Cette édition de l’Examen des pêcheries porte sur l’évolution de la politique de la pêche dans les pays et les économies émergentes dans lesquels le secteur halieutique a un poids important. Son principal message est que les politiques destinées à assurer la viabilité à long terme de la pêche et à protéger et remettre en état les ressources et écosystèmes marins peuvent être réconciliées avec celles qui visent des objectifs socioéconomiques à court terme. Cependant, il faut accélérer les réformes de l’action publique pour aller dans le sens de l’Objectif de développement durable (ODD) n° 14 du Programme de développement durable à l’horizon 2030, à savoir « conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable ».
L’une des cibles essentielles dont cet objectif est assorti était de rétablir tous les stocks de poissons, « au moins à des niveaux permettant d’obtenir un rendement constant maximal compte tenu des caractéristiques biologiques » pour la fin 2020. Elle n’a pas été atteinte.
Sur les 1 119 stocks sur lesquels les pays et les économies participant au présent Examen ont fourni des informations, 66 % seulement sont dans un état biologique favorable, 23 % dans un état défavorable appelant une intervention et 12 % dans un état indéterminé nécessitant une évaluation plus approfondie.
Parmi les stocks dont l’état biologique est favorable, 54 % répondent aux critères liés à d’autres objectifs de gestion comme la maximisation du volume ou de la valeur des captures. Treize pour cent ne respectent pas ces critères et en ce qui concerne les 33 % restants, la situation à cet égard est indéterminée, aucun critère de ce type n’est défini ou aucune information n’a été fournie.
L’une des raisons en est que le soutien des pouvoirs publics n’est toujours pas assez ciblé. Les gouvernements apportent un appui à leur secteur halieutique pour améliorer le niveau de vie des pêcheurs, stimuler la production alimentaire et assurer la durabilité de l’activité. Cependant, certaines formes de soutien public, en particulier celles qui minorent le coût des intrants, faussent l’environnement économique dans lequel les pêcheurs opèrent, ce qui engendre une surcapacité et conduit à la surpêche et à la pêche illégale, non déclarée et non réglementé (INN) lorsque les moyens de lutte sont insuffisants pour les empêcher. En outre, les mesures de soutien visant les objectifs socioéconomiques ne sont pas toujours efficientes ou équitables.
Au cours de la période 2016‑18, les 39 pays qui communiquent à l’OCDE des données sur le soutien public ont versé au total 9.4 milliards USD par an en moyenne au secteur halieutique. Cela représente un transfert brut équivalent à quelque 10 % de la valeur moyenne des débarquements sur la période, soit une diminution de 13.8 % par rapport à 2012‑14. Cette baisse est la conséquence d’une contraction notable du soutien direct destiné aux personnes et aux entreprises, qui a totalisé 4.6 milliards USD par an, en moyenne, sur la période 2016‑18, contre 8.6 milliards USD en 2012‑14. L’un des grands moteurs de cette tendance a été la réduction du soutien reçu par les pêcheurs pour acheter du carburant en République populaire de Chine (ci‑après « la Chine »), pays dont le secteur halieutique est le plus important du monde.
Il ressort de l’observation des faits que le soutien direct pourrait être réalloué dans une large mesure de telle sorte que la durabilité du secteur de la pêche s’en trouve améliorée et que les transferts de revenus aux pêcheurs soient plus efficaces et plus équitables.
Dans l’ensemble des pays et économies présents dans la base de données sur l’estimation du soutien à la pêche et à l’aquaculture (ESPA), sur la période 2016‑18, 3.2 milliards USD en moyenne ont été consacrés chaque année à des mesures qui minorent le coût des intrants. Représentant 25 % de la totalité des aides accordées au secteur, c’est le soutien en faveur du carburant qui a pesé le plus lourd. Souvent, ces dispositions encouragent la surpêche et sont les moins efficaces du point de vue du transfert de revenus nets supplémentaires aux pêcheurs.
Les mesures « partiellement découplées », comme le soutien au revenu et les régimes spéciaux d’assurance, qui sont plus efficaces pour accroître les revenus des pêcheurs, ont équivalu à moins d’un tiers des dépenses destinées à minorer le coût des intrants (1.0 milliard USD).
Entre les périodes 2012‑14 et 2016‑18, les dépenses de gestion, contrôle et surveillance ont diminué sensiblement par rapport à la taille de la flotte dans plusieurs pays et économies. Il y a donc lieu de se demander si les capacités sont suffisantes dans ce domaine. Parallèlement, les dépenses consacrées aux infrastructures, comme les installations portuaires, augmentent considérablement dans certains pays et économies, ce qui risque d’encourager la surpêche lorsqu’il en découle un accroissement des capacités de pêche, de débarquement et de transformation.
La viabilité biologique des stocks et, donc, la résilience des pêches, est en grande partie tributaire de la gestion de celles‑ci. Aux fins du présent Examen, des informations sur les outils de gestion existants ont été recueillies dans 166 situations où des mesures s’appliquent à des stocks ou groupes de stocks particuliers.
Dans les deux tiers de ces situations environ, les captures ou les débarquements sont limités directement. Près d’un tiers des pays et économies recourent à des totaux autorisés de capture (TAC) dans toutes les situations de gestion décrites, tandis que quatre d’entre eux n’utilisent les TAC dans aucune.
Un peu plus de la moitié des pays et économies (57 %) allouent des quotas à des personnes ou à des groupes de personnes, dont six dans toutes les situations de gestion décrites.
La limitation des intrants est pratiquée dans la plupart des situations où le volume des prises ou des débarquements est soumis à des restrictions directes, touchant en particulier les engins de pêche, les zones et la capacité de capture. En outre, dans environ un tiers des situations, la limitation des intrants est le seul type d’instruments utilisé.
La pêche illégale, non déclarée et non règlementée (INN) sape l’efficacité de la gestion et menace la durabilité des stocks. L’analyse des mesures que les pays et les économies appliquent dans la lutte contre la pêche INN sur la base de six indicateurs de l’action publique montre que :
des progrès notables ont été faits ces quinze dernières années dans cette lutte, notamment dans la mise en œuvre de mesures du ressort de l’État du port, qui n’étaient guère utilisées en 2005 et sont désormais les plus employées parmi toutes les interventions mesurées.
globalement, il existe un déficit de mise en œuvre dans trois domaines : transparence des procédures d’immatriculation et d’autorisation des navires ; rigueur de la réglementation des transbordements ; et mesures commerciales visant à améliorer la traçabilité et à bloquer l’accès des opérateurs qui pratiquent la pêche INN aux marchés et aux services à la pêche.
Appliquer les changements nécessaires pour réallouer le soutien, améliorer l’état des stocks, mettre en œuvre une bonne gestion et lutter contre la pêche INN requiert des systèmes de gouvernance efficaces qui disposent de données et permettent aux acteurs concernés de prendre part au processus de décision. Il ressort de l’examen de la gouvernance dans les pays et économies étudiés que :
des données scientifiques sont en général employées dans le processus de gouvernance, mais les mécanismes garantissant qu’elles influencent directement la prise de décision ne sont pas utilisés amplement, la limitation des captures n’étant ajustée automatiquement à partir d’éléments scientifiques que dans 28 % des pays. Les données socioéconomiques sont utilisées moins souvent que les données scientifiques.
il existe des groupes consultatifs dans 84 % des pays et économies, la participation des acteurs concernés et la transparence y étant jugées importantes. Les pêcheurs professionnels (63 % des groupes) et les entités scientifiques (52 %) sont les parties prenantes représentées le plus souvent dans ces groupes consultatifs.
Recommandations
Les pouvoirs publics devraient passer des mesures en faveur des intrants à celles qui aident les pêcheurs à mener leur activité avec plus d’efficacité et à accroître leurs profits (passant par l’enseignement et de la formation, par exemple), ou qui assurent un soutien direct au revenu sans encourager une pêche non durable. Les répercussions dommageables sur la viabilité biologique de la ressource halieutique s’en trouveraient réduites, de même que les effets inéquitables entre segments de la flotte, et parallèlement, le niveau de vie des pêcheurs et les quantités produites augmenteraient.
Lorsqu’ils allouent des fonds publics à la pêche, les pouvoirs publics devraient aussi faire en sorte que la capacité de gestion, de contrôle et de surveillance soit suffisante, de manière à gérer les pêches avec efficacité, y compris en haute mer, et à éradiquer la pêche illégale. Simultanément, ils devraient éviter de financer des infrastructures qui encouragent la surcapacité et la surpêche.
Les pouvoirs publics devraient gérer plus activement les stocks qui affichent un état biologique défavorable, ainsi que ceux qui ne donnent pas lieu à une limitation directe des prises ou des débarquements, ou à un total autorisé de capture indicatif assorti d’une limitation des intrants.
Les pouvoirs publics devraient gérer les pêches de manière plus productive lorsque l’état biologique des stocks est favorable, mais insuffisant pour maximiser le volume et la valeur des captures.
Les pouvoirs publics devraient réexaminer et simplifier les mesures de gestion lorsqu’elles sont particulièrement complexes, potentiellement difficiles à mettre en œuvre et à suivre, et, si des mesures efficaces de limitation de la production sont appliquées, éventuellement redondantes.
Pour lutter contre la pêche INN, chaque pays ou économie devrait remédier aux failles de sa réglementation et de sa politique mises en évidence par une comparaison avec les pratiques exemplaires internationalement reconnues.
Le partage et la reconnaissance automatiques d’informations clés entre organisations régionales de gestion des pêches aideraient à combattre la pêche INN, et l’harmonisation des normes de collecte de données scientifiques et le partage d’informations sur les meilleures pratiques de mise en œuvre des technologies amélioreraient la gestion régionale des pêches.
Les données scientifiques et socioéconomiques devraient être intégrées dans les systèmes de gouvernance des pêches moyennant l’incorporation de leur utilisation dans les processus de décision (lorsque c’est possible). Des investissements dans la collecte et l’analyse des données sont nécessaires également pour créer une base solide d’éléments probants à l’appui de l’évolution de l’action publique.
Des mécanismes transparents de participation des acteurs concernés au processus de gouvernance (groupes consultatifs, par exemple) devraient être utilisés plus amplement pour renforcer la légitimité de la politique de la pêche et des modifications de l’action publique. Les pouvoirs publics devraient aussi examiner soigneusement et moduler l’équilibre entre acteurs dans chaque groupe, selon les milieux touchés par les réformes envisagées