Ce chapitre présente le cadre de l’OCDE en matière de gouvernement ouvert, de communication publique et d’écosystèmes médiatiques, et offre un aperçu de de la communication publique en Tunisie ainsi que des changements juridiques et institutionnels récents ayant affecté l’écosystème médiatique tunisien. Ce chapitre résume également les principales conclusions et recommandations du rapport concernant la communication publique, ainsi que le rôle des médias locaux, associatifs et en ligne, en faveur d’une plus grande participation des parties prenantes à la vie publique.
Voix citoyenne en Tunisie
Chapitre 1. Contexte, évaluation et recommandations en Tunisie
Abstract
Le cadre de l’OCDE en matière de gouvernement ouvert, de communication publique et d’écosystèmes médiatiques
Dans un contexte mondial d’exigences accrues des citoyens en matière de transparence et de redevabilité, de déclin de la confiance mais aussi d’apparition de nouveaux défis et opportunités pour les interactions entre citoyens et gouvernements du fait des nouvelles technologies et des réseaux sociaux, la communication publique et les médias jouent un rôle décisif dans le renforcement des principes du gouvernement ouvert. La Recommandation du Conseil de l’OCDE sur le Gouvernement ouvert inclut deux dispositions à cet égard (encadré 1.1). La disposition 6 recommande en effet aux pays de « communiquer activement sur les stratégies et initiatives en matière de gouvernement ouvert ainsi que sur les résultats, réalisations et impacts » ; tandis que la disposition relative à l’État ouvert (disposition 10), reconnait le rôle d’acteurs en dehors du gouvernement, et notamment les médias, dans l’appui aux principes du gouvernement ouvert1.
L’analyse de l’OCDE – dans le cadre du Rapport sur le Gouvernement ouvert : Contexte mondial et perspectives et de plusieurs Examens OCDE du Gouvernement ouvert, ainsi que d’une évaluation des Plans d’Action Nationaux de l’OGP – suggère que les efforts en vue de renforcer la contribution de la communication publique2 et des médias à l’ouverture n’en sont qu’à leurs premiers balbutiements, dans la région MENA comme dans les pays de l’OCDE.
Encadré 1.1. Principaux éléments de la Recommandation de Conseil de l’OCDE sur le Gouvernement ouvert
1. Élaborer et mettre en œuvre des stratégies et initiatives en matière de gouvernement ouvert, en collaboration avec les parties prenantes, pour inciter les responsables politiques, les parlementaires, les hauts fonctionnaires et les autres agents publics ;
2. Veiller à̀ l’existence et à la mise en œuvre du cadre juridique et règlementaire nécessaire au gouvernement ouvert, tout en mettant en place des dispositifs de contrôle adéquats pour assurer le respect des règles ;
3. Assurer la concrétisation et la mise en pratique des stratégies et initiatives en matière de gouvernement ouvert ;
4. Coordonner, au moyen des dispositifs institutionnels requis, les stratégies et initiatives en matière de gouvernement ouvert – horizontalement et verticalement – à tous les niveaux de gouvernement afin d’assurer leur cohérence avec l’ensemble des objectifs socioéconomiques pertinents et afin de veiller à̀ ce qu’elles contribuent à̀ ces objectifs ;
5. Élaborer et mettre en œuvre des dispositifs de suivi, d’évaluation et d’apprentissage en rapport avec les stratégies et initiatives en matière de gouvernement ouvert ;
6. Communiquer activement sur les stratégies et initiatives en matière de gouvernement ouvert ainsi que sur les résultats, réalisations et impacts ;
7. S’employer activement à mettre à̀ disposition une information et des données du secteur public claires, complètes, récentes, fiables et pertinentes, qui soient : gratuites, disponibles en format machine ouvert et non propriétaire, faciles à̀ trouver, à comprendre, à utiliser et à réutiliser, et diffusées sur des canaux multiples, selon un ordre de priorité́ déterminé en concertation avec les parties prenantes ;
8. Offrir à toutes les parties prenantes des possibilités égales et réelles d’entre informées et consultées, et les associer activement à toutes les phases du cycle des politiques publiques, ainsi qu’à la conception et à la prestation des services publics. Cela implique de leur laisser suffisamment de temps et de leur permettre de participer à̀ moindre cout, tout en évitant les doublons afin de limiter le risque de lassitude à l’égard des procédures de consultation. Il faudrait, de plus, consentir un effort particulier pour toucher les groupes sociaux les plus concernes, vulnérables, sous-représentes ou marginalises, en évitant, en parallèle, toute influence indue et toute captation de l’action publique ;
9. Chercher des moyens novateurs d’associer effectivement les parties prenantes, afin de bénéficier de leurs idées et de co-créer des solutions, et tirer parti des possibilités offertes par les outils de l’administration numérique ;
10. Tout en reconnaissant les rôles, prérogatives et, plus généralement, l’indépendance de toutes les parties concernées, et dans le respect de leurs cadres juridiques et institutionnels existants, explorer la possibilité́ d’un passage du concept de gouvernement ouvert à celui d’État ouvert.
Source: Recommandation du Conseil de l’OCDE sur le Gouvernement ouvert (2017), https://www.oecd.org/gov/Recommendation-Gouvernement-Ouvert-Approuvée-141217.pdf.
Alors que l’enquête de 2017 de l’OCDE sur le Centre de Gouvernement (CG)3 montre, par exemple, le rôle important qu’attribuent les CG à la communication, elle met également en évidence la nécessité de mieux relier ce rôle aux principes du gouvernement ouvert comme la participation des citoyens (Graphique 1.1).
Ainsi, l’OCDE aide les pays à conforter la contribution de la communication publique et des écosystèmes médiatiques4 aux principes du gouvernement ouvert (Graphique 1.2). Ce soutien se base sur un examen des manières de passer d’une approche classique, plutôt focalisant sur comment communiquer l’agenda politique, à une approche plus stratégique de la communication publique, afin de favoriser une meilleure élaboration des politiques et une participation accrue des citoyens. Il se fonde également sur une analyse des défis et des opportunités liées à l’évolution des écosystèmes médiatiques, et notamment du cadre politique et juridique de l’AI, ainsi que du rôle joué par le journalisme citoyen et les médias locaux, en ligne et associatifs.
Dans ce sens, cet examen analyse la contribution de la communication publique et des médias aux réformes du gouvernement ouvert en Tunisie, à la lumière des changements politiques, sociaux et technologiques intervenus depuis 2011. Il se base sur une enquête menée par l’OCDE en 2017 auprès de 14 établissements publics tunisiens5 couvrant les éléments suivants : les stratégies de communication de ces établissements, la place de la structure de la communication au sein de celles-ci, les messages et supports de communication, et les relations avec les médias. Cette publication se fond également sur une recherche documentaire, et des entretiens menés avec les médias, la société civile, et les représentants de l’administration tunisiens lors d’une mission de revue par les pairs organisée par l’OCDE en novembre 2017. Ont participé à cette mission, en compagnie du Secrétariat de l’OCDE, une représentante du gouvernement Italien ayant agi en tant que pair, ainsi que des experts en communication et médias. Cet examen se fonde également sur une série de réunions avec le réseau des responsables de la communication publique en Tunisie (le 12 mai 2017, le 9 novembre 2017 et le 14-15 mai 2018), ainsi qu’une formation à Caserte, en Italie le 12-13 décembre 2017.
Principales évolutions de l’écosystème médiatique tunisien depuis la Révolution
Avant de pouvoir analyser la contribution de la communication publique et de l’écosystème médiatique tunisien aux principes du gouvernement ouvert, il incombe de revenir sur les principaux changements juridiques et institutionnels ayant affecté ce dernier.
La Révolution tunisienne a fait naître le Printemps arabe, au cours duquel des citoyens de plusieurs pays de la région MENA ont manifesté pour réclamer la liberté et la justice, dans un contexte de corruption, de taux de chômage élevés, et de conditions socio-économiques difficiles. Ces soulèvements ont donné lieu à des transformations politiques et sociales profondes, en Tunisie tout particulièrement, où le processus de transition démocratique est à ce jour l’un des plus aboutis et ambitieux de la région.
La relation entre le gouvernement et les citoyens a par ailleurs été bouleversée par les évolutions des écosystèmes médiatiques, en Tunisie comme partout dans le monde. La chute de l’ancien régime tunisien en a été un accélérateur, puisqu’elle a mis fin à la censure et à la forte centralisation qui caractérisaient jusqu’alors ce système. Les médias publics, qui étaient perçus comme amplifiants la propagande de l’État, ont connu une redéfinition en s’efforçant de devenir plus objectifs et au diapason avec les besoins des citoyens. Le paysage médiatique tunisien a par ailleurs connu une diversification grâce à la reconnaissance des médias associatifs par exemple. Avec le relâchement de la censure de l’Internet, les journaux en ligne se sont également développés, permettant aux citoyens de davantage prendre part à la production et à la dissémination des actualités, dans la continuité du rôle décisif joué par les blogs et les réseaux sociaux lors des soulèvements.
La Tunisie a pris en compte ces évolutions et adopté un nouveau cadre légal et institutionnel en faveur d’un paysage médiatique libre et plus divers. En mars 2011, une Instance indépendante chargée de réformer l’information et la communication (INRIC) a été créée pour engager une réforme globale en faveur de la liberté de la presse. Le Code de la presse de 1975 a dans le même temps été abrogé et trois nouveaux décrets lois ont été adoptés en 2011 (décret-lois n°41, 115 et 116), qui concernaient respectivement l’accès aux documents administratifs, la liberté de la presse et la création de la Haute Autorité indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA) en remplacement de l’INRIC. Depuis sa création, le rôle de celle-ci a été débattu à l’aune des dispositions constitutionnelles.
La nouvelle Constitution de 2014 a été un tournant dans la transition du pays vers la démocratie. Ses articles 31 et 32 garantissent les libertés d’opinion, de pensée, d’expression, d’information et de publication, ainsi que le droit à l’information. D’autres articles créent diverses agences constitutionnelles, dont la HAICA (article 127). En 2017, celle-ci a proposé au gouvernement un projet de loi en conformité avec l’article 127, tandis que ce dernier avait également élaboré un projet alternatif la même année. Divers représentants de la société civile et des médias, dont certains ont été interrogés par l’équipe de l’OCDE, ont par ailleurs exprimé leurs inquiétudes au sujet de ce projet (Article 19, 20176). En particulier, ils craignent de ses conséquences sur l’indépendance de la HAICA, son mandat, sa responsabilité et sa capacité de garantir la liberté d’expression. Alors que le projet de loi est encore en discussion, la société civile plaide en faveur de l’adoption de nouvelles lois organiques régissant la presse et les médias audiovisuels en conformité avec la Constitution (décret-loi n°115 et 116).
Une autre réforme importante de l’écosystème médiatique tunisien a été l’adoption de la Loi organique 2016-22 du 24 mars 2016 relative au droit d’accès à l’information. Cette loi met en place un cadre permettant l’accès des citoyens, des médias et d’autres acteurs concernés, à l’information et aux données du gouvernement. Elle a notamment débouché sur la création de l’Instance nationale d’accès à l’information (INAI), chargée d’organiser et de promouvoir la mise en œuvre de l’AI en Tunisie, dont les membres ont été élus en 2017.
En plus de l’INAI, un Conseil de la presse a été créé en 2017, à l’initiative de différentes organisations (comme le Syndicat national des journalistes tunisiens - SNJT, et la Fédération tunisienne des directeurs des journaux - FDTJ). Le Conseil, dont l’objectif est de promouvoir un journalisme de qualité et l’autorégulation du secteur, a été créé en réaction aux détournements de la liberté des médias et à la multiplication des cas de désinformation et de discours de haine.
De manière plus générale, cependant, la répartition des responsabilités de la politique publique en matière de médias dans le pays aurait bénéficié de plus de clarté depuis la Révolution. Depuis l’abolition de l’Agence tunisienne pour la communication externe et du ministère de la Communication, certains domaines ont été confiés à la présidence du gouvernement, ou au ministère chargé des Relations avec les Organes constitutionnels, la Société civile et des droits de l’homme.
Parallèlement aux réformes susmentionnées, la Tunisie s’est également engagée sur la voie du renforcement des principes du gouvernement ouvert de transparence, d’intégrité, de responsabilité et de participation. En janvier 2014, le pays a rejoint l’OGP, ce qui a constitué un tournant dans ses efforts d’ouverture. La Tunisie a depuis lors conçu deux Plans d’Action Nationaux en s’engageant dans les domaines de l’accès à l’information, des données ouvertes, de la transparence et de la participation. Pour concevoir ces plans d’action, la présidence a étroitement collaboré avec plusieurs organisations de la société civile.
Principales conclusions et recommandations
Les sections ci-dessous offrent un aperçu des principales conclusions du rapport relatif aux stratégies et pratiques de la communication publique en Tunisie. Elles résument également l’analyse menée sur la contribution du nouveau cadre sur l’accès à l’information et des médias locaux, associatifs et en ligne pour un gouvernement plus ouvert dans le pays. Des recommandations émises sur chacun de ces sujets au gouvernement tunisien sont également récapitulés dans les paragraphes qui suivent.
En ce qui concerne la communication publique
Avant 2011, la communication publique était essentiellement considérée comme un outil unilatéral au service de la propagande du régime. La Révolution, au cours de laquelle les TIC ont joué un rôle déterminant, a amené les structures et pratiques du gouvernement à évoluer en réponse à un écosystème médiatique plus diversifié et libre. Les citoyens ont eu de plus en plus recours aux réseaux sociaux pour s’informer sur les politiques et les actions de l’État et exprimer leurs opinions. La création de journaux en ligne et des initiatives de journalisme citoyen ont ouvert de nouveaux espaces de dialogue. L’environnement des communicants publics a dû par conséquent évoluer pour accompagner ces changements et réduire la distance entre administrations et citoyens.
Les institutions publiques tunisiennes ont ainsi accru leur présence en ligne, au travers de sites institutionnels sur Internet ou de pages de réseaux sociaux dédiées. 86% des départements publics participants à l’enquête de l’OCDE ont ainsi indiqué qu’ils avaient une activité sur Facebook et 50% sur Twitter. Ils ont aussi intensifié leurs interactions avec les journalistes favorisant ainsi un écosystème médiatique plus libéral.
Ce rapport montre que le pays peut davantage utiliser la communication publique en tant que facteur stratégique de renforcement de la participation des citoyens. Tandis que 77% des institutions ayant participées à l’enquête ont indiqué la transparence comme un objectif clé de leur stratégie de communication, ce chiffre tombe à 8% pour la participation (Graphique 1.3).
Pour combler ce manque, la Tunisie élabore en ce moment un plan de communication dans la perspective de son Plan d’Action National OGP, et implique davantage les communicants publics dans les initiatives du gouvernement ouvert.
Évoluer vers un usage stratégique de la communication supposera cependant une variété de réformes en Tunisie. Compte tenu du fait que 13 des 14 entités publiques interrogés par l’OCDE ont déjà élaboré une stratégie dans ce domaine (voir Graphique 1.4), il faut tout d’abord chercher à diffuser et à mettre en œuvre celles-ci, en s’assurant que les objectifs qu’elle affiche sont suivis et évalués. Dans un contexte politique qui connaît des évolutions rapides, et eu égard aux incertitudes de la période de transition en Tunisie, prioriser la mise en œuvre de ces stratégies peut permettre d’aller plus loin qu’une simple approche réactive face aux urgences quotidiennes de communication. C’est aussi un moyen important de faire une distinction claire entre communication publique et politique.
La communication publique en Tunisie devra en outre faire l’objet d’une plus grande professionnalisation et modernisation. Il faudra pour cela davantage de ressources humaines et une diversification du profil des fonctionnaires, qui devront détenir les compétences adaptées à une époque numérique (en matière d’utilisation des réseaux sociaux, d’interaction avec les publics et d’analyse des données par exemple). Ces compétences doivent par ailleurs être diffusées dans l’ensemble du secteur public, et des formations être offertes pour faire face aux carences. Un appui au rôle central des instituts de formation est en ce sens opportun (comme l’Institut de la presse et des sciences de l’information (IPSI) et le Centre africain de perfectionnement des journalistes et des communicateurs (CAPJC)).
Plus largement, le renforcement des structures concernées au sein de chaque ministère et l’harmonisation de leurs mandats sont décisifs. Il est utile de faire de ces structures des services à part entière et de veiller à ce que leurs agents aient l’appui de haut niveau qui leur donne la légitimité et la crédibilité nécessaires. Clarifier le rôle des communicants et améliorer leur visibilité dans les institutions publiques contribuera en outre à la généralisation d’une culture du partage de l’information, ainsi qu’à une meilleure coordination entre eux et leurs collègues dans leurs tâches quotidiennes. Ces structures doivent bien sûr pouvoir compter sur un budget propre, puisque 86% des départements interrogés par l’OCDE ont indiqué qu’ils n’avaient pas de budget spécifique alloué à la communication (Graphique 1.5).
Le processus de décentralisation en cours, l’adoption du Code des Collectivités Locales et les élections municipales organisées en mai 2018 ont mis en évidence la nécessité de renforcer les interactions entre administrations et citoyens à tous les niveaux. Il serait opportun de mettre en place des points focaux, ainsi que d’élaborer des procédures et outils de communication à l’échelle locale et de multiplier les initiatives à ce niveau. Le renforcement de la coordination verticale sera aussi essentiel, au moyen par exemple d’un portail Internet ou d’un Intranet. Le gouvernement tirerait profit d’interactions plus systématiques avec les médias locaux et associatifs, afin de mieux ajuster son action à la variété des besoins de tous les citoyens. Le réseau des communicants publics pourrait jouer un rôle clé dans ce cadre. Des réunions régulières de ce réseau permettraient également de renforcer la coordination horizontale, facilitant ainsi la promotion des synergies intersectorielles.
Si l’on souhaite que la communication publique soit perçue comme une opportunité, et non comme un risque, il faut par ailleurs doter les fonctionnaires d’orientations claires sur la manière d’utiliser les réseaux sociaux en faveur de la participation et de la transparence. Près de la moitié des pays membres et partenaires de l’OCDE élaborent de telles directives, selon l’enquête 2017 sur les CG. Ceci est d’autant plus important que ces réseaux peuvent être des leviers pour une communication plus inclusive, avec 62% de jeunes et 42% de femmes actifs sur Facebook par exemple (Salem, 2017).
Cependant, et malgré le fait que les réseaux sociaux jouent un rôle toujours plus important dans l’information des citoyens au sujet des politiques publiques et des services, ils ne doivent toutefois pas prendre toute la place. Il est ainsi opportun de renforcer et de diversifier les canaux officiels de communication, tels que les communiqués de presse, l’actualisation des sites institutionnels et les conférences de presse. Par ailleurs, renforcer la communication autour de données vérifiables et concrètes permettrait d’effacer des années de méfiance à l’égard de la communication publique en Tunisie, ainsi qu’un scepticisme antérieur à la Révolution, des Tunisiens à l’égard des données officielles.
Pour que la communication soit un levier efficace pour l’État, il est enfin nécessaire de l’intégrer complètement aux différentes phases du processus d’élaboration des politiques publiques et des services publics, et non pas de la juxtaposer. Il faut aussi s’assurer que la communication devienne une partie intégrante des mécanismes et processus de participation des parties prenantes à la vie publique, et que les communicants soient sensibilisés à l’importance de ces mécanismes et à leur déploiement.
En ce qui concerne l’accès des journalistes et des citoyens à l’information
Le droit d’AI est un pilier de la démocratie. Il permet notamment de promouvoir une participation accrue de différentes parties prenantes à l’élaboration des politiques publiques, et renforce la capacité des médias à amener les gouvernements à rendre des comptes. La Tunisie a mené de nombreux efforts pour améliorer son cadre juridique en matière d’AI avec l’article 32 de la Constitution de 2014 et la Loi organique n°2016-22 du 24 mars 2016 relative au droit d’accès à l’information. Le classement RTI place la Tunisie parmi les pays dotés des cadres juridiques les plus solides au monde en ce qui concerne l’AI, puisqu’elle figure au 11ème rang sur 110 pays7 (Classement RTI, 2018)8 (Graphique 1.6). Le pays s’efforce actuellement de renforcer sa capacité institutionnelle de mise en œuvre de cette législation. Ce rapport analyse les avancées du pays dans ce cadre et propose des recommandations permettant au gouvernement de renforcer davantage la culture de transparence et ainsi que l’utilisation de cette législation par les citoyens et les journalistes.
Il est crucial de continuer à nommer et former des responsables de l’accès à l’information dans les différents ministères et administrations, à tous les niveaux du gouvernement. Il peut par ailleurs être utile de faciliter des échanges de bonnes pratiques entre, d’une part, ces responsables, ainsi que les équipes qui travaillent sur les initiatives relatives aux données ouvertes et les chargés de communication, et d’autre part, avec les journalistes et la société civile, afin de favoriser la compréhension des moyens de rendre cette diffusion des informations et données plus utile au public comme aux médias. Instituer des espaces d’échange pourrait en outre réduire les difficultés qui pèsent sur la mise en œuvre de la législation de l’AI, faciliter la hiérarchisation des données et des formats les plus intéressants, et favoriser la connaissance de la législation et de ses éventuels usages.
Le gouvernement pourrait en outre envisager de clarifier les rôles des agents chargés de l’accès à l’information et des communicants publics, de manière à s’assurer qu’ils travaillent en complémentarité. Ces derniers, du fait de leur relation privilégiée avec les médias, peuvent contribuer à la mise en œuvre de la législation d’AI en informant les journalistes à son sujet et en travaillant avec les responsables de l’AI pour encourager une divulgation proactive de l’information déterminée sur la base des principales requêtes d’AI.
Il faut aussi s’assurer que l’INAI bénéficie des ressources humaines et financières nécessaires à une bonne application de la loi. Le gouvernement devrait par ailleurs promouvoir une étroite collaboration entre l’INAI et les autres acteurs sociaux pertinents, et par exemple les ministères, les médias et la société civile, pour évaluer les succès et les difficultés dans ce domaine et ainsi mieux répondre aux demandes du public.
Les autorités locales pourraient elles aussi décider d’améliorer leurs procédures de gestion des données et de l’information, de renforcer leur présence sur Internet en publiant plus d’informations sur leurs politiques publiques et activités, en même temps que des données ouvertes.
En ce qui concerne les médias locaux et associatifs
L’écosystème médiatique en Tunisie a subi une transformation profonde depuis 2011, du fait de l’apparition de nouveaux médias locaux et associatifs, puis de leur reconnaissance officielle par le gouvernement. Les médias locaux peuvent, parallèlement au processus de décentralisation, œuvrer efficacement à l’amélioration de la transparence, de la responsabilité et de la participation. L’un des enjeux majeurs est toutefois de faire en sorte qu’ils permettent l’expression de tous les groupes sociaux et relaient les besoins et les préoccupations des citoyens de tous lieux géographiques et milieux sociaux.
Dans le prolongement des progrès faits dans la régulation juridique de ces médias, le gouvernement tunisien pourrait envisager d’adopter des politiques pour conforter leur existence, en coopération avec les principaux acteurs, c’est-à-dire la HAICA, le SNJT, la FDTJ, le CNP, les organisations de la presse et de la société civile, en premier lieu en termes financiers et techniques. Les médias locaux et associatifs tunisiens doivent en effet lutter pour identifier des modèles économiques viables. Les programmes de soutien financier peuvent être étendus et de nouveaux investissements réalisés en faveur de la professionnalisation des journalistes travaillant dans ce domaine. Renforcer le rôle de la HAICA et du CNP favoriserait de surcroît la promotion de l’éthique journalistique et d’un journalisme de qualité. Des programmes de formation et des échanges de bonnes pratiques en ce qui concerne la manière d’impliquer activement les citoyens dans la production et le traitement des informations, favoriserait par ailleurs une élaboration des politiques publiques plus inclusive, ce type de journalisme permettant en effet de renforcer la voix des citoyens.
Enfin, et comme le prévoit le Code des collectivités locales, la Tunisie pourrait davantage encourager les gouvernements locaux à interagir avec les médias locaux et associatifs, et envisage l’institution des forums de dialogue pour définir conjointement les priorités et les actions requises pour leur permettre de peser davantage sur l’élaboration des politiques locales. Le Code fait en effet une place à ces médias dans les réunions des conseils locaux et prévoie des commissions des conseils locaux sur les médias, la communication et l’évaluation.
En ce qui concerne le rôle des médias en ligne, réseaux sociaux et journalisme citoyen pour une plus grande participation des parties prenantes à la vie publique
Le rôle prédominant des technologies numériques et des réseaux sociaux au cours de la Révolution tunisienne, et l’affaiblissement consécutif de la censure d’Internet, ont bouleversé le paysage médiatique national. L’essor des journaux en ligne et du journalisme citoyen ouvre aux tunisiens et tunisiennes de nouveaux espaces de dialogue et des plateformes favorisant une diffusion rapide d’informations. Le journalisme citoyen peut en outre permettre une diversification des acteurs qui prennent la parole, au bénéfice notamment des groupes sous-représentés de la société, au premier rang desquels les femmes et les jeunes. En Tunisie, ces derniers sont en effet devenus de plus en plus actifs sur les réseaux sociaux comme Facebook (Graphiques 1.7 et 1.8).
Le gouvernement et les agences réglementaires des médias pourraient par conséquent engager une réflexion autour des bénéfices d’un renforcement du journalisme citoyen dans le pays, tout en encourageant les formations dans ce domaine. Par ailleurs, les communicants publics pourraient s’efforcer d’atteindre les journalistes citoyens, et tenir compte de leur implication dans l’élaboration des politiques publiques et la fourniture des services.
Au regard du rôle croissant que les médias sociaux, et notamment Facebook, jouent dans la vie quotidienne de nombreux Tunisiens, des difficultés se font jour. Comme la plupart des pays de l’OCDE, la Tunisie est confrontée à la prolifération de la désinformation et des discours de haine sur Internet. Une enquête de 2016 sur les médias tunisiens réalisée par l’Observatoire de l’éthique du SNJT, a relevé 276 de discours de haine ciblant des segments vulnérables de la population.
Pour faire face à la désinformation et aux discours de haine, le Conseil de la Presse et la HAICA pourraient aider les médias à renforcer l’implication du public dans leurs travaux. Le CAPJC et l’IPSI pourraient par ailleurs intégrer des sujets comme le journalisme citoyen et l’usage des réseaux sociaux, et l’implication du lectorat, dans les sessions de renforcement de capacités offertes aux journalistes et aux agents publics. Par ailleurs, l’éducation aux médias pourrait être une réponse directe à ces problèmes, puisqu’elle permet aux citoyens de mieux cerner le rôle des médias, d’évaluer l’information et de se faire une opinion informée sur certains enjeux. Le gouvernement pourrait continuer à adopter des initiatives dans ce domaine et mieux les intégrer au système éducatif – ceci en coopération étroite avec la société civile et les organisations des médias, et particulièrement les télévisions et radios nationales, le CNP et la HAICA. Il pourrait enfin organiser un dialogue multipartite entre les régulateurs, les médias et les organisations de la société civile, nourri par les recherches et les bonnes pratiques, autour des politiques et initiatives permettant de lutter contre la désinformation et les discours de haine.
Références
Classement RTI (2018), « Global Right to Information Rating », Access Info Europe and the Centre for Law and Democracy, www.rti-rating.org/country-data/.
Recommandation du Conseil de l’OCDE sur le Gouvernement ouvert (2017), https://www.oecd.org/gov/Recommendation-Gouvernement-Ouvert-Approuvée-141217.pdf.
Salem (2017), « The Arab Social Media Report 2017: Social Media and the Internet of Things: Towards Data-Driven Policymaking in the Arab World » (Vol. 7), MBR School of Government., www.mbrsg.ae/getattachment/1383b88a-6eb9-476a-bae4-61903688099b/Arab-Social-Media-Report-2017.
Notes
← 1. L’OCDE définit le gouvernement ouvert comme étant « une culture de gouvernance qui promeut les principes de transparence, d’intégrité, de redevabilité et de participation des parties prenantes, au service de la démocratie et de la croissance inclusive ».
← 2. Dans le cadre de ce rapport, est considérée comme communication publique l’ensemble des actions et initiatives de communication dont la responsabilité incombe à des institutions publiques, visant l’intérêt général et le service public. Contrairement à la communication politique, qui elle est attachée au débat politique et aux élections, la communication publique est un pilier de la gouvernance publique, et contribue au bon fonctionnement du service public. La communication institutionnelle quant à elle regroupe les actions de communication visant à promouvoir l’image d’une institution, d’une entreprise ou d’une organisation.
← 3. Le “Centre du Gouvernement” est l’entité qui fournit assistance et conseil au Chef du Gouvernement ou au Conseil des Ministres.
← 4. L’OCDE définit les écosystèmes médiatiques en référence aux structures de gouvernance des médias (c’est-à-dire les cadres institutionnels, légaux, politiques et réglementaires) et à leurs principaux acteurs (le gouvernement, les entreprises de médias classiques comme des réseaux sociaux aussi bien que les journalistes citoyens).
← 5. Ont participé à l’enquête les entités suivantes : le Ministère des Affaires Étrangères, le Ministère des Affaires Religieuses, le Ministère des Affaires Sociales, le Ministère de l'Agriculture des Ressources Hydrauliques et de la Pêche, le Ministère de la Défense Nationale, le Ministère du Développement, de l'Investissement et de la Coopération Internationale, le Ministère de l’Éducation, le Ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfance, le Ministère des Finances, le Ministère de la Justice, le Ministère de l'Intérieur, le Ministère des Technologies de la Communication et de l'Économie Numérique, le Ministère de Transport et la Présidence du Gouvernement.
← 6. https://www.article19.org/wp-content/uploads/2018/01/Tunisia-analysis-Audiovisual-Commission-Analysis-Final-December-2017.pdf.
← 7. Sur la base d’un système de notation qui mobilise des indicateurs relatifs au droit d’accès, à l’étendue de ce droit, aux procédures de demande, aux exceptions et aux rejets d’une demande, aux recours, sanctions et protections, ainsi qu’aux mesures de promotion.
← 8. RTI Rating (2018), « Global Right to Information Rating », Access Info Europe and the Centre for Law and Democracy, www.rti-rating.org/country-data/.