La fragilité fait partie du quotidien de millions d’individus dans le monde. Qu’elle soit due aux inégalités, à la pauvreté, à la maladie, à la violence ou à l’injustice, elle est au cœur de leur expérience de tous les jours et participe de la vulnérabilité qui est leur lot. C’est elle qui, souvent, fait la différence entre la prospérité et la survie et, dans les cas les plus extrêmes, entre la vie et la mort. La fragilité est un mal qui affecte de façon disproportionnée des groupes déjà vulnérables et marginalisés, ceux qui comptent déjà parmi les plus défavorisés. La fragilité, en outre, n’a pas toujours de lien avec la responsabilité – ainsi, les populations les plus exposées aux effets du changement climatique sont de fait souvent celles qui en sont le moins responsables.
Ne laisser personne de côté signifie reconnaître que les causes de la fragilité sont complexes, interconnectées, et souvent ancrées de longue date au sein des pays et des communautés qui en sont les victimes. Alors que le monde s'applique à lutter contre une double crise, sanitaire et économique, due à la pandémie de COVID-19, il est plus nécessaire que jamais de porter l’attention sur la fragilité. La propagation du virus sur toute la planète a exacerbé et multiplié les difficultés induites par la fragilité dans les différents pays et régions, contribuant à une montée du chômage, à une aggravation de la pauvreté, à un creusement des inégalités, à des troubles politiques et à une recrudescence des violences faites aux femmes. Ces difficultés et le mécontentement dont elles s'assortissent rendent nombre de pays plus enclins au conflit, exacerbent les tensions existantes et compromettent la « reconstruction sur de meilleures bases ». Pour ceux qui connaissent déjà la violence et les conflits, les perspectives de retrouver paix et stabilité s’éloignent encore davantage avec la pandémie. De plus, ces défis surviennent à un moment où les efforts de consolidation de la paix et de prévention des conflits sont fragmentaires et marqués par l’incertitude.
Selon la publication États de fragilité 2020, le point de départ doit être de mettre l’être humain au centre de la lutte contre la fragilité. La fragilité érode notre perception du bien-être et les aspirations légitimes des citoyens pour l’éducation, la santé, l’appartenance à la communauté, la représentation, la paix et la sécurité dans un environnement durable. Dans les contextes fragiles, il n’existe pas de solution universelle. Pour lutter contre la fragilité, il faut agir en suivant une démarche qui prenne en considération les besoins, les priorités et la résilience au plan local. Pour être efficaces, les politiques mises en œuvre dans le but de faire reculer la fragilité devraient être nourries par les systèmes et les interactions qui font le tissu de la société, et associer tous les acteurs concernés. Remédier à la fragilité, prévenir les conflits, renforcer la résilience et consolider la paix relèvent d'une œuvre collective. Il y va de la responsabilité de chacun.
Nous avons atteint un point charnière : la crise actuelle met à mal les ambitions portées par le Programme de développement durable à l’horizon 2030 et l’Accord de Paris. Alors que nous sommes déjà dans la première année de la « Décennie de l'action », nous devons concentrer nos efforts sur la réalisation de ces ambitions tout en prenant en compte les contextes fragiles. Pour contrer efficacement les effets de la pandémie de COVID-19 et relever les défis préexistants que sont le changement climatique, les inégalités et la polarisation des politiques, il faut savoir réagir à la fragilité, reprendre confiance dans une vision commune et adapter notre approche à la réalité actuelle. Dans ce contexte, la publication États de fragilité 2020 lance un appel urgent à l'action collective : les gouvernements des pays de l’OCDE et leurs organismes de développement doivent continuer d'apporter un soutien aux pays et aux communautés victimes de la fragilité en préservant l’aide publique au développement (APD), en favorisant l'accès à d'autres sources de financement, en soutenant des politiques adaptées aux contextes fragiles et en accordant une priorité aux partenariats à tous les niveaux. Alors que nous poursuivons la lutte contre la plus grave crise sanitaire, économique et sociale depuis près d'un siècle, l’heure est venue d'intensifier notre effort collectif face à la fragilité, et de porter notre regard vers un avenir juste, inclusif, pacifique et durable dans le monde de l'après-COVID.
Angel Gurría
Secrétaire général de l’OCDE