Le projet d'évaluation de l’impact concurrentiel de la législation en Tunisie a démarré en juin 2021 et a comporté cinq étapes, comme convenu entre les autorités tunisiennes, l’Union européenne et l’OCDE. L'annexe décrit la méthode suivie au cours de chacune de ces phases.
Examens de l’OCDE pour l’évaluation de l’impact sur la concurrence : Tunisie 2023
Annexe A. Méthodologie
Étape 1 : cartographie des secteurs et recueil des textes réglementaires et législatifs
La première étape devait permettre de repérer et de recueillir les textes réglementaires et législatifs visant le secteur étudié. Les principaux outils utilisés à cette fin ont été des bases de données en ligne, les sites Internet des autorités compétentes et des rapports consacrés au secteur établis par des organismes publics ou privés. Par ailleurs, pour avoir la certitude que l’étude prendrait bien en compte les principaux textes, l'équipe a engagé un dialogue avec des professionnels du secteur et des représentants de tous les organismes publics compétents, et avec les membres du Groupe consultatif à haut niveau, composé de hauts représentants de l'administration.
Au fil du projet, la liste de textes de loi a été affinée, à mesure que de nouveaux textes étaient découverts par l'équipe ou adoptés par les autorités ou que les premiers textes retenus se révélaient non applicables dans les secteurs concernés ou cessaient d’être en vigueur. Au total, environ 163 textes ont été sélectionnés en vue d’une analyse, dont des lois, des décrets, des ordonnances, des règlements, des avis publics et des contrats de concession.
Autre objectif important de la première étape (et qui est resté d'actualité pendant toute la durée du projet) : l'établissement de liens avec les acteurs du marché par l’intermédiaire des principales autorités compétentes, des associations sectorielles et d'acteurs privés présents dans les secteurs concernés. L'équipe de l’OCDE a conduit des missions exploratoires et a rencontré des représentants des pouvoirs publics et du secteur privé. Les entretiens avec des acteurs du marché ont permis de mieux comprendre comment les secteurs étudiés fonctionnaient en pratique et ont été utiles à la réflexion sur les obstacles éventuellement créés par la législation. Au total, plus de 36 représentants du secteur public ou du secteur privé ont apporté leur contribution.
L’équipe a également lancé une enquête en ligne pour mieux comprendre les problèmes rencontrés dans chaque branche d’activité en se plaçant du point de vue du secteur privé. L’enquête devait principalement permettre de savoir si les entreprises estimaient qu’il y avait des obstacles réglementaires dans leur secteur. L'équipe a organisé plus de 27 réunions avec des représentants d'associations et d’entreprises actives dans toutes les branches d'activité afin de leur présenter l’enquête en ligne et le concept de barrière réglementaire au sens du Manuel de l’OCDE pour l'évaluation de la concurrence. Les résultats de l’enquête se sont révélés très utiles. L’équipe a reçu 96 réponses.
Grâce aux résultats de l’enquête, aux rencontres, aux discussions sur les problèmes pratiques rencontrés par les différents acteurs et à des recherches complémentaires, l’équipe a sélectionné les textes les plus importants concernant des secteurs où il semblait a priori exister des obstacles à la concurrence, donc un impact potentiel sur la concurrence.
Étape 2 : examen des textes et sélection des dispositions devant faire l’objet d'une analyse plus approfondie
Durant la deuxième étape, l’essentiel du travail a consisté à examiner la législation pour repérer les dispositions potentiellement restrictives, de même que pour pouvoir fournir un aperçu de la situation économique des différents secteurs.
Les textes rassemblés au cours de la première étape ont donc été passés au crible au moyen de la méthode décrite dans le Manuel pour l’évaluation de la concurrence. Mis au point par l’OCDE, le Manuel offre une méthodologie générale pour rechercher les restrictions superflues et pour élaborer d’autres solutions, moins restrictives mais permettant d’atteindre les objectifs visés par les mesures concernées. Il contient en particulier une liste de référence qui consiste en une série de questions simples à poser pour repérer les textes législatifs et réglementaires qui risquent de restreindre indûment la concurrence (encadré A A.1).
L’OCDE a donc fait appel à cette méthode pour recenser toutes les dispositions pouvant être rattachées à certaines des questions de la liste. Les experts de l’administration et les membres du Groupe consultatif à haut niveau ont reçu le projet de liste de dispositions et ont été invités à formuler des commentaires. La liste définitive contenait près de 447 dispositions soupçonnées de restreindre la concurrence dans le secteur tunisien du tourisme.
L’OCDE a également établi, pour chaque branche d'activité, une carte d’identité économique détaillée (et l’a affinée par la suite) présentant les grandes tendances et principaux indicateurs du secteur, par exemple le chiffre d'affaires, l’emploi et les prix. L’analyse conduite pendant cette phase avait pour but de fournir des informations sur le contexte, de manière à permettre une meilleure compréhension des mécanismes à l’œuvre dans les secteurs, à réaliser une évaluation globale de la concurrence et à décrire les principaux acteurs du secteur et les autorités compétentes.
Encadré A A.1. Liste de référence pour l’évaluation de la concurrence
Une évaluation approfondie de l’impact sur la concurrence est nécessaire quand une loi ou un projet de réglementation :
A) Limite le nombre ou l’éventail des fournisseurs
Ce sera probablement le cas si la réglementation :
1. Accorde des droits exclusifs à un fournisseur de biens ou services ;
2. Impose l’obligation d’obtenir une licence, un permis ou une autorisation pour l’exercice de l’activité ;
3. Restreint les possibilités de fourniture d’un bien ou service par certaines catégories de fournisseurs ;
4. Accroît sensiblement le coût de l’entrée ou de la sortie d’un fournisseur ;
5. Crée un obstacle géographique empêchant une entreprise de fournir des biens et services, d’offrir de la main d’œuvre ou d’effectuer des investissements.
B) Limite la capacité des fournisseurs à se livrer concurrence
Ce sera probablement le cas si la réglementation :
1. Restreint la possibilité, pour les vendeurs, de fixer les prix des biens ou services ;
2. Limite la liberté des fournisseurs de faire de la publicité pour leurs biens et services ou de les commercialiser ;
3. Fixe des normes de qualité des produits qui confèrent un avantage à certains fournisseurs par rapport aux autres ou qui sont supérieures au niveau que choisiraient un grand nombre de clients bien informés ;
4. Augmente sensiblement les coûts de production de certains fournisseurs par rapport aux autres, tout particulièrement en traitant différemment les entreprises en place et les nouveaux entrants.
C) Réduit l’incitation des fournisseurs à se livrer concurrence
Ce sera probablement le cas si la réglementation :
1. Crée un régime d’autoréglementation ou de co-réglementation ;
2. Oblige ou encourage à rendre publiques les informations concernant la production des fournisseurs, leurs prix, leur chiffre d’affaires ou leurs coûts ;
3. Fait échapper l’activité d’un secteur ou d’une catégorie de fournisseurs au droit commun de la concurrence.
D) Limite les choix et l’information des clients
Ce sera probablement le cas si la réglementation :
1. Limite pour les consommateurs la liberté de choix de leurs fournisseurs ;
2. Freine la mobilité des clients des fournisseurs de biens ou services en augmentant le coût explicite ou implicite d’un changement de fournisseur ;
3. Modifie fondamentalement les informations dont ont besoin les acheteurs pour faire efficacement leur choix.
Étape 3 : évaluation approfondie des atteintes à la concurrence
Les dispositions sélectionnées durant la troisième étape ont fait l’objet d'un examen complémentaire visant à déterminer si elles risquaient de porter atteinte à la concurrence. Parallèlement, l’équipe a recherché les objectifs poursuivis par les dispositions sélectionnées de manière à en avoir une meilleure compréhension. Les objectifs des pouvoirs publics étaient recherchés dans l’exposé des motifs, le cas échéant, ou lors des échanges avec les autorités publiques concernées ou encore dans des travaux de recherche.
L'analyse des atteintes à la concurrence a été effectuée au moyen d’une méthode qualitative et a mobilisé divers outils, notamment l’analyse économique et une recherche dans les règles appliquées dans d'autres pays. Toutes les dispositions ont été analysées sur la base des indications contenues dans le Manuel pour l'évaluation de la concurrence. Les discussions avec les experts de l’administration et les acteurs du marché ont permis de compléter l'analyse par des informations essentielles sur les objectifs du législateur et la mise en œuvre et les effets des dispositions dans la pratique.
Étapes 4 et 5 : formulation de recommandations et établissement du rapport final
L’équipe de l’OCDE s’est appuyée sur les résultats de la troisième étape pour formuler des recommandations concernant les dispositions dont elle avait établi l’effet restrictif sur la concurrence. Elle a défini les solutions qui pourraient être envisagées et qui seraient moins restrictives pour les fournisseurs tout en permettant d’atteindre l’objectif initial des décideurs. Elle s’est à cette fin appuyée dans la mesure du possible sur l’expérience internationale.
Elle s’est également livrée à une analyse qualitative et, si c’était possible et pertinent, quantitative des avantages qui découleraient d’une suppression des obstacles à la concurrence. Pour mesurer l’impact potentiel de la suppression d’une restriction, elle a fait appel à la méthode classique consistant à évaluer l’effet d’une réforme sur le surplus du consommateur. Cette méthode est expliquée dans l’encadré A A.2.
Des propositions de recommandations ont été présentées au Groupe consultatif à haut niveau. À la suite d'un processus de consultation auprès de tous les acteurs publics concernés, la version définitive des recommandations a été rédigée et ce rapport final a été établi. Au total, 354 recommandations ont été soumises à l’administration tunisienne.
Encadré A A.2. Mesure des variations dans le surplus du consommateur
Les effets du changement des réglementations peuvent souvent être appréhender comme des évolutions d’un point vers un autre sur la courbe de la demande. Pour un grand nombre de réglementations ayant pour effet de limiter l’offre ou d’augmenter les prix, il est possible de calculer une estimation des avantages ou des préjudices pour le consommateur résultant du passage d’un modèle d’équilibre à un autre. Ce changement sur un graphique est illustré par une courbe de la demande à élasticité constante : Er montre l’équilibre avec la réglementation restrictive ; Ec montre le point d’équilibre avec la réglementation sur la concurrence. L’équilibre en situation de concurrence est différent de l’équilibre en situation de réglementation restrictive en raison de deux critères importants : des prix inférieurs et une quantité vendue supérieure. Ces propriétés sont le résultat bien connu de nombreux modèles concurrentiels.
Dans l’hypothèse de l’élasticité constante de la demande, l’équation de l’avantage pour le consommateur est la suivante :
Si des variations de prix sont attendues, la formule permettant de mesurer l’avantage pour le consommateur liée à l’élimination de cette restriction est :
Où CB : l’indicateur normalisé du préjudice pour le consommateur, ρ : le pourcentage de variation du prix liée à la restriction, R : le chiffre d’affaires sectoriel et ε : l’élasticité de la demande. Si l’élasticité n’est pas connue, il est relativement standard de prendre pour hypothèse |ε|=2. Cette valeur correspond à une demande plus élastique que sur un marché monopolistique, mais elle est également loin d’être parfaitement élastique comme dans la situation d’un marché concurrentiel.
Dans cette hypothèse, on simplifie l’expression ci-dessus sous la forme :
D'après le diagramme, la valeur des ventes augmente ou diminue en fonction de l’élasticité-prix de la demande. Lorsque l'on s'approche de l’équilibre concurrentiel, , les rentes (aire « ») sont éliminées à mesure que le prix diminue pour passer de à . L'augmentation du surplus du consommateur () est expliquée par les aires « » et « ». Lorsque l’équilibre se déplace pour s'établir à , l’activité en volume augmente, passant de à . Parallèlement, le chiffre d’affaires total englobe également l’aire « ». En conséquence, le chiffre d’affaires total est expliqué par les aires « » « » à l'équilibre , et par les aires « » « » à l'équilibre . Si la valeur absolue de l’élasticité-prix de la demande est inférieure à 1, l'aire « » est plus grande que l’aire « », ce qui signifie que la valeur des ventes diminue. À l’inverse, si l’élasticité-prix de la demande est supérieure à 1, l'aire « » est plus grande que l'aire « », ce qui signifie que la valeur des ventes augmente.
Source : OCDE (2019) Manuel pour l’évaluation de l’impact sur la concurrence : Volume 3. Manuel pratique, https://www.oecd.org/fr/concurrence/assessment-toolkit.htm