L’évolution et la modernisation de l’administration publique au Maroc constituent un défi important de gouvernance réaffirmé par le NMD. Ce chapitre donne un aperçu des initiatives et plans de réformes de l’administration au Maroc et examine deux grands chantiers actuels qui reflètent l’ambition d’une réforme en profondeur de la gouvernance et de l’administration menée par le Maroc : la charte des services publics et la numérisation de l’administration. Ce chapitre traite des défis de coordination et de mise en œuvre de ses chantiers pour illustrer et tirer des enseignements pour la gouvernance de la réforme de l’administration au Maroc.
Examens de l'OCDE sur la gouvernance publique : Maroc
3. Vers une gouvernance adaptée au contexte actuel au Maroc
Abstract
Introduction
Le Maroc a lancé un vaste chantier de réformes administratives et structurelles pour promouvoir la nouvelle vision stratégique et politique portée par le Royaume du Maroc grâce à l’adoption du Nouveau Modèle de Développement (NMD) en 2021. La réalisation des objectifs multidimensionnels du NMD nécessitera une transformation profonde administrative et institutionnelle de l’appareil d’État marocain (défini comme l'ensemble des institutions publiques d'un État) afin de favoriser le développement d’un cadre de gouvernance efficace et robuste, ainsi que d’un secteur public de qualité et réactif capable de répondre aux enjeux clés en matière économique, sociale et écologique (Commission spéciale sur le modèle de développement, 2021[1]). En parallèle, la pandémie du COVID-19 a causé un choc sans précédent et a été un catalyseur de réformes majeures dans le système administratif du Maroc. Le nouvel élan stratégique envisagé par le NMD, et accéléré par la pandémie, consolide et réaffirme la volonté politique du gouvernement marocain d’engager un processus de modernisation de son administration et de promouvoir les réformes clés pour améliorer la performance globale des services publics et de l’administration au Maroc.
La mise en place des réformes nécessaires à une gouvernance adaptée au contexte actuel et futur requiert un cadre stratégique et institutionnel clair permettant un pilotage coordonné et efficace de la réforme de l'administration publique. Garantir la mise en place d’un cadre administratif et organisationnel cohérent permet de consolider les capacités de l’État dans le déploiement et la mise en œuvre des politique publiques, notamment grâce à un ensemble d’outils de coordination et de planification stratégique (Commission spéciale sur le modèle de développement, 2021[1]). La réalisation à long-terme des projets de réforme de l’administration de nature institutionnelle, organisationnelle, politique et managériale demeure donc conditionnée par la capacité du gouvernement à garantir une continuité et une cohérence dans la mise en œuvre des différents plans de réforme successifs et d’assurer une coordination efficace entre toutes les composantes de l’administration concernées. Le Plan National de Réforme de l’Administration 2018-21 a notamment permis des avancées sur la durée du mandat d’un gouvernement mais appelle à un cadre institutionnel et stratégique de plus longue échéance et une plus grande continuité dans les initiatives de réforme avec un pilotage fort.
L’évolution de l’appareil administratif de l’État au Maroc vers un modèle davantage agile, réactif et inclusif joue un rôle clé dans sa capacité à gouverner face à des défis de plus en plus complexes et transversaux. Dans le but de soutenir cet élan de transformation vers un modèle institutionnel mieux adapté au contexte actuel, le gouvernement du Maroc s’appuie sur la mise en œuvre de plusieurs chantiers clés, tels que la Charte des services publics et le développement du numérique, visant à moderniser et améliorer le fonctionnement de l’administration publique au Maroc. Ces chantiers constituent un élan concret vers la mise en place d’un cadre de gouvernance renouvelé du Royaume, et sont amenés à jouer un rôle politique et stratégique prépondérant dans le renforcement de l’appareil démocratique du Royaume. En particulier, la Charte des services publics a pour ambition d’établir un cadre pour la réforme de la gouvernance et de générer une dynamique qui s’inscrit dans la durée pour la transformation de la gouvernance dans son ensemble. Ces deux « chantiers clés » sélectionnés comme axes d’analyse de ce chapitre incarnent en effet un élan positif vers une administration plus transparente, participative et réactive.
Sur la base des résultats du questionnaire de l'OCDE développé dans le cadre de ce projet (ci-après « le questionnaire de l’OCDE »), des recherches documentaires et des éléments recueillis au cours de deux missions d'enquête virtuelles, ce chapitre donne un aperçu de la manière dont le gouvernement marocain en général, et le ministère de la Transition Numérique et de la Réforme de l’Administration en particulier, peuvent promouvoir un cadre légal, institutionnel et stratégique cohérent de réforme de l’administration publique pour une administration efficace au service des citoyens.
La réforme de l’administration a été érigée en tant que chantier politique prioritaire au Maroc mais exige un degré de coordination et de cohérence accru
La réforme de l’administration peut être divisée en quatre domaines principaux qui ont tous trait au développement des capacités et des leviers d’action de l’administration :
La réforme de la fonction publique ;
La réforme de l’efficacité et de la réactivité du système d’élaboration des politiques ;
La réforme de l'appareil gouvernemental et administratif, qui concerne les règles, les institutions et la structure de l'administration nécessaires à la mise en œuvre de la politique gouvernementale, y compris les nouveaux outils de l'administration publique tels que la gouvernance électronique et l'administration en ligne ;
La réforme du système de gestion des recettes et des dépenses du secteur public.
La réforme de la fonction publique et du système de gestion des recettes et des dépenses du secteur public seront abordées dans les chapitres 4 et 5 de ce rapport. L’efficacité et la réactivité du système d’élaboration des politiques sera explorée en détail au sein du chapitre 2 de ce rapport portant sur le cadre de gouvernance au Maroc. L’objet de ce chapitre est donc d’évaluer et d’émettre des recommandations détaillées sur la cohérence des réformes de l’appareil gouvernemental et administratif au Maroc et de leur gouvernance. Après avoir présenté les évolutions récentes du cadre stratégique pour les réformes de l’appareil gouvernemental au Maroc, le chapitre explorera de façon plus détaillée deux des initiatives clés au cœur de la réforme de l’administration au Maroc : la Charte des services publics et le chantier du numérique.
Au Maroc, le chantier de la réforme de l’administration est placé sous la responsabilité d’un ministère délégué auprès du Chef du gouvernement. Le Ministère de la Transition Numérique et de la Réforme de l’Administration (MTNRA) a pour mission de faire évoluer l’administration publique marocaine dans son ensemble, et est en charge dans ce sens de la gestion et la coordination des plans de modernisation de l’administration, en concertation avec les autres ministères. Alors que la politique de réforme administrative intègre dorénavant la transformation numérique comme élément clé, le MTNRA est ainsi appelé à mener les efforts de transformation numérique parallèlement à ses missions transversales visant l’amélioration de la qualité des services publics au Maroc. Bénéficiant de l’intérêt politique de haut-niveau porté au chantier de la réforme administrative depuis l’adoption de la nouvelle Constitution en 2011, le MTNRA vise à s’ériger en acteur moteur d’une politique de réforme efficace et bénéfique à l’administration dans son ensemble, ce qui demande des capacités de mobilisation importantes afin de permettre l’avancement, la coordination et la mise en œuvre des chantiers et des actions de réforme (OCDE, 2019[2]).
Sur le plan stratégique, le chantier de réforme de l’administration au Maroc piloté par le MTNRA a bénéficié d’un intérêt politique croissant au cours des dernières années, avec notamment le développement d’un Plan National de Réforme de l’Administration (PNRA) 2018-21. Ayant pour objectif d’enclencher un large processus de réforme sur les plans managérial, organisationnel, numérique et éthique dans l’administration du Royaume, le PNRA a été conçu comme le cadre de référence pour améliorer la performance de l’administration et garantir des services publics de qualité à la hauteur des défis et des ambitions du Maroc (voir Encadré 3.1) (Ministère de la Réforme de l'Administration et de la Fonction Publique, 2018[3]). La mise en œuvre du PNRA a mené à un certain nombre de réalisations concrètes recensées par le gouvernement, telles que le renforcement du cadre légal et de la mise en œuvre des politiques publiques liées à l’accès à l‘information, l’adoption de la charte de la déconcentration, et l’adoption de la loi n° 55-19 relative à la simplification des procédures administratives. Certaines thématiques telles que la transformation numérique ou la simplification ont eu tendance à mobiliser davantage le pouvoir exécutif et l’administration et ont ainsi bénéficié d’actions plus poussées (OCDE, 2018[4]). De ce fait, la mise en œuvre des domaines d’action du PNRA s’effectue à des rythmes différents. Récemment, le MTNRA a bénéficié d’un soutien politique important pour le pilotage et la mise en œuvre de la Charte des services publics ainsi que pour le développement du chantier numérique, tous les deux ayant été identifiés par l’exécutif comme des chantiers clés de réforme en cohérence avec les objectifs stratégiques du NMD.
Encadré 3.1 Le Plan National de Réforme de l’Administration (PNRA) 2018-21 au Maroc
Le PNRA avait pour ambition de proposer une approche intégrée visant à redéfinir les bases d’une nouvelle culture du service public au Maroc pour une administration au service du citoyen et de l’entreprise, qui soit responsable de la continuité des services publics soumis aux normes de qualité, tout en servant l’intérêt général. Le PNRA était structuré autour de trois principes, trois objectifs généraux, et vingt-quatre projets structurants, eux-mêmes déclinés autour de quatre axes :
Principes |
Objectifs généraux |
Axes de transformation |
Projets structurants |
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- L’amélioration de la qualité des services publics - Le renforcement des compétences des ressources humaines - La préservation de l'intérêt général dans les services publics |
- Diversifier l’offre des services publics pour lutter contre l’exclusion sociale et pour une intégration réelle du citoyen pour garantir sa participation à la chose publique - Restructurer l’Administration pour des institutions performantes capables d’assurer un politique, économique et humain sur tout le territoire - Assurer l’Administration des moyens juridiques, organisationnels, et managériaux nécessaires au développement des services publics, notamment dans le domaine social |
- Transformation organisationnelle - Transformation managériale - Transformation numérique - Transformation éthique |
- 5 projets de transformation organisationnelle (ex. : Charte de la déconcentration) - 10 projets de transformation managériale (ex. : Charte des services publics) - 5 projets de transformation numérique (ex. : Schéma directeur de la Transformation Numérique de l’Administration Publique) - 4 projets de transformation éthique (ex. : suivi de la stratégie nationale de lutte contre la corruption) |
L’élaboration et la mise en œuvre d’un plan général de réforme de l’administration est une pratique qui s’observe dans un nombre important de pays de l’OCDE à l’image du programme Action publique 2022 en France, du Plan de réforme de l’administration 2030 de la République tchèque ou de la Déclaration sur la réforme du gouvernement au Royaume-Uni (Gouvernement du Royaume-Uni, 2021[6]) ; (Gouvernement de la République tchèque, 2020[7]). Ces documents contiennent pour la grande majorité des objectifs stratégiques à accomplir pour la réforme de l’administration, des dimensions clés de réformes et une série d’actions concrètes à mettre en œuvre. Leur mise en œuvre s’accompagne de la création de mécanismes de prise de décision à haut niveau, de coordination et de suivi et d’appui à la mise en œuvre au sein de différents ministères ou structures gouvernementales en charge de la réforme de l’administration, tels que le Conseil consultatif permanent pour la modernisation de l’État au Chili ou le Comité interministériel de la transformation publique en France (Encadré 3.3).
Depuis 2021, la réforme de l’administration menée par le MTNRA, est organisée autour d’une série de chantiers clés et priorités présentée ci-dessous :
Simplification administrative ;
Numérisation (gouvernement numérique et économie numérique) ;
Charte des services publics et gouvernance publique ;
Langue Amazighe ;
Ressources humaines.
Ces chantiers et les évolutions observées au Maroc demandent un renforcement substantiel du cadre institutionnel et des mécanismes de coordination de la réforme de l’administration publique. Les efforts en matière de cohérence et de coordination sont d’autant plus prioritaires qu’ils répondent également à deux défis caractéristiques auxquels font face les administrations publiques au XXIème siècle, à savoir la fragmentation des institutions et la superposition de réformes successives. L'administration publique est confrontée à des formes organisationnelles de plus en plus complexes, semi-autonomes et multifonctionnelles. La multiplication de ces formes organisationnelles dans le secteur public est l'une des raisons pour lesquelles de nombreux pays ont désormais lancé des initiatives visant à améliorer la coordination au sein de l’administration. En parallèle, le processus de réforme implique souvent un degré de « sédimentation », ou de superposition de réformes successives, du fait de l’ajout de nouvelles réformes aux anciennes, produisant des systèmes administratifs hybrides. Les institutions publiques doivent donc fréquemment composer avec des éléments de réforme issus de différentes époques.
Parmi les priorités mentionnées par le MNTRA, le chantier de la simplification administrative est déjà avancé et a fait l’objet de nombreux travaux (y compris au niveau local).1 La priorité portée aux ressources humaines fait l’objet d’un chapitre dédié dans cet Examen (chapitre 4). La suite du présent chapitre se focalise donc sur deux autres chantiers en cours de réalisation et qui sont essentiels pour la gouvernance au Maroc. La Charte des services publics et la transformation numérique sont aujourd’hui considérées comme les deux outils principaux développés par le gouvernement marocain afin d’améliorer la performance de l’administration publique à l’échelle nationale, et permettre une transformation durable de la gouvernance dans son ensemble. S’il est important de souligner l’ambition politique que ces projets représentent, leur succès dépendra de l’appropriation des pouvoirs publics ainsi que du soutien politique dont ils bénéficieront. Ces deux éléments sont cruciaux pour atteindre les objectifs des projets et obtenir des résultats efficaces en faveur des citoyens marocains et de son gouvernement.
L’organisation de la réforme de l’administration par chantiers clés plutôt que comme un plan global peut permettre de faire évoluer la culture et les pratiques administratives publiques en profondeur autour d’un nombre d’initiatives ciblées et érigées en priorités. Il n’en reste pas moins essentiel d’organiser ces objectifs et ces mesures en cohérence avec une approche de réforme coordonnée et intégrée pour garantir le déploiement d’un service public modernisé et accessible à tous. Ce chapitre vise à étudier deux de ces chantiers, la charte des services publics et le gouvernement numérique, et à explorer les interdépendances entre ces chantiers et les mécanismes permettant d’accroitre le degré de cohérence entre eux. Le Maroc ambitionne notamment de faire de la Charte des services publics un cadre de réforme et un levier de transformation en profondeur de l’administration publique.
Envisager la Charte des services publics comme effort conceptuel de gouvernance pour la mise en œuvre des réformes de l’administration publique
En cohérence avec la promesse d’un nouveau souffle démocratique donné par la Constitution de 2011 et réaffirmé plus récemment dans le Nouveau Modèle de Développement, la Charte des services publics est d’abord conceptualisée par le gouvernement marocain comme un effort politique visant à insuffler un meilleur modèle de gouvernance et ayant pour objectif de guider le fonctionnement de l’administration publique au Maroc et sa transformation vers un modèle davantage réactif et adapté aux besoins et défis actuels. Au-delà de la démonstration d’un effort politique pour consolider la qualité démocratique et l’accessibilité des institutions de gouvernance au Maroc, le gouvernement aspire à utiliser à terme la Charte comme un cadre de réforme et un outil conceptuel de mise en œuvre et d’amélioration de l’administration et des services publics au Maroc.
La Charte des services publics comme un cadre et un outil légal et contraignant
Les engagements du Royaume en matière de bonne gouvernance et de renforcement des services publics se concrétisent à travers un ensemble de chantiers visant à réformer en profondeur le fonctionnement de l’administration publique au Maroc et à moderniser les services publics. Le Maroc s’appuie sur la mise en œuvre de plans de réforme à l’échelle nationale tel que le PNRA 2018-21, ainsi que sur l’adoption de textes juridiques et de cadres de réforme, avec notamment l’élaboration de la Charte nationale de la déconcentration administrative en 2018 et de Charte des services publics en 2021, pour faire évoluer la culture et les pratiques de l’administration dans la fourniture des services publics et dans la relation avec les usagers. Ces engagements se sont traduits par des améliorations concrètes dans les services publics aussi bien administratifs que dans des secteurs tels que l’éducation et la santé, comme noté dans le chapitre 1. Ces efforts doivent être poursuivis pour améliorer la satisfaction des citoyens et l’orientation de l’administration vers les usagers. Le NMD établit un objectif de satisfaction des citoyens vis-à-vis des services publics à 80%, comparé à 67% actuellement d’après les dernières mesures de l’Institut marocain de l’analyse des politiques publiques.
Plusieurs articles de la Constitution marocaine traitent directement ou indirectement du droit à une bonne administration tournée vers les usagers. Le titre XII de la Constitution en particulier définit les principes généraux de la bonne gouvernance au Maroc, affirmés dans les articles suivants :
« Article 154 : Les services publics sont organisés sur la base de l’égal accès des citoyennes et des citoyens, de la couverture équitable du territoire national et de la continuité des prestations rendues. Ils sont soumis aux normes de qualité, de transparence, de reddition des comptes et de responsabilité, et sont régis par les principes et valeurs démocratiques consacrés par la Constitution.
Article 155 : Les agents des services publics exercent leurs fonctions selon les principes de respect de la loi, de neutralité, de transparence, de probité et d’intérêt général.
Article 156 : Les services publics sont à l’écoute de leurs usagers et assurent le suivi de leurs observations, propositions et doléances. Ils rendent compte de la gestion des deniers publics conformément à la législation en vigueur et sont soumis, à cet égard aux obligations de contrôle et d’évaluation.
Article 157 : Une charte des services publics fixe l’ensemble des règles de bonne gouvernance relatives au fonctionnement des administrations publiques, des régions et des autres collectivités territoriales et des organismes publics. »
En dépit des dispositions constitutionnelles pour l’élaboration et l’application d’une Charte des services publics visant à fixer les règles de fonctionnement des administrations publiques, le développement de cette charte a connu un développement long, marqué notamment par le l’élaboration de plusieurs projets de charte entre 2011 et 2018 n’ayant pas abouti, qui s’est ensuite accéléré à partir de 2016 (OCDE/SIGMA, 2019[8]). La « promulgation de la charte des services publics » a été ainsi identifiée comme objectif du programme gouvernement 2016-21, sous l’axe « Réforme de l’Administration, des services publics et proximité » (Royaume du Maroc - Chef du Gouvernement, 2017[9]). Par la suite, la Charte des services publics est mentionnée explicitement comme un pilier de la transformation managériale, et un des vingt-quatre projets du PNRA (Ministère de la Réforme de l'Administration et de la Fonction Publique, 2018[3]). Le ministère de la Réforme de l’Administration et de la Fonction Publique (désormais le ministère de la Transition Numérique et de la Réforme de l’Administration) a adressé un projet de loi relatif à la Charte des services publics au Secrétariat Général du gouvernement (SGG) en décembre 2018, qui fut par la suite déposé au Bureau de la Chambre des Représentants le 30 août 2019 (Royaume du Maroc - Chambre des représentants, 2020[10]). Le projet de loi No 54.19 relative à la Charte des services publics a été approuvé par la Chambre des Représentants lors de sa séance plénière du mardi 11 février 2020 (Royaume du Maroc - Chambre des représentants, 2020[10]), et adopté par la Chambre des Conseillers en juin 2021, avant d’être publiée au bulletin officiel le 14 juillet 2021.
L’adoption de la Charte des services publics pourrait marquer un tournant pour la gouvernance publique au Maroc en ce qu’elle vise à fixer un cadre et « des règles » permettant l’amélioration de la gouvernance pour l’ensemble de l’administration. La qualité des services publics fait partie des dimensions importantes du cadre de gouvernance sur laquelle la charte vise à faire levier : elle constitue le premier instrument de garantie de la qualité des services publics applicable à l’ensemble du gouvernement, ainsi qu’à d’autres institutions et organismes publics. Dans le passé, les instruments de garantie de la qualité étaient le produit d’initiatives fragmentées, certaines institutions disposant de leur propre dispositif de contrôle de la performance, d’indicateurs automatisés ou de certifications ISO au niveau institutionnel (OCDE/SIGMA, 2019[8]). Composée de 38 articles, cette charte définit en premier lieu les objectifs de la bonne gouvernance des services publics (Article 4) ainsi que les principes auxquels sont soumis les services publics (Article 5). Sur la base de ces objectifs et principes, la Charte décline ensuite un certain nombre de principes directeurs, outils de planification et mesures concrètes visant à améliorer trois dimensions clés des services publics : la performance, la relation avec les usagers et l’éthique dans les services publics (voir Tableau 3.1). Enfin, la Charte des services publics prévoit la mise en place d’un Observatoire national des services publics chargé de mesurer le niveau de performance des services publics, de réaliser des études portant sur leur gouvernance et sur la qualité des prestations et de proposer toute mesure susceptible d’améliorer leur fonctionnement (Tableau 3.1).
Tableau 3.1. La Charte des services publics
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Principes directeurs |
Outils de planification, suivi et évaluation |
Actions |
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Performance des services publics |
Organisation et gestion des services publics |
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Les services publics adoptent une organisation qui tient compte d’un certain nombre de règles (Article 8) Les services publics renforcent la convergence de leurs programme, mutualisation des moyens et délivrance de leurs prestation de manière intégrée (Article 9) |
Publication de programmes d’actions pluriannuels dans le cadre de la politique de l’état et identification des risques potentiels (Article 6 et 7) Évaluation annuelle et publication du bilan des réalisations vis-à-vis du programme d’action pluriannuel (Article 12) Suivi et évaluation des réalisations des responsables des services publics (Article 13 |
Inventaire des textes législatifs et règlementaires se rapportant à leurs compétences (Article 10) Mise en œuvre de partenariats avec le secteur privé, les associations de la société civile, les ONG et les instituts scientifiques avec des conventions de coopération (Article 11) Audits et contrôles de gestion réguliers, et mise en œuvre des recommandations émises par les instances de contrôle, de régulation et de gouvernance (Article 14 et 15) Mise en place de mécanismes adéquats pour permettre aux usagers de formuler leurs observations et propositions (Article 16) |
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Gestion des ressources humaines |
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Évaluations régulières des performances des ressources humaines au regard des objectifs et missions assignées (Article 19) |
Méthodes et modes de gestion des ressources humaines basés sur un certain nombre d’outils (Article 17) Programmes de formation réguliers sur la base des plans de gestion prévisionnelle (Article 18) |
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Gestion des moyens généraux |
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Les services publics veillent à la rationalisation de l'utilisation de leurs ressources et à la bonne gestion de leurs biens ou de ceux mis à leur disposition (Article 20) |
Élaboration de plans anticipatifs pour la prévention et la gestion des crises et des évènements catastrophiques (Article 22) |
Organisation et préservation des archives (Article 21) |
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Relation avec les usagers |
Ouverture et communication |
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Faciliter l’accès des usagers aux informations (Article 23) |
Communication régulière sur les missions, programmes, activités, prestations par tous les moyens de communication disponibles (Article 24) |
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Accueil des usagers |
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Faciliter l’accès aux personnes et catégories ayant des besoins spécifiques (Article 25) |
Mise en place de compétences qualifiés en accueil et orientation, mise à niveau des espaces et structures dédiées à l’accueil. (Article 25) Continuité des prestations, notamment par un système de permanence (Article 26) |
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Cadre de délivrance et qualité des services |
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Les services publics œuvrent à l’amélioration des prestations qu’ils fournissent aux usagers et veillent à ce que leurs prestations soient fournies dans le respect des normes de qualité (Article 28 et 29) |
Élaboration et publication de chartes des prestations contenant les engagements des services publics de fournir des prestations selon des indicateurs définis (Article 29) Adoption des programmes annuels pour l’amélioration de la qualité des prestations (Article 29) Mesure régulière de la satisfaction des usagers sur la performance, et l’élaboration des rapports annuels contenant le bilan (Article 29) |
Simplification et numérisation des procédures administratives (Article 27) Identifiant unifié pour chaque usager (Article 27) Amélioration des prestations notamment à travers l’étude et analyse de l’offre et la demande, la définition des besoins, élargissement et diversification des modes de délivrance des prestations (Article 28) |
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Traitement des réclamations et jugements |
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Les services publics reçoivent, traitent et assurent le suivi des réclamations (Article 30) |
Publication d’un rapport annuel sur le bilan de traitement des réclamations reçues ainsi que sur les mesures prises ou à prendre (Article 30) |
Recours à la médiation pour régler les différends avec les usagers (Article 31 Exécution sans délais des jugements, décisions et ordonnances judiciaires (Article 31) |
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Éthique dans les services publiques |
Les fonctionnaires, agents et employés des services publics exercent leurs fonctions selon certains principes et normes (Article 33) |
Élaboration et adoption des codes déontologiques et programmes visant le renforcement de la probité, la lutte contre toutes les formes de corruption, ainsi que l’ancrage des valeurs de moralisation et de citoyenneté (Article 34) |
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Création de l’observatoire |
Il est créé auprès de l’autorité gouvernementale chargée de la réforme de l’administration un Observatoire National des Services Publics. Il observe le niveau d’efficience des services publics ainsi que la qualité des prestations fournies (Article 35) L’organisation, la composition et le fonctionnement de cet observatoire sont précisés par décret (Article 35) |
Source: Création de l’auteur basée sur (Royaume du Maroc - Chambre des représentants, 2020[10]).
La Charte des services publics au Maroc se caractérise son développement au niveau central, son cadre normatif et contraignant et ses engagements concrets axés sur les citoyens
Les chartes des services publics constituent un des instruments principaux permettant aux administrations de définir et de contrôler tant la qualité que les performances du service public. En codifiant les attentes des usagers, l’administration s’engage à respecter un certain nombre de normes sur la base desquelles les services publics peuvent ensuite être évalués. L’administration publique peut ainsi mesurer la satisfaction des usagers afin de s’assurer que ces niveaux de qualité et de performance sont atteints. Les chartes des services publics permettent en outre de :
Aider les organismes publics à gérer les attentes des usagers ;
Fournir un cadre pour les consultations avec les usagers ;
Encourager les organismes publics à mesurer et à évaluer les performances ;
Rendre les organismes publics plus transparents ;
Pousser les organismes publics à améliorer leurs performances ; et
Augmenter la satisfaction des utilisateurs de services (European Public Administration Network, 2018[11]).
Caractéristiques de la Charte des services publics au Maroc
La mise en œuvre des chartes varie considérablement d’un pays à l’autre en fonction du régime politique, constitutionnel et règlementaire existant. Les chartes peuvent néanmoins être caractérisées selon quatre dimensions clés que sont : 1) une intégration dans le cadre légal et constitutionnel ; 2) une élaboration au niveau central et une application à l’administration publique dans son ensemble ; 3) l’objectif général de produire des normes de gestion de la performance et de qualité de l’administration ; 4) la mise en place d’engagements concrets et spécifiques concernant le retour d'information des citoyens.
Le format marocain de la Charte des services publics se démarque par plusieurs aspects : son caractère contraignant, son inscription dans le cadre légal et constitutionnel et son ambition de fournir un cadre plus global de réforme de la gouvernance comparé aux chartes mises en place dans des pays comme la France et le Danemark.
Concernant le caractère contraignant de la charte, l’Article 3 de la loi 54-19 portant la Charte des services publics souligne que les autorités gouvernementales sont « tenues de se conformer au contenu de cette charte et d’œuvrer à prendre toutes les mesures nécessaires à sa mise en œuvre ». Le degré de contrainte légale associé aux chartes des services publics varie considérablement d’un pays à l’autre. Ainsi, si certaines sont inscrites dans la loi, d’autres sont ancrées dans le cadre règlementaire et certaines sont le fruit d’engagements plus informels. En France, la Charte Marianne a été conçue comme un cadre générique non contraignant d’engagements structurés en 4 rubriques portant sur l’accueil, la relation avec les usagers, le traitement des réclamations et la satisfaction des usagers (Gouvernement de France - Premier Ministre, 2004[12]). Bien que certains aspects de la charte reprennent les exigences de la loi d’avril 2000 sur les droits des citoyens dans leurs relations avec l’administration, son ancrage dans l’administration fut relayé par deux circulaires publiées au Journal Officiel le 3 mars 2004 et complété par des directives spécifiques données par les ministères sectoriels (Bréas, 2006[13]). À l’inverse, au Danemark aucune charte des services publics n’a été développée au niveau central ou sectoriel, les municipalités étant les seules entités publiques ayant l’obligation légale d’élaborer et de mettre en place des chartes (EUPAN, 2018[14]). Le Maroc se distingue donc de l’exemple français ou danois, avec une charte des services publics inscrite dans le cadre légal, applicable à l’ensemble des services publics et qui définit un cadre de réforme plus global de l’administration. Un projet de feuille de route décliné en 5 axes a récemment été développé afin de faciliter la mise en œuvre de la charte. Cette feuille de route porte notamment sur la formation, l’appropriation et la communication liée à la charte, et est en cours de validation interne.
La Charte des services publics au Maroc, bien que résultant d’un processus de création collégial, est un document produit au niveau central qui s’applique à l’administration publique dans son ensemble (Article 1). Les principes et standards établis dans ce document global constituent un cadre de référence national pour la pratique et la fourniture des services publics, et ont pour ambition d’être déclinés en « chartes de prestations » dont la responsabilité dépend de chaque institution publique (Article 29). Le gouvernement marocain prépare une circulaire dédiée visant à être partagée par le Chef du gouvernement auprès des ministères sectoriels afin d’entamer la rédaction des plans d’actions sectoriels. La première étape de ce processus d’appropriation préparé par le MTNRA consiste en l’organisation de réunions de sensibilisation avec les départements concernés. Cette approche centralisée diffère des expériences d’autres pays, tels que le Danemark cité plus haut, dans lesquels les institutions publiques sont libres de décider de la nature et du contenu de leur charte, ou de ne pas en établir du tout (EUPAN, 2018[14]). De même en Autriche, plusieurs chartes sectorielles ont été mises en place sans cadre global, par exemple la charte du ministère des finances, les chartes des autorités de district, les chartes des prestataires de services des sociétés ferroviaires et commerciales, etc. (EUPAN, 2018[14]). Le Maroc se démarque donc de ces exemples et suit un modèle se rapprochant des expériences portugaises ou françaises, dans lesquelles un cadre de référence au niveau national est défini puis décliné au niveau sectoriel et local.
Les normes et standards établis par la charte marocaine sont plus spécifiques tant en matière de gestion de la performance que dans les interactions entre l’administration et le citoyen. Les chartes comprennent en général une combinaison de normes dites « souples » (i.e. : Nous vous accueillons avec amabilité), et de normes plus « dures » comprenant des standards concrets et mesurables (i.e. : vous serez aidé dans les 15 minutes suivant votre arrivée). La charte marocaine contient peu de standards ou de normes à délai déterminé, hormis la publication d’un certain nombre de rapports annuels (évaluation annuelle des performances vis-à-vis du programme d’action pluriannuel, adoption de programmes annuels pour l’amélioration de la qualité des prestations, publication d’un rapport annuel sur le bilan de traitement des réclamations). Ceci est en effet dû à la portée générale de la charte ainsi qu’à son caractère générique. Les aspects opérationnels et les normes « dures » doivent faire l’objet de textes ultérieurs. La Charte n’établit donc pas de délais dans les interactions directes entre l’administration et l’usager, par exemple quant au délai de réponse à une requête par courriel. La feuille de route relative à la mise en œuvre de la charte attendue ainsi que les « chartes de prestations » produites par chaque entité administrative seraient l’occasion de compléter ces éléments opérationnels en clarifiant la mise en œuvre des dispositions sur la base de standards concrets.
Le format et le contenu de la Charte sont notamment dus à la nature de l’exercice de conception de la charte, qui ne permet pas d’introduire plus de détails pour les normes standardisées. En ce sens, l’objectif avec l’adoption d’une Charte des services publics est principalement de guider, et non de dicter, les principes de fonctionnement de l’administration publique au Maroc vers un mode opératoire davantage réactif et adapté aux besoins et défis contemporains, et démontre un élan visant à consolider la qualité démocratique des institutions.
Les articles 30 et 31 de la Charte des services publics marocaine prévoient des mécanismes afin de traiter les réclamations des citoyens dans les cas où les engagements de l’administration ne seraient pas respectés (voir Tableau 3.1). La mise en place d’engagements concrets et spécifiques concernant le retour d'information des citoyens et la gestion des plaintes est un aspect crucial de la majorité des chartes des services publics. La gestion des réclamations, mesure de la satisfaction des usagers dans une optique d’amélioration continue des services, fait par exemple l’objet des socles 4, 5 et 6 de la charte d’accueil et de service du Luxembourg (Luxembourg - Institut national d’administration publique, 2013[15]).
La Charte des services publics fait partie d’un effort plus large pour développer un cadre légal et réglementaire pour une meilleure gouvernance de l’administration
L’inscription de la Charte des services publics dans le cadre légal fait partie d’un effort soutenu du gouvernement marocain pour développer un cadre légal et réglementaire visant à instaurer une administration tournée vers les usagers. En ce sens, la Charte des services publics consolide les avancées réalisées dans trois domaines connexes de l’administration publique : le renforcement de la transparence, la simplification administrative, et enfin la déconcentration, comme mentionnés dans le chapitre 1 du rapport.
La Charte des services publics vise notamment à aborder les contours éthiques devant guider l’action de l’appareil administratif, et à contribuer en ce sens au renforcement du cadre législatif lié au droit d’accès à l’information et à la transparence. L’adoption de la loi 13-31 du 12 mars 2018 relative au droit d’accès à l’information a confirmé la volonté du Maroc d’assoir les principes de transparence, d’intégrité et de redevabilité au sein de son administration. Plusieurs articles de la Charte des services publics permettent de renforcer les ambitions du Maroc liées à la transparence et au gouvernement ouvert :
« Article 5 : Les services publics sont soumis aux principes suivants :
La transparence : en permettant au public d’accéder aux informations, notamment celles relatives au fonctionnement des services publics et aux prestations qu’ils délivrent et ce, dans le respect des deux langues officielles du pays et de la législation en vigueur ;
L’ouverture, à travers la communication avec les usagers et la réception et le suivi de leurs observations, propositions et doléances portant sur l’amélioration de la performance du Service Public.
Art. 23 : Les services publics sont tenus de faciliter l’accès des usagers aux informations qu’ils détiennent selon les textes législatifs et réglementaires en vigueur.
Art. 24 : Les services publics communiquent régulièrement sur leurs missions, leurs programmes, leurs activités et sur les prestations qu’ils fournissent et ce, par tous les moyens de communication disponibles, spécialement électroniques, y compris les sites- web conçus à cet effet. »
La promulgation de la loi portant Charte des services publics reflète notamment la volonté du gouvernement de fluidifier et d’améliorer l’action de l’appareil administratif dans sa relation avec les usagers. Une des dimensions cruciales de la charte est son alignement avec le cadre législatif lié à la simplification des procédures et démarches administratives. L’adoption d’une législation spécifiquement consacrée à la simplification des procédures et des formalités administratives (Loi n°55-19) en mars 2020 a constitué un tournant majeur pour l’administration marocaine et consacre son engagement pour une administration centrée sur les usagers. L’objectif de ce texte de loi est de parvenir à la simplification et à la numérisation de l’ensemble des actes administratifs, afin de faciliter les interactions des citoyens et des entreprises avec l’administration. Cette loi vise notamment à renforcer les droits du citoyen dans ses relations avec l’administration en introduisant un cadre contraignant pour certains principes de bonne gouvernance, en particulier :
Le recensement, la transcription et la publication des actes administratifs sur le Portail National de l’Administration www.idarati.ma dans un délai de six mois ;
La numérisation des procédures des actes administratifs dans un délai de cinq ans ;
Le principe de silence vaut accord de l’Administration ;
Le principe de justification de toute réponse négative relative aux demandes des usagers ;
Et enfin l’interdiction aux administrations de demander des documents disponibles dans d’autres administrations, ou des documents non indiqués dans les procédures officielles et publiées (Royaume du Maroc - Chef du Gouvernement, 2021[16]).
L’adoption de la Loi n°55-19 en 2020 est le point culminant d’une série d’initiatives successives dans ce domaine. Dès 1999, la circulaire du Premier Ministre n°31/99 relative à la simplification des procédures et des circuits administratifs a signalé l’intérêt du gouvernement pour cette problématique. Par la suite, le gouvernement marocain a adopté la loi n°03-01 de 2002 sur l’obligation de motiver les décisions administratives émanant des administrations publiques, simplifier des « grappes » de procédures par le biais d’un prestataire privé entre 2012 et 2016, et a également publié un guide sur la simplification des procédures administratives en 2016. En dépit de ces efforts, les outils mis à la disposition des ministères sectoriels demeuraient peu utilisés, et l’impact de ces projets restait, selon un rapport de la Cour des Comptes, “imperceptible au niveau de certaines administrations” (Royaume du Maroc, 2017[17]). Ainsi, la loi n°55-19 représente une réelle rupture en offrant un cadre cohérent et cohésif pour la simplification des procédures. La Charte des services publics comporte plusieurs articles visant à soutenir ce cadre, notamment :
« Article 10 : Les services publics inventorient les textes législatifs et règlementaires, les circulaires et les notes se rapportant à leurs compétences et procèdent à leur codification (classification) par domaine et à les publier par tous les moyens disponibles. Ils peuvent, le cas échéant, soumettre aux autorités compétentes (organes compétents) toute proposition visant la mise à jour de ces textes, en vue de les adapter aux besoins et aux attentes des usagers.
Article 27 : Les services publics doivent simplifier et numériser leurs procédures administratives, conformément aux textes législatifs et réglementaires en vigueur, notamment celles qui concernent la réception et le traitement des demandes des usagers et la délivrance des prestations objet de ces demandes. »
La relation entre l’appareil administratif et les usagers est intrinsèquement liée au mode d’organisation de la déconcentration administrative d’un pays. La Charte des services publics ayant comme objectif d’améliorer et d’établir les contours éthiques et organisationnels de la relation entre l’administration et les usagers, son alignement avec le cadre légal et réglementaire de la déconcentration est crucial. Le chantier de la déconcentration au Maroc connait depuis plusieurs années un essor, notamment en termes de cadre institutionnel et règlementaire. Tout comme la Charte des services publics, la charte de la déconcentration administrative est un des 24 projets relatifs aux transformations structurelles issus du PNRA (Charte de la déconcentration dans l’axe transformation organisationnelle ; Charte des services publics dans la transformation managériale). Sur le fond, les deux chartes sont intrinsèquement liées car elles comportent toutes les deux l’objectif prioritaire de renforcer la qualité et la proximité de l’administration publique de manière décentralisée en visant un meilleur fonctionnement dans les « régions et autres collectivités territoriales et des organismes publics ».
L’importance d’adopter la Charte de déconcentration administrative comme instrument permettant aux responsables locaux de prendre leurs décisions et d’exécuter les programmes de développement économique et social en accord et en cohérence avec les visées de la régionalisation avancée fut réaffirmée par SM le Roi Mohammed VI en juillet 2018 (Royaume du Maroc - Chef du Gouvernement, 2019[18]). Les orientations générales de la politique de l’État dans le domaine de la déconcentration administrative furent ensuite adoptées en août 2018 par le gouvernement (Royaume du Maroc - Chef du Gouvernement, 2019[18]). L’opérationnalisation de ce chantier a ensuite été lancée par la publication du décret n° 2-17-618 portant charte de déconcentration administrative au bulletin officiel le 26 décembre 2018. À la suite de l’adoption de la charte de la déconcentration administrative, le gouvernement marocain a engagé des actions pour pérenniser ces efforts à travers la publication au bulletin officiel de modèles types de schéma directeur de déconcentration administrative, et le lancement des travaux de la commission interministérielle pour la déconcentration administrative (Royaume du Maroc - Chef du Gouvernement, 2019[18]).
Les liens entre la déconcentration administrative et la qualité des services publics sont notamment explicités dans les articles 4, 5 et 8 de la Charte des services publics :
« Article 4 Paragraphe 2 : L’amélioration du système d’organisation des services publics à travers la répartition des tâches et la définition des responsabilités selon des organigrammes qui répondent aux objectifs définis et au principe de proximité et ce, dans le cadre de la régionalisation avancée et de la déconcentration administrative
Article 5 Paragraphe 3 : Les services publics sont soumis aux principes suivants
L’équité dans la couverture du territoire national, en œuvrant pour une couverture équitable en vue de rapprocher les prestations des usagers
Article 8 Paragraphes 4 et 5 : Les services publics adoptent une organisation qui tient compte notamment de la :
L’adoption du principe de subsidiarité dans la répartition des compétences pour une meilleure prise et mise en œuvre des décisions au niveau le plus adéquat et ce, pour atteindre l’efficacité, l’efficience et la proximité des usagers
La répartition des compétences entre les administrations centrales et leurs services déconcentrés, sur la base de la déconcentration administrative et selon les principes et règles définies dans les textes réglementaires en vigueur. »
La Charte des services publics demande à être identifiée plus clairement comme une priorité stratégique
Les dispositions et objectifs de la Charte des services publics représentent un levier essentiel pour permettre à l’administration marocaine de réaliser ses ambitions telles que définies dans le NMD. La Charte a été identifiée comme une priorité dans les documents du précédent programme gouvernemental et du PNRA 2018-21. Néanmoins, la charte n’est pas toujours explicitement mentionnée comme une priorité dans les documents de vision stratégique les plus récents du pays, notamment le Programme gouvernemental 2021-26 et le NMD, ce qui pourrait représenter un défi à sa diffusion et à sa mise en œuvre.
Depuis l’arrivée à échéance du PNRA, et l’adoption de la loi n°54-19 portant Charte des services publics en 2021, le projet de Charte des services publics semble avoir perdu en visibilité dans les documents de planification stratégique du gouvernement. Le NMD souligne l’importance de « mettre davantage l’accent sur la qualité du service au citoyen » en accélérant le processus de simplification des procédures administratives, la numérisation des procédures et la possibilité pour les citoyens d’évaluer régulièrement la qualité de ses services et d’avoir des recours en cas de litiges (Commission spéciale sur le modèle de développement, 2021[1])). La simplification administrative apparait à de nombreuses reprises au sein de ce document d’orientation stratégique, mais aucune mention explicite de la Charte des services publics n’est faite dans le document principal. La Charte pourrait être un levier pour permettre aux citoyens « d’évaluer régulièrement la qualité des services et d’avoir des possibilités de recours en cas de litige et d’abus », particulièrement avec la mise en œuvre de l’Observatoire national des services publics (Commission spéciale sur le modèle de développement, 2021[1]).
La Charte des services publics apparaît néanmoins dans le projet « administration efficace et citoyenne » en annexe 2 du NMD, dans le recueil des notes thématiques, des paris et projets (Royaume du Maroc, Commission Spéciale sur le Modèle de Développement, 2021[19]). Il est de plus précisé dans le recueil qu’il sera exigé dans les décrets d’application de la Loi sur la Charte des services publics de chaque entité administrative qu’elle élabore des « Engagements de services » qui seront publiés et opposables par les usagers en tant que mécanisme d’assurance-qualité des prestations publiques. Ces engagements seront l’outil d’opérationnalisation des principes de modernisation de l’administration à l’échelle des entités publiques. Cependant, les modalités de mise en œuvre et de suivi du NMD reposent sur un « pacte national sur le développement » qui n’a pas encore été signé. Le gouvernement marocain pourrait envisager de mettre en relief le rôle de la Charte des services publics dans ce plan d’action pour la mise en œuvre du NMD.
La Charte des services publics, en tant que document à part entière, est également absente du Programme Gouvernemental actuellement mis en œuvre. Le Programme Gouvernemental 2021-26 est structuré autour de plusieurs axes, dont le troisième porte sur « la gouvernance au service du citoyen et une administration efficace » (Royaume du Maroc - Chef du Gouvernement, 2021[20]). Les pistes d’action au sein de cet axe mettent l’accent sur la numérisation, la rationalisation des dépenses publiques, la réduction des inégalités sociales et territoriales, la transparence en matière de gestion budgétaire, et l’importance d’une administration plus proche des usagers et simplifiée (Royaume du Maroc, 2016[21]). La numérisation de l’administration et le processus de simplification des procédures administratives y sont mentionnés à plusieurs reprises, mais nulle mention n’est faite de la charte des services publics ou de sa mise en œuvre. En tant que cadre de réforme de la gouvernance publique, la Charte pourrait bénéficier d’une mention dans le Programme gouvernemental et les principaux documents stratégiques du gouvernement, au même titre que les autres grands chantiers de l’administration.
Il est important que le projet de Charte soit ancré dans une vision stratégique intégrée, qui permettre d’une part de donner un sens à la réforme en la plaçant dans son contexte et en la positionnant par rapport à d’autres initiatives, et d’autre part de mieux en définir ses objectifs stratégiques pour pouvoir en mesurer la réussite. Après la fin du PNRA, la restructuration du ministère de l’Économie, des Finances et de la Réforme de l’Administration en deux ministères (le ministère de l’Économie et des Finances et le ministère de la Transition numérique et de la Réforme de l’administration), n’a pour l’heure pas été accompagnée d’une vision intégrée des réformes de l’administration publique. Le développement d’une vision intégrée de la réforme de l’administration publique au Maroc pourrait faciliter la mise en œuvre de la Charte et expliciter ses liens avec d’autres projets de réforme (voir Encadré 3.2). En France par exemple, le programme « Services Publics + » lancé dans le cadre du renouvellement des engagements de la charte Marianne, est intégré à une réforme prioritaire du gouvernement français pour « Améliorer le service rendu aux citoyens », une réforme qui a une vocation et une ambition plus globales autour de l'amélioration continue des services publics et de la relation avec les usagers. Avec ce programme, l’ensemble des services publics s’engage autour de neuf principes communs pour la qualité de service. Cette réforme prioritaire est placée sous l’autorité du Ministre de la transformation et de la fonction publiques, et suivie en Conseil des ministres tous les trimestres. Si la Charte des services publics est conçue au Maroc comme un cadre plus large de réforme global pour l’administration, un certain nombre de ses principes et actions relatifs à la relation avec les usagers et à l’Observatoire national des services publics se rapprochent ainsi de problématiques traitées par le programme Services Publics +.
Encadré 3.2 Qualité des services publics au sein de la planification stratégique en Irlande
Depuis 2011, les plans de réforme du service public en Irlande ont rendu les services publics plus transparents, le processus décisionnel plus redevable et la prestation de services plus efficace. Notre Service Public 2020 (« Our public service 2020 ») constitue le cadre actuel de la réforme et vise à améliorer la prestation de services afin d’obtenir de meilleurs résultats pour les usagers.
L'action 2 vise à « Améliorer les services aux clients » au sein du pilier 1 : « Au service du public » de ce plan de réforme et est particulièrement axée sur l’accroissement de la satisfaction des usagers, de la confiance du public et de l'efficacité du gouvernement. Elle comprend notamment :
Des formations pour améliorer la qualité et la cohérence de l'engagement des services publics envers les usagers ;
La promotion des programmes de garantie de la qualité dans les organisations de service publics ;
Une étude du réseau « service client de qualité » ainsi qu’une révision de ses rôles et responsabilités afin d'en améliorer la cohérence et la portée et de soutenir les membres du réseau dans la production de plans d'action et de chartes des services publics pour s’assurer qu’ils reflètent l'ambition et l’engagement du gouvernement à améliorer la prestation de services.
Dans le cadre du processus de création des plans d'action et des chartes clients, les institutions publiques sont encouragées à adopter une approche structurée de la consultation des parties prenantes, de la définition de normes de services et de l'évaluation des performances sur la base d'indicateurs issus de l'utilisation d'outils de retour d'information.
L’existence d’un plan national et d’une vision intégrée pour la réforme de l’administration permet à l'administration irlandaise de mieux orienter l'appareil gouvernemental vers la mise en œuvre du plan, notamment en facilitant le suivi et l’évaluation de la réforme. La réforme identifie 6 résultats de long terme et 18 actions clés pour les attendre. Leur progrès est mesuré à l'aide de différentes méthodologies, y compris : des enquêtes nationales et internationales ; des mesures quantitatives provenant de sources telles que l'Office central des statistiques, EUROSTAT et l'Institut d'administration publique ; et des informations élaborées par les organisations de service public à partir d'enquêtes auprès des clients et des employés.
La mise en œuvre et le suivi du plan de réforme « Our public service 2020 » sont également facilités par la déclinaison du plan de réforme en plans d’action sectoriels. L'unité d'évaluation de la réforme (REU) du ministère des Dépenses Publiques et de la Réforme (Department of Public Expenditures and Reform) a collaboré avec d’autres organisations au sein du gouvernement afin d’élaborer ces plans sectoriels. Cette responsabilité est notamment inscrite dans le programme gouvernemental comme résultat dont le ministère est responsable.
Sources: (Gouvernement d'Irlande, 2022[22]); (Gouvernement d'Irlande, 2022[23])); (Gouvernement d'Irlande - Ministère des Dépenses Publics et de la Réforme, 2021[24]); Informations recueillies auprès du gouvernement français dans le cadre de ce projet.
Le cadre institutionnel doit permettre d’appuyer le pilotage et la mise en œuvre de la Charte des services publics
Il existe une grande variété de modèles organisationnels utilisés par les pays pour la gestion et la coordination des réformes de l’administration publique en général, et des mesures permettant d’améliorer la qualité des prestations de services en particulier. Le succès des réformes de l’administration publique et plus particulièrement des programmes de chartes des services publics, repose sur la mise en place d’un cadre institutionnel robuste en matière de pilotage, de coordination et d’évaluation de la réforme.
Cadre institutionnel de pilotage de la Charte
Le ministère de la Transition numérique et de la Réforme de l’administration est chargé d’impulser, de coordonner et de mener les grands chantiers de réforme de l’administration publique en concertation avec les autres ministères, notamment en ce qui concerne les actions de simplification des procédures administratives, l’amélioration de la qualité des services publics rendus aux usagers ainsi que le développement de l’administration numérique. Ces missions multidimensionnelles et pangouvernementales représentent un défi pour le ministère, dont les pouvoirs coercitifs vis-à-vis des institutions du gouvernement sont limités (OCDE/SIGMA, 2019[8]).
Ainsi, afin de mener à bien l’élaboration et l’adoption de la Charte, le Département de la Réforme de l’Administration a adopté une démarche collaborative et fait usage des réseaux à sa disposition pour préparer la Charte. Cependant, aucun cadre de gouvernance ou mécanisme institutionnel interministériel n’a encore été développé en parallèle pour piloter sa mise en œuvre.
À l’inverse, la loi 55-19 relative à la simplification des procédures et formalités administratives a permis la création d’une instance chargée de veiller à la bonne application de la loi, à savoir la Commission Nationale de Simplification des Procédures et des Formalités Administratives (CNSP). Officiellement entrée en fonction le 31 mars 2021, la CNSP est habilitée à définir et adopter une stratégie nationale pour la simplification des procédures et des formalités administratives et à veiller à sa mise en œuvre et à son évaluation (Agence Marocaine de Presse, 2021[25]).
Le recueil des notes thématiques, des paris et projets présenté en Annexe 2 du NMD propose deux cadres de gouvernance distincts : l’un pour l’application de la Loi portant Charte des services publics comme mécanisme d’assurance-qualité des prestations publiques, et l’autre pour le projet de numérisation de l’administration et d’amélioration des services au citoyen (Royaume du Maroc, Commission Spéciale sur le Modèle de Développement, 2021[19]). Le NMD propose notamment un cadre de gouvernance pour l’application de la loi portant Charte des services publics à travers des « Engagements de services » définis au niveau de chaque entité administrative, comme déjà mentionné précédemment dans ce chapitre. Il est suggéré que cette mission soit rattachée au Chef du gouvernement et ait pour objectif de certifier les engagements et de vérifier leur effectivité sur le terrain. Le NMD souligne également que le projet de numérisation de l’administration et d’amélioration des services (qui comprend notamment le chantier de simplification administrative) requiert une très forte coordination entre multiples administrations. Dans ce contexte, le NMD préconise que ce projet soit porté par une équipe de mission à caractère non permanent et gérée par un haut responsable nommé à cet effet, capable de piloter le projet dans les temps impartis, selon des objectifs clairs et en coordination avec l’ensemble des entités et agences concernées.
Le Maroc pourrait songer à restructurer et renforcer le portage institutionnel des réformes de l’administration publique afin d’en faciliter la mise en œuvre. Dans le cadre et l’esprit du chantier de rationalisation des commissions interministérielles (voir Chapitre 2), le gouvernement pourrait envisager de créer une commission unique chargée de la réforme de l’administration publique qui soit structurée en groupes de travail distincts sur les différents chantiers en cours. La France possède un exemple de structure similaire avec le Comité Interministériel de la Transformation Publique (voir Encadré 3.3).
Encadré 3.3 Création et pilotage du programme Services Publics+ en France
De la Charte Marianne à Services Publics+
Dès les années 2000, les premiers efforts gouvernementaux visaient à fédérer les services publics volontaires. La première charte Marianne, initiée en 2004, était principalement centrée sur l'accueil et l’écoute des usagers avec l’objectif de rassembler les administrations publiques volontaires sur l'accueil des usagers. La seconde charte Marianne fut élaborée en 2016 et suivie par une troisième version en 2019 – qui elle est plus large et ‘contraignante’ pour toutes les administrations. Depuis 2019, c’est l'usager qui est au centre de la ‘mission’ Marianne, une nouvelle dynamique qui s’inscrit dans un contexte politique et législatif favorable avec l’adoption de textes tels que la loi « pour un État au service d'une société de confiance » (ESOC) visant à simplifier l’utilisation des services publics pour les usagers et la mise en place d’initiatives telles que le programme « transparence sur la qualité et l’efficacité des services publics » ou encore le dispositif Vox Usagers.
Si la crise sanitaire et les évolutions institutionnelles comme la création du nouveau ministère de la Transformation Publique en 2020 ont occasionné un certain retard sur les mesures envisagées dans le cadre de la Charte Marianne, elles ont aussi déclenché une nouvelle dynamique autour du programme ‘Services Publics+’ porté par le même objectif de modernisation et d’amélioration de l’offre de services publics.
Le portage institutionnel de Services Publics+
Ce programme est mené de front par une direction du ministère de la Transformation Publique, et coordonné à l’aide de deux comités stratégiques et d’un comité opérationnel de suivi :
La Direction Interministérielle de la Transformation Publique (DITP) est en charge du déploiement du programme de transformation publique défini par le Comité interministériel de la transformation publique. La DITP assure aussi le suivi de l’exécution des réformes prioritaires du gouvernement français, en liaison avec les ministères et les préfectures dans les territoires. La DITP déploie notamment le programme « Services Publics + ».
Sur la base des travaux rendus dans le cadre du programme Action Publique 2022, un Comité interministériel de la Transformation Publique piloté par le ministère de la Transformation Publique a été mis en place pour assurer la mise en œuvre opérationnelle, le suivi, la coordination interministérielle et le pilotage politique du plan de réforme d’Action Publique 2022. Il réunit deux à trois fois par an les membres du gouvernement et est présidé par le Premier Ministre ; le secrétariat est assuré par le délégué interministériel à la transformation publique au sein de la DITP. Un des sept engagements tenus lors du 6ème comité en 2021 était notamment le déploiement complet du programme Services Publics+ d’ici la fin de l’année 2021 pour améliorer l’efficacité des services publics en continu.
Un comité stratégique de haut niveau réunissant les directeurs d'administration centrale et le ou la ministre la Transformation Publique.
Un comité opérationnel de suivi qui rassemble les directeurs d’administration (au niveau local) pour discuter du suivi des engagements et des indicateurs.
Source : (France - Ministère de la Transformation et de la Fonction Publiques, 2019[26]) ; Informations recueillies auprès du gouvernement français dans le cadre de ce projet.
Un cadre institutionnel et des outils pour la coordination de la Charte des services publics et son appropriation à travers l’administration
La mise en œuvre de la loi portant Charte des services publics n’est pour l’instant pas accompagnée de la création d’instances ou de forums institutionnels permettant la « dissémination » de la Charte à l’ensemble de l’administration publique et l’acquisition d’un sentiment d’appropriation de ses principes. Les parties prenantes rencontrées dans le cadre de ce projet ont néanmoins souligné l’élaboration d’une stratégie de communication dédiée autour de cette charte, accompagné d’un guide et de dépliants de sensibilisation. Dans le cadre de cette stratégie de communication, une série de réunions de sensibilisation avec les départements ministériels devrait également être organisées. La mise en place de forums et mécanismes pour communiquer sur la Charte des services publics et le développement d’un sentiment d’appropriation autour de ses principes sont des éléments essentiels pour la pleine réalisation du projet de Charte des services publics. Par exemple, la Charte des services publics invite les institutions à publier un programme d’action pluriannuel dans le cadre de la politique de l’État (Article 6), à publier un bilan annuel des réalisations vis-à-vis de ce programme (Article 12), à élaborer un plan anticipatif pour la prévention et la gestion des crises (Article 22), à élaborer et publier une charte institutionnelle de prestations contenant les engagements des services publics selon des indicateurs définis (Article 29), à adopter des programmes annuels pour l’amélioration de la qualité des prestations, et enfin à publier un rapport annuel sur le bilan de traitement des réclamations reçues (Article 30).
La loi portant Charte des services publics mobilise donc fortement les ministères sectoriels et services déconcentrés, et requiert un cadre institutionnel de coordination adapté, au-delà des instances de pilotage mentionnées plus haut. À l’instar d’autres pays ayant déployé des programmes similaires pour améliorer la qualité des services publics, comme l’Irlande (voir Encadré 3.4), le Maroc pourrait songer à déployer un réseau de mise en œuvre de la Charte, des conférences régulières et des outils de soutien destinés aux institutions. La mise en œuvre de ces chartes s’est en effet accompagnée d’un travail important d’appropriation de celles-ci par les administrations des pays concernés. Les institutions de l’administration marocaine rencontrées dans le cadre de ce projet ont fait référence à la Charte des services publics comme une initiative prioritaire de réforme. Le degré d’appropriation dudit texte par les administrations concernées conditionne la capacité et la volonté de celles-ci à appliquer les nouveaux principes et les règles en question. Cela nécessite un travail de fond en matière de communication, de mobilisation et de coordination de la part des administrations concernées, allant de la création jusqu’à l’application de la charte en question. En ce sens, l’exemple français de Services Publics+ comme programme de modernisation des services publics met en lumière les bénéfices d’une telle démarche collaborative : en misant sur un processus de ‘co-construction’ avec l’ensemble des parties prenantes concernées (y compris les opérateurs et les usagers publics) de la conception jusqu’au déploiement du dispositif Services Publics+, la Direction Interministérielle de la Transformation de la Fonction Publique (DITP) a permis à tous les acteurs de contribuer et de convaincre le maximum d’administrations publiques. Cette méthode a permis de partir des engagements pris dans le cadre de la Charte Marianne précédente afin de les actualiser et d’intégrer un certain nombre d’instructions claires, tout en prenant en compte les besoins et les demandes des parties prenantes. En misant sur une ‘démarche d'amélioration continue’, la DITP a entrepris une réflexion participative portant sur les engagements des administrations et permettant un dialogue et un réel processus de co-construction de ces engagements, qui deviendraient ensuite contraignants pour l’ensemble des opérateurs publics.
Encadré 3.4 L'initiative pour un service client de qualité et l'initiative de la Charte du client en Irlande
Améliorer la façon dont le service public s'engage auprès de ses clients et améliorer la conception et la prestation des services sont des éléments essentiels constitutifs du cadre pour la réforme du service public du gouvernement irlandais. L'Initiative pour un service client de qualité (Quality Customer Service Initiative) a été mise en place en 1997, établissant 9 principes directeurs - élargis à 12 en 2000 - pour un service client de qualité.
Parallèlement, l'initiative de la Charte du client a été lancée en décembre 2002. Une charte du client est une courte déclaration décrivant le niveau de service qu'un client peut attendre d'un ministère ou d'un bureau du gouvernement. Dans le cadre de cette initiative, chaque ministère et bureau du gouvernement est tenu d'élaborer une charte du client et de rendre compte de ses performances par rapport aux normes de service qu'elle définit.
Pour aider à mettre en œuvre et à coordonner ces initiatives dans l'ensemble de l'administration, le gouvernement irlandais utilise un ensemble de mécanismes de coordination :
Réseau de service client de qualité
Le Réseau de service client de qualité (Quality Customer Service Network) a été créé en 2000 pour développer, promouvoir et mettre en œuvre l'Initiative service client de qualité (Quality Customer Service Initiative). Le réseau se réunit régulièrement tout au long de l'année. Il est animé par le bureau de la réforme et de la prestation au ministère des Dépenses Publiques et de la Réforme (Reform and Delivery Office, Department of Public Expenditure and Reform). Le réseau offre une plateforme permettant d'identifier les meilleures pratiques en matière de services client et de partager les connaissances acquises dans l'ensemble de la fonction publique. Les responsables du service clients de qualité, qui participent au réseau en tant que représentants de leurs organisations, supervisent les normes de service client dans leurs organisations, y compris la production de plans d'action et de chartes clients conformément à l'initiative de la Charte du client.
Conférence sur la qualité du service client
Le ministère des Dépenses publiques et de la Réforme organise également une conférence annuelle sur la qualité du service client, à laquelle participent des représentants du service client et des parties prenantes de l'ensemble du service public.
Lignes directrices
En 2018, le gouvernement a également publié un ensemble de directives pour l’élaboration de chartes institutionnelles et de plans d’actions.
Un cadre institutionnel pour le suivi et l’évaluation de la qualité des services publics : l’Observatoire national des services publics
Une politique d’amélioration de la qualité des services publics repose d’une part sur un mécanisme servant de « gage de qualité », telle que la Charte des services publics, et d’autre part sur une structure permettant un processus de suivi et d’évaluation régulier (OCDE/SIGMA, 2017[28]). Le suivi et l’évaluation font partie intégrante du processus de mise en œuvre d’une charte. Il s’agit non seulement de garantir le respect des principes et recommandations tels qu’énoncés dans la charte par les administrations publiques concernées, mais aussi de permettre un suivi rapproché des possibles défis rencontrés et questions soulevées tout en évaluant les progrès réalisés. L’évaluation ex post de la performance de l’administration permet également aux institutions externes comme le CESE et la Cour des comptes au Maroc de présenter un diagnostic détaillé des politiques publiques et de formuler des propositions d’amélioration.
La loi portant Charte des services publics prévoit la création d’une telle structure auprès de l’autorité gouvernementale chargée de la réforme de l’administration sous la forme d’un Observatoire national des services publics (Article 35). Un projet de décret portant sur l’organisation et le fonctionnement de l’Observatoire est en cours d’élaboration. Le rôle de l’Observatoire tel que défini dans la Charte des services publics est de contrôler le niveau d’efficience des services publics ainsi que la qualité des prestations fournies (Article 35). Le NMD fixe des objectifs de satisfaction des usagers à hauteur de 80% à l’horizon 2035. Il est à noter que le Maroc ne dispose pas encore du dispositif institutionnel lui permettant d’avoir ces indicateurs de manière régulière, coordonnée et indépendante (Commission spéciale sur le modèle de développement, 2021[1]). L’Observatoire reste aujourd’hui à opérationnaliser en l’absence de décret associé portant sur ses fonctions et son organisation. Le Maroc prévoit également de mener en amont de la création de l’Observatoire une évaluation interne sur la qualité des services fournis au sein de l’administration dont les résultats serviront de base de référence pour l’administration.
Dans l’optique de la création de l’Observatoire national des services publics, l’exemple de l’Espagne (voir Encadré 3.5), qui a mis en place au cours des deux dernières décennies deux modèles institutionnels successifs en matière de suivi de la qualité des services publics, pourrait être utile au Maroc. D’autres pays, comme la France, ont mis en place des modèles conjuguant suivi par l’administration et par des acteurs indépendants : la France fait conduire le Baromètre évaluant les services publics par l’Institut indépendant Paul Delouvrier, qui réalise l’analyse et les enquêtes avec des instituts de sondage privés, et pilote ce travail depuis la DITP, une structure interne à l’administration placée sous la supervision du Ministre de la Transformation et de la Fonction publiques (Ministère de la Transformation et de la Fonction Publiques, 2021[29]).
Encadré 3.5 L’évaluation de la qualité des services publics en Espagne : deux modèles d’ancrage institutionnel
2007-2017 : L’Observatoire de la Qualité des Services Publics au sein de l’Agence pour l’évaluation des Politiques Publiques et de la Qualité des Services
L'Agence pour l’Évaluation des Politiques Publiques et de la Qualité des Services (Agencia Estatal de Evaluación de las Políticas Públicas y la Calidad de los Servicios) est un organisme public créé en 2007 et régi par la loi 28/2006 du 18 juillet relative aux agences d'État pour l'amélioration des services publics. Par le biais de l'Observatoire de la qualité des services publics, l’Agence analysait en permanence la qualité des services publics et proposait des initiatives générales pour l'améliorer. Sur la base de ces analyses, l’Observatoire réalisait une série de rapports annuels d'évaluation sur la qualité des services.
Depuis 2017 : Un suivi de la qualité des services publics piloté au sein de la Direction Générale de la Gouvernance Publique
Depuis la dissolution de l’Agence en 2017, ce rôle de contrôle et d’évaluation a été placé au sein du ministère responsable de la réforme de l’administration. La Direction générale de la gouvernance publique produit dorénavant un rapport annuel sur l'activité des ministères espagnols (Informe sobre la actividad de los Ministerios españoles - ISAM).
Ce rapport présente une vue d'ensemble de l'activité des ministères en référence aux programmes du « Cadre général pour l'amélioration de la qualité dans l'administration générale de l'État (RD 951/2005) » qui comprennent l’analyse de la demande et évaluation de la satisfaction des usagers ; le programme des chartes de services ; le programme des plaintes et des suggestions ; et le programme d'évaluation de la qualité des organisations.
Faciliter l’appropriation, la mise en œuvre et le suivi de la Charte des services publics afin de promouvoir une dynamique d’amélioration continue
Le rapport final de la loi de Finances souligne la nécessité de doter la Charte des services publics de toutes les garanties d’application, comme prévu par l’article 157 de la Constitution (Bennajah, 2022[32]). À l’heure actuelle, les décrets d’application de la loi portant Charte des services publics ne sont pas encore publiés. Afin de faciliter sa mise en œuvre, le gouvernement marocain pourrait envisager d’introduire la Charte de façon progressive auprès des administrations. Aux États-Unis, un décret intitulé « Transformer l'expérience du client et la prestation de services au niveau fédéral pour rétablir la confiance dans le gouvernement » est entré en vigueur le 13 décembre 2021 et exige que les dirigeants du gouvernement tiennent compte des expériences vécues par le public lorsqu'il interagit avec l’administration. Dans le cadre de cette initiative, le gouvernement a désigné 35 prestataires de services à fort impact dans les agences fédérales sur la base du volume et des types de prestations qu’ils offrent au public (États-Unis - Maison Blanche, 2021[33]). Ce déploiement progressif avait pour objectif d’accélérer le processus de modernisation et de simplification des services de ces agences afin de garantir des interactions efficaces et de qualité avec les usagers. De façon similaire, le gouvernement marocain pourrait déployer la Charte des services publics de façon progressive au sein d’administrations pilotes ayant un fort impact sur la qualité de vie des usagers, ou ayant les capacités et les compétences pour une mise en œuvre accélérée.
Les chartes de services peuvent également dans certains cas aider les gouvernements centraux à imposer un cadre de performance pour les services publics en transformant les normes de service détaillées dans la charte en indicateurs de performance. Les institutions au sein de l’administration centrale en charge du suivi de la qualité des services publics peuvent alors utiliser ces indicateurs de performance pour suivre les performances des entités publiques, facilitant ainsi les comparaisons entre entités et les incitant à fournir une qualité de service conforme aux objectifs. Néanmoins, de nombreux pays font état de difficultés à mesurer la conformité aux normes définies dans les chartes.
L’évolution de la Charte des services publics vers un cadre de mesure de la performance des services publics viendrait remplir une fonction essentielle jusque-là absente du cadre de gouvernance marocain. En effet, il n’existe pas pour l’instant d’outils offrant une vision globale de la performance et de la qualité des services publics (OCDE/SIGMA, 2019[8]). Les initiatives mises en place jusqu’à présent ont été fragmentées, et leurs résultats ont été impactés par l’absence de système central de collecte de données (OCDE/SIGMA, 2019[8]). La création de la plateforme Nationale de Gestion des réclamations « Chikaya.ma » offre néanmoins un ensemble de services qui viennent partiellement pallier ce manque, en particulier grâce à sa capacité à générer des statistiques relatives aux réclamations (voir Encadré 3.6).
Encadré 3.6 La plateforme nationale de gestion des réclamations : Chikaya
CHIKAYA est la Plateforme Nationale de Gestion des réclamations, des suggestions et des observations émanant du citoyen. Elle fournit au citoyen un nouveau canal électronique, transparent et facile à utiliser pour le dépôt et le suivi de ses réclamations et de ses requêtes auprès de l’administration concernée. Par ailleurs, la plateforme fournit également à l’administration un processus entièrement dématérialisé de réception et de traitement des réclamations et des requêtes, depuis leur dépôt jusqu’à l’issue finale qui leur sera attribuée.
Depuis son lancement, l’application CHIKAYA a été déployée au sein de 1736 administrations et organismes publics avec plus de 1 230 000 réclamations reçues. Ce nombre est aujourd’hui en augmentation, avec plus de 30 000 réclamations reçues suite à l’adhésion de 1590 Collectivités Territoriales des régions du Royaume à la plateforme dans le cadre de la généralisation de la plateforme unique des réclamations des citoyens.
Le portail offre au citoyen un ensemble de services notamment :
La possibilité de soumettre une demande ;
La possibilité de suivre une réclamation et communiquer avec l’administration à travers le portail Chikaya et le centre d’appel et d’orientation administrative joignable au 3737 ;
Mesurer le taux de satisfaction après le traitement d’une demande ;
Rouvrir une réclamation ;
Générer des statistiques (indicateurs et chiffres relatifs aux réclamations) ;
En dépit du progrès que représente le portail « Chikaya » en matière de collecte de données statistiques relatives à la qualité des services publics, les indicateurs qui y sont liés ne reflète qu’une partie des engagements de la Charte des services publics. Afin de mettre en œuvre la vision « d’amélioration continue » voulue par le gouvernement marocain, d’autres mécanismes de suivi et d’évaluation de la qualité des services publics et de la réalisation des engagements doivent être déployés, comme le souligne notamment la Commission Nationale sur le NMD :
Le mécanisme d’assurance qualité a pour mission de certifier les engagements pris par les différents services administratifs envers les usagers, à travers des missions d’audit sur le terrain, des enquêtes de satisfaction et des visites d’usagers mystères. L’objectif est de publier un « baromètre » pour chaque service administratif mesurant le degré d’application de ses engagements (scoring ou code couleur en fonction du taux de réalisation des engagements). Le baromètre serait accessible au grand public et affiché sur le lieu des services administratifs. Il pourra aussi servir à évaluer les responsables des services concernés. (Royaume du Maroc, Commission Spéciale sur le Modèle de Développement, 2021[19])
Un grand nombre de pays membres de l’OCDE disposent de mécanismes similaires permettant aux usagers de fournir un retour d'information sur la prestation des services publics. Certains pays s'engagent également à utiliser ce retour d'information pour améliorer les services publics à l'avenir. L’expérience de la France pour la mesure des résultats et de la qualité des services publics à travers le programme Services Publics+ pourrait être bénéfique au Maroc, particulièrement dans le cadre de la création de l’Observatoire national des services publics (voir Encadré 3.7).
Encadré 3.7 Déploiement du programme Services Publics + et mesure de ses résultats
Le programme Services Publics + vise à déployer une démarche d’amélioration continue de l’expérience usager au sein des services publics, en relation avec les usagers et en s’appuyant sur les parties prenantes (agents des sites locaux et élus du territoire). Cette démarche permet d’identifier les actions d’amélioration et les axes de progrès à travailler par rapport aux résultats attendus du programme, sur la base des indicateurs de satisfaction usagers et de performance des services publics qui sont mis à disposition du public et des agents sur la plateforme de Services Publics +.
Adapter les engagements à chaque « réseau » administratif
Dans un premier temps, il est important que chaque réseau s’approprie les engagements en les explicitant et les « traduisant » dans son contexte propre (par exemple, pour le respect des délais annoncés, de quel délai s’agit-il pour un réseau donné, quelle articulation avec les processus et procédures de travail du réseau, quel sens pour les agents, etc.).
Les services publics de l’État participant au programme sont tenus dans un second temps de s’autoévaluer quant au respect des 9 engagements Services Publics + afin d’en déduire des axes d’améliorations prioritaires.
Deux types d’indicateurs
Les résultats affichés reflètent à la fois la satisfaction de l'usager, c'est-à-dire la qualité de service perçue par le public, et la performance du service, c'est-à-dire la qualité du service rendu par l'administration. Cela se traduit par deux types d'indicateurs :
Indicateurs de satisfaction, mesurés par des enquêtes : satisfaction globale, satisfaction concernant la qualité de l'accueil par canal de contact (téléphone, accueil physique), etc. ;
Indicateurs de performance, mesurés par l'administration : taux de décroché au téléphone, délai moyen de réponse aux courriels, taux de dossiers traités en moins de X jours, etc.
Sources des données
Les indicateurs mesurés et affichés se veulent en adéquation avec les attentes prioritaires des usagers (rapidité, joignable, personnalisation etc.) dans leurs relations avec les services publics ainsi qu’avec les engagements Services Publics +. Les données sont mesurées au plus près de l’usager, à la maille locale, et sont mises à jour le plus régulièrement possible (année N-1 a minima). Les principaux services publics de l’État sont représentés (plus de 2.5 millions d’agents), soit une quarantaine de réseaux qui sont transparents sur la qualité de leur service.
Les données publiées sont des données produites par chacun des services publics engagé dans le programme Services Publics +. Par exemple, la Police nationale calcule le délai moyen d’intervention de Police-secours après un appel au 17 (« performance ») ; les services des impôts mesurent le taux de satisfaction des usagers qui ont fait une demande de rendez-vous (« satisfaction »).
Pour les résultats de performance, il s’agit le plus souvent de mesures internes, notamment issues des systèmes informatiques et de gestion des services concernés. Pour les résultats de satisfaction, ils sont issus d’enquêtes menées auprès des usagers, soit par un tiers extérieur soit par le service public lui-même. Les explications et détails méthodologiques associés à chacun des indicateurs sont fournis par chaque service public et sont affichés à côté des indicateurs. Ils sont également consultables sur les sites de chaque service public.
Une dimension essentielle du succès de la mise en œuvre de la Charte comme levier pour une transformation de la gouvernance dans son ensemble et comme outil de garantie, de standardisation et de mesure de la qualité des services publics, repose sur une dissémination et une appropriation de ses principes à travers l’administration. Pour ce faire, le MTNRA pourrait s’investir dans un processus de ‘co-construction’ avec les administrations concernées afin de garantir une mise en œuvre pérenne et robuste de la Charte. À l’instar de la France, le gouvernement du Maroc pourrait envisager l’organisation d’ateliers de lancement et de présentation de la Charte aux différentes administrations et services concernés. Ceci permettrait notamment de clarifier quand cela est nécessaire et d’échanger sur les directives ‘souples’ telles qu’énoncées dans la Charte afin d’aboutir à des principes et des recommandations plus concrètes auxquels les opérateurs participants pourraient plus facilement adhérer. Afin d’assurer la légitimité politique et l’efficacité du processus de concertation et d’appropriation sur le long-terme, il parait important que ce travail d’engagement soit porté, soutenu et suivi à haut niveau tout au long de sa mise en œuvre. En outre, le MTNRA pourrait également envisager de développer des formations spécifiques sur la Charte et ses outils de mise en œuvre. Par ailleurs, afin d’accroître la mobilisation au sein de l’ensemble du gouvernement, le gouvernement pourrait songer à développer davantage de mécanismes d’incitation pour des services publics de qualité axés sur les principes de la charte (Voir Encadré 3.8 Mécanismes de soutien et d’incitation pour des services publics de qualité en Nouvelle-Zélande et au Royaume-Uni). Le ministère pourrait par exemple étendre la compétition e-mtiaz à d’autres domaines. Organisée depuis 2005, cette compétition récompense les acteurs publics ayant mis en place les services publics électroniques les plus performants. Ce prix récompense notamment les institutions selon quatre catégories : « e-contenu » ; « e-démarche » ; « applications mobiles » ; et « e-participation communautaire ».
La feuille de route en cours de finalisation par le MTNRA doit permettre d’accompagner les administrations et de les soutenir dans l’appropriation et la mise en œuvre des principes de la Charte en identifiant un certain nombre d’actions à mener. La mise en œuvre de la feuille de route est une phase essentielle pour le succès de la Charte et pour réaliser les ambitions de modernisation et de réforme de l’administration au Maroc.
Encadré 3.8 Mécanismes de soutien et d’incitation pour des services publics de qualité en Nouvelle-Zélande et au Royaume-Uni
Nouvelle-Zélande
Les prix « Spirit of Service » récompensent les mécanismes de gouvernance exceptionnels du secteur public ainsi que les jeunes leaders et les initiatives qui produisent des résultats remarquables pour les Néo-Zélandais. Deux compétitions apparaissent particulièrement pertinentes pour le contexte marocain :
Prix des meilleurs résultats : ce prix récompense l'obtention de résultats novateurs dans les domaines qui comptent le plus pour le bien-être à long terme des Néo-Zélandais.
Prix de l'excellence du service : ce prix récompense les améliorations de service de pointe qui font une réelle différence dans la vie des Néo-Zélandais.
Royaume-Uni
La marque de la Charte était une récompense démontrant la réalisation d'une norme nationale d'excellence en matière de service à la clientèle dans les organisations du secteur public du Royaume-Uni. Introduite en 1991, elle a été remplacée en 2008 par la norme d'excellence du service client et les dernières marques de la Charte ont expiré en 2011. La marque de la Charte était l'un des résultats de l’initiative politique « la Charte du citoyen » lancée par le Premier ministre John Major en 1991 pour améliorer le service client et les performances dans le secteur public. Suite à une évaluation du système, la norme d'excellence du service client a été lancée en 2005 et a progressivement remplacée la marque de la Charte en 2011.
La norme d'excellence du service client est un examen externe indépendant des services proposés par une organisation. Il s'agit d'un outil d'amélioration continue destiné à aider les organisations du secteur public ou privé à fournir des services efficients, efficaces et qui placent les clients au cœur de la prestation de services. L'accréditation dure 3 ans et les organisations sont examinées chaque année par des évaluateurs indépendants. Pour obtenir l'accréditation, les organisations doivent satisfaire à tous les critères d'évaluation. 57 éléments sont évalués dans 5 domaines clés :
1. La connaissance du client
2. La culture de l'organisation
3. L’information et l’accès
4. La prestation
5. La rapidité et qualité du service
La transition numérique comme levier central d’amélioration des prestations publiques
La crise sanitaire du COVID-19 a contribué à accélérer la transformation numérique dans de nombreux pays, tant pour les citoyens et les entreprises que pour l’administration et les services publics. Dès lors, la transformation numérique est apparue comme un enjeu politique prioritaire pour les gouvernements, entrainant un besoin croissant d’investissements et des stratégies de transformation numérique agiles et coordonnées. Si les technologies numériques ont le potentiel d’améliorer l’accès et la qualité des réponses publiques, le rapport insiste néanmoins sur l’importance d’un cadre de gouvernance robuste dans le déploiement et la mise en œuvre des stratégies numériques à grande échelle, avec l’objectif de promouvoir une « transformation numérique inclusive, qui renforce la résilience du système et réduise les fractures numériques » (OCDE, 2021[38]).
À l’instar de nombreux pays de l’OCDE, le développement du numérique au Maroc est conçu comme une priorité stratégique visant à favoriser le développement économique, industriel et social du pays à travers une amélioration des échanges entre citoyens et administrations, une meilleure productivité et compétitivité de l’économie et la réduction des inégalités socio-économiques. Accéléré par la pandémie du COVID-19, le processus de numérisation est une priorité politique majeure pour le gouvernement visant à transformer l’administration publique ainsi que les organisations privées du Maroc, comme le soulignent le NMD et le programme gouvernemental 2021-26. Dès lors, le pilier numérique de la stratégie gouvernementale s’intègre dans une logique nationale de modernisation de l’État et d’amélioration de la performance des services publics.
Dans ce contexte, le Maroc est confronté à la nécessité d'un leadership fort et d'une coordination plus efficace de ces politiques publiques pour permettre l’avènement d’une stratégie numérique intégrée. Précédemment placé sous la responsabilité du ministère de l'Industrie, du Commerce et de l'Économie Verte et Numérique (désormais ministère de l’Industrie et du Commerce), le chantier de la numérisation est désormais sous l’égide du MTNRA, créé en octobre 2021 lors du remaniement ministériel à la suite des élections comme une première étape vers la mise en œuvre des recommandations du rapport général sur le NMD qui a appelé à multiplier les efforts afin d’accompagner la dynamique de la transition numérique et de l’innovation technologique.
Un mandat clair et un renforcement institutionnel pour mettre en œuvre la transition numérique de l’administration
Au niveau du cadre institutionnel, le Maroc s’est doté pour la première fois d’un ministère – le MTNRA – dont l’une des missions principales est la transformation numérique, reflétée jusque dans l’intitulé de celui-ci. Il s’agit d’un signal fort qui souligne l’importance accordée à la transformation numérique dans toute l’économie et son lien avec la transformation numérique de l’administration. Le soutien politique est une condition fondamentale pour rassembler les volontés et obtenir des engagements tangibles et spécifiques en faveur de la transformation numérique du secteur public, comme le montre l’exemple coréen (Voir Encadré 3.9).
Le MTNRA a la responsabilité de l’économie numérique (voir Chapitre 2) et de toutes les missions associées à l’écosystème économique et numérique. Le MTNRA élabore la stratégie du digital et assure son suivi avec l’ensemble des parties prenantes, l’Agence de Développement du Digital (ADD) met en œuvre un ensemble de projets faisant partie de cette stratégie et validés par son conseil d’administration. Cette agence créée en 2017 vise à mettre en œuvre et proposer une vision objective, durable et intégrée ainsi que des objectifs clairs et sectoriels pour le développement du numérique au Maroc, et peut être perçue comme le bras opérationnel du ministère. L’ADD mène également une série de chantiers qui visent à accélérer la transformation numérique sur des sujets tels que l’interopérabilité, les données ouvertes, la modernisation des infrastructures numériques ou encore le renforcement des compétences numériques via l’académie digitale.
La gouvernance est un facteur clé de réussite d’une stratégie de transformation numérique et doit permettre un pilotage et une coordination efficaces de la transformation numérique. Si tous les pays de l’OCDE ont élaboré une stratégie numérique nationale, le dispositif de gouvernance pour la mise en œuvre de cette stratégie peut varier d’un pays à l’autre en matière d’institutions, d’organisation et de culture administrative. Le rapport ‘Vers le numérique : Forger des politiques au service de vies meilleures’ de l’OCDE (2019[2]) distingue deux tendances clés en matière de gouvernance numérique, selon le niveau de responsabilité de l’institution chargée de la coordination stratégique. Un certain nombre de pays tels que le Brésil et le Mexique ont opté pour une centralisation du portefeuille numérique au plus haut-niveau du gouvernement (dans la plupart des cas au niveau du Chef de gouvernement). D’autres pays, comme le Maroc, ont choisi de déléguer cette responsabilité de coordination stratégique au niveau ministériel, avec la désignation d’un ministère chef de file. C’est notamment le cas de la Belgique et de l’Estonie où un ministère est exclusivement dédié à la stratégie numérique. Au Danemark, les affaires numériques sont l’une des missions du ministère des Finances. Au-delà du choix du dispositif de gouvernance du numérique, les compétences digitales et les capacités à coordonner les politiques de transformation numérique sont essentielles tant pour l’élaboration que pour la mise en œuvre d’une stratégie numérique.
Encadré 3.9 Corée : Un leadership fort comme pierre angulaire de la stratégie digitale coréenne
Placé dans le top 3 du classement 2020 (UN E-Gov Survey) des Nations unies sur la performance des gouvernements numériques, la Corée est considérée comme un des pays les plus avancés en matière de transformation numérique.
Cet élan fort et soutenu vers une gouvernance numérisée est largement dû à l’importance politique accordée à ce sujet au plus haut niveau du pouvoir exécutif coréen. Considérée comme une priorité par l’administration coréenne depuis 1993, la promotion de la transformation numérique est placée sous la supervision directe du Premier Ministre afin d’assurer un portage de haut niveau et une coordination interministérielle des projets numérique. À partir des années 2000, les réformes en matière d’e-GOV sont promues dans l’agenda présidentiel, avec notamment la création du comité spécial présidentiel pour l’e-gouvernement (Presidential e-Government Special Committee). Celui-ci a défini la vision et la stratégie du gouvernement en matière de numérisation (avec la création de 11 grands projets d'administration électronique avec un soutien budgétaire adéquat dans différents ministères) et a permis une coopération active entres les différents ministères, lançant dès lors la promotion à grande échelle de la digitalisation en Corée en 2001 grâce à un total de 257 millions de dollars investis dans ce processus. L'administration suivante a confirmé ce tournant décisif avec la création du Comité présidentiel sur l'innovation gouvernementale et la décentralisation (PCGID) (the Presidential Committee on Government Innovation and Decentralization), au sein duquel existe également un comité d’e-Gouvernement.
La réussite de la stratégie numérique de la Corée réside ainsi en partie dans le portage présidentiel, sa vision à long-terme, ses moyens d’action et le financement ainsi que l'existence de mécanismes formels permettant de coordonner les projets transversaux grâce au comité E-GOV.
Afin de remplir au mieux ses missions, le MTNRA doit disposer d’une influence et de pouvoirs de mobilisation importants vis-à-vis des ministères sectoriels et autres entités publiques. Par le passé, le ministère en charge du portefeuille numérique disposait souvent de capacités limitées d’alignement stratégique avec les autres départements sur les sujets d’administration numérique. De plus, en raison de remaniements institutionnels fréquents, le MTNRA ne bénéficie pas encore d’une stabilité organisationnelle robuste inscrite dans le temps. Le ministère pourrait envisager une réflexion sur les pistes possibles permettant de renforcer son leadership, son influence politique et sa stabilité (OCDE, 2021[42]). Certains pays comme le Danemark et l’Estonie ont également opté avec succès pour un modèle de gouvernance reposant sur un ministère clé soutenu par une agence sous tutelle (Voir Encadré 3.10). Les entretiens tenus dans le cadre de ce projet avec les partenaires marocains ont indiqué en ce sens deux pistes prioritaires :
Un projet de restructuration interne du MTNRA pour une meilleure cohérence entre les missions clés du ministère et son organisation, qui est à l’étude au niveau du SGG ;
Un portage au plus haut niveau des sujets de numérisation pour renforcer le pouvoir de mobilisation du ministère, par exemple en lien avec les Services du Chef du Gouvernement pour la mise en œuvre des priorités numériques.
Encadré 3.10 L’institutionnalisation de la stratégie numérique au Danemark et en Estonie
Danemark : Un rôle clé pour le ministère des Finances, appuyé par une agence dédiée au numérique
Le Danemark se classe régulièrement dans le peloton de tête mondial lorsqu'il s'agit d'évaluer la transformation numérique de son secteur public, avec une longue tradition de numérisation entamée dès les années 90. Depuis 2001, le Danemark conduit sa politique nationale de numérisation grâce à ses stratégies pluriannuelles sur l'orientation de la numérisation publique ‘Digital Strategies’ et à la coopération entre les gouvernements centraux, régionaux et locaux, les entreprises et les associations professionnelles de différents secteurs et les partenaires sociaux.
Pour conduire le chantier de numérisation, le Danemark a opté pour une approche intergouvernementale sous la direction du ministère des Finances, qui occupe un rôle stratégique comme principal initiateur des stratégies et des politiques de numérisation.
Sur le plan opérationnel et stratégique, c’est l’agence danoise spécialisée dans la numérisation (DIGST), qui est chargée de coordonner et de mettre en œuvre la stratégie nationale d’e-Gov. Fondée en 2011 et placée sous la tutelle du ministère des Finances, elle est également chargée de diriger le comité directeur pour la stratégie d’e-Gov (Steering Committee for the Egovernment Strategy), comité composé des parties prenantes de tous les niveaux de gouvernement. La DIGST a un mandat fort et reconnu, travaillant à la fois au niveau stratégique et opérationnel pour le développement et l'exécution de stratégies et d'initiatives individuelles. Au niveau opérationnel, la DIGST travaille dans le cadre d’un comité de pilotage formalisé, le Portfolio Steering Committee (PSC), qui comprend des parties prenantes de tous les niveaux de gouvernement (représentants de tous les ministères, des différentes associations municipales et régionales). Dans le cadre du PSC, chaque initiative stratégique du plan d'action a son propre comité de pilotage, qui s’ajoutent aux comités de pilotage permanents, ce qui permet une meilleure coordination intersectorielle et interministérielle.
Le portefeuille numérique est porté par le ministère de l’Économie et des Communications en Estonie
L'Estonie est reconnue pour être un pionnier en matière de numérisation des services publics au niveau européen et occupe la 3ème place du classement e-gouvernement des Nations Unies en 2020.
Le modèle de gouvernance choisi par l’Estonie pour piloter la stratégie numérique s’établit au niveau ministériel, sous la tutelle principale du ministère de l’Économie et des Communications. En plus de l’orientation stratégique et du suivi de la mise en œuvre, le ministère de l’Économie et des Communications est également chargé d'approuver le financement de la plupart des projets relatifs aux technologies de l’information et de la communication (TIC) et de donner son avis sur la cohérence des nouveaux projets de développement avec le système existant.
L'objectif principal de « l’Agenda Digital » de l’Estonie est de permettre la création d'un écosystème public et privé digitalisé qui soit fonctionnel et sécurisé, avec la capacité d’impulser des solutions innovantes et technologiques au bénéfice de l’économie et de la société estonienne. Approuvé par le Parlement estonien en 2021, le « plan de développement de la société numérique à horizon 2030 » (Digital Society Development Plan 2030) se concentre sur trois domaines clés : le renforcement de l’e-gouvernement, la cybersécurité nationale et le déploiement de réseaux et d’infrastructures technologiques à l’échelle nationale.
Dans son rôle de coordinateur stratégique de la politique numérique, le ministère est constitué de deux entités clés :
Le Secrétaire général adjoint des Communications et des Systèmes d’information, placé au sein du ministère : Il coordonne le développement, la mise en œuvre et le suivi de la stratégie visant à assurer la numérisation de l’administration et des services publics. Il encadre la préparation des projets de loi et représente l’Estonie sur les sujets numériques auprès des organisations européennes et internationales. Il siège au e-Estonia Council et est également le Directeur des Systèmes d’Information de l’État (CIO).
Le Département des Systèmes d’Information de l’État (Government CIO Office) du ministère est en charge du déploiement, de la coordination stratégique de l’agenda numérique de l’État. Il est notamment composé d’un Chief Information Officer, d’un Chief Technology officer et d’un Chief Data officer.
La mise en œuvre réussie d’une stratégie de transition numérique repose également sur l’existence de mécanismes de coordination solides, permettant de réaliser les objectifs de transition numérique dans l'ensemble du secteur public (OCDE, 2021[42]). Jusqu’à présent, le MTNRA coordonne ce chantier 1) grâce à l’appui des Secrétaires Généraux dans chaque ministère sectoriel ; 2) par le biais du réseau des Directeurs des systèmes d’information (DSI) des différents ministères qui apparaît comme un réseau à vocation technique et orientée sur les solutions numériques ; 3) et par le biais du réseau des Ambassadeurs du Digital pour les questions d’ordre plus général. Le MTNRA collabore étroitement avec un certain nombre d’acteurs clés de l’écosystème numérique marocain, notamment la Direction Générale de la Sécurité des Systèmes d’Information, l'Agence Nationale de Réglementation des Télécommunications (ANRT) et le ministère de l’Intérieur. Il travaille également avec l’administration publique dans son ensemble, malgré l’absence de mécanismes formels de coordination et d’alignement de haut niveau relatifs à la transition numérique. Le MTNRA utilise la Commission nationale de simplification administrative pour traiter des sujets relatifs à l’administration numérique ; néanmoins, le périmètre de la Commission dépasse le cadre du numérique, et a contrario ne couvre pas l’ensemble des sujets inclus dans la stratégie numérique du gouvernement. Il existe au Maroc plusieurs structures et associations de la société civile et du secteur privé dans le domaine de la transition numérique, notamment l'association des Utilisateurs des Systèmes d'Information au Maroc (AUSIM), la Fédération marocaine des Technologies de l'Information, des Télécommunications et de l'Offshoring (APEBI), la commission permanente Start-ups et Transformation Digitale relevant de la Confédération Générale des Entreprises du Maroc (CGEM) et les agglomérats d’entreprises informatiques (Technopark), qui pourraient être intégrées dans une instance formelle et régulière de dialogue public-privé en matière de transition numérique.
En raison de la diversité des contextes, des besoins et des capacités au sein de chaque administration au Maroc, comme dans de nombreux pays de l’OCDE, des cadres de coordination et de coopération solides avec un pilotage fort et coordonné de la mise en œuvre ainsi que des capacités et dispositifs de suivi doivent être mis en place pour soutenir la transformation numérique durable du secteur public, notamment la mise en œuvre de la stratégie numérique et de la feuille de route sur la numérisation de l’administration (OCDE, 2018[4]). La mise en place de structures pérennes de coordination et de réseaux d’échange est d’autant plus primordiale que les expériences passées du Maroc dénotent une forte tendance des ministères sectoriels à travailler en silo y compris sur les initiatives numériques. Les échanges menés dans le cadre de ce projet ont notamment mis en relief la réticence de certains départements sectoriels, particulièrement ceux les plus avancés en matière de transformation numérique, quant à la mise en place d’une approche commune à l’ensemble de l’administration.
La stratégie numérique du MTNRA prévoit le renforcement des réseaux des DSI et des Ambassadeurs du Digital. Ces efforts de consolidation pourraient notamment renforcer les structures de coordination de haut-niveau (voir Encadré 3.11). Compte tenu des liens forts entre la réforme de l’administration et la transformation numérique qui sont regroupés dans un même ministère, le gouvernement marocain pourrait envisager d’établir un groupe de travail interministériel de la transition numérique au sein d’une commission unique chargée de la réforme de l’administration publique et du numérique.
Encadré 3.11 Royaume-Uni – Une transformation numérique efficace grâce à une unité centrale et des réseaux de coordination
Le Royaume-Uni a opté pour une gouvernance centralisée de sa stratégie nationale de numérisation (avec l’objectif de devenir ‘digital by default’), en plaçant la responsabilité du portefeuille numérique au sein du Cabinet Office et en créant une unité spéciale dédiée à la numérisation, le Governmental Digital Service (GDS), en 2011.
Le GDS fonctionne en tant que pôle central au sein du Cabinet. Il a un rôle d’agence spécialisée, mandatée pour la mise en œuvre de la stratégique numérique, la coordination stratégique et le suivi des initiatives gouvernementales en matière de numérique. Pour assurer la coopération interministérielle, le GDS est dirigé par le Groupe Ministériel sur la Technologie Numérique Gouvernementale (Ministerial Group on Digital Government Technology), qui regroupe les responsables du numérique, des données et de la technologie des départements du Cabinet Office. Il est également conseillé par un conseil consultatif (GDS Advisory Board), le groupe de pilotage sur les données et le groupe consultatif sur la vie privée et les consommateurs.
Le gouvernement du Royaume Uni mise donc sur une autorité compétente clé placée au centre du gouvernement et dotée d'un mandat fort. Parallèlement, les départements ministériels sont responsabilisés pour mettre en œuvre leurs stratégies numériques, avec des normes et des programmes de transformation définis, soutenus et contrôlés au niveau central par les équipes du GDS.
Pour une mise en œuvre et une coordination efficace, le GDS préside deux grands réseaux de coordination permanents : 1) le Réseau des leaders technologiques et numériques qui existe depuis 2017 et qui est composé de responsables numériques et technologiques des principaux ministères, ainsi que des dirigeants de chacune des administrations décentralisées ; et 2) le Réseau des leaders en matière de données créé en 2015 et qui a pour rôle de veiller à ce que l'approche des ministères en matière d'utilisation et de gestion des données permette de réaliser les objectifs politiques et opérationnels du gouvernement.
En février 2017, le gouvernement anglais a lancé son grand plan de transformation gouvernementale ‘Government Transformation Strategy’ qui a pour objectif de faire évoluer le rôle stratégique du GDS. La création d’un groupe intergouvernemental de transformation (cross-government Transformation Peer Group) sous la tutelle du GDS réunit les directeurs généraux de l'ensemble du gouvernement afin de développer une nouvelle approche commune de la transformation numérique. Le groupe de pairs dirige un groupe plus large de fonctionnaires impliqués dans les programmes de transformation, connu sous le nom de Transforming Together.
Création d’un cadre légal et réglementaire catalyseur de la transition numérique
La transition numérique peut être facilitée par les cadres juridiques et réglementaires existants. Il est donc nécessaire d'assurer un cadre normatif qui serve de catalyseur au gouvernement numérique. Le Maroc a progressivement construit un cadre législatif autour du numérique, avec notamment l’adoption de plusieurs lois phares (voir Tableau 3.2).
Tableau 3.2. Cadre juridique du numérique au Maroc
Loi |
Domaine d’application |
---|---|
Loi 53-05 |
Relative à l’échange électronique des données juridiques. |
Loi 09-08 |
Relative à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements des données à caractère personnel. |
Dahir n° 1-22-12 du 15 rejeb 1443 (17 février 2022) portant promulgation de la loi n° 52-21 |
Portant approbation de la Convention de l’Union africaine sur la cybersécurité et la protection des données à caractère personnel, adoptée à Malabo (Guinée équatoriale) le 27 juin 2014. |
Dahir n° 1-22-14 du 15 rejeb 1443 (17 février 2022) portant promulgation de la loi n° 53-21 |
Portant approbation du Protocole d’amendement à la Convention du Conseil de l’Europe n° 108 pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel, fait à Strasbourg le 10 octobre 2018. |
Loi 31-08 |
Relative à la protection du consommateur, qui inclut des dispositions relatives à la vente en ligne. |
Loi 07-03 |
Concernant les infractions relatives aux systèmes de traitement automatisé des données et qui punit l’accès frauduleux dans tout ou partie d'un système de traitement automatisé de données. |
Loi 05-20 |
Relative à la cybersécurité |
Loi 43-20 |
Relative aux services de confiance pour les transactions électroniques. |
Loi 04-20 |
Relative à l’identité numérique (Article 1) |
Source: Travail des auteurs.
Cette évolution du cadre législatif démontre une volonté du Maroc de se rapprocher des standards internationaux en matière de transition et de gouvernement numériques. L’Index du Gouvernement Numérique 2019 produit par l’OCDE permet d’identifier les lois les plus communément adoptées par les pays membres de l’OCDE sur divers sujets liés au numérique (voir Graphique 3.1). Afin de soutenir cet élan et de continuer de se rapprocher des standards de l’OCDE en la matière, le Maroc pourrait envisager de poursuivre le renforcement de son cadre législatif, notamment en matière de signature électronique, de dématérialisation de la commande publique (e-procurement) et d’interopérabilité des données. En complément de la simplification des procédures, la charge administrative pourrait être allégée en appliquant le principe « dites-le nous une fois » qui consiste à ne pas redemander à l’usager les pièces justificatives que les services administratifs possèdent déjà et qui oblige l’administration à faire preuve de transparence vis-à-vis des usagers sur l’utilisation de leurs données personnelles et sur les dispositions prises pour les protéger. Des évolutions dans ces domaines pourraient permettre au gouvernement marocain de suivre les grandes tendances des pays de l’OCDE en matière de cadre réglementaire et d’initiatives numériques.
Plus récemment, le gouvernement marocain a également déployé un chantier prioritaire d’évolution du cadre réglementaire lié à la numérisation, porté par le MTNRA. Cet angle d’action consiste à mettre en place un cadre réglementaire, incluant la loi sur l’administration électronique et les décrets d’application pour l’interopérabilité et les données ouvertes qui sont en cours de préparation et sont propices à la réussite de la transformation numérique au Maroc. Ce cadre pourrait par exemple également inclure la promotion des investissements dans le domaine du numérique, l’accès des startups aux marchés publics, la généralisation de la signature électronique et du paiement électronique au sein de l’administration, etc. Les leviers tels que les cadres juridiques et réglementaires favorisent en effet le passage à une transition numérique de manière à aider les gouvernements à réaliser leurs objectifs et à améliorer la qualité des services publics (OCDE, 2020[50]).
Ce chantier prioritaire a comme objectif d’accélérer la mise en œuvre des chantiers de numérisation, ainsi que de promouvoir l’innovation, l’entrepreneuriat, et l’investissement (Royaume du Maroc - Agence de Développement du Digitial, 2022[51]). Il fait l’objet d’un appui de l’ADD, qui est force de proposition dans ce domaine (Royaume du Maroc - Agence de Développement du Digitial, 2022[51]). Afin d’accélérer la mise en œuvre des chantiers de numérisation et d’ainsi améliorer les services publics rendus aux usagers, l’ADD a la responsabilité de mettre en œuvre 15 priorités et 5 chantiers, notamment sur les sujets suivants :
Interopérabilité : la plateforme nationale d’interopérabilité GISRE est mise en place depuis 2021. 5 premiers cas d’usage opérationnels ont été réalisés dans ce cadre.
Authentification et identification : une plateforme lancée en avril 2022 propose aux organismes, aux fournisseurs de services et aux citoyens un cadre dématérialisé pour les services d’identification et d’authentification, basé sur le tiers de confiance de la Direction Générale de la Sûreté Nationale. Le but de ce chantier est de promouvoir l’écosystème numérique et de construire une confiance numérique durable.
Modernisation de l’infrastructure numérique : l’ADD a réalisé une étude concernant l'élaboration d'un plan de développement des infrastructures des systèmes d'information (Datacenter & Cloud). Cette étude vise à identifier les tendances et les enjeux liés aux infrastructures Datacenter et au Cloud tant au Maroc qu’à l’international, à définir le modèle cible pour le développement de ces infrastructures au Maroc et à développer la feuille de route d'opérationnalisation du plan de développement et la gouvernance à prévoir pour piloter la mise en œuvre.
Open Data : l’ADD a lancé la nouvelle version du portail national de l’Open Data. Le portail donne accès à des données produites par plusieurs organismes publics qui sont autant que possible disponibles en format ouvert, standard et documenté pour faciliter leur exploitation et réutilisation.
« Génération digitale » : le chantier « Génération digitale » mené par l’ADD vise à doter le Maroc de ressources humaines qualifiées dans le domaine du numérique à travers la mise en place d’un écosystème de formation et d’actions de pilotage et de coordination de l’effort national de formation sur le numérique.
Académie numérique : l’ADD a procédé en mai 2022 au lancement officiel de la plateforme nationale e-learning « Academia Raqmya ». Cette initiative vise à renforcer les compétences et connaissances sur les métiers du numérique et à promouvoir l’apprentissage par le biais d’outils technologiques innovants.
Au sein de l’ADD, un département “Réglementation” a été établi afin de favoriser l’accélération de l’évolution juridique (adaptation du cadre réglementaire) et le lancement d’études juridiques en amont du travail législatif (lobbying et influence).
Une vision stratégique du gouvernement numérique en construction
Une stratégie du gouvernement numérique vise généralement à définir le cadre, la structure et les plans de mise en œuvre afin d’aligner les actions du gouvernement à ses objectifs, et de les mener à bien de manière efficace et efficiente. Pour ce faire, une stratégie de gouvernement digital doit détailler une vision, des objectifs et des résultats intermédiaires, identifier les parties prenantes et leurs activités respectives. L'adoption d'une approche stratégique au digital permet d'assurer la cohésion et la cohérence des politiques, favorisant le développement d'une transformation numérique intégrée et pangouvernementale.
À l’heure actuelle, la stratégie de transformation numérique à l’horizon 2030 est en cours d’élaboration par le MTNRA. Développée conjointement avec les différentes parties prenantes, cette stratégie nationale sera déclinée en trois axes : administration électronique, économie numérique et inclusion numérique. Ce chantier doit notamment tenir compte de la Loi 55-19 prévoyant la numérisation des parcours citoyens et des entreprises dans un délai de cinq ans. La stratégie de transformation numérique est envisagée par le gouvernement comme une réforme de large envergure, dont l’objectif est de moderniser davantage l’économie nationale, le secteur de l’investissement et la société au sens large.
Encadré 3.12. Projet de stratégie de transformation numérique à l’horizon 2030 au Maroc
Cette stratégie fixe un certain nombre d’objectifs à atteindre à l’horizon 2030 et identifie des indicateurs, notamment en matière de numérisation du gouvernement :
La numérisation de 100% des services publics ;
La connexion de 100% des entités concernées par le parcours citoyens et entreprises au « One Stop Shop » (Interface unique des services publics) ;
Le recours au service Cloud pour 70% des administrations ;
L’utilisation généralisée (100%) de la signature électronique par les administrations et établissements publics.
Afin d’atteindre ces objectifs, 4 axes ont été identifiés comme prioritaires :
1. La construction d’un cadre adapté à l’administration numérique ;
2. Le renforcement de l’infrastructure numérique ;
3. Le développement d’une stratégie data ;
4. La digitalisation des parcours usagers.
En parallèle, et en application des dispositions de l’article n°3 de la Loi n°61-16 portant création de l’ADD, cette dernière a récemment publié une note d’orientations générales pour le développement du numérique à l’horizon 2025 (ADD, 2020[53]). Cette note définit trois axes stratégiques :
Un gouvernement numérique au service des citoyens et des entreprises ;
Une économie compétitive grâce aux gains de performances amenés par le numérique ;
Une société inclusive grâce au numérique.
Ces axes stratégiques sont ensuite déclinés en domaines d’intervention qui peuvent être un produit livrable spécifique (« création d’un laboratoire d’innovations ») ou un objectif plus large (« utilisation des nouvelles technologies pour développer l’accès à l’éducation et à la formation sur tout le territoire du pays ») (ADD, 2020[53]).
Les stratégies nationales pour le gouvernement numérique de la plupart des pays de l’OCDE incluent des objectifs et des axes stratégiques mais également systématiquement des éléments sur les résultats intermédiaires, les acteurs responsables de la mise en œuvre des mesures ou encore des indicateurs permettant au gouvernement de suivre les progrès réalisés (voir Graphique 3.2). Pour le Maroc, si la note d’orientation n’a pas vocation à intégrer ces éléments, ceux-ci devraient faire partie de la stratégie de transformation numérique à l’horizon 2030 ou d’une feuille de route opérationnelle qui la déclinerait.
Le MTNRA pourrait donc envisager de décliner la nouvelle vision stratégique en objectifs et en résultats intermédiaires, d’identifier clairement les acteurs responsables de la mise en œuvre de ces mesures et inclure des indicateurs permettant au gouvernement de suivre les progrès réalisés. Concernant plus particulièrement l’axe de la transformation numérique de l’administration publique, cela pourrait être fait dans la feuille de route sectorielle actuellement en cours d’élaboration.
La note d’orientations développée par l’ADD vient s’inscrire en complémentarité de la stratégie de transformation numérique du Maroc à l’horizon 2030. La feuille de route de l’ADD vise ainsi à s’assurer de l’alignement et de la mise en œuvre des mesures prévues dans la stratégie nationale. Elle réaffirme également la nécessité de définir un modèle de gouvernance clair, un calendrier de réalisation et un outil de pilotage performant pour mesurer la réalisation des objectifs par les différents acteurs marocains (ces objectifs seront définis plus spécifiquement dans les différentes feuilles de route de mise en œuvre de la stratégie développées aux niveaux sectoriel et régional). Ces efforts de coordination sont notamment facilités par le fait que l’ADD est sous la tutelle du MTNRA et par sa structure de management dont le conseil d’administration est présidé par le Chef du gouvernement et inclut 5 ministères sectoriels (ADD, Agence de Développement du Digital, 2023[54]).
Le Maroc développe une stratégie nationale du numérique qui inclut la numérisation du gouvernement. L’incorporation du gouvernement numérique dans la vision stratégique d’un pays peut en effet prendre deux formes principales : une stratégie autonome du gouvernement numérique ou une intégration des processus numériques dans des stratégies plus larges, par exemple sur le numérique ou sur la modernisation du secteur public (OCDE, 2021[42]). Les deux modèles présentent des avantages et des coûts distincts, il revient donc à chaque gouvernement d’établir quelle approche est la plus adaptée. Dans les deux cas, l'établissement d'un lien entre une stratégie du gouvernement numérique et des programmes plus larges, notamment de modernisation du secteur public, est bénéfique pour la cohérence et l’identification de synergies au sein de l'administration publique. Cette capacité des gouvernements à établir des passerelles entre les stratégies de gouvernement numérique et les autres programmes gouvernementaux est réaffirmée dans la Recommandation de l'OCDE sur les stratégies gouvernementales numériques à laquelle le Maroc a adhéré en 2015 (OCDE, 2014[55]) (OCDE, 2014[56]).
Le chantier de la transformation numérique, et du gouvernement numérique en particulier, a été clairement identifié comme un levier de développement dans plusieurs documents stratégiques de long et moyen terme au Maroc. Le numérique est notamment identifié comme l’un des cinq leviers importants pour l’amorçage du NMD et sa mise en œuvre (Commission spéciale sur le modèle de développement, 2021[1]). Le NMD identifie l’accès à l’information, le degré de participation, l’accès et la qualité des services publics et la réduction des inégalités comme domaines pouvant bénéficier des progrès en matière de transformation numérique. La transition numérique au service du citoyen est également une des lignes directrices du troisième axe du Programme gouvernemental 2021-26 intitulé « La gouvernance au service du citoyen et une administration efficace ». Dans ce cadre, le gouvernement identifie explicitement la mise en œuvre des plans numériques pour les secteurs de la santé et de l’éducation comme priorité afin de réduire les disparités régionales et d’améliorer la qualité de ces services (Royaume du Maroc, 2021[57]). Afin de renforcer cette dynamique, le MTNRA pourrait identifier les autres domaines politiques pouvant bénéficier de la stratégie de gouvernement numérique afin de faire valoir que la numérisation du secteur public est pertinente pour d'autres stratégies gouvernementales.
Le MTNRA pourrait également envisager de renforcer les liens entre la stratégie de transformation numérique et les autres volets de réformes de l’administration dont le ministère a la charge. En effet, en l’absence d’un cadre général tel que le Plan National de Réforme de l’Administration, le ministère fait face à des défis afin de garantir un bon alignement de ses divers chantiers entre eux (simplification administrative, amélioration de la qualité des services publics, généralisation de la langue amazigh, mise en œuvre du gouvernement ouvert) et avec la numérisation de l’administration. Ainsi, s’il existe des instruments de gouvernance séparés sur les différents chantiers, tels qu’une Commission pour la simplification administrative et des feuilles de route, il n’existe pas à l’heure actuelle de vision claire, de plan stratégique d’ensemble ou de mécanismes précis permettant de garantir un alignement entre ces divers chantiers de réforme au sein de l’administration. À défaut d’une stratégie intégrée afin de faciliter une meilleure cohérence des réformes de l’administration, le ministère peut faciliter cet alignement stratégique en utilisant la Charte de services publiques comme cadre de réforme et au cours de l’élaboration des feuilles de route respectives de ces chantiers de réformes en s’assurant au préalable qu’elles répondent à ces questions (OCDE, 2021[42]) :
Les buts et objectifs des stratégies sont-ils complémentaires et orientés vers un développement à long terme ?
Si les buts ne sont pas complémentaires, certains buts ou objectifs risquent-ils d’être en opposition ?
Quels objectifs et projets de la stratégie de gouvernement numérique et de réformes de l’administration publique peuvent être liés explicitement ?
Quels mécanismes et mesures de gouvernance peuvent être partagés de manière à renforcer la cohérence, l'efficacité et l'efficience de la mise en œuvre des stratégies ?
Conclusion et recommandations
Le chantier de la réforme de l’administration publique au Maroc a réalisé des avancées significatives au cours des dernières années. La Charte des services publics représente une avancée concrète vers une gouvernance publique plus performante et de qualité au Maroc. La capacité de la Charte à apporter un cadre pour réformer l’administration en profondeur et de manière efficace et cohérente reste conditionnée par son ancrage réglementaire, sa visibilité à long-terme dans l’architecture institutionnelle et le paysage stratégique marocain, ainsi que par son appropriation par les différentes administrations et par les usagers. Dès lors, pour que la Charte demeure un vecteur clé et puissant de réforme au sein de l’appareil d’état marocain, il est nécessaire de veiller à ce qu’un portage politique soit clarifié et pérennisé, notamment grâce au renforcement d’un cadre institutionnel de coordination, de suivi et d’évaluation. Ceci permettrait notamment une appropriation des principes de la Charte de la part des pouvoirs publics et des différents niveaux de l’administration, ce qui faciliterait a fortiori son pilotage et sa mise en œuvre par les acteurs concernés. Inscrire la Charte des services publics dans un cadre institutionnel et stratégique gouvernemental peut également permettre d’en faire un outil de réforme visible, clair et cohérent et de garantir le succès de sa mise en œuvre grâce à une compréhension partagée de ses standards de performance et de qualité.
La transformation numérique bénéficie d’une attention politique importante par les opportunités qu’elle offre en tant que levier de modernisation et de simplification dans le secteur public et que catalyseur de changements socio-économiques. Si la transition numérique bénéficie d’un intérêt croissant de la part des autorités publiques au Maroc, notamment depuis la crise du COVID-19, son déploiement, sa coordination institutionnelle et sa mise en œuvre restent porteurs de défis importants. La refonte du ministère et la définition d’une stratégie numérique doivent permettre de répondre à ses défis et de faire converger les différentes initiatives numériques.
La Charte des services publics comme cadre conceptuel pour la mise en œuvre des services publics et pour l’administration au Maroc
Consolider le cadre réglementaire et stratégique associé à la Charte des services publics pour en augmenter la visibilité et faciliter la mise en œuvre
Adopter le décret d’application de la loi portant Charte des services publics.
Mettre en relief le rôle de la Charte des services publics dans le plan d’action pour la mise en œuvre du NMD grâce à des modalités et des principes de mise en œuvre et de suivi, et faire le lien avec le Programme gouvernemental en coordination avec les Services du Chef du Gouvernement.
Envisager de développer une vision stratégique intégrée de la réforme de l’administration publique au Maroc à travers l’élaboration d’un document stratégique d’ensemble ou une note reprenant les grands chantiers et les liant à la vision du NMD, en s’appuyant notamment sur la Charte des services publics :
Présenter le concept et les grandes lignes au Chef du gouvernement pour revue, approbation et portage ;
Inclure au sein de cette vision stratégique de la réforme de l’administration publique les objectifs et indicateurs de résultats associés aux divers chantiers de réforme entrepris par le ministère (simplification administrative, digitalisation, ressources humaines, langue Amazighe, charte des services publics et gouvernance publique) et les lier avec le NMD ;
Articuler de façon explicite la Charte des services publics avec les autres chantiers de réforme et de l’administration publique en soulignant les synergies entre ces chantiers ;
Effectuer un suivi régulier de cette vision stratégique et des réformes qui la composent basé sur les données associées ;
S’appuyer sur la Commission interministérielle pour la simplification administrative et l’adapter pour échanger et coordonner cette stratégie.
Continuer à développer le cadre institutionnel pour le pilotage et la mise en œuvre de la Charte des services publics et de la réforme de l’administration publique
Restructurer le portage institutionnel des réformes de l’administration publique afin d’en faciliter la mise en œuvre et le suivi :
Renforcer le positionnement de la Charte des services publics comme un cadre de référence piloté par le MTNRA auprès de l’ensemble du gouvernement et des administrations ;
Attendre de chaque entité administrative qu’elle produise des « engagements de services » (aussi appelés Charte institutionnelle de prestations) liés à la charte, publiés et opposables par les citoyens ;
Envisager d’associer les Services de Chef du Gouvernement au pilotage de la mise en œuvre de la charte, comme suggéré par le NMD.
Faire évoluer la Commission nationale de simplification administrative en une commission unique chargée de la réforme de l’administration publique, qui serait structurée en divers groupes de travail sur les chantiers en cours, inspirée par l’exemple du Comité Interministériel de la Transformation Publique en France. Au vu du nombre important de commissions existant dans le pays, cette recommandation vise à intégrer les discussions liées à la Charte des services publics au mandat d’une commission existante en élargissant le mandat de ladite commission.
Mettre en place l’Observatoire national des services publics prévu dans la loi afin de permettre un processus de suivi et d’évaluation régulier de la Charte à l’échelle nationale :
Élaborer et adopter le décret portant sur les fonctions et l’organisation de l’Observatoire national des services publics ;
Préparer les grandes lignes des indicateurs et informations nécessaires à collecter par les équipes du MTNRA en articulation avec l’Observatoire, tels que la liste des services publics à couvrir, des indicateurs portant sur la satisfaction, la confiance, les attentes des usagers ou l’attitude de l’administration en cas de réclamation. Le Baromètre Delouvrier en France peut donner des exemples d’indicateurs à utiliser ;
À défaut ou dans l’attente de la création de l’Observatoire, le MTNRA peut envisager de piloter ce travail de suivi et d’évaluation de la qualité de la Charte en coopération avec un institut indépendant de sondage ; celui-ci pourrait également être utilisé une fois l’Observatoire créé, comme c’est le cas en France avec le Baromètre Delouvrier.
Développer l’appropriation de la Charte des services publics par l’ensemble de l’administration et faciliter sa mise en œuvre et son suivi afin d’établir des standards de qualité et un cadre de performance
Finaliser la feuille de route liée à la mise en œuvre de la Charte des services publics.
Élaborer des outils de pilotage pour le suivi et la mise en œuvre de la Charte, aussi bien pour le pilotage d’ensemble par le MTNRA qu’au niveau sectoriel. Ces outils pourraient prendre la forme d’outils d’analyse de l’existant, d’un tableau de bord de suivi des actions avec des indicateurs, ou encore d’un plan d’actions et de déploiement.
Préparer une présentation de la Charte à l’ensemble de l’administration et inciter les différentes entités administratives à décliner cette Charte dans leur contexte spécifique en adoptant des engagements précis et concrets liés aux différentes parties de la Charte ; par exemple par un événement de portage et d’appropriation réunissant les différentes parties de l’administration.
Déployer un réseau de mise en œuvre de la Charte, organiser des conférences régulières, et développer des outils de soutien destinés aux institutions pour renforcer leur appropriation et soutenir la mise en œuvre de la Charte par l’ensemble de l’administration :
Mettre en place un réseau national de qualité des services publics animé par le MTNRA, à l’image du Réseau de service client de qualité créé en Irlande pour développer, promouvoir et mettre en œuvre l’initiative « service client de qualité » ;
Former les membres de ce réseau à la création des « engagements de services » et à la supervision de la qualité des services rendus aux usagers ;
Envisager la tenue d’une conférence annuelle sur la qualité des services rendus aux usagers ;
Co-créer des directives, guides et modèles pour l’élaboration des documents et exercices mentionnés par la Charte (bilan annuel des réalisations, plan anticipatif pour la prévention et la gestion de crise, « engagements de services » / charte institutionnelle de prestations, programmes annuels pour l’amélioration de la qualité des prestations, rapport annuel sur le bilan de traitement des réclamations reçues) ;
Développer des outils de communication autour de la charte et des engagements sectoriels, tant à destination de l’administration que des citoyens (supports numériques et papiers d’affichage).
Afin de favoriser la mise en œuvre progressive de la Charte, introduire et déployer la Charte des services publics en priorité au sein d’administrations « pilotes » ayant un fort impact sur la qualité de vie des usagers, ou ayant les capacités et les compétences pour une mise en œuvre accélérée.
Développer davantage de mécanismes d’incitation pour des services publics de qualité axés sur les principes de la Charte afin de permettre une plus grande mobilisation autour du chantier, par exemple étendre la compétition e-mtiaz à d’autres domaines, notamment la qualité des services publics.
Considérer la Charte comme un levier pour permettre aux citoyens « d’évaluer régulièrement la qualité des services et d’avoir des possibilités de recours en cas de litige et d’abus » :
En complémentarité avec la plateforme Chikaya, multiplier les approches pour mettre en place une démarche d’écoute des usagers et soutenir les administrations et opérateurs de l’État qui souhaitent développer ces outils ; ces outils pourraient prendre la forme de plateformes de témoignages pour faciliter le partage d’expérience, de comités d’écoute, de commissions des usagers, d’ateliers de co-conception, d’enquêtes statistiques, etc. ;
Développer un baromètre de mise en œuvre de la Charte des services publics comprenant des indicateurs de satisfactions mesurés par des enquêtes et des indicateurs de performance basés sur les données fournies par chaque entité administrative. Le baromètre Delouvrier en France présente par exemple ces caractéristiques.
La transition numérique comme levier central d’amélioration des prestations publiques
Ces recommandations s’inscrivent dans la continuité des conclusions de la Revue du Gouvernement Numérique du Maroc (OCDE, 2018[4]), et s’appuient plus particulièrement sur les analyses tirées de la section concernant la « gouvernance du gouvernement numérique ». Le Maroc a d’ores et déjà pris en compte un certain nombre de recommandations émanant de cette Revue, en particulier sur la préparation d’une stratégie numérique, sur le développement d’une agence en charge du numérique, et sur la poursuite des efforts visant à promouvoir l’ouverture, la transparence et l’accessibilité des services numériques afin de renforcer la confiance dans le gouvernement et de créer un secteur public plus transparent et responsable.
Renforcer la capacité de direction et les mécanismes de coordination au sein de l’administration pour mettre en œuvre la transition numérique de l’administration
Enclencher une réflexion au sein du MTNRA sur les pistes d’action pour renforcer son leadership, son influence politique et sa stabilité dans le cadre institutionnel marocain.
Identifier et mettre en place au sein du MTNRA des capacités et moyens adaptés à sa mission et lui permettant de disposer d’une influence et de pouvoirs de mobilisation suffisants vis-à vis des ministères sectoriels et autres agences publiques sur les sujets du numérique ;
Créer des capacités de pilotage et de suivi de la mise en œuvre de la stratégie numérique vis-à-vis des ministères (tableaux de bords et remontée d’informations) ;
Continuer à s’appuyer sur les Services du Chef du Gouvernement pour soutenir la transition numérique de l’administration et solliciter l’appui ou l’arbitrage du Chef du Gouvernement quand nécessaire ;
Clarifier les responsabilités respectives et moyens de coordination entre le MTNRA et l’ADD, notamment au niveau de la réforme du cadre réglementaire. Cela peut être fait notamment à travers la redéfinition des rôles du MTNRA et de l’ADD, le ministère étant en charge de l’initiation et de la définition des politiques publiques et du cadre réglementaire pour le Ministère et l’ADD jouant un rôle d’appui et de mise en œuvre, une configuration similaire à celles en place au Danemark et en Estonie ;
Comme suggéré dans la Revue du Gouvernement Numérique du Maroc (OCDE, 2018[4]), renforcer le mandat de l’ADD en lui attribuant des pouvoirs de suivi et de cofinancement, et assurer la mise à disposition des ressources financières et humaines correspondantes ;
Comme suggéré dans la Revue du Gouvernement Numérique du Maroc (OCDE, 2018[4]), envisager la création d’un poste de Directeur national de la transformation numérique (CDTO), avec un mandat précis, un soutien politique et une base institutionnelle, dont le rôle serait d’être un ambassadeur de la transformation numérique du secteur public marocain.
Développer un réseau de haut niveau et une architecture pour le pilotage et le portage de la stratégie numérique et sa mise en œuvre :
Formaliser certains des réseaux déjà mis en place au sein de l’administration marocaine et avec lesquels le MTNRA travaille, notamment le réseau des Secrétaires Généraux, pour porter et coordonner la stratégie numérique ainsi que les autres sujets de réforme de l’administration ;
Faire évoluer les réseaux actuels IT vers un réseau de « leaders du numérique » avec l’établissement d’un point focal de haut-niveau au sein de chaque ministère, qui permettrait entre autres de préparer les groupes de travail et d’aider à piloter et promouvoir la réforme du numérique ;
Établir un groupe de travail interministériel de la transition numérique au sein d’une commission unique chargée de la réforme de l’administration publique (voir recommandation de la section précédente) ;
Envisager le développement de stratégies et d’outils numériques de communication efficaces à destination des citoyens et autres parties prenantes.
Références
[54] ADD, Agence de Développement du Digital (2023), Site officiel de l’ADD, Gouvernance et Organisation, https://www.add.gov.ma/gouvernance-organisation.
[53] ADD, A. (2020), « Note d’orientations générales pour le développement du digital au Maroc à l’horizon 2025 ».
[25] Agence Marocaine de Presse (2021), CNSP, une instance de gouvernance chargée de veiller à la bonne application de la loi 55.19 | MapNews, http://mapnews.ma/fr/actualites/politique/cnsp-une-instance-de-gouvernance-charg%C3%A9e-de-veiller-%C3%A0-la-bonne-application-de (consulté le 3 mai 2022).
[32] Bennajah, Y. (2022), Charte des services publics : le Plan de déploiement est prêt - LesEco.ma, https://leseco.ma/lapolitique/charte-des-services-publics-le-plan-de-deploiement-est-pret.html (consulté le 3 mai 2022).
[13] Bréas, M. (2006), « La charte Marianne, occasion d’instaurer une logique d’engagement de service dans les services de l’Etat : « Pour un meilleur accueil » », Politiques et Management Public, vol. 24/4, pp. 113-133, https://doi.org/10.3406/POMAP.2006.2351.
[40] Chung, C., H. Choi et Y. Cho (2022), « Analysis of Digital Governance Transition in South Korea: Focusing on the Leadership of the President for Government Innovation », Journal of Open Innovation: Technology, Market, and Complexity 2022, Vol. 8, Page 2, vol. 8/1, p. 2, https://doi.org/10.3390/JOITMC8010002.
[1] Commission spéciale sur le modèle de développement, R. (2021), Le Nouveau Modèle de Développement - Rapport général, Royaume du Maroc.
[30] Espagne - Institut National des Statistiques (n.d.), INE - Metodologia Y Estandares, https://www.ine.es/ss/Satellite?c=Page&pagename=MetodologiaYEstandares%2FINELayout&cid=1259944129051&L=1 (consulté le 2 mai 2022).
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[46] Scupola, A. (2019), « Digital Transformation of Public Administration Services in Denmark: A Process Tracing Case Study », Journal of NBICT, vol. 1, pp. 261-284, https://doi.org/10.13052/nbjict1902-097X.2018.014.
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Note
← 1. L’OCDE a par exemple travaillé sur la simplification administration au niveau local dans le cadre du projet "Renforcement des institutions de gouvernance pour promouvoir le développement socio-économique au Maroc", ainsi que dans le cadre de la Revue du Gouvernement Ouvert et de travaux ultérieurs (OCDE, 2015[58]).