Zéro émission nette+ (version abrégée)

1. Zéro émission nette+ : introduction et résumé complet

L'urgence climatique n’a jamais été aussi grande. Le sixième rapport d’évaluation du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) montre clairement que le changement climatique dû aux activités humaines est en marche et s'accélère, et qu’il est indispensable de mettre en œuvre une action concertée visant à réduire radicalement les émissions mondiales afin de parvenir à la neutralité et à permettre une adaptation aux effets grandissants du changement climatique.

Toutefois, les politiques climatiques ne sont ni conçues ni mises en œuvre indépendamment du contexte dans lequel elles s’inscrivent. Les chocs sans précédent survenus ces dernières années, par exemple la pandémie de COVID-19 et les conséquences considérables de la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine, mettent en lumière le défi auquel les responsables de l’action publique sont actuellement confrontés : accélérer la dynamique de l’action climatique à long terme tout en répondant à d'autres besoins sociaux et économiques pressants.

Ce défi est au centre du projet Zéro émission nette+ : Résilience climatique et économique dans un monde en mutation (Zéro émission nette+). Zéro émission nette+ rassemble les conclusions pertinentes issues de travaux exploitant l’expertise multidisciplinaire de l’OCDE – environnement, politique économique et fiscale, affaires financières et budgétaires, développement, sciences et technologies, emploi et affaires sociales – et fournit ainsi aux décideurs publics un ensemble cohérent de recommandations à suivre pour assurer la résilience de la transition vers la neutralité en gaz à effet de serre (GES) et la résilience aux effets du changement climatique, Il constitue donc une avancée majeure pour l’approche de l’OCDE à l’échelle de l’ensemble de l’administration en matière de politique climatique.

Graphique 1.1. Zéro émission nette+ tire parti de l’expertise de l’OCDE dans tous ses domaines d'activité

Tirer la sonnette d'alarme : la probabilité de franchir les points de bascule du système climatique augmente

Le risque de plus en plus grand de franchir les points de bascule du système climatique illustre l’urgence de la crise climatique. À partir de certains niveaux de réchauffement, le franchissement de ces « points de non retour » pour certains éléments du système climatique entraînerait une transformation irréversible et potentiellement brutale de l’environnement. Ce franchissement pourrait se produire dans un laps de temps suffisamment court pour que les sociétés humaines soient dans l’incapacité et l'impossibilité de s'adapter, ce qui aurait des conséquences catastrophiques à grande échelle.

D'après les dernières données scientifiques, ces points de bascule pourraient être atteints à partir d'un niveau de réchauffement plus faible qu’envisagé jusqu’à présent, voire, pour certains d’entre eux, à partir des niveaux actuels (Graphique 1.2). Ces risques ont des implications énormes pour l’élaboration de l'action publique à court terme. L’action climatique doit connaître une accélération forte. L’enjeu n’est pas seulement de parvenir à la neutralité en GES à une certaine date : la voie empruntée pour l'atteindre est déterminante pour limiter le risque de franchissement des points de bascule. Pour ramener ce risque à son minimum, il faut faire tout ce qui est possible pour que la hausse des températures ne dépasse pas 1.5°C.

Graphique 1.2. Seuils de réchauffement à partir desquels des points de bascule du système climatique risquent d’être franchis

Source : OCDE (2022), d’après (McKay et al., 2022[1]).

Malgré de récents progrès sur le front de la réduction des émissions, l'action climatique demeure beaucoup trop lente. Une forte accélération est indispensable. Dans le même temps, le COVID-19 et la guerre contre l’Ukraine ont mis en lumière la vulnérabilité économique et sociale des systèmes humains et la menace que les perturbations socioéconomiques peuvent représenter pour la résilience de l’action climatique.

La nature systémique des risques climatiques et les crises qui se superposent appellent une réponse systémique

Alors que les sommes investies pour favoriser la reprise après la pandémie de COVID-19 offraient une occasion d’intensifier l'action climatique, il est maintenant établi que sur le plan de l’environnement, elles n’ont pas permis de tenir la promesse de « reconstruire en mieux ». La base de données de l'OCDE sur la relance verte montre qu’environ un tiers du budget consacré à la relance a financé des mesures favorables à l’environnement, tandis que près de 15 % de ce budget ont financé des activités néfastes pour l’environnement. Le tableau est tout aussi contrasté s'agissant des mesures prises par les pays face aux conséquences sociales et économiques immédiates de la guerre en Ukraine. La réorientation des priorités en faveur de la sécurité énergétique a certes fortement stimulé les efforts de décarbonation du secteur de l’énergie, mais les mesures temporaires adoptées pour sécuriser l’approvisionnement en énergie et offrir un soutien non ciblé aux ménages face à la hausse du coût de la vie – sous la forme d'un soutien des prix – risquent d’encourager et de pérenniser l’utilisation d’énergie fossile et de compromettre ainsi la transition vers la neutralité.

À cela s’ajoute que l’ampleur et le rythme de la transition vers la neutralité en GES elle-même auront d’énormes répercussions économiques sur les finances publiques, sur les marchés du travail et sur la répartition du revenu. Parallèlement, le monde est confronté à d'autres « mégatendances » appelant une action urgente, toutes porteuses de leurs propres difficultés et opportunités, notamment la transformation rapide du marché du travail, le vieillissement démographique, la transformation numérique de l’économie et, évidemment, les dommages à l’environnement provoqués par le changement climatique, le recul de la biodiversité, la dégradation de l’état des océans, entre autres, et les points de bascule inhérents à ces phénomènes. Il est donc essentiel d’en tenir compte dans l'élaboration des politiques climatiques de manière à renforcer la résilience économique tout en faisant en sorte que la transition soit résiliente et durable.

S'il est possible de prédire jusqu’à un certain point les effets du changement climatique, il est plus difficile de prévoir dans quelle mesure il se chevauchera et interagira avec d'autres changements d’envergure mondiale. C’est pourquoi l'adoption d’une démarche qui privilégie des systèmes « conçus pour être résilients » – par exemple des systèmes prêts à faire face et à réagir à de multiples chocs dont la nature exacte n’est pas connue – s'impose. Il convient à cette fin de faire appel à des outils et techniques prospectifs permettant de mieux anticiper les chocs à venir, de mettre en place des mécanismes susceptibles d’en amortir les premiers effets et de disposer des ressources requises pour investir dans des mesures de redressement. Il faut aussi reconnaître que certains changements seront peut-être irréversibles et impliquent une adaptation définitive à la nouvelle donne.

Graphique 1.3. Qu’est-ce que la résilience systémique ?

Source : (OECD, 2020[2]).

Malgré des progrès récents, le changement climatique n’est pas encore suffisamment pris en compte dans les principaux domaines de la politique économique. Par ailleurs, l'atténuation et l'adaptation demeurent, dans une large mesure, deux volets de la politique climatique séparés l’un de l’autre et d'autres préoccupations environnementales telles que la biodiversité. Une vision systémique de la résilience exige d'éliminer ce cloisonnement, de repérer les interactions et synergies possibles, par exemple entre l’atténuation du changement climatique, l’adaptation à ce changement et la lutte contre le recul de la biodiversité.

Encadré 1.1. Recommandations : Réagir à l’augmentation des risques climatiques dans un contexte marqué par d'autres crises mondiales

• Agir maintenant pour éviter de possibles effets catastrophiques liés aux points de bascule du système climatique (chapitre 2)

  • Prendre toutes les mesures possibles pour limiter la hausse des températures à 1.5°C, sans dépassement ou avec un dépassement faible.

  • Renforcer les contributions déterminées au niveau national (CDN) avant 2025, en érigeant dès à présent l’accélération de la réduction des émissions au rang de priorité.

  • Se préparer à l’éventualité d'un franchissement des points de bascule du système climatique même si l’objectif consistant à limiter le réchauffement à 1.5°C est atteint.

  • Améliorer les systèmes de surveillance et d'alerte précoce et modéliser les effets probables. Suivre et évaluer régulièrement les politiques mises en œuvre.

• Assurer la résilience de l’action climatique face à des chocs mondiaux imprévisibles et concomitants (chapitre 3)

  • Veiller à ce que les dépenses au titre de l’intervention en cas de crise et de la relance économique soient en phase et non en contradiction avec les objectifs climatiques.

• Faire en sorte que les stratégies climatiques soient le plus « résistantes au futur » possible (chapitre 4)

  • Orienter l'action publique de telle manière que le système dans son ensemble plutôt que des composantes ou résultats individuels soit en phase avec les objectifs climatiques.

  • Aller au-delà d'un critère d’efficience immédiate pour mieux absorber les futurs chocs et limiter le besoin d’interventions d’urgence.

  • Soumettre les stratégies en faveur de la neutralité en GES à des tests de résistance en faisant appel à des outils de prospective stratégique.

Atténuer à tout prix pour garantir une transition résiliente

Une transition résiliente vers la neutralité en GES nécessite une stratégie juste et coordonnée à l’échelle mondiale, faite de mesures adaptées aux spécificités nationales et d’un soutien, financier et non financier, aux pays en développement.

Dans un premier temps, les responsables de l’action publique doivent partir sur de bonnes bases, c’est-à-dire mettre en place des cadres d’action à long terme clairs, définir des objectifs généraux et cibles intermédiaires alignés sur ces objectifs et veiller à ce que les avancées fassent l’objet d’un suivi et d’un contrôle réguliers. Il faut aussi qu’ils envisagent l’intégralité des instruments d'action qui existent en matière climatique et qu’ils adaptent les diverses mesures choisies en fonction des spécificités nationales, y compris la suppression progressive des subventions aux énergies fossiles.

À l'appui de ces instruments de base, ils peuvent faire appel à des instruments de gouvernance publique, par exemple à la « budgétisation verte », pour que les dépenses publiques soient davantage au service de la transition, et utiliser le levier de la commande publique pour stimuler la demande de produits et services verts. La réussite de la transition passant par l’adoption d’une approche qui implique réellement l’administration dans son ensemble, les institutions qui constituent le centre de gouvernement peuvent jouer un rôle clé en assurant la coordination des mesures entre les divers services et leur cohérence. Les autorités infranationales sont tout aussi importantes et sont souvent à la manœuvre dans l'application de certains instruments d’action sur le terrain.

Pour garantir la résilience de la transition vers la neutralité en GES, il ne suffit pas d'agir plus et plus vite. Il faut aussi avoir conscience des blocages susceptibles de ralentir ou de compromettre la transition et concevoir des stratégies permettant de les anticiper et d’y remédier. Les pénuries de matériaux, les points de fragilité des chaînes d'approvisionnement, les pénuries de compétences, la longueur des procédures d’autorisation et l’augmentation du coût du capital sont des exemples parmi d'autres d’obstacles potentiels de nature à ralentir l'action climatique. Ainsi, la transition doit pouvoir s'appuyer sur des chaînes fiables pour l’approvisionnement en matériaux essentiels. Or, ces chaînes d'approvisionnement sont actuellement très concentrées géographiquement, qu’il s'agisse de l’origine de la chaîne, de la transformation ou de la production (Graphique 1.4). Il convient donc que les pouvoirs publics encouragent une diversification des chaînes d'approvisionnement, en tenant compte, en particulier, des enseignements qui peuvent être tirés de la crise énergétique provoquée par la guerre en Ukraine.

Graphique 1.4. Parts des différentes régions dans la production mondiale de certains matériaux essentiels, 2021

Source : (IEA, 2023[3]).

Ne pas perdre de vue les risques pour les finances publiques

La transition vers la neutralité va entraîner des réorientations de l’activité économique et nécessiter une forte mobilisation de ressources publiques. Il est donc indispensable de tenir compte des conséquences financières à long terme de différentes stratégies climatiques. De surcroît, les crises récentes ont montré à quel point les finances publiques sont importantes pour favoriser la reprise économique et stimuler l'investissement privé. Toutefois, les déficits budgétaires non négligeables qui se sont formés ces dernières années ne pourront pas rester à ce niveau pendant les décennies à venir.

Une nouvelle modélisation des conséquences de la transition vers la neutralité en GES réalisée par l’OCDE montre que l'interaction entre différents plans d'action climatique et structures économiques nationales se traduit par une grande hétérogénéité des conséquences pour les finances publiques. Certaines mesures entraînent une hausse des recettes publiques au fil du temps et d'autres une baisse. Globalement dans les scénarios modélisés, les recettes publiques enregistrent une baisse comprise entre 0.7 % et 3.4 % du PIB (Graphique 1.5). Les pouvoirs publics devront donc trouver d'autres sources de recettes pour compenser la diminution de l’assiette fiscale induite par la transition. À titre d’exemple, si une mesure d’atténuation est conçue pour entraîner une hausse de la croissance, il en résultera de nouvelles recettes, susceptibles de compenser la diminution de l’assiette fiscale. Les différences dues aux instruments d'action choisis et les disparités entre régions montrent qu’une planification budgétaire rigoureuse doit faire partie intégrante de la conception de l'action climatique. La modélisation révèle aussi qu’il est important de tenir compte des interactions entre les politiques et des effets indirects qu’elles peuvent avoir sur les recettes publiques.

Graphique 1.5. Dans un scénario de neutralité, la variation des recettes publiques nettes est comprise entre -0.7 % et -3.4 % du PIB de référence en 2050 selon la région

Note : Les losanges noirs correspondent au scénario de neutralité dans lequel tous les instruments d'action sont appliqués. Ils diffèrent de la somme des effets des différents instruments appliqués individuellement, qui sont représentés dans les barres, en raison des interactions entre les divers instruments. RSEF = réforme des subventions aux énergies fossiles

Source : Modèle ENV-linkages de l'OCDE.

Une innovation axée sur les missions est essentielle

D’après le scénario « neutralité à l’horizon 2050 » de l’Agence internationale de l'énergie (AIE), à l’échelle mondiale, la moitié de la réduction des émissions de CO₂ dues à l'énergie devra être permise par des technologies qui ne sont pas encore totalement commercialisées. Or, si l’on en croit les tendances récentes, le rythme de l’innovation n’est pas suffisant. Le nombre de brevets portant sur des technologies bas carbone diminue tandis que le dépôt de marques progresse, ce qui est le signe que l'innovation ralentit tandis que les technologies plus matures arrivent sur le marché. De même, les investissements de capital-risque dans les technologies liées au climat visent principalement des technologies en début ou en fin de développement, au lieu d'apporter le capital d’amorçage indispensable pour soutenir l’innovation. L’analyse montre que les mesures actuelles accordent trop d’importance au déploiement des technologies et trop peu à la recherche et développement.

Pour inverser ces tendances, les pouvoirs publics doivent réorienter leurs politiques en direction de la recherche et développement et adopter une approche « axée sur les missions » afin d’obtenir des résultats tout au long de la chaîne de l'innovation, et doivent tenir compte des conséquences que des mesures climatiques de base telles que la tarification du carbone et la définition de normes peuvent avoir sur l’innovation.

Garantir une transition vers la neutralité en GES qui soit juste et équitable et qui recueille l’adhésion du public

La neutralité en GES à l’horizon 2050 ne sera possible qu’au prix de changements radicaux au sein de la société et de l'économie, lesquels dépendront des actes et attitudes des pouvoirs publics et des citoyens. Veiller à ce que la transition soit efficace, juste, équitable et, finalement, résiliente permettra d’obtenir une adhésion large et forte du public, sans laquelle il ne peut y avoir d’action résiliente. Il s’ensuit que les pouvoirs publics doivent introduire des mesures permettant des progrès crédibles vers la réalisation d’objectifs environnementaux ; obtenir une confiance à l’égard de l’administration ; s'attaquer aux effets distributifs des politiques et effets du changement climatique et communiquer sur ces aspects ; évaluer les transformations du marché du travail que ces politiques peuvent induire et apporter des réponses.

Les effets de l’action climatique sur les individus sont nombreux et complexes, avec les conséquences qui en résultent sur l’inégalité entre les genres ; de surcroît, ils interagissent avec d'autres mégatendances telles que la numérisation et le changement démographique, de même qu’avec les conséquences du changement climatique elles-mêmes. Les politiques climatiques ont des effets directs et indirects sur le revenu des ménages. Alors que ces deux types de conséquences peuvent être de même ampleur, il est fréquent que les effets indirects ne soient pas pris en compte dans les évaluations des conséquences distributives. Les disparités régionales constituent aussi un aspect important. S’agissant des mutations du marché du travail, il est essentiel de mieux comprendre quelles compétences sont nécessaires à la transition, de repérer celles qui risquent de faire défaut et de mettre au point des programmes de reconversion pour éviter ces pénuries. Des politiques pour l’emploi et politiques sociales suffisamment flexibles, conçues sur la base d’une analyse rigoureuse, seront précieuses pour faciliter la transition bas carbone et pour garantir une forte adhésion du public à l’action climatique.

Mettre la finance et l’investissement au service des objectifs de neutralité

Les finances publiques ne pourront pas financer la transition à elles seules. Il est indispensable de veiller à ce que l'investissement et les marchés financiers soient au service de la transition, de même que d’obtenir l’adhésion du secteur privé. Or, les engagements actuels manquent souvent de crédibilité. L’investissement respectant des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) pourrait servir de levier, mais pâtit d’une normalisation insuffisante et de l’existence de pratiques d’écoblanchiment.

Les entreprises jouent un rôle central dans le rehaussement de l’ambition climatique et la mise en œuvre de la transition vers la neutralité en GES, traduisant les engagements des pouvoirs publics et le financement et les investissements correspondants en actions cohérentes dans les divers secteurs de l'économie réelle. Pour que les engagements du secteur privé contribuent à une transition résiliente, il faut qu’ils soient mis en œuvre dans le respect de l’intégrité environnementale ; il faut éviter l’écoblanchiment et prévoir une protection contre l’impact négatif d'autres activités des entreprises.

La réponse doit être mondiale

Le changement climatique étant un phénomène planétaire et les économies étant étroitement interconnectées les unes avec les autres, une transition résiliente et durable passe par une action à l’échelle mondiale. Les pays en développement – qui seront à la fois émetteurs de la plus grande partie des émissions futures et les plus exposés aux effets qu'aura le changement climatique – auront besoin d’un soutien international pour répondre aux besoins liés au développement tout en décarbonant leur économie et en renforçant leur résilience aux effets du changement climatique, comme en témoignent les données de l’IPAC (Graphique 1.6). Une coopération internationale sera donc nécessaire à plusieurs niveaux, ce qui revêt une importance croissante à l’heure où les tensions internationales s'intensifient.

Graphique 1.6. Les émissions par habitant on reculé dans les pays de l’OCDE mais sont en hausse dans les pays non membres

Note : Les chiffres du PIB utilisés pour établir ce graphique proviennent de (OCDE, 2023[4]) ; les données relatives aux émissions de CO₂ sont issues de (IEA, 2022[5]).

Source : (IEA, 2022[5]).

Le processus de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) demeure fondamental et a abouti, lors des COP26 et COP27 en 2021 et 2022, à des accords importants portant sur l'atténuation, l'adaptation, le financement et les pertes et dommages. Au-delà du multilatéralisme, l'établissement de partenariats stratégiques permettant aux pays en développement d’obtenir le soutien dont ils ont besoin, dont les partenariats pour une transition juste, et de diversifier les chaînes d'approvisionnement en énergie propre est capital. L'aide au développement peut jouer un rôle essentiel à cet égard, mais elle n’est pour l’heure pas assez alignée sur les objectifs climatiques. À cela s'ajoute que les pays en développement doivent encore supporter un coût du capital beaucoup plus élevé pour financer les investissements dans les technologies bas carbone. Surmonter cet obstacle est primordial pour la réussite de l’action climatique. Le Forum inclusif de l’OCDE sur les approches d’atténuation des émissions de carbone (FIAAEC) peut aussi contribuer à améliorer la confiance à l’égard des actions menées par les pays et leur transparence.

Encadré 1.2. Recommandations : Préserver la résilience de la transition vers la neutralité en GES

• Partir sur de bonnes bases

  • Tenir compte de l’ensemble des instruments d'action, fondés sur les prix ou non et incluant une réforme des subventions aux énergies fossiles, et adapter les mesures prises aux spécificités régionales, nationales et locales.

  • Élaborer les politiques climatiques en impliquant l’administration dans son ensemble, en faisant appel aux instruments de gouvernance publique, par exemple la « budgétisation verte », et en associant les autorités et institutions infranationales pour promouvoir la mise en œuvre.

• Repérer les blocages susceptibles de faire obstacle à la transition et y remédier (chapitre 5)

• S'attaquer aux conséquences de la transition sur les finances publiques (chapitre 6)

  • Procéder à une planification budgétaire rigoureuse pour que les finances publiques résistent à la transition vers la neutralité en GES, en tenant compte des effets directs et indirects des instruments d'action.

  • Prévoir l’introduction de nouveaux instruments fiscaux, par exemple des redevances kilométriques sur les véhicules, pour préserver la résilience budgétaire tout au long de la transition.

• Adopter une approche axée sur les missions et les résultats pour stimuler le cycle de l'innovation (chapitre 7)

  • Privilégier des mesures de soutien ciblées en faveur de la première phase du processus d'innovation et de la recherche et développement.

  • Faire de la politique relative à l’innovation une dimension de politiques climatiques complémentaires telles que la tarification du carbone, le soutien aux technologies et les normes technologiques, et mettre en place les dispositifs de formation et de développement des compétences correspondants.

• Garantir une transition vers la neutralité en GES qui soit juste et équitable et qui recueille l’adhésion du public (chapitre 8)

  • Privilégier une communication efficace, précise, claire et accessible avec le public au sujet du fonctionnement des mesures et des effets distributifs à prévoir.

  • Combattre la mésinformation et la désinformation en adoptant des normes communes en matière de données pour suivre le changement climatique.

• Garantir une transition juste et équitable (chapitre 8)

  • Évaluer rigoureusement les effets distributifs directs et indirects du changement climatique et envisager plusieurs possibilités de recyclage des recettes, en veillant à ce qu’elles soient adaptées au contexte local, et diffuser des informations claires à ce sujet.

  • Accompagner l'apparition de nouvelles formes d’emploi en garantissant une flexibilité et une mobilité suffisantes du marché du travail tout en œuvrant pour la qualité des emplois et en protégeant les travailleurs des pratiques abusives.

  • Repérer les besoins en compétences et les goulets d'étranglement au moyen d'une planification à long terme et mettre en place un soutien pour assurer le perfectionnement ou la reconversion des travailleurs afin de pourvoir à ces besoins.

• Assurer une bonne articulation entre le financement et les initiatives du secteur privé d’une part et les objectifs des politiques d'atténuation du changement climatique d'autre part (chapitre 9)

  • Ériger au rang de priorité la recherche, l'amélioration de la collecte de données et le renforcement de la coordination pour que le financement soit plus en phase avec les objectifs climatiques.

  • Utiliser des pratiques de marché, par exemple l'investissement ESG, pour accélérer la mobilisation de capitaux et leur redéploiement au profit d'investissements dans la transition vers la neutralité en GES et veiller à ce que les politiques en matière d’investissement direct étranger et de traités d’investissement soient en cohérence avec les objectifs climatiques.

  • Reconnaître que la hausse du coût du capital constitue un obstacle aux investissements dans les technologies bas carbone et y remédier.

  • Utiliser les instruments en matière de conduite responsable des entreprises et les orientations sur le devoir de diligence pour favoriser une action climatique pilotée par le secteur privé.

• Tirer parti des liens entre action climatique et développement (chapitre 10)

  • Exploiter tous les leviers de la coopération pour le développement afin de mettre en place une « approche mondiale » assurant une bonne articulation entre objectifs climatiques et objectifs de développement.

Renforcer la résilience systémique aux effets inévitables du changement climatique

Certains effets du changement climatique sont déjà une réalité. Pour la seule année 2021, le coût direct des événements extrêmes liés au climat est estimé à 265 milliards EUR à l'échelle mondiale. En outre, les données de l’IPAC révèlent des changements observables (Graphique 1.7).

Graphique 1.7. Variation annuelle moyenne du nombre de jours inhabituellement chauds au cours de la période 1979-2021

Source : (Maes et al., 2022[6]).

Des efforts d'adaptation supplémentaires seront nécessaires pour limiter les pertes et dommages imputables aux effets du changement climatique. Dans ce domaine également, il convient d’adopter une approche systémique, c’est-à-dire de privilégier le renforcement de la résilience globale au lieu de réagir à certains risques climatiques en particulier. Il faut à cette fin évaluer de façon continue et exhaustive les dangers, l’exposition aux risques et la vulnérabilité et tenir compte des spécificités régionales. Il faut aussi que les efforts d'adaptation et les cadres de gouvernance généraux deviennent proactifs et dynamiques.

Il y a toutefois des limites à l'adaptation. La menace que représente le franchissement des points de bascule rend l’adoption de mesures d’atténuation plus urgente que jamais. Les synergies sont nombreuses, et la nécessité de dépasser le clivage entre atténuation et adaptation est évidente. À titre d’exemple, la restauration des forêts et des mangroves est l’occasion d'augmenter la capacité de stockage de carbone des écosystèmes et contribue dans le même temps à réduire les risques liés à météorologie tels que les glissements de terrain et les raz-de-marée.

Il existe également des liens importants avec d'autres crises environnementales, par exemple le recul de la biodiversité. Les écosystèmes marins et terrestres sont des puits de carbone naturels, séquestrant chaque année en termes bruts l’équivalent d’environ 60 % des émissions anthropiques mondiales. Selon les estimations, la conservation, la restauration et une meilleure gestion des forêts, prairies, terres humides et terres agricoles pourraient éliminer l’équivalent de 23.8 gigatonnes d'émissions de CO₂ cumulées à l’horizon 2030. Les solutions fondées sur la nature illustrent la manière dont ces synergies peuvent être exploitées pour offrir des moyens d'action rentables et positifs pour toutes les parties, mais elles occupent une place marginale en raison d’une méconnaissance de leur efficacité, de difficultés à quantifier leurs coûts et avantages, et de leur absence des taxonomies utilisées pour classer les politiques climatiques et des structures juridiques.

Mettre la finance et l’investissement au service de la résilience

Il est indispensable d’investir davantage dans l’adaptation pour assurer la résilience aux conséquences physiques du changement climatique. Il faut impérativement que les flux financiers soient au service d’un développement résilient au changement climatique, et soient mobilisés en tant que ressources supplémentaires pour financer les mesures d'adaptation nécessaires. D'après les estimations, les ressources nécessaires pour financer l’adaptation dans les seuls pays en développement sont comprises entre 140 et 300 milliards USD par an à l’horizon 2030 et entre 280 et 500 milliards USD par an à l’horizon 2050. Des progrès sont en cours à cet égard. Bien que l’atténuation continue d’absorber la plus grande partie du financement pour le climat fourni et mobilisé par les pays développés (58 % en 2020), le financement destiné à l’adaptation a pratiquement triplé entre 2016 et 2020. Assurer un suivi des investissements dans l'adaptation demeure cependant compliqué faute de définitions communes. Les estimations existantes reposent principalement sur l’aide au développement et autres formes de financement public international.

Les fonds publics ne suffiront pas à combler le manque de financement. Il faut donc que tous les flux financiers et investissements soient mis au service d’objectifs de résilience de telle manière que les efforts d'adaptation ne soient pas compromis. Les milliers de milliards d’euros investis chaque année seront réorientés seulement si l’environnement est plus favorable. Les pouvoirs publics jouent un rôle fondamental sur ce plan à travers la production et la diffusion d'informations sur les risques climatiques, la communication d’objectifs d’adaptation clairs et l’utilisation d'instruments économiques et réglementaires. L’utilisation stratégique de subventions et de prêts consentis à des conditions préférentielles par les banques multilatérales de développement peut constituer un moyen très efficace, mais exige des réformes institutionnelles.

Par ailleurs, le secteur financier lui-même manifeste un intérêt grandissant pour les questions liées à la résilience climatique, en raison des coûts de plus en plus visibles des événements extrêmes et des perspectives financières de plus en plus grandes qu’offre le changement climatique. Le secteur de l’assurance, en particulier, est très bien placé pour contribuer à renforcer la résilience aux effets du changement climatique parce qu’il est à la fois un investisseur et un prestataire de protection financière. Il revient aux pouvoirs publics d’imposer un suivi adéquat du risque climatique dans le secteur de l’assurance et de revoir la réglementation qui empêche les assureurs de fixer les primes d’assurance à un niveau qui reflète réellement les risques. La température mondiale augmentant et les conséquences de ce réchauffement étant de plus en plus grandes, le paysage mondial du risque change lui aussi et l’intérêt à investir dans l’adaptation s'accroît. Pour mettre à profit cet intérêt, il faut que les investisseurs eux-mêmes aient une appétence pour des possibilités d’investissement alignées sur les objectifs d'adaptation et se dotent de cadres et de normes minimum en ce qui concerne les informations qu’ils exigent des entreprises dans lesquelles ils investissent. Plusieurs initiatives sont en cours, mais il subsiste des difficultés concernant la mesure des flux financiers et la collecte des données.

Encadré 1.3. Recommandations : Renforcer la résilience systémique aux effets du changement climatique

• Évaluer les effets du changement climatique et les besoins en matière d’adaptation (chapitre 11)

  • Continuer de faire de l’adaptation une dimension transversale de toutes les politiques nationales. Réaliser une planification complète de l’adaptation et assurer un suivi et un contrôle des mesures appliquées.

  • Concevoir des outils de mesure appropriés. Actualiser régulièrement les évaluations de la vulnérabilité, des dangers et de l’exposition au risque.

• Appliquer une approche systémique (chapitre 12)

  • Réaliser des analyses rigoureuses pour exploiter les synergies et éviter le plus possible d'avoir à faire un choix entre les objectifs d'atténuation et d'adaptation, qui sont liés les uns aux autres, et entre les objectifs climatiques et d'autres objectifs environnementaux.

  • Repérer les possibilités de faire appel à des solutions fondées sur la nature, les mettre en œuvre et en assurer le suivi de manière à réellement favoriser les synergies entre adaptation et atténuation.

  • Adopter une vision systémique de la résilience climatique dans les principaux systèmes. Par exemple, évaluer et traiter les vulnérabilités dans l’ensemble du système alimentaire au lieu de proposer des mesures incitatives et des actions éducatives pour l’adaptation au niveau des exploitations agricoles.

• Financer l’adaptation dans un monde où les risques augmentent (chapitre 13)

  • Augmenter les ressources disponibles pour financer le large éventail de mesures d'adaptation nécessaires face aux effets du changement climatique.

  • Faciliter l'alignement des flux financiers sur les besoins en matière d’adaptation.

  • Envisager que les pouvoirs publics puissent exploiter le double rôle du secteur de l’assurance – qui est à la fois investisseur et prestataire d'assurance – par exemple en adoptant une réglementation sur l’évaluation du risque climatique.

Encadré 1.4. Conception et structure du projet horizontal de l’OCDE sur la résilience climatique et économique

Les projets horizontaux de l’OCDE permettent de tirer pleinement parti de la multidisciplinarité de l’Organisation parce qu’ils conduisent plusieurs comités à travailler ensemble sur des sujets transversaux.

Le projet Zéro émission nette+, qui bénéficie de l’accompagnement des structures de gouvernance et de coordination de l’OCDE et d’un groupe consultatif externe de haut niveau1, de même que de la supervision du Comité des politiques d'environnement, est un exemple qui illustre la manière dont l’Organisation dans son ensemble se mobilise pour l’action climatique dans la pratique.

Le rapport de synthèse du projet Zéro émission nette+ présente les résultats des travaux menés dans le cadre de la première phase du projet de l’OCDE sur la résilience climatique et économique, lancé par le Conseil de l’ OCDE en 2021.

La première phase comportait quatre modules (2021 et 2022).

• Module 1 : définir la résilience climatique et économique après le COVID-19.

• Module 2 : accélérer la transition vers la neutralité en gaz à effet de serre et la rendre résiliente.

• Module 3 : renforcer la résilience systémique aux effets du changement climatique.

• Module 4 : phase initiale du Programme international pour l’action face au changement climatique.

La deuxième phase du projet se déroulera au cours de la période 2023-24. Elle sera elle aussi axée sur la résilience climatique et économique, et portera aussi bien sur la résilience de la neutralité que sur le renforcement de la résilience aux effets du changement climatique. Par ailleurs, un nouvel axe de travail, portant sur la manière de permettre la transition et d'aider les pouvoirs publics à repérer et éliminer les obstacles qui freinent l'action climatique, a été lancé. Parallèlement, des données et indicateurs permettant d'assurer un suivi des avancées continueront d’être créés dans le cadre de l’IPAC. Dans l’ensemble, ces travaux couvriront divers thèmes transversaux, dont les conséquences sur l’égalité des genres, les perspectives pour les pays en développement et le renforcement des capacités des décideurs et des administrations.

Note : IPAC fournit aux pouvoirs publics des jeux de données complets et comparables, permet une évaluation annuelle de l’action climatique ainsi que l’échange de bonnes pratiques permettant de progresser vers la neutralité. Même si l’IPAC a débouché sur des réalisations qui lui sont propres, les données et indicateurs qui en sont issus ont été utilisés pour les besoins de l'analyse réalisée pour le projet dans son ensemble. Voir https://www.oecd.org/action-climat/ipac/.

1. La liste des membres du groupe consultatif peut être consultée à l’adresse https://www.oecd.org/fr/changement-climatique/zero-emission-nette/.

Source : IPAC.

Atteindre la neutralité carbone dans un environnement en mutation rapide

Les responsables de l'élaboration de l’action climatique doivent aujourd’hui concilier la nécessité d’agir immédiatement en faveur du climat en passant à la vitesse supérieure, et celle de réagir aux crises sociales et économiques, au bouleversement des marchés mondiaux et des chaînes de valeur ou d'approvisionnement mondiales, aux tensions géopolitiques et à la lenteur de la reprise économique. Le projet Zéro émission nette+ aborde ces tensions et propose des solutions pour les dépasser.

Zéro émission nette porte sur la manière de parvenir à la neutralité en GES dans un monde en mutation – c’est-à-dire de garantir que les politiques climatiques sont à la fois ambitieuses et résilientes dans un monde où les perturbations se superposent les unes aux autres. Il s'agit de renforcer la résilience aux effets du changement climatique lui-même, mais aussi de concevoir des politiques qui tiennent pleinement compte des conséquences socioéconomiques et de considérations de justice et d'équité.

La tâche est énorme et les enjeux considérables – mais un avenir dans lequel une neutralité résiliente se sera imposée est possible pour peu qu’une action publique audacieuse et résolue soit menée.

Références

[7] Dechezleprêtre, A. et al. (2022), « Fighting climate change: International attitudes toward climate policies », OECD Economics Department Working Papers, n° 1714, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/3406f29a-en.

[3] IEA (2023), Energy Technology Perspectives 2023.

[5] IEA (2022), Greenhouse Gas Emissions from Energy.

[6] Maes, M. et al. (2022), « Monitoring exposure to climate-related hazards : Indicator methodology and key results », OECD Environment Working Papers, n° 201, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/da074cb6-en.

[1] McKay, A. et al. (2022), « Exceeding 1.5°C global warming could trigger multiple climate tipping points », Science, vol. 377/6611, https://doi.org/10.1126/science.abn7950.

[4] OCDE (2023), « Statistiques de la population active : Population et statistiques vitales », Statistiques de l’OCDE sur l’emploi et le marché du travail (base de données), https://doi.org/10.1787/data-00287-fr (consulté le 5 mai 2023).

[8] OECD (2022), Climate Tipping Points : Insights for Effective Policy Action, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/abc5a69e-en.

[2] OECD (2020), A Systemic Resilience Approach to dealing with Covid-19 and future shocks, New Approaches to Economic Challenges, Paris, https://read.oecd-ilibrary.org/view/?ref=131_131917-kpfefrdfnx&title=A-Systemic-Resilience-Approach-to-dealing-with-Covid-19-and-future-shocks (consulté le 26 juillet 2022).