Comment nous, citoyens, administrations et entreprises, pouvons-nous façonner la transformation numérique de sorte qu’elle profite à la société et ne laisse personne de côté ? Il s’agit là d’une question essentielle, à l’heure où les technologies numériques et les données envahissent nos vies. Du point de vue des pouvoirs publics, la clé pour libérer le potentiel de la transformation numérique consiste à mener une action cohérente et intégrée, qui transcende les différents domaines. Ils doivent en outre mettre en place des politiques à même d’exploiter les opportunités et d’optimiser les avantages, tout en relevant les défis et en minimisant les coûts.
Le moment est venu d’agir. Nous sommes aux prémices de l’ère du numérique, marquée par une informatique et des données ubiquitaires. Concevoir et mettre en œuvre un cadre d’action intégré adapté à cette nouvelle ère est un défi complexe, qu’il nous faut toutefois relever, tant les avantages potentiels sont considérables. Les technologies numériques et les données stimulent l’innovation, génèrent des gains d’efficience et contribuent à l’amélioration de nombreux biens et services. Elles favorisent la croissance des échanges et de l’investissement et facilitent les transferts de technologies. Elles aident également à repousser la frontière de la productivité, avec, à la clé, des perspectives de croissance et des opportunités économiques. Il est essentiel de concrétiser ce potentiel et de veiller à ce qu’il soit largement partagé.
Résoudre cet apparent paradoxe de la productivité dans le monde numérique est important, puisque les gains de productivité sont des leviers essentiels de niveau de vie. La progression de la transformation numérique est allée de pair avec un ralentissement de la croissance de la productivité globale, soulevant par là même des questions quant à la capacité des technologies numériques de favoriser les gains de productivité. Mais le fléchissement observé masque un écart grandissant entre les entreprises les plus productives et les moins productives, avec des disparités particulièrement marquées dans les secteurs de services liés aux technologies de l’information et des communications (voir chapitre 3). Les entreprises à la frontière continuent d’enregistrer des gains de productivité et mettent à profit la transformation numérique, tandis que celles qui sont à la traîne ne sont pas toujours en mesure d’adopter les technologies de pointe et les meilleures pratiques, ni incitées à le faire. D’où la nécessité de permettre aux entreprises à la frontière de croître, tout en aidant celles qui sont à la traîne de rattraper leur retard ou, si nécessaire, de sortir plus facilement du marché.
Il importe par ailleurs de promouvoir la diffusion des technologies numériques et des connaissances connexes – qui demeurent très en deçà de leur potentiel – afin de stimuler la croissance de la productivité (voir chapitre 3). Si la plupart des entreprises des pays de l’OCDE accèdent désormais aux réseaux haut débit, elles sont bien moins nombreuses à utiliser les outils et les applications numériques plus perfectionnés, de nature à améliorer la productivité, comme l’infonuagique ou l’analytique des données massives. De plus, des écarts non négligeables entre les pays – y compris parmi les économies les plus avancées – soulèvent d’importantes questions sur les raisons pour lesquelles certains pays adoptent avec plus de succès les technologies numériques que d’autres.
L’utilisation efficace des technologies numériques passe souvent par l’expérimentation, car il faut du temps pour réorganiser les processus de production, introduire de nouveaux modèles économiques, et recruter et former les travailleurs et le personnel d’encadrement. La transformation numérique nécessite par ailleurs des investissements complémentaires dans les compétences, le changement organisationnel et l’innovation de procédé, ainsi que la mise en place de nouveaux systèmes et modèles économiques (voir chapitre 4). Du fait de l’échelle et de la complexité croissantes de ces investissements complémentaires, le virage numérique s’avère particulièrement difficile à négocier pour les entreprises éloignées de la frontière, à l’instar des petites et moyennes entreprises opérant dans des secteurs où l’intensité du numérique est plus faible.
Sur le front des emplois, nous savons que la transformation numérique entraîne à la fois des suppressions et des créations d’emplois (voir chapitre 5). Il n’en reste pas moins que les taux d’emploi sont au plus haut dans de nombreux pays et qu’au cours de la dernière décennie, quatre emplois sur dix ont été créés dans les secteurs à forte intensité de numérique. Il importe toutefois de s’assurer que la transformation numérique profite plus équitablement à tous les travailleurs, que l’on dote ces derniers d’une panoplie de compétences adaptées et qu’ils bénéficient d’une protection sociale. Au cours des vingt dernières années, dans la plupart des pays de l’OCDE, la croissance des salaires médians réels s’est dissociée de celle de la productivité du travail, ce qui laisse à penser que les gains de productivité ne se traduisent plus automatiquement par des progressions salariales pour l’ensemble des travailleurs.
Au-delà des répercussions économiques et sociales sur la productivité et le monde du travail, l’utilisation des technologies numériques a également contribué à améliorer la vie et le bien-être des individus et ce, en relativement peu de temps. Les progrès, comme le smartphone, facilitent l’accès aux services des administrations publiques, favorisent l’engagement civique et ouvrent la voie à une connectivité sans cesse croissante. Ils sont également synonymes d’un choix plus large et de davantage de commodité pour les consommateurs.
Toutefois, les effets sociétaux de la transformation numérique sont complexes parce que ses incidences globales demeurent souvent floues (voir chapitre 6). Par exemple, les technologies numériques facilitent l’accès à l’information, favorisent les communications interpersonnelles et ouvrent la voie à une pléthore de services (via un internet gratuit et interconnecté), contribuent aux progrès de la médecine et à l’amélioration des soins de santé (avec la télémédecine) et enrichissent l’offre éducative (avec les cours en ligne ouverts à tous). En revanche, elles s’accompagnent également d’un certain nombre de défis : déséquilibre entre vie professionnelle et vie privée ; renforcement de la ségrégation des individus en groupes relativement fermés partageant les mêmes idées ; réduction de la sphère privée et addiction aux écrans, dépression et cyberharcèlement, y compris chez les enfants (voir chapitre 6).
Pour garantir que la transformation numérique serve la croissance et le bien-être, il importe de s’efforcer de réduire les inégalités exacerbées par les progrès technologiques. Si chaque pays se caractérise par des préférences et un contexte qui lui sont propres, certaines actions à mener peuvent être pertinentes partout : l’investissement dans l’éducation et les compétences en est un exemple (voir chapitres 3, 5 et 6).
Bâtir une économie et une société numériques inclusives est une tâche ardue, mais cruciale. Le projet « Vers le numérique » de l’OCDE promeut une approche souple, intégrée et tournée vers l’avenir de l’élaboration des politiques à l’ère du numérique. Une telle approche s’avère capitale, puisque la transformation numérique a des effets complexes et corrélés sur différents aspects de l’économie et de la société, compliquant les arbitrages entre les objectifs de l’action publique. Qui plus est, les frontières se brouillent entre les domaines d’action, obligeant à un renforcement de la coopération et de la collaboration entre les silos, notamment pour ce qui est de l’élaboration et de la mise en œuvre des politiques.
Le Cadre d’action intégré du projet « Vers le numérique » aide les pouvoirs publics à mettre au point des politiques adaptées et résilientes. Il promeut une approche cohérente et cohésive, à l’échelle de l’ensemble de l’administration, afin d’exploiter le plein potentiel de la transformation numérique et de relever les défis qu’elle induit. Il s’articule autour de sept dimensions de l’action des pouvoirs publics : 1) améliorer l’accès ; 2) favoriser une utilisation efficace ; 3) libérer l’innovation ; 4) offrir à tous des emplois de qualité ; 5) promouvoir la prospérité sociale ; 6) renforcer la confiance ; et 7) promouvoir l’ouverture des marchés (voir illustration ci-après).