Si pendant des décennies, le Québec a connu un chômage structurel élevé (supérieur à plus de 10 % pendant les années 90), une forte croissance économique a ramené depuis 2017 le taux de chômage sous la barre des 6 %, soit l’un des taux les plus faibles au Canada. L’activité économique, toujours forte, se conjugue aujourd’hui à un vieillissement de sa population parmi les plus élevés de l’OCDE. En conséquence, certaines régions sont désormais presque en situation de plein emploi et le Québec est entré dans une période de rareté de main d’œuvre, qui risque de se transformer en pénurie de main d’œuvre d’ici quelques années. Tous les voyants sont donc au vert pour permettre une pleine intégration sur le marché du travail de groupes plus vulnérables, comme les immigrants.
Intégrer les immigrants pour stimuler l’innovation au Québec, Canada
Chapitre 1. Évaluation et recommandations
Après des décennies de chômage élevé, le Québec est désormais proche du plein emploi
Les raretés de main d’œuvre sont devenues la raison principale de l’appel à l’immigration des entreprises
Certains secteurs d’activité n’ont plus d’autres choix que de faire appel à la main d’œuvre immigrante pour pourvoir les postes vacants, que ce soit via des immigrants déjà résidents permanents au Canada, ou par des travailleurs temporaires recrutés de l’étranger. En 2018, les immigrants occupent ainsi environ 17 % des emplois au Québec, contre environ 11 % en 2006. D’après une enquête de l’OCDE, deux tiers des employeurs ont fait appel à l’immigration au cours des 12 derniers mois, pour les trois quarts d’entre eux à cause d’une rareté de main d’œuvre, voire jusqu’à quatre sur cinq en régions (régions hors agglomération de Montréal). Sur la période 2017-2026, Emploi-Québec estime que près de 1.4 millions d’emplois seront à pourvoir, dans leur grande majorité pour pallier les départs à la retraite. L’appel des entreprises à l’immigration, si elle ne peut être le seul moyen pour combler les raretés de main d’œuvre, est fondamentalement nécessaire.
Les employeurs demandent plus de support gouvernemental
C’est pourquoi les employeurs sont particulièrement demandeurs pour que le gouvernement du Québec leur facilite la procédure de recrutement des personnes immigrantes et des travailleurs étrangers temporaires. D’après l’enquête de l’OCDE, deux employeurs sur cinq souhaiteraient que le Québec les aide à trouver des candidats étrangers. En parallèle, deux employeurs sur cinq appellent de leurs vœux une clarification et une accélération de la procédure d’embauche de travailleurs temporaires. Concernant les immigrants déjà résidents permanents, les entreprises souhaitent que le gouvernement leur offre des formations qui répondent mieux aux besoins des entreprises.
Mais les entreprises ne connaissent pas les services déjà existants
Ces demandes, si elles sont en partie fondées, ne doivent pas cacher un problème de connaissance général de ce que le gouvernement peut apporter aux entreprises québécoises, notamment aux plus petites, qui n’ont ni le temps ni les moyens humains pour gérer un processus de recrutement de l’étranger. En effet, parmi les entreprises interrogées, 17 % seulement ont déjà utilisé des services du gouvernement pour recruter des immigrants. Plus de la moitié d’entre elles ne connaissent simplement pas l’existence de ce type de services, et les trois quarts ne connaissent pas le portail gouvernemental Entreprises Québec, qui permet d’accéder aux services d’aide aux entreprises du gouvernement. Entreprises Québec, bien qu’il soit relativement nouveau, doit accroître ses efforts pour aller vers les entreprises, plutôt qu’attendre que ces dernières aillent vers elle. Elle doit mettre tout en œuvre pour soutenir les employeurs dans la planification et le développement de leur force de travail avant que les besoins apparaissent, de manière à éviter le contexte d’urgence qui prévaut de plus en plus, notamment en régions. À ce titre, l’outil de Gestion prévisionnelle de la main d’œuvre (GPMO) développé en Beauce est un bon exemple d’initiative aidant les entreprises à mieux anticiper ces besoins.
Mobiliser les employeurs est une clé de succès
Le milieu des affaires doit jouer un rôle plus proactif pour aider les entreprises dans leur recrutement d’immigrant. Seul un tiers des employeurs a bénéficié de l’aide d’autres entreprises ou de réseaux d’employeurs. Ces réseaux doivent faciliter le partage d’expériences entre employeurs, jouer un rôle moteur dans le recrutement et l’accueil des immigrants, et permettre le développement de programmes d’accompagnement aux entreprises pour les aider à mieux intégrer les nouveaux arrivants, comme des programmes de mentorat en entreprise par exemple. Ces programmes doivent être mis en commun par les réseaux d’employeurs afin de profiter à un maximum d’entreprises, notamment les plus petites. La plus grande implication du milieu des affaires est fondamentale pour réussir l’intégration des immigrants. L’expérience d’autres pays de l’OCDE, et d’ailleurs au Canada, montre bien que l’abondance d’emplois n’est pas suffisante pour assurer l’intégration et que les employeurs sont les mieux placés pour renforcer les capacités entre eux, établir les connexions nécessaires et améliorer leurs pratiques par émulation.
Les immigrants au Québec sont parmi les plus diplômés de l’OCDE, ce qui ne les protège pas de grandes difficultés d’accès à un emploi de qualité
La catégorie économique, sélectionné sur des critères d’employabilité, représente 54 % de l’ensemble des immigrants au Québec. En conséquence, l’immigration au Québec est une des plus qualifiées des pays de l’OCDE et même du Canada. Les deux tiers des immigrants ont un niveau d’éducation élevée, d’après la Classification internationale type de l’éducation, soit deux fois plus que dans la plupart des pays d’Europe occidentale ou des États des États-Unis. Pourtant, un plus haut niveau de diplôme n’est pas suffisant pour bien s’insérer sur le marché du travail. Le taux d’emploi des immigrants ayant un haut niveau d’éducation est ainsi inférieur à celui de leurs homologues natifs de 5 points de pourcentage. Si l’écart entre les deux groupes est bien moindre que dans les pays d’Europe, il reste important comparé aux États-Unis, où le taux d’emploi des immigrants ayant un niveau d’éducation élevé est similaire à celui des natifs de même niveau d’éducation. De plus, quand ils accèdent à l’emploi, les immigrants ayant un diplôme tertiaire peinent à trouver un travail en accord avec leurs qualifications : leur taux de surqualification est un des plus élevés de l’OCDE.
Un déclassement qui représente une opportunité économique ratée
Près d’un immigrant sur deux ayant ce niveau de diplôme est surqualifié (déclassé) au Québec, un des niveaux les plus élevés de l’OCDE, dépassé seulement par le Manitoba au Canada et par l’Espagne ou la Grèce en Europe. Le taux de surqualification des immigrants est de 20 points de pourcentage supérieur à celui des natifs dans l’ensemble du Québec. Et ce fort déclassement est visible dans toutes les régions du Québec, et pas uniquement à Montréal et dans les régions de son aire métropolitaine. Le problème est tel au Québec que la province est une des rares régions de l’OCDE où des initiatives de lutte contre la surqualification ont été mises en place. Un exemple est le programme Interconnexion de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM), qui vise à interconnecter les immigrants qualifiés avec des employeurs potentiels qui peuvent leur offrir des emplois en rapport avec leurs compétences.
Ces difficultés concernent toutes les catégories d’immigration
De manière générale, le fait d’avoir été sélectionné n’est pas suffisant pour permettre une aussi bonne insertion sur le marché du travail que les natifs du Canada. De fait, presque toutes les catégories d’immigration au Québec sont plus touchées par le chômage que les natifs. Pour exemple, les immigrants familiaux parrainés par une personne déjà résidente permanente, ou les réfugiés, qu’ils soient réinstallés ou qu’ils aient été protégés au Canada, ont un taux de chômage autour de 11 % en 2016, contre 6.6 % pour les natifs. Quand ils ont un emploi, leurs salaires restent nettement inférieurs à ceux de l’ensemble des 25-54 ans – presque moitié moins après 10 ans de séjour pour les immigrants de ces catégories arrivés en 2006, y compris les familles accompagnant les immigrants économiques. Toutes ces catégories non sélectionnées disposent d’un accès de droit aux services d’aide à l’employabilité et d’intégration, au même titre depuis 2019 que les résidents non permanents. Pourtant cet accès n’est pas encore effectif dans la réalité pour ces groupes plus vulnérables. Le taux de chômage des résidents non permanents atteint ainsi 14 %. Si le Québec veut mieux profiter du potentiel des travailleurs temporaires et des immigrants non sélectionnés et les inciter à rester sur le territoire afin de contribuer à résorber les difficultés de recrutement du Québec, il doit renforcer les interventions à destination de ces groupes, en rendant effective l’ouverture de l’ensemble des services à ces catégories et en formant les agents aux besoins de cette clientèle particulière.
Y compris l’immigration économique, pourtant la plus sélectionnée
Mais même l’immigration économique (demandeurs principaux et famille accompagnante) affiche un taux de chômage supérieur à ceux des natifs : 9.6 % des immigrants entrés au titre du programme des travailleurs sont au chômage au Québec en 2016. Encore une fois ceux qui obtiennent un emploi éprouvent toujours de plus amples difficultés à accéder à un emploi de qualité. Le Québec fait partie des trois provinces/territoires du Canada où les immigrants économiques nouvellement entrés ont les salaires les plus faibles, après prise en compte du coût de la vie. Cette catégorie (famille accompagnante exclue) doit attendre 6 ans avant de rattraper le niveau de salaire de l’ensemble de la population de 25-54 ans. Seuls les immigrants du programme de l’expérience canadienne (anciens travailleurs temporaires ou étudiants ayant bénéficié d’une passerelle vers la résidence permanente suite à leur expérience dans le pays) ont des taux de chômage significativement plus faibles que les natifs et des salaires parmi les plus élevés du reste du Canada. Ce constat confirme que ce canal doit être renforcé, même s’il ne peut devenir le canal unique de sélection de l’immigration permanente.
Le système de sélection semble ne pas répondre correctement aux besoins locaux du marché du travail
Face à ces indicateurs d’insertion sur le marché du travail plutôt défavorables, la question se pose si l’immigration sélectionnée par le Québec est adaptée aux besoins de son marché du travail. Le système de sélection du Québec est autonome du système canadien. Il souhaite, comme les autres provinces canadiennes attirer en priorité des immigrants du secteur de la connaissance, à forte valeur ajoutée. Pourtant, l’économie du Québec, notamment en région, est encore beaucoup basée sur le secteur manufacturier et industriel (22 % des emplois) ou sur d’autres secteurs à faible valeur ajoutée. Le nouveau système de sélection à points ARRIMA, inspiré du système d’expression d’intérêt mis en place dans le reste du Canada depuis 2015, devrait permettre d’améliorer la sélection de manière dynamique selon des objectifs économiques et politiques, à partir d’un bassin de candidats présélectionnés. Néanmoins, il n’est pas encore clair qu’il puisse parfaitement répondre aux besoins de recrutement des entreprises.
Le manque de prévisibilité des critères d’invitation du nouveau système de déclaration d’intérêt (ARRIMA) pourrait nuire à l’attractivité du Québec
Tout d’abord, les critères qui sont prioritaires pour être invité à présenter une demande dans le cadre du Programme régulier des travailleurs qualifiés (PRTQ) n’étaient pas encore clarifiés au moment de la réalisation de l’étude. Or, comme les critères d’invitation utilisés ne sont pas publiés, cela pourrait décourager certains immigrants à déposer une déclaration d’intérêt, ce qui pourrait nuire à l’attractivité du Québec vis-à-vis des immigrants les plus qualifiés. Si le niveau de langue française ou l’existence d’une promesse d’embauche sont logiquement mis en avant, l’utilisation des spécialités de formation de l’immigrant dans la sélection n’augure pas foncièrement une correspondance avec les besoins de recrutement des entreprises. Au moment de l’étude, les employeurs ignorent que certains étrangers présents dans le bassin, mais encore non sélectionnés, pourraient avoir le profil pour combler leurs difficultés de recrutement. Or près de la moitié des employeurs déclare ne pas avoir recruté d’immigrants, car ils n’ont reçu aucune candidature de leur part. Le système de déclaration d’intérêt, par la plateforme ARRIMA, devrait être doté d’un portail employeur accessible aux entreprises du Québec prêtes au recrutement international dans le cadre d’un accompagnement par un conseiller en immigration régionale ou d’un conseiller en recrutement international. Sous cette condition, les employeurs pourront avoir accès aux caractéristiques socioprofessionnelles des personnes ayant déposé une déclaration d'intérêt. Cela leur permettra d'avoir une liste de candidats potentiels, de communiquer avec ceux qui souhaitent immigrer au Québec (ou qui s’y trouvent déjà) et de leur offrir une opportunité d’emploi. Le Portail employeurs d’ARRIMA est une interface complémentaire au système gouvernemental existant de Placement en ligne Québec (PEL), qui permet notamment aux entreprises d’afficher des offres d’emploi (semblable au guichet de l’emploi du Canada, au niveau fédéral). Il faudra toutefois que le conseiller qui accompagnera les entreprises autorisées s’assure que les employeurs ne fassent pas l’impasse sur les demandeurs d’emploi locaux au moment de leur recherche au profit exclusif des candidats étrangers présents dans ARRIMA. Ensuite, le Québec doit aussi communiquer de manière plus transparente sur les perspectives d’emploi réelles que peuvent attendre les immigrants sélectionnés. D’après des consultations réalisées par l’OCDE dans cinq régions du Québec (Capitale-Nationale, Centre-du-Québec, Chaudière-Appalaches, Estrie, et Montréal), sept acteurs locaux sur dix pensent que les immigrants ne connaissent pas les domaines d’activité économique du Québec. Or s’ils ne connaissent pas bien leurs débouchés, les immigrants auront d’autant plus de mal à s’insérer sur le marché du travail.
Régionaliser le système de sélection
Le système de sélection n’est pas foncièrement adapté pour attirer les immigrants en régions, là où les difficultés de recrutement sont les plus difficiles à combler. ARRIMA devrait bien donner la priorité aux immigrants ayant une offre d’emploi validé en région, en leur accordant plus de points dans le processus de sélection. Toutefois, les souhaits d’installation sont des promesses, elles n’ont rien d’obligatoire et ne sont donc pas vérifiées après l’arrivée au Québec, étant donné le droit constitutionnel à la liberté de circulation qui prévaut dans l’ensemble du Canada. S’il veut attirer les immigrants de l’étranger directement en région, le Québec peut expérimenter deux canaux distincts. Il peut donner la priorité à l’installation en régions dans le système de sélection, tout en trouvant des moyens d’inciter les immigrants permanents à y rester. Les régions, en faisant jouer les synergies entre la communauté d’accueil et le monde de l’entreprise, pourraient ainsi développer une offre avantageuse aux nouveaux arrivants (logements gratuits, primes financières, accès privilégiés à certaines infrastructures, etc.), à l’image de ce que font déjà certains employeurs en difficultés de recrutement pour attirer des travailleurs temporaires. À défaut de jouer sur l’immigration permanente, le Québec pourrait promouvoir la régionalisation de la gestion des migrations temporaires. Dans le contexte actuel de rareté de main d’œuvre, il est étrange que les régions aient la main sur la migration économique permanente et non pas sur les programmes temporaires de travailleurs qui sont actuellement une compétence fédérale.
Le niveau de français est l’un des principaux obstacles à l’intégration des immigrants
Si une sélection plus adaptée peut aider à améliorer l’intégration des immigrants sur le marché du travail du Québec à court terme, les barrières à l’intégration sont le vrai défi à relever à moyen terme. Quel que soit le profil des immigrants, tous font face à trois principaux obstacles pour s’intégrer, en tête desquels on retrouve le niveau de français selon les employeurs. En effet, la moitié des employeurs enquêtés jugent que la maîtrise de la langue française est un obstacle à l’intégration des immigrants, notamment dans les plus grandes entreprises (plus de 50 employés). Il est presque impossible au Québec de travailler sans maîtriser au moins la langue officielle du Québec (français). Parler le français est donc fondamental, mais les immigrants n’ont pas facilement accès à des cours de français adaptés à leurs besoins individuels précis, notamment en régions, et ces derniers ne sont pas suivis pendant leurs parcours de francisation, ce qui donne au final des taux de réussite très bas. Les efforts déjà consentis par le Québec pour mieux adapter son offre de formation en cours de français aux secteurs d’activité auxquels se destine la personne immigrante doivent continuer. Il est nécessaire d’augmenter le nombre de formations de ce type proposées sur le lieu de travail, en mutualisant si nécessaire les moyens de plusieurs entreprises.
Mais la langue française ne suffit pas toujours à accéder à l’emploi au Québec
Toutefois, maîtriser la langue française ne suffit pas dans l’économie du Québec, y compris dans les régions les plus francophones. Cet avantage est plus important que pour les non-immigrants dans la majorité des régions et semble montrer que le bilinguisme individuel confère un avantage pour accéder à l’emploi.
La reconnaissance des diplômes est également un obstacle majeur
En plus de la maîtrise de la langue française, plus d’un employeur enquêté sur cinq pense que les difficultés à faire reconnaître ses diplômes étrangers est un obstacle majeur à l’insertion sur le marché du travail des immigrants, une conclusion que l’on retrouve dans la plupart des pays de l’OCDE. Le taux d’emploi des immigrants ayant un diplôme d’études postsecondaires de l’étranger est en effet de 73 %, quand celui de ceux ayant étudié au Canada est de 84 %, un taux proche de celui des natifs. Différents types de procédures existent en reconnaissance des compétences au Québec. Premièrement, les établissements d’enseignement effectuent leur propre reconnaissance d’équivalence. Les organismes de réglementation font de même, avec leurs règles propres. Les employeurs, par ailleurs, peuvent reconnaître l’expérience et les études dans le cadre de l’embauche d’un candidat formé à l’étranger. À ce titre, l’avis d’expert nommé Évaluation comparative des études effectuées hors du Québec (ÉCÉ) du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) apprécie le niveau et le domaine du diplôme étranger au regard du système québécois. Cette procédure est peu connue : un tiers des acteurs locaux consultés pensent que personne n’incite les immigrants à procéder à cette évaluation. De plus, la reconnaissance n’est pas foncièrement prise au sérieux par les employeurs qui en ont connaissance, ces derniers privilégiant l’expérience professionnelle réalisée au Québec. Deuxièmement, les professions réglementées ont toutes leur propre système de reconnaissance des diplômes, mais ce processus jugé complexe et fastidieux n’évolue guère alors que les besoins de recrutement se font sentir.
Des moyens existent pour accélérer et rendre plus effective les procédures de reconnaissance déjà existantes
Au final, sur la période 2012-2015, la moitié des personnes immigrantes cherchant à exercer une profession réglementée n’ont eu qu’une reconnaissance partielle, et doivent parfois patienter pendant un an avant de se voir proposer une formation complémentaire. Il pourrait être opportun de provoquer un choc en termes de reconnaissance des qualifications. Cela pourrait se faire en facilitant et accélérant la procédure, à l’image de ce que la ville de Stockholm a fait du programme Fast Track de l’Agence pour l’emploi de la Suède. La ville offre à ce titre des cours qui combinent l’apprentissage de la langue et d’une profession pour les nouveaux arrivants ayant déjà une expérience professionnelle similaire à l’étranger. Les formations passerelles après une reconnaissance partielle devraient aussi être proposées tout de suite après l’évaluation, ces formations pouvant être subventionnées par le gouvernement, à l’image de ce que permet déjà le programme IPOP pour les personnes formées à l’étranger référées par un ordre professionnel. Ces derniers doivent être poussés à présenter des objectifs en termes de traitement des demandes de reconnaissance, et doivent être encouragés à mettre en place des examens professionnels adaptés aux immigrants. Il faut souligner que seuls les ordres professionnels sont habilités à établir si le diplôme et la formation obtenus à l’étranger sont équivalents à ceux du Québec. Le commissaire à l’admission ne constitue pas un mécanisme d’appel ou de révision d’une décision : il ne peut délivrer de permis ou de certificat de spécialiste au nom d’un ordre, ni modifier une décision, ni ordonner la modification d’une décision.
Les habitudes professionnelles posent également problème pour l’insertion des immigrants sur le marché du travail
Enfin, le dernier obstacle majeur à l’intégration sur le marché du travail des personnes immigrantes, cité par un tiers des employeurs, est le problème des pratiques professionnelles différentes. Les habitudes professionnelles dans le pays d’origine peuvent être suffisamment différentes de celles du Québec que cela peut entraîner une incompréhension sur le lieu de travail entre les travailleurs immigrants, leurs collègues et la hiérarchie. Afin de rendre effective l’intégration des nouveaux arrivants dans l’entreprise qui les a recrutés, les immigrants d’une part, et les natifs d’autre part doivent être mieux formés à la compréhension interculturelle. Les immigrants peuvent bénéficier d’activités favorisant la compréhension de la culture professionnelle locale et les natifs d’initiatives de lutte contre la discrimination à l’embauche et sur le lieu de travail.
La formation à la compréhension interculturelle est insuffisamment financée
Un des principaux soucis concernant les formations à la compréhension interculturelle est leur manque de financement dédié. L’adaptation à la culture professionnelle locale et la lutte contre la discrimination sont relativement souvent abordées au cours de formations en francisation, professionnelle ou de gestion de la diversité par les entreprises. Mais aucune initiative visant uniquement ces deux thèmes n’existe, car aucune subvention gouvernementale n’est octroyée sur ces problématiques exclusivement.
Il y a peu d’initiatives d’aide à l’entrepreneuriat pour les immigrants
L’offre de service concernant l’aide à la création et à la reprise d’entreprise est également insuffisante, alors que l’entrepreneuriat est un moyen efficace de créer une activité en accord avec ses compétences, surtout quand l’obtention d’un emploi salarié ne le permet pas. Un tiers environ des acteurs locaux consultés connaissent l’existence d’initiatives d’aide à l’entrepreneuriat ouvertes aux personnes immigrantes (aide au financement, mesure de soutien ou programmes de mentorat pour la création ou la reprise). Parmi les deux tiers restants, certains sont sûrs que ces mesures n’existent pas, mais la plupart ignorent de fait si ces mesures existent. Le monde de l’entrepreneuriat reste largement méconnu, même de la majorité des Québécois natifs. De plus, lorsque des mesures d’aide ou de soutien sont disponibles, elles ne sont pas adaptées aux personnes immigrantes. Le Québec à ce titre pourrait prendre exemple sur diverses initiatives locales observées dans d’autres pays de l’OCDE, comme la fabrique des « interpreneurs » de l’association SINGA à Paris, qui accueillent dans un même lieu des porteurs de projet réfugiés et natifs ; le paquet de formation « Crée ton propre travail » de la municipalité d’Amsterdam, complété d’aide financière ; ou encore le programme de mentorat de l’Agence pour l’Emploi de la ville de Vienne.
De manière générale, les formations pour lutter contre les barrières à l’accès à l’emploi sont peu adaptées, insuffisantes ou rigides
Ces problèmes d’insuffisance, de financement et de rigidité de l’offre de service se retrouvent pour d’autres formations d’aide à l’intégration par ailleurs. Les cours de francisation ne sont financés par le MIFI que quand une « masse critique » d’élèves est atteinte (que ce soit sur le lieu de travail ou ailleurs). Si ce nombre est variable selon la densité de population, il n’en reste pas moins que la population immigrante est parfois trop faible pour que des cours soient proposés dans certaines régions plus rurales voire dans certains quartiers urbains de villes moyennes, même si l’ouverture récente de la francisation aux résidents non-permanents pourraient faciliter la formation de classes. Dans ces régions où il est difficile de conserver les immigrants, le MIFI ne devrait pas voir un cours de français exclusivement comme un coût financier, mais plutôt comme un investissement nécessaire au maintien des immigrants en région. En effet, attendre qu’une masse critique d’élèves soit présente pour ouvrir des cours de francisation comporte le risque que les immigrants en attente retardent leur intégration sur le marché du travail puis finissent par partir, quels que soient les autres efforts faits par la communauté d’accueil. Le coût de l’attente est donc au final plus grand que le coût d’un cours avec moins d’élèves. La même problématique se pose pour la formation professionnelle destinée aux immigrants, qui est moins accessible en dehors des grandes villes et qui, de plus, n’évolue pas assez vite pour prendre en compte les besoins évolutifs du marché du travail à l’égard des nouvelles formes de travail.
Les organismes spécialisés dans l’intégration des immigrants ne sont pas assez autonomes pour que leur offre s’adapte bien aux besoins locaux
Si les formations pour lutter contre les barrières à l’accès à l’emploi sont peu adaptées, insuffisantes ou rigides, c’est parce que les organismes spécialisés dans l’intégration ne sont pas assez autonomes. Les programmes d’intégration au Québec sont gérés par des acteurs associatifs locaux : les Organismes à but non lucratif (OBNL). Ces organismes sont très nombreux et proposent une offre très importante de services. Mais les programmes qu’ils gèrent sont définis et financés par deux ministères : le MIFI et le Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité Sociale (MTESS). La plus grande autonomie que souhaiteraient les acteurs locaux se heurte au système de gestion des ententes avec ces ministères. Les acteurs locaux demandent à ce que les ententes soient plus souples et flexibles, afin de mieux s’adapter aux besoins au niveau local. En effet, le cadre rigide des ententes peut empêcher la mise en place de dispositifs innovants permettant par exemple de faire évoluer plus vite les dispositifs de formation vers les besoins futurs du marché du travail et de l’immigrant ou encore de mutualiser les ressources en zones plus rurales afin de proposer des offres adaptées aux territoires. Par exemple, le programme de revitalisation de l’OBNL PAIS en zone rurale dans le Centre-du-Québec n’a trouvé aucune possibilité pour que ce projet soit financé à l’intérieur des programmes existants du MIFI (alors qu’un programme pilote d’immigration dans les communautés rurales et du Nord vient d’être lancé en 2019 dans le reste du Canada). Aux États-Unis, les Workforce Investment Boards permettent de demander de manière dérogatoire à se soustraire à une mesure précise de la loi et ce côté flexible permet de mieux répondre aux besoins locaux.
La coordination n’entraîne pas suffisamment d’actions concrètes
Le système rigide des ententes empêche également une meilleure coordination entre acteurs locaux. La concertation s’est grandement améliorée ces dernières années, notamment avec la création de tables de concertation régionales sur l’intégration et l’immigration, même si la majorité des acteurs consultés en région Estrie et Montréal se plaint d’un manque d’implication des différents partis. Dans certains cas, si les acteurs impliqués en viennent à collaborer et à se coordonner pour offrir un service complet aux personnes immigrantes, ils risquent de ne pas rencontrer leurs cibles et objectifs. Ils sont donc en même temps en coopération et aussi en compétition. Cette « coopétition » qui définit les relations entre ces différents acteurs peut agir comme une force d’inertie dans l’élaboration de programmes efficaces, notamment dans les régions où le nombre d’OBNL est important.
L’insuffisance de coordination rend floue l’offre abondante de programmes d’intégration
L’inertie est d’ailleurs d’autant plus bloquante que les programmes d’intégration gérés par les organismes communautaires sont rarement coordonnés. Selon les perceptions entendues lors des consultations, le MIFI et le MTESS peuvent en effet mettre en place des programmes qui se recoupent, mais dont les critères d’admissibilité sont différents, voire opposés (accessibilité à certaines catégories d’immigrants mais pas à d’autres, etc.). Il faudrait intégrer davantage les actions d’employabilité (Emploi-Québec/MTESS) et d’intégration (MIFI). Car dans la situation actuelle, les personnes immigrantes et les OBNL elles-mêmes doivent composer avec ces deux ministères, ce qui rajoute du flou à l’offre importante de service disponible. Cette offre abondante est en fait une force, mais aussi une faiblesse du système d’intégration québécois. Les personnes immigrantes à leur arrivée se perdent facilement face à tout ce qui leur est proposé. Les immigrants ont besoin d’être mieux aiguillés dans leur parcours d’intégration. La mise en place d’un guichet unique, qui accueillerait dès le départ puis accompagnerait le nouvel arrivant tout le long de son parcours en répondant de manière personnalisée à ses besoins, serait également très utile. Ce dispositif demande au préalable l’établissement d’une cartographie de l’ensemble des acteurs et des offres de formation afin de mettre en place un portail d’information et d’orientation, ce qu’aucune région étudiée ne dispose à l’heure actuelle. Elle demande aussi la mise en place d’un partage automatisé d’informations à la suite de chaque démarche effectuée par l’immigrant auprès d’un acteur donné, qui pourrait alimenter ledit portail.
L’emploi n’est pas suffisant pour intégrer les immigrants
Toutes ses mesures sont nécessaires à moyen terme pour améliorer l’insertion professionnelle des immigrants au Québec. Mais l’intégration ne se résume pas à l’emploi. Si le Québec veut attirer et retenir les immigrants dans ses régions, les communautés locales doivent également proposer des infrastructures d’intégration sociale (au sens large), pour le nouvel arrivant, mais aussi pour sa famille. Ce dernier point est peut-être un des plus grands défis que le Québec ait à relever. D’après les acteurs consultés, une grande partie des services d’intégration sociale ne sont pas accessibles ou le sont seulement partiellement dans les cinq régions étudiées. Un tiers des acteurs locaux jugent que l’accessibilité aux services de santé est insuffisante, près de la moitié pour les services d’aide au logement et les organismes de prestations familiales, ainsi que plus de la moitié pour les services de petite enfance. La plus grosse problématique concerne les moyens de transport, qui ne sont accessibles complètement que pour moins d’un acteur sur cinq, alors même que faire reconnaître son permis de conduire étranger est difficile. Les régions du Québec doivent impérativement investir plus dans ces infrastructures ou proposer des solutions alternatives, car quand ces services manquent, les immigrants et leur famille ne sont pas incités à rester, au même titre que les natifs par ailleurs. L’organisation d’activités extraprofessionnelles (repas, sorties culturelles, sport) est également un moyen facile et efficace de rapprochement entre les immigrants et les natifs.
À l’intérieur du Québec, plusieurs régions peinent à conserver ses immigrants, mais l’exode vers Montréal est un mythe
Le manque d’infrastructure est un problème notable qui empêche la rétention des immigrants dans certaines régions. C’est notamment le cas de plusieurs régions parmi les moins densément peuplées et où la population immigrante est relativement peu nombreuse. Plusieurs régions du nord-ouest et du nord-est du Québec, ainsi que l’Estrie, ont connu un bien plus grand nombre de départ d’immigrants d’âge actif vers d’autres régions que d’entrées. Cinq régions ont ainsi perdu au moins 5 % de cette population immigrante vers le reste du Québec entre 2011 et 2016. Contrairement à ce que l’inconscient collectif suggère, l’exode de la population immigrante des régions vers Montréal et sa grande couronne (composée de l’agglomération de Montréal et des régions frontalières) est un mythe. La migration nette interrégionale de Montréal et sa grande couronne (différence entre entrées et sorties du territoire à l’intérieur du Québec) est quasi nulle ; il y a même un peu plus de sorties d’immigrants vers le reste du Québec que d’entrées d’immigrants. Les régions qui profitent relativement plus de l’arrivée d’immigrants d’âge actif sont Chaudière-Appalaches, Outaouais et Capitale-Nationale.
Il faut continuer les efforts visant à régionaliser l’immigration
Il n’en reste pas moins que l’agglomération de Montréal continue à concentrer le plus gros de la population immigrante du Québec, alors qu’il existe des besoins de recrutement partout dans le Québec. L’exemple de l’Abitibi-Témiscamingue est assez criant. La région a des difficultés de recrutement particulièrement importantes, mais a vu 10 % de sa population immigrante partir pour le reste du Québec entre 2011 et 2016. Pour aider à mieux répartir la population immigrante à travers le Québec et afin de mieux répondre aux besoins de recrutement locaux, le gouvernement du Québec finance depuis quelques années des programmes dits « de régionalisation » : le programme « Un emploi en région », géré par les organismes communautaires Promotion intégration société nouvelle (PROMIS), Accueil liaison pour arrivants (ALPA) et Collectif des femmes immigrantes au Québec (CFIQ), ainsi que le programme « Un Emploi en sol québécois » de la Fédération des Chambres de Commerce du Québec (FCCQ). Ces programmes, qui s’adressent aux immigrants dont l’insertion professionnelle dans l’agglomération de Montréal ne correspond pas à leurs désirs (principalement sans emploi ou surqualifiés), permettent d’accompagner cette population dans leur mobilité et dans leur intégration en région. À l’image du projet autrichien « b.mobile » et du projet EMILE en France, ces programmes doivent être renforcés.
Mais surtout l’ensemble du Québec peine à conserver ses immigrants face à la concurrence du reste du Canada
Les immigrants du Québec n’ont pas foncièrement des velléités de partir à l’étranger. Le Québec est une des provinces du Canada et un des territoires de l’OCDE où la population immigrante (mais aussi native) souhaite le moins s’installer à l’étranger : seuls 10 % ont ce projet, soit au moins deux fois moins que les immigrants aux États-Unis, en France ou au Royaume-Uni. Par contre, les immigrants au Québec sont nettement attirés par les autres provinces et territoires du Canada. À l’exception de l’Outaouais (principalement située dans l’agglomération de la capitale fédérale Ottawa), l’ensemble des régions du Québec ne réussissent pas à garder leurs immigrants face à la concurrence du reste du pays. Près de la moitié d’entre elles a perdu entre 2011 et 2016 au moins 4 % de sa population immigrante d’âge actif par la migration interprovinciale, majoritairement vers l’Ontario. Les sorties nettes d’immigrants de cet âge vers le reste du Canada sont plutôt des diplômés universitaires, mais un nombre significatif est également moins diplômé, notamment dans les régions situées entre Montréal et la Capitale-Nationale. Les immigrants parlant le français et l’anglais sont sans surprise plus souvent en mobilité sortante vers le reste du Canada anglophone que ceux qui sont uniquement francophones. La connaissance de l’anglais entraîne donc plus de mobilité sortante, mais cet effet négatif sur la rétention au Québec est compensé par l’effet positif qui est que parler les deux langues aide plus d’immigrants à s’insérer sur le marché du travail que parler uniquement le français ou l’anglais.
Mais ce constat concerne les natifs également
Cependant cette attirance vers le reste du Canada n’est pas l’apanage des immigrants au Québec. Elle concerne également les natifs qui, dans quasiment toutes les régions (les régions très éloignées et l’Outaouais en sont l’exception), sont plus nombreux à partir vers les autres provinces du Canada qu’à en provenir. Cette situation permet de mettre en perspective le problème d’intégration et de rétention des immigrants, puisque c’est le Québec dans son ensemble qui semble souffrir d’un problème d’attractivité. Les centres urbains comme Montréal et la région de la Capitale-Nationale n’échappent pas à ce constat.
Le Québec n’est pas suffisamment compétitif pour les talents et les entreprises à forte valeur ajoutée
Ainsi, les problèmes d’intégration de la population immigrante sont loin d’être la seule raison qui explique pourquoi cette dernière préfère partir du Québec pour s’installer dans les autres provinces et territoires du Canada. Il existe un problème plus global d’attractivité du Québec, ce qui explique en partie pourquoi les natifs eux-mêmes quittent plus souvent la province pour le reste du pays. Le Québec ne réussira pas à conserver ses immigrants si elle ne s’attaque pas à ce problème. En comparaison des autres provinces canadiennes et des états des États-Unis, le Québec n’est pas compétitif pour les talents et les entreprises à forte valeur ajoutée. En théorie, les économies parviennent à créer des emplois qualifiés et bien rémunérés lorsque des entreprises demandent des compétences élevées et que cette demande rejoint une offre de compétences équivalente sur le marché du travail. Or par rapport aux autres provinces et états, le Québec produit des compétences à un niveau très moyen ; et cette offre rejoint une demande en compétence de la part des entreprises qui est bien inférieure à la plupart des autres territoires d’Amérique du Nord. Au final, sa situation est plus enviable que la plupart des provinces maritimes voisines, qui sont dans un équilibre à faible niveau de compétences. Mais le Québec est moins attractif que l’Ontario, la Colombie britannique et l’Alberta. Par rapport aux moteurs de l’économie américaine comme New York, la Californie, le Massachusetts ou l’Illinois, le Québec se retrouve plutôt dans une situation comparable au Maine. Ce constat est d’autant plus préoccupant que l’agglomération de Montréal, le moteur économique du Québec, se situe dans un équilibre à faible niveau de compétence, quand on la compare aux agglomérations nord-américaines de taille similaire. Ce type d’équilibre représente un véritable piège pour l’économie concernée, car il peut se traduire en cercle vicieux, diminuant l’incitation à acquérir des compétences élevées chez les jeunes ou à se localiser dans la région pour les entreprises en mesure de créer des emplois de qualité nécessitant des compétences élevées.
Le Québec a un problème de productivité de longue date
Ce diagnostic des compétences montre que le Québec fait face à des problèmes de qualité des emplois et de productivité. Le Québec a une productivité plus faible que dans la plupart des pays de l’OCDE, suite à des décennies de croissance de la productivité moribonde. La Valeur ajoutée brute par travailleur (VAB) est ainsi plus basse que partout ailleurs au Canada, et que dans la majorité des états des États-Unis. La faiblesse de la productivité québécoise est due à différents facteurs. Les entreprises du Québec sont moins efficaces notamment à cause d’un apport moindre de la technologie qui s’explique en partie par des investissements privés non résidentiels et des dépenses en recherche-développement (R-D) moins importants qu’ailleurs. De plus, la part de diplômés du supérieur reste faible en comparaison internationale : la proportion des 25 – 34 ans possédant un diplôme universitaire est de 35 %, contre 44 % dans l’OCDE. La proportion des étudiants poursuivant leurs études aux cycles supérieurs est également faible.
Les compétences de base de la population sont plus faibles que dans le reste du Canada
Dans l’optique d’améliorer sa productivité et sa compétitivité, le Québec a donc aussi besoin de promouvoir la poursuite des études supérieures auprès des jeunes générations. Il doit rendre plus flexible l’établissement de curriculum universitaire ainsi que l’offre de formation pour les adultes afin d’attirer un plus large public tout en répondant mieux aux besoins évolutifs du marché du travail. Il doit utiliser tous les moyens disponibles de son arsenal éducatif pour renforcer l’apprentissage des compétences fondamentales et transversales, une nécessité pour augmenter l’offre réelle de compétences. D’après l’enquête PIAAC de l’OCDE, la population du Québec performe moins que le reste du Canada en résolution de problème en environnement technologique. Elle n’est supérieure au niveau 2 que pour 34 % des natifs au Québec, contre 41 % pour le Canada, et 46 % en Ontario ou en Colombie britannique. Les niveaux de littératie et dans une moindre mesure de numératie sont aussi plus faibles que dans le reste du Canada.
Et elles sont surtout mal utilisées sur le marché de l’emploi
Mais si les travailleurs au Québec disposent de moins de compétences que leurs voisins ailleurs au Canada, le problème est surtout la sous-utilisation de ces compétences dans le milieu de travail. Comme exemple, le niveau d’utilisation des compétences à l’écrit des Québécois au travail est le plus faible de toutes les provinces du Canada et est inférieur à deux tiers des pays de l’OCDE qui ont participé à l’enquête PIAAC. Ce résultat peut être mis en relation avec le taux de surqualification élevé du Québec ainsi qu’avec un faible niveau de productivité multifactorielle recensé pour le Québec. Tous ces résultats convergent pour suggérer qu’une grande opportunité peut être saisie de placer le travailleur au sein du processus d’innovation dans l’entreprise. La faible utilisation des compétences et son impact sur la productivité et la qualité des emplois ont été mis en exergue dans de nombreuses études de l’OCDE. Ces dernières appellent à cibler les aides aux entreprises pour former les employeurs et leurs employés à utiliser les compétences plus efficacement. Les universités et les collèges d’enseignement général et professionnel (cégeps) ont un rôle crucial à jouer pour accroître l’apport de recherche appliquée, y compris en matière d’organisation du travail, au tissu économique local. Dans la situation actuelle, il faut régler le problème plus chronique de qualité des emplois si le Québec veut être attractif.
Il est urgent d’agir face aux changements technologiques qui vont impacter les emplois à l’avenir dans l’ensemble de l’OCDE
Si la situation économique du Québec est enviable à l’heure actuelle, cela pourrait changer à terme si le Québec n’agit pas rapidement pour corriger ces lacunes du processus d’innovation et pour moderniser son économie. Au Québec, 45 % des emplois risquent d’être automatisés à l’avenir (dans 30 % des cas, le risque est significatif et dans 15 %, le risque est élevé), soit une proportion similaire au reste de l’OCDE. Le Québec est cependant plus menacé par l’automatisation que le reste du Canada et que les États-Unis. Le risque d’un changement structurel du marché du travail par l’innovation technologique, loin des scénarios catastrophes annoncés, ne va pas créer un chômage de masse, mais va plutôt amener au remplacement de certains emplois actuels par d’autres qui demanderont des compétences différentes. La réalité est que l’avenir de l’emploi dépendra largement des décisions politiques qui seront faites au niveau des pays de l’OCDE. L’automatisation, la robotisation et la digitalisation doivent être vues comme une opportunité pour le Québec, sa faible productivité et sa rareté de main d’œuvre.
Une stratégie ambitieuse reliant développement économique, éducation et immigration est requise
Ainsi, afin de remédier véritablement au problème d’intégration et de maintien des immigrants, il est recommandé d’aller à la source du problème et de mettre en œuvre une stratégie bien affirmée pour amener le Québec vers un équilibre à haut niveau de compétences qui créera de meilleurs emplois pour tous et les conditions pour rendre le Québec plus compétitif. Pour être effective, une telle stratégie doit pouvoir agir à la fois sur la demande de compétences, et mieux favoriser l’innovation dans les entreprises de toutes tailles et tous secteurs. Elle doit accroître l’offre de compétences, en renforçant les compétences fondamentales et les qualifications universitaires. Et elle doit amener les entreprises à utiliser davantage les talents à leur disposition. L’immigration doit être placée au cœur de cette stratégie en tirant le Québec vers le haut. De nombreuses études montrent l’impact positif de l’immigration sur l’innovation, comme convecteur de créativité et de nouvelles idées, même si une étude canadienne sur le sujet serait utile pour valider ses arguments dans le contexte québécois. Le fait que l’immigration au Québec, sélectionnée, soit largement qualifiée et nourrie de talents de l’étranger de provenance géographique très diverse, est certainement un atout pour le Québec, et devrait être célébré comme tel et comme un facteur indispensable de renouveau économique.
Pour rendre le Québec compétitif à long terme, l’innovation et l’immigration sont les deux facettes d’un même défi
Dans le contexte québécois, chaque région devrait être susceptible d’identifier les déficits d’innovation au niveau local et les coupler avec des compétences disponibles à l’étranger. Elle devrait également encourager les stages d’étrangers qualifiés, afin que ces derniers puissent apporter une vision différente aux entreprises de toutes les régions du Québec. Dans le même sens, le Québec doit faciliter, comme déjà explicité plus haut, la création d’entreprises par des immigrants ainsi que la reprise d’entreprises déjà existantes, afin qu’ils apportent des manières différentes d’organiser l’activité économique de manière plus productive. Toutes ses recommandations devraient s’intégrer dans le système de sélection de l’immigration au Québec, vu que ce système permet de faire venir les immigrants à même d’être les plus innovants. Si le processus de sélection doit mieux répondre aux besoins du marché du travail à court terme, il doit aussi savoir mieux anticiper ceux à long terme et continuer à identifier des immigrants à fort potentiel qui apporte à l’offre globale de compétences du Québec et, ce faisant, apporte des pratiques innovantes. Utiliser l’immigration comme levier de l’innovation emporte d’ailleurs l’accord de nombreux employeurs. D’après l’enquête de l’OCDE, bien qu’une très faible part des employeurs ait recruté des immigrants afin d’améliorer les procédés dans l’entreprise, au final la moitié d’entre eux déclarent que ces derniers ont apporté de nouvelles idées et un nouveau savoir-faire qui ont bénéficié à l’entreprise. L’innovation et l’immigration pourraient donc bien être les deux facettes pour résoudre le défi de l’attractivité du Québec.
Résumé des principales recommandations pour le Québec
Rapprocher l’immigration et les besoins du marché du travail, présents et futurs
Clarifier les critères qui seront prioritaires pour obtenir la résidence permanente dans le nouveau système de sélection ARRIMA (niveau de langue française, promesse d’embauche, région d’installation, compétences transversales).
Communiquer à l’étranger de manière transparente sur les opportunités réelles proposées au candidat à l’immigration au Québec, afin d’éviter des difficultés d’intégration futures.
Identifier dès la sélection les compétences transversales de l’immigrant y compris ses compétences linguistiques.
Promouvoir la régionalisation de la gestion des migrations temporaires, qui sont actuellement une compétence fédérale.
Mieux faire connaître l’action d’Entreprises Québec et la rendre plus proactive. Cette dernière doit aller à la rencontre des entreprises, et non plus attendre que les employeurs la contactent.
S’assurer que les employeurs autorisés à pouvoir consulter le bassin de candidats d’ARRIMA ne fassent pas l’impasse sur les résidents demandeurs d’emploi, afin que ces derniers et les candidats à l’immigration permanente puissent être traités sur un pied d’égalité.
Continuer les incitations à destination des employeurs pour le recrutement et l’accueil des immigrants : primes à l’emploi (PRIIME)
Continuer les efforts visant à accroître la régionalisation de l’immigration et la rétention des immigrants
Renforcer les programmes visant à encourager la mobilité vers les régions pour les immigrants sans emploi ou surqualifiés de l’agglomération de Montréal (cf. « un emploi en région », « un emploi en sol québécois »).
Inciter les immigrants à rester un certain nombre d’années dans la région d’installation qu’ils ont choisi au moment de leur candidature de sélection. Les régions, en faisant jouer les synergies entre la communauté d’accueil et le monde de l’entreprise, pourraient développer une offre avantageuse aux nouveaux arrivants (logements gratuits, primes financières, accès privilégiés à certaines infrastructures, etc.), à l’image de ce que font déjà certains employeurs.
Faire prendre aux employeurs un rôle moteur dans la gestion de l’immigration et de l’intégration
Continuer les efforts faits par les réseaux d’employeurs pour mieux faire connaître et accepter le recrutement et l’accueil des immigrants. Les réseaux d’entreprises doivent pouvoir se porter garants du recrutement d’un immigrant, afin d’apaiser les craintes des employeurs.
Multiplier les partages d’expérience entre employeurs, par l’organisation d’évènements du type du rendez-vous des gens d’affaires à Québec ou de déjeuners du type « lunch and learn ».
Développer des programmes d’accompagnement aux entreprises pour les aider à mieux intégrer les nouveaux arrivants, comme des programmes de mentorat en entreprise, de coaching, de formations. Les mentors, coachs ou formateurs doivent être mis en commun par les réseaux d’employeurs afin de profiter à un maximum d’entreprises, notamment les plus petites.
Renforcer les interventions pour mieux accueillir et intégrer les immigrants
Offrir des cours de français plus adaptés aux secteurs d’activité auxquels se destine la personne immigrante.
Augmenter le nombre de formations proposées sur le lieu de travail, en mutualisant si nécessaire les moyens de plusieurs entreprises.
S’assurer que les immigrants puissent corriger leurs lacunes en français après leur installation.
Mieux communiquer sur les possibilités et l’utilité de la reconnaissance des qualifications, autant auprès des immigrants que des employeurs.
Faciliter et accélérer la reconnaissance des qualifications, à l’image de l’exemple du programme Fast Track en Suède.
Provoquer un choc auprès des ordres professionnels responsables des professions réglementées, en les poussant à présenter des objectifs en termes de traitement des demandes de reconnaissance. Par exemple, l’ordre des ingénieurs du Québec s’est engagé à traité les trois quarts des dossiers de reconnaissance des diplômes en neuf mois.
Mettre en place un système d’examen professionnel adapté aux immigrants.
Proposer des formations passerelles immédiatement après une reconnaissance partielle, sous financement public, en renforçant par exemple le programme déjà existant IPOP.
Ouvrir pleinement et de manière effective les formations d’aide à l’intégration à toutes les catégories d’immigration, y compris résidents non permanents et immigrants non sélectionnés. Les agents responsables doivent être formés aux problématiques particulières de ces groupes de population.
Subventionner des formations dédiées exclusivement à l’adaptation à la culture professionnelle du Québec pour les immigrants ; et à la gestion de la diversité et à la lutte anti-discrimination pour les natifs.
Accroître en région l’offre de service d’intégration sociale (au sens large) : infrastructures scolaires, de santé, pour la petite enfance, logements, transports publics, associations sportives, etc.
Améliorer la gouvernance locale de la gestion de l’intégration
Rendre plus flexibles et plus souples les ententes entre les ministères financeurs et les OBNL prestataires des programmes de formation, afin de mieux s’adapter aux besoins au niveau local. Cela pourrait être fait à l’exemple des Workforce Investment Boards aux États-Unis, qui permettent de demander de manière dérogatoire à se soustraire à une mesure précise afin de tester des stratégies innovantes.
Accroître la coordination et la communication entre le MIFI et le MTESS afin d’éviter des programmes qui se chevauchent et dont les critères d’admissibilité peuvent être différents, voire opposés. Pour ce faire, les actions d’aide à l’emploi (Emploi-Québec) et d’intégration (MIFI) pourraient être mieux intégrées.
Réaliser une cartographie de l’offre de formation afin de mettre en place un portail d’information et d’orientation.
Développer un guichet unique pour l’immigrant à partir du portail d’information afin d’aiguiller tout le long de son parcours d’une manière individualisée.
Mettre en œuvre une stratégie pour accroître la demande, l’offre et l’utilisation des compétences pour améliorer la qualité des emplois
Encourager les entreprises y compris les PME à moderniser, digitaliser, automatiser leurs processus de production et les sensibiliser au besoin constant d’innovation.
Promouvoir la poursuite des études supérieures auprès des jeunes générations par une campagne de communication, une meilleure coordination entre universités et cégeps et une plus grande flexibilité dans l’établissement des curriculums pour les rendre attractifs tout en répondant aux besoins changeants du marché du travail.
Renforcer l’apprentissage des compétences de base à travers le système éducatif et développer la formation professionnelle et la formation continue à destination des adultes.
Cibler les aides aux entreprises pour former les employeurs à utiliser les compétences de l’entreprise plus efficacement et placer leurs employés au centre des processus d’innovation. Encourager un rôle plus soutenu des universités et des cégeps à cet égard.
Placer l’immigration au cœur d’une stratégie d’innovation pour moderniser l’économie
Identifier les déficits régionaux d’innovation et les coupler avec des compétences disponibles chez des candidats étrangers issus du bassin ARRIMA ou identifiées à l’étranger par le biais d’une recherche prospective.
Mettre en place un programme national de stages d’étrangers qualifiés, en se concentrant sur les profils les plus innovants. Les candidats du programme pourraient ensuite bénéficier du programme de l’expérience québécoise pour accéder à la résidence permanente si les employeurs souhaitent les conserver.
Développer des mesures d’aide ou de soutien adaptées aux personnes immigrantes à la création d’entreprises et à la reprise d’entreprises déjà existantes. Cela nécessite un grand plan de communication visant à faire mieux connaître l’entrepreneuriat, les opportunités de reprises qui pourraient profiter aux immigrants suite aux nombreux départs à la retraite de patrons prévus à court terme. Les porteurs de projet les plus innovants doivent être encouragés en priorité.