L’économie du développement, et plus généralement la pensée du développement, ont profondément changé depuis leur apparition comme sous-discipline de l’économie à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. Depuis lors, un point du débat reste controversé : peut-on ériger les politiques ayant permis le succès et la viabilité du développement des premiers pays qui se sont industrialisés en références absolues pour les pays en développement, ou les trajectoires empruntées par ces derniers sont-elles suffisamment différentes pour garantir des approches véritablement alternatives ? Ce chapitre tente de répondre à cette question en examinant l’évolution du développement économique depuis 1945 et la création par la suite des grandes institutions économiques internationales. Il analyse l’évolution de la pensée du développement, en étudie de manière critique différentes étapes, et met au jour un processus d’apprentissage long et complexe. À cette fin, il examine la pensée dominante du développement dans les pays industrialisés, ainsi que les approches « alternatives » issues des expériences régionales dans les pays en développement.
Perspectives du développement mondial 2019
Chapitre 4. Aperçu historique des paradigmes du développement
Abstract
Les idées sur le développement économique ont évolué depuis l’après-guerre et la création de l’Organisation européenne de coopération économique (OECE) en 1948 (devenue depuis l’OCDE). Pour reprendre l’analyse d’Innis (1951[1]), lorsque l’écart entre les idéologies et l’expérience accumulée devient trop grand, les paradigmes économico-politiques, les valeurs et les systèmes de pensée qui sont le plus largement acceptés dans une société à un moment donné, ont tendance à évoluer. Ce chapitre étudie l’évolution des approches du développement au cours de cette période de 70 ans afin d’en dresser le bilan. Il accorde une importance égale aux vues des théoriciens des pays développés et des pays en développement, tout en les replaçant dans leur contexte historique.
La transformation de la géographie économique redéfinit la coopération internationale en matière de développement
La nature du développement, de même que les stratégies mises en œuvre pour favoriser simultanément la croissance économique, le bien-être et la durabilité environnementale, sont remises en question. L’essor de grandes économies, comme la République populaire de Chine (ci-après dénommée « Chine »), a transformé la géographie économique. Ce faisant, les échanges, processus et coopérations associés à la croissance économique se sont vus redéfinis dans le monde en développement.
Un nombre sans précédent de pays en développement se trouvent aujourd’hui engagés sur la voie d’un développement économique qui les fait converger vers les pays les plus riches du monde. Toutefois, l’expérience laisse penser que le développement au sens large – intégrant des critères de bien-être, de développement humain et de durabilité environnementale – ne marche pas toujours main dans la main avec la croissance économique, pas plus qu’ils ne l’ont fait dans une perspective historique à plus long terme. En outre, la richesse économique n’est pas toujours nécessaire pour réaliser des progrès substantiels dans ces domaines.
Les voies empruntées par des pays récemment industrialisés comme le Chili, la Chine et le Maroc n’ont pas nécessairement suivi les paradigmes des époques précédentes. Ce constat pose la question de ce que l’on entend par développement et des types de stratégies que les pays doivent mettre en œuvre pour atteindre des niveaux plus élevés et durables de bien-être économique, social et environnemental.
Le développement a souvent été associé au produit intérieur brut (PIB). L’idée selon laquelle il serait possible de mesurer le développement d’un pays à l’aune de son PIB est relativement récente. Bien que Simon Kuznets ait défini le PIB en 1934, il a fallu attendre la conférence de Bretton Woods, dix ans plus tard, pour qu’il devienne le principal instrument de mesure de l’économie d’un pays.
Il pouvait être pertinent d’utiliser le PIB comme indicateur de développement, mais il présentait des limites comme mesure du bien-être des populations. Si le but du développement économique, dans sa forme la plus simple, est de fournir les moyens d’améliorer le niveau de vie, alors le PIB pourrait en être un indicateur adéquat. Et jusque dans les années 1970, la croissance du PIB était d’ailleurs considérée comme un bon indicateur du développement plus général d’un pays. Mais même Kuznets, à l’époque de son rapport sur le PIB, avait mis en garde contre l’utilisation du PIB comme mesure du bien-être (Costanza et al., 2009[2]). Durant les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, la richesse matérielle ne se traduisait pas automatiquement par une amélioration des soins de santé, de l’éducation et du logement pour les habitants d’un pays. En somme, le PIB ne permettait pas de saisir tout ce qui concourt au bien-être d’un individu.
À la lumière de la transformation de la géographie économique, des institutions et des défis à relever, ce chapitre se penche sur la façon dont la communauté du développement a évolué à travers le temps dans sa manière de penser. Il présente ensuite des expériences régionales qui illustrent différentes approches « alternatives » vis-à-vis de la conception orthodoxe du développement.
Il s’organise autour des grands messages suivants :
La pensée du développement a considérablement élargi son discours depuis la Seconde Guerre mondiale, pour inclure davantage de facteurs sociaux et environnementaux.
Malgré cette approche élargie, la pensée du développement et la coopération dans ce domaine continuent à se fonder sur les principes économiques et les flux de capitaux financiers.
La diversité des trajectoires de développement empruntées par les pays depuis la Seconde Guerre mondiale donne à penser que la recherche d’un paradigme unique de développement ne saurait constituer un objectif.
Les trajectoires de développement sont multiples
Au fil du temps, les grands courants de la pensée du développement peuvent être mis au jour. Les théories, réflexions et stratégies ont employé des hypothèses et des simplifications très larges pour maîtriser les ressources, calibrer les interventions et ajuster les politiques.
Ceci a eu deux grandes conséquences.
En premier lieu, cela a favorisé une approche unique de toutes les situations, qui supposait que les voies empruntées par d’autres pouvaient être répliquées ailleurs comme stratégies de développement. Une conception différente a été mise en évidence par les écoles alternatives qui ont émergé en Amérique latine et en Asie du Sud-Est, ainsi que par la trajectoire de développement tracée par la Chine ; leurs succès ont poussé les acteurs du développement à penser autrement.
En second lieu, cela a accentué une approche en silo des politiques et secteurs des pays en développement, et une vision dichotomique de la coopération internationale, opposant donateurs d’un côté, et bénéficiaires de l’autre. La conception traditionnelle du développement s’est généralement concentrée sur des secteurs individuels et sur le fossé entre zones urbaines et rurales. Or le développement est bien plus complexe et nécessite davantage de lien et de continuité : il enjambe les secteurs, implique un large éventail d’acteurs et évolue différemment dans les diverses parties du territoire d’un pays.
Trois discours dominants ont influencé la pensée du développement durant ces décennies. Le premier englobe à la fois la durée et les objectifs du développement. Le deuxième traite du rôle des États et des marchés, et du rôle de chacun dans le développement. Enfin, le troisième porte sur l’importance de l’environnement international par opposition au contexte intérieur – en clair : l’importance du « degré d’ouverture » – pour le développement national (graphique 4.1). Ces trois éléments du débat général sur le développement ont oscillé et gagné ou perdu en importance au fil du temps, sous l’effet de leur validation externe (les événements) ou interne (les enseignements tirés).
Les buts recherchés sont importants pour les paradigmes du développement, mais les moyens le sont tout autant. De fait, les écrits sur les moyens, et plus spécifiquement sur l’importance de l’économie réelle et la manière d’atteindre le développement économique, remontent au moins au XIVe siècle (encadré 4.1). Et la bataille idéologique pour savoir si l’aide doit stimuler la croissance ou fournir des programmes qui satisfont directement les besoins élémentaires se poursuit depuis des décennies.
Encadré 4.1. La pensée du développement dans une perspective à plus long terme
Les réflexions sur le développement économique, les différentes trajectoires empruntées par les pays, et le principe de l’économie réelle, remontent loin dans le temps. Mais leur compréhension a été quelque peu suspendue par une publication de David Ricardo en 1817. Les Principes de l’économie ont en effet supprimé deux distinctions clés de la science économique, en élevant la théorie à un niveau d’abstraction où les classifications – jusque-là jugées extrêmement importantes – avaient disparu (Ricardo, 1817[3]). Le premier élément concernait la différence entre l’économie financière et l’économie réelle. Il permettait de distinguer l’épargne improductive de l’investissement productif. Le deuxième élément était l’idée que le commerce consistait à échanger des heures de travail qualitativement identiques. Cela signifiait que les différences entre des activités économiques sujettes à des rendements croissants et décroissants étaient laissées de côté.
Toutefois, avant Ricardo, de nombreux textes existaient déjà de longue date, avant la révolution industrielle, sur les moyens du développement et l’économie réelle. Nicola Oresme, dans De moneta, affirmait ainsi en 1355 que « c’était un crime de garder caché parmi les morts, et sans utilité, ce qui pourrait maintenir en vie les vivants », au sujet de l’or et de l’argent entreposés dans les tombes, selon les coutumes païennes (Schefold et Avril, 1995[4]). Par la suite, le ministre espagnol des Finances, Luiz Ortiz, a reconnu en 1558 qu’augmenter la valeur de la production était plus important que l’afflux d’or et d’argent (Ortiz, 1957[5]).
Giovanni Botero (1544-1617) a avancé les premières théories expliquant pourquoi la politique des Tudor, d’Henri VII à Elizabeth Ire, avait été la bonne. Les travaux de Botero, De la raison d’État – presque oubliés aujourd’hui –, ont dominé le discours économique européen pendant plus d’un siècle (Botero, 1956[6]). Tout au long de ses travaux, Botero plaide pour la supériorité de l’industrie en termes de synergies (liens, regroupements) par rapport à diverses activités économiques. Cette supériorité se traduit par une capacité accrue d’innovation dans les activités urbaines, ainsi que par des retombées positives plus importantes que pour les activités rurales. Botero n’est pas parvenu, en revanche, à expliquer de manière théoriquement convaincante pourquoi il en était ainsi.
Antonio Serra a pris la suite de Botero en distinguant le travail effectué dans les secteurs agricole et manufacturier. Il a fondé ses travaux sur la théorie des rendements croissants et décroissants à l’échelle – qui examine si les coûts unitaires de production augmentent ou diminuent lorsqu’une nation se spécialise dans une activité en particulier. Ce faisant, il a produit le premier exposé cohérent de cette importante loi économique (De Luca, 1968[7]). La production manufacturière est unique car le coût du travail diminue proportionnellement à mesure que le volume de production augmente. Les rendements croissants et décroissants – plus souvent séparément que réunis – ont joué un rôle important dans l’histoire de la pensée économique.
Un consensus émerge au sujet de l’importance du développement humain
Il n’existe pas de définition standard du développement et aucun paradigme unique ne peut résumer la meilleure façon de concilier ces trois éléments. Différents acteurs débattent régulièrement des objectifs de développement à poursuivre en priorité, comme la croissance économique, le bien-être social, la participation politique et la liberté, l’indépendance nationale et la responsabilité environnementale. Si les théoriciens ont favorisé tels objectifs plutôt que d’autres selon les périodes, les stratégies de développement en sont progressivement arrivées à les englober tous (De Janvry et Sadoulet, 2014[8]).
Un consensus a émergé : le développement est lié à l’amélioration concrète de la qualité de la vie des individus et à la satisfaction qu’ils en tirent. En 70 ans, différents objectifs économiques et sociétaux se sont succédé. La plupart sont désormais synthétisés dans les 17 Objectifs de développement durable (ODD) visant à mettre fin à la pauvreté, à protéger la planète, et à assurer la paix et la prospérité pour tous.
Le basculement vers des aspects plus sociaux se fait jour en analysant les thématiques abordées dans le Rapport sur le développement dans le monde (RDM) de la Banque mondiale, publié depuis 1978. Dans les années 1980, par exemple, le RDM se concentrait sur les capitaux internationaux (1985), le commerce (1987), les finances publiques (1988) et les systèmes financiers (1989). Plus récemment, le RDM s’est intéressé au genre (2012), à l’emploi (2013), à la culture (2015) et à l’éducation (2018). Ce changement témoigne de l’évolution, au fil du temps, de ce que l’on estime pertinent pour le développement.
Des arbitrages deviennent par conséquent nécessaires entre certains des objectifs de développement mentionnés. Aujourd’hui, la réflexion sur le développement consiste aussi à identifier les arbitrages nécessaires dans les contextes nationaux, et à s’assurer qu’ils sont pris en compte dans le dialogue politique général d’un pays donné. Une fois les arbitrages identifiés, les experts doivent être en mesure de mieux cibler leurs actions en vue d’atteindre les « meilleurs résultats possibles » pour les objectifs définis et les bénéficiaires.
Les paradigmes actuels du développement résultent de facteurs externes et d’une accumulation de connaissances. Les facteurs externes ont en effet joué un rôle majeur dans la modification des paradigmes. L’ère de la planification, dans les années 1960, lorsque le développement économique était traité comme une science exacte, a apporté la démonstration que le développement ne se résumait pas à l’économie. Dans les années 1970 déjà, des éléments autres que le PIB ont été mis en avant dans l’analyse et la pratique du développement (Seers, 1969[9]). En 1972, la conférence de Stockholm sur l’environnement humain a par exemple marqué une étape importante de la politique environnementale à l’échelle mondiale, prolongée par le rapport Brundtland de 1987 et le Sommet de la Terre de 1992.
Les structures de l’économie et leurs transformations sont importantes. Il était communément admis que les pays en développement devraient emprunter une trajectoire différente des premiers pays qui se sont industrialisés, comme le soutenait par exemple l’école de la dépendance. Mais la crise pétrolière de 1973 et les crises de la dette en Amérique latine quelques années plus tard ont mis fin à cette théorie et placé la macro-stabilité sur le devant de la scène pendant les deux décennies suivantes. La fin de la Guerre froide a également introduit une nouvelle transformation : alors que l’approche environnementale était peut-être davantage mise en avant dans les années 1970 et 1980, les années 1990 et 2000 ont connu une résurgence de la thématique de l’éradication de la pauvreté.
Les théoriciens du développement n’ont pourtant pas réinventé la roue après chaque faux pas. Au cours des sept dernières décennies, la pensée du développement ne s’est pas résumée à un échange animé d’idées au sujet du développement et de la manière de le favoriser. Elle ne s’est pas non plus contentée de constituer un ensemble d’idées en vogue à un instant donné, destiné à être remplacé par un autre ensemble d’idées quelques années plus tard. Au-delà des interprétations constructivistes, la pensée du développement semble avoir été un long processus d’apprentissage. Des acteurs clés des événements du monde réel, rompus aux interactions qu’il implique et familiers des défis qu’il comporte, en sont venus à définir des zones de consensus sur ce qu’est le développement, ce qu’il présuppose, et comment l’atteindre, c’est-à-dire sur les mesures qui se sont avérées les plus efficaces en matière de développement selon les contextes (graphique 4.2).
Les théoriciens contemporains ont l’avantage de pouvoir se baser sur le vaste corpus de leurs prédécesseurs. Ils peuvent proposer des approches plus globales, prenant notamment en compte les questions environnementales et climatiques, les adapter aux contextes et besoins locaux, et les rendre de ce fait plus réalistes.
On connaît davantage aujourd’hui les stratégies qui fonctionnent le mieux en matière de développement – impulsion étatique ou au contraire du marché, orientations vers l’intérieur ou au contraire vers l’extérieur. La capacité de permutation d’une stratégie à une autre semble être une caractéristique clé des économies de marché développées. Cette approche permet une action rapide et une coordination entre les gouvernements, en particulier en cas de risque de crise économique. En outre, certains des arguments ultra-libéraux en faveur des marchés libres et du libre-échange ont perdu de leur influence. Dans un monde sans frontières, les cadres réglementaires et l’état de droit n’opèrent pas de manière uniforme. Ce dernier constituait un facteur clé dans les théories d’Adam Smith concernant le fonctionnement des économies nationales (Herzog, 2016[10]).
Néanmoins, chaque basculement de la pensée du développement a permis de tirer les leçons de ce qui fonctionnait et ce qui ne fonctionnait pas. L’aide et les capitaux sont certes importants, mais pas suffisants, car ils nécessitent un séquençage et une stratégie pour optimiser leur déploiement. Une croissance déséquilibrée peut fonctionner, mais l’accent mis de manière excessive sur un secteur peut produire des effets indésirables en cas d’insuffisance des liens entre les secteurs. La stabilité macroéconomique est fondamentale, mais là encore, ne saurait suffire à elle seule : l’offre d’incitations au secteur privé, la garantie de meilleurs résultats finaux pour les plus pauvres et le renforcement des rôles dans les chaînes de valeur mondiales (CVM) sont également essentiels. Enfin, point important s’il en est, la trajectoire empruntée par un pays doit refléter les avantages dont il est pourvu, ses institutions et sa culture.
Sept décennies de pensée et de pratique du développement dans les pays développés
La pensée et la pratique du développement couvrent 70 années d’évolutions géopolitiques turbulentes. À l’influence exercée par la Guerre froide et la lutte entre les super puissances ont succédé les mouvements de décolonisation en Asie et en Afrique, la chute de l’Union soviétique et les transformations survenues en Europe centrale et de l’Est. Plusieurs régions du monde ont également connu des famines et des migrations forcées, des crises financières, des conflits militaires et des guerres civiles. Enfin, ce champ d’étude a aussi été influencé par l’essor fulgurant de la Chine et de l’Inde, nouvelles super puissances, et par la réduction massive de la pauvreté dans le monde.
La Guerre froide a conditionné en grande partie la pensée moderne du développement. Dans un monde bipolaire, confronté à une course effrénée à l’armement nucléaire, chacune des deux super puissances – l’Union soviétique et les États-Unis – surveillait étroitement la politique étrangère de l’autre (Rostow, (1960[11]); Katz, (1986[12]); Trofimenko, (1981[13]); Westad, (2005[14]))1. Il était alors courant de présenter les pays en développement comme des pays du « Tiers monde », en les désignant de ce fait comme non alignés avec les États-Unis ou avec l’Union soviétique.
Lorsque la vague de décolonisation a pris de l’ampleur en Afrique et en Asie dans les années 1960, les deux camps ont tenté de s’attacher les bonnes grâces de ces pays nouvellement indépendants. Même si les super puissances fournissaient de l’aide au développement pendant la Guerre froide, pour des raisons à la fois politiques et stratégiques, cette aide ne constituait pas seulement un moyen d’inciter les gouvernements à former des alliances. Les élites et les gouvernements postcoloniaux avaient également promis de rapides progrès économiques et sociaux à leurs citoyens, et leur légitimité reposait sur la mise en œuvre d’actions. L’indépendance politique avait besoin de s’accompagner de stratégies de développement économique et social.
Les sous-sections suivantes offrent un aperçu plus détaillé de la pensée du développement, telle que conçue essentiellement du point de vue des pays développés. Elles mettent en évidence cinq grandes évolutions dans ce qui était perçu comme le facteur fondamental permettant d’initier le développement :
Industrialisation, croissance et modernisation (années 1940-1950)
Transformation structurelle (années 1960)
Indépendance accrue des économies en développement (années 1970)
Stabilité macroéconomique : Consensus de Washington (années 1980-2000)
Développement par objectifs (années 2000-présent).
Industrialisation, croissance et modernisation (années 1940-1950)
Les débuts de la pensée du développement se sont opérés sous le signe de l’optimisme et de l’expérimentation (2013[15]). Dans le sillage de la création des institutions internationales pour soutenir le développement après la Seconde Guerre mondiale, deux grandes « écoles » ont vu le jour : l’une centrée sur l’industrialisation, l’autre sur le commerce.
Premières années d’optimisme, d’expérimentation et d’approches multilatérales
À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, la question du développement et de la reconstruction était abordée avec un certain enthousiasme et une volonté d’intégrer les enseignements tirés de l’après-Première Guerre mondiale. L’écart qui séparait le libéralisme manchestérien du communisme soviétique fixait les bornes d’un espace politique particulièrement large ; l’expérimentation concernant les rôles respectifs des secteurs et des capitaux publics et privés était encouragée.
Plusieurs institutions internationales ont été créées au cours de ces premières années dans le but de soutenir le développement. La conférence de Bretton Woods, en 1944, a posé les bases de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) – devenue la Banque mondiale par la suite – pour aider à la reconstruction de l’Europe. À Bretton Woods furent également évoquées la création du Fonds monétaire international (FMI) et celle d’une organisation chargée de s’occuper des questions commerciales afin de restaurer des relations internationales régies par des règles et de soutenir les politiques de développement. La conférence a permis de trouver un accord sur la création de la BIRD et du FMI, tandis que les discussions commerciales ont abouti à la Charte de la Havane, qui n’a pas été ratifiée. Deux ans plus tard, dans un contexte positionnant le commerce comme vecteur important de développement, était adopté l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, ou GATT (General Agreement on Tariffs and Trade). À cette époque, une part importante de la pensée du développement s’est opérée au sein des institutions rattachées à l’ONU, récemment créées pour traiter d’un secteur spécifique, sans nécessairement s’occuper du développement dans son ensemble, notamment : l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO, 1945), l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO, 1946) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS, 1948).
Le développement était conçu comme un processus économique permettant aux pays de passer d’une « civilisation traditionnelle », après une phase de transition industrielle, à une « civilisation tertiaire » dans laquelle les secteurs des services étaient dominants (Fisher, (1939[16]) ; Clark, (1940[17]) ; Fourastié (1949[18])).
Deux grandes écoles de pensée ont émergé en matière de développement, l’une mettant l’accent sur l’industrialisation, l’autre sur le commerce. Des conflits ont surgi dès le départ au sujet des mécanismes du développement, donnant lieu à une opposition entre ces deux écoles. Inspirée par Keynes, la première voyait le sous-développement comme le résultat d’une série d’échecs du marché et d’un manque de réactivité de ce dernier aux mesures prises pour le stimuler. Elle s’inspirait également des vues de Max Weber et de Talcott Parsons sur la modernisation, considérant ainsi que les pays en développement avaient simplement besoin de moderniser leurs pratiques. La deuxième école, qui s’inspirait de l’économie néoclassique, voyait le problème du développement essentiellement sous l’angle du manque de capital et pensait que les marchés permettraient de faire ruisseler les capitaux efficacement afin de réduire la pauvreté. Cette école voyait aussi le commerce, à travers le prisme de David Ricardo, comme un moteur fondamental de la richesse nationale.
L’école industrialiste cherche à transformer les économies agraires
L’école industrialiste, qui a bénéficié d’une brève notoriété, cherchait à aider les pays « arriérés » à rattraper le monde développé. Différents pays disposaient de diverses stratégies pour atteindre ce but.
L’économiste allemand Friedrich List a influencé l’école industrialiste aussi bien dans l’Occident capitaliste que dans les pays de l’Est communistes. Les conclusions du Système national d’économie politique de List (1841[19]) ont convaincu l’Europe continentale et la Russie d’adopter le modèle britannique – basé sur un important protectionnisme remontant à la fin du XVe siècle – pour s’enrichir. List s’est engagé dans une réflexion opposant la plupart des politiques européennes à la théorie de Ricardo basée sur les avantages comparatifs.
La source intellectuelle de la théorie mais aussi des politiques modernes de développement est l’article de 1943 de Rosenstein-Rodan, « Problèmes de l’industrialisation des pays d’Europe de l’Est et du Sud-Est ». Cet article s’interrogeait sur la manière de transformer les États des Balkans créés de fraîche date – et issus d’un ancien empire – en entités économiques indépendantes. Animées par les idées de List, les succès théoriques de l’économie keynésienne et finalement le Plan Marshall (voir l’encadré 4.2), les premières théories de l’économie du développement ont mis l’accent sur un effort massif et monolithique en faveur de l’industrialisation.
Cette école répondait sans ambiguïté à la question du développement par l’industrialisation de pays initialement agraires, soutenus par un excédent de main-d’œuvre agricole et, en général, par l’exportation de matières premières. La plupart des théoriciens du développement s’accordaient sur le principe, mais conservaient quelques divergences quant à la forme que l’industrialisation devait prendre. Certains économistes du développement – comme Ragnar Nurkse – considéraient que toute accumulation effective du capital était d’ordre national (Nurkse, 1953[20]).
L’idée dominante de cette époque était simple : aider les pays « arriérés » à rattraper les pays riches. Pour ce faire, selon Rosenstein-Rodan (1943[21]) et Nurkse (1953[20]), par exemple, les pays pauvres avaient besoin d’une « grande impulsion » initiale en matière d’investissement pour bénéficier d’économies d’échelles, ainsi que d’une « croissance équilibrée » reposant sur le développement simultané de tous les secteurs. Rosenstein-Rodan comme Nurske se montraient pessimistes à l’égard des exportations dans l’économie de l’après-guerre, et favorisaient par conséquent le développement du marché intérieur. La préoccupation majeure était la croissance économique à long terme. Elle devait être stimulée par l’industrialisation (Chenery, 1955[22]) et par une modernisation sociétale généralisée (Ekbladh, (2010[23]) ; Lerner, (1958[24]) qui produirait à son tour un « effet disciplinaire » (Hirschman, (1977[25]) ; (1982[26])).
L’idée de l’industrialisation était présente pratiquement partout dans les années 1940 et 1950, mais prenait des formes différentes selon les pays. En Chine, la tradition de l’industrialisation a commencé avec Sun Yat-Sen (Yat-Sen, 1920[27]). Après la révolution de 1949, la Chine s’est lancée dans une nouvelle stratégie d’industrialisation en adoptant son premier plan quinquennal (1953‑57). L’Inde a suivi la même stratégie d’industrialisation après son indépendance en 1947. Deux ans auparavant, ce qu’on a coutume d’appeler le Plan Bombay cherchait ainsi à réaliser rien de moins qu’une « refonte de l’Inde ». Il visait un doublement du revenu par habitant en Inde à l’issue de trois plans quinquennaux d’industrialisation (Thakurdas, 1944[28]). Porto Rico s’est par exemple également engagé dans un plan d’industrialisation réussi dans les années 1940, baptisé Opération Bootstrap (Maldonado, 1997[29]).
En 1946, les Nations Unies ont créé la Sous-Commission du développement économique pour conseiller ses membres en matière de politique de développement, en mettant l’accent sur les politiques d’industrialisation. L’approche keynésienne se basait sur l’expérience du New Deal, vaste ensemble de réformes mises en œuvre aux États-Unis pour faire sortir le pays de la Grande dépression au milieu des années 1930. La création d’emplois dans le secteur manufacturier et la réduction du chômage déguisé devaient permettre une amélioration de la productivité du travail.
Encadré 4.2. Le plan Marshall et l’impulsion en faveur de l’industrialisation
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le Plan Morgenthau et le Plan Marshall ont offert deux visions radicalement différentes de la reconstruction de l’Allemagne dévastée par la guerre. Le Plan Marshall – favorisé par la nécessité de redresser l’Europe et de contenir l’influence soviétique – a fini par éclipser toute autre considération.
Le Plan Morgenthau prévoyait de faire de l’Allemagne un pays désindustrialisé, ramené à l’état de nation agricole et pastorale (Morgenthau, 1945[30]). Il a été brutalement interrompu par l’annonce de George Marshall à Harvard, en 1947.
Le Plan Marshall constituait un revirement complet de la politique étrangère américaine. Il est devenu l’un des éléments centraux du développement économique de la période des « Trente glorieuses » qui devait suivre. En outre, il a profondément influencé la pensée du développement, même s’il était davantage perçu comme un plan de reconstruction que de développement à part entière.
Des considérations à la fois économiques, humanitaires et politiques ont présidé à l’adoption du Plan Marshall. À la différence du Plan Morgenthau, le Plan Marshall admettait qu’une nation agricole ne pouvait pas nourrir autant d’habitants qu’une nation industrielle. De plus, le plan de désindustrialisation de Morgenthau devait uniquement être mis en œuvre dans les zones d’Allemagne de l’Ouest occupées par le Royaume-Uni, la France et les États-Unis, et pas dans la zone russe à l’Est. Les Alliés y ont vu un risque – politiquement dangereux – de favoriser l’apparition d’une extrême pauvreté en Allemagne de l’Ouest. Dans les pays bénéficiant du Plan Marshall, le libre-échange a été suspendu. Ceci devait durer jusqu’à ce que l’industrialisation et la hausse de la productivité les rendent compétitifs sur les marchés mondiaux non seulement sur le plan des produits agricoles et des matières premières, mais aussi des produits industriels. Les forces dominantes dans le monde au lendemain de la Seconde Guerre mondiale – à la naissance de l’OECE (qui deviendrait par la suite l’OCDE) – voyaient unanimement dans l’industrialisation la clé de la richesse.
Le legs du Plan Marshall et la marque de son succès dans la pensée du développement ont été de trois ordres :
Premièrement, il a confirmé l’idée d’échanges symétriques – la notion selon laquelle le commerce était optimal et devait être encouragé entre deux pays de niveau équivalent de développement –, dans un contexte où de nombreux pays européens bénéficiaient d’un niveau similaire de développement.
Deuxièmement, les États-Unis insistaient pour que l’Europe progresse à l’unisson, protégeant ses industries naissantes du commerce international pour leur permettre de s’épanouir. Dans les faits, la Charte de la Havane, qui a précédé le GATT et l’Organisation mondiale du commerce (OMC), a rendu le plan Marshall opérationnel. Elle rendait possible le protectionnisme pour les pays qui disposaient d’un plan d’industrialisation et pâtissaient d’un certain niveau de chômage.
Troisièmement, les capitaux importants transférés vers l’Europe ont mis en évidence que le capital aurait un rôle à jouer dans l’équation du développement. Ce dernier legs dominerait la pensée du développement, la faisant rebasculer en profondeur vers les notions néoclassiques.
La croyance dans les avantages du commerce l’emporte sur l’école industrialiste
L’école industrialiste a été éclipsée en raison du succès même du Plan Marshall, de la prévalence de la théorie économique néoclassique et du manque de capitaux dans les pays en développement (encadré 4.1). La vision qui l’a emporté mettait l’accent sur le capital comme la variable manquante fondamentale pour permettre le décollage du développement.
Le commerce était considéré comme le principal instrument susceptible de favoriser la réalisation de ce scénario. Joseph Schumpeter avait comparé cette vision à « l’idée terre-à-terre selon laquelle c’est le capital en soi qui amorce le moteur capitaliste » (Schumpeter, 1954, p. 468[31]). À la fin des années 1950, la reconstruction européenne était achevée et considérée comme un succès. Alors que le rôle de l’OECE comme administrateur de capitaux prenait fin, ceux qui réclamaient une nouvelle organisation munie d’un nouveau mandat l’ont emporté.
Vu à travers le prisme néoclassique, le principal problème du développement était celui de l’accumulation du capital. Les pays pauvres dotés de peu de capital avaient besoin d’emprunter auprès de pays développés ou de dégager un excédent de leur balance commerciale. La lutte contre le communisme, dans laquelle le Plan Marshall jouait aussi un rôle prépondérant, constituait l’un des ingrédients clés.
La fondation Cowles, groupe de réflexion créé dans les années 1930, a commencé par promouvoir une approche plus scientifique de l’économie néoclassique. Elle a finalement joué un rôle dans le basculement de la pensée du développement vers l’équilibre général. L’économie était perçue comme une science parfaite, qui permettait de résoudre des équations et de mettre les pays sur le chemin de la croissance. Au milieu des années 1950, Arrow et Debreu (1954[32]) ont par exemple identifié différentes conditions à remplir pour que les marchés fonctionnent de manière efficiente, et leurs travaux sont devenus l’épine dorsale de la discipline économique en général.
Différentes stratégies de développement ont vu le jour dans la droite ligne de cette conception, s’attachant à attirer des capitaux pour atteindre une croissance rapide. Rostow, contemporain de Rosenstein-Rodan et de Nurkse, a introduit l’hypothèse des cinq étapes de la croissance économique. L’idée centrale était l’accumulation du capital, fondée sur l’expérience des pays déjà industrialisés.
Les cinq étapes étaient les suivantes : société traditionnelle, obtention des préconditions pour le décollage ; décollage ; évolution vers la maturité ; et consommation de masse élevée (Rostow, 1960[11]). Gerschenkron (1962[33]) plaidait en faveur d’un rôle plus actif des gouvernements et des grandes banques pour fournir les capitaux nécessaires et favoriser l’entrepreneuriat. Dans la même perspective, le modèle néo-classique d’Harrod-Domar proposait de fixer un taux d’épargne optimal qui devait être atteint pour maximiser la croissance. Cette manière de penser conservait toutefois l’État au centre du jeu, l’école de la planification jugeant que son rôle était d’accompagner les flux de biens et de capitaux.
Le capital financier était considéré comme primordial. Peu d’importance était accordée à la manière dont le système pouvait évoluer sous l’effet de nouveaux facteurs, notamment sociaux ou environnementaux, ou même du rôle de la technologie (Ranis, 2004[34]). L’influent modèle de croissance de Swan-Solow a bien souligné le rôle central de la technologie. Cette dernière était toutefois perçue comme un facteur exogène, à même de s’adapter partout indépendamment des institutions, des cultures, des capacités et de la localisation.
Le rôle dominant du capital a conduit à l’émergence de l’aide au développement et des banques régionales de développement. Il était admis que les capitaux étrangers seraient à même de compenser toute insuffisance de capitaux nationaux, vision qui devait par la suite conduire à l’émergence de l’aide au développement. Les donateurs étaient vus comme des fournisseurs de capitaux indispensables et de nombreuses organisations d’aide nationales ont fait le choix d’opérer dans le cadre d’organisations multilatérales.
La Banque interaméricaine de développement (BID), créée en 1959, a été la première banque régionale de développement. Elle a été suivie par la Banque africaine de développement (BAD) et la Banque asiatique de développement (BAsD) en 1964 et 1966, respectivement. La Banque internationale de développement (BItD) a également été créée en 1960 au sein de la Banque mondiale pour accorder des prêts à des conditions libérales et des subventions aux pays les plus pauvres du monde, en sus des prêts de la BIRD.
En 1961, à la lumière du succès du Plan Marshall et suite à la révolution cubaine, les États-Unis ont lancé un programme d’aide majeur dédié à l’Amérique latine, baptisé « l’Alliance pour le progrès ». Il proposait des prêts de plus de 20 millions d’USD, souvent accompagnés d’une assistance technique. Les Nations Unies ont d’ailleurs établi en 1958 un Fonds spécial pour élargir l’action du programme d’assistance technique de l’ONU.
DE l’OECE à l’OCDE
Une fois l’Europe d’après-guerre engagée sur le chemin de la croissance, la mission de l’OECE a pris fin. En 1960, l’organisation a été refondue dans la nouvelle OCDE, plus globale, dans une perspective de discussion des politiques. Un an plus tard, le Centre de développement de l’OCDE a été créé comme plateforme indépendante de partage des connaissances et de dialogue entre les pays membres et non membres de l’OCDE. L’idée était ainsi d’offrir aux pays un moyen d’interagir sur un pied d’égalité. Enfin, dans la droite ligne de la création des banques de développement et de l’émergence de l’aide et de la coopération au développement, l’OCDE s’est étendue en donnant un mandat ferme au Groupe d’aide au développement (GAD) de l’OECE, un forum des principaux donateurs, rebaptisé Comité d’aide au développement (CAD) en 1961. L’une des principales motivations lors de la création du GAD/CAD était de permettre une comptabilité précise et comparable des flux d’aide aux pays en développement.
La recherche de la croissance économique a conduit responsables politiques et chercheurs universitaires à opter pour des stratégies et des politiques susceptibles d’augmenter le PIB d’un pays aussi rapidement que possible. Cette démarche a été privilégiée au détriment de l’environnement, de l’égalité et des avancées sociales. Les défis sociaux et environnementaux des pays étaient absents de l’équation.
Ces modèles n’étaient pas nécessairement erronés, dans la mesure où tous les pays ont besoin de capitaux comme moteur de croissance. Mais ils supposaient un ruissellement vers le reste de l’économie, en mettant l’accent sur l’offre plus que sur la demande. En outre, ils simplifiaient le mécanisme au point de rendre uniforme son application à l’ensemble des pays, comme s’ils travaillaient de la même manière et partageaient une histoire commune, les mêmes liens sociaux, les mêmes capacités et les mêmes besoins. Ils supposaient également qu’un tel développement, mené de cette manière, serait durable. Il devenait de plus en plus évident que les résultats économiques ne constituaient qu’une dimension du développement.
Pensée occidentale
Des attentes élevées, généralement axées sur le marché, mais associées à d’importants éléments d’interventionnisme public (keynésien) ; l’État devient un agent du développement au sein d’un processus plus large d’industrialisation et de modernisation ; les flux financiers vers les pays en développement et une ouverture au commerce sont considérés comme bénéfiques (en revanche, un protectionnisme de fait perdurait dans de nombreux pays en développement).
Transformation structurelle (années 1960)
Tout au long des années 1960 et au début des années 1970, la communauté du développement a de plus en plus estimé que l’État devait jouer un rôle plus important que celui de simple fournisseur de capitaux. Par conséquent, l’économie du développement a connu une nouvelle évolution.
La pensée du développement a connu un nouvel élan d’enthousiasme lorsque l’ONU a déclaré les années 1960 décennie du développement, en soulignant que les progrès du développement jusqu’alors étaient loin d’avoir été satisfaisants. L’industrialisation a de nouveau été considérée comme le moyen de fournir de l’emploi en lieu et place du chômage déguisé dans l’agriculture. L’augmentation de la production par habitant grâce aux économies d’échelle dans la production manufacturière était perçue comme un facteur de hausse des revenus, qui conduisait à son tour à une demande intérieure plus soutenue pour les produits fabriqués localement : un cercle vertueux.
Les années 1960 ont aussi connu une croissance significative du financement du système de développement des Nations Unies. En 1964, l’ONU a créé la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED). L’industrialisation et le concept de « valeur ajoutée » aux matières premières produites localement étaient des éléments centraux des programmes de développement de la CNUCED. Le problème initialement posé par Rosenstein-Rodan au sujet de l’industrialisation des États des Balkans à travers une croissance équilibrée s’est à nouveau présenté au moment de l’indépendance des anciennes colonies européennes, de celle de l’Indochine française et du Ghana dans les années 1950, à celle du Mozambique et de l’Angola en 1975. Dans la lignée du rôle accru dévolu à l’État, l’ONU a créé des agences spécialisées axées spécifiquement sur le développement – le Fonds spécial devenant le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) en 1965 –, et sur l’industrialisation, avec la création de l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI) en 1966.
La plupart des pays en développement n’avaient bénéficié ni de longues périodes de croissance économique, ni de développement social au sens large. En outre, la transition vers les formes modernes de production, de société et d’organisation étatique s’était avérée risquée, lente, et traversée par des mouvements de protestation politique et d’interventions militaires (Eisenstadt, (1967[35]) ; Huntington, (1965[36]), (1968[37]) ; Myrdal, (1968[38])). Les niveaux de pauvreté restaient élevés. D’après Albert Hirschman, le manque de capitaux était moins problématique que l’inachèvement des plans de développement, qui faisait obstacle à l’entrepreneuriat et aux initiatives individuelles (Hirschman, 1963[39]).
Les politiques du développement se sont de plus en plus attachées à la transformation des structures économiques, en particulier au basculement de la main-d’œuvre et des ressources des secteurs faiblement productifs ou traditionnels (comme l’agriculture) vers des secteurs plus avancés (comme l’industrie). Les politiques mettaient l’accent sur la modernisation des pays en développement en accordant un rôle moteur à l’État.
Lewis (1954[40]), Chenery (1960[41]) et Harris et Todaro (1970[42]) ont apporté des contributions significatives à la théorie et à la pratique du développement. Dans le modèle de Lewis, par exemple, les travailleurs passent d’un secteur faiblement productif à un secteur plus productif. Les salaires se maintiennent à un niveau de subsistance jusqu’à ce que « l’armée de réserve des travailleurs » se trouve épuisée dans le secteur faiblement productif et que les salaires augmentent. La réallocation de la main-d’œuvre et du capital de l’agriculture vers l’industrie était considérée comme le moteur de la croissance, et l’État pouvait accompagner ce mouvement et l’accélérer.
Le rôle de la technologie dans le développement évoluait également. Jusque dans les années 1960, la pensée du développement considérait la technologie comme quelque chose qu’il fallait adopter, incorporer au capital fixe, en se contentant de la déplacer de son lieu d’invention vers son lieu d’utilisation dans les pays du Sud (Evenson et Westphal, 1995[43]). Le changement technologique était conçu comme un prérequis pour la croissance plutôt que comme une composante de la croissance elle-même, conception fondée théoriquement dans les modèles de croissance exogène de Solow et Harrod-Domar. Le contexte, les niveaux de compétence et les capacités institutionnelles étaient censés s’adapter à la technologie par la suite. À la fin des années 1960 et au début des années 1970, l’attention s’est portée sur le processus même de transfert de technologie, modifiant de ce fait la vision de la technologie comme artefact physique, qui a laissé la place à celle d’un système d’artefacts composé de « personnes, procédures et arrangements organisationnels » (Bell et Albu, 1999[44]).
Le commerce et les avantages comparatifs sont restés centraux pendant cette période, mais les producteurs des pays industrialisés se sont opposés au retour de la stratégie d’industrialisation et d’avantages comparatifs dans les économies en développement. Ils redoutaient la concurrence des produits manufacturés des pays à faibles coûts salariaux. Ils s’inquiétaient aussi de la pression exercée par les déficits extérieurs sur leurs taux de change, qui résulterait d’une balance commerciale déficitaire.
L’accent mis sur la transformation structurelle et le développement industriel a lésé d’autres secteurs. Les responsables politiques ont commencé à investir uniquement dans le secteur industriel, négligeant l’agriculture, dont les ramifications avaient jusqu’alors semblé négligeables pour la croissance économique. Ni les importants transferts de capitaux ni la transformation structurelle impulsée par l’État n’avaient fonctionné de manière satisfaisante, ni ne s’avéraient suffisants pour initier le développement.
Pensée occidentale
Après des succès initiaux, les responsables politiques tentent en vain d’accélérer le processus de développement. La pensée du développement traverse une nouvelle période d’enthousiasme grâce aux initiatives multilatérales. Le commerce reste considéré comme un vecteur de développement, accompagné néanmoins d’une tendance à la transformation structurelle impulsée par l’État.
Une indépendance accrue des économies en développement (années 1970)
À la fin des années 1960, la pensée du développement s’est encore diversifiée. Après la déception vis-à-vis de la « Décennie du développement », de nombreux observateurs critiques ont soutenu des stratégies « Sud-Sud » pour combattre ce qu’ils voyaient comme des termes inégaux de l’échange pour les pays en développement. Parallèlement, le courant central de la pensée du développement a commencé à prendre en compte le problème de la pauvreté de masse en mettant l’accent sur les besoins fondamentaux.
Les critiques proposent des mesures protectionnistes pour lutter contre les termes défavorables de l’échange
Différentes critiques émanant d’Amérique latine (Commission économique des Nations Unies pour l’Amérique latine, CEPAL) – qui ont ensuite donné naissance à « l’école de la dépendance » – soulignaient que le commerce international désavantageait systématiquement le monde en développement (Bracarense, 2012[45]). Elles affirmaient aussi que le commerce entretenait, voire aggravait, le sous-développement (Frank, 1966[46]). Cette école de pensée jugeait les pays en développement dépendants des économies développées sur le plan de l’accès au marché et aux capitaux. Ce phénomène était particulièrement visible dans le commerce international, dont les termes de l’échange semblaient favoriser les pays riches. C’est ainsi que s’ouvrit une période de relations fermées et de mesures protectionnistes pour les pays en développement.
En conséquence, ces critiques défendaient des stratégies de développement plus interne, un commerce Sud-Sud, un Nouvel ordre économique international, des restrictions aux actions des sociétés multinationales et une redistribution fortement accrue du Nord vers le Sud, parfois avec une tonalité nettement anticapitaliste (Laszlo et al., (1978[47]) ; (Green et Singer, 1975[48]) ; Cox (1979[49]) ; Amin (1977[50]). La déclinaison latino-américaine de ces théories est connue sous le nom de structuralisme.
Les penseurs traditionnels du développement se concentrent sur la pauvreté et les besoins fondamentaux
La pensée du développement s’est par ailleurs davantage penchée sur la question de la pauvreté. En 1971, le Comité de planification du développement des Nations Unies a établi et adopté une liste des pays les moins avancés (PMA). Les critères retenus étaient le PIB par habitant, la part du secteur manufacturier dans le PIB total et le taux d’alphabétisation des adultes. Les pays concernés ont pu bénéficier de programmes d’action spécifiques de l’ONU.
L’aide publique au développement (APD) a été conçue comme une réaction à une « décennie de développement incomplet » et a dirigé davantage de ressources vers la réduction de la pauvreté de masse. Au début des années 1970, le président de la Banque mondiale, Robert McNamara, insistait sur le besoin de s’attaquer à la réduction de la pauvreté, et le premier Rapport sur le développement dans le monde abordait également ce sujet (McNamara (1973[51]) ; (Banque mondiale, 1978[52]) ; (Kapur, Lewis et Webb, 1997[53]). Cela a eu une influence profonde sur les programmes d’aide, qui ont commencé à financer davantage de micro-programmes destinés à satisfaire les besoins fondamentaux dans les domaines de la santé, de l’éducation, de l’accès à l’eau et de l’assainissement.
Même si cette évolution a été en partie dictée par des motifs sécuritaires, le soutien apporté aux petits cultivateurs et aux petites entreprises visait à promouvoir un nouveau modèle de croissance, celui d’une « croissance équitable » (Chenery (1974[54]) ; (Ahluwalia, Carter et Chenery, 1979[55]) ; Feder (1976[56])). Sans abandonner totalement les efforts de modernisation et d’industrialisation, les critiques plaidaient pour une orientation plus sociale des politiques dans le but de satisfaire les besoins fondamentaux (OIT, 1976[57]). C’est au cours des années 1970 qu’Amartya Sen a commencé à faire campagne en faveur de stratégies nationales de développement davantage axées sur le développement humain.
L’implication de l’État dans les stratégies de développement s’est poursuivie dans les années 1970 et des engagements plus concrets ont été pris sur le plan de l’aide. En 1970, l’Assemblée générale des Nations Unies adoptait ainsi une résolution fixant un objectif d’aide internationale à hauteur de 0.7 % du PIB2. L’adoption de cet objectif a conduit à traiter davantage les symptômes du sous-développement – la pauvreté –, tandis que l’industrialisation était reléguée au second plan.
Pendant cette décennie, l’Association internationale de développement (AID) et le PNUD ont obtenu de nouvelles sources de financement. Comme au cours de la période précédente, les discussions portaient sur le rôle qui devait être dévolu à l’intervention publique et au marché, ainsi que sur l’alternative entre stratégies de développement orientées vers l’intérieur ou vers l’extérieur (Krueger (1985[58]), (1990[59]) ; Bhagwati, (1987[60]) ; (Banque mondiale, 1987[61]) ; Chenery et al. (1986[62])).
Le renforcement de l’implication de l’État s’est accompagné de deux tendances importantes dans la pensée du développement. La création d’emplois à travers une industrialisation financée par des ressources intérieures a été progressivement délaissée en faveur d’une aide au développement basée sur des financements étrangers. Par ailleurs, l’accent a été mis sur les buts recherchés plus que sur les moyens, et sur la consommation plus que sur la production (graphique 4.3).
La crise fait naître des demandes de rééquilibrage des termes de l’échange
La crise pétrolière de 1973 et l’émergence de l’école de la dépendance ont abouti à la proposition d’un Nouvel ordre économique international. Il s’agissait d’un ensemble de propositions destinées à améliorer les termes de l’échange pour les pays en développement, en prenant en compte la hausse du coût des matières premières et le faible pouvoir de négociation des pays en développement.
En 1976, l’Organisation internationale du travail a publié « L’emploi, la croissance et les besoins essentiels : problème mondial ». Ce rapport proposait des stratégies nationales de développement économique (SNDE) élaborées au niveau de chaque pays, avec comme objectif la satisfaction des besoins fondamentaux de l’ensemble de la population. Les SNDE visaient à garantir un revenu suffisant pour se nourrir, se loger et s’habiller, tout en ayant accès à certains services essentiels en matière d’éducation, de santé, d’eau potable et d’assainissement. L’économie du développement (cherchant à traiter les causes de la pauvreté) se trouvait à nouveau supplantée par l’économie palliative (visant à soulager les symptômes de la pauvreté.)
Les crises budgétaires et le surendettement conduisent aux premières tentatives d’ajustement structurel
Les problèmes budgétaires des pays de l’OCDE et les crises de la dette en Amérique latine ont inauguré un nouveau cycle de la pensée du développement. À la fin des années 1970, de nombreux gouvernements du monde en développement avaient accumulé une dette à la fois intérieure et extérieure qui les plaçait au bord de la faillite (IMF, (1980[64]). L’hyperinflation affectant certains pays – par exemple l’Argentine, la Bolivie et le Brésil – aggravait encore la situation.
Le retrait des prêteurs privés a conduit les institutions internationales à fournir de nouveaux financements en faveur du développement, assortis de nouveaux instruments de « stabilisation et d’ajustement ». Il était demandé en contrepartie aux États bénéficiaires de limiter leur recours à l’emprunt sur leur marché intérieur et de procéder à une consolidation budgétaire, principalement en réduisant les dépenses et l’emploi publics, et en « restructurant » ou en privatisant les entreprises publiques lourdement endettées.
Paradoxalement, les programmes d’ajustement, destinés à réduire le rôle de l’État, nécessitaient une administration efficace pour mener à bien les réformes touchant aux questions budgétaires et aux politiques publiques en général (Banque mondiale, 1983[65]). Les controverses abondent au sujet des effets des programmes d’ajustement sur la pauvreté. Les effets constatés sur le terrain semblent dépendre des conditions propres à chaque pays, en particulier les performances du secteur public et les questions de gouvernance au sens large (Morrisson, 1992[66]) ; (Collier et Gunning, 1999[67]) ; (Easterly,(s.d.)[68]) ; (Pastor, 1987[69]). Tirant les leçons de la pratique, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) a insisté sur la nécessité d’un « ajustement à visage humain » (Cornia, Jolly et Stewart, 1987[70]). Le FMI comme la Banque mondiale ont mis en place des programmes spécifiques pour atténuer le coût social de l’ajustement au moyen de filets de sécurité et de prêts préférentiels (Gayi (1991[71]) ; Boughton (2012[72])).
Pensée occidentale
Des espoirs déçus, une vague de critiques et un effort de diversification ; bien que le développement par le marché ne soit pas remis en question, la réduction de la pauvreté et la satisfaction des besoins fondamentaux s’imposent comme des priorités ; dans plusieurs pays en développement, la dette publique augmente rapidement ; bien que l’ouverture soit toujours considérée comme bénéfique, les critiques venues de l’école de la dépendance et de la CEAL dénoncent les risques de l’intégration mondiale et plaident pour un développement tourné vers l’intérieur ; aspirations à un Nouvel ordre économique international.
Stabilité macroéconomique : le Consensus de Washington (années 1980-2000)
La deuxième décennie du développement de l’ONU, dans les années 1970, a été dominée par la crise pétrolière. Les pétrodollars étaient recyclés et la dette s’accumulait, conduisant à une fragilité financière, puis à une crise financière. En réaction, les marchés de biens se sont ouverts, menaçant de détruire la production manufacturière nationale de nombreux pays pauvres (Palma et Stiglitz, 2016[73]). Connue sous le nom de Consensus de Washington, une nouvelle ère avait commencé pour la communauté du développement (Williamson, 1990[74]). La stratégie de développement dominante s’est repliée sur les principes néoclassiques et sur les orientations politiques dictées par les institutions du développement basées à Washington.
Le projet de stabilité macroéconomique renforcée et de réduction de la place de l’État, qui est resté connu sous le nom de Consensus de Washington, a remis en cause la priorité accordée aux besoins fondamentaux dans les stratégies de développement. Cette vision restera prédominante au moins jusqu’à l’adoption des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), dans les années 2000.
La période du Consensus de Washington incorpore plusieurs courants distincts et a connu des évolutions au fil du temps. Un recours accru au marché a eu lieu dans les années 1980, accompagné d’une confiance excessive dans les vertus du marché. Au moment de la chute du mur de Berlin, une vision plus équilibrée de l’État et du marché s’est imposée. Mais les institutions basées à Washington – et l’importance qu’elles accordaient au marché – sont restées prédominantes pendant toute la période, maintenant leur influence jusqu’à la crise financière mondiale de 2008. Dans les années 1990, la technologie a également fait son retour comme principal catalyseur du développement.
Les besoins fondamentaux sont écartés dans les années 1980
Les années 1980 ont été marquées par des récessions et par une inflation élevée dans les pays développés, auxquelles les gouvernements Reagan et Thatcher ont réagi en appliquant des remèdes libéraux. Ces politiques furent également appliquées aux pays en développement, mais de manière prématurée et expéditive. Les théories du développement économique disparaissent quasiment, remplacées par les thèses de l’économie néoclassique.
L’idée que l’aide devait cibler les besoins fondamentaux a disparu des programmes. Les critiques de l’approche keynésienne considéraient que les méthodes appliquées jusqu’alors avaient totalement échoué. Elles recommandaient le renforcement des marchés concurrentiels, la fixation de justes prix et l’encouragement du développement du secteur privé (Dorn et al. (1998[75]) ; Toye (1987[76])). Soumises aux incitations économiques adéquates, les populations des pays en développement agiraient, pensait-on, elles aussi rationnellement, ce qui se traduirait par une hausse de l’investissement et de la production3. Le gouvernement était davantage vu comme un problème que comme une solution en matière de progrès économique et social, et il n’était plus question de confier à l’État la tâche d’initier le développement (Adelman, 1999[77]).
Les mêmes arguments ont servi à battre en brèche les craintes de l’école de la dépendance. Le développement étatique orienté vers l’intérieur et l’autosuffisance – inefficace et coûteux (Bates (1981[78]) ; (Banque mondiale, 1995[79]) ; Edwards (2009[80])) – n’était plus à l’ordre du jour. Leurs détracteurs recommandaient au contraire d’orienter vers l’exportation les entreprises privées, qui mobiliseraient les ressources locales afin de combler le déficit commercial. Fort du succès de plusieurs économies d’Asie du Sud-Est, ce point de vue a exercé une forte influence dans la communauté du développement, avec toutefois des réserves chez certains. Résumant l’expérience de nombreux pays, Chenery et al. (1986, p. 358[62]) ont mis en évidence « une séquence nécessaire permettant de passer d’une croissance dominée par la substitution aux importations à l’exportation de produits manufacturés comme moteur principal. Il semble qu’une économie ait besoin de disposer d’une certaine base industrielle et d’un ensemble de compétences techniques avant de pouvoir se lancer dans une production tournée vers l’exportation ».
La réduction de la pauvreté et les préoccupations sociales n’ont pas été totalement abandonnées durant ces années. Mais les adversaires de cette approche estimaient qu’elle ne pourrait porter ses fruits que lorsque les principaux déséquilibres macro et microéconomiques seraient corrigés. Les questions de pauvreté, d’équité et de gestion publique ont également été prises en compte dans les prêts conditionnés à des mesures d’ajustement structurel (Morrisson (1992[66]) ; Dornbusch (1982[81]) ; (Diebold, Feinberg et Kallab, 1984[82]) ; Pastor (1987[69]).
En dehors de l’OCDE, la Chine et l’Union soviétique ont emprunté des trajectoires distinctes. La Chine a commencé à expérimenter les mécanismes de marché à la fin des années 1970 dans le secteur agricole et le foncier (Lardy (1986[83]) ; Lin (1992[84]). Deng Xiaoping, figure centrale du décollage économique de la Chine, affirmait que la Chine « traversait la rivière en tâtonnant sur chaque pierre ». Autrement dit, le pays allait se frayer un chemin à son rythme au milieu des incertitudes. Les années 1980 se sont achevées avec l’effondrement de la planification économique et du développement étatique incarnés par l’Union soviétique et les pays d’Europe de l’Est.
Suite aux réformes des politiques publiques dans les pays de l’OCDE, la coopération bilatérale et multilatérale pour le développement a été soumise à un examen renforcé. Il a été demandé aux institutions de passer en revue et surtout de documenter davantage leurs activités. L’évaluation de la performance des institutions et de l’efficacité des politiques de développement est devenue partie intégrante de la gestion de l’aide internationale (Knack et Rahman, 2007[85]); Roodman (2008[86]) ; (Easterly et Pfutze, 2008[87]).
La chute du mur de Berlin a renforcé le Consensus de Washington
Avec le recul, le contraste entre les années 1980 et 1990 apparaît clairement. La chute du communisme a été interprétée comme la victoire définitive « du marché » et 1989 a même été saluée comme marquant « la fin de l’Histoire » (Fukuyama, 1992[88]) ou encore comme « la fin de l’État-nation » (Ohmae, 1995[89]).
La célébration du marché est longtemps restée hégémonique dans la pensée du développement. À partir du début des années 1990, la plupart des pays en développement ont ainsi fait l’expérience d’une « double libéralisation », misant sur le marché plus que sur l’État pour se développer, et échappant à des régimes autoritaires pour embrasser la démocratie. Par ailleurs, la gestion des programmes d’ajustement structurel, la phase de transition en Europe centrale et de l’Est, et la confirmation des succès du développement en Asie du Sud-Est indiquaient que les gouvernements et les institutions publiques jouaient un rôle important dans le soutien apporté aux marchés.
La discussion autour du rôle de l’État et du marché s’était déplacée vers l’examen de leur complémentarité (Israel (1990[90]) ; (Banque mondiale, 1997[91]); (Kuczynski et al., 2003[92]). « Avoir les bonnes institutions », améliorer la gestion publique et la qualité de la « gouvernance » étaient devenus des ingrédients essentiels de la pensée du développement, et l’école de la Nouvelle économie institutionnelle a pris de plus en plus d’importance dans les recherches sur le développement (Banque mondiale, 1991[93] ; 1997[91]).
Le rôle des technologies de l’information et de la communication (TIC) s’est considérablement accru dans les années 1990. De nombreux pays ont commencé à s’intéresser aux bénéfices procurés en matière de développement par des connaissances plus poussées et des technologies plus avancées. La technologie faisait toujours figure de force motrice pour la croissance, mais elle intervenait désormais comme un facteur endogène de l’économie locale, tout en produisant des rendements croissants grâce aux externalités induites. Les politiques, et par extension les programmes d’aide, se sont aussi davantage attachés à soutenir la recherche et développement, à favoriser les biens d’équipement et à réduire le coût des produits manufacturés. L’importance des compétences permettant d’adopter et d’adapter de nouvelles technologies a également été mise en valeur (Romer (1986[94]) ; Lucas (1988[95]) ; Ranis (2004[34])).
Le développement retrouve petit à petit un visage humain
Le développement donnait l’impression d’avoir fait un pas en arrière dans les années 1990. La Charte de la Havane avait été diluée dans le GATT, qui avait finalement cédé la place à l’OMC en 1995. Des développements d’abord positifs dans les régions périphériques du monde avaient lentement cédé la place à un libre-échange et à une désindustrialisation prématurés. Par conséquent, les « décennies du développement » de l’ONU avaient fini par être perçues comme des décennies perdues.
Les années 1990 ont également vu la résurgence du débat sur la nature de la relation entre croissance démographique et développement économique. Les questions de la santé sexuelle, de la fécondité, de l’éducation, de la mortalité infantile et maternelle, ainsi que les enjeux de planning familial, ont fortement attiré l’attention des décideurs lors de la Conférence internationale sur la population et le développement du Caire en 1994.
En outre, le PNUD a lancé son Rapport sur le développement humain (RDH) en 1990. Il s’agissait de mettre les personnes au centre du développement, en soulignant les erreurs du Consensus de Washington et des politiques d’ajustement structurel. Il convient de noter que ces programmes n’étaient pas critiqués parce qu’ils auraient été inaptes à favoriser le développement, mais plutôt parce qu’ils avaient conduit à des résultats socialement inacceptables et qu’ils n’intégraient pas les problématiques environnementales et la redistribution des richesses dans leur modèle de croissance.
Pensée occidentale
Dans un premier temps, la résolution des crises de la dette domine la pensée du développement, les besoins de base ne sont plus prioritaires et l’attention se porte vers la stabilité macroéconomique et les fondamentaux du marché. Par la suite, l’amélioration des institutions et l’ouverture du commerce sont vues comme des points de départ nécessaires. Finalement, le développement intègre une approche davantage centrée sur l’humain.
Le développement par objectifs (années 2000)
À la fin des années 1990, des économistes comme Rodrik (1997[96]) et Stiglitz ( (1998[97]); (2002[98])) se sont faits les porte-paroles des critiques contre le type de mondialisation qui était en train de s’imposer. Dans ce contexte, les problèmes apparus au cours des décennies précédentes ont conduit l’ONU à adopter les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) en 2000. Cette évolution s’est poursuivie dans une perspective plus inclusive avec les Objectifs de développement durable (ODD) en 2015.
Le progrès humain, la durabilité environnementale et la sécurité gagnent en importance
Au tournant du millénaire, de nouvelles questions se sont ajoutées au débat sur la nécessité de plus ou moins d’intervention publique. Elles portaient sur le rôle du développement humain, sur les droits et les libertés, ainsi que sur la prise en compte de la « sécurité humaine » (O'Neill (1997[99]) ; Sen (1999[100]) ; (Thomas et Wilkin, 1999[101]).
La mesure du progrès humain et pas uniquement du développement économique – par exemple au moyen de l’indice de développement humain (IDH) du PNUD ou des OMD – a plus que jamais gagné en importance. Les discussions ont en outre à nouveau mis l’accent sur les objectifs de développement, en particulier l’élargissement de l’éventail des libertés humaines (Sen, 1999[100]) et l’amélioration de la qualité de la vie. Bien que critiquée en tant que concept occidental, cette dernière incluait les libertés politiques et la participation des citoyens (Blunt (1995[102]); (OCDE, 1995[103]).
L’environnement et la question de la durabilité ont été intégrés aux objectifs de développement (Banque mondiale, 1992[104] ; 2002[105]). Avec la signature du Protocole de Kyoto en 1997, la question du changement climatique a rapidement gagné en importance. Par ailleurs, les attentats du 11 septembre 2001 contre les États-Unis ont jeté une lumière nouvelle sur la question de la fragilité des États, de la violence et des guerres civiles, conduisant à une nouvelle approche des efforts visant au renforcement de l’État.
Les OMD introduisent une pensée plus globale
Le début des années 2000 a consacré l’avènement d’une pensée du développement plus globale. Cette approche plus inclusive présupposait un recours à des contributions multidisciplinaires et multidimensionnelles auprès d’un vaste panel d’acteurs afin de voir plus loin que les simples indicateurs de croissance et de PIB.
Les OMD, définis en 2000, appelaient les pays à accomplir certains progrès dans différents domaines clés d’ici à 2015. Ces domaines comprenaient la réduction de l’extrême pauvreté, de la faim, de la mortalité infantile et maternelle, et de la transmission des maladies, ainsi qu’une augmentation des taux de scolarisation, et de l’accès à l’eau et aux installations sanitaires. Ces objectifs visaient à satisfaire les besoins de personnes les plus pauvres du monde, dans les pays les plus pauvres du monde.
Avec les OMD, l’accent n’était plus mis sur le développement économique, mais sur « la lutte contre la pauvreté »4. En d’autres termes, la priorité n’était plus donnée à l’augmentation du revenu des individus, mais au traitement des symptômes de la pauvreté. Le N-gramme Google du graphique 4.4 illustre ce déplacement des préoccupations au profit de la lutte contre la pauvreté entre 1950 et 2000.
L’analyse rétrospective normative (ou backcasting) aide à élaborer des plans permettant d’atteindre les objectifs à long terme
L’accent mis sur la lutte contre la pauvreté répondait à des impératifs pratiques autant qu’à des partis pris idéologiques, les buts étant fixés en référence à des objectifs quantitatifs aussi bien que temporels. Cela signifiait que les responsables politiques pouvaient planifier la manière de les financer et de les appliquer au cours d’une période définie au préalable (ex-ante). La principale philosophie sous-tendant les OMD s’appuyait sur le principe du backcasting, ou analyse rétrospective normative : identifier le résultat à atteindre à l’avenir, puis élaborer un plan permettant de s’en approcher au fil du temps (Sachs, 2015[106]).
Le backcasting a permis aux différents échelons gouvernementaux, cultures, disciplines et pays d’intégrer l’évolution de la pensée du développement. Il a permis aux plans de mobiliser les ressources nécessaires pour atteindre les objectifs ainsi définis, et inspiré une nouvelle campagne mondiale de lutte contre l’extrême pauvreté. De ce point de vue, les OMD ont clairement réussi. En outre, les plus grands succès dans la réalisation des objectifs ont été remportés dans le domaine de la santé et il a été souligné que des sommes importantes avaient été mobilisées pour y parvenir, comme celles du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.
La crise économique de 2007-08 met fin à l’optimisme
L’ère des OMD a été marquée par la crise économique et financière de 2007‑08. Bien que la crise ait trouvé ses origines dans des pays de l’OCDE, elle a eu de lourdes répercussions dans le monde en développement (FMI, 2009[107] ; Banque mondiale, 2009[108] ; Spence et Leipziger, 2010[109]). Elle a mis fin à deux décennies d’optimisme et de confiance généralisée dans les bénéfices de la mondialisation, du multilatéralisme et de la gouvernance mondiale.
La coopération internationale et le développement n’ont pas fait exception. Malgré les critiques récurrentes des mouvements altermondialistes et des écoles de pensée post-coloniales et post-développement, le développement national avait assez bien fonctionné jusqu’en 2008. En outre, dans la droite ligne des OMD, la réduction de la pauvreté – au moins à l’échelle mondiale – semblait être en bonne voie.
Les années qui ont suivi ont été marquées par la gestion de la crise dans les pays de l’OCDE. La remise en cause des marchés entièrement dérégulés, particulièrement dans la finance internationale, s’est imposée sur la scène mondiale. Les cadres réglementaires nationaux et internationaux ont de nouveau été mis à l’honneur, de même que le rôle de l’État.
Toutefois, ces considérations ont eu étonnamment peu de répercussions dans le débat sur le développement, du moins au début. La croissance économique axée sur le marché, le développement social, la participation politique et l’intégrité environnementale sont restés les principaux piliers de la pensée du développement et des « bonnes pratiques » en la matière. La politique et la consolidation budgétaires, qui restaient contestées au sein de la communauté du développement, faisaient figure d’exceptions.
Les OMD ont pris fin en 2015 en laissant une impression mitigée quant à leurs accomplissements ; plusieurs objectifs n’avaient pas été atteints. Les critiques ont pointé leur approche par silos, qui n’avait pas permis de déployer la vision multisectorielle et globale initialement envisagée. Les objectifs présentaient un caractère trop général, et une trop grande importance était accordée à leur réalisation globale, sans se préoccuper dans le détail de ce que tel pays pouvait et devait faire pour atteindre tel objectif particulier (Sachs, 2015[106]).
Les ODD proposent une approche plus globale du développement pour tous
Pour pallier les limites des OMD, les Objectifs de développement durable (ODD) ont introduit une approche globale plus large du développement par objectifs. Les 193 pays de l’Assemblée générale des Nations Unies ont adopté en septembre 2015 le programme de développement pour 2030, intitulé « Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l’horizon 2030 ». Il comportait 17 ODD et 169 cibles associées.
Alors que les OMD s’attachaient à la réduction de l’extrême pauvreté, les ODD se concentrent sur le développement durable. Cela signifie qu’ils visent une réalisation globale conjuguant développement économique, inclusion sociale et durabilité environnementale. Les ODD soutiennent également que tous les pays se développent, et s’éloignent ainsi du discours binaire opposant les donateurs aux bénéficiaires.
À la différence des OMD, les ODD sont valables pour l’ensemble des pays ; ils ne se limitent pas aux pays pauvres5. Leur nature multisectorielle implique une interdépendance entre les objectifs et les cibles. Les ODD sont également plus complexes que les OMD ; ils sont plus larges que le défi de la réduction de la pauvreté, promouvant également l’inclusion sociale et la durabilité environnementale.
L’idée d’un programme de développement durable remonte au rapport de 1987 « Notre avenir commun », également connu sous le nom de rapport Brundtland, de la Commission mondiale des Nations Unies pour l’environnement et le développement. Ce rapport a marqué l’introduction officielle des préoccupations environnementales dans la sphère des politiques de développement. « Notre avenir commun » a placé les questions environnementales réellement au cœur de l’agenda politique ; il visait à faire de l’environnement et du développement un seul et même sujet de discussion. L’engagement public (et la communication) sont devenus cruciaux pour la pensée du développement.
Dans l’esprit du rapport Brundtland, les Nations Unies ont soutenu une campagne indépendante de communication pour diffuser les ODD auprès d’un public plus large à partir de 2015. Cette campagne était baptisée « Project Everyone » et une équipe de spécialistes de la communication a créé des logos pour chacun des objectifs. Ils ont également raccourci le titre « Les 17 Objectifs de développement durable » en « Objectifs mondiaux », puis ont organisé des ateliers et des conférences pour communiquer les Objectifs mondiaux à un public mondial.
Pensée occidentale
Le développement devient plus global et multisectoriel, le développement humain devient central. La question de la production repasse au second plan. La durabilité et l’environnement assument un rôle plus important. L’accent est mis sur la réalisation d’objectifs spécifiques plutôt que sur la convergence avec les économies les plus riches.
Le courant dominant de la pensée du développement a connu de nombreuses inflexions, sur la base de l’expérience accumulée à travers le monde et de l’influence exercée par certains grands événements. Mais à l’échelon régional, les idées s’écartaient souvent des principes généralement admis, en prenant leur source dans les expériences plus locales. En outre, les pays en développement ont commencé à accumuler leur propre expérience au regard d’autres pays en développement et des pays plus riches. La section suivante explore l’évolution des stratégies de développement, en portant une attention particulière à l’Amérique latine, l’Afrique et l’Asie.
L’expérience régionale comme catalyseur des stratégies alternatives de développement
Cette section examine la pensée du développement dans différentes régions dans une perspective historique depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ou l’indépendance jusqu’aux prémices des OMD à la fin des années 1990.
Dans ses formes originelles, l’économie du développement était le fruit des expériences des pays plus développés et industrialisés. Mais si les paradigmes retenus semblaient similaires, ils ont souvent été interprétés différemment. La Chine, l’Inde, l’Union soviétique et l’Occident en général partageaient tous le même paradigme de développement en 1950. Mais cette même vision de l’industrialisation et de la modernisation a produit des résultats divers lorsqu’elle a été mise en œuvre dans des systèmes économiques très éloignés.
Les premières conceptions de l’industrialisation se ressemblaient fortement à l’Ouest comme à l’Est. Les deux super puissances ont opté pour un processus impulsé par l’État. Mais l’une a choisi de favoriser l’entreprise privée et le marché, quand l’autre recourait à la planification publique et à la création d’entreprises d’État. Les deux modèles tablaient sur une modernisation rapide de l’agriculture traditionnelle, sur l’émergence d’entreprises industrielles modernes et sur l’exportation des matières premières. Toutefois, les institutions chargées de soutenir la croissance à l’Ouest avaient des vues différentes sur la manière de combiner au mieux le développement relevant de l’initiative publique et celui permis par le marché (Adelman, 1999[77]), avec une domination marquée des concepts keynésiens de l’après-guerre.
L’Inde a doté les agents centraux de la panification de pouvoirs politiques et économiques, garanti des monopoles aux industriels et fourni des engrais à bas prix aux agriculteurs. En Union soviétique, où l’économie était soumise à une planification minutieuse, l’administration a pu garder un œil sur la production tant que les produits étaient relativement peu nombreux. L’un des facteurs de l’effondrement du système économique soviétique a été la diversité et la complexité croissante produite par la révolution informatique (Perez, (2004[110]), (1985[111])). Un système centralisé ne pouvait pas gérer le type de production flexible permise par les technologies de l’information et de la communication.
Pendant la majeure partie du XXe siècle, les deux jumeaux irrationnels – le capitalisme à l’Ouest et le communisme à l’Est – ont été séparés par un fossé politique tout en partageant une même vision de l’industrialisation conçue comme la clé du développement économique. L’Allemagne de l’Ouest comme l’Allemagne de l’Est communiste émettaient des timbres à l’effigie de Friedrich List, l’économiste qui était devenu le principal apologiste de l’industrialisation de l’Europe continentale.
À mesure que les expériences s’accumulaient dans les pays en développement, des idées nouvelles se sont mises à affluer de différentes régions du monde, et particulièrement des antennes régionales des Nations Unies.
La pensée du développement en Amérique latine
L’Amérique latine a produit plusieurs idées innovantes en matière de développement au cours des années tumultueuses qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale. La commission régionale de l’ONU, soit la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), a joué un rôle majeur dans l’expérimentation de stratégies alternatives de développement. C’est ainsi que sont nés l’école de pensée structuraliste latino-américaine et ce qui est resté connu sous le nom « d’années de haute théorie » d’économie du développement à la fin des années 1940 et dans les années 1950. Le « manifeste » fondateur de ce mouvement, écrit pour la CEPALC par Raúl Prebisch en 1949, a jeté les fondations de la théorie du centre et de la périphérie. Cette véritable colonne vertébrale de la pensée structuraliste a influencé la plupart des stratégies de développement qui ont suivi dans la région (Rodríguez, 2007[112]).
L’influence gagnée par l’école de la dépendance a été mise à mal par les problèmes croissants d’endettement de la région à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Les ajustements structurels, la stabilité macroéconomique et le Consensus de Washington ont fini par dominer la pensée du développement. Un courant de pensée alternatif a toutefois pris racine dans la région, s’opposant au programme économique néolibéral et remettant en cause le parti pris des pays riches en matière de théorie du développement (Kay, 1991[113]). Le basculement dans cette direction a été encore plus net depuis les années 2000 dans cette région, où les trajectoires empruntées par chaque pays sont réévaluées et où les thèses de la dépendance sont à nouveau au centre du débat (Munck et Delgado Wise, 2018[114]).
Le fossé technologique condamne la région à des activités peu qualifiées à faible intensité technologique
L’opposition centre-périphérie développée par Prebisch décrivait la diffusion lente et irrégulière des technologies à l’échelle internationale. Le fossé technologique entre les économies centrales (avancées) et périphériques (en développement) a conduit à l’essor de différentes structures de production. La structure de production du centre était perçue comme généralement diversifiée. À l’inverse, la « périphérie » se spécialisait uniquement dans quelques activités faiblement technologiques, nécessitant généralement un recours intensif à une main-d’œuvre non qualifiée et/ou aux ressources naturelles. Comme l’innovation et les rendements croissants étaient fortement associés au secteur manufacturier (Kaldor, 1967[115]), les priorités de l’Amérique latine se sont tournées vers l’industrialisation.
Les asymétries technologiques étaient également associées à la distribution de la croissance et des revenus.
Concernant la croissance économique, les secteurs peu technologiques très répandus à la « périphérie » présentaient une faible élasticité-revenus des exportations, tandis que le mix de production faiblement intégré entraînait une forte élasticité-revenus des importations, ce qui réduisait le taux de croissance économique à long terme de la périphérie, compte tenu de la contrainte exercée par la balance des paiements (Thirlwall, 2000[116])6.
Sur le plan de la distribution des revenus, seule une faible part de la population active de la périphérie prenait part à des activités dans lesquelles les qualifications et une hausse de la productivité mettaient les salariés dans une position de force pour négocier des hausses de salaires. Dans la structure de production de la périphérie, la technologie restait confinée dans des secteurs très localisés. Cela cantonnait une proportion élevée de la main-d’œuvre dans des secteurs à faible productivité, souvent dans des emplois de subsistance ou dans une forme de sous-emploi.
La nature « double » du marché du travail était définie comme une « hétérogénéité structurelle ». Cela avait des conséquences importantes en matière de distribution des revenus, à la fois en termes de distribution fonctionnelle et personnelle. En outre, l’armée de réserve de travailleurs occupant des emplois de subsistance rendait difficile le développement de syndicats, ce qui affaiblissait encore davantage le pouvoir de négociation des salariés. La relation de pouvoir asymétrique entre le travail et le capital aggravait les inégalités, comme le montrait la part des faibles salaires dans le revenu national. La division entre travailleurs qualifiés et non qualifiés accentuait encore le phénomène.
Les salaires ne profitent pas des gains de productivité
La position de faiblesse des travailleurs de la périphérie les empêchait de bénéficier de l’évolution technologique et de la hausse de la productivité à travers une augmentation des salaires réels. Ce constat valait aussi dans les économies plus riches du centre, du moins jusqu’au milieu des années 1970. Les syndicats ont alors été en mesure de capter au moins en partie les gains de productivité réalisés. D’autres facteurs contribuaient à instaurer une relation inégale entre le centre et la périphérie, notamment l’exportation de produits de base dans des marchés concurrentiels qui ne disposaient pas de barrières à l’entrée.
Dans ce cas de figure, la croissance de la productivité tend à se traduire par une baisse des prix plutôt que par une augmentation des taux de profit. L’élasticité-revenus de la demande n’était pas la même pour les biens produits au centre et à la périphérie. Les caractéristiques du marché du travail de la périphérie et la structure du marché des biens étaient également différentes (concurrentielle contre oligopolistique). Ces facteurs ont joué un rôle dans la dégradation à long terme des termes de l’échange pour la périphérie (Ocampo et Parra-Lancourt, 2010[117]).
L’Amérique latine cherche à échapper au blocage
La stratégie de développement de l’Amérique latine a par conséquent visé à sortir de l’opposition centre-périphérie. Elle a cherché à augmenter ses capacités technologiques et à diversifier sa structure productive. De cette manière, l’emploi faiblement productif pourrait être redirigé vers de nouvelles industries au contenu technologique croissant.
La manière de procéder à ce basculement a changé au fil du temps. Dans les années 1950, la priorité était l’industrialisation. Plus récemment, l’accent a été mis sur la capacité d’intégrer les nouvelles technologies de l’information. Plus généralement, l’école structuraliste a souligné l’importance des politiques industrielles et technologiques pour rattraper le retard technologique et développer des capacités permettant de faire évoluer les secteurs d’activité en même temps que les technologies employées (Katz (1987[118]) ; Cimoli et Katz (2003[119])).
Au début des années 1960, le structuralisme latino-américain a commencé à considérer que les facteurs institutionnels et politiques constituaient des obstacles à la transformation structurelle et au développement. Entre autres choses, cette nouvelle phase de la pensée du développement prenait en compte la question de la réforme agraire, celle d’une distribution plus juste des revenus et le besoin de limiter le protectionnisme en favorisant les exportations manufacturières et en accélérant le processus d’intégration économique régionale.
Parallèlement, les forces politiques et sociales étaient décrites comme des obstacles au développement. Les travaux de Medina Echavarría, Celso Furtado et Osvaldo Sunkel (Sunkel et Paz, 1970[120]) ; (Cardoso et Faletto, 1977[121]), parmi d’autres, ont introduit plus systématiquement les variables politiques, sociologiques et historiques dans leurs analyses.
Cette approche « historico-structurelle » du développement a eu peu d’effets sur les politiques effectivement mises en œuvre. Une série de changements de régimes dans les années 1960 et 1970 a conduit à une perte d’influence de l’école structuraliste en Amérique latine. Toutefois, l’effort d’industrialisation des années 1950 s’est poursuivi, du moins dans les grandes économies de la région (Argentine, Brésil et Mexique), et ce jusqu’au milieu ou à la fin des années 19707.
Deux nouveaux courants de pensée prolongent la tradition structuraliste
Parallèlement à l’approche historico-structurelle, deux courants de pensée complémentaires sont apparus au sein de la tradition structuraliste. Le premier s’est penché sur les effets financièrement déstabilisants de l’ouverture des balances de capitaux, de l’appréciation du taux de change, et de la nécessité de préserver sa compétitivité internationale et son équilibre extérieur (Ocampo, 2016[122]). Le second courant, illustré par Fernando Fajnzyler (1983[123]), s’attache à mieux comprendre les micro-dynamiques des évolutions techniques.
Dans la seconde moitié des années 1980, certains économistes structuralistes ont commencé à recourir de plus en plus à la théorie évolutionniste du changement technique. De cette manière, ils cherchaient à appréhender les causes microéconomiques des divergences de productivité et de PIB avec les pays plus riches (Nelson et Winter, 1982[124]). Les rendements croissants, la dépendance de trajectoire, le retard pris dans le changement structurel et l’apprentissage technologique ont été identifiés comme des causes de la stagnation technologique et de la difficulté à changer de spécialisation.
L’école « néostructuraliste » de la fin des années 1980 en Amérique latine est issue de la combinaison des récentes préoccupations macroéconomiques pour les flux de capitaux internationaux et le taux de change réel avec une attitude plus ouverte au changement technologique. Ces éléments ont été complétés par des vues nouvelles sur l’interaction des institutions et de la structure de production dans le cadre de la politique de soutien aux technologies.
Ces évolutions ont conduit au concept de « systèmes nationaux d’innovation », qui met en lumière la manière dont les institutions favorisent la coordination entre les acteurs privés et publics. L’idée était que les entreprises devaient être en mesure d’apprendre et de s’approcher des meilleures pratiques suffisamment vite pour pouvoir s’adapter aux changements technologiques internationaux. Il s’agissait d’une course entre les entreprises capables de se positionner à la frontière du changement et celles qui tentaient de les rattraper. Le graphique 4.5 illustre l’interaction entre l’apprentissage, les capacités, le fossé technologique et la spécialisation internationale.
Le Consensus de Washington l’emporte sur le néostructuralisme
L’influence exercée par le néostructuralisme en Amérique latine est restée limitée dans un contexte de pessimisme croissant quant à la capacité des gouvernements de formuler le programme de développement. Son rôle en tant que paradigme intellectuel s’estompe dans les années 1990. Les réformes néolibérales et le Consensus de Washington s’imposent comme le nouveau paradigme triomphant.
Les répercussions idéologiques de la chute de l’Union soviétique ont bien joué un rôle dans l’affaiblissement de la légitimité de l’interventionnisme étatique dans l’économie. Toutefois, d’autres facteurs ont également contribué à éroder la confiance dans la possibilité d’initier une nouvelle phase des politiques de développement et d’industrialisation. De nombreux pays d’Amérique latine avaient accumulé une dette extérieure élevée dans les années 1970 et n’ont plus été en mesure d’assurer le service de cette dette après l’envolée des taux d’intérêt américains à partir de 19798. Dans plusieurs pays d’Amérique latine, le problème de la dette a conduit la politique économique à se désintéresser des questions de développement pour se concentrer sur les problèmes de stabilité financière, de lutte contre l’inflation et de gestion budgétaire.
Le coût économique de la « décennie perdue » des années 1980 a été particulièrement élevé, principalement du fait de l’effondrement des investissements et de ses répercussions négatives sur l’évolution technologique et la croissance de la productivité. Le coût social s’est également révélé particulièrement lourd. Il a fallu deux fois plus de temps pour faire retomber les taux de pauvreté à leur niveau d’avant la crise de la dette que pour retrouver un PIB par habitant équivalent à celui des années 1970 (graphique 4.6).
Le débat sur la croissance et la distribution des revenus en Amérique latine est devenu quasiment inexistant dans les années 1980. Il a été supplanté par le défi de la stabilité macroéconomique à court terme, qui mobilisait toutes les énergies. Quand la région a finalement surmonté ses problèmes d’endettement dans les années 1990, il ne restait pas plus d’espace politique que de marge de manœuvre budgétaire pour porter une véritable ambition en matière de développement.
La pensée du développement en Afrique
Les stratégies de développement africaines après les indépendances se décomposent généralement en trois phases distinctes : le recours aux substitutions aux importations et au protectionnisme (années 1960‑80) ; les politiques d’ajustement structurel et l’influence du Consensus de Washington (années 1980‑2000) ; et une libéralisation accompagnée d’un retour de la planification (2000-présent).
La première pensée postcoloniale du développement en Afrique s’est fortement appuyée sur la relation entre la croissance économique et la richesse matérielle en tant que moyens du développement. Mais pour de nombreux penseurs africains, l’expérience du développement d’après-guerre restait très éloignée de cet idéal de prospérité matérielle. Malgré les tentatives de réformes socio-économiques, le développement tardait à faire sentir ses bienfaits concrets à la plupart des Africains. À travers le continent, des penseurs du développement comme Adebayo Adedeji, Julius Nyerere, Kwame Francis Nkrumah et Samir Amin ont embrassé une vision du développement de plus en plus nationaliste, tentant généralement de concilier l’approche africaine du développement et la pensée politique moderne, avant de se diriger vers la thèse d’une trajectoire de développement panafricaine.
Renforcement du rôle de l’État après l’indépendance
L’indépendance de l’Afrique s’est opérée dans les années 1950 et 1960, dans le sillage de la création de l’Organisation de l’unité africaine (OUA, devenue ensuite l’Union africaine, UA). L’OUA se concentrait à l’origine sur la décolonisation, la lutte contre l’apartheid et la réalisation de l’indépendance politique (CUA, 2015[127]). À cette époque, la stratégie de développement dominante en Afrique accordait à l’État un rôle moteur dans le démarrage de la croissance économique.
La période qui a suivi les indépendances a donc été marquée par un renforcement du rôle de l’État dans les efforts de développement, essentiellement à travers la planification économique. Cette approche faisait écho aux théories dominantes en matière de développement économique, qui mettaient à l’honneur les tentatives d’industrialisation. Cela impliquait pour l’État d’assumer un rôle plus important qu’à l’époque coloniale. Dans l’agriculture, par exemple, les gouvernements ont mis en place des centrales d’achat publiques chargées de distribuer les matières premières aux industries sous forme de subventions (Bates, 1981[78]).
De nombreux pays avaient hérité d’infrastructures administratives et fiscales rudimentaires, de finances publiques extrêmement fragiles et de bases fiscales étroites. La plupart des pays dépendaient fortement des revenus issus des droits de douane. Dans une moindre mesure, ils dépendaient également des taxes à l’exportation et d’autres impôts indirects comme les taxes sur la consommation (Siebrits et Calitz, 2007[128]). Les gouvernements ont d’abord donné la priorité à la construction d’une infrastructure économique. Finalement, un consensus alternatif a émergé quant à la nécessité de réaliser des progrès sur le plan de l’éducation et des services de santé pour accompagner la croissance économique.
Des mesures protectionnistes et de substitution pour tenter d’accélérer le développement
Durant cette période, plusieurs pays africains ont opté pour les substitutions aux importations et pour des mesures protectionnistes afin d’accélérer le développement. Ils ont atteint des taux de croissance relativement plus élevés. Malgré une forte volatilité, le continent a enregistré une croissance annuelle moyenne de 4.2 % sur la période (Banque mondiale, 2018[129]).
La valeur ajoutée de la production manufacturière de l’Afrique subsaharienne a connu une croissance moyenne d’environ 7 % entre 1960 et 1980 (Mendes, Bertella et Teixeira, 2014[130]). Cependant, la productivité est restée nettement à la traîne. La croissance de la production par salarié ne s’établissait qu’à 0.02 % par an, en moyenne, entre 1960 et 1980 sur le continent et a même été négative durant les périodes qui ont suivi (CENUA, 2014[131]).
De plus, le revenu par habitant a connu un taux moyen de croissance de seulement 2 % par an. Dans de nombreux pays, les fortes taxes à l’exportation et des taux de change surévalués ont freiné la croissance des exportations ainsi que les efforts de diversification dans de nouveaux secteurs d’activité. Ces facteurs ont également affaibli l’incitation à investir dans les nouvelles technologies (Romer, 1986[132]).
La plupart des gouvernements, préoccupés par la capacité des travailleurs urbains à se mobiliser dans le cadre de mouvements de protestation, se sont attachés à maintenir des salaires minimums élevés dans le secteur formel, tout en exerçant un contrôle des prix sur les produits alimentaires de première nécessité. Ils se sont également employés à contrôler les taux d’intérêt pour réduire le coût des investissements. Au final, ils ont conservé des taux de change surévalués, qui limitaient les revenus à l’export en devise locale en comparaison de ce que les exportateurs auraient pu gagner dans un marché libre.
L’effet combiné des salaires élevés, de la faiblesse des taux d’intérêt et d’un taux de change surévalué a encouragé les investissements en capital plutôt que dans le travail. Cela a réduit les opportunités d’emploi, restreignant les bénéfices de l’industrialisation à un groupe étroit de travailleurs urbains, de commerçants de la classe moyenne et de capitalistes.
En outre, la priorité donnée aux villes et aux secteurs industrialisés de l’économie a eu pour effet de délaisser les secteurs ruraux et agricoles. Les faibles prix imposés aux produits alimentaires ont réduit à la fois la production agricole et les revenus des agriculteurs. Dans le même temps, le taux de change élevé, combiné aux fortes taxes à l’exportation, a découragé les exportations. La faiblesse des taux d’intérêt a également découragé l’épargne et favorisé des investissements improductifs. La croissance s’est trouvée doublement freinée, ce qui a pesé encore davantage sur les efforts d’industrialisation de l’Afrique.
Sur le plan social, le système éducatif et le système de santé de la plupart des pays africains étaient nettement sous-développés. Une partie de la population a tout de même pu bénéficier des progrès réalisés dans les domaines de l’éducation et de la santé. L’espérance de vie a augmenté pour passer d’environ 39 à 47 ans, et le taux net de scolarisation primaire a progressé de 75 % entre 1960 et 1980. Enfin, tout en restant relativement faible, la proportion de médecins dans la population a progressé au cours de la période (Ferguson, 1999[133]).
La pensée africaine du développement s’est de plus en plus attachée à créer une identité économique africaine. Adededji (Adedeji, 1977[134]) a perdu confiance dans le progrès économique et a commencé à faire la promotion d’une décolonisation économique axée sur une « indigénisation » de l’Afrique, en vue de rendre le continent plus auto-suffisant. Pour Nkrumah (1963[135]), secouer le joug colonial nécessitait en premier lieu la restauration de ce qu’il croyait être la personnalité africaine, les principes humanistes inscrits au cœur des sociétés africaines traditionnelles. Une fois l’indépendance politique obtenue, l’Afrique et ses dirigeants pourraient s’attaquer à la tâche de forger l’unité du continent. Nyerere (1966[136]) a centré sa stratégie sur la famille traditionnelle africaine. Mais tout en se voulant traditionnaliste, il a vite compris les limites de ce concept et identifié l’inégalité entre les sexes et la prévalence de la pauvreté comme des facteurs limitatifs – le dernier d’entre eux s’expliquant par la taille réduite des opérations des unités familiales. Contrairement à ses vues traditionnelles, la connaissance moderne et la technologie favoriseraient le développement économique.
Parce que l’essence et le but du capitalisme étaient considérés étrangers aux sociétés africaines, les théories des visions du monde ancrées dans le socialisme sont apparues comme des réponses permettant de confier la reconstruction sociale et industrielle à l’État national. Au Ghana, avec Nkrumah, et en Tanzanie, avec Nyerere, qui avait été fortement impressionné par la Chine lors de ses rencontres avec Deng Xiaoping, l’État a joué un rôle actif dans le développement en investissant massivement dans le capital physique et humain, en construisant des écoles et des universités, des autoroutes et des ports. Pour conserver le contrôle, le monopole politique du parti au pouvoir était l’une des clés de la stratégie. En se basant sur l’hypothèse d’une structure centre-périphérie, Amin (1974[137]), entendait s’attaquer au sous-développement des économies africaines et à la dépendance envers le système capitaliste mondial en se déconnectant du centre capitaliste dominant sur les plans économique, social et culturel. Contrairement à Nyerere et à Nkrumah, qui soutenaient une forme de retrait économique, Amin voulait soumettre les relations mutuelles sur la scène mondiale aux contraintes variables du développement interne.
Les pays africains butent sur l’urbanisation et la hausse de l’endettement dans les années 1970
Le rôle prépondérant de l’État était toutefois en perte de vitesse au début des années 1970. Le développement de l’Afrique a été pénalisé par la hausse des prix du pétrole et le ralentissement de la croissance de ses principaux partenaires commerciaux. Des facteurs internes ont également exacerbé la baisse de la croissance en Afrique, notamment des taux de croissance démographique élevés et en progression – 2.7 % par an, contre 2.2 % dans l’ensemble des pays à faible revenu.
L’urbanisation constituait un autre facteur de limitation de la croissance, alors que la population urbaine de l’Afrique subsaharienne passait de 11 % à 21 % entre 1960 et 1980 (Romer, 1986[132]). Les mesures protectionnistes ne produisaient pas non plus les résultats escomptés. Comme l’avait souligné l’ancien secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique des Nations Unies, Adebayo Adedeji, l’industrialisation africaine consistait à importer des biens d’équipements et de la main-d’œuvre qualifiée. Les sites de production se limitaient dès lors à des lieux d’assemblage, ce qui les rendait hautement vulnérables vis-à-vis des facteurs extérieurs (Mutume, 2002[138]).
Compte tenu des défis monétaires et financiers rencontrés dans les années 1970, les gouvernements ont eu recours au déficit pour se financer. Ceci a conduit à une expansion monétaire, à des pressions inflationnistes et à une époque de contrôle des prix, à des distorsions croissantes, particulièrement sur le marché des changes. La surévaluation des devises réduisait les incitations à exporter.
Dans le même temps, la dette nouvellement contractée augmentait le poids du service de la dette en raison d’une hausse soudaine des taux d’intérêt mondiaux, ce qui avait pour conséquence de siphonner les réserves de change. En conséquence, les pays africains ont dû renforcer le contrôle de leurs importations. Cela a conduit à des distorsions supplémentaires, principalement sur les matières premières importées et les capitaux indispensables à la poursuite du processus d’industrialisation (Wolgin, 1997[139]). Le secteur manufacturier, qui dépendait largement des importations pour ses intrants et pour certains savoir-faire, s’est trouvé pénalisé lorsque le rationnement des devises est devenu particulièrement sévère (Addison et Baliamoune-Lutz, 2017[140]).
L’ajustement structurel fait basculer les économies vers une croissance basée sur le marché dans les années 1980
Au début des années 1980, le changement de paradigme imposé par le Consensus de Washington a atteint la politique africaine de développement. Alors que les performances en termes de croissance étaient en chute libre, les pays ont jugé qu’ils n’avaient pas d’autre choix que de se tourner vers les institutions basées à Washington pour obtenir une aide sous forme de politiques d’ajustement structurel (PAS) (graphique 4.7).
Ces politiques se sont concentrées sur la réduction des dépenses publiques et le renforcement de la discipline budgétaire pour maîtriser l’inflation et favoriser l’investissement privé. Elles ont aussi ciblé : le retrait des barrières à l’importation et des restrictions aux investissements étrangers ; la privatisation des entreprises d’État ; la dévaluation de la monnaie et la fin du contrôle des changes, ainsi que la fin de la fixation des taux d’intérêt et du prix des matières premières ; et enfin, la flexibilisation de la main-d’œuvre à travers l’allègement du droit du travail, et la réduction des subventions alimentaires et du salaire minimum. Ce retour au marché visait à repositionner les économies africaines pour qu’elles puissent bénéficier d’une croissance tirée par les exportations et le secteur privé.
Le recours au marché ne parvient pas à relancer la croissance
Contrairement aux objectifs fixés par les PAS, la croissance économique a diminué dans les années 1980, atteignant un rythme annuel moyen de 2.7 %, contre 4.7 % entre 1961 et 1979. La croissance du revenu par habitant a également marqué le pas, s’établissant à 0.6 % par an, en moyenne, entre 1981 et 1990, contre 2 % par an entre 1961 et 1979. Ces difficultés ont été exacerbées par une fuite des capitaux.
La dérégulation et l’ouverture au marché mondial n’ont pas produit l’épanouissement attendu du secteur manufacturier. Au Zimbabwe, par exemple, la libéralisation prématurée du système financier a fait monter les taux d’intérêt, ce qui a fait exploser le coût de la dette. Cela a aggravé la situation budgétaire et réduit les ressources disponibles pour financer le développement. La hausse des taux d’intérêt, combinée à une libéralisation accélérée des importations, a fait péricliter les industries textiles et d’habillement du pays (Addison et Baliamoune-Lutz, 2017[140]).
Les économies africaines ont bénéficié d’une reprise partielle à partir du milieu des années 1990. Elles ont connu un taux de croissance moyen de 3.7 % entre 1995 et 1999, principalement sous l’effet d’une amélioration des termes de l’échange.
Les États affaiblis ne parviennent pas à protéger leurs populations de l’avancée de la pauvreté
Le retournement économique des années 1980 a eu des répercussions humaines, faisant s’envoler la pauvreté au moment où les effets dévastateurs de l’épidémie du Sida exacerbait la situation. Les salaires moyens comme les revenus des ménages ont baissé, pendant que la production alimentaire diminuait par rapport à la population. Dans le même temps, la qualité et la quantité des services de santé et d’éducation se détérioraient (Olamosu et Wynne, 2015[141]).
L’affaiblissement de la capacité d’intervention des États était désigné comme le principal coupable, compte tenu des coupes budgétaires pratiquées dans le secteur public et l’administration. L’État était censé mener le processus de réformes économiques, de stabilisation et de transformation préconisé par les PAS et le Consensus de Washington. Sa capacité à la faire de manière efficace était toutefois entamée. La croissance économique comme le progrès social s’en sont trouvés étouffés, et la construction d’États développementistes en Afrique compromise (Mkandawire and Olukoshi (1995[142]) ; Mkandawire (2001[143])).
Entre 1980 et 2000, les taux de scolarisation primaire (net), secondaire (brut) et supérieure (brut) ont augmenté à des rythmes de 6 %, 7.3 % et 2.4 %, respectivement (graphique 4.8). Cette progression était inférieure à celle observée dans d’autres régions, car l’application des stratégies de PAS limitait les ressources budgétaires disponibles, notamment pour l’éducation. Les dépenses par habitant au titre de l’éducation ont bien augmenté entre 1980 et 1992, mais dans une moindre mesure que dans l’ensemble des pays en développement dans le monde (UNESCO, 1995[144]). Dans les années 1990, l’espérance de vie des femmes a diminué de 0.1 an, tandis que celle des hommes augmentait de 0.8 an.
La pensée du développement en Asie
Les économies d’Asie-Pacifique ont placé le commerce et la croissance orientée vers l’exportation au cœur de leur stratégie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. La région est parvenue à s’appuyer sur l’engouement pour la mondialisation qui a suivi la guerre pour se développer économiquement. Soutenus par une croissance rapide après la guerre, les pays asiatiques ont concentré leurs stratégies économiques sur les exportations.
L’Asie bâtit sa croissance sur les exportations et sur son intégration dans les chaînes de valeur mondiales
Les pays asiatiques ont bénéficié de deux manières de l’ouverture progressive des économies avancées de l’Ouest au « Tiers monde ». Tout d’abord, influencée et animée par le paradigme initial axé sur l’industrialisation, la région a rapidement étendu et diversifié ses exportations dans des activités manufacturières à forte intensité de main-d’œuvre. Ensuite, des multinationales japonaises, américaines et européennes ont fragmenté leurs processus de production, délocalisant certaines étapes de la production dans des pays à bas coûts. Certains pays de la région ont été en mesure de s’intégrer très tôt dans les chaînes de valeur mondiales (CVM) et de tisser des réseaux de production régionaux dans les industries de biens de consommation.
Le développement du commerce et des investissements dans la région Asie-Pacifique a directement contribué aux progrès importants accomplis dans le rattrapage des pays riches. Des années 1960 aux années 1980, il existait une division claire entre les pays riches d’Europe et d’Amérique du Nord, et les régions plus pauvres s’étendant sur la majeure partie de la région Asie-Pacifique et de l’Afrique. La hausse des revenus des populations en développement d’Asie-Pacifique au cours des trois décennies qui ont suivi s’est traduite par une convergence dans la distribution des revenus à travers le monde.
Malgré les changements de paradigmes, la région s’est rarement écartée de son modèle de croissance basée sur l’export. À mesure que la région s’intégrait davantage au marché mondial grâce à son implication dans les chaînes de valeur mondiales, le commerce s’est imposé comme un important moteur de croissance. À travers la région, la proportion du commerce dans le PIB a connu une progression régulière jusqu’à la crise financière mondiale de 2008‑09. La contribution du commerce au PIB de la région est passée de 33 % en 1990 à plus de 50 % en 2016 (graphique 4.9)9.
Les économies de la région Asie-Pacifique, qui représentaient seulement 7-8 % du commerce mondial dans les années 1970, ont fini par constituer la principale région commerciale du monde. En 2016, elles représentaient 38 % des exportations et 34 % des importations à l’échelle mondiale. Le développement du commerce a soutenu la croissance de la région, notamment dans ses parties les plus pauvres, pendant près de trois décennies. En moyenne, le PIB et les exportations ont connu une croissance annuelle de près de 6 % et 13 % respectivement entre 1990 et 200810.
La région domine les exportations de technologies de l’information
Une fois que le commerce a permis le démarrage de la croissance, les stratégies ont cherché à étendre et à diversifier les échanges commerciaux pour permettre une meilleure intégration dans des CVM plus complexes. La libéralisation du commerce et l’intégration de produits à plus forte intensité technologique dans les CVM ont de fait accéléré la transformation structurelle de la région.
La production manufacturière, qui représente 60 % des marchandises exportées par les économies de la région Asie-Pacifique, a vu son degré de sophistication technologique augmenter avec le temps. La part de la haute technologie dans les exportations est passée de 6 % en 1988 à 32 % en 2000 (graphique 4.10). Le commerce a commencé à s’ouvrir à la faveur de l’Accord sur les technologies de l’information (ATI) de l’OMC, signé en 1996. La région Asie-Pacifique est ainsi devenue l’un des principaux exportateurs de matériel informatique, faisant passer sa part des exportations mondiales de 10 % en 1996 à 61 % en 2015.
L’accent mis sur le commerce fait prospérer la région dans les années 1990
Le succès de cette stratégie orientée vers le commerce et ses effets sur le plan de la réduction de la pauvreté ont encouragé la région à persévérer dans cette voie dans les années 1990. Forte de sa participation croissante au commerce et à la production mondiale, la région a vu son revenu national progresser et son niveau de pauvreté absolue reculer, tandis que l’innovation et le bien-être se développaient. Des avancées s’observaient également sur le plan de l’espérance de vie et de l’éduction. Le recul des barrières au commerce, au transport et à la communication à travers les frontières a contribué à l’intégration et au développement de la région, particulièrement en Asie de l’Est et du Sud-Est.
La part de la population vivant en situation d’extrême pauvreté a radicalement baissé. En 1990, près de la moitié de la population vivait dans l’extrême pauvreté (avec moins de 1.90 USD par jour). En 2015, cette proportion était passée sous la barre des 12 % (graphique 4.11).
Le niveau de vie moyen s’est en outre amélioré. L’espérance de vie est passée de 69 à 75 ans au cours de la même période, et le taux de mortalité a reculé de 15 %. Plus de 70 % des pays d’Asie-Pacifique ont des taux d’alphabétisation plus élevés que la moyenne mondiale. Ces éléments ont permis une hausse régulière de l’indice de développement humain de la région ces dernières décennies. En Asie de l’Est et dans le Pacifique, il a dépassé la moyenne mondiale en 2014.
La rapide croissance économique de huit économies d’Asie de l’Est en particulier11 a été qualifiée de « miracle est-asiatique ». Leur succès a fortement contribué à positionner le développement basé sur l’export en tant que stratégie viable. Les gouvernements ont promu la croissance sans se plier aux différentes tendances de désengagement de l’État ou au contraire d’interventionnisme accru (Stiglitz, 1996[145]).
La forte croissance, dépendante des capitaux étrangers, prend fin en 1997
La question de savoir si l’État joue un rôle dans la croissance économique et le développement ne s’est jamais réellement posée – la question était plutôt de savoir quel rôle il devait assumer. Les gouvernements ne se demandaient pas nécessairement s’ils devaient procéder à une planification économique détaillée. Toutefois, en pratique, ils assuraient la stabilité macroéconomique, régulaient les marchés financiers, créaient des marchés, orientaient les investissements et instauraient un climat favorable aux affaires.
Comme l’a souligné Stiglitz (1996[145]), plutôt que de se substituer aux marchés, les gouvernements en ont fait la promotion et ont su les utiliser. À cette fin, ils ont développé des capacités technologiques, favorisé les exportations, et mis en place un appareil productif national capable de fabriquer de nombreux biens intermédiaires. Ils ont encouragé la croissance des industries les plus susceptibles d’être compétitives sur les marchés mondiaux (Glick et Moreno, 1997[146]). Mais la croissance soutenue a pris fin en 1997, laissant derrière elle cette leçon importante : une telle stratégie de croissance élevée dépendait fortement des capitaux étrangers, ce qui accentuait la vulnérabilité envers l’extérieur.
La stratégie commerciale, axée sur les produits manufacturés plutôt que sur les services, manque de diversité
Malgré une intégration réussie dans les CVM, la plupart des pays en développement d’Asie-Pacifique doivent relever le défi de la diversification pour ne pas rester enfermés dans des segments à faible valeur des CVM. L’intégration à la mondialisation s’effectuait principalement dans le secteur manufacturier, qui restait dominé par des multinationales basées dans les économies avancées. En dehors des exceptions de Singapour et Hong‑Kong (Chine), les secteurs de services affichaient généralement une productivité plus faible que les activités manufacturières (OCDE, 2016[147]).
Même les réussites observées dans le développement des secteurs de services en Inde et aux Philippines, particulièrement dans le secteur de la sous-traitance, comportaient des zones d’ombre. Leur activité concerne principalement des tâches à faible valeur ajoutée, comme les centres d’appel. Les exportations réalisées dans le secteur des services par les économies d’Asie-Pacifique se maintiennent généralement dans les domaines traditionnels, comme le tourisme et le transport.
Dans la plus grande partie de la région, la transformation structurelle visant à passer du secteur secondaire à des activités tertiaires à forte valeur ajoutée reste lente. Cela a confronté la plupart des économies en développement d’Asie-Pacifique qui avaient auparavant connu une croissance élevée à des défis en matière de convergence et d’inégalités. Ces difficultés ont été réunies sous l’appellation de « défi du revenu intermédiaire ».
L’inégalité s’accroît au sein des pays et entre eux
La forte croissance s’est également accompagnée d’une augmentation des inégalités – au sein de chaque pays et entre eux. L’ouverture au commerce et les investissements directs étrangers ont fortement contribué au développement économique rapide de la région. Tous les pays et tous les groupes économiques n’ont toutefois pas bénéficié dans les mêmes proportions de la mondialisation.
En réalité, les pays de la région n’ont pas tous eu accès aux mêmes opportunités d’intégration dans les CVM. Les pays qui jouent un rôle dans les CVM de haute technologie sont par exemple principalement des pays à revenu élevé ou intermédiaire. Les économies à faible revenu ont généralement été laissées de côté.
Par conséquent, les pays les moins avancés (PMA), les petits États insulaires en développement (PEID)12 et les pays des sous-régions du sud, du sud-ouest et du centre de l’Asie, ont réduit leur extrême pauvreté moins rapidement que les autres pays de la région. En pourcentage de la population totale, la pauvreté a stagné au même niveau dans ces pays depuis 2010.
En outre, dans les économies les plus peuplées et en forte croissance de la région, comme le Bangladesh, la Chine, l’Inde et l’Indonésie, les inégalités ont significativement augmenté au sein de la population depuis 1990 (graphique 4.12). Cela est en partie dû aux opportunités inégales dont disposaient les producteurs pour s’intégrer aux marchés mondiaux.
En général, la prolifération des CVM a eu tendance à favoriser les grandes entreprises davantage que les petites. Par exemple, les petites et moyennes entreprises (PME) participent davantage aux CVM à travers une contribution indirecte aux exportations qu’à travers des exportations directes (OCDE/Banque mondiale, 2017[149]). Dans les pays en développement, la participation des PME aux CVM est fortement concentrée dans les secteurs à faible valeur ajoutée. Dans les économies en développement à faible revenu, les PME participent à peine aux CVM, car elles opèrent principalement dans l’économie informelle (OCDE/Banque mondiale, 2017[149]). La prolifération des CVM dans des industries à forte intensité technologique a eu tendance à favoriser la main-d’œuvre qualifiée sur la main-d’œuvre non qualifiée, contribuant ainsi à creuser les inégalités au sein des pays.
La pensée du développement au tournant des années 2020
Après 70 ans de théories du développement, de pratiques et de discours sur la réduction de la pauvreté et la réalisation d’un développement sociétal plus large permettant d’améliorer le bien-être, la communauté internationale du développement semble avoir atteint un consensus plus large. Tout d’abord, les 17 ODD ont été largement acceptés comme des objectifs cadres à l’échelle mondiale et nationale, qui doivent être atteints par l’ensemble des pays, quel que soit leur niveau de revenu. Les ODD seront régulièrement évalués dans le but de placer les gouvernements face à leurs responsabilités. Ensuite, les responsables politiques ont besoin de flexibilité pour concevoir leurs stratégies et ajuster les rôles respectifs de l’État et du marché, ainsi que de ceux du commerce et de la coopération internationale. Enfin, ces choix politiques – et leur acceptation – peuvent être confortés par des processus de participation et de consultation à l’échelle locale. Ils gagnent aussi à faire appel à l’expérience internationale afin d’adapter et d’ajuster cette dernière aux contextes locaux. En d’autres termes, il n’y a pas une seule trajectoire idéale de développement. Mais les pays peuvent profiter des leçons tirées par d’autres responsables politiques dans le monde, en s’appuyant sur les organisations multilatérales pour faciliter ce type d’échanges.
La transformation de la géographie économique, la montée du populisme et le changement climatique font évoluer la pensée du développement
Outre la crise, trois facteurs supplémentaires ont progressivement poussé la pensée du développement dans de nouvelles directions :
la croissance économique et le développement durables de la Chine et d’autres pays en développement, ainsi que leurs implications pour le reste du monde, notamment les pays en développement
la prise de conscience des questions liées au changement climatique et à la préservation de l’environnement
la montée de tendances hostiles à la mondialisation et du populisme dans les pays de l’OCDE.
Rétrospectivement, peu d’experts du développement avaient anticipé la forte réduction de la pauvreté de masse. Ils n’avaient pas non plus prévu que la convergence des revenus (et de la productivité) entre les pays de l’OCDE et les autres pourraient intervenir si rapidement. Les deux se sont toutefois produits dans un nombre surprenant de pays en développement, particulièrement en Asie et en Amérique latine, et de manière plus prononcée en Chine et en Inde (voir Rodrik (2011[150]) ; Spence (2011[151])).
De nombreux experts s’accordent à penser que ce rattrapage réussi n’est pas dû à une recette unique de développement, mais à une combinaison de plusieurs approches. Ces dernières ont conduit à des réformes économiques hétérodoxes, orientées vers le marché, mais adaptées aux spécificités locales. Après plusieurs tentatives, quelques erreurs et avec un peu chance, elles ont permis une meilleure intégration dans l’économie mondiale, une mise en valeur du capital humain et une amélioration des services publics et du fonctionnement des administrations (Rodrik (2007[152]) ; Fosu (2013[153])).
Le modèle dirigiste chinois et ses succès économiques restent un défi posé à la pensée occidentale traditionnelle au sujet des marchés libres, de la participation à la vie politique, des droits de l’homme et de la liberté de la presse (Kurlantzick, 2016[154]).
La transformation de la géographie économique et l’augmentation des émissions polluantes conduisent à la naissance de l’économie verte
L’augmentation de la richesse des pays non membres de l’OCDE a aussi eu un coût. Une croissance gourmande en énergie a eu pour conséquence une augmentation significative des émissions de dioxyde de carbone (CO2). Les deux tiers des émissions de CO2 dans le monde trouvent désormais leur origine dans des pays non membres de l’OCDE, principalement en Inde et en Chine13.
Il semble peu probable que l’Accord de Paris sur le climat de 2015 puisse être appliqué et que la hausse des températures moyennes puisse être limitée à 2 °C sans une réduction massive des émissions dans les pays en développement. Pour des raisons évidentes, la réalisation des ODD et l’amélioration du bien-être à travers le monde nécessitent un nouveau changement de mentalité pour passer d’un développement à fortes émissions de carbone à un développement « vert », faible en émissions (PNUE, 2011[155] ; Banque mondiale, 2012[156] ; OCDE, 2013[157]).
Les promesses non tenues de la mondialisation
Depuis 2015 environ, l’une des principales promesses de la pensée du développement, la mondialisation libérale, se trouve remise en cause. Défendue par la plupart des experts du développement depuis 25 ans, la mondialisation est attaquée de toutes parts, notamment dans les pays en développement (Deudney et Ikenberry, 2018[158]).
Depuis la crise financière de 2008, l’insatisfaction des citoyens, le nationalisme et le populisme sont repartis à la hausse, particulièrement dans les pays de l’OCDE. Cette insatisfaction croissante n’est pas uniquement liée au régime libéral du commerce international, à l’européanisation et au multilatéralisme, mais aussi aux vagues migratoires de grande ampleur et à la hausse des inégalités de revenu14. Les gouvernements de l’OCDE se sont trouvés confrontés à d’importantes pressions. Paradoxalement, la délégitimation de l’État providence et la relégitimation d’un développement plus interventionniste semblent aller main dans la main.
La pensée du développement doit aussi s’accompagner d’une mise en œuvre efficace
Depuis les années 1950, la pensée du développement s’est nourrie de nombreuses idées concernant l’amélioration des conditions de vie, ainsi que des changements intervenus dans le monde, comme les crises économiques et financières, les guerres et les conflits, ou les transformations sociales. Les expériences conduites, leurs succès et leurs échecs, ont également exercé une influence (Chenery, 1983[159]).
La pensée du développement ne se limite pas à des solutions technocratiques. Dès lors qu’elle prend en compte la pratique du développement, elle se rapproche et devient partie intégrante d’un processus éminemment politique. Les réalités locales doivent être analysées dans le détail et les objectifs du développement définis au cours d’un processus participatif. Mais même lorsque ces conditions sont remplies, la pratique du développement aborde le territoire complexe de la politique et du pouvoir. Ce qui émergera d’une politique de développement a de fortes chances de rester incertain, en dépit des bonnes intentions des responsables politiques – ou en raison des intentions cachées des responsables politiques. Par ailleurs, certains objectifs généraux, tels qu’ils sont formulés, peinent à trouver leur traduction opérationnelle (Rodrik, 2007[152]). Ils doivent réussir à s’inscrire dans les réalités locales et être mis en pratique étape par étape. Il existe également un débat plus ancien au sujet des politiciens qui cherchent à obtenir une rente sur le dos des politiques de développement et à phagocyter les tentatives de réformes (Bhagwati (1986[160]) ; Hirschman (1963[39])).
Une expérimentation minutieuse des différentes stratégies de développement et certaines improvisations éclairées jouent actuellement un rôle clé dans les économies émergentes (Ang (2016[161]) ; Lee (2018[162])). La politique et les projets de développement sont essentiellement des expérimentations politiques dans lesquelles les gouvernements doivent combiner leurs connaissances aux anticipations des conséquences de leurs actions (Hirschman (1967[163]) ; Rondinelli (1993[164])). L’adaptation itérative axée sur les problèmes (AIAP) des politiques de développement a récemment constitué une des contributions majeures à ce courant de recherche (Andrews, Prtichett et Woolcock, 2017[165]) ; Kirsch, Siehl and Stockmayer (2017[166]) ; Ang (2016[161]) ; Chung (2017[167]).
Les responsables publics ont souvent besoin de faire des allers-retours entre différents cycles d’apprentissage, de retours d’expérience et d’ajustement pour atteindre les résultats recherchés. Parfois, comme le souligne Hirschman (1967[163]), une « main invisible » les aide à « masquer les difficultés de manière opportune ». Par ailleurs, le processus de décision politique a besoin de devenir plus participatif pour surmonter ce manque de connaissances.
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[74] Williamson, J. (1990), Latin American adjustment: How much has happened?, Institute for International Economics.
[139] Wolgin, J. (1997), « The Evolution of Economic Policymaking in Africa », The American Economic Review, vol. 87/2, pp. 54-57, http://www.jstor.org/stable/2950883.
[27] Yat-Sen, S. (1920), The international development of China, Commerical Press.
Notes
← 1. L’étude de 1960 de Rostow sur les « Étapes de la croissance économique » est sous-titrée « Un manifeste non communiste ».
← 2. La cible de 0.7 % du PNB était basée sur les travaux antérieurs de l’économiste Jan Tinbergen, qui estimaient les flux nécessaires pour que les pays en développement atteignent des taux de croissance satisfaisants. Elle a ensuite été ensuite été proposée par le Rapport des Partenaires du développement de la commission Pearson en 1969.
← 3. Voir, par exemple, le Rapport sur le développement dans le monde de la Banque mondiale (1982[172]). « Tous les agriculteurs – petits, moyens et grands – répondent aux incitations économiques. Loin d’être des paysans enfermés dans leurs traditions, les agriculteurs ont montré qu’ils partageaient une rationalité qui l’emportait de loin sur le poids de leurs conditions sociales et écologiques ».
← 4. La réduction de la pauvreté est entendue dans un sens très large ici, et inclut les résultats obtenus sur le plan de la santé et de l’éducation, ainsi que leur impact sur la pauvreté.
← 5. Il convient de noter que les OMD comprenaient un objectif de cohérence des politiques, l’OMD8 (sur le partenariat mondial pour le développement), qui accordait un rôle aux pays plus riches.
← 6. L’élasticité-revenus des exportations mesure le changement dans la croissance des exportations vers le reste du monde quand la croissance de l’économie mondiale augmente d’un point de pourcentage ; l’élasticité-revenus des importations mesure l’augmentation du taux de croissance des importations quand l’économie nationale augmente son taux de croissance d’un point de pourcentage.
← 7. L’influence des idées réformistes d’inspiration structuraliste a très fortement reflué dans plusieurs pays lors de l’instauration de dictatures militaires, notamment en Argentine (des coups d’État ont renversé les présidents Frondizi en 1962 et Illia en 1966), au Brésil (1964), en Uruguay (1973) et au Chili (1973).
← 8. De nombreux pays d’Amérique latine étaient lourdement endettés à la fin des années 1970, malgré les différentes politiques économiques adoptées dans la seconde moitié des années 1970, que ce soit la politique de libéralisation commerciale et financière accélérée de l’Argentine, du Chili et de l’Uruguay, ou l’intensification des efforts d’industrialisation au Mexique et en particulier au Brésil. Le problème de la dette a été accentué par le défaut mexicain de 1982 et a continué à freiner la croissance et l’investissement dans la région jusqu’à la fin des années 1980 et au début des années 1990.
← 9. Avant la crise économique et financière mondiale de 2008, le commerce international représentait plus de 60 % du PIB de la région. Mais la dépendance au commerce a reculé à près de 52 % du PIB en conséquence du ralentissement de la demande mondiale et du repositionnement de la stratégie de croissance de plusieurs pays en direction de la consommation intérieure.
← 10. Entre 2000 et 2008, la croissance était encore plus impressionnante, le PIB affichant une hausse de 7.5 % par an et les exportations de 16 %.
← 11. Hong-Kong (Chine), Indonésie, Japon, Corée, Malaisie, Singapour, Taipei chinois et Thaïlande.
← 12. Les données sur les taux de pauvreté dans les économies du Pacifique (PIED) ne sont pas totalement disponibles. Il s’agit donc d’estimations, susceptibles de ne pas refléter la réalité de la situation.
← 13. En 2014, les émissions de CO2 ont atteint 36 gigatonnes (Gt) au total, dont 24 Gt étaient produites par des pays non membres de l’OCDE (Banque mondiale, 2018[129]). Avec quelque 10.3 Gt de CO2, la Chine dépassait de loin les Etats-Unis (5.3 Gt) et l’Union européenne (3.4 Gt) réunis. Bien que les émissions de CO2 liées aux activités productives dans les pays de l’OCDE aient oscillé entre 11 et 12 Gt depuis 1990, les émissions produites dans le reste du monde ont triplé pour passer 8 Gt à 24 Gt de CO2. En 2012, près de 70 % du total des gaz à effet de serre (comprenant les émissions liées au changement d’affectation des sols et à la déforestation) provenaient de pays non membres de l’OCDE. Il existe une différence entre les émissions de CO2 liées à la production et liées à la consommation (par exemple les émissions associées au commerce international). Dans le cas de la Chine, les émissions liées à la consommation sont inférieures d’environ 15 % à celles induites par la production ; aux Etats-Unis et en Europe, les chiffres de la consommation sont 10 % à 15% plus élevés que ceux de la production (Peters et al. (2011[168])).
← 14. Voir, par exemple, le cas du Royaume-Uni : Hopkin (2017[171]) ; ainsi que Kriesi (Kriesi, 2014[169]) et Inglehart et Norris (2016[170]).