Les profonds bouleversements qu’a connus le monde ces dernières années se sont produits au moment même où il devenait plus urgent que jamais d'accélérer l'action contre le changement climatique. Le projet Zéro émission nette+ : Résilience climatique et économique dans un monde en mutation est axé sur les moyens de relever ce défi. Il exploite l’expertise multidisciplinaire de l’OCDE et fait de la résilience la clé de voûte d'une formulation des politiques climatiques efficace impliquant l'administration dans son ensemble. Il porte sur la manière de parvenir à la neutralité en gaz à effet de serre dans un monde en mutation rapide – c’est-à-dire de garantir que les politiques climatiques sont suffisamment ambitieuses mais aussi résilientes dans un monde où les perturbations se superposent. Il s'agit de renforcer la résilience aux effets du changement climatique lui-même tout en concevant des politiques qui tiennent pleinement compte des conséquences socioéconomiques et de considérations de justice et d'équité. Ce rapport constitue le résultat final de la première phase du projet.
Zéro émission nette+ (version abrégée)
Résumé
La turbulence des temps appelle une approche plus systémique de l’action climatique
La crise climatique requiert plus que jamais une mobilisation immédiate. Compte tenu de la menace que représente le franchissement des points de bascule du système climatique, un réchauffement supérieur à 1.5°C aurait probablement des conséquences catastrophiques. Empêcher ce danger de se concrétiser suppose une transformation beaucoup plus rapide des économies et des systèmes que ce qui a été réalisé jusqu’à présent et que ce qui est prévu. Parvenir à la neutralité en gaz à effet de serre à l’horizon 2050 ne suffit pas : c’est de la trajectoire suivie que dépendra le franchissement ou non des points de bascule. Il est indispensable de réduire rapidement et radicalement les émissions dès la décennie en cours et, en parallèle, de s'attacher à améliorer la résilience aux effets du changement climatique.
L’ampleur et le rythme de la transition vers la neutralité auront de profondes répercussions économiques et sociales dont il est capital de tenir compte dans l'élaboration des politiques climatiques de manière à renforcer la résilience économique tout en assurant la résilience de la transition elle-même. Les politiques climatiques ne sont cependant pas mises en œuvre en dehors de tout contexte. Les chocs survenus ces dernières années, par exemple la pandémie de COVID-19 et les conséquences considérables de la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine, ont montré à quel point il est important de concilier les priorités climatiques et la réponse à d'autres besoins sociaux et économiques pressants. Ils ont aussi mis en lumière la nécessité de renforcer la résilience pour que les systèmes soient capables d'anticiper d'éventuels chocs à venir, de les absorber, de s’en relever et de s’y adapter. Les outils et techniques de prospective stratégique peuvent être un moyen de mieux anticiper les perturbations, de mettre en place des mécanismes susceptibles d’en amortir les premiers effets et de se doter des capacités d'investir dans des mesures de redressement.
Une transition plus rapide vers la neutralité en gaz à effet de serre doit être résiliente dans la durée
Pour réussir la transition vers la neutralité en gaz à effet de serre, il faut agir plus et plus vite tout en mettant l’accent sur la résilience. Les pouvoirs publics peuvent aller plus loin pour partir sur de bonnes bases à court terme, notamment en faisant appel à un ensemble adapté d’instruments – fondés sur les prix ou non – et en réformant les subventions aux énergies fossiles. Aborder l'action climatique sous l'angle de la résilience suppose de repérer les blocages susceptibles de ralentir ou de compromettre la transition et de mettre au point des stratégies pour les anticiper et les surmonter. Les pénuries de matériaux, les points de vulnérabilité des chaînes d'approvisionnement, les pénuries de compétences, la hausse du coût du capital et l’approvisionnement en énergie propre ne sont que quelques exemples des domaines dans lesquels il faut agir pour éviter les blocages de nature à faire obstacle à l’accélération de l’action climatique.
Il ne peut pas y avoir de transition résiliente sans viabilité à long terme des finances publiques. Il faut que les pouvoirs publics traitent la résilience des finances publiques comme un aspect des efforts qu'ils déploient pour concevoir des cadres d’action complets et résilients dans le domaine du climat. Une nouvelle modélisation réalisée par l’OCDE pour les besoins de ce projet montre que les différents plans d'action climatique et la manière dont ils interagissent avec les structures économiques nationales se traduisent par une grande hétérogénéité des implications pour les finances publiques, lesquelles sont dans certains cas exposées à des risques considérables.
Les finances publiques ne pourront pas financer la transition à elles seules. Il est indispensable de veiller à l'alignement de l'investissement et des marchés financiers, ainsi que d’obtenir l’adhésion du secteur privé. Or, les engagements actuels manquent souvent de crédibilité. L’investissement respectant des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) pourrait servir de levier, mais pâtit d’une normalisation insuffisante et de pratiques d’écoblanchiment. En dehors de l’alignement des flux financiers et d'investissements, les entreprises non financières peuvent contribuer de manière déterminante à traduire les engagements climatiques en actions résilientes dans l’ensemble de l’économie réelle. Les instruments en matière de conduite responsable des entreprises adoptés par les pouvoirs publics constituent un outil important à cet égard.
Une transition résiliente suppose une large adhésion du public. Les politiques climatiques ont des effets distributifs considérables, que ce soit un impact direct sur le revenu des ménages et le marché du travail ou un effet indirect sur les biens consommés et sur l’activité économique, de même que des conséquences sur l’égalité des genres. Il est important de repérer ces effets et les moyens de les gérer, et de bien communiquer sur ces questions pour susciter l’adhésion du public et garantir une transition juste et équitable. Les recettes issues de la tarification du carbone, qui peuvent être non négligeables, pourraient être utilisées pour les compenser. De même, les transformations du marché du travail exigent de trouver un juste équilibre entre flexibilité du marché du travail et protection des travailleurs, et de disposer de meilleures évaluations des besoins en compétences afin d'éclairer la formulation des politiques de formation et d’enseignement professionnels.
Il ne sera pas possible de réussir la transition vers la neutralité de manière efficiente avec les technologies existantes, d'où l'importance de l’innovation technologique. Les mesures adoptées actuellement accordent trop de place au déploiement des technologies et trop peu à la recherche et développement. Pour exploiter pleinement le potentiel de l’innovation, les pouvoirs publics ne peuvent pas se contenter de réorienter leurs politiques relatives à la science, à la technologie et à l'innovation : il leur faut adopter une approche « axée sur les missions » en matière de conception comme de déploiement des technologies pour garantir une bonne articulation des mesures prises dans différents domaines de l’action publique.
Le changement climatique est un problème planétaire qui exige des réponses coordonnées à l’échelle mondiale et une confiance sans faille au niveau international. Pour qu’une réponse mondiale soit possible, il faut que les pays en développement puissent pourvoir à leurs besoins en matière de développement tout en décarbonant leur économie. La coopération pour le développement a donc un rôle central à jouer en ce qu’elle peut aider à concevoir des politiques permettant de concilier les priorités relatives au développement et les objectifs climatiques.
Renforcer la résilience systémique aux effets du changement climatique
Certains effets du changement climatique sont déjà une réalité, ce qui signifie que des efforts d’adaptation seront nécessaires pour éviter les pertes et les dommages. De ce point de vue aussi, il faut privilégier une approche systémique, c’est-à-dire rompre avec une démarche consistant à adapter les composantes individuelles des systèmes à tel ou tel risque climatique au profit d’une stratégie visant à renforcer la résilience globale. L'adaptation présentant cependant des limites, il est urgent de dépasser le clivage entre mesures d’adaptation et mesures d'atténuation au sein de la politique climatique. La réduction des émissions est indispensable pour limiter les risques climatiques et l'adaptation l’est tout autant pour garantir une transition résiliente vers la neutralité. Les possibilités de synergies sont nombreuses, y compris avec d'autres systèmes naturels tels que la biodiversité. Les solutions fondées sur la nature offrent un exemple de la façon dont ces synergies peuvent être utilisées pour concevoir des solutions efficientes et positives pour toutes les parties impliquées. Elles demeurent cependant peu utilisées.
Pour répondre aux besoins en matière d’adaptation, il faut que les flux financiers et les investissements soient en phase avec les objectifs de résilience. Les pouvoirs publics jouent un rôle central parce qu’il leur revient de créer un environnement propice à l'augmentation des dépenses d'adaptation. Une utilisation stratégique de subventions ou de prêts consentis à des conditions préférentielles par les banques multilatérales de développement peut avoir un impact très fort, à condition cependant que des réformes institutionnelles soient engagées. Le secteur de l’assurance, qui est à la fois un prestataire de protection financière et un investisseur de portefeuille de premier plan, est particulièrement bien placé pour renforcer les efforts d'adaptation, notamment en créant des outils d'analyse des risques, en envoyant des signaux concernant les risques et en instaurant des mécanismes incitatifs.
Accélérer l’action climatique :12 pistes à suivre par les pouvoirs publics pour renforcer la résilience climatique et économique
1. Face à la menace que représente le franchissement de points de bascule du système climatique, faire tout ce qui est possible pour que la hausse des températures dépasse le moins possible 1.5°C – l’accélération de la réduction des émissions et la trajectoire suivie ont de l’importance.
2. Veiller à ce que les dépenses au titre de l’intervention face aux crises et de la relance économique soient suffisamment ciblées et soient cohérentes par rapport aux objectifs climatiques.
3. Faire en sorte que les stratégies climatiques soient le plus « résistantes au futur » possible, les soumettre à des tests de résistance au moyen de techniques de prospective stratégique et anticiper les blocages susceptibles de faire obstacle à la transition – en lien avec les finances publiques, le coût du capital, l’approvisionnement en énergie et en matériaux, les compétences, l’innovation, par exemple.
4. Pour accélérer la transition et améliorer la résilience systémique, privilégier le niveau systémique pour la formulation des politiques publiques au lieu de se focaliser sur les composantes ou résultats individuels.
5. Partir sur de bonnes bases en matière d'action climatique, notamment en adoptant un ensemble d’instruments – fondés sur les prix ou non – adapté au contexte régional, national et local et en verdissant la gouvernance publique.
6. Faire de l’adaptation au changement climatique une dimension transversale de tous les mécanismes d'action nationaux et exploiter les synergies entre les objectifs d’adaptation et d'atténuation, liés les uns aux autres, en évitant le plus possible d’avoir à privilégier les uns au détriment des autres.
7. S'attaquer aux conséquences de la transition sur les finances publiques au moyen d'une planification budgétaire rigoureuse, reposant sur une évaluation des effets directs et indirects des mesures et sur l'introduction d'instruments fiscaux compatibles avec la transition.
8. Accélérer l’innovation au moyen d’une approche axée sur les missions et les résultats pour stimuler le cycle de l'innovation dans son ensemble. Privilégier des mesures de soutien ciblées en faveur de la première phase du processus d'innovation et de la recherche et développement.
9. Évaluer soigneusement les effets distributifs directs et indirects de l’action climatique ; envisager de multiples solutions de recyclage des recettes et faire appel à une communication efficace, précise, claire et accessible pour informer le public du fonctionnement des mesures.
10. Accompagner l'apparition de nouvelles formes d’emploi en garantissant une flexibilité et une mobilité suffisantes du marché du travail tout en œuvrant pour la qualité des emplois et en protégeant les travailleurs ; repérer les besoins en compétences et les goulets d'étranglement et ériger la montée en compétences ou la reconversion des travailleurs au rang de priorité.
11. Assurer une cohérence plus grande entre les politiques relatives au système financier et les objectifs d’atténuation et d'adaptation, par exemple à travers de meilleures pratiques de marché, en assurant la cohérence des politiques d'investissement, en faisant appel aux instruments en matière de conduite responsable des entreprises et en exploitant le double rôle du secteur de l'assurance, qui est à la fois investisseur et prestataire d'assurance.
12. Faire le choix d'une stratégie globale qui reconnaisse les liens entre l'action climatique et l'action pour le développement, en agissant sur tous les leviers de la coopération pour le développement afin d'élaborer une « approche commune » garantissant l'alignement entre objectifs en matière de développement et objectifs climatiques.