Le rapport États de fragilité 2020 définit un programme d’action pour lutter contre la fragilité à l’heure où le monde se trouve à un tournant décisif : le compte à rebours du Programme de développement durable à l’horizon 2030 est désormais lancé alors même que la pandémie de COVID-19 vient réduire à néant des acquis durement obtenus. Le rapport livre une analyse de la fragilité en deux volets : il décrit, d’une part, la situation globale qui prévalait avant la pandémie, et d’autre part, les conséquences catastrophiques de la pandémie sur cette situation. Il prend acte de la dure réalité de la fragilité dans son caractère multidimensionnel et sa complexité. Il explore les aspects théoriques et pratiques de cette problématique afin de proposer de nouvelles pistes pour l’analyse du capital humain et la prévention des conflits, et d’adapter l’action publique de sorte qu’elle contribue à l’obtention de résultats plus résilients. Axé sur le thème de la paix dans les contextes de fragilité, le rapport met en lumière le rôle important des artisans de la paix, des diplomates et des acteurs de la sécurité déployés sur le terrain, et plaide en faveur d’une plus grande complémentarité et cohérence entre action humanitaire, développement et recherche de la paix. En conclusion, il rapproche théorie et pratique pour répondre à la question de savoir sur quoi repose l’efficacité des interventions dans les contextes fragiles. L’édification de sociétés pacifiques, justes et inclusives, qui ne laissent personne de côté, ne sera possible qu’en accordant une attention toute particulière à la question de la fragilité.
États de fragilité 2020
Résumé
Synthèse
Qu'est-ce que la fragilité ?
L'OCDE définit la fragilité comme la conjonction d'une exposition à des risques et d'une capacité insuffisante de l'État, d'un système ou d'une communauté à gérer, absorber ou atténuer ces risques. La fragilité peut avoir des conséquences dommageables comme la violence, la pauvreté, les inégalités, les déplacements, la dégradation de l’environnement ou la détérioration de la situation politique.
La fragilité se mesure sur une échelle d'intensité et s’exprime différemment selon les dimensions étudiées – économique, environnementale, politique, sécuritaire et sociale – auxquelles s'ajoutera dans l’édition 2022 d’États de fragilité une sixième dimension, celle du capital humain. Chacune de ces dimensions est représentée par 8-12 indicateurs – 44 au total pour les 5 dimensions – qui mesurent les risques et les capacités d'adaptation à la fragilité. Ainsi, le Cadre multidimensionnel de l'OCDE sur la fragilité rend compte des interactions entre fragilité, risques et résilience, et apporte des éclairages sur la façon dont, et les domaines où, les acteurs internationaux peuvent aider à remédier aux causes profondes de la fragilité dans chacune de ses dimensions tout en consolidant les sources de résilience.
Le Cadre 2020 sur la fragilité porte sur 57 pays et territoires – ci-après qualifiés de « contextes » –, 13 extrêmement fragiles et 44 fragiles. Ce Cadre permet de rendre compte de la diversité des contextes en situation de fragilité et des différentes dimensions de la fragilité dans chacun des contextes où des indicateurs renseignent sur l'évolution, encourageante ou préoccupante, des résultats. Des informations complémentaires sur chacune des dimensions et sur ce dont elle rend compte, ainsi que la méthodologie utilisée pour États de fragilité, sont accessibles sur la plateforme « States of Fragility » lancée en octobre 2019 qui contient les toutes dernières données et observations factuelles sur la nature de la fragilité dans les contextes fragiles.
Les contextes fragiles se trouvent à un tournant décisif pour le Programme 2030, tandis que les plus marginalisés voient leur situation encore empirer
En 2020, avant la survenue de la pandémie de COVID-19, les contextes fragiles abritaient 23 % de la population mondiale et 76.5 % des personnes vivant en situation d’extrême pauvreté. Aucun de ces contextes fragiles n’est en voie d'atteindre les Objectifs de développement durable (ODD) relatifs à la faim, la santé, l’égalité entre les sexes et l'autonomisation des femmes. Par rapport à leurs pairs, les 13 contextes extrêmement fragiles sont particulièrement exposés au risque d’être tenus éloignés des progrès accomplis en termes de développement durable et de recherche de la paix : entre 2012 et 2018, les écarts de niveaux de fragilité entre eux et les contextes non fragiles se sont creusés chaque année. Des données concrètes font par ailleurs apparaître un décalage grandissant dans les progrès obtenus au regard des principaux ODD. À titre d’exemple, dans 11 des 13 contextes extrêmement fragiles, les progrès marquent le pas ou se détériorent sur les fronts de la faim et de l’égalité entre les sexes, alors que les progrès s'améliorent ou sont en bonne voie de réalisation dans plus de la moitié des contextes non fragiles.
Avec le changement climatique, la pandémie de COVID-19 est un autre choc systémique global qui intensifiera probablement ces tendances et compromettra les progrès même modestes accomplis au regard des ODD. À titre d’exemple, alors que 8 contextes fragiles étaient en bonne voie d'atteindre le premier ODD relatif à l’élimination de la pauvreté, les premières projections laissent penser que la pandémie se soldera par un basculement dans l’extrême pauvreté de 26 millions de personnes supplémentaires d'ici la fin 2020 dans les contextes fragiles. Les conséquences de la pandémie de COVID-19 affecteront de façon disproportionnée le bien-être des femmes, par rapport à celui des hommes, ce qui se traduira par une aggravation des inégalités entre les sexes et par ce que ONU Femmes a qualifié de « pandémie fantôme » de violence à l'égard des femmes et des filles. Les enfants pourraient être les plus gravement atteints par la pandémie. À la mi-juillet 2020, 222.7 millions d’enfants d’âge scolaire inscrits dans le primaire ne fréquentaient plus l’école dans les contextes fragiles – dont 107.5 millions de filles – et les premières projections laissent penser qu’encore 36 millions d’enfants vivront dans des foyers au sein de contextes fragiles qui seront dans l'incapacité de subvenir à leurs besoins d'ici la fin de l’année.
En accentuant les fragilités déjà existantes, ce choc systémique aura de graves conséquences sur les individus, la planète et la prospérité. Alors que la première année de la « Décennie de l'action » est déjà entamée, les contextes fragiles se trouvent à la croisée des chemins s'ils veulent parvenir à la stabilité et se recentrer sur la réalisation du Programme 2030.
Pour remédier aux conséquences du coronavirus (COVID-19), il faut porter l’attention sur la fragilité
Les premières données concrètes relatives à l’impact de la crise du COVID-19 ne prêtent pas à l'optimisme – les conséquences de la pandémie aggraveront les risques multidimensionnels existants et mettront à rude épreuve les capacités d'adaptation de ceux qui sont le moins à même d’y faire face. Le phénomène est particulièrement visible dans les secteurs de la santé et de l'éducation, éléments clés du développement durable dans les contextes fragiles. Il est impératif de concentrer l'attention sur la fragilité pour atténuer l'impact du COVID-19 et reconstruire sur de meilleures bases en affectant des ressources au renforcement de la résilience, en rétablissant les moyens d’existence des populations, en aidant les individus à réaliser leur potentiel et en assurant leur bien-être. Il convient pour ce faire de valoriser le capital humain en investissant dans la santé (y compris la nutrition), l’éducation et la protection sociale.
L'aide publique au développement (APD) est une ressource essentielle à cet égard. Un volume d’APD bilatérale nette plus élevé que jamais – 76 milliards USD – a été alloué aux contextes fragiles en 2018 et, dans les contextes extrêmement fragiles, l'APD s’est établie à 11.5 fois le niveau de l’investissement direct étranger (IDE) et à 2.5 fois le montant des envois de fonds. L'APD demeure une ressource stable et tolérante au risque permettant de soutenir les contextes fragiles dans leur trajectoire vers le développement durable. Les membres du Comité d'aide au développement (CAD) ont alloué 60.3 milliards USD d'APD aux contextes fragiles en 2018 et, reconnaissant l’importance de cette source de financement, se sont engagés à protéger les budgets d'APD face à la pandémie. Cela a été un premier pas important. La prochaine étape consistera à renouveler cet engagement lorsque la véritable ampleur des effets de la pandémie se précisera.
Au cours des 20 dernières années, les contextes fragiles ont peu à peu resserré leurs connexions avec les systèmes internationaux, les échanges, les migrations et les réseaux financiers. Pour nombre d’entre eux, cette amélioration de la connectivité économique a été source d'opportunités, a permis d'accroître les investissements dans les infrastructures, d'ouvrir l’accès à de nouveaux marchés, de faciliter de nouvelles approches de la prestation de services sociaux, et de disposer de financements intérieurs ou internationaux qui n’auraient pas été accessibles sinon. Pour autant, cette connectivité est aussi porteuse de risques, sur lesquels la pandémie de COVID-19 a jeté une lumière crue. Les contextes fragiles compteront parmi les plus durement touchés par la contraction du financement extérieur, de l’IDE et des envois de fonds des travailleurs à l'étranger, ce qui ne sera pas sans conséquences sur les recettes fiscales et sur les niveaux d’endettement. Les efforts déployés pour aider les contextes fragiles à accéder au financement intérieur et international devraient également porter sur des mécanismes permettant de réduire l’instabilité des flux financiers et de se préparer à des événements imprévus – ce que l'on appelle les « cygnes noirs ». Sans nouvelles mesures, le service de la dette à rembourser en 2021 se monterait à environ 6 % de l’APD totale dans les contextes extrêmement fragiles, et à approximativement 82 % de l’APD dans les autres contextes fragiles.
La prévention des conflits et la consolidation de la paix relèvent de la responsabilité de chacun
La prévention des conflits violents est une entreprise de longue haleine qui vise à influer sur les comportements humains et les incitations politiques qui jouent en faveur ou à l’encontre de la violence. Le système est complexe, l’intervention est coûteuse et le succès n'est pas garanti. Même s’ils ne sont pas synonymes de fragilité, violence et conflits armés sont concentrés dans les contextes fragiles. En 2019, 22 des 31 contextes en proie à des conflits actifs impliquant des États étaient fragiles, ce qui représentait 65 % de la population vivant dans des contextes fragiles. En outre, les progrès sur la voie de la réalisation de l’ODD 16 (paix, justice et institutions efficaces) ont marqué le pas, voire ont reculé dans 41 des 54 contextes fragiles pour lesquels des données sont disponibles, dont 12 des 13 contextes extrêmement fragiles, d'où l’importance des investissements dans le maintien de la paix.
La violence et les conflits armés touchent tout un chacun, et il relève de la responsabilité de la communauté internationale de mener une action pour les prévenir conduite par des acteurs nationaux avec le soutien de partenaires internationaux. En 2017, le coût que représente la contention de la violence s’est établi à 86 % de l'impact économique total de la violence dans les pays membres du CAD. La violence est cyclique et s’inscrit dans la durée, ce qui qui signifie que les bienfaits de sa prévention sont substanciels et augmentent chaque année, qu’il s’agisse de vies humaines ou d’économie. L’engagement dans les contextes fragiles devrait donc suivre un ordre de priorité établi selon le principe de « la prévention toujours, le développement dans toute la mesure du possible et l'action humanitaire si nécessaire ». Toutefois, l’engagement des membres du CAD vis-à-vis de la prévention ne se traduit pas toujours par des investissements : à titre d’exemple, seulement 4 % de l'APD du CAD allouée à des contextes fragiles en 2018 étaient axés sur la prévention des conflits et la sécurité. Il est déterminant pour une action efficace de consolidation de la paix et de prévention des conflits d’identifier les causes profondes de la fragilité et des conflits et d'y remédier en mettant en place des processus conduits par les pays et qu’ils s'approprient. Ces processus dépendent souvent de partenariats locaux inclusifs et divers qui s'appuient sur les atouts des politiques, des institutions et de la société civile au plan local. Pour que ces partenariats fonctionnent dans les meilleures conditions, ils doivent également reposer sur une solide analyse du contexte et de l’environnement plus global dans lequel ils sont déployés, prenant en compte l’existence ou l’éventualité d’un conflit et les dimensions politiques.
Néanmoins, les analyses, les cadres et les approches de la prévention des conflits et de la consolidation de la paix demeurent fragmentés. L’aide humanitaire et les diverses formes de soutien du développement à l'appui de ces activités dans les contextes fragiles sont souvent essentielles, mais les acteurs de la sécurité et de la diplomatie ont un rôle précieux à jouer – un rôle qui, historiquement, a permis ou favorisé le rétablissement de la paix. Entre 1991 et 2017, 88 % des règlements négociés lors de conflits dans des contextes fragiles ont bénéficié de l’action diplomatique d'une tierce partie. Tout le potentiel du nexus action humanitaire-développement-recherche de la paix doit être mis au service d'une analyse éclairée, de cadre adaptatifs et d’approches cohérentes pour aider les contextes fragiles à atteindre les objectifs mondiaux.
Il n’y a pas de solutions qui fonctionnent en vase clos : il convient de nouer des partenariats à tous les niveaux pour favoriser des résultats au plan local en matière de résilience
Les contextes fragiles mettent à l’épreuve les populations et les systèmes. Faciliter la transition des sociétés de la fragilité vers la résilience est une entreprise complexe, non linéaire et à forte charge politique. Les stratégies et les interventions adaptatives qui sont étayées par les systèmes dans toutes les dimensions du nexus action humanitaire-développement-recherche de la paix peuvent néanmoins donner, et donnent, des résultats permettant de remédier à la fragilité. Les partenaires internationaux devraient déterminer comment mieux mettre à profit leurs avantages comparatifs stratégiques en prenant comme point de départ l'analyse contextuelle. Ils devraient également chercher à identifier et à développer des partenariats durables et des approches coordonnées à de multiples niveaux, qui soient fondés sur des relations de confiance, prennent en compte les conflits et permettent un partage des risques. Comme le montrent les différentes caractéristiques de la fragilité (Infographie 1), les acteurs doivent être capables de relever un large éventail de défis, qui sont la marque des contextes fragiles, s'ils veulent se prévaloir de réalisations durables.
Dans la même série
Publications associées
-
Document de travail9 mars 2024