Les récentes réformes menées sur le plan du travail et de l’économie visant à renforcer l’autonomisation économique des femmes n’auront que peu d’impact si des normes sociales restrictives et une législation discriminatoire continuent à freiner les femmes. Ce chapitre analyse les récents efforts de réforme et les initiatives prises par l’Égypte, la Jordanie, le Maroc et la Tunisie pour remédier aux normes sociales restrictives et aux législations discriminatoires concernant la position des femmes dans la famille et dans la société. Les pays ont pris des mesures en faveur de l’égalité des droits en matière d’héritage, de mariage et de nationalité, et commencent à s’attaquer aux taux élevés de violence à l’égard des femmes et des filles, bien qu’il reste encore du chemin à parcourir.
Changer les lois et éliminer les obstacles à l’autonomisation économique des femmes : Égypte, Jordanie, Maroc et Tunisie
4. Les femmes dans la famille et la société
Abstract
4.1. Introduction
Les quatre pays sont de plus en plus conscients que s’ils veulent renforcer la compétitivité de leurs économies, ils devront prendre des mesures pour faire entrer davantage de femmes sur le marché du travail et leur offrir des emplois de qualité. Les chapitres 2 et 3 ont décrit les réformes entreprises pour relever ce défi, portant principalement sur la révision du Code du travail et de la législation économique.
Bien que ces réformes constituent un pas en avant significatif, les réformes sur le plan du travail et de l’économie n’auront que peu d’impact significatif si des normes sociales restrictives et des stéréotypes freinant l’autonomisation économique des femmes continuent d’exister. Ces normes font de l’homme le principal pourvoyeur et le chef de famille tandis que la femme est responsable de l’entretien du foyer. Ces normes sont également un important facteur de la violence à l’égard des femmes et des filles, qui affiche des taux très élevés dans la région MENA, comme c’est également le cas dans d’autres régions du monde (au niveau mondial, environ une femme et une fille sur trois subira de la violence à un moment donné dans sa vie).
Le rapport de l’OCDE de 2017 sur L’autonomisation économique des femmes dans la région MENA indique que certaines de ces normes sont également inscrites dans le droit (de la famille) des quatre pays étudiés, ce qui va à l’encontre des garanties constitutionnelles de ces derniers en matière de non-discrimination et d’égalité entre les hommes et les femmes. Les femmes n’ont toujours pas les mêmes droits que les hommes en ce qui concerne le mariage et le divorce, la prise de décision familiale, les droits d’héritage et de propriété, ainsi que la liberté de circulation (OCDE, 2017[1]). L’Indice de l’OCDE sur les institutions sociales et l’égalité homme-femme indique toutefois que ces défis ne sont pas propres à la région MENA. Par exemple :
Dans le monde, 57 pays1 ont mis en place des dispositions légales qui subordonnent les femmes à l’autorité de leur mari (OCDE, 2019[2]). Cela inclut certains pays couverts par cette publication : en Égypte et en Jordanie, le droit de la famille stipule que les épouses doivent obéir à leur mari.
Au niveau mondial, la majorité des pays ont des lois coutumières, religieuses ou traditionnelles qui font que les filles et/ou les veuves reçoivent une part d’héritage inférieure à celle des fils et/ou des veufs (OCDE, 2019[2]). Seuls 64 pays n’en ont pas2. Dans les quatre pays étudiés dans ce rapport, la règle générale d’héritage prescrit que les hommes héritent deux fois plus que les femmes.
Dans 50 pays du monde3, les femmes ont moins de droits de citoyenneté que les hommes. Ces restrictions peuvent être liées au droit d’acquérir des biens, de changer ou de conserver leur nationalité, ou de transmettre leur nationalité à leurs enfants ou à un conjoint non citoyen (OCDE, 2019[2]). Dans les quatre pays étudiés dans ce rapport, les femmes mariées n’ont pas les mêmes droits que les hommes en ce qui concerne le transfert de leur nationalité.
Alors que les discussions sur le statut personnel des femmes sont difficiles et sensibles, l’essor des réseaux sociaux a donné aux jeunes générations une plate-forme pour faire entendre leur voix. Des sujets longtemps tabous ont été mis en avant et font actuellement l’objet de discussions dans la sphère politique. Cette avancée est également due aux organisations de la société civile qui ont plaidé et fait pression sans relâche pour des réformes en faveur de l’autonomisation économique des femmes (voir chapitre 5).
Bien que les changements soient lents, les pays prennent des mesures pour améliorer le statut personnel des femmes et leur position dans la société. Ce chapitre présente les réformes et les initiatives récentes qui ont eu lieu dans les quatre pays pour :
promouvoir l’égalité des droits en matière d’héritage
garantir l’égalité des droits en matière de mariage et de nationalité
lutter contre la violence à l’égard des femmes et des filles (VEF).
Les sept études de cas présentées dans ce chapitre examinent comment et pourquoi les réformes ont vu le jour, les acteurs impliqués et la manière dont les réformes sont ou seront mises en œuvre, tout en mettant en évidence les principaux facteurs de réussite. Les informations partagées dans les études de cas ont fait l’objet de discussions approfondies avec les parties prenantes dans les pays respectifs (l’annexe A à la fin du rapport contient une liste de personnes ressources dans chaque pays ; les annexes B, C et D décrivent la méthodologie suivie). Le chapitre comprend également des encadrés approfondis qui analysent, sur la base d’une étude documentaire, les initiatives de lutte contre la violence à l’égard des femmes (VEF)4. Le chapitre se termine par quelques recommandations en termes de politiques publiques fondées sur les leçons tirées des études de cas et des recherches menées.
4.2. Héritage
L’héritage constitue un mécanisme important permettant aux femmes et aux hommes d’acquérir des biens et de contribuer à leur autonomisation économique. L’égalité en matière d’héritage est inscrite dans les normes internationales ratifiées par les quatre pays étudiés. Pourtant, la législation nationale en matière d’héritage continue d’être discriminatoire envers les femmes dans les quatre pays. Les femmes subissent par ailleurs souvent des pressions pour renoncer à leur part légale d’héritage.
Les principes de non-discrimination énoncés dans la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), ratifiée par les quatre pays, garantissent aux femmes l’égalité des droits en matière d’héritage. Bien que la CEDAW ne comporte pas de dispositions spécifiques sur l’héritage, le Comité de la CEDAW précise que les femmes et les hommes ayant le même degré de parenté avec une personne décédée doivent bénéficier de droits à l’héritage égaux (CEDAW, 1994[3]). L’article 21 du Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique (Protocole de Maputo) mentionne également l’égalité des droits à l’héritage pour les femmes et les hommes avec un certain nombre de garanties spécifiques pour les veuves. À ce jour, Tunisie est le seul pays d’Afrique du Nord couvert par le présent rapport qui a ratifié le protocole (chapitre 6)5.
Si les Constitutions des quatre pays garantissent le principe d’égalité, les lois nationales ne prévoient pas l’égalité d’héritage entre les femmes et les hommes. La règle générale dans le droit de la famille des quatre pays est que les héritières n’ont droit qu’à la moitié de la part à laquelle les héritiers ont droit. Ces règles ont été initialement établies parce que les hommes sont considérés comme financièrement responsables de leur famille, ce qui n’est pas le cas des femmes. Cette règle ne reflète cependant pas la réalité actuelle, à savoir que les femmes contribuent souvent de manière significative au revenu familial. Elle perpétue également les inégalités entre les sexes au fil des générations puisque les filles continuent d’hériter moins que les fils.
La règle générale étant déjà discriminatoire envers les femmes, celles-ci doivent relever des défis supplémentaires pour obtenir leur part de l’héritage. En effet, les femmes subissent souvent des pressions de la part des membres de leur famille pour les faire renoncer à la part d’héritage qui leur revient de droit. De plus, les femmes hésitent à faire valoir leurs droits devant les tribunaux, car cela peut nuire aux relations familiales et les placer dans une position vulnérable.
Les pays ont commencé à proposer certaines options pour favoriser une plus grande égalité en matière d’héritage même si, en réalité, ces options sont rarement utilisées. La Jordanie a ainsi adopté un règlement qui interdit aux héritiers de transférer leurs droits à l’héritage jusqu’à trois mois après le décès du testateur. Ce nouveau règlement donne aux femmes le temps d’examiner leurs options et de résister aux pressions des membres de leur famille visant à les faire renoncer (totalement ou en partie) à leur héritage. La Tunisie, quant à elle, encourage les legs du vivant de la personne afin que les femmes puissent recevoir des dons de leurs parents, époux ou frères comme une forme anticipée d’héritage. Il est également possible de rédiger un testament qui accorde une part d’héritage supplémentaire aux femmes. En Égypte, les legs du vivant de la personne sont possibles, ainsi qu’un accord entre les héritiers pour diviser l’héritage en parts égales (OCDE, 2017[1]).
Des changements intéressants observés dans la région au cours des dernières années suggèrent une évolution vers une plus grande égalité en matière d’héritage. Les études de cas 4.1 et 4.2 analysent en détail ces évolutions en Tunisie et en Égypte.
L’étude de cas 4.1 décrit les actions de la Commission tunisienne des libertés individuelles et de l’égalité (COLIBE). Créée par l’ancien président Beji Caid Essebsi, la COLIBE a rédigé un rapport qui proposait d’aligner la législation nationale sur les dispositions de la Constitution, notamment dans le domaine de l’égalité hommes-femmes. Ce rapport recommande également l’égalité en matière d’héritage entre les femmes et les hommes, tout en laissant à ceux qui n’acceptent pas cette égalité la liberté de répartir leur héritage différemment. Malgré le soutien apporté par l’ancien président Essebsi aux recommandations du rapport, la législation sur l’héritage reste inchangée. Les recommandations de la COLIBE ont néanmoins suscité d’importants débats dans d’autres pays de la région sur les droits des femmes en matière d’héritage et, plus largement, sur l’égalité entre les hommes et les femmes.
L’étude de cas 4.2 rapporte comment l’Égypte a modifié sa législation en matière d’héritage en 2017 pour imposer des sanctions strictes à ceux qui déshéritent des membres de leur famille. Bien que cette réforme n’accorde pas aux femmes des droits d’héritage supplémentaires, elle pénalise la privation illégale des droits actuels. La loi est déjà appliquée par les tribunaux mais les verdicts en faveur des femmes ne sont souvent pas mis en pratique. Une autre évolution importante a cependant eu lieu en Égypte pour garantir l’égalité en matière d’héritage à certains groupes de la société. En juin 2019, la Cour d’appel du Caire a rendu un jugement final sans précédent qui confirme l’égalité entre les hommes et les femmes coptes en matière d’héritage (Sidhom, 2019[4]).
Étude de cas 4.1. Propositions pour aligner la législation nationale tunisienne sur les garanties de la Constitution en matière d’égalité hommes-femmes
L’ambitieuse nouvelle Constitution tunisienne adoptée en 2014 renforce le statut des femmes. Il existe cependant encore en Tunisie un certain nombre de lois qui vont à l’encontre des droits accordés aux femmes en vertu de la Constitution ; ces lois devraient être révisées.
L’ancien président tunisien Beji Caid Essebsi a annoncé la création de la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (COLIBE) le 13 août 2017 à l’occasion de la Journée nationale de la femme6. La COLIBE a reçu pour mission de préparer un rapport proposant une réforme juridique visant à mettre les dispositions nationales sur les libertés individuelles et l’égalité en conformité avec la Constitution et les engagements internationaux de la Tunisie en matière de droits de l’homme. Une partie des propositions du rapport porte sur la situation des femmes.
Cette étude de cas examine les propositions de la COLIBE sur l’égalité en matière d’héritage, qui sont importantes bien qu’elles n’aient pas été pleinement mises en œuvre. Ces recommandations ont toutefois donné lieu à d’importants échanges dans d’autres pays sur ce sujet, et le fait que le président ait mandaté cette commission traduit le soutien de l’État à de telles discussions.
En quoi consiste la réforme et comment a-t-elle vu le jour?
La commission a adopté une approche participative et organisé des consultations avec des représentants de différents ministères, de partis politiques, de la société civile, du monde universitaire et d’organisations internationales. Le rapport final a été remis au président le 8 juin 2018 et rendu public quelques jours plus tard7.
Le rapport de la COLIBE comprend une section sur l’égalité hommes-femmes dans les domaines de la citoyenneté, du statut des étrangers mariés à un(e) Tunisien(e) en Tunisie, du contrat de mariage, des droits et obligations matrimoniaux, des relations avec les enfants, de l’héritage et du droit fiscal. Il décrit les discriminations existantes, puis propose des amendements aux lois existantes ou un nouveau projet de loi. Pour les questions les plus difficiles et les plus controversées, plusieurs alternatives sont proposées. Le rapport fait référence aux dispositions de la Constitution tunisienne, de la législation nationale et des conventions internationales pertinentes dont la Tunisie est signataire.
Le rapport souligne que, la culture et l’identité tunisiennes évoluant avec le temps, les cadres juridiques devraient refléter ces changements. Il insiste également sur la liberté pour chacun, homme comme femme, de faire ses propres choix. Il place les femmes au même niveau que les hommes dans la famille et dans la société en général en faisant valoir qu’une responsabilité accrue conduit à l’autonomisation.
Les réformes les plus pertinentes pour l’autonomisation économique des femmes proposées par le rapport sont les suivantes :
Non-discrimination en matière d’héritage : Le rapport préconise de se baser sur des dispositions civiles plutôt que religieuses pour gérer l’héritage dans la mesure où accorder aux femmes l’égalité en matière d’héritage représente une égalité de droits, notion inscrite dans la Constitution tunisienne et dans les conventions internationales. La législation tunisienne actuelle stipule que l’héritage des femmes est généralement inférieur de moitié à celui des hommes mais prévoit la possibilité de déroger à cette règle pour les familles qui préfèrent une répartition égale (OCDE, 2017[1]). Le rapport de la COLIBE propose l’égalité en matière d’héritage entre les hommes et les femmes qui sont les plus proches parents : frère et sœur, fils et fille, père et mère et époux. Il propose trois options différentes :
garantir légalement l’égalité des parts d’héritage entre les héritiers et les héritières
garantir légalement l’égalité des parts d’héritage pour les héritiers et les héritières, sauf accord contraire
garantir légalement l’égalité des parts d’héritage entre les héritiers et les héritières, et donner aux femmes le dernier mot lorsqu’il s’agit de choisir entre recevoir la moitié de la part d’héritage et recevoir le même héritage que l’héritier.
Le rapport propose également une hiérarchie des héritiers : d’abord les fils et les filles, puis les parents et les frères et sœurs, puis les grands-parents, et enfin les oncles et les tantes. Cela placerait les femmes dans une meilleure position que dans la situation actuelle où les oncles et cousins masculins peuvent toucher l’héritage à la place des femmes les plus proches. Le rapport propose également de garantir le droit de la veuve à rester dans le foyer conjugal après le décès de son mari8.
La citoyenneté tunisienne et les droits de séjour des conjoints étrangers : actuellement, la conjointe étrangère est traitée différemment du conjoint étranger. Si les hommes et les femmes peuvent tous deux transmettre leur nationalité tunisienne par le mariage, les conditions de ce transfert sont moins strictes pour les hommes9. Le rapport propose que la citoyenneté soit accordée aux hommes et aux femmes sur un pied d’égalité10. Le rapport demande même des dispositions juridiques rétroactives pour corriger les discriminations passées.
L’abandon ou la dévalorisation de la pratique de la dot : celle-ci est versée par le marié (ou sa famille) à la mariée lors du mariage. Si la dot peut constituer un don représentant l’union et l’amour entre les époux, elle est aussi une obligation qui empêche la femme d’exercer sa liberté de choisir son conjoint. L’abolition de cette pratique retirerait l’argent de la dynamique de pouvoir entre le mari et la femme, de sorte qu’il ne serait plus le facteur déterminant de la relation. Le rapport propose également d’abolir la période de deuil pendant laquelle une veuve ou une femme divorcée ne peut se remarier afin de pouvoir déterminer une potentielle paternité.
Baser l’égalité entre mari et femme sur la loi et non sur la tradition et la coutume : Le rapport affirme que la position du mari en tant que chef de famille ne signifie pas seulement qu’il est financièrement responsable de la famille, mais aussi qu’il a d’autres types de responsabilités telles que l’éducation des enfants. Le rapport mentionne que si la mère a un revenu, elle doit également contribuer financièrement à l’éducation des enfants. Le rapport soutient qu’il est dans l’intérêt supérieur des enfants que les mères et les pères soient égaux et appelle à abandonner tout traitement différencié des filles et des garçons au sein des familles. Il suggère que les enfants puissent prendre le nom de famille de leur mère et de leur père.
Fiscalité : Le rapport de l’OCDE de 2017 précise qu’en Tunisie, les abattements11 fiscaux sont accordés au chef de famille, défini par le Code des impôts comme le mari, le conjoint divorcé ayant la garde des enfants, la veuve ou le parent adoptif12. Cela implique que, par défaut, les abattements fiscaux sont accordés au mari même si sa femme gagne un salaire et contribue aux dépenses liées aux enfants et au ménage. Une femme imposable ne bénéficiera de ces avantages fiscaux que si elle prouve que son mari et ses enfants sont financièrement dépendants d’elle (OCDE, 2017[1]). Le rapport de la COLIBE met en lumière une question connexe : comme les époux sont imposés séparément et que seul le chef de famille a droit à des déductions de son revenu imposable, les femmes mariées qui gagnent un revenu imposable sont désavantagées par rapport aux hommes car leur revenu imposable est calculé sans aucune déduction.
Quels sont les impacts, les défis de mise en œuvre et les facteurs de succès ?
Commander un tel rapport était une initiative audacieuse et nécessaire. Cela montre que la Tunisie prend au sérieux l’identification des législations nationales qui sont contraires à la Constitution et à ses engagements pour les droits de l’homme en termes de libertés individuelles et d’égalité, et que cette initiative bénéficie d’un soutien au plus haut niveau. Aucun autre pays de la région MENA n’a créé de commission similaire.
Le rapport est bien structuré et ses arguments s’appuient sur des années de travail de la part de la société civile et des associations militantes. La présidente de la commission est l’une des fondatrices de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) et a ainsi été à l’avant-garde de la défense des droits des femmes pendant des années. D’autres membres de la commission possèdent également une expérience du militantisme et connaissent très bien les enjeux de la société tunisienne.
Cependant, les propositions du rapport n’ont pas été mises en œuvre à ce jour13. Le rapport a été soumis au Parlement et est toujours en attente d’une décision sur les actions de suivi à mener. Avec l’arrivée au pouvoir d’un nouveau gouvernement, les priorités politiques peuvent avoir changé. De plus, bien que la commission recommande l’égalité en matière d’héritage, le rapport propose également des options alternatives qui compromettent cette égalité.
Les entretiens réalisés pour ce rapport ont mis en lumière des critiques à différents niveaux. Certains disent que le rapport est élitiste et qu’il n’est pas en accord avec la culture tunisienne. D’autres affirment qu’il édulcore la notion de pleine égalité en proposant des alternatives et des compromis. Certains se demandent pourquoi le rapport n’aborde pas d’autres types de discrimination fondée sur le sexe, comme l’inégalité salariale14. Certains acteurs ont délibérément diffusé de fausses informations à ce sujet. Une série de communiqués ont été publiés en faveur et contre le rapport15.
Le rapport a certainement réussi à susciter un débat intense, non seulement en Tunisie, mais aussi dans toute la région MENA (Étude de cas 4.2). Le rapport étant long et technique, la prochaine étape devrait consister à clarifier et à diffuser le contenu exact de ses principales propositions.
Étude de cas 4.2. Sanctions pour privation de l’héritage des femmes en Égypte
En Égypte, la règle générale est que les femmes héritent de la moitié de ce que les hommes héritent. Les femmes sont par ailleurs souvent privées de cette part d’héritage plus faible. Bien que la refonte du droit de l’héritage se soit avérée trop difficile, cette étude de cas décrit comment les partisans des droits des femmes ont décidé de faire progresser l’héritage des femmes par petites étapes en proposant des réformes juridiques visant à corriger les inégalités supplémentaires dans l’application de la législation existante.
En Égypte, l’héritage est régi par la Loi n° 77/194316 (sur l’héritage) et la Loi n° 71/194617 (sur les testaments). Bien que ces lois soient fortement influencées par les dispositions de la loi islamique (la charia) sur l’héritage, elles s’appliquent à toutes les communautés religieuses en Égypte, y compris aux communautés non musulmanes18. En général, pour un même lien de parenté avec le défunt, une femme a droit à la moitié du montant dont un homme hérite. Les femmes non musulmanes mariées à un musulman n’ont droit à aucun héritage. C’est la raison pour laquelle de nombreuses épouses non musulmanes se voient obligées de se convertir à l’Islam pendant leur mariage (Tadros, 2010[5]). Alors qu’en théorie, les femmes peuvent hériter de la moitié de ce que les hommes héritent (lorsque que tous deux ont le même degré de parenté avec le défunt), en pratique, elles sont souvent illégalement privées de cette part.
Cette pratique consistant à empêcher les femmes d’hériter de leur part légale est courante dans les gouvernorats frontaliers et en Haute-Égypte, où environ 95,5 % des femmes sont concernées, notamment pour les droits fonciers (Khodary, 2018[6]). Au sein des communautés locales, cette question est régie par un ensemble de lois coutumières informelles qui garantissent le transfert de la terre aux descendants masculins.
En 1946, le Parlement égyptien a adopté la Loi n° 71 sur les legs, en réponse au nombre croissant de plaintes de petits-enfants exclus de l’héritage à la mort de leurs grands-parents. L’article 37 de cette loi est particulièrement pertinent, puisqu’il introduit la possibilité d’une liberté testamentaire en faveur d’un héritier légal. En donnant à l’héritier la possibilité d’hériter plus que sa part légale, une famille peut décider de faire hériter aux filles la même part que les fils. Toutefois, si le défunt n’a pas laissé de testament écrit, la part légale s’applique, ce qui signifie que la fille hérite de la moitié du montant d’un fils. Outre la liberté testamentaire, il est également possible de contourner les règles d’héritage discriminatoires, par exemple en enregistrant ses biens au nom de sa fille. Ces options ne sont cependant pas fréquemment utilisées car de nombreux Égyptiens, en particulier dans les villages et les régions reculées, n’en ont pas connaissance et parce que les normes sociales ne sont traditionnellement pas favorables à l’autonomisation économique des femmes (OCDE, 2017[1])19.
En quoi consiste la réforme et comment a-t-elle vu le jour ?
De nouveaux efforts de réforme ont eu lieu en 2017, lorsque le Conseil national des femmes (NCW) a plaidé en faveur d’une réforme du droit de l’héritage afin de l’aligner sur la Stratégie nationale pour l’autonomisation des femmes égyptiennes 2030 (Encadré 4.1). Le NCW, aux côtés du Conseil des ministres et de plusieurs groupes de la société civile, a soumis des projets de réforme du droit de la succession. Aucun de ces projets n’a proposé l’égalité dans l’héritage entre les femmes et les hommes – l’inégalité existante entre les héritiers femmes et hommes n’est généralement pas abordée dans les réformes juridiques car elle est perçue comme trop difficile à changer, étant donné la prévalence de la loi islamique. Au lieu de cela, les partisans des droits des femmes ont décidé de faire progresser l’héritage des femmes par petites étapes. Ainsi, les réformes juridiques proposées visent à corriger les inégalités supplémentaires dans l’application de la législation existante.
Encadré 4.1. Stratégie nationale pour l’autonomisation des femmes égyptiennes
En 2017, le Conseil national des femmes (NCW) a lancé la Stratégie nationale pour l’autonomisation des femmes égyptiennes 2030. Cette stratégie a été publiée dans le cadre de l’Année de la femme égyptienne 2017 proclamée par le président égyptien Abdel Fattah Al Sisi.
La stratégie nationale est conforme aux Objectifs de développement durable des Nations Unies et à la Stratégie égyptienne de développement durable 2030. Elle s’appuie sur quatre piliers de l’autonomisation des femmes : l’autonomisation politique, l’autonomisation économique, l’autonomisation sociale et la protection contre toutes les formes de violence. La stratégie comprend également un mécanisme complet de suivi et d’évaluation, avec un ensemble d’indicateurs et d’objectifs pour mesurer les degrés de responsabilisation atteints d’ici 2030. La stratégie prévoit par ailleurs la création d’un Observatoire des femmes égyptiennes, qui élaborera des tableaux de bord reflétant les valeurs de divers indicateurs ainsi que les progrès réalisés en matière d’autonomisation économique des femmes.
Source : NCW (2017[7]), Stratégie nationale pour l’autonomisation des femmes égyptiennes 2030 : Vision et piliers, http://ncw.gov.eg/wp-content/uploads/2018/02/final-version-national-strategy-for-the-empowerment-of-egyptian-women-2030.pdf.
Le président Abdel Fattah Al Sisi a soutenu le NCW dans sa campagne visant à faire pression sur le Parlement pour qu’il s’attaque au phénomène très répandu de femmes injustement privées de leur droit légitime à hériter (Radwan, 2017[8]).
La campagne a profité des discussions entourant la Stratégie nationale pour l’autonomisation des femmes égyptiennes (Encadré 4.1), qui comprend des dispositions visant à empêcher les femmes d’être illégalement privées de leur héritage. Les efforts du NCW ont abouti à la modification de la Loi sur l’héritage n° 77/1943 en 201720. L’amendement impose des sanctions strictes à ceux qui déshéritent des membres de la famille. Selon le nouvel article 49, toute personne coupable d’avoir intentionnellement privé un héritier de son héritage légitime est punie de trois ans de prison et d’une amende allant de 20 000 à 100 000 EGP (environ 1 200 à 6 000 EUR). Toute personne coupable d’avoir caché des documents qui pourraient prouver le droit légal d’une personne à un héritage est condamnée à six mois de prison minimum et à une amende allant de 10 000 à 50 000 EGP (environ 600 à 3 000 EUR).
Le débat a été relancé en 2018, après que l’ancien président tunisien Beji Caid Essebsi a proposé de garantir aux femmes tunisiennes l’égalité en matière d’héritage (Étude de cas 4.1). Cette proposition a été très controversée, en particulier parmi les plus hautes autorités de l’islam sunnite. Ahmed al-Tayeb, le Grand Imam d’al-Azhar, a pris fermement position contre cette proposition et insisté sur le fait que certaines règles islamiques, telles que les lois régissant l’héritage, étaient définitives et ne pouvaient être réinterprétées (Ahram Online, 2018[9]).
Malgré toute l’importance accordée par la société aux opinions du Grand Imam d’al-Azhar, la Cour d’appel du Caire a rendu un jugement final sans précédent qui conteste son opinion. Le jugement confirme l’égalité entre les hommes et les femmes coptes en matière d’héritage21, sur la base de l’article 3 de la Constitution (Sidhom, 2019[4]). Ce jugement pourrait avoir un impact significatif puisqu’il va à l’encontre de la loi égyptienne sur l’héritage qui s’applique à toutes les communautés religieuses en Égypte, y compris aux communautés coptes.
Quels sont les impacts, les défis de mise en œuvre et les facteurs de succès ?
Il n’existe pas actuellement de soutien politique suffisant pour une vaste réforme du droit de l’héritage en Égypte (The Arab Weekly, 2018[10]). Toutefois, accorder aux femmes des droits de succession égaux à ceux des hommes serait un pas très important vers l’égalité hommes-femmes et pourrait contribuer de manière significative à l’autonomisation économique des femmes. La protection de l’accès des femmes à leur héritage leur donnera le choix de l’utiliser, par exemple, pour créer une entreprise ou demander un prêt. Une femme qui possède ses propres biens pourrait également jouir d’une position plus forte au sein de la famille et mieux faire entendre sa voix lors des décisions financières concernant la famille.
S’il est prématuré d’évaluer l’impact de cette réforme, la mise en œuvre de cette nouvelle disposition juridique s’avère difficile pour plusieurs raisons :
De nombreuses femmes ne connaissent pas leurs droits, ni les actions qu’elles peuvent entreprendre en justice pour faire valoir leurs droits. Cela signifie que toute réforme législative doit s’accompagner d’une sensibilisation, à la fois des femmes et des hommes, au contenu de la loi. En 2017, le NCW a lancé la campagne Tareq al-Abwab (frapper à la porte) pour expliquer aux femmes des villages et des régions reculées d’Égypte leurs droits en matière d’héritage (Aman, 2017[11]).
Les coutumes et les structures familiales conservatrices constituent un obstacle encore plus important à l’application de la loi. Les femmes qui poursuivent leurs proches en justice pour une affaire d’héritage risquent d’être désavouées et rejetées par leur famille, ce qu’elles ne peuvent se permettre ni économiquement ni socialement. Dans certains cas, les membres de la famille recourent à la violence si les femmes déposent une réclamation d’héritage. Selon une étude réalisée en 2008 par le ministère de la Justice, près de 8 000 meurtres sont commis chaque année entre membres d’une même famille en raison de différends liés à l’héritage (Awad, 2018[12])22. Il est largement admis que le recours aux tribunaux est de mauvais augure pour les femmes, qui devront donc faire face à la punition de Dieu, dans leur vie actuelle ou après leur mort (Khodary, 2018[6]).
S’attaquer à ces croyances constitue un défi majeur, d’autant plus que la privation des femmes de leur part légale d’héritage est un phénomène qui concerne tous les segments de la société. Il en résulte que les femmes renoncent à leur droit à l’intégralité de leur héritage pour éviter l’exclusion et la stigmatisation. Certaines familles leur offrent ce que l’on appelle le radwa, une petite somme d’argent en échange de leur renonciation. Parfois, le chef de famille ne souhaite pas à offrir de compensation et se contente de vendre ses biens à ses fils pour priver les filles de leur héritage (NCW/USAID, 2009[13]).
La Gender and Legal Expert House a cependant signalé que les tribunaux avaient commencé à appliquer l’article 49 de la Loi sur l’héritage. Certains verdicts de justice sanctionnent les personnes qui privent les femmes de leur part d’héritage légitime. Toutefois, comme ces décisions de justice ne sont pas appliquées par la police, les femmes restent souvent privées de leur part légitime d’héritage et les auteurs impunis23.
De plus, les sanctions ne suffisent pas à elles seules à faire évoluer la société ; il faut des mécanismes et des outils clairs pour modifier les normes sociales sur l’égalité hommes-femmes de manière plus générale.
4.3. Mariage et nationalité
Un indicateur important de l’autonomisation des femmes est leur liberté de prendre leurs propres décisions. Cela inclut le droit de choisir qui épouser24.
Les lois des pays de la région MENA n’interdisent pas le mariage avec des étrangers. Toutefois, dans la pratique, les femmes de la région MENA qui épousent des étrangers peuvent dans certains cas être victimes de discrimination dans leur vie quotidienne. En outre, leur conjoint et leurs enfants peuvent ne pas avoir les mêmes droits que les autres citoyens du pays (Centre d'information et de recherche - Fondation du Roi Hussein, 2011[14]).
Si les quatre pays étudiés dans cette publication ont ratifié la CEDAW, certains d’entre eux ont émis des réserves sur certains de ses articles, notamment l’article 9.2 sur l’égalité des droits entre hommes et femmes en ce qui concerne la nationalité de leurs enfants. L’Égypte, le Maroc et la Tunisie ont levé leurs réserves à l’article 9.2, tandis que la Jordanie les a maintenues.
Même si les Constitutions des quatre pays incluent des principes de non-discrimination et d’égalité entre les hommes et les femmes, certaines lois sur la nationalité dans la région MENA autorisent des formes de discrimination entre les citoyens. La Tunisie est le seul pays couvert par la publication qui accorde à l’épouse le droit de transmettre sa nationalité à son conjoint étranger, tandis que cela est possible pour les époux dans les quatre pays (Tableau 4.1). La Tunisie a même fait un pas de plus pour permettre aux femmes tunisiennes d’épouser des non-musulmans (Encadré 4.2).
Le Maroc (2013), l’Égypte (2004) et la Tunisie (2010) ont modifié leurs lois sur la nationalité pour permettre aux mères de transmettre leur nationalité à leurs enfants. En Jordanie, les mères ne peuvent pas transmettre leur nationalité à leurs enfants, comme l’expose l’étude de cas 4.3.
Tableau 4.1. Les lois sur la nationalité dans les quatre pays de la région MENA
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Égypte |
Jordanie |
Maroc |
Tunisie |
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Le mari peut transmettre sa nationalité à sa femme étrangère et à ses enfants |
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✓ |
✓ |
La femme peut transmettre sa nationalité à son conjoint étranger (sous certaines conditions) |
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✓ |
La mère peut transmettre sa nationalité à ses enfants |
✓ |
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✓ |
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Remarque : En Tunisie, les femmes comme les hommes peuvent transmettre leur nationalité à leur conjoint par le biais du mariage, mais les conditions de transmission sont plus faciles pour les hommes que pour les femmes (art. 13 et 14 du Code de la nationalité tunisienne).
En Tunisie, il existe encore des procédures différentes pour les hommes et les femmes en ce qui concerne la transmission de la nationalité à leurs enfants.
Source : OCDE (2017[1]), L’autonomisation économique des femmes dans la région MENA : l’impact des cadres juridiques algérien, égyptien, jordanien, libyen, marocain et tunisien ; Banque mondiale (2020[15]), Les femmes, l’entreprise et le droit, 2020, https://wbl.worldbank.org.
Encadré 4.2. Succès de la campagne pour permettre aux femmes tunisiennes d’épouser des non-musulmans
Jusqu’en 2017, si une femme tunisienne voulait épouser un non-musulman en Tunisie, elle devait présenter un certificat prouvant que son futur époux s’était converti à l’Islam. Cette obligation était prévue par une circulaire tunisienne de 1973, ainsi que par d’autres textes. Il en allait de même pour les femmes tunisiennes qui épousaient un non-musulman à l’étranger et qui souhaitaient faire reconnaître leur mariage en Tunisie.
Les organisations de la société civile militent depuis longtemps pour la liberté des femmes de choisir leur conjoint. Elles font valoir que les textes ne respectent pas la liberté des femmes de choisir leur conjoint et sont contraires à la Constitution tunisienne et aux engagements internationaux de la Tunisie en matière de droits des femmes. Le processus militant s’est davantage structuré lorsque 60 associations tunisiennes se sont regroupées en un « collectif » pour plaider en faveur de l’abolition de la circulaire de 1973. En 2017, l’ancien président tunisien Essebsi a annulé la circulaire de 1973 et tous les textes similaires qui ne permettaient pas à une femme tunisienne d’épouser un non-musulman.
Étude de cas 4.3. Égalité en matière de nationalité et de droits du travail des enfants en Jordanie
Bien que la Jordanie soit toujours en retard par rapport aux autres pays de la région MENA en ce qui concerne l’égalité des droits des personnes de mère jordanienne et de père non jordanien, le pays a récemment pris des mesures allant dans la bonne direction. Cette étude de cas décrit quelques-unes de ces initiatives récentes.
En quoi consiste la réforme et comment a-t-elle vu le jour ?
La Jordanie occupe une position unique dans la région, puisqu’elle accueille depuis de nombreuses années un grand nombre de réfugiés en provenance des pays voisins (Étude de cas 3.4.). Cela s’est traduit par un afflux important de non-Jordaniens, dont beaucoup ont commencé à épouser des citoyens jordaniens. La Loi jordanienne sur la nationalité25 indique que la nationalité se transmet principalement par la paternité (article 3.3) : alors que les hommes jordaniens mariés à des femmes étrangères peuvent transmettre leur nationalité à leurs enfants, les femmes jordaniennes mariées à des étrangers n’ont pas ce droit. Actuellement, environ 89 000 femmes jordaniennes ont des conjoints étrangers. Par conséquent, environ 360 000 enfants sont des non-citoyens alors que leur mère est jordanienne et qu’ils vivent en Jordanie (Najjar, 2017[16]).
Les non-citoyens rencontrent des difficultés pour obtenir un permis de séjour ou un permis de conduire, acheter des biens immobiliers et bénéficier des prestations existantes dans les secteurs de l’éducation, de la santé, du travail et de l’investissement. Dans tous ces domaines, les enfants de mère jordanienne et de père étranger sont traités comme des expatriés (Human Rights Watch, 2018[17]). Le droit du travail jordanien est très restrictif pour les non-Jordaniens. Selon l’article 12, les travailleurs non jordaniens ne peuvent être employés qu’avec l’approbation du ministre du Travail et à condition que les qualifications et l’expérience requises pour le poste ne soient pas disponibles parmi les travailleurs jordaniens. Les permis de travail doivent être renouvelés chaque année. De larges segments du marché du travail sont également des « professions fermées » aux citoyens non jordaniens.
Afin d’améliorer la situation, le gouvernement a décidé en 2014 de commencer à émettre des cartes d’identité donnant certains avantages aux personnes de mère jordanienne et de père étranger. Cependant, cette réforme n’a eu qu’un impact limité car la délivrance des cartes d’identité prend beaucoup de temps et la preuve de l’éligibilité est compliquée à fournir. En février 2018, moins de 20 % des enfants non citoyens de mères jordaniennes avaient obtenu une carte d’identité (Human Rights Watch, 2018[17]). En outre, même s’ils obtiennent une carte d’identité, les enfants non citoyens de femmes jordaniennes doivent toujours demander un permis de travail renouvelable chaque année.
Les militants des droits des femmes font depuis longtemps campagne pour l’égalité des droits des enfants des femmes jordaniennes mariées à des non-Jordaniens. Récemment, elles ont obtenu le soutien de la communauté internationale, qui fait pression sur la Jordanie pour qu’elle remédie à la situation. La campagne de mobilisation présente cette question comme une violation du principe d’égalité inscrit dans la Constitution. Elle plaide non seulement pour une réforme constitutionnelle, mais aussi pour une réforme de la Loi sur la nationalité. Lorsque la réforme de certains articles du droit du travail a été discutée, la campagne a profité de cet élan pour proposer également l’égalité des droits en matière de travail pour les personnes de mères jordaniennes et de pères non-jordaniens. Cela a abouti à une modification de l’article 5 de la Loi sur le travail qui stipule désormais que les enfants non citoyens de femmes jordaniennes qui résident en Jordanie n’ont plus besoin de permis de travail pour travailler en Jordanie.
Quels sont les impacts, les défis de mise en œuvre et les facteurs de succès ?
Il est important de placer la question dans le contexte plus large de la région, la Jordanie accueillant un grand nombre de réfugiés des pays voisins. Le pays est soucieux de ne pas rendre le séjour des réfugiés permanent, car cela mettrait une pression supplémentaire sur une économie déjà vulnérable avec un faible taux de participation des Jordaniens à la population active. Les citoyens devraient néanmoins être libres de se marier avec le partenaire de leur choix et ce choix ne devrait pas avoir de conséquences négatives sur leurs enfants.
4.4. Violence à l’égard des femmes et des filles
La violence à l’égard des femmes et des filles (VEF) est encore très répandue dans la région MENA, comme dans d’autres régions du monde (Chapitre 1), et peut prendre de nombreuses formes. La Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique définit la violence faite aux femmes comme relevant de quatre formes principales : physique, sexuelle, psychologique et économique (Conseil de l'Europe, 2011[18]). L’encadré 4.3 examine les liens entre la violence envers les femmes et leur autonomisation économique.
Le Manuel de législation sur la violence à l’égard des femmes d’ONU Femmes (Encadré 4.4) stipule que la législation doit s’appliquer à toutes les formes de violence contre les femmes, y compris, mais sans se limiter à (ONU Femmes, 2012[19]) :
La violence domestique.
La violence sexuelle, y compris les agressions et le harcèlement sexuels.
Les pratiques préjudiciables, notamment le mariage précoce, le mariage forcé, les mutilations génitales féminines, l’infanticide féminin, la sélection prénatale du sexe, les tests de virginité, la purification du VIH/SIDA, les crimes dits d’honneur, les attaques à l’acide, les crimes commis en relation avec la dot, les mauvais traitements infligés aux veuves, la grossesse forcée et la mise en procès des femmes pour sorcellerie.
Le féminicide.
La traite des êtres humains et l’esclavage sexuel.
La législation doit également reconnaître la violence faite aux femmes perpétrée par des acteurs spécifiques, et dans des contextes spécifiques, notamment :
La violence à l’égard des femmes au sein de la famille.
La violence à l’égard des femmes dans la communauté.
La violence à l’égard des femmes dans les situations de conflit.
La violence à l’égard des femmes tolérée par l’État, y compris la violence en garde à vue et la violence commise par les forces de sécurité.
Encadré 4.3. Liens entre la VEF, l’autonomisation économique des femmes et l’économie
Les liens entre la violence à l’égard les femmes et l’autonomisation économique des femmes dans la région MENA sont complexes et nécessitent une analyse plus approfondie. Il existe plusieurs raisons pour lesquelles la violence est infligée aux femmes. Dans certains cas, l’indépendance accrue d’une femme grâce à son autonomisation économique peut réduire son expérience de la violence car elle se trouve dans une position moins vulnérable et est de ce fait moins susceptible d’accepter de subir de la violence. Dans d’autres cas, l’autonomisation économique d’une femme peut la conduire à être victime d’une violence accrue parce que son mari peut craindre de perdre le contrôle sur elle.
En outre, la VEF entraîne des coûts importants pour les particuliers, les ménages, le secteur public, les entreprises et la société. Des modèles ont été élaborés pour évaluer le coût de la violence conjugale dans la région MENA (ONU Femmes/CESAO, 2017[20]) ainsi que pour calculer le coût économique des inégalités entre les sexes de manière plus générale (OCDE, 2019[2]). Le modèle de calcul du coût de la violence conjugale dans la région MENA a été testé en Égypte. L’étude montre que le coût total résultant de la violence pour les femmes survivantes et leurs familles s’élèverait à au moins 2,17 milliards EGP (près de 127 millions EUR) sur une seule année, en se basant uniquement sur le coût de l’incident grave le plus récent auquel la femme a été confrontée.
Mettre des chiffres sur ce que l’économie pourrait gagner en mettant fin à la violence à l’égard des femmes est un outil de plaidoyer très puissant à l’appui des réformes. Les études de cas montrent que les pays ont commencé à collecter de nouveaux types de données pour plaider en faveur de réformes juridiques visant à soutenir l’autonomisation économique des femmes.
Les quatre pays étudiés dans cette publication ont tous ratifié les normes internationales sur l’élimination de la VEF (Encadré 4.4) et ont tous récemment apporté des changements à leurs cadres juridiques, politiques et institutionnels pour mieux lutter contre la VEF. Par exemple, les Constitutions de l’Égypte et de la Tunisie interdisent la violence à l’égard des femmes. Alors que la Tunisie et le Maroc ont adopté de nouvelles lois sur la violence envers les femmes, la Jordanie et l’Égypte ont modifié leurs cadres juridiques existants sur la violence envers les femmes. Malgré cette évolution positive, dans certains pays, les changements demeurent minimes et ne sont pas toujours conformes aux normes internationales sur le sujet.
Encadré 4.4. Normes et lignes directrices internationales pour éliminer les violences à l’égard des femmes
La CEDAW est la norme la plus importante puisqu’elle comprend un certain nombre de dispositions sur la violence à l’égard des femmes, comme la Recommandation générale n° 35 relative à la violence en raison du sexe à l’égard des femmes, qui met à jour la Recommandation générale n° 19, CEDAW/C/GC/35. Le Comité de la CEDAW a exprimé son inquiétude quant aux niveaux élevés de violence envers les femmes dans l’ensemble des pays étudiés dans le cadre de cette publication, ce qui a incité davantage les pays à réformer leur législation26.
La Convention de l’OIT sur la violence et le harcèlement a été adoptée en 2019 pour lutter contre la violence et le harcèlement dans le monde du travail. Elle est maintenant ouverte à la ratification des pays (Encadré 4.6).
La Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul) 27 est également ouverte à la ratification des pays de la région MENA.
Il existe des lignes directrices complètes sur les différents outils et méthodes de travail à suivre pour élaborer une législation pour lutter contre la violence à l’égard des femmes, comme le Manuel de législation sur la violence à l’égard des femmes des Nations Unies (ONU Femmes, 2012[19]). Les pays peuvent utiliser ces outils pour aligner leur cadre juridique national sur les engagements pris au niveau international, comme l’a déjà fait la Tunisie.
En 2019, le Comité d’aide au développement de l’OCDE a adopté la Recommandation sur l’élimination de l’exploitation sexuelle, des atteintes sexuelles et du harcèlement sexuel dans le contexte de la coopération pour le développement et de l’aide humanitaire : principaux piliers de la prévention et de la réponse28. Cette recommandation définit la première norme internationale dans ce domaine, à faire appliquer par les gouvernements aux organismes d’aide bilatérale et à la communauté internationale au sens large lorsqu’ils travaillent avec la société civile, les organisations caritatives et autres organismes de développement ou d’aide humanitaire.
Les quatre études de cas présentées dans cette section donnent un aperçu et une analyse de la législation la plus récente en matière de lutte contre la VEF dans chacun des quatre pays étudiés. La section se termine par une analyse approfondie de ces réformes, en examinant ce qui a contribué à leur succès et quels sont les obstacles qui subsistent. Cela alimente l’analyse du chapitre 6 sur les leçons clés pour des réformes réussies.
Étude de cas 4.4. Le cadre législatif global de la Tunisie pour lutter contre toutes les formes de violence à l’égard des femmes et des filles
La violence à l’égard des femmes est très répandue en Tunisie. En 2010, une enquête nationale sur la VEF a révélé que près de 48 % des femmes tunisiennes ont déclaré avoir déjà été victimes d’une ou plusieurs formes de violence (ONFP/AECID, 2010[21]) (voir chapitre 1), et ce, malgré l’existence d’une Stratégie nationale sur la violence à l’égard des femmes et des filles (VEF), adoptée en 200829. Cette stratégie est restée largement inappliquée jusqu’à ce qu’elle reçoive l’attention de la communauté internationale, lorsque le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a exhorté la Tunisie à accorder une attention prioritaire à cette stratégie en 2010 et à nouveau en 2013 (CEDAW, 2010[22] ; CEDAW, 2013[23]). Cela a conduit à l’adoption d’une loi importante pour lutter contre la violence à l’égard des femmes en Tunisie, qui est décrite dans cette étude de cas.
En quoi consiste la réforme et comment a-t-elle vu le jour ?
L’attention portée à la VEF par l’enquête nationale de 2010 sur ce sujet a poussé le gouvernement à agir. Le ministère de la Femme, de la Famille, de l’Enfance et des Seniors et le conseil des pairs ont pris la tête de la mise en œuvre de la Stratégie nationale sur la VEF (qui a été mise à jour en 2012), qui recommande de réviser le cadre juridique sur la violence à l’égard des femmes. Le ministère a sollicité le soutien des Nations Unies et, en 2014, une équipe d’experts comprenant des représentants de la société civile a commencé à préparer un premier projet de loi sur la VEF. Ce premier projet de loi ambitieux proposait des révisions du Code de la famille et du Code pénal mais il a été considéré comme trop progressiste et rejeté par le Conseil des ministres.
Parallèlement, des efforts de sensibilisation ont été déployés auprès des parlementaires pour s’assurer qu’une clause sur l’éradication de la violence serait incluse dans la nouvelle Constitution, également en discussion à l’époque. La nouvelle Constitution a été adoptée en 2014 et comporte de nombreuses clauses protégeant les droits des femmes, notamment l’article 21, qui mentionne que « l’État garantit les droits et libertés individuels et collectifs à ses citoyens et citoyennes », ainsi que l’article 46, qui prévoit que « l’État prend toutes les mesures nécessaires pour éradiquer la violence à l’égard des femmes »30. Au niveau mondial, l’Agenda 2030 pour le développement durable a été adopté en 2015, dont l’Objectif de développement durable (ODD) 5.2 met l’accent sur l’élimination de toutes les formes de violence envers les femmes et les filles31.
La nouvelle Constitution et son article 46 en particulier, ainsi que l’ODD 5.2, ont donné l’impulsion nécessaire pour continuer à travailler au projet de loi sur la violence à l’égard des femmes et des filles. Un comité de plaidoyer composé de plusieurs organisations internationales32 a été mis en place pour s’assurer que le nouveau projet de loi soit conforme aux normes internationales en matière de violence à l’égard des femmes (Encadré 4.4). Plus de 60 associations nationales ont formé une « Coalition de la société civile sur la violence envers les femmes » afin de soutenir le processus d’élaboration du projet de loi par des actions de recherche et de plaidoyer. La loi33 a été adoptée à l’unanimité en juillet 2017 et est entrée en vigueur en février 2018.
Le 26 février 2020, un décret gouvernemental34 a été publié, établissant un observatoire national pour éliminer la violence envers les femmes. Cet observatoire, qui sera une institution publique financièrement autonome supervisée par le ministère de la Femme, de la Famille, de l’Enfance et des Seniors, vise à institutionnaliser la lutte contre la VEF en Tunisie. Ses missions comprendront la collecte de données et l’élaboration de rapports sur les cas de VEF, le suivi et l’évaluation du cadre juridique et politique en matière de VEF et la formulation de propositions de réforme. L’observatoire participera également à l’élaboration de stratégies nationales et sectorielles visant à éliminer la violence à l’égard des femmes. L’observatoire devra soumettre un rapport annuel au président de la République, au président du Parlement et au chef du gouvernement, fournissant des données factuelles sur la violence à l’égard des femmes et formulant des recommandations sur la manière d’améliorer les mécanismes nationaux visant à éliminer la violence à l’égard des femmes.
Contenu de la réforme
La loi est globale dans son approche et suit les recommandations du « Cadre type pour une législation contre la violence à l’égard des femmes » contenu dans le Manuel d’ONU Femmes de 2012 (ONU Femmes, 2012) (Encadré 4.4). Elle reconnaît la violence à l’égard des femmes comme étant une forme de discrimination fondée sur le sexe et une violation des droits de l’homme. De plus, la loi respecte les normes du droit pénal international, car elle prévoit la responsabilisation, l’assistance juridique et la réparation pour les victimes de crimes.
La loi comporte quatre axes, couvrant toutes les formes de violence à l’égard des femmes – violence physique, morale, sexuelle, politique et économique – et tous les éléments nécessaires pour y faire face : prévention, protection, poursuites et soins aux victimes. Compte tenu de la portée de cette publication, l’inclusion de la violence économique est particulièrement intéressante.
La violence économique y est définie comme « tout acte ou abstention visant à exploiter les femmes ou à les priver de ressources économiques, quelle que soit leur origine, comme la privation de fonds, de salaire ou de revenu, le contrôle des salaires ou des revenus et l’interdiction de travailler ou la contrainte au travail ». La loi définit le crime de violence économique ou de discrimination économique fondée sur le sexe. Celui-ci inclut les actes suivants :
Privation d’une femme de ses ressources financières ou de ses revenus ;
Discrimination salariale pour un travail de valeur égale ;
Discrimination dans la carrière professionnelle, y compris en ce qui concerne la promotion et l’avancement dans de nouvelles fonctions et responsabilités.
La loi précise ce point dans la section sur la prévention où elle donne mandat à l’État de prendre toutes les mesures nécessaires pour éliminer les pratiques discriminatoires à l’égard des femmes et des filles, en particulier en ce qui concerne leur rémunération et leur protection sociale, et pour interdire l’exploitation économique, qui peut prendre la forme d’un travail dangereux et dégradant. La loi va donc très loin à cet égard et des réformes juridiques supplémentaires seront nécessaires pour garantir la bonne application de ces dispositions.
La loi invite les ministères de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur, de la Formation professionnelle, de la Culture, de la Santé, de la Jeunesse, des Sports, de l’Enfance, de la Femme et des Affaires religieuses à prendre des mesures spécifiques pour prévenir la violence envers les femmes dans leurs institutions. Ces mesures comprennent la formation du personnel à la prévention et à l’intervention dans les cas de violence. Des mesures spécifiques telles que la lutte contre l’abandon scolaire des filles sont également mentionnées.
Protection. Les ministères de la Justice et de l’Intérieur ont également fait des efforts importants pour assurer la protection des victimes de violence (Article 39). La loi protège les femmes et les filles victimes de violence ainsi que leurs enfants. Elle prévoit leur protection juridique, y compris l’assistance juridique et l’accès à l’information, ainsi qu’un système d’orientation vers des services spécialisés (médicaux, psychologiques et sociaux). L’accès à un hébergement d’urgence est également prévu dans les limites des disponibilités. Toute personne, même soumise au secret professionnel, est tenue de signaler les cas de violence. La loi prévoit qu’avec l’approbation du Procureur, la police peut appliquer certaines mesures de protection pour les victimes de violence avant même que l’affaire ne soit portée devant le tribunal des affaires familiales. Un autre aspect intéressant des mesures de protection est le fait que le juge peut ordonner le versement d’une pension alimentaire pour le ou les enfants de la victime de la violence, à laquelle les deux conjoints doivent contribuer le cas échéant. Cela signifie que le juge tient compte du fait que si la situation financière de la femme le permet, elle doit également contribuer financièrement à la pension alimentaire.
Poursuites. La loi prévoit une répression accrue des auteurs de violence en modifiant certains articles du Code pénal. De nouvelles formes de violence sont incluses telles que la violence économique, le travail des enfants (Encadré 3.1), l’inceste, l’humiliation publique délibérée et la violence politique.
Le viol est décrit comme un acte commis contre des femmes ou des hommes. La loi prévoit des peines plus lourdes pour différents actes de violence. Elle prend en considération un certain nombre de circonstances aggravantes, par exemple le fait que l’auteur ait autorité sur la victime ou soit le mari ou l’ex-mari, le fiancé ou l’ex-fiancé de la victime. La loi a été définie comme un modèle dans la région, parce qu’elle ne permet plus d’abandonner les poursuites lorsque l’auteur d’un viol sur mineur épouse la victime, et aussi parce qu’elle criminalise explicitement le viol conjugal.
Soins aux victimes. La loi prévoit des mesures détaillées pour assurer la prise en charge des victimes. Elle prévoit la création d’une unité spécialisée dans la violence contre les femmes au sein des forces de police de chaque gouvernorat et de la Garde nationale. Cette unité doit compter des femmes parmi ses membres. Des espaces séparés dans les tribunaux de première instance doivent être réservés aux magistrats traitant des affaires de violence à l’égard des femmes. La loi donne pour instruction au personnel chargé de la protection des victimes de violence de répondre immédiatement à chaque demande d’assistance ou de protection de la part de la victime.
Quels sont les impacts, les défis de mise en œuvre et les facteurs de succès ?
La loi tunisienne sur la violence à l’égard des femmes est une réussite impressionnante. Elle est le résultat d’une étroite collaboration et de la persévérance de la société civile, des organisations internationales et du gouvernement. Dans un premier temps, des données probantes ont été compilées pour justifier la nécessité de cette loi. L’équipe qui a rédigé les différentes versions de la loi a inclus des représentants de la société civile travaillant sur la violence envers les femmes depuis de nombreuses années et connaissant donc très bien la situation sur le terrain. Le soutien du Comité de plaidoyer a joué un rôle important pour garantir que la loi soit conforme aux recommandations internationales sur la violence envers les femmes. La loi exige par ailleurs l’élaboration d’un rapport annuel sur sa mise en œuvre afin que son impact puisse être mesuré dans le temps.
Saisir l’opportunité d’inclure l’article 46 dans la rédaction de la nouvelle Constitution était un geste stratégique ouvrant la voie à la poursuite du processus d’élaboration du projet de loi.
Un certain nombre de tribunaux ont déjà appliqué la loi dans la pratique. Quelques exemples de décisions sont présentés en annexe de ce chapitre (Annexe 4.A). Néanmoins, l’application pratique de la loi reste difficile pour un certain nombre de raisons, bien que des efforts soient en cours pour relever tous ces défis :
Les services et les structures de prise en charge des femmes victimes de violence sont très limités et sont pour la plupart assurés par la société civile. Le gouvernement dépend fortement de ses partenaires de la coopération au développement pour leur soutien financier et technique à la mise en œuvre de la loi. Quelques mois avant l’adoption de la nouvelle loi, un Programme conjoint des Nations unies 2017-2018 (mené par le Fonds des Nations Unies pour la population) a été signé sur la prise en charge des femmes victimes de violence en Tunisie. Son objectif est de soutenir le gouvernement dans trois domaines principaux : fournir des services de qualité aux femmes victimes de violence, établir un système de coordination et d’orientation intersectorielle pour les femmes victimes de violence, et mener des actions de sensibilisation et de plaidoyer sur la cause de la violence envers les femmes (FNUAP Tunisie, 2017[24]).
Il y a peu de sensibilisation à la loi ou à la violence contre les femmes en général, non seulement de la part du grand public mais aussi des prestataires de services aux femmes victimes. De nombreux efforts sont actuellement déployés pour diffuser les éléments clés de la loi auprès du grand public et pour sensibiliser les fonctionnaires qui ont un rôle à jouer dans son application. La représentation des femmes (victimes de la violence) dans les médias a fait l’objet d’une attention particulière (Encadré 4.5).
La multiplicité des acteurs responsables de la mise en œuvre de la loi pose des problèmes de coordination. Les acteurs tunisiens travaillent depuis plusieurs années à l’amélioration de cette coordination, par exemple à travers le projet de création de mécanismes intersectoriels de prise en charge des femmes victimes de violence dans le Grand Tunis 2014-201735. Ce projet a conduit cinq ministères (Affaires sociales, Justice, Famille et Enfance, Intérieur et Santé) à signer des protocoles de coordination multisectorielle en 2016, avant même l’entrée en vigueur de la nouvelle loi. En 2016, le ministère chargé des affaires de la femme a également publié une cartographie des services destinés aux femmes victimes de violence ou en situation de vulnérabilité en Tunisie (UNFPA/HCDH, 2016[25]), qui devrait également contribuer à améliorer la coordination entre les différents services.
L’accès à la justice peut parfois être difficile en raison du manque de policiers formés et, dans certains cas, de la pression sociale qui empêche les femmes de porter plainte.
Encadré 4.5. Le rôle important des médias
Un article spécifique de la loi (art. 11) est consacré au rôle des médias dans la sensibilisation du grand public à la violence envers les femmes et les filles. L’article interdit les stéréotypes et les contenus médiatiques susceptibles de nuire à l’image des femmes. Une attention particulière a été consacrée à ce sujet en Tunisie et, en 2016, une étude a été publiée sur le traitement médiatique et les pratiques journalistiques en matière de violence envers les femmes et les filles (ATFD, 2016[26]). En outre, une « déclaration de principes sur le respect des droits de l’homme dans la couverture médiatique de la violence à l’égard des femmes » a été publiée, ainsi qu’un « formulaire sur le consentement libre et éclairé avant le témoignage des femmes victimes de violence » (ATFD, 2016[26]).
Étude de cas 4.5. Réformer le cadre juridique jordanien sur la violence envers les femmes
Bien qu’il n’existe pas de chiffres officiels à jour sur la violence envers les femmes en Jordanie, les entretiens avec les différentes parties prenantes menés pour les besoins de ce rapport (annexes A et B) confirment que la violence à l’égard des femmes reste un problème important dans la société jordanienne. Ces entretiens ont également indiqué qu’il existe un manque de sensibilisation dans la société sur ce que la VEF implique, et surtout sur le fait qu’elle inclut également l’exploitation économique. Il a été rapporté que de nombreuses femmes en Jordanie se voient interdire de travailler par leur famille et que les femmes qui travaillent ne contrôlent pas l’argent qu’elles gagnent. En outre, la violence à l’égard des femmes est un sujet tabou dans la société jordanienne et de nombreuses femmes choisissent de ne pas signaler les cas de violence. Même lorsqu’elles les signalent, elles peuvent ne pas être soutenues de manière adéquate par le système judiciaire. Il a été rapporté que les professionnels de la justice sont souvent confrontés à des pressions sociales pour rejeter les plaintes pour violence envers une femme (ONU Femmes, 2015[27]).
La Jordanie prend actuellement des mesures pour résoudre ces problèmes. Cette étude de cas documente les récents efforts de réforme de la Jordanie pour lutter contre la VEF.
En quoi consiste la réforme et comment a-t-elle vu le jour ?
En 2015 et 2016, plusieurs manifestations ont été organisées par des militants des droits de la femme pour appeler à combattre la violence envers les femmes. La situation en Jordanie a également fait l’objet de critiques croissantes au niveau international. Human Rights Watch a averti que les crimes d’honneur étaient en augmentation en Jordanie et a appelé à une stratégie nationale pour les combattre (Coogle, 2016[28]). Le Comité de la CEDAW a exhorté la Jordanie à faire face à l’augmentation alarmante des crimes d’honneur et de la violence domestique (EuroMed Rights, 2018[29]). Un rapport du Comité de la CEDAW a explicitement recommandé une réforme juridique (AWO/Mosawa Network, 2017[30]).
En Jordanie, le problème de la violence envers les femmes est traité par deux lois différentes : la Loi sur la protection de la famille et le Code pénal. Suite aux manifestations et au tollé international, les deux cadres ont été révisés en 2017 pour accorder une plus grande attention à la violence à l’égard des femmes. Comme détaillé ci-dessous, les amendements à la Loi sur la protection de la famille offrent une protection supplémentaire aux femmes victimes de violence, augmentent les peines pour les auteurs de violence, fournissent de plus grandes garanties procédurales et protègent les témoins. Les révisions du Code pénal prévoient des peines accrues dans certaines circonstances pour les auteurs de crimes d’honneur, et ne permettent plus aux violeurs d’échapper aux sanctions en épousant leur victime.
La Loi jordanienne sur la protection de la famille36, adoptée en 2017, se concentre sur la violence domestique. Bien que la loi ne comporte pas de définition spécifique de la violence domestique, elle considère que celle-ci recouvre la violence commise par un membre de la famille contre un autre membre de la famille (article 2). La loi définit les membres de la famille comme le mari et la femme, les enfants et tout autre parent résidant au domicile familial au moment de l’acte de violence (article 3). Par conséquent, la loi ne couvre pas la violence à l’égard des femmes qui ne font pas partie de cette structure familiale prédéfinie et articule la protection autour du mariage. Cela peut conduire à négliger d’autres formes de violence domestique qui peuvent se produire en dehors du foyer familial (Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies, 2010[31]).
Protection : La Loi sur la protection de la famille décrit les différents mécanismes de protection des victimes de violence domestique, tels qu’une ligne d’assistance téléphonique 24 heures sur 24 et la possibilité de transférer la victime à l’hôpital si nécessaire (article 6). Une fois que le département de protection de la famille est informé d’un cas, il peut transférer la victime dans un centre d’accueil, en coordination avec le ministère du Développement social. La loi permet à la police de détenir les auteurs présumés de violence pendant 24 heures s’il n’y a pas d’autre moyen d’assurer la protection de la victime ou de tout membre de la famille (article 11). La loi donne également au tribunal le droit de délivrer une ordonnance de protection à la demande de la victime ou de tout membre de la famille pour une période n’excédant pas un mois (article 14). Le département de protection de la famille protège par ailleurs les témoins ou les autres parties prenantes qui se présentent. En cas de violation d’une ordonnance du tribunal, l’auteur de l’infraction peut être emprisonné pour une durée maximale d’un mois et/ou condamné à une amende (mais ne pouvant excéder 100 dinars jordaniens - JOD). Une récidive entraîne des sanctions plus sévères.
Mesures de répression : Le tribunal fonde ses mesures sur des rapports d’experts (psychologues, personnel médical) et peut ordonner à l’auteur des faits d’effectuer un service public de 40 heures de travail au plus, ou de suivre des programmes de réadaptation psychologique et sociale sur une période pouvant aller jusqu’à six mois, en plus d’interdire à l’auteur des faits de visiter tout lieu qui impliquerait un contact avec la victime pendant jusqu’à six mois. Le non-respect des mesures prescrites peut entraîner une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à trois mois (article 11). La loi prévoit également une exigence stricte de confidentialité totale (article 18).
Réforme du Cdeode pénal pour les crimes d’honneur. Les peines pour les auteurs de crimes d’honneur ont été alourdies par modification de l’article 98 du Code pénal (Roya News, 2017[32]). L’article 98 stipulait auparavant qu’un auteur de violence pouvait bénéficier de « circonstances atténuantes » s’il souffrait d’une « crise de rage grave » due à un acte faux et dangereux de la victime. Sans préciser ce qui pourrait constituer une action fausse et dangereuse, la loi a été invoquée pour justifier les crimes d’honneur. Avec cet amendement, les auteurs ne peuvent plus échapper à la sanction en invoquant les circonstances atténuantes de l’article 98. Cependant, reste en vigueur l’article 340 qui permet une réduction de peine pour un homme ayant assassiné sa femme, sa fille, sa petite-fille, sa mère ou sa grand-mère après les avoir trouvées dans une « situation d’adultère » (Albawaba, 2017[33]). L’épouse peut également bénéficier d’une réduction de peine si elle trouve son mari en situation d’adultère dans son lit conjugal. L’article 308 du Code pénal a été abrogé en 2017, ce qui signifie que les violeurs ne peuvent plus échapper à la punition en épousant leur victime (Husseini, 2017[34]).
Outre la réforme juridique, le gouvernement jordanien a également adopté des réformes des politiques publiques et des mesures administratives pour assurer la protection des femmes victimes de violence :
Un cadre politique pour la lutte contre la VEF. En 2016, le gouvernement jordanien a mis en place un cadre national pour la protection de la famille contre la violence domestique, qui englobe la violence contre les femmes, les enfants et les personnes âgées, mais pas la violence domestique contre les hommes. Les objectifs du cadre sont les suivants : coordination entre tous les acteurs concernés (santé, éducation, police, système judiciaire) afin de fournir des services complets ; développement de principes directeurs pour la prévention et la protection contre la violence domestique à l’aide d’une approche multi-institutionnelle ; mise en place d’un mécanisme de suivi et d’évaluation pour l’application du cadre; et une gestion efficace des cas en créant un langage commun sur la protection de la famille contre la violence domestique. La Commission nationale jordanienne pour les femmes (JNCW) est par ailleurs en train d’élaborer une Stratégie nationale pour les femmes (2020-2025) qui comprendra un pilier sur la violence envers les femmes et la discrimination fondée sur le sexe en Jordanie.
Communication sur la VEF. Une Stratégie de communication sur la violence fondée sur le genre (VFG) a été publiée par le ministère du Développement social en 201437. Ses fonctions comprennent la préparation de brochures et de campagnes de lutte contre la VFG, l’établissement d’une coopération entre les acteurs gouvernementaux et non-gouvernementaux, et la correction des idées fausses qui justifient le recours à la violence contre les femmes. Le réseau Sham’a organise également régulièrement des campagnes de lutte contre la VEF ainsi que des activités d’éducation et de sensibilisation à l’intention du personnel des forces de l’ordre et du système judiciaire.
Une protection renforcée pour les femmes victimes. Comme il n’existe pas suffisamment de refuges pour femmes gérés par le gouvernement, les femmes qui demandent la protection de l’État contre le danger imminent d’un crime d’honneur (par exemple, après un viol) étaient fréquemment placées en détention aux côtés de criminels condamnés parce qu’elles devaient faire appel à la Loi sur la prévention de la criminalité. Ces femmes étaient désignées par l’appellation « détenues administratives » (Direction des recherches de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, 2000[35]). Le ministre du Développement social a annoncé que la détention des femmes encourant des risques cesserait complètement d’ici la fin de l’année 2018, soulignant la possibilité de remplacer la détention administrative par la réhabilitation, l’intégration et la réconciliation (Luck, 2018[36]). Il existe quelques refuges en Jordanie, mais il en faut davantage. La Maison de la réconciliation familiale à Amman a été le premier refuge pour les victimes de violence domestique (Husseini, 2010[37]). En 2018, un refuge appelé Dar al Amina a été ouvert, basé sur le système des refuges pour personnes vulnérables de Jordanie, couvert par la Loi n° 171 de 2016 (HCDH, 2017[38]). L’Union des femmes jordaniennes (JWU) gère également des refuges.
Quels sont les impacts, les défis de mise en œuvre et les facteurs de succès ?
Les récentes réformes sont pour la plupart le résultat de l’effort considérable de la société civile et de la JNCW, qui plaident en faveur de ces réformes depuis des décennies. Ces réformes ont pu aller de l’avant une fois que la société civile a exprimé la volonté politique nécessaire, avec l’aide de l’attention portée à cette question par la communauté internationale. La Commission des affaires féminines et familiales (Encadré 5.1) a également joué un rôle important en inscrivant la question de la VEF à l’ordre du jour des discussions parlementaires et en avançant les bons arguments.
Malgré ces efforts importants, le cadre juridique jordanien n’est pas encore conforme aux normes internationales en matière de législation sur la violence à l’égard des femmes, telles que définies dans le Manuel de législation des Nations Unies sur la violence à l’égard des femmes (Encadré 4.4) :
Bien que la Loi sur la protection de la famille se concentre sur la violence domestique, elle ne contient pas de définition de ce concept. L’application de la loi se limite aux mauvais traitements commis par certains membres de la famille uniquement et dans certains lieux uniquement. Elle ne protège donc pas suffisamment les femmes contre la violence.
Le cadre juridique actuel de la lutte contre la violence envers les femmes en Jordanie ne comporte pas de dispositions relatives à la prévention de la violence.
La valeur ajoutée de la Loi sur la protection de la famille dans la lutte contre la VEF par rapport au droit pénal peut être limitée. Alors que la Loi sur la protection de la famille ne traite que certains cas de violence domestique, le droit pénal couvre toutes les autres formes de violence.
Les professionnels de la justice n’établissent souvent pas de liens adéquats entre la VEF traitée dans le Code pénal et la Loi sur la protection de la famille et le fait que la VEF est souvent le résultat de la dynamique des relations hommes-femmes dans le foyer et donc couverte par la Loi sur le statut personnel (traitée dans les tribunaux de la Charia). Un rapport indique que la Jordanie ne traite pas la violence envers les femmes comme une question de droits de l’homme, mais qu’elle aborde la question par une approche en silo (ONU Femmes, 2015[27]).
Les militants des droits des femmes sont bien conscients de ces lacunes dans le cadre juridique. Sous la direction de la JNCW, des listes de propositions de réformes juridiques sur la violence envers les femmes sont régulièrement élaborées et soumises.
Étude de cas 4.6. Vers un projet de loi global sur les violences envers les femmes en Égypte
Au cours des quatre dernières décennies, l’Égypte a pris des mesures importantes pour lutter contre la violence à l’égard des femmes. Toutefois, le problème reste endémique et constitue un obstacle majeur à la participation des femmes à la vie économique et publique, en plus de représenter un coût économique pour le pays (Encadré 4.3 et chapitre 1). Les formes les plus courantes de violence envers les femmes en Égypte comprennent le harcèlement sexuel, le viol, la violence collective, la traite d’êtres humains et le harcèlement criminel (Amnesty International, 2015[39]). Au sein de la famille, la violence envers les femmes se manifeste principalement sous forme de violence domestique, de viol conjugal, de mutilation génitale féminine (MGF) et de mariage précoce. Les autorités égyptiennes sont conscientes de la gravité de la situation et ont récemment pris des mesures importantes pour y remédier. Cette étude de cas donne un aperçu de ces récentes initiatives législatives et politiques et accorde une attention particulière à la violence sexuelle, à la violence domestique et aux pratiques néfastes (mariages précoces et MGF).
En quoi consiste la réforme et comment a-t-elle vu le jour ?
Le gouvernement égyptien a fait plusieurs efforts pour lutter contre la VEF, tant sur le plan législatif que sur le plan politique. Une première réalisation importante a été d’inclure l’interdiction de la VEF dans la Constitution de 2014 (articles 11 et 60).
Si les stratégies nationales de lutte contre la VEF sont exhaustives, le cadre juridique égyptien est moins complet. Tout d’abord, la violence contre les femmes est couverte par différents cadres juridiques qui se chevauchent parfois ou contiennent des lacunes. Deuxièmement, le cadre juridique relatif à la violence envers les femmes ne contient pas de définition complète des différentes formes de violence.
Violence sexuelle (viol et harcèlement sexuel)
Le Code pénal égyptien criminalise le viol et a été modifié en 2014 afin de criminaliser également le harcèlement sexuel. Malgré ce pas dans la bonne direction, les définitions du viol et du harcèlement sexuel dans le Code pénal sont trop étroites et, par conséquent, ne couvrent pas de nombreux actes de violence.
L’article 267 du Code pénal criminalise le viol. Sans utiliser le terme formel de viol (ightisab), l’article stipule qu’avoir un rapport sexuel avec une femme sans son consentement entraîne une peine aggravée ou la prison à vie38. Selon l’article 267, le viol est compris comme incluant uniquement la pénétration vaginale, bien que la disposition du Code elle-même ne le précise pas39. La définition de cet article a été élaborée sur la base des verdicts et des commentaires des tribunaux40. Une réforme majeure a été adoptée en 1999 lorsque l’Égypte a abrogé par décret présidentiel l’article 291 du Code pénal afin que les violeurs ne puissent plus échapper aux poursuites en épousant leur victime.
En 2014, un décret présidentiel41 a été adopté pour modifier le Code pénal en introduisant une définition du harcèlement sexuel et en imposant des sanctions plus strictes42. Jusqu’alors, aucune définition du harcèlement sexuel n’avait été incluse dans le Code pénal, et aucune méthode visant à le prouver n’était prévue. Cet amendement, communément appelé « loi anti-harcèlement », criminalise le harcèlement sexuel sous forme de paroles, de gestes et d’actions exprimés en personne ou par d’autres moyens de communication. La loi comprend également une clause sur le harcèlement sur le lieu de travail et prévoit une peine plus sévère pour les auteurs en position d’autorité par rapport aux victimes. Bien que cela constitue une amélioration par rapport à la situation antérieure, la description du harcèlement sexuel contenue dans l’amendement reste trop limitée. L’amendement décrit en effet le harcèlement sexuel comme un acte commis dans « l’intention de recevoir une gratification sexuelle de la part de la victime ». Selon la loi, un acte ne peut donc être qualifié de harcèlement sexuel que s’il a été motivé par les désirs sexuels de l’auteur de l’acte. Cette disposition diffère avec les normes internationales telles que la CEDAW, qui prescrivent une définition plus large du harcèlement sexuel, à savoir tout acte que la victime considère comme offensant, humiliant ou intimidant43.
Al-Azhar, la plus haute autorité religieuse d’Égypte, a récemment pris position et publié une déclaration qui souligne que « le harcèlement est un comportement interdit et déviant, car il empiète sur la vie privée, la liberté et la dignité des femmes. Justifier le harcèlement par les vêtements des femmes reflète une mauvaise compréhension de la question » (Magdy, 2018[40]). Les décisions d’Al Azhar et de Dar el Iftaa sont des avis consultatifs et ne sont pas juridiquement contraignantes. Cependant, en raison de l’importance de ces institutions, elles sont généralement prises en considération par la société dans son ensemble. Les juges se réfèrent également à ces avis dans leur raisonnement juridique.
Violence domestique
En Égypte, la violence domestique n’est pas criminalisée en tant que telle. Plusieurs articles de la loi pénale donnent même l’impression que la violence domestique est en quelque sorte tolérée. L’article 60 stipule que « les dispositions du Code pénal ne s’appliquent pas à tout acte commis de bonne foi, en vertu d’un droit déterminé par la Charia ». Par conséquent, un mari (ou un père) qui bat sa femme (ou sa fille) peut être disculpé s’il est allégué qu’il l’a disciplinée avec de bonnes intentions (en toute bonne foi)44.
Les crimes d’honneur peuvent être considérés comme une forme extrême de violence domestique. Il n’existe pas de statistiques officielles sur les crimes d’honneur en Égypte, mais il est notoire que ces crimes se produisent et ils sont parfois également signalés par les médias (Nazra for Feminist Studies, 2014[41]). En Égypte, l’auteur d’un crime d’honneur peut obtenir une réduction de peine en vertu de l’article 17 du Code pénal, qui donne au juge un pouvoir discrétionnaire étendu pour faire preuve de clémence (Mecky, 2016[42]). En outre, l’article 237 du Code pénal stipule que « le mari qui surprend sa femme en train de commettre l’adultère et la tue sur le coup, ainsi que son partenaire, est puni d’une peine d’emprisonnement, au lieu des peines déterminées aux articles 234 et 236 du Code pénal ». Le recours à l’article 237 entraîne généralement une peine maximale d’un an de prison pour un mari ayant tué sa femme.
Le Code pénal doit également être lu conjointement avec les lois sur le statut personnel, qui privent les femmes victimes de violence domestique de toute autonomie. La violence domestique ne constitue pas nécessairement un motif de divorce, car la loi évalue le préjudice comme ce qui est « impossible pour ce type de personnes » (autrement dit ce qui est jugé impossible à accepter par la personne en question) 45. Il est laissé à la discrétion du juge de décider de ce qu’une épouse trouverait impossible à accepter46. En outre, les femmes doivent souvent faire face à des procédures judiciaires longues et coûteuses pour prouver qu’elles ont subi un préjudice, et l’acte de violence doit être prouvé par le témoignage d’au moins deux hommes, ou d’un homme et de deux femmes, qui doivent avoir vu et entendu les actes de violence (Bernard-Maugiron et Dupret, 2008[43]). Une forme de violence domestique très répandue en Égypte est le viol conjugal, qui reste un sujet tabou. Une femme est censée satisfaire sexuellement son mari dans le cadre du contrat de mariage. Le fait pour un mari de forcer sa femme à avoir des relations sexuelles sans son consentement n’est donc pas considéré comme une infraction pénale.
Mariages précoces
Les mariages précoces n’entraînent pas seulement une violation des droits de l’enfant, mais ils ont également un coût économique important. Il a été prouvé que mettre fin au mariage des enfants en Égypte pourrait générer 2 893 millions de dollars supplémentaires en termes de revenus et de productivité (Wodon, Savodogo et Kes, 2017[44]). Mettre fin au mariage des enfants peut améliorer la santé des individus concernés et celle de la population dans son ensemble, accroître la productivité et améliorer la possibilité de réaliser les gains de croissance économique qu’un pays peut tirer de la baisse de son taux de natalité et du changement de la structure d’âge de sa population, communément appelé le « dividende démographique ». Des actions concrètes pour lutter contre le mariage des enfants ont commencé à être menées dans les années 2000, avec le lancement par le Conseil national pour l’enfance et la maternité (NCCM) d’un programme sur l’autonomisation des filles. La Loi sur l’enfance a été modifiée en 2008, faisant passer l’âge minimum du mariage de 16 à 18 ans pour les garçons et les filles47. La loi n’interdit pas explicitement les mariages précoces, mais empêche leur enregistrement officiel. En conséquence, les mariages précoces continuent d’être conclus de manière informelle sans être enregistrés. Les naissances ne peuvent pas non plus être déclarées si la mère est mineure.
En 2014, l’Égypte a publié une stratégie nationale sur cinq ans pour prévenir le mariage des enfants (Ali, 2019[45]). Cette stratégie préconise une mise à jour et une amélioration du cadre législatif pour protéger les enfants. En juin 2018, le gouvernement égyptien a proposé un nouveau projet de loi qui comprend des amendements à l’article 12 de la Loi sur l’enfance, introduisant des peines plus sévères pour les personnes impliquées dans le mariage de filles et de garçons (par exemple, le tuteur, l’officier d’état civil) n’ayant pas 18 ans, à savoir l’âge minimum légal actuel pour se marier (Ali, 2019).
Mutilations génitales féminines (MGF)
Les mutilations génitales féminines constituent un obstacle majeur à l’émancipation économique des femmes, car elles compromettent les chances des filles de recevoir une éducation et d’améliorer leurs compétences. Dans certaines communautés, les MGF marquent le début de la vie adulte et sont souvent suivies du mariage. Les femmes qui ont subi des MGF souffrent de conséquences extrêmement négatives tant sur le plan physique que psychologique, ce qui compromet fortement leur capacité à trouver un emploi, à construire une carrière réussie ou à créer une entreprise.
L’Égypte a été pionnière dans la lutte contre les MGF, pratique néfaste traditionnelle touchant plus de 28 pays africains et certaines populations du Moyen-Orient et de l’Asie du Sud-Est. L’Égypte a ainsi joué un rôle crucial pour briser le secret qui entourait les MGF et pour mettre fin à leur justification religieuse48. Au début de l’année 2000, les données du Conseil national pour l’enfance et la maternité (NCCM) sur le nombre élevé de femmes et de filles ayant subi des MGF ont suscité l’intérêt de Suzanne Moubarak, première dame d’Égypte à l’époque. Celle-ci a convoqué une conférence internationale réunissant les gouvernements et les militants anti-MGF de tous les pays concernés. C’était la première fois que la question était soulevée publiquement au plus haut niveau. En 2007, le cheikh d’Al-Azhar et le patriarche de l’Église copte ont tous deux fait valoir que les MGF n’avaient aucun fondement dans l’islam ou le christianisme et qu’elles étaient donc en contradiction avec les enseignements religieux. Cette déclaration a été faite suite à la mort d’une fillette de 11 ans qui avait subi cette intervention dans une clinique médicale privée du sud de l’Égypte49.
Une vaste campagne internationale pour mettre fin aux MGF a alors été lancée. En Égypte, la campagne a conduit à l’adoption de la Loi sur l’enfance n° 126 de 2008, qui a modifié le Code pénal et criminalisé les MGF, en punissant toute personne pratiquant ou demandant à pratiquer les MGF, y compris les parents. Le gouvernement a également mis en place une ligne d’assistance téléphonique pour signaler les crimes de MGF et mené des actions dans les zones rurales pour sensibiliser les populations à cette loi. Suivant l’exemple égyptien, la plupart des pays concernés ont adopté des lois ad hoc interdisant les MGF. En 2016, le Parlement a modifié la Loi sur l’enfance, en introduisant des peines plus sévères. Une Stratégie nationale d’abandon des MGF 2016-2020 a été élaborée pour faire appliquer les lois existantes contre les MGF et pour suivre les progrès accomplis afin de réduire la prévalence des MGF pour les générations futures en Égypte50. En 2018, l’Institut de recherche islamique Dar el Iftaa a publié un important arrêt stipulant que « les MGF sont interdites par la religion et que cette pratique n’est pas requise par les lois islamiques et devrait être interdite, car elle mutile l’organe le plus sensible du corps féminin » (Saad, 2018[46]).
Toutefois, mettre fin aux MGF reste un défi important pour le pays. Si le cadre juridique s’est considérablement amélioré, il s’agit maintenant de le mettre en œuvre et de le faire respecter.
Stratégies et projet de loi globale pour éliminer la violence à l’égard des femmes
En 2010, le Comité de la CEDAW a publié son dernier rapport sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes en Égypte51. Le cadre juridique relatif à la violence à l’égard des femmes était notamment l’une des faiblesses soulignées par le Comité de la CEDAW, qui a exhorté l’Égypte à adopter une loi globale criminalisant toutes les formes de violence contre les femmes et à élaborer un plan d’action cohérent et multisectoriel pour les combattre. Le gouvernement a entrepris une série d’actions visant à se conformer aux observations finales du Comité de la CEDAW :
Un projet de loi globale sur la violence à l’égard des femmes. Le Conseil national des femmes (NCW) a élaboré un projet de loi globale qui a été soumis au Parlement en 2013. Le projet n’a cependant jamais été discuté en raison de la dissolution de l’organe législatif. Le projet de loi du NCW fournit des définitions de la violence envers les femmes et contient des dispositions sur le mariage forcé et le mariage précoce, la violence domestique (bien qu’elle ne soit pas définie) et la prévention de l’éducation. La loi comprend également des dispositions sur la violence économique : l’article 7 interdit de refuser à une femme le droit au travail et l’article 8 couvre les violations de l’égalité des chances entre les femmes et les hommes au travail (FIDH, Nazra for Feminist Studies, New Women Foundation, s.d.[47]). Le ministère de la Justice travaille actuellement sur ce projet de loi en vue de le soumettre au Parlement52.
La Stratégie nationale de lutte contre la violence à l’égard des femmes (2015-2020). Elle a été élaborée pour parvenir à une communauté nationale sûre, exempte de toute forme de violence et garantissant la protection des femmes (NCW, 2015[48]). La stratégie aborde des sujets tels que la prévention, la protection, les soins, la répression et l’accès à la justice, et appelle le gouvernement à s’orienter vers une révision des lois existantes et à réduire la durée des procédures judiciaires (Egypt Today, 2017[49])53. L’aspect le plus important de la stratégie est qu’elle fournit des définitions des actes de violence envers les femmes54. La violence économique y constitue un sujet spécifique et est définie comme le fait d’« empêcher les femmes d’obtenir ou de contrôler des ressources essentielles ». Une série d’institutions gouvernementales sont responsables de la mise en œuvre de la stratégie, mais jusqu’à présent, aucune étude n’a été effectuée et aucune information détaillée n’est disponible sur sa mise en œuvre ou ses résultats.
La Stratégie nationale pour l’autonomisation des femmes égyptiennes 2030. Cette stratégie, lancée en mars 2017, a absorbé la Stratégie nationale de lutte contre la violence à l’égard des femmes (NCW, 2017[7]). Dans le cadre de son pilier sur l’autonomisation sociale des femmes, elle se concentre sur différents types de violence envers les femmes. Elle souligne la nécessité de travailler à l’élimination de toutes les pratiques néfastes et discriminatoires dans la sphère publique et au sein de la famille, et de faciliter l’accès des femmes à la justice (Encadré 4.1).
Le renforcement du cadre institutionnel. Des efforts importants ont également été déployés pour renforcer le cadre institutionnel et la gamme de services juridiques et de soutien fournis par les institutions de l’État. Par exemple, en 2013, un département de lutte contre la violence envers les femmes a été créé au sein du ministère de l’Intérieur pour sensibiliser les femmes à leurs droits, les encourager à signaler les crimes violents et leur expliquer le soutien offert par le NCW et le ministère public (PNUD, 2018[50]). Entre 2015 et 2018, le NCW a travaillé activement avec les communautés locales, principalement dans les zones défavorisées, pour les familiariser à son rôle et au soutien qu’il peut apporter, et pour les sensibiliser aux pratiques néfastes telles que le mariage précoce et les MGF (Egypt Today, 2018[51]). Un certain nombre de formations ont été organisées par le NCW au cours des six dernières années, par exemple à destination des fonctionnaires autorisés à célébrer des mariages, afin d’améliorer leurs compétences dans le traitement des problèmes liés à la violence envers les femmes (PNUD, 2018[50]).
Quels sont les impacts, les défis de mise en œuvre et les facteurs de succès?
L’analyse de ces réformes doit être replacée dans le contexte historique important qui les entoure. La dynamique visant à améliorer l’autonomisation des femmes en réformant le cadre juridique existant et en s’attaquant aux normes sociales restrictives s’est avérée difficile à maintenir dans les premières années de l’Égypte post-Moubarak (2011-2013). En 2012, le premier Parlement élu de la nouvelle ère a cherché à plusieurs reprises à abroger différentes lois qui rapprochaient le pays des normes internationales en matière de droits des femmes, telles que la Loi sur le divorce, la Loi criminalisant les MGF et la Loi criminalisant la traite des êtres humains. Peu après la démission de Moubarak et l’investiture de Mohamed Morsi en juin 2012, l’idée que les femmes devaient se tenir un pas derrière les hommes a trouvé écho chez de nombreux Égyptiens, en particulier dans les régions isolées, dans un contexte de retour en force des valeurs conservatrices. L’élan national contre les MGF a alors subi un énorme revers. À partir de décembre 2010, aucune déclaration publique contre les MGF n’a été faite dans les villages.
En conséquence, les aspirations du mouvement des femmes pour leurs droits se sont essoufflées, faute de soutien populaire et d’espace politique pour s’exprimer. Parallèlement, les institutions publiques qui jouaient jusqu’alors un rôle majeur dans la progression du cadre juridique relatif aux femmes et aux filles, comme le NCCM, ont perdu leur pouvoir. En outre, le gouvernement a cessé d’allouer des ressources pour la mise en œuvre des lois existantes. L’instabilité et l’insécurité politiques ont également contribué à ralentir les efforts de l’Égypte en faveur de l’égalité des sexes en 2012-2013. Cependant, la destitution de Morsi en 2013 a permis de donner un nouvel élan aux réformes.
Toutes les initiatives menées jusqu’à présent sont un signe concret de l’engagement réel de l’Égypte à mettre les femmes sur un pied d’égalité avec les hommes. Malgré ces progrès, le cadre juridique n’est toujours pas conforme aux normes internationales en matière de violence envers les femmes en ce qui concerne les définitions (par exemple, les définitions encore trop étroites du viol et du harcèlement sexuel), et il est toujours très difficile pour les femmes victimes de violence d’accéder à la justice. Il semble donc raisonnable d’attendre du gouvernement qu’il renforce et étende son action en promouvant de nouvelles réformes et en multipliant les mesures visant à faire appliquer et à mettre en œuvre les outils législatifs existants pour les aligner sur les normes internationalement reconnues. Il est par ailleurs essentiel de lutter contre les stéréotypes et les normes sociales restrictives en sensibilisant la population et en faisant évoluer les préjugés sur les rôles respectifs des hommes et des femmes, ce qui nécessite des efforts considérables.
Il faut également agir pour inclure la société civile dans le processus décisionnel, à la fois pour bâtir le consensus nécessaire et pour prendre en compte les besoins spécifiques des organisations de femmes travaillant sur le terrain. Par exemple, le fait que les ONG n’aient pas été consultées dans le processus d’élaboration de la loi globale sur la violence à l’égard des femmes, malgré leur grande expérience en la matière, a fait l’objet de critiques55. Le gouvernement a récemment pris des mesures pour adoucir les aspects les plus controversés de la Loi de 2017 régissant le travail de la société civile en Égypte, en adoptant la Loi n° 149 de 2019. Le nouveau texte exclut les peines de prison en cas de violation et les remplace par des amendes, mais il rend toujours difficile le travail des ONG (Human Rights Watch, 2019[52]). La coopération entre les institutions étatiques et les acteurs non gouvernementaux est d’autant plus importante dans un contexte de transition politique, où la défense des droits des femmes constitue déjà un véritable défi, et doit donc être fortement encouragée.
Étude de cas 4.7. Améliorer la législation du Maroc sur la violence à l’égard des femmes
Au Maroc, bien que la prévalence de la violence psychologique ait chuté de 58% à 49% entre 2009 et 2019, la violence économique est, quant à elle, passée de 8% à 15% sur la même période (Haut-Commissariat au Plan du Maroc, 2019[53]). L’étude mentionnée plus haut d’ONU Femmes et de Promundo indique qu’il existe une forte conviction que les femmes devraient tolérer des traitements violents de la part de leur conjoint pour maintenir l’unité de la famille (ONU Femmes, Promundo, 2017[54]). Cette opinion est non seulement partagée par les hommes (60% au Maroc), mais aussi par les femmes (46% au Maroc). Une part importante des hommes pense encore qu’il existe des cas dans lesquels une femme mérite d’être battue. Environ 75% des hommes interrogés au Maroc ont utilisé la tenue « provocante » d’une femme pour légitimer leurs actes. Les femmes sont plus nombreuses que les hommes à être en accord avec cette idée.
Le Maroc avait déjà publié une Stratégie nationale de lutte contre la violence fondée sur le sexe en 2004. En 2005, un cadre de mise en œuvre de cette stratégie a été publié56. Le premier plan gouvernemental pour l’égalité (PGE I 2012-2016)57 inclut également l’élimination de la violence envers les femmes comme thème prioritaire. Le deuxième plan gouvernemental pour l’égalité (PGE II 2017-2021) mentionne également un cadre juridique complet pour lutter contre toutes les formes de violence à l’égard des femmes.
Le Maroc a fait des efforts pour rendre compte de l’état de la violence envers les femmes dans le pays, avec la publication du premier compte rendu important sur la VEF par la Direction de la statistique (HCP) en 2009. En 2014, l’Observatoire national de la violence à l’égard des femmes a été rétabli et ce dernier a publié à ce jour deux rapports sur la VEF. Malheureusement, ces rapports ne sont pas disponibles sur le site web du ministère de la Solidarité, du Développement social, de l’Égalité et de la Famille (MSDSEF) et il semble difficile de comparer les rapports dans le temps car les indicateurs et les données ne sont pas tous comparables.
En août 2018, une nouvelle Loi de lutte contre la violence à l’égard des femmes est entrée en vigueur, comprenant des modifications du Code pénal58. Les organes de suivi des traités des Nations Unies sur les droits de l’homme ont appelé à plusieurs reprises le Maroc à adopter cette législation59, tandis que les militants et les organisations de femmes se mobilisent depuis plus de dix ans pour l’adoption d’un cadre juridique complet sur la violence envers les femmes. Ce processus a débuté en 2013, lorsqu’un projet de loi a été soumis au Cabinet. Le MSDSEF a soumis le projet de loi au Parlement en 2016. Malgré les efforts de lobbying importants déployés par les organisations de défense des droits des femmes pour améliorer la section sur la protection des victimes (voir la dernière section de cette étude de cas), le Parlement a approuvé la loi en février 2018 sans autre modification (Human Rights Watch, 2018[55]). Ce processus s’est déroulé parallèlement à la conception du PGE II.
En quoi consiste la réforme et comment a-t-elle vu le jour ?
La Loi sur la violence à l’égard des femmes contient 17 articles et 6 chapitres60. Des analyses détaillées de la loi ont été publiées par le Programme des Nations Unies pour le Développement dans son récent rapport sur la Justice de genre et le droit, ainsi que par Human Rights Watch61. Cette section donne un aperçu du contenu de la loi.
Définition de la violence envers les femmes : la loi définit la violence envers les femmes comme « tout acte ou abstention fondé sur une discrimination sexuelle entraînant un préjudice physique, psychologique, sexuel ou économique pour la femme ». La violence économique est définie comme « tout acte ou omission de nature économique ou financière qui affecte ou est susceptible d’affecter les droits sociaux ou économiques des femmes » (article 1). Si certaines formes de violence domestique sont criminalisées, le viol conjugal n’est pas couvert par la loi.
Prévention : L’article 17 porte sur la prévention de la violence. Il appelle les institutions publiques compétentes à prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir la violence à l’égard des femmes, telles que des politiques et des programmes qui sensibilisent à la violence envers les femmes, améliorent l’image des femmes dans la société et sensibilisent les femmes à leurs droits.
Protection : La loi prévoit des ordonnances de protection qui interdisent à une personne condamnée pour un crime de violence envers les femmes ou les mineurs de contacter, d’approcher ou de communiquer avec la victime (article 5, introduisant les articles 88-1 et 88-3 du Code pénal). Cette option ne peut être appliquée que si une poursuite pénale est engagée contre l’auteur des violences.
L’article 10 prévoit la création de cellules dans diverses institutions (tribunaux, agences gouvernementales et forces de sécurité), spécialisées dans l’aide aux femmes et aux enfants survivants de violences. Selon le PNUD, ces cellules ont été mises en place dans tous les tribunaux de première instance et les cours d’appel. La police nationale et la gendarmerie ont mis en place des structures similaires dans les commissariats locaux (PNUD/ONU Femmes/FNUAP, 2018[56]).
Répression : La loi prévoit des sanctions plus sévères pour les auteurs de violences lorsqu’elles sont commises au sein de la famille (article 4). La loi introduit également de nouveaux crimes, notamment le mariage forcé, le gaspillage d’argent pour échapper au versement de la pension alimentaire ou d’autres sommes dues à la suite d’un divorce, l’interdiction pour une femme de rentrer chez elle, le harcèlement sexuel dans les espaces publics ainsi que le cyber-harcèlement. Les sanctions pour harcèlement sexuel sont doublées si l’auteur est un collègue de travail de la victime ou une personne chargée de maintenir l’ordre et la sécurité dans les lieux publics (Human Rights Watch, 2018[55]).
Soins : La loi prévoit la création d’une commission nationale chargée de l’aide et des soins aux femmes victimes de violence. La commission est chargée d’assurer la communication et la coordination entre les différents services gouvernementaux qui s’occupent de la violence envers les femmes. La commission doit publier un rapport annuel sur les progrès accomplis (articles 11 et 12). Cette commission a été créée en septembre 2019. La loi prévoit la création de commissions similaires aux niveaux régional et local, chargées d’élaborer des plans d’action sur la violence envers les femmes en coordination avec les organisations de la société civile présentes dans leur région (articles 13-16). Il n’est pas clair si ces commissions ont déjà été mises en place.
Quels sont les impacts, les défis de mise en œuvre et les facteurs de succès ?
Cette loi est un pas dans la bonne direction et répond à une réelle nécessité étant donné les taux élevés de violence envers les femmes dans le pays. La loi a cependant été critiquée par Human Rights Watch ainsi que par des groupes de défense des droits des femmes. Ces organismes ont publié des mémorandums contenant des suggestions sur la manière d’améliorer la loi alors qu’elle était encore en cours d’élaboration. Ils ont également apporté des éclairages sur la manière dont elle pourrait être alignée sur les normes internationales en matière de violence contre les femmes, comme le Manuel de législation sur la violence à l’égard des femmes des Nations Unies (Encadré 4.4). La plupart de ces suggestions n’ont pas été pleinement prises en compte et le gouvernement a été critiqué pour ne pas avoir inclus la société civile dans les discussions autour du projet de loi. Les principales lacunes de la loi sont les suivantes :
Bien que la loi comprenne une définition assez large de la violence envers les femmes, celle-ci n’inclut pas le viol conjugal ni certaines formes de violence domestique.
La loi prévoit de nouvelles protections pour les survivantes mais elle devrait aller encore plus loin. Elle précise actuellement que les ordonnances de protection ne peuvent être délivrées que si les victimes de violences engagent des poursuites pénales. De plus, les ordonnances de protection peuvent être annulées si les conjoints se réconcilient, ce qui crée une pression sur les femmes pour renoncer à ces ordonnances. La plupart des refuges destinés à accueillir les survivantes de la violence fondée sur le sexe sont gérés par des ONG et l’espace existant est insuffisant. Le gouvernement est en train de créer des « espaces multifonctionnels » pour les femmes offrant un abri, des conseils, des services sociaux et juridiques pour les victimes de violence.
Les aspects institutionnels de la lutte contre la VEF peuvent encore être améliorés. La loi ne précise pas les devoirs de la police, des procureurs ou des juges d’instruction dans les affaires de VEF. Si des cellules ont été mises en place dans certaines institutions pour apporter un soutien aux femmes et aux enfants survivants de violences, beaucoup d’entre elles sont inefficaces (Human Rights Watch, 2016[57]).
Au Maroc, les cas de VEF sont généralement traités au sein de la famille car ils constituent encore largement un sujet tabou. Cela limite l’accès des femmes à la justice et, même lorsque les femmes ont le courage de signaler les cas de violence, elles ne sont souvent pas prises au sérieux par la police (Human Rights Watch, 2016[57]). Il est également bien documenté que les témoignages des femmes dans les cas de violence ne sont souvent pas considérés comme aussi fiables que ceux des hommes (PNUD/ONU Femmes/FNUAP, 2018[56]).
Parmi les points forts de la loi figure le fait que la violence économique est incluse dans les définitions, ainsi que les sanctions sévères prévues pour le harcèlement sexuel sur le lieu de travail.
L’inclusion d’un volet prévention dans la loi contre la violence envers les femmes est également importante compte tenu des stéréotypes de genre existants. Le Maroc a publié une Loi sur la communication audiovisuelle comportant des dispositions importantes pour lutter contre la discrimination et les stéréotypes sexistes dans les médias. Il a également créé un Observatoire national pour l’amélioration de l’image des femmes dans les médias (étude de cas 5.2). Ces initiatives pourraient contribuer à améliorer l’image des femmes dans la société. Il est toutefois nécessaire de poursuivre la sensibilisation sur le contenu de la loi.
Le gouvernement a indiqué être en train de finaliser une Stratégie nationale sur la violence envers les femmes 2030. Cette stratégie pourrait répondre à certaines des préoccupations mentionnées plus haut (Amrani, 2019[58]). La création récente de la Commission nationale pour les femmes victimes de violence est une étape vers un renforcement de la coordination entre les différentes institutions concernées par la VEF, ainsi que vers la mise en œuvre concrète de la loi.
Principaux enseignements des réformes visant à lutter contre la violence envers les femmes
Les leçons tirées des quatre études de cas ci-dessus sont regroupées en trois domaines : les mécanismes permettant d’engager un changement d’attitude et une réforme ; le contenu des réformes ; et leur mise en œuvre :
Mécanismes permettant d’engager un changement d’attitude et une réforme
S’appuyer sur des données probantes. Tous les pays étudiés dans cette publication ont déployé des efforts considérables pour constituer une base de données solide sur la VEF en recourant à des enquêtes pour documenter l’ampleur et les formes de la VEF au niveau national, et parfois sous-national. La constitution de cette base de données a été essentielle pour plaider en faveur d’une réforme du droit dans l’ensemble des pays. Bien que les données des enquêtes ne puissent pas être comparées entre les pays ou dans le temps, en raison d’un manque de compatibilité des indicateurs et des méthodes d’enquête, les résultats sont similaires. La VEF est élevée dans tous les pays et se retrouve dans les sphères publique et privée. Il est également important de comprendre les raisons qui sous-tendent la VEF. Cette question est étudiée dans certains pays, par exemple dans le cadre de l’Étude internationale sur les hommes et l’égalité hommes-femmes en Égypte et au Maroc, qui dresse un état des lieux des attitudes des hommes et des femmes face à la violence. Une série de méthodes de sensibilisation fondées sur ces données ont été mises au point, comme le modèle d’estimation des coûts de la violence conjugale testé en Égypte (FNUAP, 2015[59]), décrit dans l’encadré 4.3 ci-dessus.
Plaidoyer. Pour tous les pays étudiés dans ce rapport, la communauté internationale (par exemple, le Comité de la CEDAW ou Human Rights Watch) et divers acteurs nationaux (y compris la société civile et les organisations de défense des droits de l’homme) font pression sur les législateurs et formulent des suggestions sur la manière d’aligner les cadres juridiques nationaux de lutte contre la VEF sur les normes internationales. Par exemple, en Tunisie, un comité de plaidoyer composé d’organisations internationales a été mis en place pour s’assurer que le projet de loi sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes soit bien conforme aux normes internationales. Tous les pays n’ont pas tenu compte de ces suggestions. Dans la plupart des pays, la société civile plaide depuis très longtemps en faveur de réformes juridiques et continue de le faire, car certaines des réformes adoptées restent insuffisantes pour lutter efficacement contre la VEF.
Utiliser des stratégies et des politiques pour compléter le cadre juridique national sur la violence envers les femmes. Il est plus facile d’élaborer des politiques et des stratégies en matière de lutte contre la VEF que de réformer la législation, car ces politiques et stratégies ne sont pas contraignantes et seul un groupe réduit de parties prenantes doit les valider. Le Maroc (2004) et la Tunisie (2008) avaient déjà mis en place des stratégies nationales de lutte contre la VEF avant d’entreprendre des réformes juridiques. L’Égypte a élaboré une Stratégie de lutte contre la VEF plus récemment (2015), et la Jordanie a publié un cadre national pour la protection de la famille contre la violence en 2016. Ces deux documents sont plus complets que le cadre juridique des pays en matière de lutte contre la violence envers les femmes. Il est intéressant de noter que le Cadre jordanien de protection de la famille ne couvre pas seulement la violence à l’égard des femmes, mais s’intéresse également à la violence contre les enfants et les personnes âgées. Les plans nationaux sur l’égalité (hommes-femmes) tiennent également compte de la question de la violence envers les femmes. Par exemple, le Plan marocain pour l’égalité, la Stratégie pour l’autonomisation des femmes égyptiennes en 2030 (Encadré 4.1) et la Stratégie nationale jordanienne pour les femmes 2020-2025 (actuellement en cours d’élaboration) incluent tous la violence envers les femmes comme un pilier important.
Contenu des réformes juridiques
Définition de la VEF. Tous les pays n’ont pas défini la violence envers les femmes de manière adéquate dans leur cadre juridique. C’est une préoccupation majeure, car cela signifie que de nombreux types de violence demeurent en dehors de la loi. La Tunisie possède la définition la plus complète de la violence contre les femmes dans sa législation et elle est également le seul pays qui criminalise le viol conjugal. Il est intéressant de noter que la Tunisie et le Maroc ont tous deux inclus la violence économique dans leur cadre juridique sur la violence envers les femmes. La Tunisie a une approche très complète puisqu’elle inclut l’inégalité salariale et le travail dangereux/dégradant dans sa définition de la violence économique. Toutefois, des mesures supplémentaires seront nécessaires pour assurer la mise en œuvre des dispositions sur la violence économique, car l’égalité de rémunération pour un travail de valeur égale n’est actuellement pas garantie dans la législation tunisienne (Chapitre 2).
Harcèlement sexuel au travail. Les pays ont procédé à des réformes pour lutter contre le harcèlement sexuel sur le lieu de travail (Encadré 4.6). En Tunisie et au Maroc, les nouvelles lois sur la violence à l’égard des femmes doublent les peines pour les auteurs de harcèlement si ces derniers ont autorité sur la victime. En Égypte, une réforme du Code pénal a introduit des peines pour le harcèlement sexuel et prévoit des peines plus sévères pour les auteurs ayant autorité sur la victime. En Jordanie, la banque El Etihad a mis en place une politique sur le harcèlement sexuel (Étude de cas 2.8). Les États membres de l’OIT sont par ailleurs activement encouragés à ratifier la Convention sur la violence et le harcèlement (n° 190) adoptée récemment et à intégrer ses dispositions dans leur cadre juridique et politique national. Dans la région MENA, l’Égypte, le Maroc et la Tunisie ont pris des mesures préparatoires pour analyser leurs politiques publiques et se préparent donc à mettre fin à la violence sur les lieux de travail dans leur pays.
Prévention de la violence. Seuls la Tunisie et le Maroc ont inclus des dispositions sur la prévention de la violence dans leur cadre juridique sur la violence envers les femmes. Les stratégies de lutte contre la VEF de l’Égypte et de la Jordanie abordent également l’aspect de la prévention. Les cadres juridiques du Maroc et de la Tunisie sur la VEF appellent les institutions de l’État à prendre des mesures spécifiques pour prévenir la violence contre les femmes. Les lois des deux pays reconnaissent le rôle important que les médias peuvent jouer dans la prévention de la VEF en évitant les stéréotypes sexistes. L’aspect médiatique est traité dans la Loi tunisienne sur la violence contre les femmes, tandis que le Maroc l’aborde dans sa Loi sur la communication audiovisuelle.
Répression des auteurs de VEF. Les réformes dans tous les pays étudiés prévoient une répression accrue des auteurs de VEF et ont inclus de nouveaux types de crimes dans leur cadre juridique. Par exemple, la Tunisie a inclus le travail des enfants, la violence politique, le harcèlement sur le lieu de travail et la violence psychologique comme nouvelles formes de violence. Le Maroc a désormais fait du mariage forcé et du cyber-harcèlement des crimes passibles de sanctions. L’Égypte a également rendu passible de sanctions le cyber-harcèlement sexuel et des peines plus sévères sont prévues pour les auteurs de mutilations génitales féminines. Grâce aux réformes législatives adoptées en Égypte (1999), en Tunisie (2017) et en Jordanie (2017), les violeurs ne peuvent plus échapper à leur peine en épousant leur victime. Si l’intensification de la répression constitue un progrès, elle devrait aller de pair avec le renforcement des mesures de prévention de la violence à l’égard des femmes.
Protection des femmes. Certains pays ont réformé leur législation afin de renforcer les mécanismes de protection des femmes ayant subi des violences. La loi tunisienne prévoit qu’avec l’approbation du procureur, la police puisse appliquer certaines mesures de protection des victimes de violence avant même que l’affaire ne soit portée devant le tribunal en charge des affaires familiales. Ce dernier peut alors émettre des ordonnances de protection. Les ordonnances de protection sont également possibles au Maroc, mais uniquement lorsqu’une poursuite pénale est engagée contre l’auteur des violences. Les ordonnances peuvent être annulées si les conjoints se réconcilient. En Jordanie, la loi introduit des voies de signalement plus nombreuses et précise la durée et les conditions des ordonnances de protection.
Soin aux victimes. Si les réformes législatives de presque tous les pays incluent des dispositions sur les soins à fournir aux femmes ayant subi des violences, leur mise en œuvre reste problématique. Fournir des soins aux femmes ayant subi des violences est en effet difficile car cela nécessite une coordination entre plusieurs institutions ainsi que des investissements dans les établissements de soins. La plupart de ces établissements sont actuellement gérés par des ONG, qui manquent souvent de ressources. Le programme tunisien de lutte contre la violence envers les femmes prévoit une aide juridique, un accès à l’information, un hébergement d’urgence et un système d’orientation pour les victimes de violence. Il prévoit également la mise en place d’unités spécialisées dans la lutte contre la violence envers les femmes dans les commissariats de police et les tribunaux. Un programme conjoint des Nations Unies sur les soins aux victimes de violence soutient la mise en œuvre de la loi. La loi marocaine prévoit la création de commissions nationales, régionales et locales chargées du soutien et de la prise en charge des femmes victimes. La loi marocaine prévoit également la mise en place de cellules spécialisées et d’espaces multifonctionnels au sein de diverses institutions pour apporter un soutien aux victimes. La Jordanie a ouvert un centre d’accueil pour les femmes risquant d’être victimes de crimes d’honneur afin d’éviter qu’elles ne doivent être détenues pour assurer leur sécurité. En Égypte, des unités de lutte contre la violence envers les femmes ont été mises en place dans certains services de police et un département de médecine légale spécialisé dans la violence envers les femmes a été créé au sein du ministère de la Justice.
Mise en œuvre des réformes
Si les réformes constituent un pas dans la bonne direction, leur application peut rester difficile si on ne s’attaque aux problèmes de mise en œuvre :
Changements de perceptions. L’ancrage profond des inégalités hommes-femmes dans les sociétés de la région MENA est un facteur important de la violence envers les femmes. Ces inégalités sont à leur tour perpétuées par les cadres législatifs et les normes sociales discriminatoires qui existent dans la région MENA. Les récentes réformes législatives ne peuvent être mises en œuvre efficacement que si les perceptions et les pratiques sociales changent. Un changement dans la perception et l’opinion publique sur la violence envers les femmes est perceptible dans certains pays étudiés dans cette publication, par exemple avec les autorités religieuses et les dirigeants de la région qui prennent position contre la VEF. Les réseaux sociaux jouent également un rôle important pour briser les tabous autour de la VEF. De nombreux pays ont lancé des programmes visant à changer les mentalités et les attitudes à l’égard de la VEF et à faire participer les hommes et les garçons à la discussion sur ces questions (annexe 1.C du chapitre 1).
Sensibilisation et prise de conscience. La plupart des réformes étant assez récentes, la population doit être familiarisée avec les mécanismes disponibles pour lutter contre la VEF. Les parties prenantes dans tous les pays étudiés dans ce rapport ont mentionné que non seulement le grand public était peu sensibilisé à la question de la VEF, mais qu’il était également nécessaire de sensibiliser les institutions qui ont un rôle à jouer dans la mise en œuvre de la législation sur la VEF. Un bon exemple est la clinique juridique sur la VEF organisée à la faculté de droit de l’université de Carthage à Tunis, qui sensibilise les futurs professionnels du droit à la Loi sur la VEF. En outre, les professionnels de la justice devraient établir des liens entre les différents types de cadres juridiques ayant un impact sur la VEF. En Tunisie, la Loi sur la violence envers les femmes contient une définition étendue de la violence économique qui influence également les droits des femmes en matière de travail. En Égypte et en Jordanie, la violence est parfois justifiée dans l’opinion publique ainsi que dans les tribunaux si la femme n’a pas obéi à son mari, car les lois sur le statut personnel de ces pays soutiennent encore la notion de devoir d’obéissance de la femme.
Accès à la justice. Des efforts supplémentaires sont nécessaires pour aider les femmes à accéder à la justice. Si certains tribunaux appliquent déjà les récentes réformes juridiques, il arrive souvent que les femmes ne signalent pas la violence parce que celle-ci reste un sujet tabou et que les femmes craignent des répercussions. Les récentes réformes dans tous les pays ont renforcé les systèmes de protection et de coordination institutionnelle pour les femmes victimes de violence qui ont décidé de porter plainte. Cependant, les femmes subissent souvent des pressions pour abandonner les poursuites.
Le suivi régulier de la mise en œuvre de la législation est crucial pour garantir des résultats. La Loi sur la violence à l’égard des femmes en Tunisie prévoit un suivi et une évaluation de sa mise en œuvre. Un Observatoire national de la violence à l’égard des femmes a été créé, et doit soumettre des rapports annuels au gouvernement et au Parlement sur la situation de la violence envers les femmes et la manière dont elle est traitée. La législation marocaine sur la VEF prévoit la création d’une commission nationale chargée du soutien et de la prise en charge des femmes victimes de violence ainsi que de la coordination des acteurs gouvernementaux concernés par la lutte contre la violence envers les femmes. Cette commission devra également présenter des rapports annuels sur les progrès réalisés.
Encadré 4.6. Mettre fin à la violence et au harcèlement dans le monde du travail
Convention de l’OIT sur la violence et le harcèlement
Le 21 juin 2019, les 187 États membres de l’Organisation internationale du travail (OIT) ont adopté, à une écrasante majorité, la convention (n° 190) sur la violence et le harcèlement et la recommandation (n° 206) qui l’accompagne. Ce fut le point culminant des célébrations du centenaire de l’organisation.
La violence et le harcèlement dans le monde du travail sont définis dans la convention comme « un ensemble de comportements et de pratiques inacceptables, ou de menaces de tels comportements et pratiques, qu’ils se produisent à une seule occasion ou de manière répétée, qui ont pour but de causer, causent ou sont susceptibles de causer un dommage d’ordre physique, psychologique, sexuel ou économique, et comprend la violence et le harcèlement fondés sur le genre ». L’expression « violence et harcèlement fondés sur le genre » désigne « la violence et le harcèlement visant une personne en raison de son sexe ou de son genre ou ayant un effet disproportionné sur les personnes d’un sexe ou d’un genre donné, et comprend le harcèlement sexuel ».
La violence sur le lieu de travail se manifeste sous différentes formes, des employeurs envers les travailleurs et inversement, entre travailleurs ou envers des prestataires de services, mais elle se caractérise surtout par des relations de pouvoir, une discrimination sexuelle et des normes sociales et culturelles omniprésentes qui tournent en dérision le respect et la dignité au travail.
Les normes s’appliquent à toutes les personnes dans le monde du travail : demandeurs d’emploi, stagiaires, travailleurs du secteur informel, travailleurs à temps partiel, travailleurs ruraux, travailleurs à domicile, travailleurs domestiques, bénévoles. Elles couvrent également tous les espaces liés au travail, y compris les zones de nettoyage et d’assainissement, les vestiaires, les espaces fréquentés lors de sorties sociales entre collègues, les moyens de transport, les formations ou tout autre événement lié au travail. Les nouvelles normes incluent les travailleurs confrontés à la violence domestique en raison de ses conséquences négatives sur le travail, telles qu’une rotation plus importante du personnel, une productivité moindre, des coûts de santé plus élevés, une atmosphère de travail étouffante ou l’incitation à la peur.
Les instruments reconnaissent que certaines catégories de travailleurs sont plus susceptibles de rencontrer des violences dans le monde du travail. Ce sont les femmes qui, par défaut, supportent le plus gros de la violence. Les travailleurs migrants, les travailleurs jeunes et âgés et les travailleurs handicapés sont tous confrontés à un risque accru de violence et de harcèlement. Les instruments reconnaissent également que les travailleurs de certains secteurs sont plus susceptibles d’être confrontés à la violence, notamment les secteurs des soins de santé, des services d’urgence, de l’éducation, des transports, du travail domestique et de l’économie informelle.
Ces instruments demandent aux membres d’adopter des législations, soit pénales, soit en matière de sécurité et de santé au travail. Ils suggèrent diverses mesures pour surmonter la violence et le harcèlement, notamment la prévention, la protection et la réhabilitation des victimes, la mise en place de sanctions adéquates, de recours efficaces, de conseils, de clauses de confidentialité, la formation et la sensibilisation, ainsi que le droit de se retirer d’une situation de travail où la violence est imminente.
L’adoption de ces nouvelles normes internationales du travail confirme le fait que la violence et le harcèlement constituent un phénomène mondial. Les États membres de l’OIT sont activement encouragés à ratifier la Convention n° 190 et à intégrer ses dispositions dans leur cadre juridique et politique national. Dans la région MENA, l’Égypte, le Maroc et la Tunisie ont lancé des mesures préparatoires pour analyser leur cadre politique national et se préparent ainsi à mettre fin à la violence dans le monde du travail dans leur pays.
Initiatives de la région MENA pour lutter contre la violence et le harcèlement au travail
Afin de préparer la Conférence internationale du travail de 2018, l’OIT a préparé un rapport sur la violence et le harcèlement au travail (OIT, 2018), qui a révélé que la région MENA était la moins avancée du monde en termes de législation sur le harcèlement sexuel au travail. Dans aucun des pays de la région MENA étudiés, les employeurs n’ont l’obligation de prendre des mesures pour prévenir le harcèlement sexuel. Les données de la Banque mondiale indiquent que seuls 6 des 20 pays de la région MENA étudiés disposent de la moindre législation sur le harcèlement sexuel au travail. Dans toutes les autres régions du monde, la majorité des pays ont mis en place une telle législation (Banque mondiale, 2018).
Le rapport de l’OIT explique en outre que l’article 13c du Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits de la femme en Afrique (Protocole de Maputo) prévoit que les États parties doivent « assurer la transparence du recrutement, de la promotion et du licenciement des femmes et combattre et sanctionner le harcèlement sexuel sur le lieu de travail » (Protocole de Maputo). Plusieurs pays africains ont ratifié le protocole et adopté une législation sur le harcèlement sur le lieu de travail. Parmi les pays d’Afrique du Nord, seuls l’Algérie, Djibouti, la Libye et la Mauritanie et la Tunisie ont ratifié le protocole. l’Égypte et le Maroc n’ont ni signé ni ratifié le protocole.
Toutefois, les études de cas montrent que les pays ont procédé à des réformes et/ou pris des initiatives pour lutter contre le harcèlement sexuel sur le lieu de travail. Les nouvelles lois sur la violence à l’égard des femmes en Tunisie et au Maroc doublent les peines pour les auteurs de harcèlement s’ils ont autorité sur la victime (Études de cas 4.4 et 4.7). En Égypte, une réforme du Code pénal a introduit des peines pour harcèlement sexuel et prévoit des peines plus sévères pour les auteurs ayant autorité sur la victime (Étude de cas 4.6). En Jordanie, la banque El Etihad a mis en place une politique de lutte contre le harcèlement sexuel (Étude de cas 2.8).
Source : OIT (2019[60]), Convention sur la violence et le harcèlement, 2019 ; OIT (2019[61]), R206 – Recommandation sur la violence et le harcèlement, 2019 ; OIT (2018[62]), Mettre fin à la violence et au harcèlement dans le monde du travail ; OIT (2009[63]), Résolution de l’OIT sur l’égalité entre hommes et femmes au cœur du travail décent, ILC 2009 ; Banque mondiale (2020[15]), Les femmes, l’entreprise et le droit 2018.
4.5. Conclusions et recommandations
Ce chapitre indique que même si des normes sociales restrictives et des lois discriminatoires sur le statut personnel des femmes demeurent, la dynamique du changement s’intensifie. D’importantes discussions ont lieu dans la région sur l’égalité en matière d’héritage et la protection du droit des femmes à hériter. En outre, certains pays renforcent le droit des femmes à transférer leur nationalité. L’Égypte, la Jordanie, le Maroc et la Tunisie ont tous révisé leur cadre législatif afin de lutter contre les violences faites aux femmes et aux filles. Dans cette dernière section, nous présentons des conclusions et des recommandations plus détaillées sur l’héritage, le mariage et la nationalité, ainsi que sur les violences faites aux femmes.
Héritage
Les droits des femmes en matière d’héritage sont essentiels à leur autonomisation économique. Une augmentation de leur héritage se traduit par une plus grande sécurité financière, qui, à son tour, peut accroître l’autonomisation économique des femmes. Depuis des décennies, les hommes des quatre pays étudiés héritent plus que les femmes et différents arguments ont été invoqués pour justifier cette inégalité. La règle générale du droit de la famille des quatre pays est que les héritières n’ont droit qu’à la moitié de la part à laquelle les hommes ont droit. Établir l’égalité en matière d’héritage est une entreprise très difficile et délicate, dans la mesure où s’attaquer à la domination financière des hommes revient en fin de compte à toucher à la dynamique du pouvoir au sein de la famille et dans la société en général.
Cette question fait l’objet de vifs débats dans toute la région. Bien que ces discussions n’aient pas encore abouti à des réformes juridiques garantissant l’égalité en matière d’héritage, le fait qu’un débat ait lieu est déjà une réussite. Chaque pays évoluera à son propre rythme et, lorsque le moment politique opportun sera venu, les parties prenantes seront prêtes à faire à nouveau pression pour l’égalité en matière d’héritage. En attendant, les pays prennent des mesures pour garantir au moins l’application des droits existants des femmes en matière d’héritage.
Les recommandations suivantes sont ressorties des études de cas :
Sensibiliser aux droits des femmes en matière d’héritage. Ces efforts de sensibilisation doivent viser à la fois les femmes et les hommes.
Fournir une assistance juridique aux femmes qui souhaitent faire valoir leurs droits en matière d’héritage.
Former les agents de l’État impliqués dans les décisions et les procédures liées à l’héritage aux droits des femmes et aux pratiques sociétales susceptibles d’entraver l’application de ces droits.
Garantir l’application des décisions de justice en faveur des droits des femmes en matière d’héritage.
Inscrire l’égalité en matière d’héritage dans la législation nationale afin d’aligner cette législation sur les principes d’égalité garantis par les Constitutions des différents pays.
La première recommandation pouvant être difficile à mettre en œuvre dans le climat politique actuel, les pays devraient poursuivre le débat sur l’égalité en matière d’héritage pour les femmes et les hommes. Ce débat devrait être fondé sur des faits et se dérouler dans un esprit d’ouverture.
Échanger les expériences et les bonnes pratiques en matière d’héritage des femmes dans l’ensemble de la région.
Mariage et nationalité
La législation sur la nationalité continue d’être discriminatoire envers les femmes. Les citoyens de sexe masculin des quatre pays peuvent transférer leur nationalité à leur épouse étrangère, mais la plupart des citoyennes ne le peuvent pas. Les pays ont toutefois procédé à des réformes encourageantes. La Tunisie permet désormais aux femmes de transférer leur nationalité à leur conjoint étranger (sous certaines conditions). L’Égypte, le Maroc et la Tunisie permettent aux femmes de transférer leur nationalité à leurs enfants. En Jordanie, en revanche, les femmes ne sont pas autorisées à transférer leur nationalité à leurs enfants, ce qui pose des problèmes particuliers pour les enfants lorsque leur père n’est pas jordanien. Compte tenu de la forte population de réfugiés en Jordanie, les mariages mixtes sont de plus en plus courants, concernant actuellement environ 360 000 enfants. Parallèlement, la Jordanie a récemment modifié son droit du travail afin d’octroyer aux personnes dont la mère est jordanienne et le père étranger les mêmes droits que les citoyens jordaniens en matière de travail.
Les recommandations suivantes ont été formulées à l’issue de l’analyse :
Réviser la législation sur la nationalité et le mariage, en donnant aux femmes des droits égaux pour transférer leur nationalité à leur conjoint et à leurs enfants. Il convient de garantir une égalité juridique totale, sans distinctions dans les procédures de transfert de nationalité entre les femmes et les hommes.
Faciliter la participation au marché du travail des conjoints étrangers et de leurs enfants.
Violence envers les femmes et les filles
Entre 2014 et 2018, une série de réformes juridiques, institutionnelles et politiques sur la VEF ont été menées dans l’ensemble des pays étudiés dans le cadre de cette publication. Il existe une dynamique dans la région de soutien à ces réformes, les pays s’inspirant les uns les autres et capitalisant sur leurs réalisations respectives. Cet élan est le bienvenu étant donné les taux élevés de violence envers les femmes (VEF) dans la région.
Si ces réformes constituent un pas dans la bonne direction, il est regrettable que dans la plupart des pays étudiés dans ce rapport, elles ne soient pas conformes aux normes internationales en matière de VEF. Les réformes se sont principalement concentrées sur la répression accrue des auteurs de violences, avec une certaine attention portée à la protection et à la prise en charge des femmes victimes de violences. Si certains pays ont élargi leur définition de la violence faite aux femmes, de nombreux actes de violence ne sont toujours pas couverts par le cadre législatif existant. La violence économique a été reconnue comme une forme spécifique de violence dans les cadres juridiques du Maroc et de la Tunisie ; la jurisprudence montrera comment ces dispositions légales sont mises en œuvre dans la pratique.
Des progrès ont également été réalisés sur le plan institutionnel. Les réformes juridiques ont servi de catalyseur pour réformer la manière dont le système judiciaire traite les femmes victimes de violences et ont permis une meilleure coordination entre les institutions de l’État. Des services supplémentaires pour les femmes victimes de violences ont également été mis en place.
Le plus grand défi reste de s’attaquer aux normes sociales qui sous-tendent la VEF et de faire évoluer les attitudes à son égard afin de prévenir les actes de violence. Si la dynamique en cours a rendu le débat sur les violences envers les femmes moins tabou, de nombreux cas de violence envers les femmes ne sont toujours pas signalés. Des programmes sont en cours pour aider les pays à s’attaquer aux normes sociales sur l’égalité hommes-femmes en général, et sur les violences envers les femmes en particulier, ainsi qu’à faire participer les hommes et les garçons à ces débats. Il serait également important d’examiner comment la violence, telle que la violence contre les enfants ou les comportements violents entre hommes, est perpétrée et perçue dans la société en général.
Les recommandations suivantes ont été formulées sur la base des études de cas :
Aligner la législation nationale sur les normes internationales en matière de VEF. Si la Constitution comprend une disposition sur les violences faites aux femmes, celle-ci peut être utilisée comme levier supplémentaire. Publier une loi globale sur les violences faites aux femmes et/ou harmoniser les différents cadres juridiques nationaux qui couvrent la VEF. Suivre et rendre compte chaque année de la mise en œuvre des réformes.
Poursuivre la constitution d’une base de données sur les violences envers les femmes. Les indicateurs utilisés pour les enquêtes sur la VEF devraient être harmonisés afin que les données puissent être comparées entre les pays et dans le temps. Les enquêtes devraient non seulement mesurer l’incidence de la violence, mais aussi examiner les perceptions et les attitudes des femmes et des hommes à l’égard de la VEF. Mener des recherches supplémentaires pour mieux comprendre les liens entre la VEF et l’autonomisation économique des femmes. Échanger les expériences et les bonnes pratiques en matière de réforme juridique sur la VEF dans toute la région.
Engager les médias traditionnels et les réseaux sociaux dans la diffusion des conclusions sur la VEF et sur les récentes réformes juridiques relatives à la VEF. Ces efforts de sensibilisation devraient cibler à la fois les femmes et les hommes.
Former les agents de l’État aux récentes réformes afin qu’ils puissent les appliquer dans leur travail (notamment les policiers, les juges, les agents administratifs, mais aussi les travailleurs sociaux, les médecins, les enseignants et autres spécialistes de l’éducation) et assurer la coordination entre les différentes institutions de l’État chargées de la lutte contre la VEF.
Aider les femmes à signaler les cas de violence. Fournir également une aide juridique gratuite et un soutien aux femmes victimes pendant les procédures judiciaires pour traduire l’auteur des violences en justice.
Apporter du financement et du renforcement des capacités aux organisations de la société civile dans chaque pays. Cela leur permettra de continuer à plaider en faveur d’une réforme juridique en matière de lutte contre la VEF et de continuer à fournir des services aux femmes victimes de violence.
Annexe 4.A. Mise en œuvre dans les tribunaux de la loi tunisienne sur la violence à l’égard des femmes
Décision judiciaire sur la privation financière
Dans l’affaire Amani contre Ashraf Al Qarqouri (décembre 2018), le tribunal tunisien de première instance de La Manouba a donné raison à la plaignante, lui accordant le versement d’une pension alimentaire et d’une aide financière pour payer son loyer. Le tribunal a statué en l’absence du défendant, qui, par trois fois, ne s’est pas présenté au tribunal. Ce dernier a examiné la question de la pression financière dans le cadre de la violence faite aux femmes.
Dans cette affaire, la plaignante affirme que le défendant, son mari, a changé les clés de leur domicile, ce qui l’a obligée à quitter le domicile familial. Elle affirme également que le défendant ne contribue pas à ses dépenses ni à celles de son fils, bien qu’il soit chirurgien, qu’il ait un revenu décent et donc les moyens de subvenir à leurs besoins financiers. En comparaison, en tant que médecin itinérant, les revenus de la plaignante sont faibles car elle doit rembourser un prêt bancaire mensuel et couvrir les frais de la crèche de son fils. Elle est donc incapable de faire face à de tels besoins financiers et demande au tribunal que le défendant y participe.
Le tribunal applique les dispositions de la Loi n° 58 du 11 août 2017 sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Plus précisément, il s’appuie sur son article 3, qui stipule que la violence à l’égard d’une femme existe dès lors qu’il y a exercice de pressions ou privation de ses droits et libertés dans la vie publique ou privée. Cela inclut également la privation financière, qui, à son tour, constituerait une privation des droits de la femme. Déclarant que la plaignante dans cette affaire est considérée comme une victime, le tribunal a statué que le défendant devait lui verser une somme mensuelle qui contribuerait à couvrir les besoins financiers de la plaignante et de son fils pendant une période de 6 mois renouvelable une fois. Le tribunal a par ailleurs décidé de reprogrammer une audience pour donner au défendant une chance de comparaître.
Cette affaire est intéressante dans la mesure où le tribunal a raisonné en se basant uniquement sur le droit national tunisien et s’est appuyé sur la loi de 2017 sur la violence à l’égard des femmes. Ce faisant, il a rendu un jugement favorable à la plaignante qui allègera la pression financière subie par celle-ci pour subvenir aux besoins de son enfant. Cela pourrait potentiellement faciliter sa participation à la vie économique, étant donné que cette nouvelle stabilité financière pourrait lui permettre de se concentrer davantage sur la progression de sa carrière.
Décision judiciaire sur la violence faite aux femmes et aux enfants
Le 26 juin 2018, le tribunal de première instance de Grombalya a également appliqué la Loi n° 58 du 11 août 2017 sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Dans un contexte de violence domestique, cette affaire a été traitée comme affaire urgente et le tribunal a statué en faveur de la plaignante. La plaignante et le défendeur sont mariés et ont sept enfants ensemble. L’un des enfants souffre de handicap mental et est sous la tutelle permanente de sa mère. La plaignante affirme que le défendeur l’agresse régulièrement. Ainsi, le défendeur a gravement agressé sa femme et son fils handicapé en versant sur eux de l’essence et en tentant de les brûler vifs. Le défendeur a été arrêté mais la plaignante a retiré sa plainte afin de protéger sa famille. Le défendeur a donc été libéré et autorisé à retourner au domicile familial. Le défendeur a alors recommencé ses comportements violents envers sa femme et son fils, ce qui a conduit la plaignante à le poursuivre en justice en vertu de l’article 33 de la Loi n° 58 du 11 août 2017 sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes. La plaignante a exigé que le défendeur quitte le domicile familial et lui verse une pension mensuelle.
Devant le tribunal, le défendeur a allégué que son intention était de faire peur aux victimes et non de les agresser physiquement. Le défendeur a également invoqué son âge avancé et sa maladie comme ligne de défense légitime contre son expulsion du domicile familial, la petite taille de sa retraite qui ne lui permettrait pas de verser de contributions financières et la procédure de divorce en cours entre la plaignante et le défendeur.
Le tribunal a élargi les sujets du préjudice moral et physique définis par l’article 3 de la Loi n° 58 de 2017 pour inclure non seulement la femme, mais aussi l’enfant, qui vit avec sa mère et qui est en position de faiblesse du fait de son handicap. Le raisonnement du tribunal s’est beaucoup concentré sur le handicap mental de l’enfant dans le cadre de cette définition et l’a appliqué aux événements survenus. Le fait que les agressions n’aient été interrompues qu’en raison de l’intervention d’un autre fils n’est pas de bon augure pour le défendeur, surtout au vu des preuves médicales recueillies qui corroborent les faits de l’agression, telles que les blessures physiques et l’odeur d’essence sur la plaignante. Sur cette base, le tribunal a rejeté la légitime défense invoquée par le défendeur et déclaré que les événements constituaient un préjudice physique et moral pour les victimes conformément aux dispositions de l’article 3 de la Loi n° 58 de 2017.
En conséquence, le tribunal a décidé que le défendant devait quitter le domicile familial et n’était autorisé à récupérer ses effets personnels qu’avec un mandat. Le tribunal a également interdit au défendant de contacter les deux victimes, la plaignante et son fils, et lui a ordonné de leur verser une pension alimentaire mensuelle. Le tribunal a prononcé ces dispositions pour une période de six mois, renouvelable une fois.
Bien qu’une grande partie du raisonnement du tribunal se soit concentré sur l’enfant, cette affaire reste pertinente dans la mesure où le tribunal ne s’est pas plié à l’argument de la légitime défense d’une personne âgée, ce qui aurait entraîné le rejet de l’affaire. Le jugement final apporte une certaine stabilité à la femme et au fils, étant donné que le défendeur a reçu l’ordre de quitter le domicile familial. En l’absence du défendant, la fréquence des épisodes de violence devrait diminuer, ce qui accroît la sécurité physique et mentale de la plaignante. Ce jugement va encore plus loin en interdisant tout contact entre le défendant et les victimes, fournissant ainsi à la plaignante et à son fils l’espace et l’environnement nécessaires pour se réhabiliter.
Même si ces deux affaires ont uniquement été jugées en première instance, que les jugements ne sont valables que pour six mois renouvelables une fois, et que leurs positions doivent encore être confirmées par la jurisprudence des tribunaux supérieurs de Tunisie, elles constituent une évolution positive dans la tendance vers l’autonomisation économique des femmes. Comme ces affaires l’ont démontré, il est évident que la violence domestique a des répercussions sur l’autonomisation économique des femmes et les tribunaux ont ici été amenés à statuer de manière proactive tout en considérant que ces différents domaines n’étaient pas isolés les uns des autres.
Références
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[65] Mir-Hosseini, Z., M. Al-Sharmani et J. Rimminger (2015), Men in Charge? Rethinking authority in Muslim legal tradition, Oneworld Academic.
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[37] Sanja Kelly, J. (dir. pub.) (2010), Jordan, Freedom House, https://freedomhouse.org/sites/default/files/inline_images/Jordan.pdf.
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[44] Wodon, Q., A. Savodogo et A. Kes (2017), Economic Impacts of Child Marriage: Work. Earnings, and Household Welfare, Banque mondiale et Centre international de recherche sur les femmes (ICRW), Washington, DC, http://documents.worldbank.org/curated/en/312761498512784050/pdf/116835-BRI-P151842-PUBLIC-EICM-Brief-WorkEarningsHousehold-PrintReady.pdf.
Notes
← 1. Ces pays sont : Afghanistan, Algérie, Autorité palestinienne, Bahreïn, Bangladesh, Belarus, Brunei, Burundi, Cameroun, République centrafricaine, Tchad, Chili, Comores, Congo, Chypre*, République démocratique du Congo, Djibouti, Dominique, Égypte, Émirats Arabes Unis, Guinée équatoriale, Gabon, Gambie, Grenade, Guinée-Bissau, Guinée, Indonésie, Iran, Irak, Jordanie, Koweït, Liban, Liberia, Libye, Madagascar, Malaisie, Maldives, Mali, Mauritanie, Maroc, Niger, Oman, Pakistan, Philippines, Qatar, Arabie Saoudite, Sénégal, Seychelles, Somalie, Soudan du Sud, Soudan, Syrie, Tanzanie, Togo, Tunisie, Yémen et Zimbabwe.
Cette liste est basée sur la base de données « Égalité homme-femme, Institutions et Développement » (EID) utilisée pour alimenter les résultats de l’Indice des Institutions Sociales et du Genre (SIGI) de 2019 (disponible sur https://stats.oecd.org/Index.aspx?DataSetCode=GIDDB2019). Les pays listés ci-dessus sont ceux qui ont obtenu un score de 0,75 ou 1 au sous-indice sur les responsabilités domestiques, dans lequel 0,75 décrit les pays où « les femmes ne jouissent pas des mêmes droits légaux que les hommes pour être reconnues comme chef de famille ou pour avoir l’autorité parentale » et 1 décrit les pays où « les femmes ne jouissent pas des mêmes droits légaux que les hommes pour être reconnues comme chef de famille et pour avoir l’autorité parentale ».
* Les informations contenues dans ce document en référence à « Chypre » concernent la partie sud de l’île. Il n’existe pas d’autorité unique représentant à la fois les Chypriotes turcs et les Chypriotes grecs sur l’île. La Turquie reconnaît la République turque de Chypre du Nord (RTCN). Jusqu’à ce qu’une solution durable et équitable soit trouvée dans le cadre des Nations unies, la Turquie maintient sa position concernant la « question chypriote ».
La République de Chypre est reconnue par l’ensemble des membres des Nations Unies à l’exception de la Turquie. Les informations contenues dans ce document concernent la zone sous contrôle effectif du gouvernement de la République de Chypre.
← 2. Ces pays sont : Allemagne, Antigua-et-Barbuda, Argentine, Autriche, Australie, Azerbaïdjan, Bahamas, Barbade, Belarus, Belgique, Belize, Bhoutan, Brésil, Bulgarie, Cap-Vert, Canada, Chili, Chine, Chypre*, Colombie, Croatie, Cuba, Danemark, Estonie, États-Unis, Finlande, Guyana, Honduras, Hong Kong, Chine, Irlande, Islande, Italie ; Jamaïque, Japon, Kazakhstan, Corée, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Moldavie, Mongolie, Pays-Bas, Nouvelle-Zélande, Nicaragua, Norvège, Panama, Pologne, Portugal, République dominicaine, République slovaque, République tchèque, Roumanie, Russie, Sao Tomé-et-Principe, Seychelles, Slovénie, Suède, Suisse, Thaïlande, Trinidad et Tobago, Ukraine, Uruguay et Venezuela.
Cette liste est basée sur la base de données « Égalité homme-femme, Institutions et Développement » (EID) utilisée pour alimenter les résultats de l’Indice des Institutions Sociales et du Genre (SIGI) de 2019 (disponible sur https://stats.oecd.org/Index.aspx?DataSetCode=GIDDB2019). Les pays listés ci-dessus sont ceux qui ont obtenu un score de 0 au sous-indice sur la discrimination en matière d’héritage, dans lequel 0 désigne les pays où les veuves et les filles jouissent des mêmes droits que les veufs et les fils pour hériter de biens fonciers et non fonciers. Cela s’applique à tous les groupes de femmes. Les lois ou pratiques coutumières, religieuses et traditionnelles ne sont pas discriminatoires à l’égard des droits des femmes en matière d’héritage ».
← 3. Algérie, Autorité palestinienne, Bahamas, Bahreïn, Bangladesh, Barbade, Bénin, Brunei, Burundi, Cameroun, République centrafricaine, Comores, Congo, Égypte, Émirats arabes unis, Eswatini, Guatemala, Guinée, Haïti, Iran, Irak, Jordanie, Koweït, Liban, Lesotho, Libéria, Libye, Madagascar, Malawi, Malaisie, Mauritanie, Maroc, Mozambique, Népal, Nigeria, Oman, Pakistan, Philippines, Qatar, Arabie Saoudite, Sierra Leone, Singapour, Somalie, Soudan, Syrie, Tanzanie, Thaïlande, Togo, Tunisie et Yémen.
Cette liste est basée sur la base de données « Égalité homme-femme, Institutions et Développement » (EID) utilisée pour alimenter les résultats de l’Indice des Institutions Sociales et du Genre (SIGI) de 2019 (disponible sur https://stats.oecd.org/Index.aspx?DataSetCode=GIDDB2019). Les pays listés ci-dessus sont ceux qui ont obtenu un score de 0,75 ou 1 au sous-indice sur les droits de citoyenneté, dans lequel 0,75 décrit les pays où « les femmes et les hommes ont les mêmes droits d’acquérir, de changer et de conserver leur nationalité. Cependant, les femmes sont confrontées à des restrictions légales quant à leur droit de conférer leur nationalité à leur mari et/ou à leurs enfants » et 1 décrit les pays où « les femmes et les hommes n’ont pas les mêmes droits d’acquérir, de changer ou de conserver leur nationalité ».
← 4. Le tableau 1 au début de ce rapport contient un résumé rapide de l’ensemble des thèmes des études de cas et des encadrés.
← 5. Le Protocole peut être consulté sur https://www.un.org/en/africa/osaa/pdf/au/protocol_rights_women_africa_2003.pdf.
← 6. Composée de neuf membres, la COLIBE est présidée par Bochra Bel Haj Hmida, avocate et ancienne députée. Ses membres ont diverses formations et compétences dans les domaines du droit, de la religion, de l’anthropologie, de la littérature et de la communication.
← 7. Le rapport (en arabe) est disponible à l’adresse suivante : https://docs.euromedwomen.foundation/files/ermwf-documents/8054_4.168.تقريرلجنةالحرياتالفرديةوالمساواة.pdf
← 8. La loi était auparavant muette à ce sujet, mais dans la pratique, la veuve était souvent contrainte de quitter le domicile conjugal par ses enfants ou par la famille de son mari décédé.
← 9. Actuellement, l’article 13 du Code de la nationalité tunisienne stipule qu’une femme étrangère peut acquérir automatiquement la nationalité tunisienne lors de la célébration de son mariage avec un Tunisien dans le cas où elle perd la citoyenneté de son pays d’origine à la suite de son mariage avec un étranger. En outre, selon l’article 21, paragraphe 2, du Code de la nationalité tunisienne, un conjoint étranger de sexe masculin d’une femme tunisienne peut obtenir la nationalité tunisienne si le ménage conjugal est établi en Tunisie pendant la procédure de demande de nationalité.
← 10. Concrètement, cela signifierait qu’une mère tunisienne serait également autorisée à accorder la nationalité à ses enfants nés en Tunisie et à son conjoint étranger après avoir vécu ensemble pendant deux ans en Tunisie.
← 11. Les abattements accordés au chef de famille incluent :
300 TND du fait de son statut de chef de la famille ;
- 100 TND pour chaque enfant à charge, applicable pour les quatre premiers enfants. Ce montant est porté à 1 000 TND par enfant de moins de 25 ans qui poursuit des études supérieures sans bourse d'études, et à 2 000 TND par enfant handicapé.
← 12. Le chef de famille est défini dans l’article 5 du Code tunisien de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés. Une épouse ne peut être considérée comme le chef de famille qu’à deux conditions : si le mari n’a pas gagné de revenus pendant l’exercice fiscal en question, ou si la femme se remarie et conserve la garde de ses enfants issus d’un précédent mariage.
← 13. En mai 2016, un projet de loi visant à améliorer les droits des femmes en matière d’héritage a été présenté mais il n’a pas été conservé.
← 14. Le ministère tunisien des Affaires sociales prépare actuellement une étude sur les inégalités de salaire dans le secteur privé tunisien.
← 15. Exemple de communiqué favorable : https://www.fidh.org/fr/regions/maghreb-moyen-orient/tunisie/premier-pas-la-tunisie-sur-la-voie-de-l-egalite-dans-l-heritage ; inversement, exemple de communiqué défavorable : https://www.hrw.org/fr/news/2018/09/06/tunisie-le-parti-ennahda-rejette-legalite-dans-lheritage.
← 16. Loi n°77/1943 sur l’héritage, 6 août 1943, Journal of Egypt n°92, 12 août 1943, 18 et suivantes.
← 17. Loi n°71/1946 promulguant une loi sur les testaments, 1er juillet 1946, Journal of Egypt n° 65, 1er juillet 1946, 1 et suivantes.
← 18. Selon l’article 3 de la Constitution égyptienne, les communautés non musulmanes bénéficient d’une certaine autonomie en matière de statut personnel ; néanmoins, leur autonomie législative se limite actuellement au droit de la famille. Les communautés musulmanes, chrétiennes et juives avaient autrefois leur propre loi sur le statut personnel et leurs propres tribunaux (les tribunaux de la charia pour les musulmans et les tribunaux Millī pour les non-musulmans), ainsi qu’un degré élevé d’autonomie sur des questions telles que la capacité juridique, la tutelle et l’héritage. En 1956, feu le président Gamal ‘Abd al-Nasser a décidé d’abolir les tribunaux séparés et de réduire considérablement l’autonomie des communautés non musulmanes, en limitant l’applicabilité des lois sur le statut personnel des non-musulmans au mariage et au divorce (Berger, 2001[64]).
← 19. Voir l’entretien avec Azza Suleiman, directrice du Centre d’assistance juridique pour les femmes égyptiennes (CEWLA), http://www.equalitynow.org/partner/azza_suleiman.
← 20. L’amendement a été publié dans la Gazette officielle le 30 décembre 2017, après son adoption par le Parlement égyptien le 5 décembre 2017.
← 21. Les coptes d’Égypte constituent la plus grande population chrétienne du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, ainsi que la plus grande minorité religieuse de la région, représentant de 5 à 20 % de la population égyptienne.
← 22. Dans d’autres cas, les membres de la famille déposent une demande d’interdiction contre leurs parents en invoquant une maladie mentale ou l’incapacité d’utiliser leurs fonds.
← 23. Entretien avec Nehad Abolkomsan.
← 24. L’article 16.1 b) de la CEDAW stipule que « Les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans toutes les questions découlant du mariage et dans les rapports familiaux et, en particulier, assurent, sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme : Le même droit de choisir librement son conjoint et de ne contracter mariage que de son libre et plein consentement ». Pour plus d’informations sur ce sujet particulier, voir (OCDE, 2017[1]).
← 25. Loi n° 6 de 1954 sur la nationalité telle qu’amendée en 1987.
← 26. Voir les observations finales du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes sur l’Égypte (45e session, 18 janvier-5 février 2010), le Maroc (66e session, 13 février-3 mars 2017), la Jordanie (40e session, 14 janvier-1er février 2008) et la Tunisie (47e session, 4 22 octobre 2010). Le Maroc et l’Égypte ont inclus des réserves à l’article 2 de la CEDAW concernant l’application de la convention. Les deux pays déclarent qu’ils n’appliqueront la CEDAW que si elle n’est pas contraire aux dispositions de la charia islamique.
Ces réserves ont été considérées comme étant en conflit avec l’objet et le but de la convention par le Comité CEDAW. Toutefois, ces objections ont un impact plus politique que juridique et n’empêchent donc pas l’entrée en vigueur de la Convention (OCDE, 2017[1]).
← 27. Le texte de la convention est disponible en anglais à l’adresse suivante : https://www.coe.int/fr/web/conventions/full-list/-/conventions/rms/090000168008482e.
← 28. La recommandation est disponible en français à l’adresse suivante : https://legalinstruments.oecd.org/fr/instruments/OECD-LEGAL-5020.
← 29. Le texte de la stratégie (en français) est disponible à l’adresse suivante : https://tunisia.unfpa.org/sites/default/files/pub-pdf/STRATEGIE%20VIOLENCE%20fr.pdf.
← 30. Le texte de la Constitution en anglais est disponible à l’adresse suivante https://www.constituteproject.org/constitution/Tunisia_2014.pdf.
← 31. Une description complète de l’ODD 5 ainsi que le suivi annuel des progrès réalisés, sont disponibles sur : https://sustainabledevelopment.un.org/sdg5 .
← 32. Le Comité comprenait le Conseil de l’Europe, l’Union européenne, le HCDH, le FNUAP, l’ONUDC et ONU Femmes.
← 33. Loi organique n° 2017-58 du 11 août 2017, relative à l’élimination de la violence à l’égard des femmes.
← 34. Décret gouvernemental n° 126 de 2020, 26 février 2020.
← 35. Ce projet a été mis en œuvre par l’Office national de la Famille et de la Population, le ministère de la Femme, de la Famille et des Enfants, ainsi qu’ONU Femmes.
← 36. Loi sur la protection de la famille n° 15 de la Jordanie, 16 mai 2017, Gazette officielle n° 5460, page 3345.
← 37. Voir http://www.jordantimes.com/news/local/social-development-ministry-launches-strategy-combat-gender-based-violence.
← 38. L’article ajoute que la peine sera plus élevée, à savoir l’emprisonnement à vie, en cas de circonstances aggravantes. Certaines de ces circonstances aggravantes concernent les adolescentes. Par exemple, il y a circonstance aggravante si l’auteur est responsable de l’éducation ou de la supervision de la victime ou est en position d’autorité par rapport à elle. Cela s’applique entre autres aux éducateurs, enseignants et parents.
← 39. Le viol par pénétration digitale, outils, ou objets pointus, ainsi que le viol oral ou anal ne sont donc pas inclus.
← 40. La Chambre criminelle de la Cour de cassation égyptienne a également défini le crime que constitue le viol, en déclarant dans sa Décision n°4113 du 6 janvier 1988, que l’acte sexuel complet (pénétration complète) contre la volonté de la victime est un facteur clé pour déterminer si l’offense constitue un viol ou une agression sexuelle. Pétition n° 4113 de 1988, audience du 6 janvier 1988, Cour de cassation, Chambre criminelle, bureau technique, vol. 39, p. 79.
← 41. Décret n° 50/2014 approuvé le 4 juin 2014 par le président par intérim Adly Mansour. Voir https://www.ilo.org/dyn/natlex/natlex4.detail?p_lang=en&p_isn=57560. La loi a été appliquée en tant que décret du fait de l’absence de Parlement en état de fonctionner entre juin 2012 et octobre 2015.
← 42. Le harcèlement sexuel est puni d’une peine d’emprisonnement d’au moins six mois ou d’une amende de 3 000 livres égyptiennes. Si l’acte de harcèlement sexuel est répété par la même personne en suivant ou en traquant la personne harcelée, la peine est d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 5 000 à 10 000 livres égyptiennes (article 306 bis A, paragraphe 2). Si le harcèlement sexuel est fait dans l’intention de recevoir une gratification sexuelle de la part de la victime, la sanction est un emprisonnement d’un an minimum et une amende de 10 000 livres égyptiennes minimum (article 306 bis B, paragraphe 1). Si l’auteur de l’infraction se trouve en position d’autorité, par exemple d’autorité professionnelle, ou utilise toute forme de contrainte pour obtenir une gratification sexuelle, la peine ne sera pas inférieure à deux ans de prison et l’amende sera au minimum de 20 000 livres égyptiennes.
← 43. Point 18 concernant l’article 11 des Recommandations générales n° 19 du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes définit dans sa 11ème session, 1992 : http://www.un.org/womenwatch/daw/cedaw/recommendations/recomm.htm.
← 44. Le droit de discipliner sa femme conformément à la loi islamique est lié à son devoir d’obéissance. C’est un sujet qui suscite des discussions critiques parmi les érudits religieux depuis des siècles. Pour plus de détails, voir (Mir-Hosseini, Al-Sharmani et Rimminger, 2015[65]).
← 45. Article 6 de la Loi n° 25/1929 telle qu’amendée par la Loi n° 100/1985.
← 46. Un rapport de Human Rights Watch donne la citation suivante d’un juge : « Ce qui fait du mal à une femme ne fait pas de mal à une autre. Certaines acceptent les coups et les insultes comme des plaisanteries, d’autres non ». - Juge Abdel Rahman Muhammad, inspecteur judiciaire en chef, Le Caire, 25 juin 2004, cité dans (Human Rights Watch, 2004[66]).
← 47. Article 31bis de la Loi n° 143/1994 telle qu’amendée par la Loi n° 126/2008.
← 48. La Charia, le Coran et la Sunna, ainsi que la Bible, ne mentionnent pas les mutilations génitales féminines (MGF). Pourtant, la religion a été utilisée pendant des siècles pour la justifier au sein de nombreuses communautés. En outre, les MGF sont depuis longtemps un tabou. Personne n’a osé remettre en question la légitimité de cette pratique ni même en parler en public.
← 49. Voir https://www.reuters.com/article/idUSL24694871 et https://www.refworld.org/pdfid/4b6fe1cd0.pdf.
← 50. Disponible à l’adresse suivante : https://www.undp.org/content/dam/egypt/docs/Publications/Docs%20Gender/EGY%20FGM%20strategy%20EN.pdf.
← 51. Voir https://tinyurl.com/ybme2qg2.
← 52. Egypt Today, « NCW to submit draft law against domestic violence to Parliament », 6 septembre 2017, https://www.egypttoday.com/Article/1/21367/NCW-to-submit-draft-law-against-domestic-violence-to-parliament ; The Caravan, « Parliament drafts new bill to combat domestic violence », 14 décembre 2017, disponible à l’adresse suivante : http://www.auccaravan.com/?p=6730.
← 53. Egypt Today, « Introducing Egypt’s strategy to combat violence against women », 3 décembre 2017, disponible à l’adresse suivante : https://www.egypttoday.com/Article/2/35200/Introducing-Egypt%E2%80%99s-strategy-to-combat-violence-against-women.
← 54. La violence à l’égard des femmes est définie comme « tout acte de violence fondé sur le sexe qui cause ou peut causer aux femmes ou aux filles un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de commettre de tels actes, la suppression ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée ». La stratégie ajoute en outre différents types de violence contre les femmes dans son annexe 2.
← 55. Plus largement, l’espace laissé aux organisations de la société civile en Égypte fait l’objet de préoccupations à l’intérieur et en dehors du pays. Pour lutter contre le terrorisme et améliorer sa sécurité et sa stabilité, l’Égypte a adopté un certain nombre de règlements et de lois qui ont considérablement restreint la liberté d’expression et d’association. Par exemple, l’état d’urgence déclaré par le président Sissi en avril 2017, à la suite de deux attaques terroristes à Alexandrie et à Tanta, a été renouvelé dix fois et est toujours en vigueur au moment de la rédaction de la présente publication, alors même que la Constitution stipule qu’il ne peut être prolongé plus d’une fois (Al-Monitor, 2019[67]).
← 56. La version française du cadre de mise en œuvre est disponible à l’adresse suivante : http://www.social.gov.ma/sites/default/files/strat%C3%A9gie%20nationale%20de%20lutte%20contre%20la%20violence%20%C3%A0%20l%27%C3%A9gard%20des%20femmes.pdf.
← 57. Un résumé du Plan en français est disponible à l’adresse suivante : http://www.social.gov.ma/fr/domaine-de-la-femme/plan-gouvernemental-pour-l%E2%80%99egalit%C3%A9.
← 58. Dahir n°1-18-19 du 5 Jumada II 1439 (22 février 2018) promulguant la Loi n° 103-13 sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes.
← 59. Voir les remarques conclusives sur le Maroc de la 40e session du Comité pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes (14 janvier-1er février 2008), disponibles à l’adresse suivante : http://docstore.ohchr.org/SelfServices/FilesHandler.ashx?enc=6QkG1d%2fPPRiCAqhKb7yhsgOTxO5cLIZ0CwAvhyns%2byLKOh5bax2iJ3d7DBNB1oiOGe3HY46W8dY6v4LREKnR8jPD9CgquUiHQGE2WCNJwXCBcjCgqSbegpt7p0CbZyH6.
← 60. Chapitre 1 : Définitions ; Chapitre II : Dispositions pénales ; Chapitre III : Dispositions de procédure ; Chapitre IV : Mécanismes de prise en charge des femmes victimes de violences ; Chapitre V : Mesures et initiatives pour la prévention de la violence ; Chapitre VI : Entrée en vigueur.
← 61. Le rapport du PNUD est disponible à l’adresse suivante : https://www.undp.org/content/dam/rbas/doc/Gender%20Justice/English/Morocco%20Country%20Summary%20-%20English.pdf.