Ce chapitre décrit les mesures d’accompagnement pour la collecte efficace et effective de la TVA/TPS sur les ventes en ligne, au-delà de celles qui visent spécifiquement les plateformes numériques. Ce chapitre aborde les possibilités offertes par le régime de responsabilité conjointe et solidaire pour favoriser la coopération et inciter les acteurs à s’acquitter de leurs obligations ; il étudie en outre les dispositions qui pourraient être adoptées pour faire en sorte que les ventes effectuées par l’intermédiaire de centres logistiques (« fulfilment houses ») soient taxées comme il convient. Il rappelle la nécessité d’actions visant à aider et inciter les vendeurs en ligne qui ne passent pas par une plateforme numérique (vendeurs « en direct ») à s’acquitter de leurs obligations et souligne l’importance, à l’échelon national, de la coopération et du partage d’informations entre les administrations fiscales et douanières et, à l’échelon international, des échanges de renseignements et de la coopération administrative, en particulier pour que l’analyse des risques aboutisse à plus de discipline fiscale.
Le rôle des plateformes numériques dans la collecte de la TVA/TPS sur les ventes en ligne
Chapitre 4. Mesures d’accompagnement pour un recouvrement effectif et efficient de la TVA/TPS sur les ventes en ligne
Abstract
4.1. Introduction
Les Chapitres 2 et 3 traitaient des obligations et des missions qui pourraient incomber aux plateformes numériques dans le processus de recouvrement de la TVA/TPS. Ce chapitre examine plusieurs autres mesures qui pourraient être prises par les autorités fiscales pour minimiser les infractions aux règles de TVA/TPS sur les ventes en ligne. Il reconnaît que l’application et le contrôle de la TVA/TPS ne concernent pas que les ventes par l’intermédiaire des plateformes numériques, de sorte que sa perception effective doit s’inscrire de manière plus générale dans une stratégie globale pour assurer le bon recouvrement de la TVA/TPS sur les ventes en ligne. Au surplus, les insuffisances du recouvrement engendrent des distorsions de concurrence entre les entreprises et plateformes qui respectent leurs obligations et celles qui ne le font pas. Ces conditions de concurrence inégales peuvent nuire aux entreprises traditionnelles disposant de magasins physiques, aux entreprises qui réalisent des ventes en ligne dans leur propre pays, aux plateformes respectueuses de leurs obligations, et même aux fournisseurs situés dans d’autres pays.
En conséquence, les administrations fiscales sont invitées à consacrer toute l’attention qu’elles méritent aux fonctions et obligations incombant, au-delà des plateformes numériques, à tous les autres acteurs du commerce en ligne. Adopter cette perspective plus large est indispensable pour assurer un recouvrement efficace parce que les pays risqueraient des pertes de recettes si les fournisseurs pouvaient trouver des possibilités de se soustraire à leurs obligations en matière de TVA/TPS, soit en vendant directement aux consommateurs (c’est-à-dire sans passer par une plateforme numérique soumise à ces obligations), soit en recourant à des plateformes qui ne respectent pas leurs obligations ou à des centres logistiques.
Ce chapitre aborde les possibilités offertes par le régime de responsabilité conjointe et solidaire pour favoriser la coopération et inciter les acteurs à s’acquitter de leurs obligations ; il étudie en outre les dispositions qui pourraient être adoptées pour faire en sorte que les ventes effectuées par l’intermédiaire de centres logistiques soient taxées comme il convient. Il rappelle en outre la nécessité d’actions visant à aider et inciter les vendeurs en direct, qui ne passent pas par une plateforme numérique pour vendre sur Internet, à s’acquitter de leurs obligations et souligne l’importance, à l’échelon national, de la coopération et du partage d’informations entre administrations et, à l’échelon international, des échanges de renseignements et de la coopération administrative, en particulier pour que l’analyse des risques aboutisse à plus de discipline fiscale.
4.2. Responsabilité conjointe et solidaire
4.2.1. Synthèse
L’adoption de mesures législatives instituant une responsabilité conjointe et solidaire pour favoriser un meilleur recouvrement de la TVA/TPS sur les ventes en ligne peut être envisagée. Ces mesures peuvent s’appliquer aux plateformes numériques dans le cas où une plateforme n’est pas responsable de la TVA/TPS sur les ventes en ligne effectuées par son entremise.
En général, la responsabilité conjointe et solidaire n’est pas considérée comme un très bon outil pour assurer le recouvrement de la TVA/TPS sur les ventes en ligne parce que celui-ci incombe légalement soit à une plateforme, soit à un fournisseur. Elle peut néanmoins fournir aux autorités fiscales une arme supplémentaire en cas d’infractions, et même jouer un rôle dissuasif contre les comportements abusifs.
Cette section, qui décrit la manière dont la responsabilité conjointe et solidaire peut fonctionner en pratique, s’inspire de l’expérience des pays qui l’ont instaurée. De fait, l’expérience récente montre que la responsabilité conjointe et solidaire peut inciter fortement les plateformes numériques à s’assurer que les fournisseurs qui recourent à leurs services respectent bien leurs obligations en matière de TVA/TPS. Cette section rappelle en outre qu’il est souhaitable de ne pas faire peser une charge disproportionnée sur les plateformes numériques pour l’application de ce régime, notamment en ce qui concerne les diligences raisonnables qu’elles doivent accomplir, ce qui participe en outre du souci d’équité.
4.2.2. Application pratique de la responsabilité conjointe et solidaire aux plateformes numériques
La responsabilité conjointe et solidaire pourrait être imposée aux plateformes numériques dans les cas où la loi ne leur fait pas supporter la responsabilité de la TVA/TPS sur les ventes que leurs fournisseurs réalisent par leur intermédiaire, c’est-à-dire où c’est sur les fournisseurs que pèse la responsabilité de la TVA/TPS sur les ventes effectuées par l’intermédiaire d’une plateforme. Si un fournisseur ne respecte pas ses obligations, la responsabilité conjointe et solidaire permet à l’administration fiscale de déclarer la plateforme numérique conjointement et solidairement responsable de la TVA/TPS qu’il n’a pas acquittée.
Les pays appliquant cette disposition sont d’avis que deux grandes variantes peuvent être employées pour son application et qu’elles peuvent être conçues de manière à fonctionner ensemble:
Dans la variante 1, une plateforme numérique est tenue pour conjointement et solidairement responsable des montants futurs de TVA/TPS qui ne seraient pas déclarés par ses fournisseurs une fois que l’administration fiscale a détecté ces infractions, qu’elle les a signalées à la plateforme et que cette dernière n’a pas pris les mesures appropriées dans le nombre de jours imparti. En général, les mesures que doit prendre la plateforme consistent à faire en sorte que son fournisseur se conforme à ses obligations ou à le placer sous embargo ;
Dans la variante 2, une plateforme numérique peut être tenue pour conjointement et solidairement responsable des montants de TVA/TPS qu’un fournisseur n’a pas déclarés dans le passé alors qu’elle aurait raisonnablement dû s’attendre1, au vu des activités de ce fournisseur sur sa plateforme, à ce que celui-ci se soit immatriculé pour la TVA/TPS alors qu’il ne l’a pas fait.
Aucune des deux variantes ne fait peser la responsabilité principale sur la plateforme numérique, ce qui n’empêche pas que l’une et l’autre peuvent aider une juridiction à rendre plus efficaces ses efforts pour percevoir effectivement les impôts qui lui sont dus.
4.2.3. Description de la variante 1 – montants futurs (variante prospective)
Dans cette variante, l’administration fiscale informe une plateforme que certains de ses fournisseurs n’ont pas respecté leurs obligations. Cette notification préalable de l’administration fiscale laisse à la plateforme un nombre de jours donné pour prendre les mesures appropriées en vue d’obtenir le paiement de la TVA/TPS sur les ventes effectuées par le fournisseur fautif. Le plus souvent, les mesures que doit prendre la plateforme sont les suivantes : (i) faire en sorte que le fournisseur qui n’a pas respecté ses obligations en matière de TVA/TPS s’en acquitte conformément à la notification de l’administration fiscale ou (ii) l’empêcher d’utiliser la plateforme. Si la plateforme numérique ne prend pas les mesures appropriées dans ce délai, l’administration fiscale peut décider de la tenir pour conjointement et solidairement responsable de la TVA/TPS sur toutes les ventes qui seraient effectuées à l’avenir par le fournisseur indélicat.
Les fournisseurs qui ne respectent pas leurs obligations (que ce soient des personnes physiques ou morales) et effectuent des ventes en ligne sous plusieurs identités peuvent être une source de complexité. Si une administration fiscale a connaissance d’un tel cas de figure, elle devra notifier à la plateforme numérique toutes les identités appartenant à ce fournisseur pour que la règle sur la responsabilité conjointe et solidaire soit vraiment efficace. Si un fournisseur qui ne respecte pas ses obligations apparaît sur plusieurs plateformes, une notification devra être envoyée à toutes les plateformes.
En général, cette variante n’exige pas de l’administration fiscale qu’elle prouve le comportement frauduleux du fournisseur ou le fait que la plateforme numérique avait connaissance de ce comportement. Mais la phase de notification préalable prévue dans cette variante permettra généralement à un‑ fournisseur bien intentionné de disposer d’un temps suffisant pour régulariser sa situation.
4.2.4. Description de la variante 2 – priorité aux montants passés (variante rétrospective)
Cette variante permet à une administration fiscale de rendre une plateforme numérique responsable des ventes passées d’un fournisseur qui n’a pas respecté ses obligations si elle aurait dû, au vu des activités de celui-ci sur sa plateforme, avoir raisonnablement lieu de s’attendre à ce qu’il soit immatriculé à la TVA/TPS alors qu’il ne l’était pas. Cette variante du modèle de responsabilité conjointe et solidaire a pour effet de mettre à la charge des plateformes numériques une obligation d’effectuer des diligences raisonnables (connaissance du client) sur leurs fournisseurs en leur demandant leur numéro d’immatriculation à la TVA/TPS et en vérifiant qu’il est valide.
Une plateforme numérique peut éviter cette responsabilité conjointe et solidaire si elle prend des mesures correctrices telles que l’interdiction pour le fournisseur d’utiliser sa plateforme et/ou l’envoi à l’administration fiscale concernée d’une notification si les diligences raisonnables ont révélé que le fournisseur n’est pas immatriculé à la TVA/TPS dans la juridiction d’imposition ou se livre à des activités suspectes.
Dans cette variante, c’est à la plateforme qu’il incombe de contrôler elle-même les numéros d’immatriculation de ses fournisseurs pour éviter d’être tenue pour conjointement et solidairement responsable des ventes passées de ceux qui n’ont pas respecté leurs obligations. Cela suppose néanmoins que la plateforme numérique dispose des moyens pratiques et juridiques de vérifier si le numéro d’immatriculation qu’un fournisseur affiche avec son nom commercial est valide (il faut par exemple que les règles sur le secret fiscal ne fassent pas obstacle à la vérification par la plateforme de la validité du numéro d’immatriculation de son fournisseur à la TVA/TPS dans le pays d’imposition et que la plateforme puisse utiliser des données électroniques ou d’autres moyens pour contrôler les numéros d’immatriculation à la TVA/TPS.
4.2.5. Considérations relatives à la mise en œuvre de la responsabilité conjointe et solidaire
Les considérations ci-après peuvent être prises en compte pour l’application de la responsabilité conjointe et solidaire :
Quoique les régimes de responsabilité conjointe et solidaire ne fassent pas peser la responsabilité principale du recouvrement de la TVA/TPS sur les plateformes numériques, ils peuvent aider les juridictions dans leurs efforts pour faire respecter les règles, et en particulier les doter d’un mécanisme permettant d’obliger promptement les fournisseurs fautifs à s’acquitter de leurs obligations et/ou de les empêcher d’utiliser une plateforme (voir la Variante 1). À cet égard, on remarquera qu’une disposition « prospective » sur la responsabilité conjointe et solidaire (Variante 1) peut, en principe, être appliquée sans que l’administration fiscale ait à prouver qu’une plateforme savait qu’un fournisseur ne respectait pas ses obligations au titre de la TVA/TPS. Ce cas de figure est différent de celui de la Variante 2, dans laquelle cette preuve sera le plus souvent exigée pour justifier l’imposition à une plateforme d’une responsabilité conjointe et solidaire pour les montants de TVA/TPS qui n’ont pas été réglés sur les ventes passées ;
Dans la Variante 2, une plateforme peut se prémunir contre le risque de responsabilité conjointe et solidaire en appliquant à ses fournisseurs des diligences raisonnables. Ces contrôles peuvent aussi s’appliquer aux droits de propriété intellectuelle et aux dispositions légales en vigueur dans le pays de destination, par exemple en ce qui concerne les médicaments vendus sur ordonnance ;
La responsabilité conjointe et solidaire part du principe qu’il est de l’intérêt de la plateforme tout autant que de l’administration fiscale de veiller à ce que les conditions de concurrence soient égales entre tous ses fournisseurs et de bannir ceux qui ne respectent pas les règles de son site, ne fût-ce que parce qu’ils pourraient nuire à sa réputation. Les plateformes devraient aussi juger qu’il est de leur intérêt d’aider leurs fournisseurs à respecter pleinement leurs obligations au titre de la TVA/TPS afin qu’ils puissent continuer à effectuer des transactions par leur intermédiaire ;
Si une administration fiscale décide de recourir à cette mesure, elle doit veiller à l’appliquer sur la totalité du marché du commerce électronique afin d’éviter que les vendeurs qui n’ont pas respecté leurs obligations continuent à effectuer des transactions sur d’autres plateformes ;
Il importe aussi, quand une administration fiscale invoque la responsabilité conjointe et solidaire, qu’elle se garde d’imposer aux plateformes des exigences trop lourdes et qu’elle énonce des critères très clairs pour éviter les incertitudes juridiques ;
La responsabilité conjointe et solidaire peut être particulièrement efficace dans le cas où des biens sont entreposés dans le pays d’imposition lorsque l’administration fiscale a accès à des informations par le truchement de centres logistiques locaux et est en mesure de saisir ces marchandises ;
Pour appliquer la Variante 2, l’administration fiscale devra s’assurer que les plateformes numériques ont accès à des listes à jour des numéros d’immatriculation à la TVA/TPS de manière à avoir la possibilité de valider le numéro de TVA/TPS indiqué par un fournisseur ;
On remarquera que les régimes de responsabilité conjointe et solidaire supposent qu’une administration fiscale détecte au préalable des infractions alors que tel n’est pas le cas, par exemple, dans le régime de responsabilité intégrale au titre de la TVA/TPS, ce qui peut exiger de l’administration des efforts non négligeables et/ou être au-delà de ses capacités ;
Il existe un risque que les fournisseurs qui n’ont pas respecté leurs obligations contournent les règles en s’inscrivant à nouveau sous une autre identité ou sous le nom d’une autre entité juridique sur la plateforme qu’ils ont utilisée. On peut cependant défendre l’idée selon laquelle certains facteurs commerciaux peuvent atténuer ce risque puisque, une fois radié par une plateforme, un fournisseur perd son historique et les notes de satisfaction de ses clients, dont on sait combien ils sont essentiels pour rassurer un consommateur final et l’inciter à acheter à ce fournisseur. Cette mesure peut donc perturber l’activité du fournisseur et constituer une incitation puissante à se mettre en règle ;
La mise en œuvre de la responsabilité conjointe et solidaire doit être accompagnée par une communication dépourvue d’ambiguïtés avec les plateformes pour s’assurer qu’elles comprennent parfaitement comment fonctionne ce dispositif et les mesures qu’elles peuvent prendre pour qu’il ne leur soit pas appliqué ;
Le délai accordé pour se mettre en règle dans les deux variantes doit tenir compte du temps nécessaire à un fournisseur bien intentionné pour régulariser sa situation.
4.3. Surveiller les ventes effectuées par l’intermédiaire de centres logistiques
Les centres logistiques jouent un rôle de plus en plus important en ce qu’ils facilitent le commerce en ligne, si bien qu’il convient de lancer de nouvelles études sur ce secteur d’activité, les risques qui en résultent pour le recouvrement de la TVA/TPS et la nécessité et/ou l’opportunité de mesures le visant spécifiquement.
Les centres logistiques sont des entrepôts gérés par des tierces parties et chargés de la manutention de marchandises pour le compte de fournisseurs étrangers. De nos jours, les entreprises y recourent couramment pour la distribution de leurs produits (c’est-à-dire pour assurer les fonctions de réception, de traitement et de livraison), en particulier lorsqu’ils sont vendus à l’étranger. Les services logistiques procurent aux entreprises (à savoir les jeunes pousses et PME n’ayant pas les infrastructures et installations logistiques nécessaires, mais aussi les grandes entreprises) de nombreux avantages tels qu’une diminution des frais d’expédition et de fonctionnement, la livraison de biens dans le monde entier, la rapidité de livraison, une amélioration du service rendu au client et des solutions à forte intensité technologique (ex. : informations sur et suivi de chaque article, sélection des transporteurs, intégration avec les circuits de vente, etc.).
Il a toutefois été constaté que des centres logistiques ont aidé des fournisseurs étrangers à ne pas payer la TVA/TPS due sur les biens qu’ils vendaient. Les abus de ce type concernent pour la plupart des fournisseurs étrangers vendant des biens détenus physiquement dans un centre logistique géré par une tierce partie à des clients situés dans le pays ou ces biens sont stockés sans que le montant qui devrait être facturé au titre de la TVA/TPS sur ces ventes soit acquitté (soit qu’aucune TVA/TPS ne soit payée, soit qu’un montant anormalement faible soit réglé au titre de la TVA/TPS par suite d’une sous-évaluation ou d’une classification trompeuse). Ces manœuvres ont souvent été précédées par l’importation frauduleuse des marchandises dans ce pays par le fournisseur étranger. Étant donnée leur fonction d’entrepôt géré par une tierce partie ne s’occupant que des aspects logistiques des livraisons de biens pour le compte de fournisseurs étrangers, ces centres logistiques n’ont généralement pas (ou prétendent ne pas avoir) connaissance du statut de ces biens au regard de la TVA/TPS et, en principe, ils ne sont pas tenus de collecter la TVA/TPS sur leur vente aux consommateurs finaux.
On peut mettre fin à ces abus en imposant aux sociétés gérant un centre logistique de demander une autorisation d’exercice/un numéro d’immatriculation et en les soumettant à une obligation d’effectuer des diligences raisonnables sur les entreprises utilisant leurs installations et tenir un registre des flux de biens à l’entrée et à la sortie du centre de traitement. Elles pourraient en outre être tenues de remettre aux clients des notices sur leurs obligations au titre de la TVA/TPS (et éventuellement des droits de douane et d’autres impôts tel que les droits d’accise) et être soumises à des pénalités pouvant aller jusqu’à la saisie de biens ou la privation du droit d’exercer leur activité de centre de traitement si elles n’effectuent pas correctement leurs diligences raisonnables ou ne dénoncent pas les clients soupçonnés de ne pas s’être acquittés de leurs obligations. Les auteurs de ce rapport n’ignorent pas non plus que les centres logistiques peuvent être utilisés pour des ventes transfrontalières, qui sont donc un autre domaine susceptible de bénéficier de la coopération entre juridictions.
Les autorités fiscales pourraient envisager d’appliquer un régime de responsabilité conjointe et solidaire aux exploitants des centres logistiques. Il est cependant probable que la faisabilité de cette approche dépende du degré d’implication de ces centres logistiques dans une vente, si bien que les autorités fiscales devront s’interroger au préalable sur sa proportionnalité.
4.4. Ne pas perdre de vue les ventes effectuées hors des plateformes
Ce rapport recense les fonctions et obligations assumées par les plateformes numériques dans le recouvrement de la TVA/TPS sur les ventes en ligne et propose aux administrations fiscales des mesures propres à garantir le recouvrement de la TVA/TPS sur ces ventes. Cependant, il est reconnu que, si une forte proportion des ventes en ligne est actuellement réalisée par l’intermédiaire de plateformes, un pourcentage non négligeable est effectué sans leur intervention par le biais des ventes directes. Les administrations fiscales sont invitées, lors de la conception et de la mise en œuvre des mesures destinées à favoriser le respect des obligations en matière de TVA/TPS sur les ventes en ligne, à veiller à ce que leur stratégie de recouvrement de la TVA/TPS sur les ventes en ligne prenne dûment en considération l’importance des ventes directes et les mesures nécessaires pour faire en sorte que ces ventes supportent effectivement la TVA/TPS, en particulier quand elles sont réalisées par des fournisseurs étrangers.
C’est pourquoi les Principes directeurs2 rappellent que, selon toute probabilité, les entreprises étrangères satisferont d’autant mieux à leurs obligations que les obligations auxquelles elles sont soumises dans la juridiction d’imposition sont simples et limitées au strict nécessaire pour que l’impôt soit recouvré efficacement (OCDE, 2017[1]). Les Principes directeurs invitent les administrations fiscales à faciliter le respect de leurs obligations par les fournisseurs étrangers, en particulier dans le cas de ventes transfrontalières aux consommateurs finaux, en appliquant un régime administratif et d’identification simplifié (OCDE, 2017[1]). L’expérience des pays qui mettent en œuvre un tel régime confirme en effet qu’il est récompensé par une forte discipline fiscale des fournisseurs étrangers. Pour ce régime administratif et d’identification simplifié, les juridictions peuvent s’inspirer des nombreux conseils figurant dans le Chapitre 3 du Rapport sur les mécanismes de collecte (OCDE, 2017[2]). Comme cela est indiqué dans le Rapport sur les mécanismes de collecte, des mesures de simplification judicieuses sont un moyen efficace d’inciter et aider les entreprises ayant des obligations dans une pluralité de juridictions à s’en acquitter, ce qui devrait être particulièrement utile pour les vendeurs en direct (OCDE, 2017[2]). Le rapport reconnaît en outre que la complexité des obligations pesant sur certains fournisseurs peut être une barrière suffisamment dissuasive pour les amener soit à s’en affranchir, soit à renoncer à servir les clients situés dans les pays où ces barrières sont en vigueur.
Il n’est pas non plus inutile de rappeler la possibilité, évoquée dans les Principes directeurs, que « le respect de leurs obligations fiscales par les fournisseurs non-résidents pourrait être encore facilité en permettant à ces fournisseurs de désigner une tierce partie pour agir en leur nom dans l’exécution de certaines procédures telles que le dépôt des déclarations. »3 (OCDE, 2017[1]). Cela pourrait être particulièrement utile en ce qui concerne les petites et moyennes entreprises et les entreprises qui sont confrontées à des obligations dans plusieurs juridictions. Autoriser un vendeur en direct à faire appel à un prestataire de services extérieur peut atténuer le risque de manquements aux règles.
4.5. Coopération entre les administrations fiscale et douanière à l’échelon national
Cette section revient sur l’importance d’une coopération étroite entre les administrations fiscale et douanière pour assurer un recouvrement effectif et efficient de la TVA/TPS, des droits de douane et des autres droits et taxes sur les importations de biens achetés en ligne.
Le Chapitre 2 a déjà insisté sur l’importance d’une coopération étroite entre les administrations fiscales et des douanes pour garantir la viabilité du régime de responsabilité intégrale en matière de TVA/TPS qui est applicable aux plateformes numériques. Il a cependant été reconnu qu’une coopération entre les administrations fiscale et des douanes est également nécessaire pour veiller au respect des règles sur les ventes qui ne sont pas réalisées par l’intermédiaire d’une plateforme numérique ou qui sont effectuées par celui d’un centre logistique, ou même qui n’entrent pas dans le champ du régime de responsabilité intégrale en matière de TVA/TPS destiné aux plateformes numériques ou pour lesquelles une plateforme ne respecte pas ses obligations.
Il est vraisemblable que la coopération entre les administrations fiscale et douanière ait des répercussions positives sur l’efficience et l’efficacité du recouvrement de la TVA/TPS et des droits de douane et autres droits sur les biens importés achetés en ligne et qu’elle minimise l’impact du recouvrement de ces taxes sur les chaînes de valeur liées aux ventes en ligne. Cette coopération aidera à faire en sorte que les ventes en ligne de biens importés soient traitées sur un pied d’égalité avec les ventes d’un fournisseur dans son propre pays aux fins de la TVA/TPS et des droits de douane, y compris dans le cas où elles sont effectuées par un magasin physique.
De même, l’extrême importance de la coopération entre les administrations fiscale et douanière est constamment soulignée dans le Cadre de normes pour le commerce électronique transfrontalier et les Directives sur la coopération douane/administration fiscale de l’OMD4.
La coopération entre les administrations fiscale et douanière peut être souhaitable dès la phase de conception des mesures de recouvrement de la TVA/TPS sur les importations de biens achetés en ligne. Elle devrait améliorer la cohérence des procédures et faciliter l’application des réformes (y compris pour la conception et la mise en œuvre des systèmes informatiques) tout en favorisant une coopération continue.
La coopération entre les administrations fiscale et douanière pourrait aussi être étendue au partage d’informations, de bonnes pratiques et de renseignements, ce qui peut être facilité par une interconnectivité accrue des systèmes informatiques et par une coopération ciblée dans le cadre d’initiatives pour faire respecter les obligations légales et veiller à la perception effective de l’impôt. Cette coopération pourrait aussi prendre la forme de contrôles coordonnés incluant un audit des systèmes informatiques et de la comptabilité.
Les avantages de la coopération entre les administrations fiscale et douanière au niveau d’un pays peuvent être encore accrus par la coopération internationale et l’échange de renseignements.
4.6. Coopération administrative mutuelle et échange de renseignements
4.6.1. Synthèse
Eu égard à la croissance exponentielle des ventes en ligne transfrontalières et des recettes de TVA/TPS en jeu, la coopération internationale et l’échange de renseignements sont des armes particulièrement efficaces. Les Principes directeurs font une place de choix aux mécanismes dont disposent les pays en matière de coopération multi- et bilatérale (OCDE, 2017[1]). Les deux types de coopération sont l’objet d’autres travaux du GT9, qui est conscient de la grande importance de sa tâche au vu des menaces que fait peser l’essor du commerce électronique sur le recouvrement de la TVA/TPS.
4.6.2. Les mécanismes existants de coopération mutuelle
Les Principes directeurs attirent l’attention sur les possibilités de coopération multilatérale offertes par la Convention concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale qui a été développée conjointement par l’OCDE et le Conseil de l’Europe en 1988 et amendée par le Protocole en 2010 (OCDE, 2017[1]). Cette Convention et le Protocole prévoient toutes les formes possibles de coopération administrative entre les Parties en ce qui concerne l’évaluation et la collecte des taxes, en particulier en vue de combattre la fraude et l’évasion fiscales. Ces outils sont d’autant plus utiles que les entreprises et les plateformes peuvent accéder de plus en plus facilement aux marchés des autres pays sans y avoir de présence physique. Quoique, en général, la Convention et le Protocole couvrent tous les impôts généraux sur la consommation, dont la TVA/TPS, il est possible à un pays d’en limiter l’application aux impôts sur le revenu/les bénéfices, les plus-values et la fortune.
Les Principes directeurs (OCDE, 2017[1]) mettent aussi en lumière les possibilités de coopération bilatérale par l’échange de renseignements prévu dans l’article 26 du Modèle de convention fiscale (MCF) de l’OCDE (OCDE, 2017[3]). Le paragraphe 10.1 des Commentaires sur l’article 26 du MCF prévoit la possibilité pour un État de limiter le champ de l’échange de renseignements aux impôts couverts par le MCF (qui n’inclurait pas la TVA ou la TPS). Comme on l’a vu, il semble que cet instrument constitue une plateforme prometteuse pour échanger de l’information à la fois sur des cas particuliers et sur des cas plus généraux en matière de TVA/TPS Un accord bilatéral pourrait donc fournir un mécanisme pour la coopération et le développement accru de solutions à des problèmes communs. Une autre solution consiste à invoquer le Modèle d’accord d’échange de renseignements fiscaux de l’OCDE (OCDE, 2002[4]).
Étant donné le rôle crucial que jouent les autorités douanières dans les ventes de biens transfrontalières, il convient aussi de souligner que l’OMD a élaboré divers instruments et outils facilitant les échanges de renseignements (tels que la Convention de Nairobi, le Modèle d’accord bilatéral d’assistance mutuelle administrative en matière douanière et les Douanes en réseau international). Sur la base de ces instruments, les administrations douanières ont conclu des accords/arrangements bilatéraux ou multilatéraux sur l’échange de renseignements.
4.7. Conforter la discipline fiscale par l’analyse des risques
Le Forum de l’OCDE sur l’administration de l’impôt a rédigé plusieurs guides et rapports dont peuvent s’inspirer les administrations fiscales pour mettre en œuvre des solutions d’analyse des risques basées sur l’expérience pratique des différents pays. Ces rapports sont notamment Advanced Analytics for Better Tax Administration (Forum de l'OCDE sur l’administration de l'impôt, 2016[5]) et The Changing Tax Compliance Environment and the Role of Audit (Forum de l'OCDE sur l’administration de l'impôt, 2017[6]).
Au vu de l’augmentation rapide du volume de colis et des difficultés qui en résultent pour un contrôle individuel de ces transactions, il peut être avantageux d’utiliser, voire adapter les systèmes d’analyse des risques existants pour faciliter le contrôle des ventes en ligne. L’analyse des risques pourrait être appliquée à tous les acteurs de la chaîne d’approvisionnement, à savoir les fournisseurs, les plateformes, les expéditeurs, les fournisseurs de services de paiement, les importateurs et les centres logistiques.
On se souviendra en outre que l’OMD a approuvé des normes sur la Gestion des risques pour la facilitation et le contrôle des échanges et sur l’Utilisation des techniques d’inspection non intrusive et de l’analyse des données qui font partie du Cadre de normes pour le commerce électronique transfrontalier publié en juin 2018 (voir également l’Annexe G). Ces instruments peuvent donc donner aux autorités fiscales et douanières la possibilité pratique de coopérer efficacement pour lutter contre les risques de pertes de recettes.
4.8. Rester vigilant contre les abus
Il est reconnu que les administrations fiscales doivent rester vigilantes contre les abus et prendre des mesures appropriées pour y mettre un terme. Il peut arriver dans certaines circonstances que certains acteurs de la chaîne d’approvisionnement tentent de contourner les règles ou de créer des structures artificielles pour se dérober à leurs obligations. À titre d’illustration, un fournisseur local peut décider de structurer ses activités de manière à reporter ses obligations sur une plateforme numérique étrangère qui, de son côté, ne respectera pas ses obligations en matière de TVA/TPS dans les pays d’imposition.
Les Principes directeurs reconnaissent que les autorités fiscales sont en droit de prendre des mesures proportionnées pour se protéger contre la fraude ou l’évasion fiscale, les pertes de recettes ou la distorsion de concurrence (voir Chapitre 4, Section 4.5 ci-dessus) (OCDE, 2017[1]). Les outils recensés dans ce chapitre donnent aux autorités les moyens de maximiser la discipline fiscale. Comme on l’a vu plus haut, le fait que les ventes en ligne sont effectuées dans le monde entier souligne la nécessité d’une plus grande coopération administrative au niveau international, en particulier pour la notification aux autres administrations fiscales des schémas et structures qui auront pu être identifiés et l’application des bonnes pratiques pour combattre les abus.
Références
[6] Forum de l’OCDE sur l’administration de l’impôt (2017), The Changing Tax Compliance Environment and the Role of Audit, http://www.oecd.org/fr/ctp/the-changing-tax-compliance-environment-and-the-role-of-audit-9789264282186-en.htm.
[5] Forum de l’OCDE sur l’administration de l’impôt (2016), Advanced Analytics for Better Tax Administration, http://www.oecd.org/publications/advanced-analytics-for-better-tax-administration-9789264256453-en.htm.
[2] OCDE (2017), Mécanismes pour la collecte effective de la TVA/TPS - OCDE, OCDE, Paris, http://www.oecd.org/fr/ctp/beps/mecanismes-pour-la-collecte-effective-de-la-tva-tps.htm (consulté le 24 mai 2019).
[3] OCDE (2017), Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune : Version abrégée 2017, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/mtc_cond-2017-fr.
[1] OCDE (2017), Principes directeurs internationaux pour la TVA/TPS, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/9789264272958-fr.
[4] OCDE (2002), Accord sur l’échange de renseignements en matière fiscale, https://www.oecd.org/fr/fiscalite/echange-de-renseignements-fiscaux/33977677.pdf.
Notes
← 1. Cela dépendra du régime juridique en vigueur dans la juridiction d’imposition, lequel peut comprendre des mesures contre la fraude dans la chaîne d’approvisionnement ainsi que des mesures anti-abus.
← 2. Principes directeurs, Chapitre 3, C.3.2 et C.3.3.
← 3. Principes directeurs, paragraphe 3.148.
← 4. Voir la Norme 7 du Cadre de normes pour le commerce électronique transfrontalier dans l’Annexe VII du présent rapport ; les Directives de l’OMD sur la coopération douane/administration fiscale sont disponibles à l’adresse www.wcoomd.org/en/topics/facilitation/instrument-and-tools/tools/guidelines-on-customs-tax-cooperation.aspx