Ce chapitre explore la relation et l’impact de la liberté des médias et du pluralisme, ainsi que des droits numériques, sur l’espace civique en Tunisie. Il s’intéresse également à l’accès à l’information, la collecte et la protection des données à caractère personnel, et à leur relation à l’espace civique.
Scan de l’espace civique en Tunisie
4. Les droits et libertés numériques et des médias en Tunisie
Abstract
4.1. Introduction
La situation de la liberté de la presse en Tunisie a connu un changement drastique depuis la révolution. Alors qu’il s’agissait d’un secteur auparavant étroitement contrôlé par l’État, le nouveau contexte a permis l’avènement de la liberté d’expression et d’un nombre important de nouveaux acteurs dans le champ médiatique (Chouikha, 2013[1]). L’abolition, au lendemain de la révolution, de l’Agence tunisienne pour la communication extérieure (ATCE),1 l’abrogation du Code de la presse de 1975, et l’adoption des décrets-lois n° 2011-115 et n° 2011-116 ont fortement contribué à la libéralisation rapide du secteur. Le nouveau cadre légal a également permis la mise en place d’une autorité régulatrice indépendante du secteur de l’audiovisuel, qui illustre la volonté réelle des législateurs d’instaurer les mécanismes de contrôle nécessaires, afin d’assurer l’indépendance et le pluralisme des médias et de limiter l’interférence des intérêts politiques, à contre-courant des pratiques d’avant la révolution. En plus du développement d’un pluralisme dans la presse tunisienne, ce nouveau cadre a également permis l’éclosion de médias engagés et indépendants, qui participent directement à faire vivre l’espace civique, à animer le débat citoyen et à renforcer le principe de redevabilité des pouvoirs publics. La liberté d’expression et des médias est sans doute un des principaux acquis de la révolution tunisienne.
Si ces nombreuses avancées en un temps réduit ont été soulignées à maintes reprises, la Tunisie constituant une exception dans son ensemble régional, des défis demeurent. En effet, face à une ouverture rapide après des années de contrôle étatique, le secteur de la presse n’a pas encore su se restructurer à travers une véritable politique publique des médias, et notamment mettre en place un nouveau modèle économique de nature à assurer sa pérennité dans un contexte mondial de transformation du secteur en partie imputable à la transition numérique. La question de la prégnance ou de la résurgence des intérêts politiques dans le secteur de l’audiovisuel, mis en avant par les schémas de propriété, représente également un défi important pour la protection et la promotion de l’espace civique. Enfin, les entretiens et les données semblent montrer une certaine dégradation du climat de la liberté de la presse au cours des dernières années, notamment à travers une violence – verbale ou physique – accrue à l’encontre des journalistes, des réticences à adopter pleinement le principe de transparence et d’accès à l’information, ou encore un nombre croissant de poursuites de journalistes sur la base du Code pénal.
Dans le domaine des droits et libertés numériques, la Tunisie a également hérité d’un lourd passé de surveillance des réseaux de télécommunications et de censure du contenu sur Internet. La révolution a, là encore, représenté un tournant, et les Tunisiens et Tunisiennes jouissent aujourd’hui d’un Internet libre de censure, accessible à des prix abordables, et s’appuyant par ailleurs sur des infrastructures solides. Cependant, la révision du cadre légal relatif à la protection des données personnelles demeure un enjeu important pour la pleine consécration des droits et libertés numériques en Tunisie.
4.2. Le cadre légal de la liberté de la presse et des droits numériques en Tunisie
4.2.1. La liberté de la presse
La presse écrite et électronique
Comme évoqué dans le Chapitre 3, la liberté d’expression et de la presse est garantie à l’article 31 de la Constitution du 27 janvier 2014, et inclut les libertés d’opinion, de pensée, d’expression, d’information et de publication, sans contrôle préalable (République tunisienne, 2014[2]).
La liberté de la presse est régie par le décret-loi n° 2011-115 du 2 novembre 2011 relatif à la liberté de la presse, de l’impression et de l’édition, élaboré sous l’égide de la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, entré en vigueur en octobre 2012. D’après les observateurs, ce texte représente une avancée majeure vers la consécration de la liberté de la presse (République tunisienne, 2011[3] ; Reporters sans frontières, 2012[4]). Il vient remplacer le Code de la presse de 1975, considéré comme un cadre légal limitant de manière importante cette liberté, qui prévoyait notamment un régime strict de dépôt légal des œuvres et publications avant distribution, ainsi que des peines de prison pour les faits de diffamation ou l’offense au président de la République, malgré plusieurs vagues de modifications et d’amendements depuis sa mise en place (République tunisienne, 1975[5]).
En plus de garantir et définir la liberté d’expression,2 le décret-loi institue un certain nombre d’infractions par voie de presse, telles que l’incitation à commettre des crimes, à la haine et à la discrimination – passibles de peine de prison –, ainsi que l’atteinte aux cultes religieux autorisés, la diffamation, l’injure et la publication de fausses nouvelles – passibles d’amendes – (voir Chapitre 3) (République tunisienne, 2011[3]). Il définit de manière précise le journaliste comme « toute personne titulaire au moins d’une licence ou d’un diplôme équivalent et dont l’activité principale et régulière consiste à recueillir et à publier les nouvelles, les informations, les opinions et les idées et à les transmettre au public, dans une ou plusieurs entreprises de presse quotidienne ou périodique, dans des agences d’information ou dans une ou plusieurs entreprises de communication audiovisuelle ou électronique, à la condition d’en tirer le principal de ses ressources » (article 7) (République tunisienne, 2011[3]). Cette définition exclut de fait les blogueurs et journalistes citoyens ne détenant pas de carte de presse du champ d’application du décret-loi n° 2011-115, et les prive notamment de certaines des garanties et protections octroyées aux journalistes professionnels.3 En outre, il convient de veiller à ce que l’existence d’une définition précise, notamment l’exigence d’un diplôme, ne constitue un critère d’exclusion. À ce titre, les autorités pourraient mener une réflexion autour de la manière de garantir une protection adéquate à l’ensemble des acteurs exerçant une mission d’information, indépendamment de leur statut de journalistes. Le décret-loi met également en place les conditions d’attribution de la carte nationale de presse par une commission indépendante.
L’article 11 garantit la protection des sources des journalistes, qui ne peut être remise en cause que sur autorisation d’un juge judiciaire et sous réserve que les informations en question soient relatives à des infractions présentant un risque grave pour l’intégrité physique d’autrui, que leur divulgation soit nécessaire pour prévenir la commission de telles infractions et qu’elles soient du type d’informations ne pouvant être obtenues par tout autre moyen (République tunisienne, 2011[3]). Par ailleurs, au titre de l’article 37 de la loi organique n° 2015-26 relative à la lutte contre le terrorisme et la répression du blanchiment d’argent, les journalistes sont habilités à protéger la confidentialité des informations auxquelles ils ont eu accès dans l’exercice de leur mission et sont exemptés des poursuites pénales prévues pour quiconque s’abstient de signaler aux autorités compétentes les faits, les informations ou les renseignements concernant la commission des infractions terroristes ou leur éventuelle commission (République tunisienne, 2015[6]).
La section 3 du décret-loi n° 2011-115 instaure également des règles relatives à la transparence des publications, qui ont l’obligation de rendre apparentes certaines informations, telles que le nom de la personne physique propriétaire du journal si celui-ci ne dispose pas de la personnalité morale, la forme de l’établissement, sa raison sociale, son capital, son siège social, le nom de son représentant légal, les noms des trois principaux associés dans le cas où cet établissement est érigé en personne morale, les noms du directeur responsable et du directeur de rédaction, ou encore le nombre de tirages. Par ailleurs, seules les personnes disposant de la nationalité tunisienne et âgées de 30 ans au moins peuvent être désignées comme directeur responsable et directeur de rédaction, une disposition qui ne contrevient pas aux standards internationaux mais qui peut être de nature à limiter la libre circulation des idées (Reporters sans frontières, 2012[4]). Le décret-loi n° 2011-115 contient par ailleurs des dispositions visant à limiter la concentration de la propriété des médias. Au titre de l’article 33, une seule personne physique ou morale ne peut posséder, administrer, contrôler ou publier qu’un maximum de deux périodiques d’information publique et généraliste, ou 30 % du tirage total dans cette catégorie (République tunisienne, 2011[3]). L’article 20 met en place un nombre minimum de journalistes professionnels devant être employés à temps plein par les publications quotidiennes et hebdomadaires, ainsi qu’une amende en cas de contravention à ces règles.
Dans le secteur de la presse écrite, papier comme numérique, la création d’un média ne nécessite pas d’autorisation et la création d’un « périodique » est soumise à un régime de simple déclaration du projet auprès du tribunal de première instance territorialement compétent (article 18) (République tunisienne, 2011[3]). Le dossier de la déclaration comporte plusieurs documents permettant d’identifier le type de média, sa ligne éditoriale, le ou les propriétaires, le capital social, ainsi que les moyens humains et techniques utilisés. Par ailleurs, la définition de « périodique » donnée à l’article 2 laisse penser que les médias en ligne ne sont pas nécessairement soumis à cette obligation de déclaration, mais le décret-loi demeure imprécis à cet égard.
La communication audiovisuelle
La communication audiovisuelle est quant à elle régie par le décret-loi n° 2011-116 du 2 novembre 2011, qui met également en place la Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle (HAICA) – l’instance provisoire de régulation du secteur de l’audiovisuel, qui a vocation à être remplacée par l’Instance de la communication audiovisuelle, prévue à l’article 127 de la Constitution du 27 janvier 2014 (voir Section 4.3.1) (République tunisienne, 2011[7]). Ce décret-loi, en ligne avec les standards internationaux et propice à la liberté des médias, garantit la liberté de communication audiovisuelle (article 3), ainsi que le droit de tout citoyen à l’accès à l’information et à la communication audiovisuelle (article 4) (République tunisienne, 2011[7]). Il met également en place un certain nombre de principes constituant le socle de l’exercice de ces libertés, dont le respect des conventions et pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme et aux libertés publiques, la liberté d’expression, l’égalité, le pluralisme d’expression des idées et opinions, l’objectivité et la transparence – soumises au respect de la dignité de l’individu et de la vie privée, de la liberté de croyance –, ainsi que la protection de l’enfance, de la sécurité nationale, de l’ordre public et de la santé publique. La mise en place d’un média audiovisuel est quant à elle soumise à l’octroi d’une licence par la HAICA et doit répondre au cahier des charges mis en place par cette dernière. Celui-ci dispose notamment qu’une même personne ne peut posséder qu’une chaîne de télévision et une station de radio à la fois. Par ailleurs, l’article 9 du cahier des charges de la HAICA interdit le cumul de responsabilités dans un parti politique et de propriétaires de médias audiovisuels (HAICA, 2014[8]).
Le décret-loi reconnaît aussi l’existence juridique des médias associatifs, qu’il définit comme des « établissements contrôlés ou gérés par des organisations ou associations à but non lucratif, qui exercent sur des bases non lucratives et diffusent des programmes destinés à des catégories sociales bien déterminées, et expriment leurs soucis et besoins spécifiques » (article 2) (République tunisienne, 2011[7]).
Par ailleurs, la question de la révision du cadre légal relatif à la liberté de communication audiovisuelle a fait l’objet de débats au cours des dernières années (voir Encadré 4.1).
Encadré 4.1. L’enjeu de la réforme du cadre légal relatif à la liberté de communication audiovisuelle
Conformément à la Constitution du 27 janvier 2014, une loi organique est nécessaire afin de mettre en place l’Instance de la communication audiovisuelle (ICA), prévue à l’article 127 et ayant vocation à remplacer la HAICA.
L’article 127 de la Constitution dispose ce qui suit :
L’Instance de la communication audiovisuelle est chargée de la régulation et du développement du secteur de la communication audiovisuelle, elle veille à garantir la liberté d’expression et d’information, et à garantir une information pluraliste et intègre. L’Instance dispose d’un pouvoir réglementaire dans son domaine de compétence. Elle est obligatoirement consultée sur les projets de loi se rapportant à ce domaine. L’Instance est composée de neuf membres indépendants, neutres, choisis parmi les personnes compétentes et intègres qui exercent leurs missions pour un seul mandat de six ans. Le tiers de ses membres est renouvelé tous les deux ans. (République tunisienne, 2014[2])
L’article 125 de la Constitution relatif aux autorités constitutionnelles indépendantes définit le mode de nomination des membres des instances, qui se fait à la majorité renforcée à l’ARP et qui doit s’appliquer à la future ICA. Ce mode de nomination diffère de celui des membres de la HAICA, puisqu’il ne prévoit pas expressément la participation d’organismes représentatifs du secteur dans ce processus.
Un premier projet de loi proposé par le gouvernement en 2017
Un premier projet de loi n° 2017/97 a été déposé par le gouvernement à l’ARP en 2017, et avait alors rencontré une opposition importante de la part d’OSC (Marsad Majlis, 2017[9] ; Article 19, 2017[10]). Celles-ci mettaient en avant l’absence de consultation par le gouvernement dans le cadre de l’élaboration du projet, une restriction importante des prérogatives de l’instance par rapport aux prérogatives actuelles de la HAICA, le manque de clarté sur son rôle en matière d’octroi des licences, de contrôle dans le cadre des campagnes électorales et de pouvoir de sanction, l’absence de pouvoirs de régulation sur la concentration et la transparence des structures de propriété des médias, ainsi que l’insuffisance des garanties relatives à l’autonomie financière et aux modalités de nomination et de révocation des membres de l’instance (Article 19, 2017[10]). Ce projet de loi n’a jamais été voté à l’ARP.
Une proposition d’amendement controversée du décret-loi n° 2011-116
Le 4 mai 2020, le parti Al Karama, avec le soutien des partis Qalb Tounes et Ennahdha, a présenté à l’ARP la proposition de loi organique n° 2020/34 relative à la modification du décret-loi n° 2011-116. Celle-ci a été adoptée le 8 juillet par la Commission des droits, des libertés et des relations extérieures. L’amendement proposé du décret-loi n° 2011-116 vise en particulier à modifier le mode de renouvellement de la composition de la HAICA, à travers l’élection de ses neuf membres par l’ARP à la majorité simple des voix. Il prévoit également de supprimer les licences, jusque-là obligatoires et octroyées par la HAICA, pour la création des chaînes de télévision et radio, pour les remplacer par une simple déclaration. La HAICA et les OSC – dont le Syndicat national des journalistes (SNJT) et la Fédération générale des médias – ont mis en garde contre les dangers que représente cette initiative, qui mettrait selon eux en péril les acquis constitutionnels en matière de liberté d’expression et d’information, ainsi que l’autonomie de l’autorité constitutionnelle (Webmanager Center, 2020[11]).
Un second projet de loi soutenu par les OSC et la HAICA
En mai 2020, le gouvernement a déposé à l’ARP un autre projet de loi : le projet de loi organique n° 2020/95 relatif à la liberté de la communication audiovisuelle et à l’organisation de l’Instance de communication audiovisuelle et la détermination de ses compétences (Marsad Majlis, 2020[12]). Ce projet de loi, qui disposait du soutien de la HAICA, du SNJT et du Syndicat général de l’information et la société civile – car répondant aux normes en vigueur dans les instances de régulation audiovisuelle en droit comparé –, visait à remplacer entièrement le décret-loi n° 2011-116.
En octobre 2020, le gouvernement a envoyé une correspondance à l’ARP, afin de retirer ce projet de loi organique, alors que les syndicats, les OSC et la HAICA appelaient à son examen en urgence, afin de pallier la proposition d’amendement portée par le parti Al Karama et citée plus haut. Face au mécontentement de la société civile, le gouvernement a déclaré que ce retrait était dû à une volonté de réviser la loi et de vérifier sa constitutionnalité avant de la présenter devant le Parlement. En réaction, le Bloc démocrate de l’ARP a déposé une proposition de loi, la proposition de loi n° 2020/125 (Democracy Reporting International, 2021[13] ; Marsad Majlis, 2020[14]).
Pour l’heure, aucun projet ou proposition relatif à la réforme du cadre légal relative à la liberté de communication audiovisuelle et la mise en place de l’instance n’a été adopté. Par ailleurs, l’adoption d’une nouvelle loi organique établissant l’ICA en remplacement de la HAICA, conformément aux dispositions constitutionnelles, semble nécessaire et préférable à une révision du décret-loi n° 2011-116, qui demeure un texte transitoire.
4.2.2. Le droit d’accès à l’information
Le droit d’accès à l’information est inscrit dans la Constitution tunisienne, en ligne avec les bonnes pratiques de plusieurs pays membres et partenaires de l’OCDE. L’article 32 prévoit en effet que « l’État garantit le droit à l’information et le droit d’accès à l’information » et « œuvre à garantir le droit à l’accès aux réseaux de communication » (République tunisienne, 2014[2]).
Ce droit est consacré au profit des journalistes à l’article 10 du décret-loi n° 2011-115 relatif à la liberté de la presse, de l’impression et de l’édition cité précédemment, qui stipule que « le journaliste, au même titre que tout citoyen, a un droit d’accès aux informations, nouvelles données, et statistiques, il a le droit d’en obtenir communication auprès de leurs différentes sources selon les conditions, modalités et procédures prévues par le décret-loi n° 2011-41 du 26 mai 2011, relatif à l’accès aux documents administratifs des organismes publics, tel que modifié par le décret-loi n° 2011-54 du 11 juin 2011 »4 (République tunisienne, 2011[3]).
Pour traduire ces injonctions, le cadre légal et réglementaire constitue un facteur essentiel à l’ancrage et au maintien d’un environnement favorable à la pleine mise en œuvre du droit d’accès à l’information en Tunisie. La loi organique n° 2016-22 du 24 mars 2016 relative au droit d’accès à l’information établit un cadre ambitieux et particulièrement solide (République tunisienne, 2016[15]). À titre d’illustration, la Tunisie occupe la 14e place sur 134 pays dans le classement sur le droit d’accès à l’information élaboré par le Centre for Law and Democracy, qui évalue les cadres légaux et réglementaires relatifs à l’accès à l’information (Centre for Law and Democracy, 2021[16]). L’article 2 de la loi définit la large applicabilité de ce droit en Tunisie, en couvrant les branches exécutive, législative et judiciaire, et tous les niveaux de gouvernement, du central au local, y compris les instances indépendantes, les entreprises publiques, les entités privées gérant des fonds publics, etc. Le Chapitre 2 de la loi ouvre la voie à une ample publication proactive, alors que les Chapitres 6 et 7 créent de nouvelles responsabilités pour assurer la mise en œuvre du droit d’accès à l’information et son suivi (République tunisienne, 2016[15]). En outre, le principe de sa gratuité est établi dans le cadre légal, et les exceptions y sont clairement définies. La loi met également en place l’Instance nationale de l’accès à l’information (INAI), une instance indépendante, dotée de l’autonomie financière. Elle se compose d’un conseil de neuf membres assurant un mandat non renouvelable de six ans, et d’un secrétariat permanent. Les dispositions de la loi ont été complétées par la circulaire n° 19 du 18 mai 2018 du chef du gouvernement (Chef du gouvernement, 2018[17]) et le décret gouvernemental n° 2021-3 du 6 janvier 2021, qui concerne plus précisément les données gouvernementales ouvertes (Chef du gouvernement, 2021[18]).
La divulgation proactive des informations et données publiques désigne l’action de les publier régulièrement, sans qu’elles aient été demandées par des parties prenantes. Il s’agit d’une composante essentielle d’une plus grande transparence publique. Elle permet aux citoyens d’accéder directement aux informations, en évitant des procédures administratives qui peuvent parfois être longues ou coûteuses, voire dissuasives. Pour les administrations, la publication proactive peut contribuer à réduire la charge administrative liée au traitement et à la réponse aux demandes individuelles d’accès à l’information. En pratique, cela se traduit dans les législations nationales par des dispositions exigeant la divulgation proactive d’un ensemble d’informations et de jeux de données publiques par les organisations assujetties.
En Tunisie, l’article 6 de la loi organique n° 2016-22 et la circulaire n° 19 du 18 mai 2018 établissent la liste de 14 types d’informations à publier de manière proactive par l’ensemble des organisations assujetties à la loi sur leur site Internet, le portail des données ouvertes ou, pour certaines, au JORT :
Les politiques et les programmes d'intérêt public en relation avec les activités de l’organisation en question.
Une liste détaillée des prestations fournies au public, ainsi que les conditions et procédures pour y accéder.
Les textes juridiques et règlementaires régissant les activités de l’organisation, ainsi que les différents textes explicatifs.
Les attributions qui lui sont dévolues, son organigramme, l'adresse de son siège principal et de ses bureaux, les itinéraires pour s’y rendre, les informations de contact, et le budget alloué.
Les données relatives à aux programmes de l’organisation, notamment celles en rapport avec la réalisation de ses activités.
Une liste nominative des chargés d'accès à l'information, leurs suppléants, les différentes données relatives à leurs grades et emplois fonctionnels ainsi que leur information de contact.
La liste des documents disponibles en version électronique ou papier relatives aux prestations fournies et les ressources qui leurs ont été dévolues.
Les conditions d'octroi des permis et autorisations accordés par l’organisation.
Les marchés publics programmés, dont les budgets ont été validés et que l’organisation entend conclure ainsi que les résultats de leur mise en œuvre.
Les rapports des instances de contrôle conformément aux standards professionnels internationaux.
Les conventions relatives aux activités de l’organisation auxquelles l'État entend adhérer et qu’il compte ratifier.
Les données statistiques, économiques et sociales y compris les résultats des rapports de recensements statistiques détaillés.
Toute information relative aux finances publiques y compris les données détaillées relatives au budget au niveau central et régional, les données relatives à la dette publique et aux comptes nationaux, ainsi que la distribution des dépenses publiques et les principaux indicateurs des finances publiques.
Les informations dont elle dispose concernant les programmes et les services sociaux, notamment dans les domaines de l'emploi, de l'éducation, de la formation, de la sécurité sociale et de la couverture médicale.
En outre, la loi organique n° 2016-22 prévoit que « les organismes soumis aux dispositions de la présente loi doivent, d’une manière proactive, publier les informations ayant fait l’objet d’au moins deux demandes répétitives, pourvu qu’elles ne soient pas couvertes par les exceptions prévues par les articles 24 et 25 » (République tunisienne, 2016[15]).
Une autre composante importante d’un cadre légal et réglementaire promouvant la publication proactive réside dans la définition des lieux et de la manière dont l’information est publiée. En Tunisie, les sites Internet des ministères ou organisations assujettis sont plébiscités pour ce faire. Certaines informations sont également disponibles sur le portail des données ouvertes de la Tunisie (http://www.data.gov.tn/), à l’image des statistiques sociodémographiques et de recensement ou des comptes de la nation, ou encore publiées au JORT, comme la législation.
Pour faciliter la mise en œuvre, les lignes directrices pour la consolidation de la publication proactive figurent dans le décret gouvernemental du 6 janvier 2021 relatif aux données publiques ouvertes, et mentionnent que les informations publiées proactivement doivent l’être dans des formats ouverts, en permettant la réutilisation, et faire fréquemment l’objet d’actualisations, de révisions et de discussions quant à leur mise à jour (Chef du gouvernement, 2021[18]). En outre, elles prévoient :
l’anonymisation des données personnelles, tout en maintenant toutes les autres données
que la publication des données soit continue et ne puisse être interrompue que si l’organisme cesse de produire les données, tout en informant les utilisateurs de cette suspension de production via le portail national de données ouvertes
un processus de publication automatique des données lorsque leur extraction d’un système d’information est possible, tout en signalant au niveau des métadonnées qu’elles sont publiées automatiquement
l’interopérabilité entre les différents portails des organisations et le portail national de données ouvertes.
La législation tunisienne encadre également la divulgation réactive d’informations, qui consiste à fournir une information ou donnée publique à la suite d’une requête formulée par un tiers. Le droit d’accès à l’information publique en Tunisie est particulièrement étendu. Il est en effet possible à toute personne d’y recourir, qu’il s’agisse d’une personne physique ou morale, tunisienne ou étrangère (République tunisienne, 2016[15]). Néanmoins, la demande ne peut être anonyme. Le nom, le prénom et l’adresse de l’individu requérant, ou la dénomination sociale et le siège social lorsqu’une personne morale formule la requête, sont nécessaires, mais dans les deux cas, aucune preuve d’identification n’est exigée. La demande peut être formulée par courrier électronique, lettre recommandée ou en personne, auprès de l’organisation publique détentrice de l’information, selon un modèle commun à l’ensemble des administrations. Elle peut porter sur des informations publiques écrites, audio ou visuelles.
4.2.3. Le droit à la vie privée et la protection des données à caractère personnel
Cadre légal en vigueur
La Tunisie a été un pays pionnier dans le domaine de la protection des données à caractère personnel, qu’elle a érigé en droit constitutionnel dès 2002.5 L’article 24 de la Constitution du 27 janvier 2014 consacre le droit à la vie privée, ainsi que l’inviolabilité des données personnelles (République tunisienne, 2014[2]).
La Tunisie dispose également d’une loi sur la protection des données personnelles, la loi n° 2004-63, qui définit le champ d’application de la protection des données et met en place une commission nationale chargée de contrôler sa mise en œuvre, l’Instance nationale de protection des données personnelles (INPDP) (République tunisienne, 2004[19]). Le cadre légal est fondé sur les principes de transparence, de loyauté et de respect de la dignité humaine, et octroie des droits aux personnes dont les données sont traitées, tout en établissant des obligations pour les organismes et personnes en charge du traitement. Il met par exemple en place l’obligation de déclaration préalable auprès de l’INPDP pour toute opération de traitement des données personnelles (article 7) et consacre les principes de consentement de la personne dont les données sont traitées, ainsi que son droit d’accéder, de corriger, de modifier ou d’effacer ces données (République tunisienne, 2004[19]).
Si l’on peut saluer le caractère avant-gardiste de cette loi, qui était en 2004 la première loi relative à la protection des données à caractère personnel adoptée sur le continent africain et dans la région MENA, elle comporte néanmoins plusieurs lacunes, notamment du fait du contexte autoritaire dans lequel elle a été adoptée, mais également au regard des évolutions technologiques sans précédent qui ont eu lieu au cours des dernières années.6 Comme plusieurs lois relatives aux droits et libertés publics évoquées au Chapitre 3, le cadre légal relatif à la protection des données à caractère personnel gagnerait à être révisé et adapté à l’aune des nouveaux principes démocratiques adoptés dans le sillage de la révolution de 2011.
Ainsi, l’article 4 de la loi définit les données personnelles comme « toute information quel qu’en soit l’origine ou le moyen se rapportant à une personne physique qui peut être identifiée, directement ou indirectement, à l’exception de toute information relative à la vie publique ou considérée comme une vie publique par la loi » (République tunisienne, 2004[19]). Cette définition ne prend ainsi pas en compte le statut et la nature particulière des données collectées en ligne, qui sont aujourd’hui au cœur de la problématique de la protection des données à caractère personnel. Par ailleurs, au titre de la section 1 du Chapitre V de la loi, les traitements réalisés par les autorités publiques dans le cadre de la sécurité publique et de la défense nationale, pour la mise en œuvre de poursuites pénales ou si ces données « s’avèrent nécessaires à l’exécution des missions » dont les autorités sont investies, ne sont pas soumis aux dispositions précitées, telles que l’obligation de déclaration ou le droit d’accès pour les personnes dont les données sont traitées, ce qui ne favorise pas leur droit de consentement éclairé (Access Now, 2021[20] ; République tunisienne, 2004[19]).
En 2017, la Tunisie a également ratifié la Convention 108 du Conseil de l’Europe pour la protection des données à caractère personnel, ainsi que son protocole 108+ en 2019 (Conseil de l'Europe, 1981[21]). Plusieurs dispositions de la loi n° 2004-63 ont été modifiées ou abrogées par le simple fait de l’entrée en vigueur de ladite convention : c’est le cas des articles 53 et 54, qui faisaient bénéficier les structures publiques d’un régime dérogatoire, ou de l’article 16, qui faisait de même pour les employeurs. L’INPDP et les OSC ont salué la ratification de cette convention comme une avancée significative dans le sens d’un renforcement du cadre légal relatif à la protection des données personnelles en Tunisie, qui a permis dans un premier temps de pallier certaines des lacunes de la loi n° 2004-63 par l’applicabilité directe de la convention.7 Une véritable refonte de la loi sur la protection des données à caractère personnel semble cependant nécessaire, afin que la Tunisie se conforme pleinement à la Convention 108 et au protocole 108+ et puisse renforcer les garanties de protection.
Il existe également plusieurs exemptions et limites à la protection des données à caractère personnel, incluses dans d’autres textes de loi. Le décret n° 2001-2727 du 20 novembre 2001, fixant les conditions et les procédures d’utilisation des moyens ou des services de cryptage à travers les réseaux de télécommunication ainsi que les activités y afférentes (pris en application de l’article 9 du Code des télécommunications), soumet les activités de cryptage à une autorisation préalable du ministère de la Défense (article 4) (Ministère des Technologies de la communication, 2001[22]). L’article 87 du Code des télécommunications prévoit par ailleurs des amendes et peines de prison de six mois à cinq ans pour quiconque « utilise, fabrique, importe, exporte, détient en vue de la vente ou la distribution à titre gratuit ou onéreux ou met en vente ou vend les moyens ou les services de cryptologie ainsi que leur modification ou destruction en violation des dispositions du décret prévu à l’article 9 [du Code] » (République tunisienne, 2001[23]). L’interdiction du cryptage des données sans autorisation pose une limite à la protection de la vie privée et des données à caractère personnel. Le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression a en outre indiqué dans son rapport publié en 2016 que le chiffrement et l’anonymat jouent un rôle déterminant, car ils permettent aux individus, groupes et journalistes d’exercer leur droit à la liberté d’expression et d’opinion, ainsi qu’à la protection des sources à l’ère du numérique, et qu’ils méritent à ce titre une protection solide (Kaye, 2015[24]).
La loi n° 2004-63 crée en outre l’Instance nationale de protection des données personnelles (INPDP), dont le décret n° 2007-3003 du 27 novembre 2007 fixe les modalités de fonctionnement, qui est l’instance chargée de veiller au respect de ces dispositions en mettant en œuvre les moyens nécessaires à l’exercice de son mandat, tels que des manuels de procédures, des formations et des campagnes de sensibilisation (Présidence de la République, 2007[25]). Elle émet également des avis sur les projets de loi ayant un impact sur la protection des données personnelles. L’instance reçoit des plaintes qu’elle transmet à la justice, ne disposant pas elle-même de pouvoir judiciaire ou de sanction. Aucune plainte n’a cependant donné lieu à une décision de justice, en partie en raison de la saturation des tribunaux.8 L’instance est composée de 15 membres, dont un président choisi parmi les personnalités compétentes dans le domaine, deux représentants du pouvoir législatif, des représentants de différents ministères, un expert dans le domaine des technologies de la communication, un médecin, et un membre du Comité supérieur des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CSDHLF). Ces membres sont nommés par décret sur proposition du ministre chargé des Droits de l’homme pour une période de trois ans. Le travail de cette instance sera analysé plus en détail dans la seconde partie de ce chapitre.
Par ailleurs, la loi organique n° 2015-26 relative à la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent, modifiée et complétée par la loi organique n° 2019-9, comprend des dispositions concernant l’interception des communications et la surveillance audiovisuelle (République tunisienne, 2015[6]). L’interception des communications peut se faire sur décision motivée et écrite du procureur de la République ou d’un juge judiciaire pour une durée n’excédant pas quatre mois et renouvelable une fois seulement (article 54). Des conditions similaires s’appliquent pour la surveillance audiovisuelle, pour laquelle la durée est limitée à deux mois renouvelable une fois (article 61). La loi pénalise en outre la surveillance illégale, passible de cinq ans de prison (article 64 tel que modifié par la loi organique n° 2019‑9).
Projet d’amendement
Le gouvernement tunisien a approuvé en mars le projet de loi n° 2018/25 relatif à la protection des données à caractère personnel (Ministère de la Relation avec les Instances constitutionnelles et la société civile et des Droits de l'Homme, 2018[26]). Ce projet de loi reflète les principes clés de la Convention 108+, exigeant notamment que toute partie qui traite des données personnelles adhère aux principes de transparence, de sécurité et de respect de la dignité humaine (article 3). Il inclut l’identifiant et les activités en ligne, les informations telles que l’ordinateur et l’appareil d’accès à Internet, l’adresse de protocole (IP), les coordonnées GPS, l’adresse e-mail, ainsi que les données biométriques à la définition des données personnelles, et consacre le droit à l’oubli et au déréférencement (section 6). Le projet de loi renforce également l’architecture institutionnelle de la protection des données à caractère personnel, à travers la mise en place de chargés de protection des données personnelles au sein de chaque institution publique ou privée amenée à effectuer un traitement et employant plus de 50 agents ou traitant de données sensibles.
L’INPDP a fait programmer l’étude finale de ce projet au sein de la commission parlementaire à partir du 11 juin 2019, mais celui-ci est encore en attente d’adoption. L’INPDP et la société civile ont fortement milité et militent encore pour l’adoption en urgence de ce projet de loi, afin de doter la Tunisie d’un cadre légal solide garantissant pleinement la protection des données à caractère personnel.9
Enfin, un projet de loi relatif à la lutte contre les infractions des systèmes d’information et de communication a été élaboré en 2015 et déposé à l’ARP (Gouvernement tunisien, 2015[27]). Ce texte vise à renforcer les outils de lutte contre la cybercriminalité. L’adoption d’un cadre légal encadrant la lutte contre les crimes en ligne représente une opportunité de renforcer les garanties de sécurité et de protection des données sur Internet. Dans cet ouvrage, il est essentiel de veiller à une définition suffisamment précise des crimes et délits, limitant au maximum les marges d’interprétation, qui pourraient constituer un obstacle à la liberté sur Internet.10
4.2.4. L’Internet ouvert
Cadre légal en vigueur
L’article 32 de la Constitution du 27 janvier 2014 garantit le droit d’accès aux réseaux de communication. Cependant, la Constitution ne contient pas de dispositions spécifiques relatives à un Internet ouvert, défini comme des mesures prises par le gouvernement afin d’assurer le caractère libre, neutre et décentralisé d’Internet.
L’article 3 du Code des télécommunications reconnaît le droit de toute personne de bénéficier des services de télécommunications, qui comprend l’accès aux « services universels » des télécommunications sur l’ensemble du territoire tunisien, l’égalité d’accès et le libre choix du fournisseur selon la zone de couverture de chaque service (République tunisienne, 2001[23]).
Le décret n° 2014-4773 fixe les conditions et les procédures d’octroi d’autorisation pour l’activité des fournisseurs d’Internet, qui ont l’obligation d’obtenir une autorisation du ministère des Télécommunications (Ministère des Télécommunications, 2015[28]). Ce décret abroge le décret n° 97-501 précédemment en vigueur, qui faisait reposer sur les fournisseurs d’accès à Internet la responsabilité du contenu en ligne (Ministère des Télécommunications, 1997[29]). Au titre de l’article 14 du décret-loi n° 2014-4773, le fournisseur de services est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la neutralité de ses services, la confidentialité et l’intégralité des données transmises dans le cadre des services fournis, la protection, la sécurité et la confidentialité des données à caractère personnel, ainsi que le droit des abonnés à rectifier les données à caractère personnel (Ministère des Télécommunications, 2015[28]). Les fournisseurs de services Internet sont également tenus d’assurer la continuité des services, ainsi que de prendre les mesures nécessaires pour maintenir une qualité des services conforme aux normes en vigueur à l’échelle nationale et internationale.
Projet d’amendement
Le gouvernement tunisien a élaboré un Code du numérique qui a été approuvé en Conseil des ministres en décembre 2019 et déposé auprès de l’ARP, mais qui demeure dans l’attente d’un examen à l’ARP au moment de la rédaction de ce rapport. L’objectif de ce Code est notamment de répondre aux impératifs du développement de la société de l’information et de mettre en place un cadre propice au développement de l’économie numérique dans le pays.
En particulier, on peut saluer l’article 187 du projet de loi, au titre duquel l’État doit œuvrer à garantir le droit à un accès libre, transparent et non discriminatoire à Internet (Article 19, 2020[30]). Cependant, la seconde partie de l’article rappelle les impératifs de sécurité publique et de défense nationale, qui sont des termes larges et peu précis qui pourraient conduire à une limitation de ce droit sans justification précise. Le projet de Code du numérique contient également des dispositions relatives à la responsabilité des intermédiaires et fournisseurs de services vis-à-vis du contenu publié en ligne, qui affecteraient donc la liberté d’expression en ligne. Ainsi, au titre des articles 204, 205 et 206, les intermédiaires et hébergeurs ne sont pas responsables du contenu transmis ou hébergé – à moins qu’ils ne procèdent pas au retrait de ce contenu après une notification de son caractère illégal – et ne sont pas soumis à une obligation de suivi ou de surveillance du contenu. Il s’agit là de dispositions de nature à renforcer le caractère ouvert et libre d’Internet.
Cependant, d’après l’analyse de l’ONG Article 19, quelques dispositions amènent à s’interroger, notamment l’article 250, qui pénalise quiconque offense intentionnellement autrui ou perturbe son confort à travers les réseaux de télécommunication (Article 19, 2020[30]). Ces termes vagues et imprécis, qui rappellent l’article 86 du Code des télécommunications, pourraient constituer une base juridique pour limiter de manière injustifiée la liberté d’expression sur Internet.
4.3. Le cadre institutionnel : le rôle des instances indépendantes de régulation et de contrôle de la liberté de la presse et des droits numériques
La protection et la promotion des droits et libertés des médias et numériques passent nécessairement par un cadre institutionnel solide de régulation et contrôle du respect de ces droits. Dans ce domaine, la HAICA et l’INPDP représentent des atouts certains pour la Tunisie.
4.3.1. La Haute Autorité indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA)
Créée en vertu du décret-loi n° 2011-116, la HAICA, qui dispose de la personnalité juridique et de l’autonomie financière, est chargée au titre de l’article 6 de « garantir la liberté et le pluralisme de la communication audiovisuelle » en toute indépendance (République tunisienne, 2011[7]). Elle est composée de neuf membres sélectionnés selon une approche mixte, dont un juge judiciaire et un juge administratif, deux membres nommés par le président du Parlement, deux membres nommés sur proposition des organisations professionnelles les plus représentatives des journalistes, un membre nommé sur proposition des organisations les plus représentatives des propriétaires d’entreprises de l’information et de la communication, un membre désigné sur proposition des organisations professionnelles les plus représentatives des professions audiovisuelles non journalistiques, et un président nommé par décret par le président de la République parmi les membres de la HAICA, en consultation avec ces derniers. Le décret-loi met également en place un certain nombre de critères afin de renforcer l’indépendance et la neutralité des membres, qui ne peuvent par exemple avoir assumé des responsabilités gouvernementales ou politiques dans les deux années précédant leur nomination, détenir des parts et intérêts dans des entreprises d’informations et de communication (article 7) ou cumuler des mandats avec des responsabilités politiques ou de nature à mettre en péril leur neutralité (article 10).
Ces membres disposent d’un mandat de six ans, et un tiers est renouvelé tous les deux ans. Le mandat officiel des membres de la HAICA a pris fin en 2019, mais l’instance continue à remplir les missions essentielles qui lui ont été confiées dans l’attente de la mise en place de l’Instance de la communication audiovisuelle, conformément aux dispositions transitoires de l’article 148.8 de la Constitution, dont le processus est en cours mais peine à aboutir (voir Section 4.2.1).
La HAICA dispose de prérogatives étendues, notamment la définition des règles et règlements applicables au secteur audiovisuel, la prise de décision relative aux demandes d’octroi de licence pour la création et l’exploitation d’établissements de communication audiovisuelle, l’octroi des fréquences nécessaires, l’élaboration des termes de référence et les accords de licence pour les établissements de communication audiovisuelle, ainsi que leur conclusion et supervision. Elle a également le pouvoir d’émettre des sanctions à l’égard des chaînes de télévision et radio se trouvant en violation du décret-loi n° 2011-116, s’échelonnant de l’avertissement à une amende et à la suspension de la diffusion et de la licence octroyée. Enfin, elle détient un rôle consultatif dans l’élaboration de lois relatives à la liberté de communication audiovisuelle, peut agir comme force de proposition, et émettre des avis conformes concernant la nomination des directeurs généraux des établissements publics de la communication audiovisuelle.
La HAICA a joué un rôle de premier plan dans la régulation du secteur audiovisuel depuis l’élection de ses membres en 2013 (Klaus, 2015[31]). Elle effectue un travail indispensable de surveillance de la liberté de communication audiovisuelle, et contribue ainsi pleinement à la protection et à la promotion de l’espace civique.
Le décret-loi n° 2011-116 n’évoque pas la possibilité pour la HAICA de recevoir et traiter des plaintes déposées par des individus ou des organisations. Cependant, en juin 2021, la HAICA a mis en place une plateforme dédiée au dépôt de plaintes, qui permet à chacun de signaler les violations observées dans les médias audiovisuels (HAICA, s.d.[32]). D’après le rapport d’activité de l’autorité pour l’année 2018, 240 plaintes ont été reçues, dont 76 % par voie et électronique et 24 % directement au siège de l’instance (HAICA, 2020[33]). Ces plaintes concernent notamment, pour 28.7 % d’entre elles, des discours de haine et atteintes à la dignité humaine, pour 17.8 % des atteintes à la décence publique, pour 10.1 % la discrimination envers les femmes, et pour 9.3 % la neutralité des informations présentées (HAICA, 2020[33]). Les plaintes émanaient dans 93 % des cas d’individus, dans 5 % des cas d’institutions, et dans 2 % des cas de la société civile (HAICA, 2020[33]).
En outre, la HAICA entretient de bonnes relations avec les OSC, avec lesquelles elle a coopéré à plusieurs reprises et qu’elle associe régulièrement à ses activités. Elle a par exemple mis en place différents programmes de sensibilisation en coopération avec le SNJT sur la question de la désinformation et de la mésinformation.11
En raison du rôle déterminant qu’elle joue, la HAICA a été la cible de manière récurrente d’attaques verbales, de diffamation et de plaintes de la part de différents acteurs politiques au cours des dernières années, dans un contexte de polarisation croissante du champ politique.12 Dans son rapport pour l’année 2021, RSF a fait état de l’augmentation préoccupante des attaques à l’encontre de l’instance indépendante (Reporters sans frontières, 2021[34]). En avril 2021, le président de la HAICA a ainsi fait l’objet de poursuites judiciaires lancées par un député du parti Al-Rahma pour vol, infraction et tentative d’homicide, après qu’il a été décidé d’ordonner la réquisition du matériel de la radio du Quran Karim, qui avait joué un rôle dans la campagne électorale de ce député, pour motif de diffusion illégale (Orient XXI, 2021[35]). Cette plainte a donné lieu à la convocation du président de la HAICA par la police judiciaire. Cet épisode a par ailleurs été précédé, en décembre 2020, d’importantes protestations de partisans du parti devant le siège de l’instance, proférant notamment des accusations de blasphème, suite au refus d’accréditer la radio Quran Karim, considérée comme un instrument de propagande en faveur d’un parti politique, ce qui contrevient au cahier des charges établi par la HAICA (Reporters sans frontières, 2020[36]).
De plus, les entretiens menés dans le cadre de ce scan semblent indiquer que la mise en application des décisions de la HAICA serait insuffisante.13 En effet, les décisions prises par la HAICA relatives à la suspension des chaînes de télévision diffusant sans licence, notamment les chaînes de télévision Zitouna TV et Nessma TV, n’ont pendant longtemps pas été suivies d’effets. L’instance a décidé de retirer les licences de ces deux chaînes de télévision car elles contreviennent à l’interdiction de cumul de responsabilité politique et médiatique. Le fait que ces décisions n’aient pas eu de conséquences sur ces deux chaînes serait lié, selon certains des acteurs interrogés, à la protection politique dont elles jouiraient.14 La difficulté à faire exécuter ces décisions représente ainsi un obstacle important au rôle de régulateur de la HAICA. Une évolution a cependant été enregistrée au cours du mois d’octobre 2021, puisque plusieurs décisions de la HAICA ont finalement abouti à la fermeture et à la saisie du matériel des chaînes de télévision Zitouna TV et Nessma TV, ainsi que de la radio Quran Karim pour diffusion sans licence, après plusieurs sommations de cesser la diffusion illégale non suivies d’effet (Business News, 2021[37]). Par ailleurs, l’expiration et le non-renouvellement du mandat de ses membres en 2019 constituent des arguments importants pour ses détracteurs, qui contestent la légitimité de ses décisions et actions (La Presse, 2021[38]).15
Pour davantage soutenir les efforts de la HAICA et limiter les accusations de politisation, il est essentiel de veiller à l’application systématique de ses décisions. Dans l’attente de l’adoption d’un cadre légal relatif à l’Instance de la communication audiovisuelle, qui représente une étape essentielle pour la consolidation du cadre institutionnel de promotion de la liberté des médias, le renouvellement officiel du mandat de la HAICA permettrait également de renforcer sa légitimité. Enfin, comme pour les autres instances indépendantes, il est important de doter la HAICA des moyens budgétaires et humains suffisants pour remplir les missions qui lui sont confiées, en veillant à maintenir son indépendance.
4.3.2. L’Instance nationale de protection des données personnelles (INPDP)
L’INPDP est instituée par la loi n° 2004-63 (République tunisienne, 2004[19]). Elle est dotée de la personnalité morale et de l’autonomie financière.
L’INPDP dispose d’un certain nombre de prérogatives, telles que la gestion des autorisations et déclarations de traitement des données personnelles, l’élaboration de règles de conduite relatives au traitement des données, ou encore la définition des garanties indispensables et mesures appropriées pour la protection des données. L’INPDP joue également un rôle consultatif sur toutes les dispositions relatives à la loi sur la protection des données à caractère personnel, et participe aux activités de recherche, de formation et d’études dans ce domaine. Enfin, l’INPDP peut recevoir des plaintes relatives à la violation des dispositions de la loi et mener des enquêtes à la suite de ces plaintes ou sur autosaisine, et dispose de la possibilité de suspendre les autorisations de traitement ou de transmettre le dossier à la justice. L’instance ne peut cependant pas prendre d’autres sanctions administratives, telles que des amendes, alors que cela pourrait augmenter son champ d’action et les possibilités de redressement, par exemple pour des sociétés publiques ou privées qui opèrent un travail essentiel et dont l’autorisation de traitement ne peut donc être suspendue.16
L’INPDP est composée de quinze membres, dont un président choisi parmi les personnalités compétentes dans le domaine, deux membres de l’ARP, des représentants de la Présidence du gouvernement et des ministères de l’Enseignement supérieur, de l’Intérieur, de la Défense, des Technologies de la communication et de la Santé, deux magistrats judiciaires et deux magistrats administratifs, un membre du CSDHLF, et un expert en technologies de l’information et de la communication (INPDP, s.d.[39]).
Les entretiens menés ont en effet mis en avant le rôle joué par l’INPDP, ainsi que les efforts de coopération et d’engagement avec les acteurs de la société civile dans le cadre de ses missions, ce qui représente une bonne pratique.17 On peut ainsi citer les efforts de plaidoyer déployés par l’INPDP dans le domaine de la protection des données à caractère personnel, notamment à travers une importante présence médiatique.18 À titre d’exemple, l’INPDP et les associations Access Now et Al Bawsala ont travaillé ensemble sur des recommandations transmises à une commission parlementaire sur les modifications à apporter à un projet de loi relatif à la carte d’identité biométrique, jugé problématique du point de vue de la protection des données à caractère personnel. L’important travail de plaidoyer de ces trois organisations a abouti à des modifications substantielles du projet de loi, entraînant son abandon par le ministère de l’Intérieur, quelques heures seulement avant le débat au Parlement le 9 janvier 2018 (Inkyfada, 2018[40]).
L’INPDP, comme la plupart des instances indépendantes tunisiennes, gagnerait cependant à bénéficier de davantage de moyens, qui lui permettraient d’élargir son champ d’action et d’atteindre son plein potentiel. L’instance, qui a entamé ses activités en 2009 – soit cinq ans après l’adoption de la loi sur la protection des données à caractère personnel –, dispose d’un personnel à temps plein très réduit et d’un seul expert dans le domaine de la protection des données à caractère personnel, incarné par son président, en plus d’une experte en technologie de l’information et de la communication.19 Si l’INPDP dispose légalement de l’autonomie financière au titre de l’article 75 de la loi organique n° 2004-63, dans les faits, son budget est exclusivement octroyé par le gouvernement et dépend du ministère des Droits de l’homme.20 Ainsi, pour l’année 2017, l’instance a fonctionné sur un budget de 170 063 TND, somme qui, au regard des missions qui lui sont confiées, pourrait être revue à la hausse (INPDP, 2019[41]). Depuis le démarrage officiel de ses activités en 2009, l’INPDP n’a ainsi été en mesure de produire qu’un seul rapport d’activité, couvrant la période de 2009 à 2017.
Au vu de l’importance croissante de la question des données à caractère personnel, avec l’usage de plus en plus prégnant des technologies du numérique par les organismes aussi bien publics que privés, il semble essentiel de renforcer les capacités budgétaires et humaines de l’INPDP. Des ressources financières plus importantes permettraient à l’INPDP de recruter davantage d’experts et de spécialistes dans le domaine. À ce titre, un mode de coopération ou de détachement d’experts techniques issus du ministère des Technologies, de la société civile ou du milieu académique pourrait être une piste à explorer. Enfin, l’octroi à l’INPDP de la possibilité de mettre en place des sanctions administratives, en ligne avec les prescriptions de la Convention 108, représenterait un outil coercitif supplémentaire pour le respect des dispositions de la loi sur la protection des données à caractère personnel, notamment dans des cas où la suspension des activités de traitement n’est pas une option envisageable.
4.4. Les défis et opportunités pour le renforcement de la liberté de la presse et des droits numériques comme éléments essentiels de l’espace civique
Les médias et les journalistes jouent un rôle déterminant dans les sociétés ouvertes et démocratiques, et sont à ce titre des éléments essentiels d’un espace civique protégé et promu. Une presse libre, indépendante et plurielle participe pleinement à garantir la transparence et la redevabilité des gouvernements sur les politiques menées, et représente un outil indispensable aux citoyens pour accéder à une information variée, éclairant leur participation à la vie démocratique et nourrissant le débat public. Des études ont par ailleurs montré le lien entre une presse libre et la démocratie (Norris, 2008[42]), ainsi que celui entre une plus grande diffusion de la presse écrite, de la radio et de la télévision et des niveaux bas de corruption (Bandyopadhyay, 2009[43]). Les pays dans lesquels le public a accès à une presse libre jouissent également d’une plus grande stabilité politique et d’un meilleur respect de l’État de droit (Norris, 2008[42]).
4.4.1. Les pressions exercées sur la liberté de la presse
La liberté de la presse est un acquis indéniable de la révolution de 2011. Celle-ci et le nouveau cadre légal établi dans son sillage ont permis l’avènement d’un pluralisme et d’une presse libre dans le pays. La Tunisie est ainsi passée de la 164e place du classement de RSF en 2010 à la 73e place sur 180 pays en 2021 (voir Graphique 4.2), étant ainsi le pays le mieux classé de la région MENA (voir Graphique 4.1) (Reporters sans frontières, 2021[44]).21 Cependant, la Tunisie a perdu vingt-et-une places dans le classement de RSF pour l’année 2022, passant à la 94e place, ce qui traduit un certain recul de la liberté de la presse (Reporters sans frontières, 2022[45]).
Le nouveau climat ayant suivi la révolution a vu éclore un certain nombre de médias engagés et indépendants, qui opèrent un véritable travail d’investigation. On peut ainsi citer la plateforme collective indépendante Nawaat, fondée sous forme de blog en 2004 et bloquée en Tunisie jusqu’au 13 janvier 2011, qui s’intéresse à des thématiques telles que la démocratie, la transparence, la bonne gouvernance et les droits fondamentaux, le magazine d’investigation en ligne Inkyfada, fondé en 2014 et qui produit des enquêtes sur le temps long sur des sujets de société, ou encore, plus récemment, le média en ligne Meshkal, fondé en 2019, qui s’appuie en grande partie sur un travail bénévole, et qui publie en arabe et en anglais des reportages et entretiens sur différentes thématiques citoyennes.
Si la liberté dont jouit la presse tunisienne est indéniable et représente une bonne pratique dans son ensemble régional, les entretiens22 indiquent néanmoins que la société civile percevrait un certain recul au cours des dernières années et des derniers mois, ce que semble corroborer la stagnation puis la baisse du score de la Tunisie au classement de RSF. Des rapports élaborés par le SNJT dénombrent ainsi les différentes atteintes et attaques portées à la liberté de la presse, qui se seraient notamment multipliées à l’occasion des importants mouvements de protestation qu’a connus le pays au début de l’année 2021.
Ainsi, le rapport du SNJT sur la liberté de la presse pour la période de mai 2020 à avril 2021 recense 204 atteintes visant des journalistes (SNJT, 2021[47]). Il fait état de relations difficiles avec les nouvelles forces politiques en présence à l’ARP – et notamment certains partis politiques tels qu’Al Karama et le Parti destourien libre (PDL) – et appelle à la mise en place de mesures de politique publique pour préserver la démocratie. Ce rapport, comme celui pour l’année précédente, semble indiquer que les institutions publiques seraient les principaux acteurs limitant la liberté de la presse, notamment l’ISIE au cours de la période électorale de 2019 (SNJT, 2021[47]).
Dans le rapport annuel pour l’année précédente, couvrant la période de mai 2019 à avril 2020, le SNJT avait fait état de 193 atteintes à la liberté de la presse ayant touché 194 journalistes, un nombre plus élevé qu’en 2019 (139) et 2018 (162) (SNJT, 2020[48]). Parmi ces atteintes, 45 % ont par ailleurs eu lieu entre septembre et octobre 2019, ce qui correspond à la période des élections législatives et présidentielles. Il s’agit notamment d’agressions verbales et physiques, de menaces, d’intimidations et, pour la plus grande part, d’entraves au droit d’accès à l’information (103 pour la période étudiée). Si la majorité des incidents (124 pour la période étudiée) ont eu lieu sur le terrain, l’espace numérique est devenu, au cours des deux dernières années, un nouveau vecteur important des attaques contre les journalistes, notamment à travers des messages haineux ou de diabolisation, ou encore l’incitation à la haine contre des journalistes (SNJT, 2020[48]). Le rapport note par ailleurs que la nature des attaques différerait suivant le genre de la personne visée, les journalistes hommes étant attaqués sur leurs opinions (pour mécréance, par exemple), alors que les femmes semblent plus souvent attaquées sur leur vie privée.
Le SNJT recense dans ce rapport 8 attaques et tentatives d’intimidation de journalistes par appel téléphonique qui proviendraient de personnalités politiques ou de responsables gouvernementaux (SNJT, 2020[48]). Il dénombre également 13 gardes à vue ou citations à comparaître de journalistes devant des juges d’instruction. Le rapport note aussi une augmentation des atteintes provenant d’acteurs non institutionnels, notamment des attaques verbales. Malgré de nombreuses plaintes déposées pour atteinte à la liberté de la presse et agression contre des journalistes, aucune condamnation ne semble encore avoir été prononcée pour de tels faits.23
Ces tendances ont été exacerbées par la crise politique, économique et sanitaire qu’a connue le pays en 2021. Des OSC ont indiqué que des journalistes auraient subi des agressions dans le cadre de manifestations progouvernementales en mars 2021, et notamment des violences sexuelles à l’égard de journalistes femmes (Reporters sans frontières, 2021[49]). RSF a demandé l’ouverture d’une enquête pour ces faits graves, qui semblent traduire une dégradation du climat de la liberté de la presse en Tunisie. De même, la fermeture du bureau du média qatarien Al Jazeera à Tunis, au lendemain de l’annonce de l’état d’exception du 25 juillet 2021 (voir Encadré 3.5 du chapitre 3), ont soulevé des préoccupations quant au respect de la liberté de la presse dans ce contexte (Reporters sans frontières, 2021[50]). Des faits de violence à l’encontre de journalistes de la part aussi bien des forces de sécurité que de manifestants ont été rapportés dans les médias et dans des communiqués d’OSC au cours des mois ayant suivi cette décision (Reporters sans frontières, 2021[51] ; Kapitalis, 2021[52]). Dans ce cadre, le SNJT et des organisations de défense des droits humains ont appelé à préserver la liberté de la presse et les droits et libertés publics. De même, plusieurs organisations de défense de la liberté de la presse ont publié, en septembre 2021, un communiqué commun dénonçant les attaques croissantes et les campagnes de harcèlement visant des journalistes, notamment à travers des campagnes de diffamation et la diffusion de données et d’informations personnelles (SNJT et al., 2021[53]).
Face à ce contexte, le SNJT a joué un rôle de premier plan. Le syndicat s’est d’ailleurs montré très actif dans la défense de la liberté de la presse et des droits des journalistes de manière plus large (voir Encadré 4.2).
Encadré 4.2. Le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), un acteur indépendant de premier plan dans la défense de la liberté de la presse
Le SNJT a été fondé officiellement le 13 janvier 2008, mais des groupements de journalistes constituant le socle de ce que serait la future organisation ont commencé à opérer dès les années 60.
Le SNJT se définit comme une organisation syndicale indépendante, professionnelle et démocratique, qui lutte, entre autres, pour les droits matériels et moraux des journalistes et pour la liberté d’opinion et d’expression. Il opère un important travail de plaidoyer en faveur de la liberté d’expression et de la presse, ainsi que pour les droits économiques des journalistes, et produit un rapport annuel sur l’état de la liberté de la presse en Tunisie, qui recense les différentes atteintes au cours de l’année écoulée. Le SNJT s’est également illustré à travers la publication de nombreux communiqués, individuels ou au sein de coalitions avec d’autres OSC, dénonçant toute limitation indue de la liberté d’expression ou de manifestation.
La vitalité du SNJT, qui représente une force mobilisatrice très importante dans le contexte tunisien et qui a été en mesure – à travers sa mobilisation et son plaidoyer – d’influer sur les décisions du gouvernement relatives au secteur des médias, est un indicateur positif de l’état de la liberté de la presse en Tunisie, et témoigne du rôle indispensable d’organisations syndicales et de la société civile dans la défense, la protection et la promotion des droits et libertés de l’espace civique.
Source : (SNJT, 2021[54]).
Alors que les atteintes à la liberté de la presse semblent en augmentation et afin de renforcer la protection des journalistes, la Tunisie pourrait s’inspirer des bonnes pratiques récemment mises en place par plusieurs pays de l’OCDE face à des défis similaires (voir Encadré 4.3). La mise en place de campagnes de communication et d’information publiques sur l’importance des médias et le rôle crucial des journalistes en démocratie pourrait également permettre de sensibiliser à la fois l’administration et le public.
Encadré 4.3. Bonnes pratiques pour la protection des journalistes
Face au niveau croissant de menaces qui pèsent sur les journalistes dans les pays de l’OCDE, plusieurs pays ont élaboré des politiques dédiées pour protéger les journalistes. Au niveau de l’Union européenne (UE), la Commission européenne a adopté en septembre 2021 une recommandation à l’intention des États membres, afin qu’ils adoptent une approche ciblée pour mieux protéger les journalistes dans l’UE (Commission européenne, 2021[55]). Dans le cadre de l’élaboration de cette recommandation, la Commission européenne a lancé une consultation publique, ainsi que différentes consultations ciblées des parties prenantes. Le Royaume-Uni a publié le premier plan d’action national visant à protéger les journalistes contre les abus et le harcèlement, qui contient des mesures de formation pour les policiers et les journalistes, et des engagements de la part des plateformes de médias sociaux et des services judiciaires à prendre des mesures sévères contre les agresseurs, notamment en répondant rapidement aux plaintes pour menaces à la sécurité des journalistes (Gouvernement du Royaume-Uni, 2021[56]). Quant aux Pays-Bas, ils ont mis en place des programmes de soutien spéciaux pour les journalistes, les juges, les procureurs et les avocats, lorsqu’ils sont confrontés à des menaces de violence ou des tentatives d’intimidation.
Les entretiens semblent indiquer un défaut d’application du cadre légal, pourtant considéré comme largement en ligne avec les normes internationales et apportant des garanties solides de la liberté de la presse.24 Ainsi, face à l’absence de peine de privation de liberté pour les discours non violents dans le décret-loi n° 2011-115 (conformément aux normes internationales en matière de liberté d’expression et de la presse), plusieurs journalistes ont été jugés au titre de dispositions du Code pénal ou du Code des télécommunications.25 Un journaliste a ainsi été condamné par contumace à deux ans de prison ferme en avril 2020 pour « outrage et diffamation à l’encontre d’un fonctionnaire public lors de l’exercice de sa fonction » au titre de l’article 125 du Code pénal pour des propos tenus sur la chaîne de télévision Nessma TV, puis à un an de prison ferme en juillet 2020 après avoir demandé à être jugé de nouveau (IFJ, 2020[58]). Si la peine a finalement été commuée en huit mois de prison avec sursis en août 2020, cette affaire a soulevé l’inquiétude des organisations défendant la liberté de la presse et notamment du SNJT, qui a qualifié la situation de « dérive dangereuse » pour la liberté d’expression (SNJT, 2020[59]). Ces pratiques entrent en contradiction avec le décret-loi n° 2011-115, qui stipule en son article 13 qu’un journaliste ne peut « être tenu pour responsable en raison de ses fonctions que s’il est établi qu’il a violé les dispositions du présent décret-loi » (République tunisienne, 2011[3]).
Face à la problématique de l’utilisation de dispositions du Code pénal ou d’autres lois différant du Code de la presse, le SNJT a été en mesure de coopérer avec la Cour suprême autour de la question du danger de l’instrumentalisation de la justice pour limiter la liberté de la presse (SNJT, 2020[48]). Dans ce cadre, quatre séances de sensibilisation auprès de juges et de journalistes ont été organisées dans quatre provinces du pays (El Kef, Gafsa, Médenine et Bizerte). Le gouvernement tunisien et le ministère de la Justice en particulier pourraient renforcer ces efforts de coopération avec les organisations de défense de la liberté de la presse, afin de mettre en place des formations et sensibilisations conjointes à l’adresse du personnel du secteur judiciaire. Cela permettrait de veiller à ce que les journalistes soient exclusivement jugés au titre du décret-loi n° 2011-115 en cas d’abus de la liberté d’expression par voie de presse, et non au titre du Code pénal ou du Code des télécommunications. De manière plus générale, il est important de continuer à enquêter, poursuivre et demander des comptes aux responsables de violences contre les journalistes et autres communicateurs de manière rapide et efficace.
4.4.2. Les défis relatifs au secteur des médias
Le modèle économique du secteur médiatique tunisien et sa viabilité
Les enjeux du financement de la presse privée, notamment écrite, se posent avec une acuité particulière. Après une augmentation importante du nombre de journaux publiés au lendemain de la révolution, un grand nombre a rapidement été contraint à la fermeture, faute d’un modèle économique viable. Ainsi, le nombre de publications papier est passé de près de 228 juste après la révolution à environ 50 en 2017 (Richter et Kozman, 2021[60]).
D’après certains acteurs du secteur, la presse tunisienne peine à trouver un modèle économique adapté, entre un système traditionnel fondé sur les revenus publicitaires et lié au milieu des affaires, de nature à influencer la ligne éditoriale, et les fonds liés à la coopération internationale, qui ne permettent pas d’assurer la pérennité sur le long terme des médias (Le Monde, 2018[61]). La libéralisation du secteur des médias à partir de 2011 a par ailleurs coïncidé avec la transition numérique et la crise qu’elle a engendrée dans de nombreux pays (Klaus et Koch, 2017[62]). La Tunisie a ainsi été confrontée à la double nécessité de s’adapter à un nouveau contexte de liberté de la presse, après des décennies d’un secteur contrôlé en grande partie par le gouvernement, et à une transformation en profondeur du secteur. Le financement de la presse tunisienne repose encore aujourd’hui en grande partie sur les revenus publicitaires, qui ont eu tendance à baisser au cours des dernières années et ont été affectés par la crise sanitaire. La presse papier connaît, comme dans beaucoup d’autres pays, une crise économique d’autant plus importante que la baisse du lectorat, qui se tourne de plus en plus souvent vers des médias en ligne et en accès libre, a un impact négatif sur son attractivité pour les investissements publicitaires, et induit donc une baisse concomitante de deux sources de revenus importantes, à savoir les abonnements ou ventes directes et les revenus publicitaires.
Concernant les médias en ligne, leur part du marché publicitaire demeure faible par rapport aux médias audiovisuels, avec moins de 5.2 % en 2019, malgré une augmentation de 24.5 % par rapport à l’année précédente, l’étude citée ne prenant pas en compte le cas de Google, Apple, Facebook et Amazon (GAFA) (Zargouni, 2020[63]). Les données d’audience ou de fréquentation par les usagers pourraient gagner en fiabilité, en raison de l’absence d’un institut de mesure de l’audience et faute de publication par les médias en ligne de leurs données de fréquentation, ce qui affecte négativement leur capacité à attirer des investisseurs publicitaires (Al Khatt ; RSF, 2016[64]). La culture de l’abonnement payant pour un contenu de qualité en ligne peine à s’installer en Tunisie, privant le secteur de la presse électronique d’une source de revenus importante, qui permettrait de plus de limiter le poids de la publicité dans le financement, et ainsi de renforcer l’indépendance éditoriale des médias. Le journal papier Le Temps a cependant lancé en mai 2021 une version numérique payante, Le Temps News, devenant ainsi le premier média généraliste à faire ce choix en Tunisie (Tunisie numérique, 2021[65]).
Afin de répondre à plusieurs de ces problématiques, le gouvernement, à travers le ministère des Affaires sociales, et plusieurs organisations syndicales et professionnelles du secteur médiatique ont signé en janvier 2019 une convention collective cadre (Webmanager, 2019[66]). Celle-ci concerne principalement les droits économiques, sociaux et moraux de tous les acteurs du secteur médiatique (presse écrite, électronique, audio et audiovisuelle, agence de presse et de publication), et met en place des garanties telles le droit de se syndiquer, le droit à un salaire minimum de 1 400 TND pour les journalistes, des possibilités de formation continue rémunérée, mais également une clause de conscience permettant aux journalistes de quitter leurs fonctions en cas de changement important de la ligne éditoriale. Malgré les avancées importantes apportées par cette convention collective pour lutter contre la précarité économique du secteur, et ainsi renforcer la liberté de la presse, celle-ci doit encore être publiée au JORT et n’est ainsi pas entrée en vigueur au moment de la rédaction de ce scan. Le SNJT avait déposé une plainte auprès du tribunal administratif pour non-publication de l’accord au JORT et avait obtenu gain de cause, mais le gouvernement n’a pas donné suite (ni contestation de la décision ni publication). Cette situation a entraîné des protestations et un appel à la grève en décembre 2020, suspendu à la suite de nouvelles discussions entre le SNJT et le gouvernement, qui s’est engagé à respecter un délai de deux mois pour publier la convention au JORT et mettre la législation en conformité avec ses dispositions. Au moment de la rédaction de ce scan, la convention n’a pas encore été publiée.
En outre, la publicité publique et les abonnements de l’État peuvent représenter une source importante de revenus pour les entreprises médiatiques, et constituer en ce sens un levier déterminant de soutien financier au secteur (Article 19, 2020[67]). C’est particulièrement pertinent dans un contexte de baisse des revenus publicitaires privés et de la vente des journaux papier. Cependant, puisque l’aide étatique aux médias pourrait également constituer un moyen de pression de nature à modifier la ligne éditoriale d’un média, il est important de disposer d’un cadre légal et réglementaire garantissant la transparence de l’octroi de ces aides et subventions, et mettant en place des critères objectifs (Article 19, 2020[67]).
Le gouvernement tunisien a ainsi élaboré le projet de loi n° 2019/03 portant création d’une Agence nationale de gestion de la publicité publique et des abonnements, qui a été déposé à l’ARP en janvier 2019, et qui attend d’être adopté.26 Ce projet concerne uniquement le secteur de la presse écrite, papier ou électronique, et non le secteur de l’audiovisuel. S’il peut constituer une initiative importante pour le soutien de la presse, plusieurs de ses dispositions demeureraient vagues, et des associations ont fait état de l’insuffisance des garanties de transparence, de neutralité et d’équité dans l’octroi de subventions sous forme de publicité publique ou d’abonnement, ainsi que de l’indépendance de l’Agence. La Tunisie pourrait ainsi tenter de réviser ce projet de loi, afin de définir avec plus de précision les critères d’octroi de publicité publique et s’assurer d’en faire un véritable vecteur de soutien à une presse libre, indépendante et pluraliste, tout en la préservant des ingérences politiques. L’utilisation, par le passé, des crédits publicitaires par l’ATCE comme moyen de pression sur le secteur des médias appelle en effet à mettre en place des mécanismes institutionnels de contrôle solides et transparents, garantissant la liberté de la presse.
Par ailleurs, certains médias tunisiens ont réfléchi, avec succès, à l’élaboration de modèles alternatifs de financement, permettant d’assurer leur pérennité et leur stabilité tout en préservant l’indépendance éditoriale (voir Encadré 4.4).
Encadré 4.4. Le média d’investigation Inkyfada, un modèle économique innovant
L’association Al Khatt
Face à la problématique de la pérennité financière des nouveaux médias en ligne et la nécessité de garantir leur indépendance, le média d’investigation Inkyfada a mis en place un modèle économique innovant, afin de soutenir son activité journalistique à travers d’autres activités génératrices de revenus.
L’association à but non lucratif Al Khatt a été fondée en 2013 au titre du décret-loi n° 2011-88 par une équipe de journalistes, développeurs et graphistes, avec pour but « d’intervenir sur les plans national, régional et international pour développer et renforcer la liberté de la presse, le droit à l’information et à son accès pour tous » (Al Khatt, 2013[68]). D’après ses statuts, l’association Al Khatt mène des actions visant à :
développer et promouvoir la liberté de la presse et la liberté d’expression ;
œuvrer pour une information indépendante, de qualité et utile pour le citoyen ;
innover et réinventer le rapport entre les créateurs de contenu informatif et le citoyen ;
créer des outils technologiques au service de l’information, de la participation citoyenne et de l’accès à l’information ;
œuvrer pour l’éducation aux médias et pour la formation aux techniques de production de contenu informatif.
Un modèle innovant de financement d’un média indépendant
Le média d’investigation Inkyfada, qui a vu le jour en 2014, est le projet phare de l’association mère Al Khatt, financé exclusivement par l’association. Inkyfada se définit comme un média indépendant à but non lucratif, s’inscrivant au service de l’intérêt public et collectif (Inkyfada, 2021[69]). Il s’est notamment illustré à travers plusieurs enquêtes et travaux d’investigation ayant eu pour certains une résonance internationale importante, tels que l’affaire des Panama Papers, ou ayant entraîné une forte réaction au sein de la société civile et du gouvernement tunisiens, à l’image d’une série d’articles relatifs aux déchets illégaux italiens importés à Sousse en 2021.
L’association Al Khatt a mis en place un modèle de financement visant une diversification des sources et une recherche de pérennisation et de stabilisation sur le long terme, en réduisant progressivement sa dépendance aux bailleurs de fonds internationaux (GIJN, 2020[70]). Ainsi, en 2019, Al Khatt est parvenu à générer plus de 65 % de son budget de 1.5 million TND à travers des services prodigués à d’autres médias, tels que des formations, le développement de sites Internet ou encore le graphisme. Inkyfada dispose en effet d’un département dédié à la recherche et au développement, Inkylab, qui développe des outils adaptés aux besoins spécifiques des journalistes, afin de faciliter l’intégration de contenus au site Internet, service également proposé à d’autres organismes et médias.
Les 35 % restants sont financés par des dons de bailleurs internationaux soutenant le processus de transition démocratique en Tunisie, tels que l’Open Society Foundation ou encore Media Support International. Inkyfada a ainsi mis en place un modèle économique alternatif aux modèles traditionnels fondés sur la publicité – dont les perspectives pour un média en ligne demeurent de toute façon assez limitées –, qui lui permet d’assurer son indépendance éditoriale vis-à-vis d’intérêts politiques ou financiers, et ainsi de mener des enquêtes de fond impliquant différents acteurs du champ politique, médiatique et des affaires.
Le modèle adopté par l’association Al Khatt et son projet médiatique Inkyfada pourrait servir de point de départ et d’inspiration à d’autres expériences médiatiques en Tunisie et dans d’autres pays. Il permet en effet d’assurer l’autonomie, l’indépendance et la pérennité financière de médias qui font partie intégrante de toute démocratie et participent pleinement à nourrir le débat public.
Comme dans de nombreux pays, la fragilité financière du secteur de la presse a par ailleurs été exacerbée en raison de la crise sanitaire du COVID-19. En réaction, en juin 2020, le décret-loi n° 2020-30 a mis en place des mesures exceptionnelles de soutien au secteur médiatique dans le cadre de la crise sanitaire : 1) l’allocation de crédits dans la limite de 5 millions TND pour l’appui du plan de communication de l’État, destiné à faire face aux répercussions de l’application des mesures de prévention de la propagation du COVID-19, ainsi qu’à l’appui du secteur privé des médias ; et 2) la création d’un fonds de 5 millions TND relevant du budget de l’État, pour financer un programme de mise à niveau du secteur et l’appuyer pour une meilleure intégration dans la transition digitale (République tunisienne, 2020[71]). Le SNJT a remis en cause ces mesures car elles constitueraient un soutien aux entreprises médiatiques et non aux journalistes précarisés, et pourraient de plus bénéficier de davantage de transparence.
Certaines organisations de défense de la liberté de la presse ont par ailleurs critiqué sur plusieurs aspects le décret gouvernemental d’application n° 2020-865 du 20 novembre 2020, relatif aux conditions et procédures de bénéfice des aides ponctuelles au profit du secteur privé de l’information pour faire face aux répercussions de l’application des mesures de prévention contre la propagation du COVID-19 (Présidence du gouvernement, 2020[72]). Tout d’abord, elles ont mis en avant les critères purement administratifs retenus pour l’octroi de ces aides, qui ne tiennent pas compte par exemple de variables telles que le respect de l’éthique journalistique (Article 19, 2020[73]). Par ailleurs, aucune information sur la mise en œuvre effective de toutes ou certaines de ces mesures n’a été communiquée dans la presse. Dans un communiqué publié en juillet 2021, la HAICA a d’ailleurs estimé que le gouvernement n’avait pas respecté les principes d’équité et de transparence dans l’octroi d’aides financières au secteur des médias dans le cadre de la réponse à la crise sanitaire (HAICA, 2021[74]). Il est important que toute initiative d’aide octroyée au secteur de la presse soit discutée au préalable avec les représentants des journalistes, afin de prendre en compte leurs soucis et priorités, et qu’elle soit conçue et mise en œuvre de manière transparente.
Afin de soutenir la viabilité du secteur médiatique, essentiel à un écosystème démocratique sain et propice à la mise en œuvre de politiques de gouvernement ouvert, la Tunisie pourrait explorer différentes formes de soutien financier au secteur des médias tant publics que privés, s’inspirant de certaines mesures et bonnes pratiques mises en place par plusieurs pays de l’OCDE (voir Encadré 4.5).
Encadré 4.5. Exemples de mesures visant à soutenir les médias
Les évolutions technologiques récentes ont eu une incidence profonde sur le paysage médiatique, les modèles économiques établis et les modes de consommation de l’information, ce qui a amené les pouvoirs publics à repenser les moyens de soutenir les médias. Plusieurs pays ont pris des mesures concrètes visant à favoriser la diversité de l’écosystème médiatique. On relèvera les suivantes :
La France a adopté plusieurs mesures d’aide à la presse, notamment une année d’abonnement gratuit, offerte par l’État, à tous les jeunes dès l’âge de 18 ans, des aides publiques directes et indirectes, et des subventions à la presse sous la forme d’allègements fiscaux pour les organes de presses et les donateurs privés (Chrisafis, 2009[75]).
En Suède, le gouvernement finance les journaux provinciaux pour assurer la pluralité d’opinion sur le marché des médias (Nord, 2013[76]).
L’Autriche a établi un ensemble de lignes directrices, en vertu desquelles le gouvernement subventionne les journaux qui fournissent des informations d’ordre politique, économique et culturel (Greenwell, 2017[77]).
La Norvège actualise ses programmes de subvention et envisage de fixer un prix minimum pour les journaux (Schiffrin, 2017[78]).
Dans le cadre de son budget 2019, le Canada a adopté un train de mesures fiscales d’un montant de 595 millions CAD (dollars canadiens) pour lutter contre les pertes d’emplois croissantes dans les médias d’information. Ces mesures visent les organisations journalistiques canadiennes qualifiées (OJCQ) et leur permettraient de bénéficier d’un crédit d’impôt remboursable de 25 % sur les salaires versés aux journalistes, et offriraient par ailleurs un crédit d’impôt sur le revenu aux Canadiens qui s’abonnent à des services d’information numérique (Pinkerton, 2019[79]).
Le pluralisme des médias tunisiens
Le pluralisme dans les médias a un impact direct sur l’espace civique, en ce sens qu’il permet à diverses opinions et sources d’information d’être représentées et de contribuer au débat national. Au contraire, la concentration des médias peut entraver les discussions équilibrées et contradictoires, et mettre en avant un point de vue unique, pouvant entraîner une polarisation de la société et des conflits sociétaux.
La Tunisie jouit actuellement d’un certain pluralisme, au moins quantitatif. La création de nouveaux médias, en ligne et hors ligne, est aujourd’hui un processus libre, et de nombreux journaux ont vu le jour au lendemain de la révolution, même si une part importante d’entre eux a cessé de paraître depuis, du fait de difficultés économiques. De même, au niveau des médias audiovisuels, la Tunisie compte aujourd’hui une dizaine de chaînes de télévision (dont deux publiques) et près de vingt et une stations de radio (dont onze publiques) diffusant dans plusieurs régions du pays, auxquelles s’ajoutent des médias privés passant par d’autres réseaux de diffusion et les médias associatifs (Richter et Kozman, 2021[60]).27
La multiplication des supports médiatiques et la libéralisation du secteur intervenues soudainement ont cependant entraîné un certain nombre de défis relatifs à la mise en place d’un véritable pluralisme « qualitatif » des opinions – que l’on distingue d’un pluralisme quantitatif –, ainsi qu’à la prégnance des intérêts politiques dans le secteur, mis en avant lors des entretiens.28 Ainsi, malgré un nombre important de nouveaux acteurs, la scène médiatique est dominée par des discours similaires, et l’expression de groupes sous-représentés ou marginalisés – tels que les femmes des milieux ruraux ou encore les minorités religieuses, ethniques, raciales ou de genre – pourrait être plus audible et visible dans les médias généralistes.29
Par ailleurs, comme vu précédemment, le cadre légal mis en place par les décrets-lois n° 2011-115 et n° 2011-116 contient des dispositions visant à limiter la concentration de la propriété des médias. Cependant, dans la pratique, les schémas de propriété de certains médias pourraient gagner en transparence, comme l’ont mis en avant Al Khatt et RSF dans leur enquête, estimant que les données disponibles ne sont pas suffisantes pour juger du degré de concentration réel de propriété des médias (Al Khatt ; RSF, 2016[64]).
Les schémas actuels de propriété des médias semblent cependant indiquer une forte proximité entre les sphères politiques et médiatiques, malgré l’interdiction du cumul des mandats au titre de l’article 9 du cahier des charges mis en place par la HAICA.30 Ainsi, en 2016, sur dix chaînes de télévision recensées, six ont une affiliation politique directe ou indirecte (Al Khatt ; RSF, 2016[64]). On peut en particulier citer la chaîne Nessma TV, dont le fondateur et PDG Nabil Karoui a fait partie des instances dirigeantes du parti Nidaa Tounes, avant de créer son propre parti et de se porter candidat aux élections présidentielles de 2019, le cas de la chaîne de télévision Hannibal TV, dont le fondateur Larbi Nasra a revendu ses parts afin de se lancer en politique, ou encore les chaînes Zitouna TV puis Zitouna Hidaya, lancées par Oussama Ben Salem, un cadre du parti Ennahdha, avant qu’il ne revende ses parts pour s’adapter aux exigences de la HAICA (Al Khatt ; RSF, 2016[64]). Les affiliations politiques de ces différents médias ont par ailleurs été particulièrement visibles dans le contexte des élections présidentielles et législatives de 2019, ce dont la HAICA fait état dans son rapport relatif à la couverture de l’élection présidentielle, qui recense plusieurs infractions dans les médias audiovisuels, dont cinq cas de publicité politique pour un candidat spécifique sur les chaînes Nessma TV et Zitouna TV, ainsi que sur la radio Al Quran al Karim, propriété d’un membre du parti politique Errahma (HAICA, 2019[80]). De la même manière, le rapport de la HAICA concernant la couverture médiatique des élections législatives indique un temps de parole parfois inégal accordé à certains partis politiques (HAICA, 2019[80] ; HAICA, 2019[81]).
C’est dans ce contexte que, au cours de l’année 2021, les journalistes tunisiens se sont mobilisés avec succès à plusieurs reprises, afin de dénoncer le poids des intérêts politiques sur les nominations à la tête d’entreprises médiatiques et de préserver leur indépendance (voir Encadré 4.6).
Encadré 4.6. Les journalistes tunisiens mobilisés contre l’influence des intérêts politiques dans la sphère médiatique
En Tunisie comme dans de nombreux pays de l’OCDE et dans le monde, la nomination des personnes à la tête des médias publics est du ressort des autorités publiques. Le 6 avril 2021, un ancien collaborateur de l’Agence tunisienne de communication extérieure (transformée en outil de propagande du régime de Ben Ali, dissoute en 2011) et PDG de la radio Zeitouna FM – réputée proche du parti Ennahdha – a été nommé par le Chef du gouvernement à la tête de l’agence publique Tunis Afrique Presse (TAP) (La Presse, 2021[82]). Face à ce profil controversé et une nomination jugée politique, le SNJT et l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) ont lancé un appel à la grève, et les journalistes de la TAP ont occupé les locaux en signe de protestation (Webmanager Center, 2021[83]). Après l’intervention des forces de police afin d’accompagner le nouveau chef exécutif de la TAP dans ses bureaux, émaillée de faits de violence à l’encontre des journalistes présents, le gouvernement a finalement renoncé à cette nomination (La Presse, 2021[84] ; Business News, 2021[85]). De la même manière, la nomination d’une journaliste à la tête de la radio Shems FM (qui fait partie des « biens confisqués » par l’État après la révolution et dont le statut juridique demeure en attente de régularisation) a été fortement dénoncée et contestée par les journalistes de la radio et le SNJT, la poussant à la démission (L'Économiste maghrébin, 2021[86] ; Tunisie numérique, 2021[87]). Les journalistes dénonçaient en particulier l’absence de compétence managériale de la candidate, dans un contexte de nécessaire restructuration de la radio.
Plusieurs enseignements peuvent être tirés de ces deux événements médiatisés au cours de l’année 2021. D’une part, ils témoignent du fait que, malgré d’importants progrès en vue de préserver le secteur des médias des intérêts politiques et partisans, la question de la nomination de personnes à la tête des entreprises médiatiques liées à des intérêts politiques demeure problématique et appelle le gouvernement à une attention accrue afin de s’assurer du caractère transparent, impartial et indépendant des nominations effectuées, en consultation avec les parties prenantes concernées (Orient XXI, 2021[35]). D’autre part, la forte mobilisation des journalistes, syndicats et OSC, qui sont parvenus par la médiatisation de ces affaires et des mouvements de grève à annuler les nominations décriées, témoigne de la vigilance et de la vitalité de la société civile tunisienne pour la protection de la liberté de la presse, ainsi que des résultats probants qu’elle peut apporter.
De plus, le rapport élaboré par la HAICA sur le pluralisme politique dans les émissions télévisées à la suite de la mise en place d’un état d’exception le 25 juillet 2021 semble mettre en avant un manque de diversité des opinions et courants de pensée exprimés, ainsi qu’une surreprésentation des voix favorables aux décisions présidentielles (HAICA, 2021[88]).
La tentative d’autorégulation du secteur de la presse écrite
À la différence du secteur de l’audiovisuel, il n’existe pas d’autorité indépendante de contrôle pour le secteur de la presse écrite, papier ou numérique. Face à la nécessité de mettre en place un modèle d’autorégulation du secteur, de nature à garantir son indépendance tout en répondant aux nombreuses problématiques actuelles auxquelles la presse écrite fait face, le Conseil de la presse a été mis en place en septembre 2020. Cet organe a vocation à jouer le rôle d’une « cour d’honneur des journalistes » et à défendre la liberté de la presse, à garantir le droit du public à l’information, à adopter de bonnes pratiques journalistiques, ainsi qu’à renforcer le principe d’« autorégulation » et l’éthique journalistique parmi les journalistes et les institutions des médias en Tunisie (Article 19, 2020[89]). Il s’agit d’une composition tripartite réunissant des représentants de journalistes, des propriétaires de médias et la société civile. Les membres du Conseil de la presse ont été nommés par le SNJT, la Fédération tunisienne des directeurs de journaux (FTDJ), le Syndicat général des médias – affilié à l’UGTT –, la Chambre syndicale pour les propriétaires de télévisions privées et la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH). Des organisations de défense de la liberté de la presse ont salué la mise en place du Conseil comme « une étape fondamentale dans le processus de réforme », et les entretiens ont montré une adhésion importante à cette initiative, qui pourrait en quelques années, avec des moyens suffisants, constituer une force positive et un acteur déterminant du secteur (Article 19, 2020[89]).31 Il s’agit également d’un exemple intéressant d’autorégulation, qui diffère en ce sens du modèle adopté en Tunisie pour le secteur de l’audiovisuel, et pourrait inspirer d’autres approches, afin de renforcer la déontologie et le professionnalisme d’un secteur en pleine transformation. Cependant, au moment de la rédaction de ce rapport, le Conseil de la presse ne dispose pas de siège, de locaux ou de budget pour remplir le mandat qui lui a été confié.32 Les membres du Conseil, désignés en septembre 2020, travaillent bénévolement. Il serait ainsi opportun d’apporter un soutien financier et logistique au Conseil, tout en garantissant son entière indépendance. En effet, il représente un organe intéressant d’autorégulation du secteur de la presse, pouvant apporter une réponse aux défis prégnants actuels, tels que la déontologie journalistique, les questions de la désinformation et de la mésinformation, ou encore le discours de haine dans les médias.
L’importance d’une politique médiatique du pays
Malgré un effort de réforme louable et indispensable, qui a répondu aux impératifs de rétablir le respect des droits de l’homme et a permis de placer les principes de la démocratie au cœur des évolutions du champ légal, le gouvernement doit encore mettre en œuvre une politique publique relative à la presse et à l’audiovisuel, et mettre fin aux blocages des différents projets de loi relatifs à la mise en place de l’Instance de la communication audiovisuelle. Ainsi, les différents acteurs du secteur ont dû faire face au bouleversement induit, d’une part, par la libéralisation du secteur à la suite de la révolution et, d’autre part, par la transition numérique que connaît le secteur de la presse dans beaucoup de pays, sans infrastructures et cadres définis (Chouikha, 2013[1]). Il n’existe pas en Tunisie de véritable politique publique relative aux médias, depuis la suppression du ministère de la Communication en charge de la gestion du secteur, qui a alors été transférée à la Présidence du gouvernement sans préciser l’organe en charge. Une véritable réflexion sur cette thématique semble cependant indispensable, afin de répondre aux nombreux défis, communs à beaucoup de pays, relatifs à la liberté de la presse et à l’évolution des modes de production et de consommation de l’information à l’ère du numérique. Ces problématiques ont par ailleurs été exacerbées par la crise sanitaire, qui a mis à mal un secteur déjà fragilisé et qui peine à trouver un modèle de développement stable. La réflexion autour d’une politique publique médiatique devrait répondre à la question de la liberté de la presse, mais également aux enjeux de formation et de déontologie des professionnels du secteur, ainsi qu’à la problématique essentielle d’un modèle économique permettant l’éclosion et la pérennité d’une presse véritablement pluraliste et indépendante des intérêts politiques et économiques.
Dans ce sens, un accord signé en décembre 2020 à l’occasion des discussions menées entre le ministère des Affaires sociales et des organisations représentatives de la presse et de l’édition prévoit l’organisation d’une conférence nationale sur les politiques publiques dans le secteur de l’information. D’après les entretiens menés,33 l’organisation de cette conférence a pris du retard du fait de la crise sanitaire, mais demeurait à l’ordre du jour en juillet 2021 ; le SNJT et la HAICA ont organisé un atelier préparatoire le 20 décembre 2021 (Webmanager Center, 2021[90]). Une telle conférence représente l’opportunité de s’assurer de la participation de toutes les parties prenantes au dialogue, et ainsi de mettre en place un cadre solide de réforme des politiques publiques du secteur des médias en Tunisie. Il serait également important de définir clairement les responsabilités institutionnelles dans l’appui à la presse tout en veillant à conserver l’indépendance de ce secteur.
4.4.3. Les opportunités et les défis relatifs au droit d’accès à l’information
Promouvoir la transparence est un prérequis pour permettre aux citoyens de faire entendre leur voix de manière informée, et de contribuer à la définition des priorités, au suivi des actions gouvernementales et à un dialogue éclairé sur des décisions qui affectent leur vie. Dans cette perspective, le droit d’accès à l’information est un facteur essentiel pour augmenter la transparence de l’administration publique.
De manière générale, l’accès à l’information constitue un des secteurs dans lesquels la Tunisie a réalisé des progrès notables pendant sa transition démocratique, et un des acquis de la révolution de 2011. En un temps limité, en plus d’un cadre légal en ligne avec les normes internationales – à travers l’adoption de la loi organique n° 2016-22 –, le pays a mis en place de nombreuses initiatives pour faire progresser l’accès à l’information et aux données publiques, y compris la création d’une instance indépendante, l’Instance nationale d’accès à l’information (INAI) – qui reçoit et traite régulièrement des recours –, la nomination de chargés d’accès à l’information dans les structures publiques, ainsi que l’élaboration d’outils et de campagnes de sensibilisation.
Plusieurs portails de données ouvertes existent en Tunisie, à l’image du site dédié du ministère de l’Intérieur, de celui des Transports et de celui de l’Agriculture. Cette pratique est en ligne avec la disposition 7 de la Recommandation du Conseil de l’OCDE sur le Gouvernement Ouvert, pour en accroître la portée et la réutilisation, ainsi que l’impact de l’information. Elle précise que les données et les informations divulguées doivent être claires, complètes, actuelles, fiables, pertinentes, gratuites et disponibles dans un format ouvert et non propriétaire lisible par machine, qu’elles doivent être faciles à trouver, à comprendre, à utiliser et à réutiliser, et diffusées par le biais d’une approche multicanale, dont la priorité doit être établie en consultation avec les parties prenantes (OCDE, 2017[91]).
Cependant, il ressort des entretiens que, si les OSC accroissent leur usage des procédures de demande d’accès à l’information, les médias les emploient encore peu.34 Les journalistes indiquent en effet que les délais pourraient être raccourcis ou que le traitement des requêtes pourrait être facilité, ce qui est aussi le cas dans de nombreux pays de l’OCDE (OCDE, 2021[92]). Les échanges semblent montrer que la procédure de demande d’accès, voire de recours, crée des délais difficilement compatibles avec le temps médiatique.35 Ces leviers sont donc peu utilisés, compte tenu de l’immédiateté de la couverture médiatique tunisienne et par manque d’acculturation à la loi et d’habitude de déposer un recours auprès de l’INAI. Le SNJT a néanmoins proposé des formations et manuels de procédures sur ces mécanismes.
Certaines initiatives ou procédures menées par des organes de presse ont cependant permis des avancées du droit d’accès à l’information. Elles ont surtout pris la forme de procédures longues, nécessitant un recours auprès de l’INAI et une décision de sa part pour ouvrir certaines informations au public. C’est le cas des démarches entreprises par une journaliste indépendante et par le média d’investigation en ligne Inkyfada pour accéder aux données des ministères de l’Intérieur et de la Justice (voir Encadré 4.7).
Encadré 4.7. Les démarches de journalistes et organes de presse tunisiens pour l’accès à l’information
En octobre 2018, la journaliste indépendante Amel Mekki a obtenu gain de cause auprès de l’INAI à la suite d’une plainte déposée contre le ministère de l’Intérieur, face au refus de ce dernier de répondre à une demande d’accès à l’information relative à des statistiques et la répartition géographique des personnes fichées S17.1 Il s’agit de la première affaire en Tunisie dans laquelle une journaliste a déposé plainte et obtenu gain de cause auprès de l’INAI.
Elle a été suivie, en mai 2020, par une autre décision de l’INAI en faveur d’Inkyfada, dans une affaire l’opposant au ministère de la Justice et concernant les données relatives à la loi d’amnistie des fonctionnaires. Le ministère a déposé un recours auprès du tribunal administratif quant à la décision de l’INAI et l’affaire est encore en cours.
1. La procédure des fichés S17 est une procédure de fichage d’individus induisant des restrictions importantes de la liberté de circulation, mise en place dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et qui a fait l’objet de plusieurs rapports d’OSC, qui remettent en cause son opacité et l’absence de procédure judiciaire.
Source : (Inkyfada, 2021[93]).
L’accès effectif à l’information, même encore peu utilisé, demeure un enjeu pour les journalistes en Tunisie. Inkyfada a publié en mars 2021 un article relatif aux demandes effectuées par ce média au cours de l’année passée (Inkyfada, 2021[93]). Sur 119 demandes adressées à diverses institutions de janvier 2019 à fin 2020, 66 auraient fait l’objet d’une réponse. La moitié d’entre elles seraient intervenues hors délais (au-delà des 20 jours prévus par la loi organique n° 2016-22) et plus de la moitié (35) auraient présenté des réponses incomplètes, comme des éléments datés et n’étant plus pertinents pour des demandes effectuées dans le cadre de la pandémie de COVID-19.
Le gouvernement doit s’assurer que tous les individus, et les journalistes en particulier, peuvent accéder aux informations utiles et pertinentes, pour garantir qu’ils peuvent pleinement jouer leur rôle de suivi de l’action publique. Face à la rapidité du temps médiatique, qui souvent ne concorde pas avec les délais définis par la loi, il serait opportun de renforcer la publication proactive de l’information, notamment sur des sujets d’actualité et pour lesquels les données évoluent rapidement, par exemple les chiffres liés à la pandémie de COVID-19. Pour soutenir l’ancrage d’un cadre légal de promotion de la publication proactive, le gouvernement pourrait continuer à mettre en place des formations spécifiques et des activités de sensibilisation à l’intention des organes assujettis par la loi, soulignant l’importance et l’impact de la divulgation proactive.
En outre, afin d’encourager le public en général, et plus particulièrement les médias, à utiliser le droit d’accès à l’information, il pourrait être envisagé de mener des consultations avec divers organes de presse et d’aller au-delà des organisations médiatiques les plus importantes, pour faciliter la compréhension des informations qui seraient utiles aux médias et identifier la forme la plus adaptée. L’établissement de relations solides et pérennes entre le gouvernement, l’INAI et les journalistes, les OSC et les universitaires aiderait tous les acteurs à prendre conscience des types d’informations disponibles et à explorer les moyens de les publier de manière pertinente et accessible. L’INAI gagnerait ainsi à renforcer les efforts de sensibilisation et de formation des journalistes concernant le droit d’accès à l’information.
La cartographie des organisations auprès desquelles il est possible de demander des informations publiques est un facteur essentiel au renforcement de l’effectivité du cadre légal. En théorie, les demandes peuvent être formulées auprès d’un très grand nombre d’organisations tunisiennes assujetties à la loi. Il s’agit d’un levier crucial de transparence dans la vie publique. Cependant, dans les faits, l’INAI estime à plus de 7 000 le nombre d’organisations entrant dans le champ de la loi, ce qui représente un défi considérable en matière de suivi. Par conséquent, début 2021, l’INAI était en mesure de suivre seulement 849 de ces organismes.36 En outre, certaines administrations n’ont pas encore pu se doter d’outils numériques comme un site Internet ou un portail en ligne, qui permettent de formuler les demandes ou d’accéder aux informations rendues publiques par ce biais.
Assurer une cartographie et une catégorisation (par exemple, ministères, juridictions, instances indépendantes, municipalités, entreprises publiques, etc.) régulièrement mises à jour des organisations couvertes par la loi aidera non seulement au suivi de la mise en œuvre, en permettant des actions de relance, de soutien et de renforcement des compétences auprès des catégories qui en ont le plus besoin, mais également à la création d’une émulation entre organismes tunisiens. À plus long terme, une telle cartographie ou un tel tableau de bord pourra être enrichi par des taux et délais de réponse aux demandes ou de publication proactive des informations et données publiques tunisiennes par catégorie et/ou par institution assujettie, à titre d’exemple.
4.4.4. La désinformation et la mésinformation
En Tunisie, comme dans beaucoup de pays, la diffusion croissante de fausses nouvelles a été identifiée par les analyses de l’OCDE comme un des défis majeurs posés au processus démocratique, à la liberté de la presse et à un débat public sain (Matasick, Alfonsi et Bellantoni, 2020[94]).37 Si le phénomène de la désinformation et de la mésinformation est devenu une préoccupation majeure à l’aune de la crise sanitaire du COVID-19, il n’est cependant pas nouveau, et plusieurs acteurs l’ont mis en avant en Tunisie au cours des années passées, notamment dans le cadre de campagnes électorales.
Il existe actuellement, dans le cadre légal tunisien, des dispositions pouvant constituer la base légale de la répression de la désinformation et la mésinformation. Comme indiqué dans le Chapitre 3 (voir Section 3.2.1), l’article 245 du Code pénal et l’article 55 du décret-loi n° 2011-115 pénalisent en effet les faits de diffamation, qui peuvent dans certains cas particuliers être assimilés à de la désinformation et de la mésinformation. L’article 54 du décret-loi n° 2011-115 punit quant à lui d’une amende la diffusion de fausses nouvelles « de nature à porter atteinte à la quiétude de l’ordre public » (République tunisienne, 2011[3]). Prenant appui sur cet arsenal juridique pénalisant la diffusion de fausses nouvelles ainsi que le crime d’offense au chef d’État, deux internautes ont été condamnés en 2018 à six mois de prison ferme pour avoir propagé une fausse rumeur concernant le décès du président de la République, en utilisant le logo d’un média reconnu (Jeune Afrique, 2018[95]).
Par ailleurs, une proposition de loi portant sur la criminalisation des fausses informations, et prévoyant de lourdes sanctions contre les contrevenants, a été déposée par un groupe de parlementaires de l’ARP en mars 2020 (La Presse, 2020[96]). Cette proposition de loi consiste à amender les articles 245 et 247 du Code pénal, en définissant la diffamation électronique comme « toute diffusion de discours mensongers ou douteux entre les usagers des réseaux électroniques et les utilisateurs des plateformes de réseaux sociaux, dans le but de nuire à des individus, à des groupes ou à des institutions » (La Presse, 2020[96]). De nombreuses OSC et organisations de défense des droits humains ont mis en garde contre les risques contenus dans cette formulation, qui pourrait tendre à limiter davantage la liberté d’expression sur Internet, sans pour autant fournir de moyens efficaces de lutte contre la désinformation et la mésinformation. Si la forte mobilisation de la société civile a poussé au retrait de la proposition de loi (L'Économiste maghrébin, 2020[97]), cette dernière semble relever d’une tendance à adopter une approche répressive et pénale face aux phénomènes de la désinformation et de la mésinformation. Il conviendrait cependant de trouver un équilibre, afin de lutter contre ces phénomènes tout en s’assurant de préserver la liberté d’expression et la liberté de la presse. Ainsi, des alternatives à une approche pénale existent, comme le démontrent plusieurs initiatives de vérification des faits mises en place en Tunisie, avec une importante dimension pédagogique et d’éducation aux médias (voir Encadré 4.8).
Encadré 4.8. Quelques initiatives tunisiennes visant à lutter contre la désinformation et la mésinformation
Face à la prolifération des informations fausses, notamment sur les réseaux sociaux, et en particulier à l’occasion des échéances électorales, différents acteurs institutionnels ou de la société civile ont mis en place plusieurs initiatives. L’objectif est de proposer des plateformes de vérification de l’information à disposition du public, d’opérer un travail pédagogique sur ces thématiques et, enfin, de proposer une alternative aux approches pénales de la lutte contre la désinformation et la mésinformation.
Nawaat Fact-check
Le média indépendant en ligne Nawaat a lancé Nawaat Fact-check en mars 2020, dans le contexte de la crise sanitaire du COVID-19, une rubrique dédiée à la vérification de l’information. Il y publie en arabe, en anglais et en français des articles confirmant ou infirmant, à l’appui de sources fiables, des déclarations faites par des personnalités publiques ou encore les informations diffusées sur les réseaux sociaux, afin de combattre le phénomène de désinformation amplifié par la crise sanitaire (Nawaat, 2020[98]).
TuniFact
TuniFact est un site spécialisé dans la vérification de l’information et la lutte contre la désinformation et la mésinformation, lancé en juin 2021 par le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) dans le cadre d’un projet commun avec l’organisation de coopération internationale Hivos. Les objectifs affichés sont les suivants :
Développer la vérification des faits (le fact-checking).
Renforcer la confiance dans le journalisme et contribuer à une presse de qualité.
Lutter contre les politiques de manipulation et de diffusion de fausses informations.
Consolider la fonction de contrôle exercée par la presse.
Les informations sont classées selon quatre catégories : vrai, faux, trompeur, non pertinent. Une courte notice relative à chaque information retrace par ailleurs la méthodologie de vérification de cette information adoptée par les journalistes, ce qui renforce l’aspect pédagogique de cette initiative et participe à la sensibilisation du public ainsi qu’à l’éducation aux médias. Au moment de la rédaction de ce rapport, la page Facebook de cette initiative, plus alimentée que la plateforme elle-même, compte plus de 36 000 abonnés et est très active, postant quotidiennement plusieurs publications relatives à la vérification de faits et nouvelles (Tunifact, 2021[99]).
Tunisia Check News
Tunisia Check News est une initiative mise en place par la HAICA en 2019, avec le concours des journalistes des médias publics (télévision nationale, radio nationale, agence Tunis Afrique Presse).
Ce projet de vérification des informations diffusées sur Internet s’appuie sur des procédés de vérification techniques et de terrain, à travers un guide de procédures.
Les objectifs affichés de ce projet sont les suivants :
Lutter contre la propagation sur Internet et les réseaux sociaux de campagnes de désinformation et de mésinformation, ou d’information malveillantes.
Lutter contre tout discours de haine, dont l’objectif est de créer de la confusion et d’exacerber les divisions au sein de la société.
Promouvoir, auprès des médias et du grand public, les bonnes pratiques à adopter en période électorale en matière de diffusion de l’information.
Contribuer à la création d’un réseau de médias nationaux pour lutter contre la désinformation dans les médias et sur les réseaux sociaux en période électorale et au-delà.
Si cette plateforme est relativement active, la consultation des articles postés demeure limitée (dépassant rarement les 100 vues). Elle gagnerait dont à être davantage diffusée (Tunisia Check News, 2019[100]).
En tant qu’organe régulateur du secteur des médias audiovisuels et garant de la liberté d’expression, la HAICA s’est également intéressée à cette question et a mis en avant la nécessité de renforcer la résilience des médias face à la désinformation, en leur fournissant les outils nécessaires pour faire face à ce phénomène, notamment dans l’espace numérique et sur les réseaux sociaux. La HAICA a ainsi organisé des formations à l’adresse d’un certain nombre de journalistes de radios associatives sur les mécanismes et méthodes de traitement des fausses nouvelles (HAICA, 2020[101]). Avec le soutien du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne, elle a également élaboré un guide à l’adresse des journalistes sur la vérification de l’information. Celui-ci apporte un éclairage sur les phénomènes de la désinformation et de la mésinformation, ainsi que des exemples de bonnes pratiques mises en place par différents médias, institutions et plateformes en Tunisie et dans le monde. Il présente également des méthodologies et outils concrets de vérification de l’information diffusée sur les réseaux sociaux, tels que des programmes de retraçage de sources d’images ou de vidéos diffusées sur les réseaux (HAICA, 2021[102]). La Tunisie pourrait également s’inspirer de la stratégie adoptée par le Royaume-Uni dans ce domaine (voir Encadré 4.9).
Encadré 4.9. La réponse institutionnelle du Royaume-Uni aux phénomènes de la désinformation et de la mésinformation
Le gouvernement britannique a mis en place et élaboré un certain nombre de structures et de lignes directrices pour répondre aux phénomènes de la désinformation et de la mésinformation, notamment l’Unité de réponse rapide (URR ; en anglais, Rapid Response Unit, RRU), le cadre RESIST et une formation pour comprendre le phénomène de la désinformation.
L’Unité de réponse rapide – Dans le cadre de sa réponse en matière de communication publique, le gouvernement britannique a mis en place l’URR, afin de concentrer les efforts de surveillance et de réponse dans l’ensemble de l’administration. L’URR est rattachée au Cabinet Office, et est chargée de coordonner et d’aider tous les départements à suivre et à concevoir des réponses à la désinformation dans leurs domaines de compétences.
La boîte à outils contre la désinformation RESIST – Les services de communication du gouvernement britannique ont développé la boîte à outils RESIST, afin d’aider les communicants du secteur public, les responsables politiques, les cadres supérieurs et les conseillers spéciaux à élaborer des réponses à la désinformation. Cette boîte à outils propose aux services les bonnes pratiques pour suivre, évaluer et contrer la désinformation. Elle est accessible au public à l’adresse suivante : https://gcs.civilservice.gov.uk/courses/understanding-disinformation-in-partnership-with-gcsi/.
Comprendre la désinformation – Le Government Communication Service International (GCSI) propose un programme de formation sur la façon de « reconnaître et répondre à la désinformation en tant que communicant gouvernemental ». Ce cours est accessible à tous les employés de GCSI. Les six modules du cours sont publiés chaque semaine, les participants pouvant suivre les leçons à leur propre rythme.
Source : (Gouvernement du Royaume-Uni, 2021[103]).
La Tunisie pourrait soutenir les initiatives déjà mises en place par la HAICA, le SNJT et la société civile pour lutter contre la mésinformation et la désinformation, en s’appuyant également sur la communication publique de manière stratégique afin de prévenir la diffusion des rumeurs. Pour ce faire, les autorités publiques pourraient s’inspirer des Principes de bonnes pratiques de l’OCDE sur les réponses de communication publique pour lutter contre la mésinformation et la désinformation (voir Encadré 4.10).
Encadré 4.10. Principes de bonnes pratiques de l’OCDE sur l’utilisation de la communication publique contribuant à lutter contre la mésinformation et la désinformation
L’OCDE a développé des principes de bonnes pratiques sur l’utilisation de la communication publique pour lutter contre la mésinformation et la désinformation, dans un effort pour renforcer la contribution de la communication publique dans la réponse aux enjeux émergents et pour restaurer la confiance dans l’écosystème de l’information. Ces dix principes visent à favoriser une communication publique :
1. transparente ;
2. inclusive ;
3. à l’écoute ;
4. menée à l’échelle de l’ensemble de la société ;
5. institutionnalisée ;
6. mue par l’intérêt général ;
7. fondée sur des éléments probants ;
8. rapide ;
9. préventive ;
10. tournée vers l’avenir.
Ces principes ont pour objectif de :
compiler des données concrètes sur la communication publique et les interventions connexes des pouvoirs publics contribuant à lutter contre la mésinformation et la désinformation, et à s’attaquer aux difficultés sous-jacentes ainsi qu’aux sources de défiance vis-à-vis de l’information ;
susciter un débat pluridisciplinaire autour des mesures qui ont permis de relever le bas niveau de confiance des citoyens dans l’information provenant des sources officielles et traditionnelles ;
contribuer à orienter les interventions des pouvoirs publics dans le sens d’une mobilisation des organisations de la société civile, du secteur privé et des individus en faveur d’écosystèmes des médias et de l’information faisant progresser l’ouverture, la transparence et l’inclusion, et, in fine, qui accentuent la confiance dans les institutions publiques et renforcent les démocraties ;
donner des conseils pratiques en matière d’initiatives internationales visant à promouvoir la confiance dans la vaccination contre le COVID-19 en tant que mesure essentielle pour vaincre la pandémie.
Sources : (OCDE, à paraître[104]) OCDE, Principles of Good Practice for Public Communication Responses to Help Counter Mis- and Disinformation, Éditions OCDE, Paris.
4.4.5. Les défis relatifs à la protection et la promotion des droits numériques et de l’« Internet ouvert » en Tunisie
Les activités des citoyens et des OSC se sont progressivement déplacées vers les réseaux sociaux et Internet, créant ainsi ce qui peut être appelé un « espace civique en ligne ». Consciente de l’importance que revêt un internet ouvert, l’OCDE mène de longue date des travaux dans ce domaine dans le cadre du Comité de la politique de l'économie numérique. C’est dans ce contexte que le Conseil de l’OCDE a adopté en 2011 la Recommandation du Conseil sur les principes pour l'élaboration des politiques de l'Internet, qui appelle les États signataires à « promouvoir le caractère ouvert, distribué et interconnecté de l’Internet », et qu’ont par la suite été élaborés les Principes pour l'élaboration des politiques de l'Internet pour soutenir les pays dans cet ouvrage (OCDE, 2011[105] ; OCDE, 2014[106]). L’Observatoire de l’espace civique de l’OCDE contribue à ces efforts à travers ses travaux visant à analyser l’évolution de l’espace civique et en particulier des droits et libertés à l’ère numérique.
Le niveau de numérisation d’un pays, tout comme sa manière de traiter les questions de culture numérique et de fracture numérique revêtent ainsi une importance accrue, dans le but de s’assurer que les citoyens disposent de tous les outils nécessaires pour vivre une vie numérique positive, protégée et productive (OCDE, 2020[107]).
Si le cadre légal ne définit pas explicitement d’obligation légale à ce sujet, la Tunisie jouit dans les faits d’un Internet ouvert, sans censure ou blocage de la part des autorités, ainsi que d’un accès libre aux réseaux sociaux, tels que Facebook, Twitter ou YouTube (Freedom House, 2020[108]).
De plus, d’après une enquête menée par l’Institut national des statistiques tunisiennes, 66.6 % des individus utilisaient Internet en 2019 (soit une progression de 2.4 % par rapport aux données de l’année 2018). D’après la même enquête, 90 % des personnes interrogées utilisaient Internet pour accéder aux réseaux sociaux, ce qui constitue le premier type d’activité effectuée sur Internet, contre 39.8 % pour échanger des messages électroniques ou encore 18.1 % pour obtenir des informations auprès d’administrations publiques (Ministère des Technologies de la communication, 2019[109]). Parmi les raisons évoquées expliquant l’absence de connexion à Internet dans un foyer, seul 1.8 % des personnes interrogées met en cause l’indisponibilité dans la zone du ménage, 11.6 % parlent du prix trop élevé des équipements, et 76 % indiquent ne pas avoir besoin d’Internet. La Tunisie dispose ainsi globalement d’une couverture Internet satisfaisante et à des prix relativement abordables (Freedom House, 2020[108]). Cette question revêt un caractère important en Tunisie, alors que les réseaux sociaux, et Facebook en particulier, représentent des espaces d’expression et de communication privilégiés aussi bien par la population que par le gouvernement (Belhadj et Zaghdoudi, 2020[110]).
Dans ce contexte, la création par décret de l’Agence technique des télécommunications (ATT) (décret n° 2013-4506 du 6 novembre 2013) a soulevé de nombreux débats et a fait craindre un retour de la censure de l’Internet, en place sous le régime de Ben Ali (Ministère des Technologies de l'information et de la communication, 2013[111]). Le principal mandat de cette agence consiste en effet à fournir un appui technique aux investigations judiciaires sur les crimes dans le secteur de l’information et de la communication, par exemple en assurant une coordination avec les opérateurs du réseau des télécommunications publiques ou en faisant fonctionner les systèmes de contrôle du trafic national des télécommunications. Ainsi, c’est l’absence de cadre légal définissant ces crimes au moment de la mise en place de l’agence – et toujours d’actualité au moment de la rédaction de ce rapport – qui a suscité des inquiétudes au sein de la société civile. Aucun acte de censure n’a toutefois été relevé à ce jour (OCDE, 2019[112]).
Par ailleurs, s’il n’existe pas en Tunisie de censure et limites formelles au contenu, les entretiens et des rapports d’organisations de défense des droits de l’homme semblent noter une augmentation préoccupante des poursuites pénales pour des propos tenus sur Internet et sur les réseaux sociaux.38 Des rapports d’ONG telles qu’Amnesty International ont indiqué que le Code pénal et le Code des télécommunications avaient été utilisés afin d’engager des poursuites contre des individus pour des propos tenus sur Internet, notamment des cas de dénonciation publique de faits de corruption ou de critique de l’action du gouvernement dans le cadre de la crise sanitaire (Amnesty International, 2020[113]). Un blogueur et activiste a par exemple été arrêté en avril 2020 pour avoir diffusé en direct sur Facebook une vidéo de manifestations devant la mairie de la ville de Tebourba, à l’ouest de la capitale, et poursuivi aux titres des articles 316 (pour bruit et tapage de nature à troubler la tranquillité des habitants) et 128 (relatif au fait d’imputer à un fonctionnaire public ou assimilé des faits illégaux en rapport avec ces fonctions sans en établir la véracité) du Code pénal (Daaji et Menia, 2020[114]). Amnesty International a recensé au moins 40 blogueurs, administrateurs de pages Facebook populaires, activistes et défenseurs des droits humains poursuivis entre 2018 et 2020, notant une « intolérance croissante à la critique » (Amnesty International, 2020[115]).
Les cas reportés, qui concernent des blogueurs citoyens ne disposant ainsi pas de carte professionnelle et n’étant pas en mesure de faire valoir les dispositions du décret-loi n° 2011-115, permettent par ailleurs de faire état des limites de ce cadre légal, qui pourrait davantage protéger les journalistes citoyens et les personnes effectuant un travail de veille démocratique et d’information du public en dehors du cadre professionnel. Ils sont pourtant des acteurs essentiels de la protection de l’espace civique et de la promotion de la bonne gouvernance. La Tunisie pourrait ainsi envisager, dans le contexte d’approfondissement du cadre légal relatif à l’espace civique, de mettre en place des garanties et protections supplémentaires de la liberté d’expression pour ce type d’acteurs.
4.4.6. Les défis relatifs à la protection des données à caractère personnel
La confidentialité et la protection des données à caractère personnel sont des éléments essentiels d’un espace civique protégé, car elles contribuent à créer les conditions permettant aux citoyens de s’informer, de s’exprimer et de débattre librement d’idées. L’utilisation de la surveillance, au contraire, peut violer le droit des personnes à la vie privée et représenter un obstacle à leur capacité à s’exprimer librement, à communiquer, à s’organiser et à s’associer sur un pied d’égalité. La vie privée et la protection des données à caractère personnel soutiennent ainsi les autres composantes fondamentales de l’espace civique protégé, telles que les libertés d’expression, de réunion et d’association, la liberté et l’autonomie de la presse, la participation égale au débat public et à la prise de décision, et l’environnement favorable aux OSC.
La gouvernance des données et la protection de la vie privée sont depuis longtemps au cœur des travaux du Comité de la politique de l'économie numérique de l'OCDE, ce qui s'est traduit par la création d'un Groupe de travail sur la gouvernance des données et la protection de la vie privée. Le Groupe de travail a par exemple identifié l'accès non contraint et disproportionné des pouvoirs publics aux données personnelles détenues par le secteur privé parmi les défis les plus prégnants pour la gouvernance des données et la protection des droits individuels et comme un obstacle potentiel à la libre circulation des données en toute confiance (OCDE, 2019[116]).
En Tunisie, au-delà de la nécessité déjà évoquée d’adopter le projet de loi n° 2018/25 relatif à la protection des données à caractère personnel, afin de mettre à jour le cadre légal applicable conformément au nouveau contexte démocratique de la Tunisie, aux garanties constitutionnelles et aux normes internationales, d’autres défis se posent dans le domaine de la protection de la vie privée et des données personnelles en Tunisie.
Un des principaux défis mis en avant au cours des entretiens concerne le développement d’une culture de la protection des données à caractère personnel en Tunisie.39 Comme dans de nombreux pays – dont certains sont membres de l’OCDE –, il reste à fournir un effort important de sensibilisation sur ce sujet, afin de s’assurer de la vigilance des individus dans le partage de certaines données qui pourraient être utilisées de manière à limiter la pleine jouissance de certains droits et libertés publics. En août 2021, l’INPDP a ainsi produit une étude selon laquelle 43.7 % des personnes sondées déclarent connaître la notion de données à caractère personnel (INPDP, 2021[117]). En revanche, seuls 27 % déclarent avoir entendu parler de l’INPDP (contre 20.5 % en 2017). De même, malgré l’important débat qui a eu lieu au sein de la société civile au sujet de l’identifiant unique du citoyen et de la carte d’identité biométrique, 82.7 % des personnes sondées déclarent ne pas être au courant de la mise en place de l’identifiant unique du citoyen. D’après une déclaration du président de l’instance en septembre 2021, la majorité des plaintes reçues par l’INPDP concerne l’installation de caméras de surveillance (Webmanager Center, 2021[118]). Selon le président de l’INPDP, si la question de la vidéosurveillance est pertinente, les individus pourraient néanmoins être davantage sensibilisés aux autres types de données à caractère personnel qui peuvent être indûment exploitées.40
De plus, d’après l’ONG Access Now, sur les sept principaux fournisseurs d’accès à Internet opérant en Tunisie, seul l’un d’eux se conformerait effectivement à l’article 4 de la loi organique n° 2004-63 de 2004 relative à la protection des données à caractère personnel, loi qui pourrait d’ailleurs apporter davantage de garanties concernant la protection des données (Access Now et ImpACT International, 2020[119]). Le renforcement des capacités de l’INPDP ainsi que l’octroi d’un pouvoir de sanction plus important pourraient représenter un levier pour veiller à un meilleur respect et une meilleure mise en œuvre de la protection des données à caractère personnel.
En outre, au cours des dernières années, plusieurs projets du gouvernement ont également suscité l’inquiétude des acteurs de la société civile travaillant sur la question des données à caractère personnel. C’est notamment le cas du projet de loi sur la carte d’identité biométrique, qui a été présenté au Conseil des ministres en 2016 et soumis à l’ARP la même année. D’après un communiqué de l’ONG Access Now publié à l’époque, le projet de loi ne ferait référence à aucune procédure ou aucun garde-fou substantiel sur le type de données collectées et leur utilisation (Access Now, 2016[120]). Ces lacunes pourraient entraîner des abus importants contre la protection des données à caractère personnel. Le ministère de l’Intérieur aurait par ailleurs pu consulter l’INPDP dans le cadre de l’élaboration de ce projet de loi, et bien que cette dernière ait été par la suite auditionnée par la commission parlementaire chargée de l’étude de ce projet, seules des modifications mineures ont été apportées au texte original, malgré les mises en garde du président de l’instance sur l’absence de garantie de protection des données personnelles (Inkyfada, 2018[40]). La société civile a également mis en garde contre les risques liés à la conservation de ces données par des entreprises privées, potentiellement étrangères. Le ministère de l’Intérieur a finalement abandonné le projet de loi, du fait de modifications importantes apportées au sein de la commission parlementaire chargée de son examen, à la suite du plaidoyer conjoint de l’INPDP et de la société civile (Inkyfada, 2018[40]).
En mai 2020, dans le contexte de la crise sanitaire, le gouvernement a émis un décret mettant en place l’identifiant unique du citoyen (Ministère des Affaires locales, 2020[121]). Si l’INPDP a été consultée, ce n’est pas le cas de la société civile. L’objectif affiché est de faciliter les procédures administratives, en créant un identifiant regroupant notamment les informations relatives à l’identité, la sécurité sociale, les revenus et les informations fiscales, sous un même numéro donnant accès à différentes administrations. Ce projet de loi prend en compte certaines des préoccupations exprimées par la société civile concernant le précédent projet de loi sur la carte d’identité nationale biométrique, et accorde notamment le droit aux citoyens d’être informés des entités ayant accès à ces informations (Ministère des Affaires locales, 2020[121]). En revanche, l’ONG Access Now estime qu’il existe un risque pour la protection des données personnelles, lié à la centralisation du stockage de ces informations, qui ouvrirait la porte à des intrusions (Sayadi et Tackett, 2020[122]). L’INPDP a jugé ce décret conforme au cadre légal actuel relatif à la protection des données à caractère personnel, cadre légal lui-même en attente de réforme (Webmanager Center, 2020[123]).
La numérisation croissante de l’administration rend nécessaires, en Tunisie comme dans la plupart des pays, la mise à jour et le développement des cadres légaux et réglementaires en vigueur. Du fait de l’impact que ces cadres peuvent avoir sur la protection des données à caractère personnel et de l’existence en Tunisie d’associations disposant d’une expertise de longue date dans ce domaine, il serait opportun de renforcer l’engagement et les efforts de collaboration avec la société civile dans ces domaines. Les textes législatifs mais également réglementaires pourraient faire l’objet de processus systématiques de consultation ciblant en particulier les organisations spécialisées, afin de bénéficier de leurs retours et commentaires et de développer un cadre légal tenant compte aussi bien des impératifs de la société de l’information que de la nécessité de préserver les droits et libertés publics.
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[45] Reporters sans frontières (2022), Classement mondial de la liberté de la presse 2022, Reporters sans frontières, https://rsf.org/fr/classement (consulté le 15 juillet 2022).
[44] Reporters sans frontières (2021), Classement mondial de la liberté de la presse 2021, Reporters sans frontières.
[34] Reporters sans frontières (2021), Reporters sans frontières : Tunisie, https://rsf.org/fr/tunisie (consulté le 13 septembre 2021).
[50] Reporters sans frontières (2021), « RSF dénonce la fermeture du bureau d’Al Jazeera à Tunis », Reporters sans frontières, https://rsf.org/fr/actualites/rsf-denonce-la-fermeture-du-bureau-dal-jazeera-tunis.
[51] Reporters sans frontières (2021), Tunise : Neuf journalistes victimes de violences policières en marge d’une manifestation, https://rsf.org/fr/actualites/tunise-neuf-journalistes-victimes-de-violences-policieres-en-marge-dune-manifestation (consulté le 6 octobre 2021).
[49] Reporters sans frontières (2021), « Tunisie : Des dizaines de journalistes agressés et harcelés lors d’une manifestation de soutien au gouvernement », Reporters sans frontières, https://rsf.org/fr/actualites/tunisie-des-dizaines-de-journalistes-agresses-et-harceles-lors-dune-manifestation-de-soutien-au.
[36] Reporters sans frontières (2020), « Tunisie : Des parlementaires d’extrême droite attaquent le secteur des médias », Reporters sans frontières, https://rsf.org/fr/actualites/tunisie-des-parlementaires-dextreme-droite-attaquent-le-secteur-des-medias.
[4] Reporters sans frontières (2012), Analyse du décret-loi n° 2011-115 du 2 novembre 2011, relatif à la liberté de la presse, de l’impression et de l’édition, https://rsf.org/sites/default/files/120227_code_de_la_presse_-_analyse.pdf.
[46] Reporters sans frontières (s.d.), Méthodologie détaillée du classement mondial sur la liberté de la presse, https://rsf.org/fr/methodologie-detaillee-du-classement-mondial-de-la-liberte-de-la-presse.
[71] République tunisienne (2020), « Décret-loi du Chef du Gouvernement n° 2020-30 du 10 juin 2020, portant des mesures pour la consultation des assises de la solidarité nationale et le soutien des personnes et des entreprises suite aux répercussions de la propagation du Coronavirus Covid-19 », Journal officiel de la République tunisienne, vol. 54, pp. 1241 - 1247.
[15] République tunisienne (2016), « Loi organique n° 2016-22 du 24 mars 2016 relative au droit d’accès à l’information », Journal officiel de la République tunisienne, vol. 26, pp. 949 - 956, https://legislation-securite.tn/law/45656.
[6] République tunisienne (2015), « Loi organique n° 2015-26 du 7 août 2015, relative à la lutte contre le terrorisme et la répression du blanchiment d’argent », Journal officiel de la République tunisienne, vol. 63, pp. 1735 - 1761, https://legislation-securite.tn/law/44992.
[2] République tunisienne (2014), Constitution de la République Tunisienne, Imprimerie Officielle de la République Tunisienne, https://lib.ohchr.org/HRBodies/UPR/Documents/Session27/TN/6Annexe4Constitution_fr.pdf.
[3] République tunisienne (2011), « Décret-loi n° 2011-115 du 2 novembre 2011, relatif à la liberté de la presse, de l’imprimerie et de l’édition », Journal officiel de la République tunisienne, vol. 84, pp. 2419 - 2429, https://legislation-securite.tn/law/45850.
[7] République tunisienne (2011), « Décret-loi n° 2011-116 du 2 novembre 2011, relatif à la liberté de la communication audiovisuelle et portant création d’une Haute Instance Indépendante de la Communication Audiovisuelle (HAICA) », Journal Officiel de la République Tunisienne, vol. 84, pp. 2430 - 2439, https://legislation-securite.tn/law/43555.
[19] République tunisienne (2004), « Loi organique n° 2004-63 du 27 juillet 2004, portant sur la protection des données à caractère personnel », Journal officiel de la République tunisienne, vol. 61, pp. 1988 - 1997, http://www.inpdp.nat.tn/ressources/loi_2004.pdf.
[23] République tunisienne (2001), Code des télécommunications, Imprimerie Officielle de la République Tunisienne, https://www.mtc.gov.tn/index.php?id=125.
[5] République tunisienne (1975), « Loi n° 75-32 du 28 avril 1975 portant promulgation du « Code de la presse » », Journal officiel de la République tunisienne, vol. 29, pp. 845 - 850, https://legislation-securite.tn/fr/law/41742.
[60] Richter, C. et C. Kozman (dir. pub.) (2021), Arab Media Systems, Open Book Publishers, https://doi.org/10.11647/obp.0238.
[122] Sayadi, E. et C. Tackett (2020), What is Tunisia’s Unique Identifier, and why is it being pushed now?, https://www.accessnow.org/what-is-tunisias-unique-identifier-and-why-is-it-being-pushed-now/ (consulté le 12 septembre 2021).
[78] Schiffrin, A. (2017), « How Europe fights Fake News », Columbia Journalism Review, https://www.cjr.org/watchdog/europe-fights-fake-news-facebook-twitter-google.php.
[47] SNJT (2021), Rapport annuel sur la réalité de la liberté de la presse en Tunisie 2021, http://snjt.org/2021/05/03/%d8%a7%d9%84%d8%aa%d9%82%d8%b1%d9%8a%d8%b1-%d8%a7%d9%84%d8%b3%d9%86%d9%88%d9%8a-%d9%84%d9%84%d8%ad%d8%b1%d9%8a%d8%a7%d8%aa-%d9%88%d9%82%d8%a7%d8%a6%d9%85%d8%a9-%d8%a7%d9%84%d8%ac%d9%87%d8%a7%d8%aa/.
[54] SNJT (2021), SNJT, http://snjt.org/.
[59] SNJT (2020), Communiqué : L’incarcération de Tawfiq Ben Brik est un scandale judiciaire. Il doit être libéré immédiatement, http://snjt.org/2020/07/24/%d8%b3%d8%ac%d9%86-%d8%aa%d9%88%d9%81%d9%8a%d9%82-%d8%a8%d9%86-%d8%a8%d8%b1%d9%8a%d9%83-%d9%81%d8%b6%d9%8a%d8%ad%d8%a9-%d9%82%d8%b6%d8%a7%d8%a6%d9%8a%d8%a9-%d9%88%d9%8a%d8%ac%d8%a8-%d8%a5%d8%b7/.
[48] SNJT (2020), Rapport annuel sur la réalité de la liberté de la presse en Tunisie 2020, http://snjt.org/wp-content/uploads/2020/05/%D8%AA%D9%82%D8%B1%D9%8A%D8%B1-%D8%A7%D9%84%D8%AD%D8%B1%D9%8A%D8%A7%D8%AA.pdf.
[53] SNJT et al. (2021), Communiqué commun du 8 septembre 2021, http://snjt.org/2021/09/08/%d8%a8%d9%8a%d8%a7%d9%86-%d9%85%d8%b4%d8%aa%d8%b1%d9%83/.
[99] Tunifact (2021), Tunifact, https://tunifact.org/fr/ (consulté le 20 septembre 2021).
[100] Tunisia Check News (2019), Tunisia Check News, https://tunisiachecknews.com/ (consulté le 20 septembre 2021).
[87] Tunisie numérique (2021), « Tunisie : Hanen Ftouhi renonce à sa nomination à la tête de Shems Fm », Tunisie Numérique, https://www.tunisienumerique.com/tunisie-hanen-ftouhi-renonce-a-sa-nomination-a-la-tete-de-shems-fm/ (consulté le 22 juillet 2021).
[65] Tunisie numérique (2021), Tunisie : Naissance du journal électronique “Le Temps News” !, https://www.tunisienumerique.com/tunisie-naissance-du-journal-electronique-le-temps-news/ (consulté le 5 octobre 2021).
[66] Webmanager (2019), « Tunisie : L’accord entre le gouvernement et le SNJT en détails », WebManager, https://www.espacemanager.com/tunisie-laccord-entre-le-gouvernement-et-le-snjt-en-details.html.
[118] Webmanager Center (2021), Données personnelles : Explosion des demandes d’installation de caméras de surveillance, https://www.webmanagercenter.com/2021/09/07/472372/donnees-personnelles-explosion-des-demandes-dinstallation-de-cameras-de-surveillance/ (consulté le 10 septembre 2021).
[83] Webmanager Center (2021), « Le personnel de la TAP en grève générale présentielle, le 22 avril », Webmanager Center, https://www.webmanagercenter.com/2021/04/13/466450/le-personnel-de-la-tap-en-greve-generale-presentielle-le-22-avril/ (consulté le 22 juillet 2021).
[90] Webmanager Center (2021), « Tunisie : La réforme du secteur des médias est-elle possible ? », Webmanager Center, https://www.webmanagercenter.com/2021/12/20/477764/tunisie-la-reforme-du-secteur-des-medias-est-elle-possible/ (consulté le 21 décembre 2021).
[123] Webmanager Center (2020), « Identifiant unique du citoyen : L’INPDP n’acceptera aucune violation des données personnelles (Gaddes) », Webmanager Center, https://www.webmanagercenter.com/2020/05/13/450304/identifiant-unique-du-citoyen-linpdp-se-dressera-contre-toute-violation-des-donnees-personnelles-gaddes/ (consulté le 12 septembre 2021).
[11] Webmanager Center (2020), Le SNJT et la Fédération générale des médias rejettent l’amendement du décret-loi 116, https://www.webmanagercenter.com/2020/10/12/457121/le-snjt-et-la-federation-generale-des-medias-rejettent-lamendement-du-decret-loi-116/ (consulté le 7 septembre 2021).
[63] Zargouni, H. (2020), Open Sigma 2020.
Notes
← 1. L’ATCE, mise en place par la loi n° 18-76 du 7 août 1990, avait au départ pour mission de promouvoir l’image de la Tunisie et de sa politique à l’étranger. Elle s’est finalement transformée en véritable outil de propagande et de contrôle des médias, étant notamment en charge de gérer le budget publicitaire des entreprises étatiques, les autorisations pour les journalistes, et contrôlant également les activités sur Internet à des fins de surveillance (Jeune Afrique, 2018[124]).
← 2. Le décret-loi n° 2011-115 a été adopté avant la Constitution de 2014.
← 3. Comme le note RSF dans une analyse du décret-loi n° 2011-115 publié en février 2012, si la carte de presse est une condition administrative pour revendiquer le titre de journaliste, elle ne doit pas priver de protection une personne qui aurait exercé une mission d’information (Reporters sans frontières, 2012[4]).
← 4. Ces deux décrets-lois ont été abrogés et remplacés par la loi organique n° 2016-22 relative au droit d’accès à l’information.
← 5. La loi constitutionnelle n° 2002-51 du 1er juin 2002 remplace l’article 9 de la Constitution de 1959 par la disposition suivante : « L’inviolabilité du domicile, le secret de la correspondance et la protection des données personnelles sont garantis, sauf dans les cas exceptionnels prévus par la loi. ».
← 6. Entretien avec l’INPDP, 3 juin 2021.
← 7. Entretien avec l’INPDP, 3 juin 2021 ; entretien avec une OSC œuvrant à la promotion des droits numériques, 15 juin 2021.
← 8. Ibid.
← 9. Ibid.
← 10. Concernant le cadre légal relatif à la cybercriminalité, le projet de loi susmentionné a été remplacé par le Décret-loi n° 2022-54 du 13 septembre 2022, relatif à la lutte contre les infractions se rapportant aux systèmes d'information et de communication, promulgué par le président de la République. La promulgation de ce décret-loi ayant eu lieu après la période de validation de ce rapport, ce dernier n’intègre pas d’analyse ce texte.
← 11. Entretien avec le SNJT, 2 juillet 2021.
← 12. Entretien avec la HAICA, 9 juin 2021.
← 13. Entretien avec la HAICA, 9 juin 2021 ; entretien avec le SNJT, 2 juillet 2021.
← 14. Entretien avec le SNJT, 2 juillet 2021.
← 15. Entretien avec la HAICA, 9 juin 2021.
← 16. Entretien avec l’INPDP, 3 juin 2021.
← 17. Entretien avec une OSC œuvrant à la promotion des droits numériques, 15 juin 2021.
← 18. Entretien avec l’INPDP, 3 juin 2021 ; entretien avec une OSC œuvrant à la promotion des droits numériques, 15 juin 2021.
← 19. Ibid.
← 20. Les services de ce ministère ont été transférés en août 2018 auprès de la Présidence du gouvernement.
← 21. Selon le barème de notation de RSF jusqu’en 2022, un score de 0 représente la meilleure note, et un score de 100 la pire. Le barème a été inversé depuis l’édition 2022 du classement.
← 22. Table ronde avec des OSC œuvrant dans la défense des droits humains, 26 mai 2021.
← 23. Entretien avec le SNJT, 2 juillet 2021.
← 24. Ibid.
← 25. Ibid.
← 26. Ce projet de loi est consultable en arabe sur la plateforme de surveillance du travail parlementaire mise en place par l’association Al Bawsala, https://majles.marsad.tn/fr/media/show/1862.
← 27. Il existe également un nombre important de radios Web et associatives qui ne sont pas comptabilisées dans ce calcul, et qui viennent ajouter à la pluralité des sources d’information et de divertissement.
← 28. Entretien avec le SNJT, 2 juillet 2021.
← 29. Ibid.
← 30. Entretien avec la HAICA, 9 juin 2021.
← 31. Entretien avec le SNJT, 2 juillet 2021.
← 32. Ibid.
← 33. Ibid.
← 34. Ibid.
← 35. Ibid.
← 36. Entretien avec des représentants de l’INAI, 19 février 2021.
← 37. Entretien avec la HAICA, 9 juin 2021.
← 38. Table ronde avec des OSC œuvrant dans la défense des droits humains, 26 mai 2021.
← 39. Entretien avec l’INPDP, 3 juin 2021.
← 40. Entretien avec le président de l’INPDP, 15 novembre 2021.