; OECD, 2019[5]) a été plus marquée dans un tiers des pays environ, elle est restée identique dans un deuxième tiers et s’est améliorée dans le tiers restant.