La loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale (LOP-DSI) de 2014 définit les priorités thématiques et géographiques de la politique française de développement. Elle a fait l’objet d’une large consultation des parties prenantes dans le cadre des assises du développement et de la solidarité internationale et d’un débat sans précédent, et instaure une redevabilité accrue envers le Parlement. Pour autant, le volume et la répartition de l’aide publique au développement (APD) ne privilégient pas suffisamment les pays prioritaires et les priorités thématiques ne sont pas toutes énoncées en stratégies. La France a en outre fortement consolidé son approche des contextes fragiles depuis le dernier examen par les pairs et dispose désormais d’un cadre stratégique complet. Cependant, les instruments utilisés et les procédures peu adaptées entravent la réalisation d’activités auprès des populations les plus vulnérables, y compris dans les contextes fragiles. La France s’appuie sur divers partenaires, dont elle reconnaît les atouts pour mettre en œuvre sa politique de développement. Par contre, la dispersion des allocations budgétaires rend presque impossibles l’arbitrage et le choix des différents partenaires sur la base de critères clairs.
Examens de l'OCDE sur la coopération pour le développement : France 2018
Chapitre 2. Vision et cadre stratégique
Abstract
Vision et cadre stratégique
Indicateur d’examen par les pairs : Une vision stratégique dans le droit fil du Programme 2030 et fondée sur les atouts du membre
La loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale (LOP-DSI) de 2014 définit les priorités thématiques et géographiques de la politique de développement française. Elle a fait l’objet d’un débat sans précédent et instaure une redevabilité accrue envers le Parlement. La loi prend en compte les grands axes du Programme de développement durable à l’horizon 2030 et reflète les atouts de la France. Pour autant, le volume et la répartition de l’aide publique au développement (APD) ne privilégient pas les pays prioritaires. D’autre part, les priorités thématiques ne sont pas toutes énoncées dans des stratégies, et le manque de programmation pluriannuelle et de pilotage limite la coordination, la cohérence et la prévisibilité des actions françaises.
La loi de 2014 définit les priorités et les résultats attendus de la France
Le Parlement, qui ne pouvait examiner la politique de développement et de solidarité internationale que dans le cadre des discussions sur le projet de loi de finances, a pu débattre pour la première fois des orientations de la politique de développement française dans le contexte de l’adoption de la LOP-DSI en juillet 2014 (Coordination SUD, 2017). Le texte de la loi proclame un nouveau cadre pour la politique de développement, qui « met en œuvre une politique qui participe activement à l’effort international de lutte contre la pauvreté » et s’aligne de manière générale sur les Objectifs de développement durable (ODD) (JORF, 2014). La loi prévoit plus de transparence et de redevabilité auprès du Parlement et du public. Cette transparence se fonde sur 31 indicateurs pour l’APD bilatérale et multilatérale, dont les résultats sont présentés dans les rapports bisannuels au Parlement (chapitre 6).
La politique de développement de la France se décline en quatre grands domaines :
promotion de la paix, de la stabilité, des droits de l’homme et de l’égalité entre les femmes et les hommes
équité, justice sociale et développement humain
développement économique durable et riche en emplois
préservation de l’environnement et des biens publics mondiaux.
Les priorités transversales de l’APD française sont les droits des femmes, les politiques d’égalité entre les femmes et les hommes, et la lutte contre le changement climatique. La loi prend en compte les besoins des pays partenaires, ainsi que les objectifs de la politique de développement et les priorités transversales de la France. Elle définit dix secteurs d’intervention, en lien avec les champs d’intervention des ODD et l’Agenda 2030 du développement durable. Elle préconise la définition par l’administration française, conjointement avec ses partenaires, de trois secteurs prioritaires pour chaque pays partenaire parmi les dix secteurs évoqués dans le Graphique 2.1 ci-après (JORF, 2014).
Depuis l’adoption de la LOP-DSI, quatre ministres et deux présidents de la République se sont succédé, sans pour autant modifier les priorités thématiques, même si l’accent a récemment été mis sur la lutte contre le changement climatique, les contextes fragiles (et le G5 Sahel1) et la scolarisation des jeunes filles.
De même, les priorités géographiques n’ont pas évolué depuis le dernier examen par les pairs effectué en 2013. Elles comptent toujours quatre catégories de pays, avec lesquels la France a noué des partenariats différenciés autour de certaines cibles financières :
pays prioritaires : 50 % de l’effort financier de l’État en subventions (programmes 209 et 110) et deux tiers des subventions mises en œuvre par l’AFD (hors fonds dédiés à la préparation des projets)
Afrique et Méditerranée : 75 % de l’effort financier de l’État en subventions et prêts (hors annulations de dette) et au moins 85 % de celui de l’AFD2
pays en crise et en sortie de crise, ou en situation de fragilité
très grands émergents.
Le choix des pays prioritaires se fonde sur les trois critères suivants (les pays figurant sur la liste ne sont pas tenus de tous les satisfaire) :
pays moins avancés (PMA), souvent en situation post-crise ou en fragilité
pays d’Afrique subsaharienne
pays possédant des liens culturels et linguistiques étroits avec la France.
La liste des 17 pays prioritaires (annexée à la LOP-DSI de juillet 2014) comprend le Bénin, le Burkina Faso, le Burundi, les Comores, Djibouti, l’Éthiopie, la Guinée, Haïti, Madagascar, le Mali, la Mauritanie, le Niger, la République centrafricaine, la République démocratique du Congo, le Sénégal, le Tchad et le Togo. En février 2018, le CICID a rajouté deux pays – la Gambie et le Liberia – à la liste, qui compte maintenant 19 pays prioritaires. La liste de pays prioritaires en subvention de l’APD de la France a légèrement évolué depuis le dernier examen par les pairs sans que l’on sache pourquoi. Le Ghana a cédé la place à l’Éthiopie et à Haïti en 2014. Tous les pays sur la liste sont des pays moins avancés, tous sont africains (sauf Haïti), et sont majoritairement francophones (sauf l’Éthiopie, la Gambie et le Liberia) (MEAE, 2018a)3.
Si la LOP-DSI présente une vision claire des priorités de la politique de coopération de la France, l’administration française ne les a pas mises en œuvre. Bien que la part des subventions de l’AFD aux pays prioritaires dépasse les deux tiers (MEAE, 2018b)4, les dix premiers bénéficiaires de l’APD française sont tous des pays à revenu intermédiaire (voir Tableau B.4). D’autre part, même si ces indicateurs par rapport aux subventions de l’AFD sont détaillés dans le rapport bisannuel au Parlement, cette mesure d’effort financier de l’État5 ainsi que la complexité de la structure budgétaire ne sont pas révélateurs de la détermination du soutien que la France apporte aux pays en développement (chapitre 5). De ce fait, ces indicateurs offrent peu de transparence auprès du public et du Parlement.
Les stratégies thématiques et géographiques ne couvrent pas tous les secteurs prioritaires, et le modèle de programmation de l’AFD n’incite pas à appliquer les priorités
Plusieurs stratégies ont déjà été définies ou sont en cours d’élaboration par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE) et l’AFD afin de renforcer les efforts de la France dans ses secteurs prioritaires (Graphique 2.1). En revanche, même si des stratégies ont été élaborées pour la même thématique par le MEAE et l’AFD, elles ne sont pas toujours synchronisées. Six secteurs ou thématiques prioritaires – le secteur privé, le développement des territoires, l’eau et l’assainissement, l’environnement et l’énergie, la mobilité, la migration et le développement, le commerce et l’intégration régionale – ne sont cependant pas dotés d’une stratégie dédiée. Cela nuit à la transparence des objectifs de la France et entrave la coordination qui devrait en découler6. D’autre part, les processus de consultation avec la société civile visant à définir les stratégies sectorielles de l’AFD ont souvent lieu lorsque la stratégie a déjà été élaborée, et rares sont les stratégies associées à un budget.
Enfin, l’AFD, principal opérateur dans la mise en œuvre de l’APD française, ne programme pas son aide en fonction d’une allocation géographique ou thématique, appliquant plutôt « une approche guichet » en réponse à la demande du partenaire local, en application du principe d’efficacité de l’aide invitant à s’appuyer sur la demande du pays bénéficiaire. C’est la raison pour laquelle les stratégies pays ou sectorielles de l’AFD ne sont pas contraignantes. Cela rend néanmoins de telles cibles géographiques ou thématiques difficiles à prévoir (chapitre 3).
Comme évoqué dans la Revue alternative de Coordination SUD, si la LOP-DSI présente beaucoup d’avantages par rapport à la législation française préalable, « l’absence totale de programmation – en termes de trajectoire d’APD comme en termes de calendrier et de moyens de mise en œuvre des dispositions de la loi ‑ laissait craindre que cette loi resterait à l’ordre de la déclaration des bonnes intentions » (Coordination SUD, 2017). Les conclusions du CICID en février 2018 ont permis de préciser la trajectoire de l’ensemble de l’APD française et la nouvelle loi qui devra être élaborée d’ici à 2019 offre encore l’occasion de remédier à ces lacunes (MEAE, 2018a).
Principes et orientations
Indicateur d’examen par les pairs : Les orientations définissent une approche claire et intégrée, notamment vis-à-vis de la pauvreté et de la fragilité
La politique de développement de la France aborde les aspects sociaux, économiques et environnementaux du développement durable. Sa législation met l’accent sur les plus pauvres et les plus défavorisés au sein des pays partenaires. En outre, la France a fortement consolidé son approche des contextes fragiles depuis le dernier examen par les pairs et dispose désormais d’un cadre stratégique complet. Cependant, les instruments utilisés et les procédures peu adaptées entravent la réalisation d’activités auprès des populations les plus vulnérables, y compris dans les contextes fragiles.
La programmation tient mieux compte de l’égalité entre les femmes et les hommes depuis 2013, mais sa mise en œuvre laisse à désirer
Le dernier examen de la France considérait que la coopération au développement de la France avait peu progressé en matière d’égalité entre les femmes et les hommes (OCDE, 2014). Elle estimait que le pays devait définir une approche stratégique intégrant mieux l’approche genre dans ses politiques, ses modalités d’intervention et ses instruments (Annexe A). Depuis, l’administration française a fait des progrès du point de vue stratégique. La Stratégie genre et développement 2013-2017 du MEAE (MEAE, 2013), et le Cadre d’intervention transversal sur le genre et la réduction des inégalités femmes‑hommes de l’AFD (AFD, 2013), ont fait objet d’une évaluation finale par le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE, 2017). La nouvelle stratégie (MEAE, 2018c) a été dévoilée en mars 2018 ; elle prend en compte les conclusions de l’évaluation, ainsi que les recommandations de la société civile (Coordination SUD, 2018).
Les agents du MEAE et les opérateurs sont nettement plus sensibilisés qu'auparavant à la thématique « genre et développement ». En revanche, les engagements de la France ayant eu un effet positif sur l’égalité femmes-hommes sont en dessous de la moyenne7 (section 3.2). L’AFD a créé des « boîtes à outils genre » par secteur, qui facilitent une perspective transversale, et dans laquelle les experts techniques et chefs de projets peuvent puiser. De même, Expertise France a inscrit la question du genre parmi ses objectifs prioritaires dans le cadre de son premier contrat d’objectifs et de moyens 2016‑2018. Compte tenu de la priorité politique accordée par le président Macron à la promotion de l’égalité femmes-hommes, ainsi que des besoins en la matière tant au niveau mondial que national, il conviendra de renforcer l’engagement des ambassades, le volume des investissements et le suivi des opérations tout au long du cycle de projet (chapitres 3 et 6).
La lutte contre la pauvreté et les inégalités est au cœur de la législation et du contrôle des projets, mais moins visible sur le terrain
La LOP-DSI stipule que le développement durable des pays en développement, fondé sur trois piliers (économique, social et environnemental), est la finalité de la politique française de développement. La vocation première de la loi est de lutter contre la pauvreté et les inégalités. À l’AFD, ces trois piliers sont déclinés en six dimensions opérationnelles, à savoir le développement économique ; le bien-être social et la réduction des déséquilibres sociaux ; l’égalité femmes-hommes ; la préservation de la biodiversité et la gestion des ressources naturelles ; la lutte contre le changement climatique ; et la gouvernance. Tout au long du cycle de projet, un avis est donc émis sur la réalisation des objectifs liés aux six dimensions opérationnelles.
Les stratégies pays ou sectorielles n’évoquent pas explicitement la nécessité de ne laisser personne de côté. Cependant, l’AFD vise l’atténuation des inégalités au sein des pays, un soutien aux pays moins avancés et la mise en œuvre d’une facilité de recherche sur les inégalités. L’AFD s’engage aussi à ce que toutes ses actions visent à renforcer – ou du moins à ne pas fragiliser – le lien social. Dès le stade d’identification, les nouveaux projets de l’AFD passent par le dispositif « avis développement durable », où la dimension « bien-être social et réduction des déséquilibres » examine dans quelle mesure les individus bénéficient de conditions de vie décentes ; d’une société « plus forte », juste et équitable ; et d’institutions qui protègent les droits économiques et sociaux8 (AFD, 2014). Un marqueur « co-bénéfices lien social » sera bientôt développé afin de mieux déterminer si les projets bénéficient aux populations les plus fragiles9. La nouvelle stratégie humanitaire souhaite renforcer ses efforts pour l’inclusion des personnes les plus vulnérables, notamment des personnes handicapées.
Néanmoins, au Maroc comme au Niger, l’équipe de l’examen par les pairs n’était pas convaincue que la France ait une approche globale pour cibler les personnes les plus démunies dans ses pays partenaires ni qu'elle ait fourni des efforts suffisants à cet égard. La France pourrait apporter un soutien plus important pour bénéficier davantage aux populations vulnérables, souvent situées dans des localités reculées et difficiles d’accès (annexe C).
Des obstacles demeurent pour que la France s’inscrive comme bailleur de référence dans les contextes fragiles
La France a fortement consolidé son approche des contextes fragiles depuis le dernier examen par les pairs et dispose désormais d’un cadre stratégique complet (AFD, 2018, MEAE, 2017a) et de priorités claires (MEAE, 2018a). Une stratégie Prévention, résilience et paix durable sera publiée en 2018 et met en avant l’approche française de réponse aux situations de fragilité qui met l’accent sur la restauration ou le renforcement du contrat social entre l’État et la société.
Un lien plus fort s’est forgé entre le MEAE et l’AFD dans le but d’analyser les fragilités et les vulnérabilités. De même, les capacités se développent et de nouveaux instruments ont été créés afin d’opérationnaliser la stratégie de soutien aux États fragiles. Les compétences du Centre de crise et de soutien du MEAE ont été élargies ; le Centre est doté de fonds spécifiques, notamment le Fonds de stabilisation, doté d’un capital de 15 millions EUR par an. En 2016, l’AFD et le ministère des Armées ont signé un accord-cadre de concertation et d’appui mutuel (ministère des Armées, 2016).
L’ambition française de devenir un bailleur de référence dans les contextes fragiles et de crise s’appuie sur une longue expérience d’intervention et une gamme élargie d’instruments financiers. Dans les contextes de conflits, l’importance du lien entre sécurité et développement est partagée par les intervenants civils comme militaires, ce qui favorise une analyse commune des facteurs de fragilité. Néanmoins, des obstacles demeurent avant que la France n’atteigne son objectif :
Des procédures peu adaptées : un an après sa création, le Gouvernement français a décidé de doubler le montant attribué à la Facilité pour l’atténuation des vulnérabilités, pour atteindre 200 millions EUR par an d’ici à 2020 (MEAE, 2018a). Gérée par l’AFD, cette facilité a cependant recours à des procédures d’identification et de formulation des projets qui ne sont pas adaptées aux contextes fragiles. Par exemple, l’AFD se fonde sur son expertise et son réseau pour déterminer les besoins, mais plus d’un an s’écoule avant la mise en œuvre d’un projet et les décaissements sont encore lents. Cela ne permet pas de répondre aux besoins des populations de manière à prévenir et stabiliser les zones à risques (notamment dans la région prioritaire du Sahel) en coordination avec le Fonds de stabilisation du Centre de crise et de soutien.
La prévention des crises n’est pas suffisamment mise en exergue : grâce à sa présence encore importante dans les pays fragiles prioritaires, la France dispose d’un réseau lui permettant de capter les signaux avant-coureurs des crises. De même, le Centre de crise et de soutien s’est doté d’un système d’alerte précoce en 2014. Ce système gagnerait à être plus intimement relié aux mécanismes de prévention des crises (comme le Fonds de stabilisation, dont la mission au Niger a démontré la pertinence10, et qui pourrait être renforcé), ainsi qu’à la Facilité pour l’atténuation des vulnérabilités de l’AFD (annexe C).
Un modèle encore peu clair pour l’Alliance Sahel : ce modèle est conçu pour améliorer l’efficacité de la coopération pour le développement dans cette région très vulnérable. Cependant, le Sahel est caractérisé par de multiples aides (assistance sécuritaire, aide au développement et aide humanitaire), un nombre très important de bailleurs et d’opérateurs ayant des procédures et des approches différentes11, et des capacités nationales limitées pour absorber et coordonner cet afflux massif. Il en résulte une grande complexité bureaucratique et une certaine inefficacité dans l’allocation et l’usage de l’aide. Si l’Alliance Sahel vise à renforcer la coordination des partenaires afin de délivrer une aide plus rapide, plus efficace et mieux ciblée (MEAE, 2017), la France devrait clarifier auprès de ses partenaires en quoi l’Alliance diffère des initiatives et mécanismes existants.
Un déséquilibre dans l’approche globale : comme l’a démontré la mission au Niger, les aspects militaires peuvent rapidement prendre une place prépondérante dans le portefeuille d’interventions, selon l’urgence des enjeux (annexe C). Cela peut créer un déséquilibre, qui opère au détriment des aspects structurels moins visibles mais néanmoins importants de la coopération au développement, comme la justice ou la sécurité intérieure. Les personnels des ministères civils rencontrés par les examinateurs constatent une nette tendance de la France à soutenir les efforts militaires nationaux, et la France doit alors veiller au risque de voir l’aide au développement mise au service des seuls objectifs sécuritaires.
Logique qui oriente à la prise de décisions
Indicateur d’examen par les pairs : la politique donne des orientations suffisantes pour guider les décisions d’engagement et la sélection des canaux d’acheminement
La France s’appuie sur divers partenaires, dont elle reconnaît les atouts pour mettre en œuvre sa politique de développement. Cependant, la dispersion des allocations budgétaires rend presque impossibles l’arbitrage et le choix des différents partenaires sur la base de critères clairs. La nouvelle stratégie multilatérale met en avant les priorités de la France. Elle devra faire ses preuves lors de futures réorientations de l’aide multilatérale.
La France adopte une démarche de partenariats précise, mais il est impossible de déterminer l’adéquation entre les allocations et les atouts des différents partenaires
Conformément à la politique transversale du pays, la politique de développement de la France est répartie sur 24 programmes budgétaires. Un document de politique transversale annexé au projet de loi de finances vise à retracer l’ensemble de ces financements (MEAE, 2018b). La lisibilité des engagements de la France aux différents échelons (sous-national, national, régional ou mondial), pourrait néanmoins être améliorée, de même que la capacité à les évaluer en fonction de critères bien définis. En outre, les recettes des taxes de solidarité sur les billets d’avions et les transactions financières fléchées pour l’aide au développement étant versées dans un fonds séparé pour appuyer les biens publics mondiaux (Encadré 3.1), elles ne donnent pas lieu à un débat et à un vote spécifique au Parlement sur leur utilisation, contrairement aux moyens figurant sur le budget de l’État.
Cependant, la France a établi de nombreux partenariats avec les différents acteurs qui interviennent à différents niveaux. Elle reconnait le rôle essentiel joué par les parties prenantes non-étatiques, y compris, et sans que cela ne soit exhaustif, les sociétés civiles, les collectivités territoriales, le secteur privé et les instituts de recherche et d’enseignement (chapitre 5).
À la suite des recommandations émises lors d’une évaluation sur la contribution des acteurs de la société civile menée en 2015, le MEAE a défini un document d’orientation qui clarifie la logique de partenariat des organisations de la société civile, en concertation avec ces dernières (MEAE, 2016). Ce document reconnaît les spécificités de la société civile, notamment son rôle « d’aiguillon » pour décloisonner les idées et les actions, élément essentiel pour réaliser un développement durable à l’échelle mondiale ; sa fonction pédagogique et de mobilisation citoyenne ; et sa capacité à agir en amont et lorsque l’État ne peut pas intervenir (MEAE, 2017b).
La LOP-DSI de 2014 entérine la reconnaissance législative de l’action extérieure des collectivités territoriales. Le livre blanc Diplomatie et territoires définit 21 propositions pour un partenariat entre l’État et les collectivités territoriales françaises et il fait le constat des atouts des collectivités françaises, à savoir leur expertise technique ; leur savoir-faire méthodologique sous l’angle géographique d’un territoire de taille comparable ; et le professionnalisme croissant des cadres territoriaux, ainsi que des institutions publiques ou privées locales (MEAE et CNCD, 2017). Les partenariats de l’AFD avec les collectivités françaises se présentent sous forme de cofinancements de projets, de financements parallèles ou d’échanges d’informations techniques (Assemblée nationale, 2017).
Le MEAE est partenaire du secteur privé sur les questions d’économie sociale et solidaire, notamment à travers la mise en place du groupe de travail «ºInnover ensembleº». L’AFD encourage également un partenariat actif avec le secteur privé, premier créateur d’emplois dans les pays en développement. L’AFD considère que le secteur privé jouera un rôle croissant dans le financement de grandes transitions ‑ qui nécessiteront de nouvelles ressources – et jouera un rôle moteur dans le domaine de l’innovation et du progrès technique.
En 2015, la France avait lancé une réflexion sur le rôle des partenariats avec les instituts de recherche. Deux des quatre objectifs de la France pour ce partenariat sont d’accompagner les pays en développement dans la recherche et la formation, et de renforcer les capacités des PMA. Dans les faits, l’accent est plutôt mis sur les questions climatiques, ce qui peut paraître logique au vu de l’expertise et des enjeux prioritaires de la France (chapitre 3).
La nouvelle stratégie multilatérale serait l’occasion d’avoir un dialogue plus structurant avec les partenaires multilatéraux
La France a élaboré une Stratégie française pour l’aide multilatérale 2017-2021 (MEAE et MINEFI, 2017), en réponse à la recommandation de l’examen par les pairs de 2013 (annexe A). La Stratégie met en avant les dix priorités thématiques et géographiques (Graphique 2.1) que défend la France avec succès auprès des conseils d’administrations des institutions financières. Cela lui permet d’orienter les financements en faveur des pays les plus pauvres et les plus fragiles, ou en faveur d’actions liées au climat. En revanche, la Stratégie ne met pas en avant des critères d’affectation clairs et précis pour les futures allocations multilatérales.
La France concentre son aide multilatérale sur quelques agences prioritaires, comme le Fonds européen de développement de l’Union européenne ; l’Association internationale de développement de la Banque mondiale ; le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme ; et le Fonds africain de développement de la Banque africaine de développement. D’après les conclusions du dernier CICID (MEAE, 2018a), la France cherche à accroître ses contributions volontaires aux Nations Unies. Compte tenu de sa marge de manœuvre limitée pour augmenter ses contributions multilatérales au-delà des agences prioritaires et de sa volonté d’augmenter la composante bilatérale de l’APD, cela représentera un défi (chapitre 3).
Hormis ses engagements pris lors des reconstitutions des banques de développement et des fonds thématiques, sa participation au groupe Utstein12 et les consultations annuelles organisées avec le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), la France n’est pas inscrite dans un engagement pluriannuel ou un dialogue stratégique avec les agences multilatérales sur ses objectifs ou les retombées possibles d’un partenariat plus structurant. De même, l’élaboration de la stratégie multilatérale n’a pas fait l’objet d’un dialogue avec les partenaires multilatéraux. Cette situation est aggravée par le fait que chaque agence multilatérale a plusieurs interlocuteurs du côté français (AFD, MEAE, Expertise France, ministères sectoriels), qui ne se coordonnent pas systématiquement entre eux et n’ont pas forcément les mêmes priorités ou objectifs13.
La France réalise des évaluations détaillées des agences multilatérales uniquement concernant ses contributions aux fonds et aux institutions financières internationales, en plus de celles réalisées à travers le MOPAN. Elle inclut les résultats dans son « Rapport bisannuel de mise en œuvre de la stratégie française d’aide au développement » à l’intention du Parlement et de la société civile. Membre de longue date du MOPAN14, la France utilise déjà les rapports produits par ce réseau. Elle pourrait cependant mieux coordonner les différentes entités qui décident des financements multilatéraux pour tirer le maximum de sa participation auprès du réseau MOPAN et faciliter ainsi la prise compte des priorités spécifiques de la France.
Références
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Nations Unies (2017), Equipe Pays des Nations Unies au Niger, http://ne.one.un.org/content/unct/niger/fr/home/l-onu-au-niger/ep.html (consulté le 26 février 2018).
OCDE (2018), « Aide à l’appui de l’égalité homme-femme et de l’autonomisation des femmes », www.oecd.org/fr/developpement/financementpourledeveloppementdurable/themes-financement-developpement/Aide-egalite-homme-femme-2018.pdf (consulté le 09 mars 2018).
OCDE (2014), Examen par les pairs de l’OCDE sur la coopération au développement - France 2013, OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/9789264196216-fr (consulté le 28 février 2018).
UNOCHA (2017), Plan de réponse humanitaire : Niger, UNOCHA, www.unocha.org/sites/unocha/files/dms/NRE_HRP_2018_FINAL.pdf (consulté le 26 février 2018).
Notes
← 1. Le G5 Sahel est un cadre institutionnel de coordination et de suivi de la coopération régionale en matière de politiques de développement et de sécurité, créé lors d'un sommet en février 2014 de cinq États du Sahel : Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad.
← 2. Selon la décision du CICID 2016 qui remplace la décision du CICID 2013 : « Le Gouvernement décide de consacrer au moins 85 % de l’effort financier de l’État en faveur du développement en Afrique subsaharienne et dans les pays voisins du Sud et de l’Est de la Méditerranée »;
← 3. Au Liberia, une enveloppe de dons totalisant 10 millions EUR sera débloquée pour soutenir les premiers projets de développement. La France s’est également engagée à soutenir le Liberia dans ses négociations auprès du Fonds monétaire international et à plaider sa cause en Europe afin de réunir des financements (Châtelot, 2018).
← 4. En moyenne, 96.5 millions USD par an versés à l’ensemble des 17 pays prioritaires en 2015-16.
← 5. Ces indicateurs comprennent le coût État des prêts d'aide au développement de l'Agence française de développement (AFD) et des prêts concessionnels du Trésor, ainsi que le coût des annulations de dettes octroyées dans le cadre du Club de Paris (chapitre 3).
← 6. En plus de ces stratégies, l'AFD a élaboré une stratégie numérique qui l'encourage à développer des actions d'appui aux écosystèmes d'innovation dans les pays en développement.
← 7. En tenant compte de toute l'APD française, 84 % des activités ventilables bilatérales sont examinées (OCDE, 2018).
← 8. Un exemple des facteurs de bien-être social et réduction des déséquilibres, et de notation de l'avis de développement durable : « Le projet pourrait entraîner des créations d’emplois dans le personnel portuaire, les travaux de génie civil, les industries de transformation des produits halieutiques. Il pourra toutefois également impliquer des déplacements de populations civiles, qui feront l’objet d’un plan complet de relocalisation des populations et d’acquisition foncières. Note proposée : 0 ». (AFD, 2014).
← 9. D'autre part, l'AFD a tenté de déterminer dans quelle mesure ses opérations ciblent les personnes moins aisées et contribuent à réduire les inégalités dans le pays en question, conformément à l'ODD 10. Elle n’a jusqu’à présent pas donné suite à cet exercice.
← 10. Au Niger, le Fonds de stabilisation a été mobilisé pour réaliser des actions rapides de renforcement de la présence de l’État dans les zones les plus sensibles d’un point de vue sécuritaire ; effectuer une veille des radios communautaires afin de déceler les signes de radicalisation ; ou encore aider le ministère de la Justice nigérien à accélérer l’instruction des prisonniers de Boko Haram dans la région de Diffa.
← 11. Par exemple, 19 membres du CAD ont mobilisé une aide en 2016 pour le Niger uniquement (Système de notification des pays créanciers [SNPC], consulté le 15 février 2018) ; 20 agences des Nations Unies participent au plan-cadre pour le développement des Nations Unies au Niger (Nations Unies, 2017) ; et 175 organismes humanitaires participent au plan de réponse humanitaire pour le Niger (UNOCHA, 2017).
← 12. Le groupe Utstein permet aux États membres du groupe d’entretenir un dialogue avec les agences, fonds et programmes des Nations unies sur leurs orientations stratégiques et organisation interne.
← 13. L'aide multilatérale de la France est principalement répartie entre deux programmes budgétaires – le programme 209 (géré par le MEAE), qui alimente le Fonds européen de développement, le Fonds mondial et les agences onusiennes ; et le programme 110, qui contribue aux institutions financières (sans parler des fonds extrabudgétaires).
← 14. Réseau de mesure des performances des organisations multilatérales (www.mopanonline.org/).