La Guadeloupe, territoire français d'outre-mer et région ultrapériphérique de l'Union européenne (UE) nichée dans les Caraïbes, est en quête d'un nouvel élan pour un développement durable. Ce chapitre offre un aperçu concis de son évolution économique, soulignant les progrès récents et répertoriant les principales vulnérabilités structurelles. Relever ces défis pourrait ouvrir à la Guadeloupe de nouvelles perspectives d'internationalisation accrue et de croissance inclusive.
Examen des politiques de transformation économique
1. Aperçu de l'économie guadeloupéenne
Abstract
Un territoire français et de l'Union européenne au cœur des Caraïbes
La Guadeloupe est un département français d'outre-mer situé dans la partie orientale de la mer des Caraïbes, à quelque 7 000 km de la France métropolitaine. Elle fait partie des Petites Antilles, et se trouve entre la Dominique et Antigua-et-Barbuda. Elle est composée de douze îles dont quatre sont habitées : Basse-Terre, Grande-Terre, Marie-Galante et La Désirade. Avec ses 371 000 habitants environ (0.6 % de la population française), c'est la deuxième région ultrapériphérique française la plus peuplée après la Réunion. Avec un PIB par habitant de 21 100 EUR (standard de pouvoir d'achat - SPA en 2020), soit 65 % de la moyenne de l'UE-27 et neuf points de pourcentage de moins qu'en 2011, elle fait partie des 78 régions les moins développées de l'UE1. À environ 8.8 milliards EUR, cette économie contribue à hauteur de 0.3 % au PIB total de la France (OCDE, 2022[1] ; IEDOM, 2022[2]).
Depuis 1992, la Guadeloupe est classée parmi les régions ultrapériphériques (RUP) de l'UE. En raison de leur situation géographique et de leurs problèmes structurels, notamment leur éloignement du continent européen, la taille réduite de leur marché et leur exposition aux catastrophes naturelles, elles bénéficient de mesures de soutien ciblées, notamment d'une application adaptée de la législation de l'UE et d'un accès aux programmes de l'UE ainsi qu'à des stratégies ad hoc. Les autres RUP sont les cinq départements et régions d'outre-mer français, à savoir Mayotte, la Guyane française, la Martinique, la Réunion et Saint-Martin ; les deux régions autonomes portugaises (les Açores et Madère) et la communauté autonome espagnole des Îles Canaries.
Le développement économique et social reste encore aujourd'hui façonné par la trajectoire historique de la Guadeloupe. Si les premiers colons, d'origine arawak et kalina-carib, remontent à 3 000 et 1 000 ans avant J.-C., l'histoire moderne de la Guadeloupe date des XVe et XVIe siècles. Christophe Colomb fut le premier Européen à découvrir l'île en 1493. Il lui a donné le nom du monastère de Santa Maria de Guadalupe en Estrémadure (Espagne). Les premiers Européens à s'installer sur l'île furent les Français, qui établirent officiellement une colonie sur l'île principale de Basse-Terre en 1674. Les premiers colons ont introduit la production de canne à sucre en 1635, qui est devenue la principale activité économique, avec la traite des esclaves, l'archipel servant d'étape entre les Caraïbes et l'Afrique de l'Ouest (Siegel et al., 2008[3] ; Abenon, 1993[4]). Après plusieurs années de lutte dues à l'invasion par les forces militaires britanniques et au retour à la France au XVIIIe siècle, l'abolition définitive de l'esclavage en 1848 marque un tournant dans le développement de l'archipel. Officiellement département et région d'outre-mer de la France depuis 1946, la Guadeloupe est aujourd'hui une société riche sur le plan culturel, qui réunit plusieurs ethnies des Caraïbes, d'Afrique et d'Europe. Au fil du temps, cela a donné naissance à la culture créole qui contribue à la créativité, aux traditions culinaires et aux activités culturelles qui définissent fortement l'identité de l'archipel et son potentiel économique inexploité (IEDOM, 2022[2]).
Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, la Guadeloupe s'est considérablement transformée. Stimulée par d'importants investissements en provenance de la France métropolitaine, en particulier dans le secteur de la construction et des infrastructures, l'économie de la Guadeloupe, comme celle de la Martinique voisine, s'est développée au cours des deux décennies qui ont immédiatement suivi la Seconde Guerre mondiale. En l'espace de cinquante ans, le PIB par habitant a été multiplié par cinq et la croissance moyenne du PIB a atteint 3 % (Insee, 2019[5]). Cette évolution s'est accompagnée d'une expansion des activités de services, notamment avec l'établissement de succursales administratives d'entreprises françaises publiques et privées, et d'une extension de la législation sociale française, par exemple en matière de salaire minimum. Entre 1950 et 1961, l'emploi dans le secteur tertiaire et dans celui de la construction a augmenté de près de 64 %, tandis que la population totale et la population active progressaient respectivement de 24 % et de 7 %.
À partir des années 1960, les deux principales sources de production agricole, le sucre et la banane, ont connu de profonds bouleversements. Plusieurs facteurs, dont la concurrence croissante des pays émergents et en développement, ainsi que la demande accrue de betteraves sucrières, ont nui à l'expansion de la canne à sucre. La production totale de canne à sucre a diminué de plus de moitié, passant d'une moyenne de 150 000 tonnes au début des années 1960 à moins de 60 000 tonnes entre 2010 et 2018. Ce secteur emploie actuellement 10 000 personnes et seules deux raffineries sont encore en activité. En outre, avec l'avènement du marché commun européen en 1993, la filière locale de la banane n'a plus bénéficié d'un accès préférentiel au marché français et a commencé à faire face à la concurrence des multinationales d'Amérique du Sud qui pratiquaient des prix très inférieurs. D'autres problématiques, comme l'utilisation du chlordécone, un pesticide utilisé de 1972 à 1993, ont entraîné des problèmes environnementaux et sanitaires. Toutefois, ces deux cultures parviennent à rester compétitives grâce aux subventions accordées par les autorités régionales, nationales et européennes (DAAF, 2018[6] ; Zébus, 1999[7] ; Ministère des Outre‐mer, 2019[8] ; Commission européenne, 2017[9]).
Une petite économie en quête d'un nouvel élan
Au cours des 20 dernières années, l'économie a connu une double évolution (Graphique 1.1). Entre 2000 et 2008, la région a enregistré une croissance de 3.4 %, supérieure à la moyenne nationale, et parmi les RUP françaises, seules la Guyane française et Mayotte l'ont devancée. Cette croissance a été stimulée par des investissements dans les infrastructures, notamment la modernisation du port, et par l'expansion du tourisme et des activités immobilières. Ces dernières ont été soutenues par une défiscalisation immobilière spécifiquement conçue pour les régions et départements d'outre-mer. La crise financière de 2008-09, renforcée par une crise sociale locale, a ralenti la croissance et la convergence. Sur la période 2010-2019, la croissance économique ressortait à 1 % en moyenne, la consommation intérieure s'est contractée et les exportations sont restées faibles. À cela s'ajoutent des facteurs externes comme l'ouragan Maria qui a détruit 80 % de la production de bananes en 2017 (Insee, 2019[5]).
La pandémie de COVID-19 a exacerbé le mécontentement social et a encore affaibli l'économie, qui est entrée en récession en 2020. Cependant, une dépendance moindre à l'égard du tourisme par rapport à d'autres îles des Caraïbes et à d'autres RUP de l'UE a permis d'atténuer les effets négatifs, de même que les transferts directs en provenance de la France métropolitaine et de l'UE par le biais d'une enveloppe financière supplémentaire de 185 millions EUR dans le cadre du programme REACT-EU (Agence nationale de la cohésion sociale, 2020[10]).
La Guadeloupe est aujourd'hui une économie orientée vers les services dotée d'un vaste secteur public. La structure de l'économie est similaire à celle des autres RUP françaises de l'UE, où 8 emplois sur 10 se concentrent dans les services, qui contribuent également à 85 % de la valeur ajoutée brute (VAB) (Graphique 1.2). L'économie guadeloupéenne se distingue toutefois par la prédominance des services liés à l'administration publique, qui représentent environ 40 % de la VAB et de l'emploi, contre 26 % en 1970 et 36 % en 2000. Les autres services comprennent les services aux entreprises (27 %), suivis par les activités commerciales (15 %). La construction, important moteur de croissance avant 2009, contribuait à hauteur de 3.5 % à la VAB en 2020, soit la moitié des 7.5 % observés en 2000. Le reste de l'économie se compose de l'agriculture, qui bien qu'en perte de vitesse contribue à quelque 2 % de la VAB, et de l'industrie (énergie et secteur manufacturier compris) qui représente 9 % de la VAB et 7 % de l'emploi. La production agricole est principalement axée sur la transformation des aliments et dépend largement des importations d'intrants intermédiaires tels que le lait en poudre pour la production de produits laitiers. Les pays voisins, qui font partie des petits États insulaires en développement (PEID), sont confrontés au même type de difficultés.
La Guadeloupe est plus prospère que ses pays voisins, et ce grâce aux aides nationales et européennes qu'elle reçoit. En particulier, le statut de RUP de l'UE permet à la région de bénéficier de mécanismes de soutien spécifiques, tels que des subventions, des exonérations fiscales et des mécanismes de financement avantageux. Ce statut lui permet de bénéficier de ressources ciblées provenant des fonds de la politique de cohésion européenne et de taux de cofinancement maximum plus élevés, qui peuvent représenter jusqu'à 85 % du coût total d'un projet, tandis que d'autres régions de l'UE ne reçoivent que 70 %. Au total, les transferts directs du gouvernement français et les fonds de la politique de cohésion de l'UE, bien que soumis à certaines fluctuations, financent entre 50 et 60 % du budget de fonctionnement de la région. Parmi les autres mesures publiques nationales figurent le revenu minimum pour les chômeurs (Revenu de solidarité active - RSA), qui représentent 20 % de la population active (l'un des taux de chômage les plus élevés de France après celui de la Guyane), ainsi que des exonérations fiscales sur les carburants et la possibilité de mobiliser des ressources nationales par l'imposition d'un droit de quai (octroi de mer) sur les importations, qui vise à protéger la production locale de la concurrence extérieure.
La Guadeloupe et les autres RUP de l'UE sont confrontées à un paradoxe : alors qu'elles sont plus riches que les pays voisins comme les PEID, elles restent désavantagées par rapport aux autres régions de l'UE. Les ressources publiques jouent un rôle anticyclique essentiel puisqu'elles amortissent sur la durée l'effet des multiples crises et compensent les handicaps structurels, mais elles ne s'accompagnent pas d'incitations adéquates pour favoriser le développement des entreprises et de l'entrepreneuriat au niveau local (Budoc, 2012[11] ; IEDOM, 2022[2]). Alors que la Guadeloupe, à l'instar de la Martinique, est une économie de taille moyenne dont le PIB par habitant est supérieur de 30 % à la moyenne des Caraïbes, l'ouverture relative de la région, mesurée par le ratio commerce/PIB, n'est que de 40 %, soit bien en deçà des pays comparables de la région (Graphique 1.3).
La France métropolitaine représentait 64 % du total des échanges en 2021, contre 59 % en 2000. Si l'on ne tient compte que des exportations, la France métropolitaine en représente 85 %, mais un dixième des importations totales en termes nominaux. La Guadeloupe exporte principalement des produits agroalimentaires comme les bananes, la canne à sucre et le rhum, qui représentent environ 15 à 20 % des exportations. La région joue également un rôle important dans la réexportation de biens d'équipement et de consommation vers d'autres régions ultrapériphériques françaises, comme la Martinique, la Guyane française et Saint-Martin, ainsi que vers le territoire français d'outre-mer de Saint-Barthélemy, tous situés dans le bassin caribéen. Les importations se concentrent autour de l'énergie et des produits alimentaires, avec chacun 16 % du total, suivis par les véhicules et pièces détachées (15 %) et les produits pharmaceutiques et équipements médicaux (10 %). Outre les échanges avec la France, les autres principaux partenaires de la Guadeloupe sont les États-Unis et le Canada, d'où elle importe des produits énergétiques, d'autres pays de l'UE comme la Belgique, l'Italie, l'Allemagne et le Portugal, d'où la région importe des véhicules à moteur et des machines, et vers lesquels elle exporte du sucre et des spiritueux. Les échanges avec les autres pays des Caraïbes s'élèvent à 2 %, ce qui témoigne de sa faible intégration commerciale dans la région (OCDE/CNUCED/CEPAL, 2020[12]).
Références
[4] Abenon, L. (1993), « Petite histoire de la Guadeloupe », torrossa.com, https://www.torrossa.com/en/search/?q=petite+histoire+de+la+guadeloupe (consulté le 28 février 2023).
[10] Agence nationale de la cohésion sociale (2020), « React-EU : la réponse à la crise COVID-19 pour la politique de cohésion », https://www.europe-en-france.gouv.fr/fr/articles/react-eu-la-reponse-la-crise-covid-19-pour-la-politique-de-cohesion (consulté le 1 mars 2023).
[11] Budoc, R. (2012), Pour un renforcement de la coopération régionale des Outre-mer, Rapport du Conseil économique, social et environnemental, https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Rapports/2012/2012_09_cooperation_om_rapport.pdf (consulté le 1 mars 2023).
[9] Commission européenne, D. (2017), Evaluation of measures for agriculture carried out for the outermost regions (POSEI) and the smaller Aegean islands, Office des publications de l’Union européenne, https://data.europa.eu/doi/10.2762/565811 (consulté le 14 janvier 2022).
[6] DAAF (2018), « Présentation et actualité de la filière canne-sucre-rhum », https://daaf.guadeloupe.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/DAAF_Fiche_presentation-filiere_canne-sucre_cle8be2b9.pdf (consulté le 28 février 2023).
[2] IEDOM (2022), « Rapport annuel économique 2021: Guadeloupe », https://www.iedom.fr/guadeloupe/publications/rapports-annuels/rapports-annuels-economiques/article/rapport-annuel-economique-2021-iedom-guadeloupe (consulté le 28 février 2023).
[5] Insee (2019), L’économie de la Guadeloupe entre 2000 et 2018 : l’activité redémarre en 2014 après la crise économique et sociale de 2009, https://www.insee.fr/fr/statistiques/5228072?sommaire=5228084 (consulté le 1 mars 2023).
[8] Ministère des Outre‐mer (2019), « Plan d’action contre la pollution par la chlordécone en Guadeloupe et en Martinique », https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/synthese_plan_chloredecone2018.pdf (consulté le 28 février 2023).
[1] OCDE (2022), Development Strategy Assessment of the Eastern Caribbean, Les voies de développement, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/f1566c7a-en.
[12] OCDE/CNUCED/CEPAL (2020), Production Transformation Policy Review of the Dominican Republic: Preserving Growth, Achieving Resilience, Les voies de développement, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/1201cfea-en.
[3] Siegel, P. et al. (2008), « Analyse préliminaire des prélèvements sédimentaires en provenance de Marie-Galante », vol. 18/1, pp. 205-211.
[7] Zébus, M. (1999), « Paysannerie et économie de plantation. Le cas de la Guadeloupe, 1848-1980 » n° 05, http://journals.openedition.org/ruralia/110 (consulté le 28 février 2023).
Note
← 1. Les régions moins développées sont définies comme des régions où le produit intérieur brut (PIB) par habitant est inférieur à 75 % de la moyenne de l'UE.