Roberto Schiano Lomoriello
États de fragilité 2018
Chapitre 6. Les sources extérieures de financement du développement dont peuvent disposer les contextes fragiles
Abstract
Le chapitre 6 fait la synthèse des sources extérieures de financement du développement autres que l’aide publique au développement (APD) auxquelles les contextes fragiles ont accès, notamment les envois de fonds des travailleurs émigrés et l’investissement direct étranger (IDE). Il s’intéresse également à la portée et au potentiel de l’action philanthropique privée – autre source d’apports – et présente une vue d’ensemble actualisée de la contribution potentielle que les instruments relativement nouveaux de financement mixte peuvent apporter à l’accroissement du financement du développement dans les contextes fragiles. Enfin, il examine la manière dont les différents apports aux contextes fragiles sont ventilés, ainsi que la façon dont chacun de ces apports peut contribuer le plus efficacement possible à remédier à la fragilité.
Il importe d’avoir une meilleure compréhension de l’éventail complet des apports financiers internationaux, de leur effet sur la fragilité et de la manière dont leur potentiel peut être exploité si l’on veut assurer un impact optimal dans les contextes fragiles. Comme le relève un document de travail récent de l’OCDE (Poole, 2018[1]), les ambitions énoncées dans le Programme d’action d’Addis-Abeba nécessitent une approche renouvelée permettant de mieux combiner les apports financiers de sources publiques et privées, nationales comme internationales. Une telle approche est d’autant plus nécessaire dans les contextes fragiles, où les risques mais aussi les rendements potentiels sont les plus élevés.
6.1. Le paysage global du financement extérieur du développement
En 2016, les apports financiers extérieurs dirigés vers les contextes fragiles se sont élevés au total à plus de 240 milliards USD, en hausse par rapport aux 220 milliards USD de 2014. Ces apports étaient constitués des envois de fonds des travailleurs émigrés, de l’aide publique au développement (APD), des autres apports du secteur public (AASP) et de l’investissement direct étranger (IDE), les envois de fonds des travailleurs émigrés formant la catégorie la plus importante, soit 45 % du total. Les parts relatives des autres types d’apports extérieurs destinés aux contextes fragiles étaient de 22 % pour l’IDE, 5 % pour les AASP et 28 % pour l’APD (Graphique 6.1).
Ce tableau des apports extérieurs est analogue à celui brossé dans le rapport États de fragilité 2016. Depuis 2008, les envois de fonds des travailleurs émigrés demeurent le principal type d’apport dirigé vers les contextes fragiles, et leur proportion par rapport au volume total d’apports n’a cessé de s’accroître, atteignant 111 milliards USD en 2016 (Graphique 6.2). L’IDE varie davantage d’une année sur l’autre ; il a ainsi atteint un pic de près de 65 milliards USD en 2015, pour ensuite retomber à 56 milliards USD en 2016. Les autres apports financiers extérieurs tels que les apports philanthropiques ou le financement mixte gagnent également en importance, mais demeurent à des niveaux bien inférieurs par rapport aux autres apports.
Le présent chapitre examine chacune de ces sources extérieures de financement, en prêtant une attention particulière aux contextes fragiles auxquels ces financements profitent le plus et en étudiant les raisons d’une telle situation.
6.2. Envois de fonds des travailleurs émigrés
En 2016, comme indiqué précédemment, les travailleurs émigrés ont envoyé 111 milliards USD vers 58 contextes fragiles. Seule une faible proportion de ce total, à savoir 10.4 milliards USD, a été dirigée vers les 15 contextes extrêmement fragiles. Ceux-ci n’ont connu aucune croissance notable des envois de fonds de leurs travailleurs émigrés, alors que certains ont des diasporas importantes. Les raisons qui expliquent cette situation varient d’un contexte fragile à l’autre. Dans certains contextes extrêmement fragiles, dont le Soudan, l’imposition de sanctions a eu des répercussions sur les envois de fonds des travailleurs émigrés ; de même, les efforts visant à endiguer le financement potentiel du terrorisme via des systèmes parallèles d’envois de fonds ont eu une incidence sur les envois de fonds des travailleurs émigrés vers certains contextes, par exemple la Somalie (Vaccani, 2010[6]). Alors que leurs diasporas comptent parmi les plus importantes du monde, ni la République arabe syrienne (ci-après la « Syrie ») (dont plus de 5 millions de citoyens vivent à l’étranger), ni l’Afghanistan (4.8 millions d’émigrés) ne reçoivent d’importants transferts de fonds de leurs travailleurs établis à l’étranger1. Dans le cas de la Syrie, cette situation est imputable aux obstacles rencontrés par les réfugiés syriens. En effet, ceux qui vivent dans des pays voisins n’ont eu que récemment le droit de travailler, tandis que les réfugiés qui se rendent en Europe cherchent avant tout à reconstruire leur vie ; qui plus est, les personnes qui ont fui le conflit ont parfois très peu, voire aucun, proche encore en Syrie à qui envoyer des fonds.
Cela étant, les envois de fonds des travailleurs émigrés vers les contextes fragiles en 2016, soit 100.6 milliards USD, ont essentiellement été dirigés vers les 43 autres contextes fragiles (Graphique 6.3). La plupart de ces apports sont fortement concentrés dans un petit nombre de pays et territoires à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, qui comptent de nombreux travailleurs émigrés. Ainsi, 70 % des envois de fonds des travailleurs émigrés ont été dirigés vers seulement 5 pays fragiles, à savoir le Bangladesh, l’Égypte, le Guatemala, le Nigéria et le Pakistan (Graphique 6.4). Au final, les niveaux des envois de fonds des travailleurs émigrés dépendent des perspectives de rémunération offertes à ces derniers, et ces perspectives dépendent essentiellement du pays de réinstallation. Les personnes qui vivent en Europe ou aux États-Unis, par exemple, sont en mesure d’envoyer davantage de fonds vers leur pays d’origine que les émigrés établis dans d’autres pays en développement.
Les trois premiers contextes fragiles destinataires des envois de fonds des travailleurs émigrés (montant par habitant) sont, par ordre décroissant, le Guatemala, la Cisjordanie et la bande de Gaza et le Honduras (Graphique 6.5). Le niveau de dépendance à l’égard des envois de fonds des travailleurs émigrés varie selon le contexte. D’un point de vue économique, le Libéria et Haïti sont les pays les plus dépendants à l’égard des envois de fonds des travailleurs émigrés parmi les contextes fragiles, ces envois représentant 17 % du revenu brut national (RNB) du Libéria et 12 % du RNB d’Haïti (Graphique 6.6).
Les envois de fonds des travailleurs émigrés constituent un apport vital pour les contextes fragiles. Ils vont directement aux ménages et, contrairement à d’autres apports financiers, ont tendance à s’accroître en période de crise et à la suite de catastrophes, les migrants envoyant davantage de fonds lorsque leur famille restée au pays est en difficulté (PNUD, 2011[7]).
6.3. Investissement direct étranger
Les contextes fragiles continuent de ne recevoir qu’une part mineure du volume total d’IDE à destination des économies en développement en général. En 2016, l’IDE net (entrées moins sorties) dans les 58 contextes estimés fragiles au regard du Cadre de l’OCDE sur la fragilité s’est élevé à 55.5 milliards USD. Ce chiffre contraste singulièrement avec le montant d’IDE dans d’autres pays pouvant prétendre à l’APD, qui s’est élevé à 539.6 milliards USD en 2016. Seuls 9.3 % du volume total d’IDE à destination des pays éligibles à l’APD ont donc atteint les contextes fragiles. Sur le volume total d’IDE dans ces contextes, 7 milliards USD ont été destinés aux contextes extrêmement fragiles et 48.4 milliards USD aux autres contextes fragiles – signe qu’un certain niveau de stabilité est nécessaire pour que le secteur privé s’engage dans les situations de fragilité. Le Graphique 6.7 présente l’évolution de l’IDE dans le temps. Depuis la crise financière de 2008, le montant de l’IDE net dans les contextes extrêmement fragiles est demeuré relativement stable, à environ 10 milliards USD par an ; dans les autres contextes fragiles en revanche, ses niveaux ont davantage varié, fluctuant entre 37.7 milliards USD en 2009 et 53.8 milliards USD en 2015.
À l’instar d’autres apports financiers extérieurs dirigés vers les contextes fragiles, l’IDE n’est pas réparti de manière uniforme entre les différents contextes. En 2016, 10 contextes fragiles ont reçu, à eux seuls, les deux tiers du volume total d’IDE (66 %). Il s’agit, par ordre décroissant, de l’Égypte, du Nigéria, de l’Angola, de l’Éthiopie, de la République islamique d’Iran (ci-après l’« Iran »), du Myanmar, du Mozambique, du Pakistan, de la République du Congo (ci-après le « Congo ») et du Bangladesh (Graphique 6.8). Cette concentration relative de l’IDE s’explique par le fait que cinq de ces dix pays sont considérés comme des pays riches en ressources naturelles2. Toutefois, l’IDE est également dirigé vers des contextes qui ne sont pas nécessairement riches en ressources, tels que le Bangladesh, où il est largement concentré dans l’industrie de l’habillement, l’Éthiopie, où il est dirigé vers l’infrastructure et le secteur manufacturier, le Myanmar, dont l’ouverture économique agit comme un aimant, et le Mozambique et le Pakistan, qui reçoivent essentiellement des apports de la Chine.
6.3.1. L’investissement direct étranger dans les contextes riches en ressources et dans les autres contextes
Dans une large mesure, l’investissement dans les secteurs d’exploitation des ressources naturelles demeure le principal moteur de l’IDE dans les contextes fragiles, même si ce n’est pas le seul. Les économies fragiles pauvres en ressources naturelles ont reçu, selon les estimations, 44 % du volume total d’IDE dans les contextes fragiles en 20163. Comme précédemment indiqué au sujet de la répartition de l’IDE entre les contextes fragiles, cinq des dix premiers destinataires d’IDE sont des pays riches en ressources naturelles et des pays producteurs de pétrole, à savoir l’Angola, l’Iran, le Nigéria, le Congo et l’Égypte. Comme le montre le Graphique 6.9, si l’IDE dans les pays pauvres en ressources naturelles n’a cessé d’augmenter de 2008 à 2016, l’IDE dans les pays riches en ressources est demeuré stable. Les études montrent également que les pays qui sont les mieux classés pour la facilité d’y faire des affaires sont susceptibles d’attirer davantage d’IDE (Bayraktar, 2013[9]).
Cette tendance positive de l’IDE dans les contextes fragiles pourrait être le reflet d’une certaine volonté de la part des investisseurs de diversifier leurs investissements au-delà des secteurs d’exploitation des ressources naturelles, même dans les environnements risqués que sont les contextes fragiles. Les contextes fragiles pauvres en ressources naturelles importantes profitent du recentrage de l’investissement étranger sur les biens de consommation. Ainsi, le Kenya, l’Ouganda ou la République-Unie de Tanzanie, par exemple, séduisent aujourd’hui les investisseurs (BAD/OCDE/PNUD, 2016[10]). Le Kenya, pour ne prendre que ce pays, est en passe de devenir un centre d’activité économique dans le secteur manufacturier, le secteur des transports et les technologies de l’information et de la communication (BAD/OCDE/PNUD, 2016[10]).
Néanmoins, cette tendance positive ne devrait pas minimiser les nombreux défis auxquels l’investissement privé se heurte dans les contextes fragiles – infrastructure déficiente, fourniture d’électricité instable, faibles niveaux d’instruction, climat d’affaires difficile et accès limité au crédit et aux services financiers complexes notamment. L’investissement dans de tels contextes peut aussi avoir un effet préjudiciable s’il n’est pas fondé sur des principes. Ainsi, il peut accroître les risques de fragilité en exploitant le clientélisme politique, en multipliant les incitations à la corruption, en menant des opérations qui ne s’inscrivent pas dans une démarche durable et en faussant les marchés locaux (Poole, 2018[1]).
Dans les contextes fragiles, l’APD peut jouer un rôle catalyseur pour l’IDE. Elle peut également servir à développer l’assistance technique en vue de renforcer les capacités humaines et institutionnelles internes, à appuyer l’investissement en faveur de l’infrastructure et à améliorer le climat des affaires par exemple. L’aide peut également contribuer à réduire partiellement le risque potentiel d’effet préjudiciable des investissements privés (par exemple, les donneurs peuvent veiller à ce que les investissements privés tiennent dûment compte de la fragilité).
Comme examiné au chapitre 7, les pays qui exportent principalement des ressources naturelles ont souvent des économies peu diversifiées qui, de surcroît, sont fortement exposées à la volatilité des cours des matières premières sur les marchés internationaux.
6.4. Financement mixte
D’après une étude récente de l’OCDE sur le financement mixte, 22 % des financements privés mobilisés en 2015, soit 5.8 milliards USD, l’ont été à la faveur d’opérations de financement mixte dans les contextes fragiles4. Au Nigéria par exemple, les capitaux privés mobilisés au moyen d’instruments de financement mixte se sont élevés à plus de 1.5 milliard USD, les autres grands destinataires de financements privés étant le Kenya, l’Égypte, le Pakistan et le Honduras, où au moins 500 millions USD ont été mobilisés dans chacun de ces pays. Le Mozambique, l’Angola, la Zambie et le Bangladesh ont également mobilisé plus de 100 millions USD chacun en financements privés. L’Encadré 6.1 met en exergue le potentiel qu’offre le financement mixte pour accroître le financement du développement dans les contextes fragiles.
Encadré 6.1. Le financement mixte à l’appui du développement dans les contextes fragiles : promesses et défis
Les Objectifs de développement durable (ODD), le Programme d’action d’Addis-Abeba et l’Accord de Paris appellent des solutions novatrices pour financer les résultats en matière de développement. Le financement privé joue un rôle de plus en plus important en mettant de l’innovation, du savoir-faire et des ressources additionnelles au service des pays en développement, afin de les aider à atteindre les ODD. Pour être efficace, l’appui au développement dans les contextes fragiles, les contextes à risque et les contextes en proie à des crises doit prendre en considération et mettre à profit l’ensemble des instruments disponibles (OCDE, 2016[11]). Le volume croissant d’apports de capitaux privés ouvre des perspectives qui ne sauraient être négligées.
Le financement mixte renvoie à l’utilisation stratégique du financement à l’appui du développement permettant de mobiliser des financements additionnels en vue de la concrétisation du développement durable dans les pays en développement, ces « financements additionnels » désignant essentiellement des financements consentis dans une perspective de rentabilité, dits financements commerciaux (OCDE, 2018[12]). Le financement mixte ne cesse de gagner du terrain parmi les apporteurs de financement à l’appui du développement. En effet, sur les 30 membres que compte le Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE, 17 mènent déjà des opérations de financement mixte et d’autres donneurs envisagent de faire de même.
L’investissement privé, qu’il provienne de sources internes ou étrangères, peut améliorer l’accès aux capitaux, à l’emploi, aux compétences et à la technologie, ainsi que les liens avec les chaînes de valeur mondiales. Un marché financier florissant peut également favoriser le financement de la reconstruction, accroître les recettes publiques et améliorer les opérations en devises. Toutefois, les investisseurs privés dans les contextes fragiles et les pays à faible revenu doivent supporter des risques et des coûts particulièrement élevés, liés à tout un éventail de facteurs, parmi lesquels figurent le manque d’informations sur les marchés et la méconnaissance des acheteurs, une offre limitée, des infrastructures matérielles et immatérielles (registres des crédits, etc.) inadéquates, des institutions financières fragiles avec des possibilités limitées de financement à long terme, des promoteurs ou entrepreneurs locaux inexpérimentés, un cadre réglementaire peu contraignant, des acheteurs peu fiables ou inexpérimentés et des risques d’atteinte à la réputation. Du point de vue des pays en développement et des économies fragiles, l’IDE peut également susciter des préoccupations. En effet, dans l’esprit de l’opinion publique, il est souvent associé aux projets d’extraction et aux concessions d’infrastructures de grande envergure. Les gouvernements des contextes fragiles n’ont pas toujours la capacité institutionnelle de négocier des contrats équitables ni la possibilité d’exercer un contrôle adéquat, alors que les sociétés se livrent à des activités qui présentent des risques sur le plan environnemental et social.
Il convient de s’employer plus vigoureusement à associer les acteurs privés à l’objectif de « ne laisser personne de côté », étant donné que la mobilisation des fonds privés intervient aujourd’hui essentiellement (à hauteur de 77 %) dans des pays à revenu intermédiaire (Benn, Sangaré et Hos, 2017[13]). Pour autant, l’intérêt que présente le financement mixte pour appuyer et étendre le financement du développement va croissant. Entre 2000 et 2016, 167 mécanismes liés à des opérations de financement mixte ont été créés, pour un volume global (sur la base des engagements) de 31 milliards USD environ. En outre, 189 fonds participent à une forme ou une autre d’opération de financement mixte, généralement au niveau du fonds mais parfois aussi au niveau des projets. C’est le cas par exemple du Mécanisme d’aide aux économies fragiles et touchées par un conflit (CAFEF), établi par l’Agence multilatérale de garantie des investissements (AMGI) du Groupe de la Banque mondiale en 2013.
Si les initiatives actuelles en matière de financement mixte visent toutes à attirer des financements privés indispensables, leurs stratégies, leurs objectifs et leurs approches varient considérablement. Il est donc désormais essentiel que l’ensemble des parties prenantes s’accorde sur des pratiques optimales conformes aux ODD. Prenant acte de cette nécessité, la Réunion à haut niveau du CAD a adopté, le 31 octobre 2017, les Principes du CAD de l’OCDE relatifs au financement mixte, visant à mobiliser des financements commerciaux à l’appui de la réalisation des ODD (OCDE, 2017[14]). La mise en œuvre de ces principes stratégiques s’appuie en outre sur les lignes directrices améliorées du groupe de travail des institutions de financement du développement (IFD) relatives au financement mixte concessionnel en faveur de projets du secteur privé (Banque africaine de développement et al., 2017[15]). Le groupe de travail a constaté que l’aide apportée aux petites et moyennes entreprises, en particulier au niveau bancaire, et les prêts en monnaie locale se caractérisaient par des niveaux élevés d’impact attendu sur le développement dans les contextes fragiles ou les contextes touchés par un conflit.
Il convient néanmoins de mener des travaux plus approfondis pour déterminer quels instruments et structures de financement mixte sont les plus adaptés pour tel ou tel contexte. Ainsi, une approche qui conviendra particulièrement aux contextes au sortir d’un conflit peut se révéler moins pertinente dans un contexte fragile par exemple. Parmi les questions importantes qui se posent, il s’agit de déterminer dans quelle mesure le financement mixte peut servir à attirer des capitaux « commerciaux » sur des marchés difficiles, comment le financement mixte peut être aligné sur les priorités nationales, et quelles mesures de sauvegarde s’imposent pour faire en sorte que le financement n’ait pas d’effets négatifs sur l’environnement ou sur des communautés vulnérables.
Contribution de la Division du financement du développement durable, DCD, OCDE
Le financement privé mobilisé par le biais d’instruments de financement mixte dans les contextes fragiles est concentré d’un point de vue géographique et sectoriel. Plus de 60 % de ces financements privés en 2015 ont été dirigés vers l’Afrique subsaharienne, contre 17 % vers l’Asie. Ces apports étaient également concentrés dans un petit nombre de secteurs, avec, d’après les données communiquées, plus de 80 % du volume total du financement mobilisé consacré à l’énergie, à l’industrie, à l’exploitation minière, à la construction et aux services bancaires et financiers.
La majorité des financements privés destinés aux contextes fragiles en 2015, soit 60 % de la valeur totale en USD, a été mobilisée par le biais du canal multilatéral. En 2015, le Groupe de la Banque mondiale a mobilisé plus de 2.5 milliards USD par le truchement de son Agence multilatérale de garantie des investissements, de la Société financière internationale et de l’Association internationale de développement. L’étude de l’OCDE sur le financement mixte a constaté que les États-Unis et la France étaient les donneurs les plus actifs en matière de mobilisation de financements privés, la Overseas Private Investment Corporation (OPIC) et l’Agence française de développement (AFD) se plaçant au premier rang des organismes bilatéraux les plus dynamiques (OCDE, à paraître[16]).
En moyenne, chaque opération de financement mixte dans des contextes fragiles pour laquelle des informations ont été communiquées en 2015 a mobilisé plus de 18 millions USD auprès de sources privées. C’est à peine la moitié du montant mobilisé dans les pays en développement non fragiles. Cette différence montre qu’une étude technique plus attentive est nécessaire pour organiser les opérations de financement mixte dans les contextes fragiles et relever le défi de mobiliser des sommes importantes dans ces contextes.
Plus de 45 % des capitaux privés mobilisés par le biais d’opérations de financement mixte dans les contextes fragiles en 2015 provenaient de pays membres de l’OCDE et d’autres pays à revenu élevé. Toutefois, certains capitaux ont également été apportés au niveau interne, les partenaires privés locaux levant près de 15 % des fonds. En outre, 14 % ont été mobilisés par des acteurs privés issus d’autres pays en développement (OCDE, à paraître[16]).5
6.5. Apports philanthropiques privés
Les apports philanthropiques privés contribuent, eux aussi, au financement du développement dans les contextes fragiles et jouent d’ailleurs un rôle de plus en plus important. L’Encadré 6.2. Enquête sur la philanthropie privée dans le monde au service du développement apporte un éclairage en la matière.
Encadré 6.2. Enquête sur la philanthropie privée dans le monde au service du développement
Le Programme d’action d’Addis-Abeba a clairement mis en évidence l’importance du rôle que les fondations privées jouent dans la coopération pour le développement. Toutefois, en raison de l’insuffisance des données statistiques, les interprétations en ce qui concerne les modalités et l’ampleur des apports des fondations sont hétérogènes.
Pour contribuer à remédier à ce manque de données, l’OCDE a récemment réalisé sa première Enquête sur la philanthropie privée dans le monde au service du développement. Dans ce cadre ont été recueillies des données comparables, par activité, sur les activités menées à l’appui du développement par plus de 140 fondations dans le monde ; l’Enquête apporte ainsi un éclairage inédit sur la concentration sectorielle et géographique, mais aussi les modalités, de ces apports. Selon l’Enquête, l’Afrique a été la première région bénéficiaire (28 % du volume total des 3 années considérées), suivie de l’Asie (17 %) et de l’Amérique latine (8 %).
Le rapport sur La Philanthropie privée pour le développement et l’enquête sur laquelle il se fonde offrent de nouvelles perspectives, et des recommandations pratiques sont formulées en vue d’optimiser la contribution des fondations philanthropiques à la promotion du développement durable à l’échelle mondiale. Savoir qui fait quoi, où, comment et avec qui permet d’éclairer le dialogue et de nouer de nouveaux partenariats, favorisant à terme une action philanthropique plus efficace en faveur de ceux qui en ont le plus besoin.
Ces travaux s’inscrivent dans le cadre de la démarche plus générale visant à améliorer la couverture et la qualité des statistiques de l’OCDE, hors aide publique au développement, afin d’avoir une compréhension plus fine des divers apports de ressources à destination des pays en développement.
Contribution de la Division du financement du développement durable, DCD, OCDE
Sur le volume total d’apports philanthropiques privés en 2015, dernière année pour laquelle on dispose de données, 1.7 milliard USD a été consacré aux contextes fragiles (OCDE, 2018[17]), ce qui représente 19 % du financement philanthropique total en faveur de l’ensemble des pays en développement6. Le Nigéria a reçu la part la plus importante, avec 356 millions USD (OCDE, 2018[17]). Parmi les autres principaux destinataires figurent l’Éthiopie, avec 266 millions USD, et le Kenya, avec 139 millions USD (OCDE, 2018[17]).
La Fondation Bill & Melinda Gates est l’une des plus généreuses parmi les grandes fondations philanthropiques qui interviennent dans les contextes fragiles, représentant 49 % du volume total apporté rien qu’en 2015. La Fondation du Fonds d’investissement pour l’enfance (CIFF) et la Fondation Susan Thompson Buffett sont elles aussi présentes dans les contextes fragiles.
En 2015, les apports philanthropiques destinés aux contextes fragiles ont été essentiellement dirigés vers le secteur de la santé (36.6 %) et vers celui de la santé reproductive et des politiques et programmes en matière de population (15.4 %). Parmi les autres secteurs ciblés figuraient l’agriculture (19.8 %), l’éducation (4.5 %) et le gouvernement et la société civile (5.5 %), ce dernier incluant les apports en faveur des dispositifs civils de construction de la paix et de prévention et de règlement des conflits, même si ces apports représentent 0.4 % seulement du total.
En 2015, 336 fondations ont octroyé 2 908 dons pour un volume total de 351 millions USD en faveur de projets liés à la paix et la sécurité, d’après le Peace and Security Funders Group, qui assure un suivi des contributions privées destinées à ce type de projet (Foundation Center/Peace and Security Funders Group, 2018[18])7. Ces dons ont représenté moins de 1 % des apports totaux des fondations en 20158 (Foundation Center/Peace and Security Funders Group, 2018[18]). Pour autant, les fondations privées n’étant pas tenues de rendre compte au contribuable, il n’est pas rare qu’elles apportent un soutien à des projets dont on considère, pour diverses raisons, qu’ils ne peuvent pas prétendre à l’APD. Il reste donc à concrétiser pleinement le potentiel de ces donneurs afin qu’ils contribuent à remédier à la fragilité ou du moins à la réduire.
En conclusion, les contextes fragiles reçoivent divers types d’apports financiers internationaux – envois de fonds des travailleurs émigrés (qui représentent la plus grande part des apports extérieurs, laquelle ne cesse de s’accroître), APD et IDE privé, parfois mobilisé à la faveur d’opérations de financement mixte, à quoi s’ajoutent les apports de source philanthropique. La combinaison de ces différents types de financement varie d’un contexte à l’autre mais aussi, et de manière importante, entre les contextes extrêmement fragiles et les contextes fragiles. L’APD par exemple joue un rôle majeur dans les contextes extrêmement fragiles, mais un rôle moindre dans d’autres situations de fragilité. Pour l’avenir, il sera intéressant de se pencher sur l’intérêt que chaque type d’apport présente en termes d’impact – négatif et positif – sur la stabilité et la vie des populations.
Références
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[2] Banque mondiale (2018), « Investissements étrangers directs, entrées nettes (BDP, $ US courants) », Indicateurs du développement dans le monde (base de données), http://Investissements étrangers directs, entrées nettes ($ US courants). (consulté le 28 avril 2018)
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[18] Foundation Center/Peace and Security Funders Group (2018), Peace and Security Funding Index: An Analysis of Global Foundation Grantmaking., Foundation Center/Peace and Security Funders Group, http://admin.issuelab.org/permalink/download/29768.
[17] OCDE (2018), La philanthropie privée au service du développement, Objectif développement, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/9789264303973-fr.
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[16] OCDE (à paraître), « Opportunities and Risks for Blended Finance in Fragile contexts (titre provisoire) », Éditions OCDE, Paris.
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[7] PNUD (2011), Towards Human Resilience: Sustaining MDG Progress in an Age of Economic Uncertainty, Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), http://www.undp.org/content/dam/undp/library/Poverty%20Reduction/Towards_SustainingMDG_Web1005.pdf.
[1] Poole, L. (2018), « Financing for Stability in the post-2015 era », OECD Development Policy Papers, no. 10, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/c4193fef-en.
[6] Vaccani, M. (2010), « Alternative remittance systems and terrorism financing issues in risk management », no. 180, Banque mondiale, http://siteresources.worldbank.org/FINANCIALSECTOR/Resources/Alternative_Remittance_Systems.pdf.
Notes
← 1. En 2016, le plus grand nombre de réfugiés enregistrés (y compris les personnes se trouvant dans une situation assimilable à celle des réfugiés) provenait de Syrie (5.5 millions) et d’Afghanistan (2.5 millions), d’après des données du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Voir HCR, statistiques relatives à la population, à l’adresse : http://popstats.unhcr.org.
← 2. Pour cette partie, la méthodologie élaborée par l’OCDE pour les Perspectives économiques en Afrique a été appliquée. Les pays richement dotés en ressources naturelles sont définis comme ceux dont les rentes tirées des ressources naturelles, hors ressources forestières, ont représenté plus de 10 % de leur PIB pendant au moins cinq années sur les dix années comprises entre 2006 et 2015. En appliquant cette méthodologie, on obtient 20 contextes fragiles jugés riches en ressources naturelles, à savoir l’Angola, le Congo, l’Égypte, la Guinée, la Guinée équatoriale, l’Iran, l’Iraq, le Libéria, la Libye, la Mauritanie, le Nigéria, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, la République démocratique du Congo, la République démocratique populaire lao, le Soudan, le Soudan du Sud, le Tchad, le Venezuela, le Yémen et la Zambie. Les Îles Salomon sont exclues car elles tirent essentiellement leurs rentes de l’exploitation des forêts. Le Timor-Leste et la Syrie sont également exclus, le niveau minimum de données disponibles requis pour l’inclusion n’étant pas atteint.
← 3. Afin de déterminer si un pays est riche en ressources naturelles ou non, la méthodologie élaborée par l’OCDE pour les Perspectives économiques en Afrique (voir Note 2) a été appliquée.
← 4. Ces calculs se fondent sur (Benn, Sangaré et Hos, 2017[13]). Un rapport à venir (OCDE, à paraître[16]), provisoirement intitulé Opportunities and Risks for Blended Finance in Fragile Contexts, approfondira cette analyse. Pour en savoir plus sur la méthodologie, voir http://www.oecd.org/dac/stats/mobilisation.htm.
← 5. Pour les 26 % restants, les sources n’étaient pas précisées ou étaient multiples.
← 6. Ce chiffre exclut les apports de portée régionale.
← 7. L’ensemble de données couvre les activités de don des donneurs institutionnels, y compris les fondations privées, les organismes publics de bienfaisance et les fondations d’intérêt local. Il porte sur les dons octroyés par 336 fondations dans le monde ayant accordé au moins un don en 2015, selon la définition de l’indice du financement de la paix et de la sécurité du Peace and Security Funders Group.
← 8. Ce chiffre prend en compte les apports de toutes les fondations confondues, y compris celles dont les activités se limitent au périmètre national dans des pays à revenu élevé.