Le logement est au cœur de nos vies. Sa qualité influe directement sur la santé et le bien-être des individus. Sa localisation détermine les possibilités offertes en matière d’éducation, de loisirs et de travail. Son coût absorbe une grande partie du revenu des ménages. Ses performances environnementales déterminent une bonne part des émissions locales et mondiales de gaz à effet de serre. Son financement aide de nombreuses personnes à acquérir une résidence et a des répercussions sur la stabilité et la résilience macroéconomiques.
La pandémie de COVID-19 et ses suites ont fait émerger de nouvelles tendances, en particulier l’essor du télétravail – facilité par la transformation numérique – et les phénomènes connexes de report de la demande de logements. La forte hausse des cours des combustibles fossiles observée depuis le déclenchement de la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine a accentué les tensions s’exerçant sur le budget des ménages et souligné l’importance d’améliorer l’efficacité énergétique des logements.
Parallèlement, la prise de conscience grandissante de la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre conformément aux engagements pris a mis en exergue le rôle crucial que jouera le logement dans la réussite des efforts déployés pour parvenir à la neutralité carbone d’ici au milieu du siècle. En outre, l’inflation tire vers le haut les coûts de construction de même que les taux d’intérêt, mettant fin du même coup à une période marquée par des coûts d’emprunt hypothécaire exceptionnellement faibles.
S’inscrivant dans le prolongement du rapport Pierre par pierre : Bâtir de meilleures politiques du logement, ce nouveau volume enrichit la Boîte à outils pour les politiques publiques du logement1 en vue de rendre les marchés de l’immobilier d’habitation plus efficients, plus inclusifs et plus durables face à de nouveaux défis. La plupart des instruments d’action recensés dans Pierre par pierre restent adaptés pour relever ces défis, mais de nouveaux sont venus s’y ajouter.
Les pouvoirs publics peuvent envisager différentes options, en gardant à l’esprit les probables synergies à exploiter et arbitrages à opérer entre les trois dimensions – efficience, accessibilité financière et durabilité – sur lesquelles se sont fondées nos analyses :
Les pouvoirs publics ont adopté des mesures pour faire face aux conséquences négatives de l’augmentation des prix de l’énergie sur les ménages et les entreprises vulnérables. Ils ont mis en place des programmes ciblés d’aide au revenu soumis à conditions de ressources, instauré des plafonds des tarifs de l’énergie et procédé à d’autres interventions fondées sur les prix. Lors de la conception de ces mesures de soutien, les autorités doivent trouver un juste équilibre entre protection sociale à court terme et réalisation des objectifs de durabilité visés à plus long terme. Il convient d’éviter de brouiller les signaux envoyés par les prix de l’énergie, afin d’étayer les changements nécessaires en matière de structure des investissements, de consommation d’énergie et de comportements pour favoriser la transition vers une économie bas carbone. La nécessité de veiller à l’efficience des dépenses publiques compte tenu de la rareté des ressources budgétaires impose également d’adopter des mesures judicieusement ciblées sur les personnes qui en ont véritablement besoin.
La pierre angulaire des stratégies de décarbonation est de veiller à la cohérence de la tarification du carbone entre les différentes sources, entre secteurs et dans le temps, tout en mettant en place des dispositifs de compensation adéquats pour éviter que cette tarification n’ait des effets préjudiciables sur le plan social. La tarification du carbone – passant notamment par des impôts judicieusement calibrés sur les combustibles fossiles utilisés dans les logements, ou des systèmes d’échange de droits d’émission – constitue un moyen efficace et économiquement efficient de créer des incitations à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Elle empêche également l’« effet rebond » qui peut amoindrir l’efficacité d’autres mesures : ainsi, sans tarification du carbone, les effets de la réglementation ou des subventions axées sur l’amélioration des performances énergétiques peuvent être compensés en tout ou partie par un accroissement de la consommation. Point important, il faut que la tarification des émissions directes des logements aille de pair avec une tarification efficace des émissions de carbone résultant de la production d’électricité, afin de garantir l’adéquation des incitations aux économies d’énergie, aux investissements dans l’efficacité énergétique et à l’utilisation accrue de sources d’énergie décarbonées.
Néanmoins, une tarification efficace n’est pas suffisante pour décarboner le secteur du logement, compte tenu des incitations divergentes qui caractérisent les relations entre propriétaires et locataires et du manque de connaissances des ménages sur les performances énergétiques de leurs logements. Un assortiment de mesures judicieusement conçues associant certification des performances énergétiques des logements neufs et anciens et obligations de rénovation, subventions à la rénovation énergétique et possibilités de partager les factures d’énergie entre locataires et propriétaires peut contribuer à lever ces obstacles.
Il est également crucial pour la décarbonation du logement de réaliser des avancées dans le domaine de son financement. Des cadres adaptés de certification des performances énergétiques permettent aux prêteurs de mieux prendre en compte la qualité de crédit associée aux logements économes en énergie, de réduire les coûts de financement en général et les coûts des crédits en particulier, ainsi que de créer des marchés d’instruments de financement des prêts à la rénovation.
Au-delà du soutien apporté au processus de décarbonation, un financement efficace du logement peut renforcer la résilience des marchés de capitaux. Ce point est tout particulièrement important à l’heure où l’évolution des conditions monétaires marque la fin d’une période de coûts d’emprunt historiquement bas. Une amélioration de l’absorption des chocs et de la résilience à ces phénomènes devrait résulter des efforts que les autorités ont accomplis depuis la crise financière mondiale pour mettre en place des mécanismes régulateurs, notamment du côté des emprunteurs, en plafonnant les quotités de financement (ratios prêt/valeur du logement acquis) et les ratios service de la dette/revenu, ainsi que du côté des prêteurs, en durcissant les exigences de fonds propres relatives aux prêts hypothécaires, en améliorant la consolidation et le suivi des expositions hors bilan vis-à-vis du secteur du logement et en déployant des volants de fonds propres contracycliques.
L’essor des prêteurs non bancaires dans le domaine du financement du logement au cours de la dernière décennie exige un suivi adéquat et des évaluations de ses conséquences systémiques pour le secteur financier. On pourrait encore renforcer les règles prudentielles, notamment en appliquant aux prêteurs non bancaires une approche fondée sur les risques, en phase avec le cadre réglementaire des banques.
Le déploiement généralisé de l’internet à haut débit et les progrès technologiques réalisés en matière de téléconférence ont permis à de nombreuses personnes de travailler à domicile, tendance qui s’est accélérée depuis la pandémie de COVID-19 et a élargi l’éventail des choix de localisation. Le report de la demande de logements qui en a résulté – des zones caractérisées par des prix élevés en centre-ville vers des zones distantes offrant des logements plus abordables et spacieux ainsi qu’un meilleur accès aux espaces verts – requiert l’adoption de mesures facilitant les ajustements de l’offre. Il faudrait notamment modifier les règles d’occupation des sols et d’aménagement du territoire pour libérer des terrains aux fins d’aménagement, de réaménagement ou de densification dans les zones où la demande est particulièrement forte. Les autorités peuvent également recourir à la fiscalité pour étayer ces évolutions, en donnant davantage de poids aux impôts périodiques annuels en lieu et place des prélèvements effectués sur les transactions. Au regard de cette nouvelle géographie de la demande de logements, il est crucial de continuer à investir dans la connectivité numérique et dans l’offre de services publics, notamment dans des infrastructures de transport performantes.
Les améliorations de la qualité environnementale des zones urbaines découlant d’un renforcement des aménités offertes entraînent souvent un renchérissement de l’immobilier d’habitation, qui a des conséquences négatives sur les ménages à faible revenu, en particulier les locataires. La disponibilité de logements sociaux et abordables peut atténuer ces effets. Les investissements publics et les mesures compensatoires adoptées peuvent être financés en partie au moyen d’outils, tels que des taxes assises sur la valeur foncière, des participations d’urbanisme et des prélèvements sur les permis de construire, permettant de récupérer les plus-values foncières qui résultent de l’amélioration de l’environnement.