La trajectoire de développement de Maurice est l’une des plus impressionnantes d’Afrique. Économie insulaire pauvre et reculée fortement dépendante des exportations traditionnelles de sucre au moment de son indépendance en 1968, elle peut désormais se targuer de posséder un secteur des services sophistiqué et est brièvement devenue un pays à haut revenu en 2020, avant les effets dévastateurs du COVID-19. Forte de ses secteurs du sucre, du textile, du tourisme et des services financiers, l’économie mauricienne se distingue en Afrique subsaharienne par sa solidité et sa stabilité. Le PIB par habitant à parité de pouvoir d’achat a été multiplié par plus de cinq depuis 1990.
Les exemples de réussite de ce type sont rares en Afrique, et l’expérience de Maurice qui a su échapper au piège de la pauvreté apparemment inextricable au moment de son indépendance, a été amplement étudiée. L’un des ingrédients de ce succès souvent cité est la tradition de gestion économique solide et de stabilité politique. Maurice est le pays d’Afrique qui enregistre les meilleurs résultats selon de nombreux indicateurs. L’île est souvent considérée comme un modèle de développement social, surtout en raison de son système de protection sociale et de ses efforts pour promouvoir l’égalité sociale et pour réduire la pauvreté. D’autres éléments pérennes favorables à cette réussite sont la stabilité économique, même face à des chocs externes, et la diversité culturelle et ses liens avec une politique inclusive et la diaspora. Ces éléments ont été à l’origine du décollage, mais c’est l’accès préférentiel aux principaux marchés, conjugué au régime de la zone franche d’exportation, qui a été l’élément déclencheur. À ces facteurs s’ajoutent l’offre abondante de main-d’œuvre et les entrées d’investissement direct étranger (IDE) à des moments critiques pour faciliter l’émergence de certains secteurs.
Malgré ses bonnes performances au cours des dernières décennies, Maurice est confrontée à plusieurs défis structurels persistants. Même si la croissance annuelle du PIB s’est récemment redressée, elle est généralement inférieure à la moyenne des pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure depuis le début des années 2000. Maurice est confrontée à une érosion de sa compétitivité dans les secteurs exportateurs traditionnels, à une diversification économique insuffisante, au recul des investissements et de la création de valeur ajoutée dans les secteurs manufacturiers en pourcentage du PIB, à une faible croissance de la productivité doublée d’une fuite des cerveaux et d’une hausse du ratio de dépendance.
Les efforts de modernisation et de diversification déployés par Maurice ont en partie porté leurs fruits. L’industrie du textile et du vêtement a développé la fabrication de tissus et de fils et s’oriente vers une intégration verticale plus poussée dans la filière. De même, une restructuration du secteur sucrier a permis de délaisser la fabrication et l’exportation de sucre brut au profit de celles de sucre raffiné et de sucre spécial. En outre, de nouveaux secteurs ont été valorisés, tels que le tourisme, l’économie de la mer, les services financiers, la santé, l’éducation et les énergies renouvelables. Néanmoins, la poursuite de la transformation structurelle et les gains de productivité intra-sectoriels ne suffisent pas à résoudre le problème de la productivité. Certains secteurs connaissent des pénuries de compétences, et les entreprises locales ne sont pas assez innovantes et mènent très peu d’activités de recherche et développement sur l’île.
Confrontée à des menaces existentielles, Maurice a montré qu’elle savait mener à bien des réformes, telles que la suppression de l’accès préférentiel aux marchés du sucre et de l’habillement ou le redressement du tourisme après les effets catastrophiques du COVID-19. Bien des défis auxquels elle fait face aujourd’hui sont caractéristiques d’une économie plus mature, appelant des réponses différentes de celles du passé. Les mesures les plus évidentes ont déjà été prises, et ces réformes de deuxième génération nécessiteront une approche plus stratégique, mobilisant l’ensemble de l’administration et couvrant tous les domaines de l’action publique qui influent sur le dynamisme du secteur privé. Il faudra notamment agir pour que les marchés soient compétitifs et contestables, en autorisant l’entrée de nouveaux acteurs étrangers ou nationaux, en s’ouvrant plus largement à l’IDE et en menant une politique de la concurrence volontariste. Tout soutien public aux entreprises en place devra se garder de simplement perpétuer le statu quo.
Maurice excelle dans de nombreux domaines de la politique de l’investissement en étant l’une des juridictions les plus accueillantes pour les entreprises au monde. Pourtant, se pose la question de savoir pourquoi les investisseurs étrangers ne sont pas plus nombreux, en dehors des secteurs des entreprises exerçant des activités mondiales et de l’immobilier. Les entrées d’IDE ont rarement représenté une part importante du PIB à Maurice (à l’exclusion des entreprises aux activités mondiales), et cette part a diminué pendant la majeure partie de la dernière décennie, hormis la hausse enregistrée en 2022. En dehors du secteur des entreprises mondiales, la moitié de l’IDE « traditionnel » se concentre dans le secteur de l’immobilier qui a été progressivement ouvert dans les années 2000. L’impact sur le développement de ce type d’investissement est probablement moindre que dans d’autres secteurs, bien que le gouvernement mise sur un effet de stimulation de la consommation et, à terme, de l’investissement.
Les investisseurs étrangers ont joué un rôle essentiel à des moments clés du développement économique mauricien, notamment ceux de Hong Kong (Chine) dans le décollage du secteur de l’habillement et les investisseurs indiens dans le secteur des technologies de l’information et de la communication. Outre la source de financement qu’ils procuraient, ils ont contribué plus largement à la productivité, à l’innovation et au développement des compétences, ainsi qu’à la transition verte. En combinant judicieusement les mesures dans différents domaines, les entreprises locales pourraient tirer profit des connaissances, technologies et compétences transférées par les entreprises étrangères.
Pour pouvoir engager des réformes à large assise, le gouvernement doit repenser la façon dont il appréhende son action. Malgré sa réputation justifiée d’efficacité et d’efficience, il pourrait prendre des mesures pour améliorer encore sa gouvernance. Les travaux récents avec l’OCDE concernant l’analyse d’impact de la réglementation représentent un champ d’action possible, parallèlement à une meilleure coordination entre ministères et une plus grande cohérence entre domaines d’action, un engagement plus affirmé avec les parties prenantes et une réflexion stratégique plus poussée. Un autre domaine concerne le suivi et l’évaluation. Les évaluations des mesures de promotion et de facilitation de l’investissement, ainsi que de l’usage des incitations à l’investissement effectuées dans cet examen soulignent la nécessité de procéder à une analyse plus complète des politiques de ciblage et de soutien en faveur des entreprises étrangères et nationales, y compris d’évaluer de façon plus large l’impact de ce soutien, au-delà des indicateurs clés de performance habituels, afin de prendre en compte les résultats sur le plan du développement durable.
La promotion de la conduite responsable des entreprises (CRE) constitue un facteur déterminant pour que l’investissement produise des résultats positifs. À Maurice, les efforts en ce sens se sont pour l’essentiel limités au domaine de la philanthropie d’entreprise, par le biais de l’impôt au titre de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) et l’inclusion de la RSE dans le Code de gouvernance d’entreprise. Maurice a tout à fait la possibilité d’aller au-delà de la RSE et d’une approche philanthropique pour évoluer vers la CRE et une approche visant à accroître la contribution des entreprises au développement durable et à la gestion des impacts négatifs de leurs activités sur la population, la planète et la société. La stratégie de développement de Maurice, dont la croissance, du fait de sa situation de petite île isolée, dépend fortement des échanges et de l’investissement, peut s’en trouver renforcée. Les entreprises, les investisseurs et les consommateurs partout dans le monde accordent de plus en plus d’attention aux questions environnementales, sociales et de gouvernance. En outre, un nombre croissant de pays, dont certains des principaux partenaires commerciaux et d’investissement de Maurice, adoptent des textes législatifs qui imposent aux entreprises de respecter les principes et normes de CRE. Enfin, les entreprises mauriciennes investissent de plus en plus à l’étranger, comme en Afrique, et ont un rôle à jouer dans la diffusion des pratiques commerciales responsables.
À l’avenir, le gouvernement peut prendre de nouvelles initiatives pour encourager et soutenir les pratiques responsables des entreprises, en créant un environnement favorable à la CRE et en recourant à des moyens d’action spécifiques pour promouvoir et incarner la CRE. Cette démarche sera facilitée par le fait que Maurice dispose d’un cadre juridique, réglementaire et stratégique développé dans les domaines couverts par les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales sur la CRE. Le pays a en effet adhéré aux principaux instruments juridiques internationaux dans ces domaines et élaboré des lois, réglementations et politiques pertinentes. Les signalements de problèmes de CRE semblent être assez rares, mais les problèmes existants méritent qu’on s’y intéresse, car ils peuvent avoir des effets négatifs sur les populations et l’environnement, et nuire à l’attractivité de l’île en tant que lieu de commerce et d’approvisionnement ainsi qu’en tant que destination d’investissement. C’est notamment le cas des risques d’effets néfastes sur les droits des travailleurs migrants peu qualifiés. La création d’un Point de contact national pour la CRE contribuera à promouvoir et à faciliter la CRE, ainsi qu’à traiter les cas de non-respect présumé par les entreprises des Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales sur la CRE lorsqu’ils surviennent.