Ce chapitre propose un vaste tour d’horizon des évolutions de la tarification carbone, notamment des systèmes d’échange de quotas d’émission (SEQE), des taxes carbone, des droits d’accise sur les produits énergétiques et des subventions aux énergies fossiles. Il montre que le périmètre des émissions visées n’a guère changé et que le niveau de la tarification mesuré par les TEC nets a baissé. Les mesures prises en réaction à la récente crise énergétique ont éclipsé les hausses des prix explicites du carbone, tandis que de nombreux pays et territoires envisagent de mettre en place de nouveaux SEQE ou d’élargir la couverture de ceux qui existent.
Tarification 2024 des émissions de gaz à effet de serre (version abrégée)
2. Tarification carbone : évolution des taux effectifs sur le carbone
Copier le lien de 2. Tarification carbone : évolution des taux effectifs sur le carboneAbstract
2.1. Évolutions de la tarification carbone et de son périmètre
Copier le lien de 2.1. Évolutions de la tarification carbone et de son périmètre2.1.1. Tendances concernant le périmètre de la tarification
La proportion des émissions soumises à un TEC positif n’a guère progressé
Dans les 79 pays examinés dans le présent rapport, environ 42 % des émissions de GES sont soumises à un TEC net positif. Cette proportion n’a pas augmenté de façon significative entre 2021 et 2023 (Graphique 2.1). Quelque 27 % des émissions de GES enregistrées en 2023 sont concernées par un dispositif de tarification carbone explicite (un SEQE, une taxe carbone ou les deux) et 23 %, par des droits d’accise sur les produits énergétiques, qui sont une forme de tarification implicite. Le champ d’application des instruments de tarification explicite est donc plus vaste que celui des instruments de tarification implicite, et l’écart entre les deux est comparable à ceux relevés les années précédentes. Parmi les instruments de tarification explicite, les SEQE couvrent une part nettement plus importante des émissions que les taxes carbone, car davantage de pays en sont dotés. En l’occurrence, un SEQE est en place dans 40 pays, alors qu’une taxe carbone est prélevée dans 27 pays, et les SEQE sont de plus en plus privilégiés en tant qu’instruments de tarification explicite du carbone (voir la section 2.2).
La proportion des émissions couvertes par un SEQE a progressé de 0.7 point de pourcentage, et celle des émissions couvertes par une taxe carbone, de 0.3 point de pourcentage. Quant à la part concernée par les droits d’accise sur les produits énergétiques, elle est restée quasiment inchangée entre 2021 et 2023. Ces évolutions globales s’expliquent principalement par le fait que la majorité des pays n’ont que très peu, voire pas du tout élargi le périmètre des instruments de tarification explicite du carbone, hormis l’Australie, l’Indonésie, l’Autriche et la Slovénie1, qui ont mis en place de nouveaux dispositifs. Dans l’ensemble, l’évolution la plus importante observée entre 2021 et 2023 est la progression de 1 point de pourcentage, de 24 % à 25 %, des subventions aux énergies fossiles, qui a fait largement contrepoids aux signaux-prix positifs émanant des taxes carbone, des SEQE et des droits d’accise sur les produits énergétiques.
À première vue, le développement de la tarification carbone semble avoir atteint un plateau. On a toutefois pu observer un élargissement modeste du périmètre des émissions visées dans certains secteurs comme l’industrie, et un début d’intégration dans les dispositifs d’autres secteurs comme l’incinération des déchets (section 2.2). Beaucoup de pays et territoires s’attachent en priorité à se préparer à l’élargissement de la couverture et à la hausse de la tarification carbone, ainsi qu’aux conséquences de ces augmentations. Il s’agit notamment pour eux de s’attaquer aux difficultés d’administration et de conformité des systèmes existants, de traiter les émissions transfrontières (section 2.2) et de faire accepter les mesures des citoyens (section 2.3).
La stagnation des taux de couverture masque des évolutions de la tarification carbone
L’un des plus importants changements en termes de couverture des instruments de tarification positive a eu lieu en Australie, où une réforme menée en juillet 2023 a transformé le « mécanisme de sauvegarde » en un SEQE donnant lieu à une tarification avec l’instauration de quotas négociables (Parlement de l’Australie, 2023[10]). L’Indonésie s’est également dotée en février 2023 d’un SEQE, qui cible dans un premier temps les grandes centrales électriques au charbon, et elle prévoit d’instaurer en 2025 un dispositif hybride associant un système de plafonnement et d’échange et une taxe carbone (Ministère de l’énergie et des ressources minérales, Indonésie, 2023[11]). En octobre 2022, avec trois mois de retard sur la date prévue en raison des préoccupations suscitées par la crise énergétique, l’Autriche a inauguré un SEQE national pour les secteurs non concernés par le SEQE-UE (Ministère des Finances, Autriche, 2022[12]). Pour sa part, la Hongrie a instauré en juillet 2023, avec effet rétroactif à compter de janvier 2023, une taxe carbone ciblant les entités soumises au SEQE-UE qui bénéficient d’une quantité relativement importante de quotas gratuits ; son montant est fixé à 40 EUR/t CO2 (Gouvernement de la Hongrie, 2023[13]). En raison de contraintes liées aux données et de sa rétroactivité, cette taxe n’entre pas dans les modélisations servant à estimer les prix et les périmètres de couverture dans la base de données. Ces évolutions nationales ne se traduiront peut-être pas par une hausse significative de la proportion des émissions mondiales soumises à tarification, mais elles montrent que des progrès continuent d’être réalisés en matière de mise en œuvre de nouveaux instruments de tarification carbone.
Instruments de tarification carbone en cours d’élaboration
Des instruments de tarification carbone sont en cours d’élaboration dans un nombre croissant de pays, lesquels ont tendance à privilégier nettement les SEQE. Un instrument est considéré comme « en cours d’élaboration » lorsque les autorités publiques ont confirmé officiellement travailler activement à sa mise en œuvre, qu’un mandat a le cas échéant été défini à cet effet, mais que les entités réglementées ne sont pas encore tenues de respecter les prescriptions correspondantes (Banque mondiale, 2024[14])2.
Parmi les instruments en question, il y a le SEQE-UE 2, qui s’appliquera aux émissions de CO2 des fournisseurs de produits énergétiques en amont dans les secteurs non couverts par le SEQE-UE existant (petites entités des secteurs des bâtiments et des transports routiers), et qui sera applicable dans l’ensemble des États membres de l’Union européenne (Commission européenne, 2024[15]). La Türkiye a présenté une version actualisée de sa première CDN, qui renvoie explicitement à son système national d’échange de quotas d’émission, et elle élabore un dispositif pilote dont le lancement est prévu fin 2024 (Republic of Türkiye, 2023[16]). L’Ukraine a commencé à élaborer un SEQE, dont elle a établi le système de mesure, notification et vérification (MNV), mais ces activités ont été interrompues par la guerre d’agression déclenchée par la Russie (Ministère de l’Environnement et des Ressources naturelles de l’Ukraine, 2024[17]). Au moment du rapport, le système de MNV est en vigueur, mais il est facultatif pour les participants. En 2023, le Japon a instauré son système d’échange de quotas d’émission GX, dont la première phase repose sur la participation volontaire des entreprises (Asia Society, 2024[18]). À l’issue de cette première phase qui prendra fin en 2026, le système devrait être transformé en SEQE obligatoire et complété par une taxe carbone qui concernera les importateurs de combustibles fossiles à partir de 2028. Le Canada aussi a commencé en 2023 à élaborer un système national de plafonnement et d’échange pour les émissions de GES du secteur pétrolier et gazier, qui est actuellement en phase de consultation publique et dont le règlement définitif devrait être publié en 2025 (Environnement et changement climatique Canada, 2023[19]). Le Brésil (Feitosa, 2022[20]), l’Inde (Indian Ministry of Power, 2001[21]) et la Colombie (Colombian Ministry of Environment and Sustainable Development, 2024[22]) ont élaboré une législation ou un plan national qui définit le cadre institutionnel et réglementaire nécessaire à la mise en place future d’un SEQE. Au niveau infranational, plusieurs États des États-Unis élaborent des SEQE, dont l’Oregon, la Pennsylvanie, New York et le Colorado (ICAP, 2024[23]). Par ailleurs, des taxes carbone infranationales sont en cours d’élaboration dans l’État de San Luis Potosí au Mexique et dans la région de Catalogne en Espagne (ICAP, 2024[23]). Le développement de mécanismes de tarification carbone dans différents territoires montre que les instruments de réduction des émissions fondés sur le marché suscitent un intérêt croissant dans le monde.
La part des émissions faisant l’objet d’un prix du carbone positif pourrait progresser d’environ 7 points de pourcentage si les instruments de tarification explicite du carbone évoqués ci-dessus étaient mis en application (Graphique 2.2). Il apparaît que les SEQE suscitent plus d’intérêt que les taxes carbone, puisqu’on estime que la mise en place de ceux en cours d’élaboration ferait augmenter la part des émissions en question de 8.8 points de pourcentage, contre à peine 0.1 point dans le cas des taxes carbone. Parmi les pays qui élaborent actuellement de nouveaux instruments, plusieurs sont déjà dotés de dispositifs de tarification explicite du carbone institués à différents niveaux d’administration, dont les États membres de l’UE, le Japon, le Canada, l’Ukraine, la Colombie et l’Espagne. Compte tenu des chevauchements entre les champs d’application des instruments nouveaux et existants de tarification explicite du carbone – même si on peut raisonnablement supposer que deux instruments ne ciblent pas délibérément les mêmes émissions3 –, la part des émissions faisant l’objet d’un prix du carbone positif grâce aux nouveaux SEQE augmenterait dans des propositions moindres, à savoir de 6.7 points de pourcentage. L’estimation de la proportion des émissions concernées repose sur les informations publiées au sujet des instruments, ainsi que sur des hypothèses lorsqu’il n’existe pas de renseignements détaillés sur les projets de mise en œuvre. Dans ces conditions, les résultats doivent être considérés comme des estimations hautes de l’évolution attendue du taux de couverture. Ces modélisations constituent des estimations supplémentaires qui n’entrent pas dans la base de données sur la tarification du carbone et la fiscalité des énergies, et qui sont donc ignorées dans les estimations du taux de couverture du TEC net.
Instruments de tarification carbone à l’étude
Par ailleurs, dans un certain nombre de pays, des instruments de tarification carbone sont « à l’étude » : autrement dit, les pouvoirs publics ont annoncé leur intention de travailler à la mise en œuvre de ces instruments et cette intention a été confirmée par des sources publiques officielles (Banque mondiale, 2024[14])4. Les instruments qui entrent dans cette catégorie ne sont pas pris en compte dans les modélisations mentionnées ci-avant ni dans la base de données sur la tarification du carbone et la fiscalité des énergies, car il n’est pas certain qu’ils soient appliqués et on ignore les modalités de leur éventuelle mise en œuvre au moment de la collecte des données les concernant.
S’agissant des SEQE, parmi les pays inclus dans la base de données sur la tarification du carbone et la fiscalité des énergies, l’Argentine a fixé les grandes lignes d’un SEQE ciblant le secteur de l’électricité dans la première version d’un projet de loi générale présenté en décembre 2023, mais cette mesure ne figure plus dans la dernière version connue (avril 2024) (Padin-Dujon, 2024[25]). Aux Philippines, un projet de loi contenant des dispositions relatives à un SEQE a été approuvé sous conditions et une étude technique est en cours (Philippines Congress of the Republic, 2023[26]). La Malaisie a également fait part de son intention de lancer un SEQE, mais seul un marché du carbone à participation facultative a vu le jour jusqu’à présent (Bursa Malaysia, 2024[27]). Le Nigéria aussi a engagé une réflexion sur la mise en place d’un SEQE dans le cadre de la loi sur le changement climatique de 2022 (Manuell, 2022[28]). Pour sa part, le Chili a instauré le système dit de compensation des émissions de l’impôt vert (SCE), même s’il n’est pas évident qu’il entre dans la catégorie des SEQE (Enerdata, 2024[29]). Des SEQE sont en outre à l’étude au niveau infranational, dans l’État du Maryland (États-Unis) et dans la province du Manitoba (Canada) (Banque mondiale, 2024[14]).
Des taxes carbone sont par ailleurs envisagées dans plusieurs pays. Au Kenya, la loi sur le changement climatique donne forme à l’infrastructure administrative et institutionnelle d’une taxe carbone, mais celle-ci est encore à l’étude (Promethium Carbon, s.d.[30]). La Côte d’Ivoire a également fait part de son intérêt pour l’élaboration d’une taxe carbone dans le contexte du Partenariat pour la préparation au marché carbone (PMR) et de la Coalition pour le leadership en matière de tarification du carbone (CPLC) (2018[31]). Le Paraguay a déclaré avoir l’intention d’instaurer une taxe carbone sur les produits énergétiques liquides en mai 2025 dans le cadre d’une série de réformes, mais aucune avancée en ce sens n’a été observée jusqu’à présent (FMI, 2024[32]). En 2024, le gouvernement marocain a réaffirmé son intention d’instaurer une taxe carbone en réaction à la mise en place du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) de l’UE (Padin-Dujon, 2024[33]). La Nouvelle‑Zélande aussi a envisagé d’appliquer une taxe carbone, avant de revenir récemment à son projet d’instauration d’une taxe sur les émissions de méthane d’origine agricole en 2025 (Al Jazeera, 2024[34]). Israël, qui avait annoncé précédemment son intention de mettre progressivement en place une taxe carbone sur les énergies fossiles entre 2023 et 2028, a lancé sa mise en œuvre en septembre 2024 (Parlement d’Israël, 2024[35] ; Surkes, 2021[36]). Au niveau infranational, plusieurs États et provinces envisagent également des taxes carbone, dont les États de Colima et Jalisco au Mexique, l’État de Hawaii aux États-Unis et la province du Manitoba au Canada (Banque mondiale, 2024[14]).
Évolution du périmètre des instruments de tarification carbone dans les différents pays
La part des émissions prises en compte dans le présent rapport qui font l’objet d’un TEC net positif sous l’effet des instruments appliqués varie selon les pays. Comme les années précédentes, les TEC nets les plus élevés ont tendance à être concentrés dans les économies à haut revenu (Graphique 2.3). La Corée est le pays où la proportion des émissions concernées par un TEC net positif est la plus forte (99 %), ce qui s’explique par le fait que le champ d’application de son SEQE instauré en 2015 a été élargi progressivement et est aujourd’hui très vaste. En 2023, sept pays pris en compte dans le présent rapport ne comptaient aucune mesure de tarification positive du carbone.
Au cours de la période 2021-23, hormis l’Australie, la Slovénie et l’Autriche, les pays n’ont pas appliqué des mesures ou mené des réformes qui ont abouti à une hausse sensible de la part des émissions faisant l’objet d’un TEC net positif. Pour accroître la couverture de la tarification, les pays peuvent soit mettre en place de nouveaux instruments de tarification carbone qui se répercutent sur le TEC net, soit appliquer les instruments existants à une plus grande partie des émissions (en élargissant le champ d’application des instruments de tarification positive ou en réduisant celui des subventions aux énergies fossiles).
Les progressions modestes de la couverture relevées contrastent avec les baisses importantes de la part des émissions soumises à un TEC net positif observées dans plusieurs pays. Hormis en Colombie, au Sri Lanka, en Finlande, en Suisse et en Afrique du Sud, ces baisses ont découlé d’un élargissement du champ d’application des subventions aux énergies fossiles, qui a parfois fait progresser de 40 points de pourcentage la part des émissions concernées. Le développement des subventions aux énergies fossiles est en grande partie le résultat des mesures d’urgence prises par les pays en réaction à la crise énergétique amorcée au second semestre 2021, sous l’effet de la reprise économique succédant à la pandémie de COVID-19, et aggravée à la suite de la guerre d’agression déclenchée par la Russie contre l’Ukraine en 2022. Dans la plupart des cas, le renforcement de ces subventions a compensé en grande partie l’effet de la hausse de la tarification explicite du carbone et entraîné une diminution du TEC net.
Le périmètre des émissions couvertes reste variable suivant les secteurs
La part des émissions concernées par les instruments de tarification carbone continue de différer selon les secteurs (Graphique 2.4). Le secteur des transports routiers affiche le plus fort taux d’émissions soumises à un TEC net positif (90 %), devant celui de l’électricité (74 %). Dans le premier, ce taux élevé doit beaucoup à la tarification implicite du carbone qui découle des droits d’accise sur les carburants, tandis que dans le second, il est le fait des prix explicites du carbone émanant des SEQE. Le secteur des autres GES n’offre guère de prise aux instruments de tarification classiques comme les SEQE, les taxes carbone et les droits d’accise sur les produits énergétiques, et c’est pourquoi il affiche avec 4 % le plus faible taux de couverture des émissions, même si de nouveaux efforts sont en cours pour répondre à sa complexité (section 2.2).
Selon les chiffres issus de la dernière mise à jour, 58 % des émissions ne sont pas soumises à un prix positif, et ce taux atteint 67 % dans le secteur des bâtiments, 72 % dans l’industrie et 96 % dans le secteur des autres GES. Les écarts entre secteurs s’expliquent aussi dans une large mesure par les subventions aux énergies fossiles. Ainsi, la part des émissions concernées par ces subventions est presque deux fois plus élevée dans les secteurs de l’électricité et des bâtiments que dans l’industrie et les transports routiers.
En moyenne, la part des émissions faisant l’objet d’un TEC net positif a légèrement diminué entre 2021 et 2023, avec quelques variations de faible amplitude selon les secteurs. Dans certains secteurs, cette diminution résulte non d’un rétrécissement du périmètre des instruments de tarification positive, mais de l’élargissement de celui des subventions aux énergies fossiles. C’est le cas notamment dans les bâtiments (où les subventions ont gagné 10 points de pourcentage depuis 2021), les transports routiers (+6 points de pourcentage) et l’agriculture (+7 points de pourcentage). Cette évolution s’explique principalement par les mesures prises par les pays en réponse au renchérissement des produits énergétiques sous l’effet de la crise de l’énergie, qui ont ciblé les secteurs les plus durement touchés. Une modeste progression de la couverture a notamment été observée dans l’industrie du fait de l’application de nouveaux mécanismes et de l’élargissement de certains instruments existants.
2.1.2. Évolution des tarifs effectifs du carbone nets
Les TEC nets ont baissé, mais les SEQE et les taxes carbone se sont avérés résilients
Si l’élargissement du périmètre des émissions concernées par un TEC net positif a ralenti, les éléments du TEC net ont évolué dans les deux sens. Au bout du compte, le TEC net moyen de l’ensemble des pays a baissé, non parce que la politique de tarification carbone a changé, mais parce que les subventions aux énergies fossiles ont augmenté et que les droits d’accise sur les produits énergétiques ont diminué du fait des mesures d’urgence adoptées par les pouvoirs publics face à la crise de l’énergie. Les TEC explicites ont augmenté, passant de 4.44 EUR/t éq. CO2 en 2021 à 5.44 EUR/t éq. CO2 en 2023 (Graphique 2.5). Cela tient principalement à la hausse du prix moyen des permis négociables dans le cadre des SEQE, qui a atteint 4.66 EUR/t éq. CO2 en 2023. Par comparaison, le montant moyen des taxes carbone est nettement moins élevé, puisqu’il s’établit à 0.78 EUR/t éq. CO2, et n’a guère varié depuis 2021.
Comme les années précédentes, le signal-prix le plus fort est celui envoyé implicitement par les droits d’accise sur les produits énergétiques, à 11.73 EUR/t éq. CO2, même s’il a diminué de 2.5 EUR/t éq. CO2 par rapport aux 14.23 EUR/t éq. CO2 relevés en 2021. Ces droits d’accise sont à l’origine du signal-prix du carbone le plus important dans de nombreux pays, vu que seuls 48 pays appliquent des instruments de tarification explicite du carbone (taxe carbone et/ou SEQE) et que les prix qui en découlent sont bas dans beaucoup d’entre eux. C’est le cas en particulier dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire, qui sont moins susceptibles de s’être dotés d’instruments de tarification explicite du carbone et s’en remettent davantage aux droits d’accise sur les produits énergétiques. L’évolution de ces droits d’accise s’est accompagnée d’une hausse des subventions aux énergies fossiles, qui ont atteint en moyenne 3.12 EUR/t éq. CO2. Ces évolutions cumulées traduisent les réactions des pays au renchérissement des produits énergétiques, dont témoigne également le recul de la part des émissions concernées par un TEC net positif au cours de la période 2021-23.
Évolutions récentes des TEC nets dans les pays
Les taux effectifs net sur le carbone ont augmenté de façon significative – de plus de 5 EUR – dans six pays examinés (Suisse, Chili, Ukraine, Norvège, Costa Rica et Canada) et dans des proportions plus modestes dans d’autres pays, de sorte que le taux moyen mondial des taxes carbone et celui découlant des SEQE ont dans l’ensemble progressé. Cela donne à penser que les gouvernements ne sont pas revenus sur leurs efforts de tarification explicite du carbone, mais que le TEC net a surtout été influencé par les évolutions des droits d’accise sur les produits énergétiques et des subventions aux énergies fossiles, évolutions déterminées en grande partie par la crise énergétique. Dans certains pays, les pouvoirs publics ont choisi de répondre aux préoccupations suscitées par la crise énergétique par d’autres moyens, dont une partie seulement est consignée dans la base de données sur la tarification du carbone et la fiscalité des énergies, comme les subventions aux énergies fossiles et les droits d’accise sur les produits énergétiques.
D’autres changements notables sont le fait d’importantes variations des taux de change par rapport à l’euro et de l’inflation conjuguée au non-ajustement des taux, par exemple en Türkiye et en Argentine, qui peuvent affecter les comparaisons des TEC dans le temps. Après le 1er avril 2023, date limite fixée pour l’incorporation d’informations dans cette édition de la base de données sur la tarification du carbone et la fiscalité des énergies, la Türkiye a annoncé une forte hausse du taux des droits d’accise à titre de rattrapage et pour lever des recettes, tandis que l’Argentine a reporté un relèvement de ces mêmes droits en raison d’une pénurie de carburants et de préoccupations liées à l’inflation (Reuters, 2023[37] ; Heath, 2023[38]).
Nonobstant la résilience globale de la tarification explicite du carbone tout au long de la crise de l’énergie, certains pays ont marqué une pause dans leur action en la matière ou fait machine arrière. L’Autriche, par exemple, a reporté de trois mois l’entrée en vigueur de son SEQE national initialement prévue le 1er juillet 2022 (Parlement de l’Autriche, 2022[39]). L’Allemagne a suspendu temporairement le relèvement annuel programmé du prix de son SEQE national, le maintenant à 30 EUR en 2022 et 2023 (German Emissions Trading Authority, 2017[40]). Pour sa part, le Portugal a décidé de repousser à la fin 2022 la hausse de la taxe carbone prévue en mars 2022 (Gouvernement de la République du Portugal, 2022[41]). La Slovénie a supprimé sa taxe carbone entre août 2022 et mai 2023 (Gouvernement de la République de Slovénie, 2023[42]). En Indonésie, l’entrée en vigueur d’une taxe carbone sur la production d’électricité à partir de charbon, initialement prévue en avril 2022, a été reportée deux fois avant que la taxe devienne finalement effective en 2023 (Agung Swadana, Vianda et Tumiwa, 2023[43]).
Outre l’évolution des taux explicites du carbone, certains pays ont augmenté les subventions aux énergies fossiles. Si certaines économies émergentes et en développement, comme l’Équateur, le Sri Lanka, le Maroc et la Colombie, accordent depuis longtemps de telles subventions, d’autres pays ont mis en place de nouveaux dispositifs en réaction au choc provoqué par la crise énergétique. C’est le cas notamment de la France et du Royaume-Uni, qui ont consacré plus de 40 EUR/t éq. CO2 aux subventions aux énergies fossiles, de la Lituanie (25.5 EUR/t éq. CO2), du Japon (19.8 EUR/t éq. CO2) et de la Grèce (18.3 EUR/t éq. CO2). Il est à noter que de nombreux changements intervenus ne transparaissent pas dans les données de la base de données sur la tarification du carbone et la fiscalité des énergies, car ils résultent de révisions en cours des mesures de soutien entraînant l’arrêt de certaines mesures et la mise en place d’autres. Pour des raisons méthodologiques, les données relatives aux subventions actuelles aux énergies fossiles correspondent aux mesures en vigueur en 2022.
Les taux effectifs nets sur le carbone sont toujours très différents selon les secteurs
Le niveau de la tarification carbone continue de varier sensiblement entre les secteurs, et le TEC net reste au moins quatre fois plus élevé dans les transports routiers que dans les autres secteurs (Graphique 2.8). Cela étant, les mesures prises par les pays en réaction à la crise énergétique ont entraîné une baisse notable du TEC net dans les bâtiments, les transports routiers et l’agriculture, tandis que les prix explicites du carbone légèrement supérieurs ont fait progresser le TEC net dans l’industrie et le secteur de l’électricité. Cela tient au fait que les instruments employés dans les différents secteurs ne sont pas les mêmes, puisqu’il s’agit surtout de taxes carbone et de droits d’accise sur les produits énergétiques dans les transports routiers et les bâtiments, et principalement de SEQE dans l’industrie et le secteur de l’électricité.
En 2022, dans le sillage de la crise énergétique, les droits d’accise sur les carburants et les combustibles de chauffage (essence, gazole, gaz naturel...) ont été sensiblement abaissés par les gouvernements, et tous n’ont pas retrouvé leur niveau antérieur en 2023. Cela a eu pour effet de réduire fortement le TEC net dans le secteur des bâtiments et, dans une moindre mesure, dans les transports routiers, l’agriculture et la pêche (Graphique 2.8). Les transports routiers restent soumis au plus fort TEC net de tous les secteurs – 78 EUR/t éq. CO2 en 2023 –, mais il a baissé de 24 % par rapport à 2021. De même, le TEC net dans l’agriculture et la pêche a chuté de 52 % pour s’établir à 16 EUR/t éq. CO2 en 2023. Dans les deux cas, cette baisse du TEC net est pour plus de 50 % imputable à la diminution des droits d’accise sur les produits énergétiques. En plus d’alléger ces droits d’accise, les gouvernements de nombreux pays ont accordé d’importantes subventions aux ménages pour atténuer les répercussions sociales de la flambée des factures énergétiques. Il en est résulté une diminution notable du niveau de tarification nette des émissions de carbone des bâtiments (surtout résidentiels). Alors qu’il était plus élevé que dans l’industrie et dans le secteur de l’électricité en 2021, le TEC net dans le secteur des bâtiments a baissé de plus de 155 % sous l’effet des subventions aux énergies fossiles pour devenir négatif ; à ‑5.8 EUR/t éq. CO2, c’est le plus bas de tous les secteurs. Après avoir constitué l’élément prépondérant du TEC net dans le secteur des bâtiments en 2021, les droits d’accise sur les produits énergétiques ont été détrônés par les subventions aux énergies fossiles, qui ont représenté 58 % du taux, principalement sous l’effet de l’action de quelques pays : la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Espagne et le Japon, qui ont adopté des mesures nouvelles, ainsi que le Kazakhstan et l’Indonésie, qui ont renforcé des mesures existantes. Dans le secteur du transport non routier, le TEC net a baissé de 34 % entre 2021 et 2023, ce qui tient surtout à la hausse des subventions aux énergies fossiles et à la réduction des droits d’accise.
En revanche, le TEC net dans les secteurs de l’industrie, de l’électricité et des autres émissions de GES a légèrement augmenté entre 2021 et 2023. La tarification des émissions dans ces secteurs découle plus souvent des taxes carbone explicites et des SEQE, qui ont été caractérisés ces dernières années par une hausse des tarifs et une réduction progressive de l’allocation gratuite de quotas. Néanmoins, le TEC net se maintient à 7.0 EUR/t éq. CO2 dans l’industrie et à 8.9 EUR/t éq. CO2 dans le secteur de l’électricité. Dans le secteur des autres émissions de GES, il était de seulement 1.4 EUR/t éq. CO2 en 2023. Tous ces secteurs sont donc soumis à un taux nettement plus bas que les transports routiers, bien que chacun d’eux soit à l’origine d’émissions plus de deux fois supérieures.
Notes
Copier le lien de Notes← 1. Dans le cas de la Slovénie, la hausse résulte du rétablissement d’une taxe carbone plutôt que de l’instauration d’un instrument entièrement nouveau.
← 2. Au moment de la rédaction du rapport.
← 3. Il existe quelques exceptions à cette règle. Ainsi, la Hongrie et les Pays‑Bas ont proposé des mécanismes ciblant concrètement les mêmes émissions que le SEQE-UE, mais en leur appliquant un taux plus élevé. L’estimation des émissions couvertes pour les besoins de notre analyse ne s’en trouverait toutefois pas modifiée, pas plus que notre hypothèse.
← 4. Au moment de la rédaction du rapport.