L'investissement public au Maroc

2. Évaluation du système actuel d’investissement public du Maroc

2.1. L’importance d’une vision stratégique à long terme pour une meilleure efficience de l’investissement public

Une vision stratégique à long terme pour les investissements publics est nécessaire, notamment en ce qui concerne l’investissement dans les infrastructures, car l’implémentation et l’exploitation des projets d’investissement public et particulièrement d’infrastructure demande en général une planification sur plusieurs années. La Recommandation du Conseil de l’OCDE sur la gouvernance des infrastructures (OECD, 2017[1]) encourage ainsi le développement d’une vision stratégique à long terme qui porte sur différents éléments décrits dans l’Encadré 2.1.

Cette section aborde le cadre institutionnel et réglementaire régissant un système de gestion des investissements publics, y compris du périmètre d’un tel système, de la nécessité de développer une stratégie pour les investissements publics et d’une meilleure coordination entre les stratégies sectorielles.

Encadré 2.1. Recommandation du Conseil sur la gouvernance des infrastructures -Définir une vision stratégique à long terme en matière d’infrastructures

La recommandation du Conseil sur la gouvernance des infrastructures recommande de définir une vision stratégique à long terme en matière d’infrastructures qui :

a) repose sur des ambitions communes en matière de développement national et infranational, en renforçant le capital économique, naturel et social et humain essentiel au bien-être, à la croissance durable et inclusive, à la compétitivité et à la prestation de services publics.

b) s’appuie sur une évaluation rigoureuse des besoins actuels et futurs en infrastructures au niveau national et infranational, et de la façon dont il convient de hiérarchiser ces besoins par ordre de priorité ainsi que d’y répondre.

c) fasse l’objet d’un suivi, soit adaptable et soit révisée de façon périodique de manière à prendre en compte l’impact des progrès technologiques et l’évolution des besoins en infrastructures.

d) soit viable sur le plan budgétaire, soit en adéquation avec les dotations budgétaires et concorde avec le cadre de dépenses à moyen terme, lequel assure les parties intéressées de l’existence de ressources stables sur plusieurs années.

e) établisse un cadre institutionnel applicable aux infrastructures transparent, cohérent, fiable et légitime et permettant une reddition de comptes, au sein duquel les institutions concernées se voient doter de mandats clairs et cohérents, de pouvoirs de décision étendus, de capacités et de compétences adaptées et de ressources financières suffisantes.

f) résulte d’un large consensus politique et d’un processus d’implication des parties prenantes, reposant sur des hypothèses claires, et faisant l’objet d’une coordination appropriée entre tous les ministères et organismes sectoriels en tenant compte des synergies entre les secteurs.

g) contribue activement à la réalisation d’un objectif de développement durable et inclusif en ligne avec les objectifs d’action publique à long terme, et notamment les engagements nationaux et internationaux en matière de protection de l’environnement, de résilience face aux changements climatiques et de réduction des émissions de gaz à effets de serre, de droits de l’homme, d’inclusion sociale, d’égalité femmes-hommes, de disparités régionales et de liaisons entre zones urbaines et rurales.

Source : (OCDE, 2020[2])

2.1.1. Un besoin de cadre institutionnel et réglementaire régissant les investissements publics

La Recommandation de l’OCDE sur la Gouvernance des Infrastructure appelle à définir une vision stratégique à long terme en matière d’infrastructures qui «  établisse un cadre institutionnel applicable aux infrastructures transparent, cohérent, fiable et légitime et permettant une reddition de comptes, au sein duquel les institutions concernées se voient doter de mandats clairs et cohérents, de pouvoirs de décision étendus, de capacités et de compétences adaptées et de ressources financières suffisantes » (OCDE, 2020[2]).

Au sein des pays de l’OCDE, les catégories d'institutions qui existent pour planifier, financer et fournir des infrastructures sont nombreuses. Néanmoins, il existe des structures organisationnelles similaires dans un certain nombre de pays. Dans près de 50% des pays membres de l’OCDE, un ministère de l'infrastructure ou équivalent qui s'occupe des infrastructures dans tous les secteurs et/ou joue un rôle de coordination dans la politique d'infrastructure (OECD, 2023[3]). Au Chili, la Division de l'évaluation sociale des investissements (DESI), qui relève du sous-secrétariat à l'évaluation sociale au sein du Ministère du Développement Social, est responsable de l'élaboration des normes, instructions et procédures pour la préparation et l'évaluation des projets d’investissements publics. Cette division est également chargée de la formation des agents publics sur différents sujets liés à la préparation et l’exécution des investissements publics. Par ailleurs, la DESI a également la charge de l’administration de la banque intégrée de projets (BIP) où tous les projets qui bénéficient du budget de l’État sont répertoriés. De plus, le Ministère des Finances chilien a en charge la supervision de la planification et l’exécution budgétaire.

Dans 34% des pays membres de l’OCDE, chaque ministère est chargé de superviser les infrastructures sur une base sectorielle et enfin, 16% des pays de l'OCDE s'appuient sur leur ministère des finances ou équivalent, en particulier sur une unité ou une institution chargée des infrastructures ou des investissements en capital, pour coordonner la politique d'infrastructure dans les différents secteurs.

Graphique 2.1. Dispositifs institutionnels pour les infrastructures dans les 38 pays de l’OCDE

Source : (OECD, 2023[3])

Dans le modèle où le ministère des finances conduit la politique d’investissements publics ou d’infrastructures, les ministères travaillent généralement sur des secteurs spécifiques, tandis qu'une unité ou une agence d'investissement au sein du ministère des finances fournit des orientations centrales, soutient souvent le processus de planification à long terme des infrastructures et décide des critères généraux pour la sélection et la priorisation des projets d'infrastructure (OECD, 2023[3]). Par exemple, en Irlande, le Département des Dépenses Publiques, de la Mise en Œuvre du PND et de la Réforme (DDPR) est l’entité en charge du système d’investissements publics et s’assure de l’application du Code des Dépenses Publiques (Public Spending Code). En effet, en plus de son rôle dans le processus budgétaire, le DDPR est chargé de collecter les informations sur l’état d’avancement des projets d’investissements et conduit des revues techniques (assurance qualité) des rapports d’évaluation stratégique (qui expliquent la justification du projet, les objectifs et problèmes rencontrés, etc.) et des rapports de rentabilisation (Business case) pour les projets dont le montant est supérieur à EUR 100 millions. Par ailleurs, chaque secteur doit se rapprocher de DDPR pour s’assurer que les guides sectoriels élaborés sont conformes au Code des dépenses publiques.

Au Maroc, il n’existe pas de cadre réglementaire ni institutionnel régissant le système de gestion des investissements publics (SGIP). La passation et l’exécution des projets d’investissements est la seule étape qui est régie par un cadre réglementaire. En effet, divers textes législatifs et réglementaires régissent cette étape : il s’agit notamment de la loi n° 54-05 relative à la gestion déléguée des services publics (Gouvernement du Maroc, 2006[4]); la loi n°46-18 modifiant et complétant la loi n°86-12 relative aux contrats de partenariat public-privé et ses décret d’application (Gouvernment du Maroc, 2020[5]) et le décret n°2-22-431relatif aux marchés publics (Gouvernment du Maroc, 2023[6]) ;

En ce qui concerne le cadre institutionnel, au sein de la Direction du Budget du Ministère de l’Économie et des Finances (MEF), une sous-direction a été créée en 2017 pour se charger, entres autres, de l’investissement public et de reformer ce domaine. Le rapport PIMA de 2017 recommande au Royaume du Maroc de renforcer la coordination et le pilotage des actions d’investissement public, notamment grâce à la structure en charge de l’investissement publics au sein de la Direction du Budget (FMI, 2017[7]). Dans un premier temps, cette structure s’est concentrée sur la réforme de l’investissement public mais par la suite a dû prendre en charge d’autres réformes et d’autres chantiers. L’un des objectifs de la réforme de l’investissement public est de créer une entité en charge du SGIP. De plus, depuis 2018, la Direction du Budget, a acquis un système d’information appelé « Istithmar » qui vise à suivre les grands projets d’investissements publics dans leur phase d’exécution en adoptant une approche progressive d’implémentation (20% des crédits d’investissement en 2019, 40% en 2021, etc.). Cependant cette banque de donnée ne couvre pas la partie amont de la préparation des investissements publics. D’après les discussions menées lors des missions exploratoires, des réflexions sont menées pour utiliser « Istithmar » comme système d’information pour la gestion des investissements publics en élargissant son périmètre pour couvrir i) tout le cycle d’investissement, ii) un nombre plus important de projets d’investissements publics, et iii) l’avancée physique des projets.

Par ailleurs, le ministère des finances, à travers la Direction du Budget (DB) est chargé de la mise en œuvre de la politique budgétaire nationale. Dans ce cadre-là, la DB a la charge de la programmation budgétaire et donc de la négociation avec les différents secteurs pour l’élaboration du projet de loi de finances (PLF) (voir section 2.3.1)

En 2021, le gouvernement a été doté d’un Ministre délégué auprès du Chef du gouvernement chargé de l’Investissement, de la Convergence et de l’Évaluation des Politiques Publiques. Le décret 2.21.992 fixant les attributions et l’organisation de ce Ministère a été publié en février 2022. Parmi les attributions de ce Ministère, il y a la préparation et le suivi de la mise en œuvre de la politique de l'État dans le domaine de l'investissement. Plus spécifiquement, ce Ministère a la charge de préparer la stratégie nationale d’investissement, son implémentation et son suivi. Cependant l’arrêté ne mentionne pas spécifiquement les investissements publics (Conseil du Gouvernment - Maroc, 2022[8]). En effet, depuis sa création les efforts de ce ministère ont été dirigés vers l’investissement privé conformément aux orientations du Nouveau Modèle de Développement (NMD). Les discussions menées lors des missions exploratoires ont permis de comprendre que le mandat de ce Ministère pourrait également couvrir l’investissement public mais que compte tenu de la récente création de ce ministère, la priorité a été accordée aux actions visant à renforcer l’investissement privé.

Le périmètre du système d’investissements publics au Maroc

En termes d’entités en charge de la préparation et de l’exécution des investissements, l’État, les établissements et entreprises publics (EEPs) et les collectivités territoriales sont tous les trois des acteurs majeurs. Le périmètre du SGIP dépend du type de dépenses par acteurs qu’un pays souhaite y inclure ainsi que des risques budgétaires importants en raison d'engagements conditionnels implicites ou explicites (voir Graphique 2.2).

Graphique 2.2. Dépenses en investissements, investissements publics, et dépenses nationales en investissement

Source : (Banque Mondiale, 2020[9])

Le périmètre des investissements publics est étroitement lié à la définition des investissements publics. La définition de l’investissement public varie entre pays. L’OCDE définit les investissements publics comme des dépenses d’investissement en infrastructures matérielles (routes, bâtiments publics, etc.) et immatérielles (innovation, recherche et développement, etc.) dont la durée de vie productive est supérieure à un an. L’investissement public comprend les investissements directs et indirects. L’investissement direct désigne la formation brute de capital et les acquisitions, à l’exception des cessions d’actifs non financiers et non produits, au cours d’une période donnée. L’investissement public indirect correspond aux transferts en capital, autrement dit aux aides et subventions à l’investissement en espèces ou en nature qui sont réalisés par les gouvernements infranationaux au profit d’autres unités institutionnelles" (OCDE, 2018[10]) Au Maroc, il n’existe pas de définition claire de l’investissement public. Cependant la Loi organique relative à la loi de Finances définit en son article 17 les dépenses d'investissement tel que des dépenses « destinées principalement à la réalisation des plans de développement stratégiques et des programmes pluriannuels en vue de la préservation, la reconstitution ou l'accroissement du patrimoine national. Elles ne peuvent comprendre des dépenses de personnel ou du matériel afférentes au fonctionnement des services publics » (Royaume du Maroc, 2015[11]). D’après les données transmises par le MEF, les investissements publics comprennent toutes les dépenses des différents acteurs publics.

Ainsi, d’après les données communiquées par le MEF, la part des investissements des ministères (qui reposent en totalité sur le budget de l’État) est restée supérieure à 1/3 des investissements publics. Alors que la part des investissements publics par les collectivités territoriales est restée relativement stable depuis 2018 (autour de 8-9%), cette part sera amenée à augmenter dans les années à venir compte tenu de l’avancement de la mise en œuvre de la régionalisation avancée du pays (OCDE, 2018[10]). La plus grande part des investissements publics a été portée par les EEPs en 2018, 2019, et 2022.

Graphique 2.3. Répartition de l’investissement public sur la période 2018-2022

Note : CT= Collectivités territoriales

Source : (Royaume du Maroc, 2023[12]), (MEF, 2022[13])

Les EEPs constituent des acteurs majeurs dans le modèle de croissance du Maroc compte tenu de leurs interventions multiples dans l'offre de services publics aux citoyens et aux entreprises, dans la réalisation de projets structurants pour le développement économique et social, l'aménagement du territoire, la réduction des disparités territoriales, l'ouverture à l'international et la promotion de l'investissement aussi bien public que privé dans divers secteurs d'activité (MEF - Maroc, 2020[14]).

D’après les projections du MEF, les investissements des EEPs vont également augmenter en 2023, passant de MAD 99.5 milliards en 2022 à MAD 140.5 milliards en 2023. À eux seuls, le Groupe OCP (Office Chérifienne des Phosphates) et, MASEN (L'Agence marocaine pour l'énergie durable) et ONEE (L'Office National de l'Électricité et de l'Eau Potable) représentent 53% de ces investissements (MEF, 2022[13]).

En ce qui concerne les transferts de l’État vers les EEPs, le rapport sur les EEPs du MEF souligne une évolution croissante, en particulier pour les établissements publics non marchands qui s’appuient largement sur le budget de l’État pour financer leurs activités en termes de fonctionnement et d’équipement (et donc d’investissement). Cela se justifie par la création d’EEPs non marchands investis de missions de service public non génératrices de revenus qui étaient assurées auparavant par l’Administration. Ces établissements sont notamment actifs dans les domaines de l’éducation et de la santé et du développement territorial qui sont des domaines prioritaires pour le Maroc. L’appui de l’État au profit des EEPs commerciaux représente moins de 20% du transfert de l’État vers les EEPs. Au total, 33% des transferts de l’État vers les EEPs concernent des dépenses d’équipement et donc d’investissement (MEF, 2022[13]).

Une réforme a été entamée en 2021 afin de corriger les dysfonctionnements structurels des EEPs, de garantir une complémentarité et une cohérence optimales entre leurs missions respectives et de rehausser leur efficience économique et sociale (Royaume du Maroc, 2021[15]). Dans ce cadre-là, l’Agence nationale de gestion stratégique des participations de l’État et de suivi des performances des EEPs a été créée pour mettre en œuvre la politique actionnariale de l’État y compris en termes d’amélioration du rendement des investissements réalisés. Ces fonctions étaient assurées auparavant par la DEPP (Direction des Entreprises Publiques et de la Privatisation) au sein du MEF. Le périmètre d’intervention de cette agence comprend 57 EEP (15 établissements à caractère marchand, 35 entreprises publiques à participations directes de l’État et 7 participations détenues exclusivement ou conjointement par l’État ou les EEP). Par ailleurs, les EEPs ont leurs propres instances de gouvernance par leurs organes délibérants et l’institutionnalisation de différents comités y compris le comité de stratégie d’investissement qui est généralement présidé par le MEF (Royaume du Maroc, 2021[15]). Ils ont également des obligations envers l’État qui se traduisent dans des contrats programmes spécifiques.

2.1.2. Pour le développement d’une stratégie des investissements publics

Il est important pour un pays d'avoir une vision stratégique claire pour les investissements publics, en particulier pour les infrastructures, étant donné les longs délais nécessaires à la livraison d'actifs physiques majeurs et les nombreuses décennies pendant lesquelles ils peuvent être exploités. La plupart des grands investissements dans le monde impliquent la participation du secteur privé à de nombreuses étapes du cycle de vie des investissements, y compris pour les phases liées à la conception, d'ingénierie, de financement, de construction et de maintenance (OECD, 2023[16]).

À travers cette vision stratégique, le secteur privé peut compter sur une réserve de projets réguliers, prévisibles et fiables afin d’investir dans le personnel, les installations et l'équipement nécessaire. Ce qui permet aux pays de bénéficier d'un accès à des compétences et des capacités de haute qualité qu'ils peuvent utiliser à différents stades du cycle de vie de l'investissement (OECD, 2023[16]).

Cette vision stratégique se traduit généralement par un plan d’investissement ou autre document approuvé politiquement qui exige une action concrète en termes de provision d'infrastructures sur le long terme (par exemple sur plus de cinq ans). L’Encadré 2.2 fournit des exemples de documents traduisant la vision stratégique pour les investissements publics en Irlande, au Royaume-Uni, et en Bulgarie.

Encadré 2.2. La vision stratégique pour les investissements publics dans certains pays de l’OCDE

Irlande : le plan national de développement (PND) pour 2021-2030

Le PND révisé définit les plafonds d'investissement sur dix ans jusqu'en 2030, qui soutiendront la croissance économique, sociale, environnementale et culturelle à travers tout le pays dans le cadre du projet « Irlande 2040 », parallèlement au cadre de planification nationale (NPF) qui définit la stratégie spatiale globale pour le pays.

L'alignement du PND et du NPF dans le cadre du projet Irlande 2040 crée un plan unifié et cohérent pour le pays en veillant à ce que la stratégie d'investissement nationale soutienne l'aménagement du territoire en s'appuyant sur un ensemble commun d'objectifs stratégiques pour le développement rural, régional et urbain.

Royaume-Uni : Évaluation nationale des infrastructures

Tous les cinq ans, la Commission nationale en charge des infrastructures publie une évaluation des infrastructures nationales. Chaque évaluation analyse les besoins à long terme du Royaume-Uni en matière d'infrastructures économiques, en exposant une vision stratégique pour les trente prochaines années et en formulant des recommandations sur la manière de répondre aux besoins identifiés.

Bulgarie : Plan d’action 2022-24 pour le Programme Bulgarie 2030

Le programme Bulgarie 2030 s'appuie sur des plans d'action triennaux, le plan actuel portant sur la période 2022-2024. Ces plans énumèrent les programmes et les projets qui concrétisent les objectifs et les priorités de 2030. Pour garantir l'alignement de Bulgarie 2030 et des plans d'action ainsi que la coordination entre les secteurs, les plans d'action sont approuvés par le Conseil de développement du Conseil des ministres, qui est composé de tous les ministres concernés. Chaque Ministère est tenu de démontrer que leurs investissements sont en ligne avec le Programme Bulgarie 2030.

Source : (Gouvernement de l’Irlande, 2021[17]) (OECD, 2023[16]) (National infrastructure commission, 2018[18])

Au Maroc, il n’existe pas de vision stratégique intersectorielle pour les investissements publics. Chaque secteur développe sa propre stratégie avec des horizons différents (voir section 2.1.3). La vision stratégique du Maroc est décrite dans le rapport du Nouveau Modèle de Développement (NMD) qui définit une ambition nationale et propose un « chemin du changement qui rende cette ambition crédible et réalisable » à l’horizon 2035. (Commission Spéciale sur le Modèle de Développement, 2021[19]) Dans la première partie du rapport qui dresse un état des lieux et un diagnostic, le NMD mentionne clairement « L’incapacité à transformer, à moderniser l’économie et à tirer profit des investissements publics considérables réalisés ». Dans sa deuxième partie relative « au Maroc de demain », le NMD reconnait le rôle important de « l’État investisseur » tout en mentionnant qu’une intensification structurelle de la création de valeur ne sera pas possible sans un secteur privé fort, audacieux, entrepreneurial, ouvert à la prise de risques, et exploitant résolument les opportunités économiques nouvelles. Dans sa troisième partie liée aux « leviers du changement », l’investissement public n’est pas clairement mentionné comme un levier pour atteindre les objectifs du NMD. (Commission Spéciale sur le Modèle de Développement, 2021[19])

Cependant, le NMD s’appuie sur une forte mobilisation de l’investissement privé pour la réalisation de ses objectifs, et préconise une nette augmentation de la part du secteur privé dans l’investissement (aujourd’hui de l’ordre de 35%) (Commission Spéciale sur le Modèle de Développement, 2021[19])

L’objectif étant d’inverser la tendance actuelle qui est d’un tiers des investissements privés et deux tiers des investissements publics du total des investissements réalisés dans le pays. Ceci explique les efforts considérables réalisés dans le domaine des investissements privés, notamment par la création du Ministère délégué en charge de l’investissement et de la convergence et de l’évaluation des politiques publiques et le développement d’une « vision de l’investissement privé » concrétisée par la charte de l’investissement. (Gouvernement du Maroc, 2022[20])

La relation entre investissement public et privé peut-être ambiguë. Cependant plusieurs études montrent que l’investissement public peut agir comme un catalyseur de l'investissement privé (OCDE, 2016[21]). D’une part, l’investissement privé nécessite un certain nombre d’infrastructures y compris routières et logistiques ainsi que des capacités humaines adéquates, et d’autre part une meilleure préparation, structuration et priorisation des projets permettra également d’attirer plus d’investisseurs privés. Dans le passé, le Maroc a fait un choix stratégique de renforcement de l’investissement public comme levier de l’investissement privé dans le cadre de son modèle de croissance pour réduire les disparités sociales et spatiales et pour désenclaver les zones difficiles d’accès.

Le Maroc gagnerait donc à développer une vision stratégique pour les investissements publics. Cette vision devra prendre en compte la vision stratégique du pays, ses priorités ainsi que les stratégies de développement des collectivités territoriales (OCDE, 2018[10]).

2.1.3. Un besoin de coordination des stratégies sectorielles

La recommandation de l’OCDE sur la gouvernance des infrastructures préconise de développer une vision stratégique à long terme qui résulte d’un large consensus politique et d’un processus d’implication des parties prenantes, reposant sur des hypothèses claires, et faisant l’objet d’une coordination appropriée entre tous les ministères et organismes sectoriels en tenant compte des synergies entre les secteurs. (OECD, 2020[22])

Cette coordination peut s’effectuer selon deux catégories différentes : (OCDE, 2023[23])

• La coordination horizontale, c'est-à-dire la coordination entre les secteurs au sein d'un niveau de gouvernance (national ou infranational).

• La coordination verticale, c’est-à-dire la coordination des décisions d'investissement entre le gouvernement national et infranational et le secteur privé.

Au Maroc, la vision stratégique de haut niveau est issue des Directives Royales, du NMD ainsi que du programme gouvernemental. Ce dernier s’articule autour de cinq principes primordiaux : i) l’amélioration du choix démocratique ; ii) l’institutionnalisation de la justice sociale ; iii) l’élargissement de la classe moyenne tout en favorisant son pouvoir d’achat et d’épargne ; iv) mettre le capital humain au centre de l’opérationnalisation du nouveau modèle de développement ; et v) axer les politiques publiques sur la dignité du citoyen. Tous ces principes ont un lien direct ou indirect avec l’investissement public. (Le Chef du gouvernement, 2021[24]).

Cette vision se traduit par des stratégies sectorielles qui listent les priorités et les chantiers d’investissement à mener sur plusieurs années dans chaque secteur. Il existe ainsi de nombreuses stratégies sectorielles accompagnées de plans d’action et déclinées dans des contrats programmes et projets de performance (Fond Monetaire International, 2017[25]). L’Encadré 2.3 présente une liste non exhaustive de stratégies sectorielles.

De plus, il existe également des stratégies horizontales comme la Stratégie Nationale de Développement Durable dont les sept enjeux ont un lien direct avec l’investissement public. Cette stratégie reconnait les défaillances en matière de planification comme l’un des freins à la mise en œuvre du développement durable (Royaume du Maroc, n.d.[26]). Une stratégie nationale de transformation numérique est en cours de finalisation, Parmi les objectifs fixés par cette stratégie à l’horizon 2030, la digitalisation de 100% des services publics, ce qui nécessite des investissements considérables dans le domaine du digital.

La recommandation de l’OCDE sur la gouvernance des infrastructures promeut une vision stratégique à long terme en matière d’infrastructures qui soit viable sur le plan budgétaire, soit en adéquation avec les dotations budgétaires et concorde avec le cadre de dépenses à moyen terme, lequel assure les parties intéressées de l’existence de ressources stables sur plusieurs années (OCDE, 2020[2]). Alors qu’une stratégie sectorielle doit traduire des ambitions réalistes qui permettent une planification à moyen terme (OCDE-SIGMA, 2018[27]), au Maroc les discussions menées lors des missions exploratoires ont permis de souligner que certaines stratégies incluent un nombre important de projets sans prendre en compte les potentielles contraintes budgétaires. Les différents secteurs gagneraient à développer des stratégies réalistes en adéquation avec les dotations budgétaires. Par ailleurs, un suivi régulier des stratégies permettrait de les mettre à jour afin d’assurer leur implémentation effective.

Encadré 2.3. Exemples de stratégies sectorielles au Maroc

Plan Maroc vert

Lancé en 2008, le Plan Maroc Vert est une stratégie ambitieuse qui s'est fixé pour objectif d'ériger le secteur agricole en véritable levier du développement socio-économique au Maroc, à travers l’accélération de la croissance, la réduction de la pauvreté et la consolidation de l’intégration de l’agriculture aux marchés national et international.

Afin de conforter le leadership du Maroc dans le domaine agricole, une nouvelle stratégie agricole a été adoptée en février 2020 : baptisée « Génération Green » avec une feuille de route qui s’étale jusqu’en 2030.

Stratégie nationale de développement de la compétitivité logistique à l’horizon 2030

Le développement du secteur de la logistique a été identifié comme une priorité stratégique dans le processus de renforcement de la compétitivité de l’économie marocaine. La nouvelle stratégie de compétitivité logistique vise le positionnement du Maroc sur les principaux flux logistiques et permet de répondre aux besoins logistiques des différentes stratégies sectorielles lancées ou en cours de mise en œuvre au niveau national.

Stratégie portuaire à l’horizon 2030

Maillon clé des chaînes logistiques des échanges externes, les ports du Maroc constituent un levier important du développement dont la performance joue un rôle majeur. La nouvelle stratégie portuaire nationale à l’horizon 2030 vise l’accompagnement de l’évolution de l’économie en anticipant la demande en infrastructures portuaires et en intégrant davantage le Maroc à la compétitivité mondiale.

Stratégie énergétique 2030

La stratégie énergétique repose sur une vision prospective dont l’objectif est de garantir la sécurité énergétique du pays à travers la diversification des sources d‘énergie nationales, par le recours à des énergies alternatives. Elle vise également l’accès généralisé à l’énergie à des prix compétitifs et l’appropriation des technologies avancées promouvant l’expertise ainsi que la préservation de l’environnement, de la sécurité et de la santé des citoyens.

Stratégie plan routes 2035

Cette stratégie adoptée en 2014 décrit les besoins en termes d’infrastructures routières. Elle préconise des investissements publics en termes d’infrastructures pour répondre aux besoins du trafic et de l’aménagement du territoire.

Source : (CNEA, 2021[28]) (Royaume du Maroc, 2023[12])

En 2023, en ligne avec les Discours Royaux, le NMD et les priorités gouvernementales, afin de consolider les fondements de « l’État social », des moyens considérables ont été mis en œuvre pour augmenter l’enveloppe budgétaire (y compris en termes d’investissements publics) allouée aux secteurs de la santé, de l’éducation et de l’eau. L’Encadré 2.4 présente les stratégies de ces secteurs.

Encadré 2.4. La stratégie d’investissements publics dans le secteur de la santé, de l’éducation et de l’eau

La stratégie d’investissements publics dans le secteur de la santé et de la protection sociale

Le Maroc souhaite voir la mise en place continue de réformes nécessaires pour bien adapter le système national de santé aux changements épidémiologiques et démographiques du futur. En investissement public, cela se traduit comme suit :

• Implantation de centres hospitaliers universitaires dans chaque région

• Renforcement du réseau hospitalier régional

• Poursuite de la mise en œuvre du projet de digitalisation du système de santé

Récemment, une grande refonte du système de santé a donné lieu à une nouvelle gouvernance et de nouveaux outils de planification de l’infrastructure. La loi 34-09 qui définissait le schéma régional de l’offre de soin (SROS) a été abrogée. Le SROS était un outil de planification des projets d’investissement. Ce schéma régional contenait une analyse détaillée de l’offre de soin existante, et, à partir de cette analyse, des écarts furent déterminés, et les projets d’infrastructure furent définis dans le schéma régional de l’offre de soin sur une période de 5 ans. Ce schéma régional pouvait être modifié en cas d’imprévus urgents dans le contexte global, tels que la crise de COVID-19 ou encore le conflit en Ukraine. Ce schéma a vocation à être remplacé par la carte sanitaire régionale.

Outre la santé, le chantier de la protection sociale est également l’une des priorités dans l’investissement public marocain. En effet, les Hautes Orientations Royales visent à étendre la couverture sociale à tous les marocains, représentant 22 millions de bénéficiaires supplémentaires. Le Nouveau Modèle de Développement vise également un taux d’encadrement de 45 cadres médicaux et paramédicaux pour chaque 10,000 habitants d’ici 2035. Afin de garantir l’expansion de la protection sociale, la stratégie d’investissement vise le niveau régional, en créant des groupements sanitaires territoriaux, et notamment des investissements dans l’infrastructure sanitaire et les équipements biomédicaux.

La stratégie d’investissements publics dans le secteur de l’éducation

La stratégie d’investissements publics en matière d’éducation repose principalement sur le renforcement du capital humain. Certaines données indiquent une amélioration de l’accès au système éducatif, comme l’augmentation du taux de scolarisation préscolaire de 45.3% en 2017 à 71.3% en 2020. Les dépenses publiques dans le secteur de l’éducation sont ainsi élevées, et ont atteint par exemple 21% en 2017. Cependant, un écart d’efficience est noté car malgré le niveau de dépenses publiques, le rapport PISA de l’OCDE de 2018 indique un pourcentage d’élèves très performants inférieurs à la moyenne de l’OCDE pour le Maroc, avec des scores en compréhension a l’écrit, en mathématiques et en sciences parmi les plus bas du classement.

Une Feuille de Route 2022-2026 développée par le Ministère de l’Éducation Nationale met également en exergue la crise des apprentissages au sein de l’école publique, avec seulement 30% des élèves maitrisant le programme à la fin du primaire, et 10% des élèves maitrisant le programme à la fin du collège. Il est également souligné dans cette feuille de route que malgré des efforts d’investissement importants déployés pour améliorer les conditions de scolarisation en milieu rural, notamment avec le développement du transport scolaire, les disparités territoriales restent importantes, et les établissements scolaires continuent de manquer d’équipement de base, avec parfois une insalubrité des sanitaires, une absence de raccordement au réseau d’eau et d’électricité etc.

Les causes identifiées pour ce manque d’efficience incluent la qualité de la gestion des dépenses d’éducation, le niveau de formation des enseignants, le manque de suivi de la mise en œuvre des mesures d’amélioration et le manque de coordination entre le niveau national et infranational. Parmi les mesures identifiées pour pallier ces difficultés, la Feuille de Route insiste sur l’importance de créer des établissements accueillants et bien équipés, et pour ce faire, de mettre en place une planification financière en cohérence avec les impacts visés et de sécuriser les ressources au travers d’un cadre de financement avec les partenaires clés.

De plus, le programme gouvernemental 2021-2026 érige le renforcement du système éducatif marocain en priorité. À ce titre, les objectifs des efforts budgétaires en investissement pour 2023 reposent principalement sur deux axes : 1) La généralisation et le développement d’un enseignement préscolaire de qualité, ce qui inclut, en termes d’investissement, la construction et l’équipement de près de 3,400 nouvelles salles de classe ; et 2) L’élargissement de l’offre scolaire, à travers la construction et/ou la réhabilitation des établissement scolaires, avec une enveloppe budgétaire de MAD 2.6 milliard (ou environ EUR 236 millions), et 224 nouveaux bâtiments identifies.

La vision stratégique à long terme du Maroc en matière d’Éducation s’étend ainsi sur plusieurs secteurs car il ne s’agit pas seulement de construire de nouveaux établissements, mais d’assurer l’accès à une éducation de qualité, en facilitant par exemple le transport des élèves, notamment en zone rurale, mais également d’assurer un raccordement aux réseaux en eau et en électricité afin d’assurer la salubrité des établissements. Une coordination entre les différents ministères concernés est ainsi essentielle.

La stratégie d’investissements publics dans le secteur de l’eau

Sous les Hautes Orientations Royales, le Programme National pour l’Approvisionnement en Eau Potable et l’Irrigation (PNAEPI) 2020-2027 a été présenté en 2020. Ce programme vise l’accélération des investissements dans le secteur de l’eau pour renforcer l’approvisionnement en eau potable et l’irrigation et renforcer la résilience du pays face aux aléas et dérèglements climatiques.

Ce programme qui s’étale sur la période 2020-2027 avec un coût de MAD 115.4 Milliards repose sur les 5 axes suivants :

• le développement de l’offre en eau à travers :

  • la poursuite de la construction des grands barrages avec l’achèvement des travaux de construction des barrages en cours et le lancement des travaux de 20 nouveaux barrages. La capacité de stockage atteindra 27,3 Milliards de m3 ;

  • la mise en place de 3 nouvelles stations de dessalement de l’eau de mer ;

  • la construction des petits barrages pour le développement local avec une enveloppe budgétaire annuelle de 600 millions de dirhams ;

  • la sécurisation de l’approvisionnement en eau potable à travers le renforcement et la réalisation des équipements et des adductions nécessaires à partir des ouvrages de mobilisation de l’eau ;

  • la prospection et le dégagement des ressources en eau souterraine pour le renforcement de l’approvisionnement en eau potable, l’abreuvement du cheptel et l’irrigation.

• la gestion de la demande et la valorisation de l’eau portant essentiellement sur :

  • la poursuite des efforts des opérateurs de distribution de l’eau potable pour l’amélioration des rendements des réseaux de distribution des villes et centres urbains ;

  • la poursuite de la modernisation des réseaux d’irrigation et de la reconversion collective à l’irrigation localisée ;

  • la réalisation de l’aménagement hydro-agricole des périmètres irrigués (plaine du Gharb et Saiss) ;

• le renforcement de l’approvisionnement en eau potable en milieu rural moyennant :

  • la poursuite de la mise en œuvre des programmes déjà engagés pour 160 centres et 10818 douars ;

  • la mise en place de programmes complémentaires pour 659 centres et 7876 douars ;

• la réutilisation des eaux usées épurées (notamment pour les 21 projets d’arrosage de Golf répartis dans 45 provinces et couvrant les 12 régions du pays ;

• la communication et la sensibilisation à travers l’adoption d’un plan de communication institutionnelle et le développement d’une campagne de communication pour le changement de comportement visant le grand public.

Source : (Ministère de l’Économie et des Finances du Maroc, n.d.[29]), (OCDE, 2019[30]) (Ministère de l’Education Nationale du Maroc, 2021[31])

Une coordination verticale est en effet assurée à l’aide de plusieurs instruments tels que les contrats État-Région ou des conventions spécifiques de partenariat. Ces contrats programmes portent en effet sur les programmes d’investissement et de développement et leurs modalités de financement. (Royaume du Maroc, 2023[12]) Une analyse de l’élaboration de ces contrats dans deux régions-pilotes marocaines a ainsi révélé que ces contrats prenaient en compte les stratégies sectorielles et les documents de référence nationaux. (OECD, 2023[32]). Cependant, le rapport de la Cour des comptes sur l’exercice 2021 a mentionné des insuffisances dans la prise en compte des stratégies et programmes sectoriels pour la planification stratégique des régions (Cour des comptes, 2023[33]). Une meilleure coordination verticale permettrait d’améliorer l’efficience et l’efficacité des investissements publics.

La coordination horizontale quant à elle s’effectue au niveau du gouvernement, entre les différentes stratégies sectorielles des ministères est essentielle afin d’éviter une fragmentation ou une duplication des différents investissements publics et afin d’assurer une synergie entre les différents secteurs. (OCDE, 2023[23]). Au Maroc, la convergence plus accrue de stratégies et planifications intersectorielles a été identifiée comme un axe important pour maximiser l’impact des politiques publiques portées par les grands programmes d’investissements inscrits au programme du gouvernement (FMI, 2017[7]). Ce constat est également partagé par la commission spéciale sur le modèle de développement qui mentionne dans son rapport qu’il existe un manque de cohérence verticale entre la vision de développement et les politiques publiques annoncées et la faible convergence horizontale entre ces politiques. Plus spécifiquement le rapport mentionne que « l’absence d’une vision stratégique globale et à long terme, partagée et assumée par tous les acteurs de la gouvernance publique, ainsi que des réformes élaborées en silos, sans repères ou référentiels lisibles ne favorisent pas la cohérence d’ensemble autour de priorités compatibles avec les ressources réellement disponibles et les capacités effectives des acteurs ». (Commission Spéciale sur le Modèle de Développement, 2021[19]).

Les discussions menées lors des missions exploratoires de l’OCDE en Mars et Mai 2023 ont également permis de confirmer ce constat. Même si dans la pratique les différents secteurs sont consultés lors du développement des stratégies sectorielles, il n’existe pas de mécanismes formels pour s’assurer de la convergence et de la coordination des stratégies sectorielles, favoriser les complémentarités des investissements et limiter le risque d’investissements contradictoires (OCDE, 2018[10]).

Cependant, cette coordination horizontale de l’investissement public pourrait être renforcée dans le contexte marocain, afin de centraliser les visions d’investissements des différents secteurs et en faire une vision globale. La convergence des politiques publiques est l’une des missions du ministère délégué chargé de l’investissement de la convergence et de l’évaluation des politiques publiques a été créé en 2021. Ce Ministère pourrait donc jouer un rôle important pour assurer la convergence des stratégies sectorielles et donc des programmes d’investissements.

2.2. Une systématisation de la préparation et l’évaluation des projets d’investissements

Pour mettre en œuvre les stratégies à long terme, les gouvernements ont besoin d'un cadre robuste pour planifier et évaluer les projets d'investissement. Les bonnes pratiques de l'OCDE soulignent la nécessité de disposer de processus rigoureux d'évaluation et de sélection des projets qui privilégient l'efficacité socio-économique (en tenant compte des coûts et avantages économiques, sociaux, environnementaux et climatiques) et qui prennent en compte le cycle de vie complet du projet. (OCDE, 2020[2]). En outre, pour les projets qui dépassent un seuil d'investissement élevé, il est particulièrement important de prévoir une structure indépendante pour tester le calcul des coûts, la gestion des risques et la gouvernance des projets. (OCDE, 2020[2]).

Cette étape préliminaire du cycle de la politique d'investissement est essentielle pour optimiser la conception et l'impact des projets, et pour s'assurer que les projets sont bien pensés et suffisamment préparés pour faire l’objet d’un appel d’offre et être mis en œuvre. Cette étape est également cruciale pour s'assurer que seuls les projets les plus rentables sur le plan socio-économique sont sélectionnés et mis en œuvre. Une évaluation imprécise et irréaliste peut entraîner des dépassements de coûts et de délais au cours de la mise en œuvre, des actifs de mauvaise qualité ou inachevés, des interruptions de service et des dépenses inefficaces (Schwartz et al., 2020[34]).

Les pays de l'OCDE disposent de différents processus et outils pour guider la préparation et l'évaluation des investissements publics. Grâce à cette première partie du cycle d'investissement, les institutions publiques peuvent vérifier la nécessité d’un projet, les contributions qu'il peut apporter à la réalisation des objectifs fixés dans les plans nationaux ou sectoriels, et évaluer les risques, les avantages et les coûts qu'il entraînera pour le secteur public et la société dans son ensemble. L’expérience de l’OCDE montre que pour garantir la qualité du processus de préparation des projets, les gouvernements définissent souvent une méthodologie standardisée, fournissent des lignes directrices centrales et des conseils sur la manière de préparer et de quantifier les coûts et les avantages d'un projet donné. Ces cadres comprennent des législations, des réglementations et/ou des guides.

Certaines des principales méthodologies utilisées par les pays de l'OCDE sont présentées dans l’Encadré 2.5. L'analyse coûts-bénéfices (ACB) est la technique la plus utilisée pour évaluer les investissements en infrastructures dans les pays de l'OCDE. Selon l'étude menée par l’OCDE en 2020 sur la gouvernance des infrastructures, 84 % des pays interrogés utilisent cette méthodologie. Parmi les autres méthodes couramment utilisées pour évaluer les projets et/ou programmes d'infrastructure figurent l'analyse multicritères (AMC) - utilisée par 48 % des pays interrogés - et l'analyse coût-efficacité (ACE) - utilisée par 42 % des pays interrogés (OECD, 2020[35]).

Encadré 2.5. Les méthodologies les plus courantes pour l'évaluation des projets d'infrastructure

L'analyse coûts-bénéfices (ACB)

L'ACB évalue la variation de la fonction de bien-être social attribuable à un projet d'investissement (ou à un programme) en comparant ses coûts totaux à ses bénéfices à l'aide d'une métrique commune, à savoir des unités monétaires. L'ACB suppose qu'une valeur monétaire peut être attribuée à tous les coûts et bénéfices associés à un projet (ou programme) d'investissement donné, y compris les bénéfices tangibles et intangibles pour d'autres personnes et organisations en plus de celles qui sont immédiatement touchées. Cette approche peut s'avérer difficile, car elle nécessite des hypothèses solides quant à la validité des prix fictifs utilisés pour monétiser les avantages et les coûts (valeurs tutélaires). Néanmoins, l'ACB a l'avantage de donner une indication claire de la contribution du projet au bien-être social et de fournir aux décideurs une estimation monétaire unique de ses coûts ou avantages nets. Les alternatives sont évaluées et comparées afin d'identifier celle qui apporte le plus d'avantages par rapport aux coûts.

L’analyse coût-efficacité (ACE)

L'ACE est utilisé pour comparer des projets alternatifs ayant un effet commun unique, mais dont l'ampleur peut être différente. Elle vise à sélectionner le projet (ou programme) d'investissement qui, pour un niveau de résultat donné, minimise la valeur actuelle nette des coûts ou, alternativement, pour un coût donné, maximise le niveau de résultat. Alors que la mesure des coûts est la même que dans l'analyse financière de l'ACB, la mesure de l'efficacité dépend du type de résultat choisi. Parmi les exemples de mesures de l'efficacité utilisées dans l'ACE, on peut citer le nombre d'années de vie gagnées, le nombre de jours d'invalidité évités, les résultats aux examens, etc.

L'ACE est utile pour les projets (ou programmes) dont les bénéfices sont très difficiles - voire impossibles - à évaluer, alors que les coûts peuvent être prédits avec plus de certitude, par exemple les programmes de soins de santé, l'éducation et les projets environnementaux. Dans ce cas, des ratios ACE simples sont utilisés, tels que le coût de l'éducation par étudiant, le coût par unité de réduction des émissions, etc. L'ACE est moins utile lorsqu'une valeur monétaire peut être attribuée aux bénéfices et pas seulement aux coûts.

Même si l'ACE est une méthodologie plus souple que l'ACB (dans le sens où elle ne nécessite pas d'hypothèses sur le bien-être social ou valeurs tutélaires), il peut être difficile d'identifier le projet d'investissement optimal d'un point de vue social si les alternatives ont plusieurs résultats. Si l'ACE permet de classer un ensemble de solutions d'investissement en fonction de leur rapport coût-efficacité, elle ne permet pas de savoir si l'une d'entre elles vaut réellement la peine d'être réalisée.

L'analyse multicritères (AMC)

L'AMC classe les projets sur la base de leurs résultats sans attribuer de prix fictifs, mais des pondérations qui reflètent l'importance des résultats considérés. Ces informations sont traitées au moyen d'algorithmes mathématiques qui génèrent le classement des alternatives. La procédure est extrêmement souple, car elle ne requiert pas l'ensemble des hypothèses nécessaires à l'ACB pour monétiser les impacts et/ou pour condenser les informations en un seul indicateur, à savoir le changement dans le bien-être social. Plus important encore, elle permet de prendre explicitement en considération des effets économiques plus larges, qui ne sont généralement pas pris en compte dans l'ACB standard (par exemple, les impacts fiscaux ou démographiques, les impacts sur le climat et l'environnement, etc.) Dans le cas le plus simple, le résultat final de l'AMC est une moyenne pondérée des notes obtenues pour les différents résultats envisagés, l'option qui obtient la note pondérée la plus élevée étant celle qui est considérée comme "la meilleure option". Des techniques plus sophistiquées peuvent être utilisées pour des décisions et des projets d'investissement plus complexes.

En règle générale, lorsqu'il est difficile de traduire les résultats et/ou les coûts d'un projet en termes mesurables afin que ces mesures puissent être agrégées dans une ACB, il est recommandé de recourir à l'AMC avec ses caractéristiques multidimensionnelles au lieu de forcer des données hétérogènes et diverses à entrer dans un calcul économique quantitatif. En outre, l'AMC est plus appropriée pour les projets (ou programmes) de développement qui poursuivent simultanément différents objectifs politiques (par exemple, l'équité, la durabilité environnementale, l'amélioration de la qualité de vie, etc.)

La flexibilité de l'AMC en termes d'hypothèses peut toutefois constituer un inconvénient, car la méthodologie n'a pas d'interprétation directe en termes de bien-être économique. L'approche repose sur le fait que les décideurs disposent d'un degré élevé de discrétion et crée le risque que les préférences orientent l'analyse.

Source : (Schwartz et al., 2020[34]; OCDE, 2007[36]; European Commission, 2015[37]; Percoco et al., 2023[38])

Une analyse coût-bénéfice (ACB) privilégie traditionnellement l'impact qui peut être facilement monétisé. Bien que certaines méthodologies d'ACB prennent en compte les impacts non monétisés, elles sont moins répandues. La force de l'ACB réside dans sa simplicité logique et dans le fait qu'elle génère des valeurs quantitatives claires (par exemple, les valeurs actuelles nettes, les ratios coûts/avantages) qui peuvent être utilisées pour comparer et classer les projets. Le renforcement des pratiques d'ACB peut devenir un outil efficace pour garantir qu'un portefeuille de projets d'infrastructure maximise le bien-être, sous réserve des contraintes de ressources. Certains pays, comme le Chili, ont mis au point des systèmes d'évaluation des coûts et bénéfices sociaux, qui imposent un degré considérable de rigueur au processus de formulation et de sélection des projets. La méthodologie d'évaluation sociale garantit que seuls les projets générant un rendement social minimum reçoivent un financement (voir Encadré 2.6).

Encadré 2.6. L’évaluation socio-économique au Chili

Au Chili, tous les grands projets sont évalués dans le cadre du Système national d'évaluation des investissements ("SNI"), supervisé par le ministère du Développement social (voir chapitre 2). Le SNI fournit une méthodologie pour évaluer les coûts et les bénéfices de chaque type d'investissement, basée sur des années d'expérience accumulée dans chaque secteur et sur les meilleures pratiques internationales.

Le SNI souligne l'importance d'établir un lien entre l'évaluation ex ante et ex post. Il est également conseillé aux porteurs de projets de développer des indicateurs de performance (financiers, opérationnels et socio-économiques) susceptibles d'alimenter les évaluations à mi-parcours et ex post du projet en question.

Ce cadre présente plusieurs avantages :

1. Premièrement, il garantit qu'une méthodologie uniforme et cohérente est disponible pour tous les projets d'investissement, ce qui permet de comparer les différentes alternatives.

2. Deuxièmement, il attribue des responsabilités claires en matière d'élaboration des projets (régions, ministères sectoriels), d'évaluation (ministère du développement social) et d'approbation (ministère des finances).

3. Troisièmement, il introduit un degré élevé de transparence car tous les apports et les résultats sont rendus publics sur le site web du ministère du développement social.

Toutefois, l'OCDE a également identifié certaines lacunes du système SNI. L'obligation de réaliser une évaluation socio-économique n'est pas contraignante. En outre, le système n'intègre pas les impacts environnementaux dans l'évaluation. Le SNI impose également des exigences considérables aux porteurs de projets. Les régions de petites tailles et les plus pauvres peuvent ne pas disposer de ressources suffisantes pour réaliser une analyse ex ante détaillée et convaincante.

Sources : (OECD, 2017[39])

2.2.1. Une formalisation nécessaire de la préparation des projets d’investissement public

La durabilité et l'efficacité des ressources ont été identifiées comme une priorité pour le gouvernement du Maroc. Comme le souligne le principe numéro 5 du NMD, les dépenses et les ressources publiques devraient être guidées par une analyse systématique des coûts et des bénéfices (Commission Spéciale sur le Modèle de Développement, 2021[19]). Dans ce contexte, il est essentiel de disposer d'un cadre d'évaluation des projets bien articulé qui puisse guider les décisions vers des investissements efficaces et efficients qui prennent en compte les différents coûts et bénéfices.

Malgré la recommandation du NMD, il n'existe pas de lignes directrices générales pour la préparation et l'évaluation des options d'investissement au Maroc. À cet égard, l'évaluation de la gestion des investissements publics (PIMA) réalisée en 2017 souligne que le Maroc ne dispose pas d'un cadre juridique ou réglementaire instituant une évaluation systématique des projets d’investissements publics selon une méthodologie standard. (Fond Monetaire International, 2017[25]) Le processus dépend fortement du secteur et de l’organisme qui supervise la préparation du projet. Bien que certains projets fassent l'objet d'études de faisabilité préliminaires, y compris une évaluation des investissements les plus appropriés en fonction des analyses coûts-bénéfices, il ne s'agit pas d'une pratique standardisée. Chaque organisme a son propre processus de planification et d'évaluation des projets d'investissement. Souvent, ce processus n'est pas formalisé et il est basé sur des pratiques internes qui ont été établies sans une analyse appropriée de leurs principaux objectifs et des arbitrages. Les projets financés par des ressources provenant de bailleurs de fonds (par exemple, la Banque Mondiale, le Fonds Monétaire International, les banques régionales de développement, la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement) répondent à des exigences spécifiques en termes d'impacts environnementaux et socio-économiques. Les discussions menées avec différentes parties prenantes ont souligné que ces exigences sont souvent plus élevées que celles généralement pratiquées dans le même secteur.

L'absence de règles générales pour la préparation et l'évaluation des projets peut entraîner des disparités dans la qualité de la préparation des projets. Alors que certains projets (par exemple, les grands projets d'infrastructure financés par des bailleurs de fonds) peuvent suivre un processus rigoureux d'évaluation des projets, d'autres ne bénéficient pas de la même analyse. Comme le souligne la Cour des comptes dans son rapport annuel pour 2021, au Maroc "les projets d'investissement proposés ne sont souvent pas assortis d'une formulation de besoins bien étudiée et justifiée par une analyse socio-économique, qui tient compte des critères de pertinence, faisabilité, choix de financement, rapport coût/bénéfice, cibles et impacts" (Cour des comptes, 2023[33]).

L'absence de procédures normalisées et de critères unifiés a été soulignée comme une préoccupation majeure pour l'efficience et la performance de l'investissement public. Les directives internes mettent un accent particulier sur la faisabilité technique d'un projet donné, mais il n'existe pas de processus permettant d'évaluer le lien entre le projet sélectionné, le processus de planification stratégique et les effets escomptés. (Cour des Comptes du Royaume du Maroc, 2023[40]).

Le Maroc gagnerait à mettre en place un cadre pour une évaluation systématique et rigoureuse des projets d'investissement public qui examine la nécessité et l'opportunité d'entreprendre un investissement donné. Ce cadre devrait définir des étapes communes pour tous les projets d'investissement, ainsi que l'analyse minimale requise en fonction de la taille et de la complexité du projet. Étant donné que certains ministères, collectivités territoriales et entreprises publiques ont déjà mis en place des exigences spécifiques, le cadre d'évaluation ne devrait pas remplacer les pratiques existantes, mais plutôt garantir que tous les projets suivent un processus de préparation similaire et fassent l'objet d'un minimum d'analyse à chaque étape du processus de préparation. D’après l’expérience de l’OCDE, les éléments suivants pourraient être pris en compte dans le cadre d'évaluation :

• Définition des principales étapes et institutions impliquées dans le processus

• Définition des autorités compétentes en matière d'approbation

• Définition du périmètre de l'investissement soumis à l'évaluation

• Utilisation claire du principe de proportionnalité

• Utilisation de méthodologies standard

• Prise en compte des risques potentiels

• Développement de directives supplémentaires pour les projets d'investissement plus complexes.

Parmi les critères d’évaluation des projets d’investissement, la durabilité environnementale revêt une importance particulière, car elle est essentielle pour contribuer aux engagements nationaux et internationaux du Maroc. Elle a ainsi été définie comme une priorité de l'agenda politique du Royaume. Avec la promulgation de la loi 12-03 sur les études d'impact sur l'environnement en 2003, le Maroc s'est fixé comme tâche prioritaire d'assurer la préservation de l'environnement. Ce cadre juridique a été complété en 2020 par la loi n°49-17 relative à l'évaluation environnementale. Ce cadre définit l'étude d’impact environnemental (EIE) comme une étude visant à évaluer les aspects environnementaux et sociaux d'un projet, d'un plan ou d'un programme ou d'une politique publique, qui est utilisée pour évaluer tout impact potentiel du projet sur les écosystèmes environnementaux et sociaux, qu’ils soient positifs ou négatifs. De même, l'évaluation doit identifier les mesures permettant d'éliminer, d'atténuer ou de compenser les effets négatifs et de renforcer les effets positifs sur l'environnement. Les EIE doivent être soumises à l’examen du comité national ou des comités régionaux d'études d'impact sur l'environnement, qui donnent leur avis sur l'acceptabilité environnementale des projets. Les attributions et fonctionnement de ces comités sont prévus dans le Décret n° 2-04-564 du 4 novembre 2008.

Depuis 2008, l'évaluation est soumise à une consultation publique (ou enquête publique). Lors de cette enquête, la population concernée peut formuler des observations et des propositions concernant les impacts possibles du projet sur l'environnement (Royaume du Maroc, 2008[41]). Cependant, le cadre réglementaire ne requiert pas le porteur du projet à partager les résultats de l’EIE avec le public.

Cependant, l’utilisation effective des EIE fait face à plusieurs défis. Premièrement, les projets soumis à l'obligation d'EIE sont listés dans l'annexe de la loi 12-03 et comprennent les grands projets d'infrastructure, tels que les routes nationales, les autoroutes, les chemins de fer et les aéroports. Cependant, la liste actuelle des projets n’intègre pas plusieurs catégories de projets connexes, telles que les oléoducs et gazoducs, les systèmes d'approvisionnement en eau, les parcs éoliens (UNECE, 2022[42]). Le caractère obligatoire de l’EIE pour les projets listés dans l’annexe de la loi a pour conséquence que plusieurs projets de développement échappent à cette analyse.

Par ailleurs, l’EIE ne promeut pas suffisamment l'analyse des solutions alternatives aux projets proposés et les délais spécifiés pour l'évaluation sont relativement courts en particulier pour les projets d’investissement complexes (OECD, 2020[43]). De plus, le temps accordé aux comités pour produire sa décision sur l’acceptabilité environnementale du projet (20 jours ouvrables) peut être considéré court pour les projets plus larges et complexes (UNECE, 2022[42]).

En outre, l'absence de mesures d'application de la loi a été signalé par les nations unies comme un des principaux défis à la mise en œuvre effective de la loi sur l'évaluation environnementale. Ce défi peut limiter la prise en compte de l’avis du public sur l'évaluation environnementale des projets, ainsi que l'efficacité de l'EIE en tant qu'outil de gestion de l'environnement. De plus, des guides (ou lignes directrices) relatifs à l’EIE n’ont été développés que pour certains secteurs tels que les routes, l’aquaculture et la gestion des décharges publiques (UNECE, 2022[42]).

Dans ce contexte, le Maroc gagnerait à réviser son cadre réglementaire pour élargir la liste des projets soumis à évaluation et pour garantir une participation significative et opportune du public au processus d’EIE. De plus, en matière d’outils d’accompagnement, il serait bénéfique de développer des lignes directrices sur l’EIE qui couvrent tous les secteurs concernés et de fournir des orientations réglementaires pour calculer les émissions de gaz à effet de serre (GES) et d'établir des mesures pour surveiller et réduire l'impact des émissions de GES.

Au-delà des réformes nécessaires pour améliorer le cadre d’évaluation de l’impact sur l’environnement, il est important de souligner que les impacts environnementaux, et en particulier les impacts climatiques, sont rarement pris en compte lors de l'évaluation des projets. Même si, le NMD souligne la nécessité de rendre systématique l’analyse des externalités environnementales de tous les projets d'investissement, en pratique il n’existe pas de guides ou règles pour incorporer ce type d’éléments pendant l’évaluation de projets. D’après les discussions menées lors des missions exploratoires de l’OCDE, le critère environnemental ne semble pas être un critère fondamental pour la sélection des projets et la préservation des ressources ne guide pas nécessairement la prise de décision en cas d'externalités négatives importantes des projets (Royaume du Maroc, 2023[12]) .

Cependant, le Maroc bénéficie actuellement de l’accompagnement de plusieurs organisations internationales pour intégrer la dimension climat dans plusieurs domaines. En effet, dans le cadre de l’accord conclu avec le Fonds Monétaire International, le 28 septembre 2023, au titre de sa nouvelle facilité pour la résilience et la durabilité, le gouvernement du Maroc s’engage à prendre des mesures importantes en vue d’intégrer les considérations climatiques dans ses politiques économiques et budgétaires et d’introduire des réformes visant à promouvoir des investissements durables, à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à renforcer la résilience aux changements climatiques. Ainsi, une unité centrale pour le climat, qui regroupe l’ensemble des directions concernées par les thématiques et les stratégies liées au climat (obligations vertes, fiscalité environnementale, budget sensible au climat etc.), a été créée au sein du Ministère de l’Économie et des Finances dans l’objectif d’orienter et d’éclairer la prise de décision dans les programmes et stratégies de l’État liés aux changements climatiques (Royaume du Maroc, 2023[12]). Bien que l’investissement public ne soit pas au centre de cette unité, son caractère transversal fait qu’il profitera également des différentes actions qui seront entreprises.

Mettre à disposition des outils et renforcer les procédures existantes pour l’évaluation des projets afin d’intégrer les considérations environnementales est une condition préalable majeure pour améliorer la performance environnementale des investissements publics. En particulier, développer des méthodologies standardisées pour inclure la dimension climat (atténuation et adaptation au changement climatique) lors de l’évaluation des projets pourrait aider à mieux éclairer le processus de prise de décision.

Certains pays comme l'Irlande ont déployé des efforts importants pour renforcer les considérations liées au climat et à l'environnement dans la prise de décision en matière d'infrastructures publiques (voir Encadré 2.7). Ce type de bonnes pratiques pourrait inspirer le Maroc dans son intention d'intégrer les considérations liées à la dimension climat lors du processus d'évaluation des projets. Il est important de noter que la plupart des pays ont suivi un processus par étapes pour l’intégration de la dimension climat dans l’évaluation des projets. Dans un premier temps, des lignes directrices générales sont développées. Dans un deuxième temps, le Maroc peut se concentrer à affiner les méthodologies de quantification des émissions directes et indirectes de l’empreinte carbone.

Encadré 2.7. Irlande : Les exigences environnementales du Code de Dépenses Publiques

Le Code des Dépenses Publiques (Public Spending Code PSC) irlandais fournit des orientations de haut niveau sur l'évaluation, la planification et la gestion des projets d'investissement public et contraint chaque secteur à spécifier les processus et les méthodologies à utiliser, tout en respectant les principes contenus dans le Code. À ce titre, le Code exige que l'évaluation économique des projets d’investissement public estime l'impact des émissions d'un projet à partir d'un panier de sept émissions de gaz à effet de serre, dont le méthane, le dioxyde de carbone et l'hexafluorure de soufre. Il préconise également aux analyses coûts-bénéfices, l’une des méthodologies d’évaluation des projets, à inclure une évaluation quantitative de l'impact net sur les émissions de gaz à effet de serre du projet, ainsi qu’une monétisation de la valeur d'autres émissions non liées aux gaz à effet de serre telles que le bruit ou les particules, lorsqu'elles peuvent avoir une incidence sur la qualité de l'air.

Toutefois, les lignes directrices contenues dans le PSC restaient générales et la méthodologie de valorisation du carbone devait être affinée davantage. À cette fin, en 2022 et 2023 l'OCDE a fourni un soutien technique à l’Irlande pour développer une approche méthodologique pour évaluer les impacts des infrastructures liés au climat et intégrer les risques et les incertitudes liés au climat dans l'évaluation des projets d'infrastructure.

Source : (OECD, 2023[44]; Percoco et al., 2023[38])

2.2.2. Pour une meilleure disponibilité et qualité des données

Un autre élément important d'un cadre d'évaluation solide repose sur la disponibilité et la qualité des données utilisées pour l'évaluation des investissements. D’après l’expérience de l’OCDE, la mise à disposition de données publiques pouvant être utilisées pour évaluer différents types d'impacts présente l'avantage de rendre le processus d'évaluation plus robuste, transparent et cohérent dans les différents secteurs.

Les missions exploratoires de l’OCDE ont permis d’identifier deux défis principaux : Premièrement, compte tenu de la nature décentralisée du processus d'investissement au Maroc, chaque entité dispose de ses propres valeurs ou paramètres pour évaluer les coûts et les bénéfices pertinents. Même au sein du secteur des transports, chaque mode de transport a sa propre estimation des valeurs tutélaires tels que le bruit et la pollution de l'air. Par ailleurs, la liste des valeurs pertinentes pour évaluer les coûts et bénéfices (valeurs tutélaires) est limitée.

L'utilisation de valeurs et d'hypothèses communes peut améliorer la qualité et la fiabilité de l'analyse. Les pays de l'OCDE ont mis au point différents outils pour obtenir une vue d'ensemble des principaux coûts et avantages utilisés pour l'évaluation des projets. Par exemple, la Nouvelle-Zélande a mis au point un outil accessible au public pour évaluer les différents types de coûts et d'avantages couramment utilisés pour l'évaluation des projets (voir Encadré 2.8).

Encadré 2.8. L’outil CBAx de la Nouvelle-Zélande

L'outil CBAx a été conçu par le Trésor en octobre 2015 pour soutenir le cadre d'évaluation des agences du secteur social, mais il peut également aider à calculer les valeurs actuelles (et tutélaires) de nombreuses initiatives. Il contient des données publiques néo-zélandaises qui peuvent être utilisées pour évaluer de nombreux types d'impacts (c'est-à-dire des bénéfices ou des économies et des coûts). Cela inclut par exemple le coût d'une visite aux urgences, et le coût de l'allocation de soutien aux demandeurs d'emploi. L'outil CBAx permet également aux utilisateurs individuels d'ajouter leurs propres valeurs d'impact dans le modèle

Diverses agences ont contribué à l'élaboration des valeurs contenues dans l'outil en utilisant différentes méthodologies d'évaluation, y compris des évaluations non marchandes telles que des enquêtes (par exemple, l'enquête sociale générale). Les valeurs ont ensuite été ajustées pour refléter une période commune. Le Trésor accueille favorablement les suggestions relatives à l'outil CBAx, y compris sur la base de l'expérience pratique de son utilisation. Il invite à suggérer des données et des informations à inclure dans la base de données d'impact CBAx. Il peut s'agir d'informations disponibles et pouvant être partagées, ou d'une demande de valeurs qui seraient utiles au grand public. En outre, le Trésor examinera et mettra à jour l'outil sur une base annuelle, notamment en révisant la base de données des impacts afin de prendre en compte d'autres coûts et bénéfices.

Source : (New Zealand’s Treasury, 2021[45]).

Un contrôle rigoureux de la qualité de préparation des projets d’investissement public

Comme souligné dans l'introduction de cette section, les cadres d'évaluation des projets comprennent souvent l'utilisation de données provenant d'études indépendantes et la publication des résultats de l'évaluation. Les processus d'assurance qualité permettent de confirmer la qualité des données, de contrôler les hypothèses utilisées et de s'assurer que tous les risques pertinents sont pris en compte. Cela est particulièrement important pour les grands projets d'infrastructure qui sont essentiels au développement du pays.

Actuellement, au Maroc, il n'existe pas de processus d'assurance qualité spécifique pour les grands projets d'infrastructure. Compte tenu de l'importance de ces projets pour la fourniture de services publics et de l'impact potentiel qu'ils peuvent avoir sur les comptes publics, de nombreux pays de l'OCDE ont mis en place des procédures spéciales d'assurance qualité pour les grands projets d'infrastructure (OECD, 2020[35]). Les bonnes pratiques suggèrent que pour les projets dépassant un seuil d'investissement élevé, il est particulièrement important de prévoir une structure indépendante pour vérifier le coût du projet, la gestion des risques et la gouvernance du projet, comme c'est le cas en Norvège (Encadré 2.9). Le Royaume-Uni a créé une agence centrale pour soutenir la gouvernance des grands projets (Encadré 2.10). Dans ces cas, des processus spéciaux d'approbation et/ou de soutien (par exemple, par le biais d'un organisme d'approbation indépendant) sont nécessaires pour fournir une assurance qualité et un contrôle adéquats pour les grands projets d'infrastructure.

Encadré 2.9.  Le processus d'assurance qualité en deux étapes en Norvège

En Norvège, le ministère des finances a conclu un accord-cadre avec sept groupes de consultants pour assurer l'assurance qualité des grands projets d'investissement public. Tous les projets d'investissement publics dont le coût total estimé dépasse le seuil de 1 milliard de NOK (300 millions de NOK pour les projets de technologies de l'information et de la communication) font l'objet d'un examen supplémentaire dans le cadre d'un processus d'assurance qualité en deux étapes. Le secteur du pétrole et du gaz et les entreprises publiques responsables de leurs propres investissements en sont exemptés. Le processus comprend la contribution d’évaluateurs indépendants et a été initialement mis en œuvre pour lutter contre les dépassements de coûts.

AQ1 - Assurance qualité du choix du concept

L'AQ1 se concentre sur l'assurance qualité du choix du concept. Elle est réalisée avant la sélection des projets par le gouvernement. L'objectif principal de cette analyse est de vérifier, à un stade relativement précoce, que le projet a fait l'objet d'un processus de choix "équitable et rationnel". Elle est menée par le ministère ou l'agence gouvernementale responsable et comprend l'examen des solutions alternatives, des impacts socio-économiques et de la pertinence du projet par rapport aux besoins. L'accent est mis sur les impacts environnementaux et sociaux, les implications en matière d'aménagement du territoire et le développement régional. Cette évaluation doit, entre autres, inclure une option "ne rien faire" ("option zéro") et au moins deux options alternatives et différentes sur le plan conceptuel.

Le rôle des consultants (évaluateurs externes) est d'examiner la documentation et de vérifier la cohérence des différents documents et entre ces documents, ainsi que de contrôler que les alternatives proposées sont pertinentes par rapport aux besoins, à la stratégie envisagée pour le projet et aux exigences, et qu'elles exploitent pleinement le champ d'opportunités. Le consultant externe doit également entreprendre une analyse indépendante de l'incertitude du projet et une analyse économique et formuler des recommandations en termes de stratégie de décision. Enfin, le consultant formulera des recommandations concernant la stratégie de mise en œuvre et des conseils pour la phase d'avant-projet.

AQ2 - Assurance qualité de la base de gestion et des estimations de coûts, y compris l'analyse d'incertitude pour l'alternative de projet choisie

L'AQ2 se concentre sur l'assurance qualité de la base documentaire du projet et des coûts. Elle a pour but de vérifier la qualité des éléments de décision, y compris les estimations de coûts et les incertitudes liées au projet, avant que celui-ci ne soit soumis au Parlement pour qu'il décide de l'allocation des fonds. Elle comprend une évaluation des estimations de coûts dérivées des travaux d'ingénierie de base et une évaluation de la meilleure stratégie contractuelle à adopter. Il convient toutefois de noter que la deuxième étape ne comprend pas le réexamen et la mise à jour de l'analyse coûts-avantages réalisée au cours de la première étape, sauf si le projet semble avoir été modifié de manière significative par rapport à l'option choisie au cours de la première étape. En outre, l’AQ2 se concentre sur la gestion de projet dans la phase de mise en œuvre.

Pour servir de base à l’AQ2, les documents suivants doivent être préparés par le ministère ou l'agence responsable du projet :

1. Un document de gestion globale du projet (document de pilotage)

2. La documentation des changements entre l'AQ1 et l'AQ2

3. Une estimation complète des coûts

4. Une évaluation d'au moins deux stratégies contractuelles alternatives

5. Une analyse coûts-avantages actualisée et un plan de réalisation des bénéfices.

Les experts externes examineront ces documents et entreprendront également une évaluation indépendante des facteurs de réussite et des obstacles, et quantifieront l'incertitude liée au coût total. Sur cette base, le consultant formulera des recommandations concernant :

• Le cadre de coût total du projet, y compris les réserves pour imprévus pour tenir compte de l'incertitude, et le cadre de coût pour l'agence responsable.

• La manière dont le projet doit être géré pour maximiser la probabilité que le cadre de coûts soit respecté.

Graphique 2.4. Le régime norvégien d’assurance qualité des grands investissements publics (le schéma AQ)

Source : (Samset et al., 2015[46])

Encadré 2.10. L'Autorité pour les Infrastructures et les Projets (AIP) du Royaume-Uni

L'AIP est le centre d'expertise du gouvernement britannique pour les infrastructures et les grands projets. Elle se situe au cœur du gouvernement et rend compte au Cabinet Office et au ministère de l’Économie et des Finances (His Majesty’s Treasury, HMT). L'autorité travaille avec l'ensemble du gouvernement pour contribuer à la réussite de tous les types de grands projets, qu'il s'agisse de chemins de fer, de routes, d'écoles, d'hôpitaux, de logements, d'énergie, de télécommunications, de défense, de technologies de l'information ou de grands programmes de transformation. Elle fournit des conseils d'experts en matière de réalisation de projets, des formations et des activités de renforcement des capacités, ainsi qu’un examen de l'assurance des grands projets aux ministères. En outre, elle travaille avec l'industrie pour s'assurer que les projets sont exécutés de manière efficace et efficiente et pour améliorer les performances au fil du temps.

L'AIP supervise notamment les grands projets d'investissement inclus dans le portefeuille des grands projets du gouvernement ("Government Major Projects Portfolio", GMPP). Ses responsabilités sont les suivantes

• Avec le HMT, l'AIP est responsable de la décision finale concernant les projets et les programmes qui rejoignent le GMPP. En outre, l'autorité est responsable du suivi et de la surveillance des projets du GMPP.

• L'AIP effectue un examen d'assurance pour les projets GMPP afin de soutenir et guider la décision d'approbation de HMT. L'évaluation de la confiance dans les prestations ("Delivery Confidence Assessment", DCA) et les recommandations de l'examen d'assurance aident à décider si les projets doivent être modifiés, poursuivis ou terminés. En outre, l'AIP peut entreprendre périodiquement des examens d'assurance du portefeuille ministériel afin d'évaluer la santé du portefeuille et de vérifier que les bons projets sont exécutés de manière contrôlée et réfléchie.

• L'AIP participe à l'évaluation des grands projets au cours du processus d’examen des dépenses afin de s'assurer que le projet est réalisable dans le cadre du budget et du calendrier fournis au Trésor.

• L'AIP publie un rapport annuel sur les grands projets. Dans le cadre du rapport annuel, l’IPA publie des informations spécifiques sur tous les projets GMPP, y compris la description ministérielle sur les coûts de l'ensemble du cycle de vie, le calendrier (y compris tout écart par rapport au calendrier prévu) et l’évaluation de la confiance dans les prestations au fil du temps.

Source : (Infrastructure and Projects Authority, 2021[47])

2.3. Améliorer le processus de sélection des projets d’investissement public

La priorisation des projets consiste à choisir parmi un ensemble de projets instruits en tenant compte des critères économiques, sociaux et environnementaux pertinents. Le processus de sélection n'est pas seulement technique, il implique également des considérations politiques. L'objectif final est de s'assurer que les projets sélectionnés contribuent le plus à la réalisation des objectifs stratégiques des différentes politiques publiques (European Commission, 2022[48])

La priorisation des projets d’investissement public devrait impliquer une prise en compte logique, méthodique et complète des informations sur les projets et leurs impacts, en prenant en compte leurs avantages et en minimisant les incertitudes et les risques entourant les projets. Ces informations devront ainsi être récoltées lors de la phase de préparation des projets (voir Section 2.2). En effet, une absence de critères ou de méthodologie peut conduire l’entité en charge de la priorisation à se fier à sa propre intuition, à des considérations purement politiques ou à des partis pris (OCDE, 2023[23]).

2.3.1. Pour une méthodologie de sélection des projets davantage formalisée

La priorisation des projets d’investissement publics au Maroc se base essentiellement sur des stratégies sectorielles comme vues dans la section 2.1, et des contrats programmes qui sont généraux et contiennent des ambitions de projets sur plusieurs années. Ainsi, chaque secteur, et par extension chaque acteur, priorise l’investissement en fonction de ses propres critères, généralement définis de manière informelle. Les critères ne sont pas forcément communiqués au Ministère de l’Économie et des Finances ni au public. Ainsi, chaque partie prenante du système d’investissements publics au Maroc ne peut pas systématiquement prendre connaissance des critères pour lesquels un projet a été priorisé. Ce constat est également partagé par la Cour des Comptes qui souligne dans son rapport de 2023 au titre de l’année 2021 une « absence de critères unifiés de sélection des projets d’investissement, permettant leur priorisation afin d’établir un lien entre la planification stratégique, l’implantation des projets et les impacts escomptés. » (Cour des Comptes du Royaume du Maroc, 2023[40])

Les missions exploratoires de l’OCDE ont permis de constater que certains secteurs, tels que le secteur de la santé, de l’éducation ou encore de l’équipement et de l’eau suivent parfois des orientations contenues dans différents documents stratégiques pour la priorisation de leurs projets (voir Encadré 2.11). Toutefois, il est important de souligner que ces orientations ne permettent pas toujours une véritable hiérarchisation des priorités compte tenu du nombre important de besoins en investissements listés dans les stratégies. En effet, comme expliqué en détails dans la section 2.3.3, la concrétisation de la sélection intervient davantage lors de l’élaboration et la signature des contrats-programmes, et se concrétise lors de l’élaboration annuelle du budget. Toutefois, compte tenu de la régionalisation avancée du Maroc, une dimension commune à la plupart des secteurs prise en compte lors de la priorisation est la disparité régionale. En effet, en 2018, le Haut-Commissariat au Plan du Maroc a souligné, dans son rapport sur le développement socio-économique régional pour la période 2001-2017, un retard accusé dans le développement de certaines régions, attribuable à une série de facteurs dont l’inégalité de la répartition spatiale des infrastructures, et de l’investissement public. (Haut Commissariat au Plan du Royaume du Maroc, 2018[49]) Cette disparité régionale est prise en compte dans les stratégies sectorielles, et cela se traduit par des choix opérés par les différents porteurs de projets afin de s’assurer que les régions moins développées bénéficient d’investissements dans les dimensions clés de l’indice de développement humain telles que l’éducation, la santé et le niveau de vie.

Encadré 2.11. Les processus de sélection des projets dans certains secteurs au Maroc

Dans le secteur de la Santé

Dans le secteur de la santé, la majorité des projets d’investissement public sont programmés par rapports au schéma régional de l’offre de soin (SROS) mentionné précédemment (voir Encadré 2.4), mais également sur la base d’autres conventions telles que les contrats programmes entre les conseils régionaux et les départements ministériels, les conventions royales, ou d’autres conventions régionales comme entre le département ministériel et une commune. Ainsi, de nombreux projets sont contenus dans ces différents documents, et la priorisation doit ainsi effectuer un tri significatif entre tous les projets proposés. Les projets d’investissement public visés par les conventions susmentionnées seront cependant priorisés lors du processus budgétaire par rapport à d’autres projets d’investissement prévus dans le schéma régional, et la priorité sera notamment donnée aux conventions qui auront un impact significatif en termes de réponse à des besoins réels (hôpitaux de proximité) ou qui privilégient le niveau local.

Dans le secteur de l’Éducation

Dans le secteur de l’éducation, la priorisation se base sur la vision stratégique 2015-2030. Cette stratégie a été traduite récemment par une feuille de route déclinée en deux engagements qui ont fait l’objet d’une programmation budgétaire pour la période 2022-2026 sous le mandat du Gouvernement actuel. Les deux engagements de la stratégie sont :

1) l’amélioration de l’apprentissage des élèves et le doublement du pourcentage d’élèves qui ressortent du primaire avec un niveau élevé ;

2) la diminution d’un tiers du nombre d’abandons scolaires.

La priorisation des projets d’investissement qui est effectuée par chaque académie se base donc sur des objectifs découlant de ces engagements, et notamment la généralisation du préscolaire. Une dimension importante de cette priorisation au sein du secteur de l’éducation est également la disparité régionale et le manque de structures éducatives.

Dans le secteur de l’Équipement et de l’Eau

Le Ministère de l’Équipement et de l’Eau est chargé des projets dans les secteurs routier et portuaire. Les missions exploratoires ont révélé que la priorisation s’effectue sur la base de plusieurs considérations décrites ci-dessous, qui ne sont toutefois pas formalisées dans un document officiel communiqué au public :

• Le lien avec les stratégies sectorielles dont la stratégie 2010-2030 pour le domaine portuaire, et la stratégie routière à l’horizon 2035. Pour cette dernière, par exemple, un Système d'Information Routier (SIR) composé d'une Base de Données Routières (BDR) et d'une Base de Données Cartographiques (BDC), permet ainsi d’évaluer les besoins en infrastructure de manière concrète, et de les prioriser à la lumière des contraintes budgétaires.

• L’indicateur de saturation, notamment pour le domaine portuaire, afin de prioriser les projets qui permettront de désengorger l’offre portuaire.

• Les opportunités internationales qui sont souvent volatiles et limitées dans le temps, la priorisation doit donc privilégier des offres adéquates afin de pouvoir capter ces opportunités.

• La politique d’aménagement du territoire, qui contient des objectifs généraux pour les investissements publics tels qu’être créateurs d’emploi par exemple.

Source : (Royaume du Maroc, 2023[12])

La conséquence directe de l’utilisation limitée de méthodologies de priorisation stratégique en amont est une sélection des projets faite lors du processus d’élaboration budgétaire annuel (voir section 2.3.3). De nombreux projets sont en effet mentionnés dans ces différentes stratégies qui sont élaborées sans toujours tenir compte de la contrainte budgétaire. Les missions exploratoires de l’OCDE ont permis d’identifier deux conséquences principales. En premier lieu, seul un nombre limité de projets peuvent être sélectionnés lors de l’arbitrage budgétaire. En second lieu, les montants annuels proposés pour la réalisation des projets sont révisés à la baisse afin de permettre le lancement de plusieurs projets, ce qui a également pour conséquence d’allonger la durée de réalisation des différents projets. Par exemple, au sein du Ministère de l’Équipement et de l’eau, les limites de l’enveloppe budgétaire contraint le Ministère à privilégier certains secteurs sur d’autres (par exemple, en 2023, les investissements du secteur de l’eau sont considérés comme prioritaires par rapport à ceux du secteur routier qui relève aussi du même ministère) (Royaume du Maroc, 2023[12]). Une priorisation de ces projets selon des critères établis permettrait une meilleure planification des investissements. (Royaume du Maroc, 2023[12])

En outre, puisque les méthodes de priorisation sont propres à chaque ministère, la priorisation au sein d’un même secteur ne suit parfois pas une approche consistante. Par exemple, la priorisation est différente selon le mode de transport (routier, ferroviaire, aéroportuaire, portuaire etc.), car ces modes de transports relèvent de deux Ministères différents alors que les politiques de mobilité et de transport devraient être considérées globalement. Une coordination similaire pourrait se développer entre le Ministère de l’Éducation Nationale et le Ministère de l’Enseignement Supérieur, afin de garantir une convergence des investissements en matière d’éducation. La sélection des projets se fait donc sur la base de considérations d’opportunité et de faisabilité en fonction des capacités dans chacun des secteurs et de l’alignement avec les stratégies ministérielles. (Fond Monetaire International, 2017[25])

2.3.2. La systématisation de la prise en compte de la dimension socioéconomique et environnementale dans les critères de priorisation

Outre une meilleure temporalité du processus de priorisation, celle-ci doit également se faire sur la base de critères clairs, fondés sur des considérations stratégiques, financières, techniques, environnementales et socio-économiques, permettrait ainsi aux décideurs marocains de : i) démontrer qu'ils ont soigneusement examiné les enjeux du projet ; ii) mettre en lumière les avantages qu'ils essaient d’obtenir ; iii) lister l'ensemble des options qui s'offrent à eux ; et iv) identifier les risques, ainsi que tous les flux de financement possibles. Les critères sur la base desquels la priorisation est effectuée, devraient également être documentés par écrit afin de garantir la transparence sur les justifications ayant amené la priorisation des projets d’investissement public (OCDE, 2023[23]).

Les critères de sélection des projets d’investissements peuvent prendre en compte de multiples considérations (voir Tableau 2.1).

Tableau 2.1. Exemple de considérations pouvant être pris en compte pour les critères de priorisation en France

Considérations Financières	Considérations Techniques	Considérations Socio-économiques	Considérations Environnementales
Coût total de l’investissement Coût du cycle de vie Analyse coûts-avantages ou coût-efficience Choix du modèle de financement (PPP, concession, marché public simple etc.)	Choix des matériaux Disponibilité du foncier (expropriations) Études techniques (trafic, faisabilité, durée) Gestion des risques	Priorités des stratégies sectorielles Analyse socio-économique Nombre d’emplois créés à la suite du projet Efficience et équité territoriale Prise en compte des minorités (dimension genre, travailleurs handicapés…)	Impact carbone Gaz à effet de serre Nuisances (bruit, nuisances visuelles…) Biodiversité Pollution des eaux

Source : (France Stratégie, 2016[50])

Certains établissements et entreprises publics (EEP) ont leurs propres critères de priorisation et certaines bonnes pratiques peuvent ainsi être observées. L’Office National de l’Électricité et de l’Eau Potable (ONEE) possède ainsi différentes méthodologies de priorisation selon le secteur concerné. Pour le secteur de l’assainissement, dans le cadre du Plan National d’Assainissement, la sélection des projets s’effectue selon une grille de critères formalisés, qui se trouve dans un manuel de procédure convenu avec des bailleurs de fonds européens (au vu des financements reçus). Ces critères incluent par exemple la contribution du projet à des économies de l’eau, à la sécurisation de l’alimentation continue en eau, le caractère nécessaire du projet pour maintenir la qualité de l’eau, etc. (Royaume du Maroc, 2023[12])

L’Office National des Chemins de Fer (ONCF) possède également une méthodologie de priorisation basée sur le Schéma Directeur Plan Rail 2040, adopté en 2015. Ce Schéma Directeur fait office de banque de projets d’investissement public sur le long terme. La priorisation s’effectue ensuite sur la base d’études préliminaires économiques de rentabilité pour chaque projet. Le Ministère du Transport a ensuite la charge d’examiner les études faites pour les différents projets, et priorise les projets qui seront réalisés sur une période de cinq ans par la signature d’un contrat programme entre le Ministère et l’ONCF. (Royaume du Maroc, 2023[12])

Si certains porteurs de projets marocains, tels que le Ministère de l’Équipement et de l’Eau, réalisent déjà des études socioéconomiques pour des projets d’envergure, la formalisation de critères socio-économiques et environnementaux pour la priorisation des projets n’est pas une pratique courante, et serait utile afin d’assurer aux porteurs de projets que les ressources, parfois limitées, sont allouées à des projets qui auront un impact positif et maximal dans chacune de ces considérations. Par exemple, la problématique des disparités entre les régions et l’équité territoriale est une considération prioritaire pour de nombreux secteurs au Maroc, tels que la santé ou l’éducation, mais ces considérations ne sont pas formalisées dans le processus de sélection. (Royaume du Maroc, 2023[12]) De plus, si les conclusions de cette sélection de projets sont rendues publiques, la priorisation jouera ainsi un rôle important dans la transparence des processus décisionnels. (OECD, 2021[51])

Le choix et l’importance de chaque critère sera différent selon chaque secteur, d’où la nécessité pour chaque secteur de non seulement choisir des critères qui correspondent le mieux au profil d’investissement public réalisé, mais également au poids donné à chacun de ces critères. Par exemple, en France, le secteur de l’Éducation a utilisé une méthodologie de sélection multicritères concernant les investissements publics. Le plan Campus, qui visait à créer une dizaine de pôles universitaires d’excellence de niveau international a abouti à la sélection de 10 grands projets d’investissement dans différentes villes de France, sur la base de 66 projets déposés. Le comité de sélection s’est basé sur plusieurs critères dont par exemple l'ambition scientifique et pédagogique du projet, la capacité à optimiser le patrimoine immobilier, le développement de la vie de campus, l'insertion du projet dans un tissu régional socio-économique, la dimension environnementale, l'accessibilité pour les handicapés, et l'intégration des nouvelles technologies. (Ministère de l’Économie, 2022[52]) Dans le domaine de l’infrastructure et notamment des transports, en France, la Commission Mobilité 21 a non-seulement développé des critères standards, mais la sélection des projets s’effectue sur la base d’un score alloué pour chacun des critères (voir l’Encadré 2.12).

Encadré 2.12. La priorisation par méthode multicritères par la Commission Mobilité 21 en France

La commission Mobilité 21 a été instituée en France en octobre 2012 à la demande du Gouvernement. Cette commission a pour objectif de « trier, hiérarchiser, et mettre en perspective les grandes infrastructures mais aussi de réfléchir aux évolutions des services, en donnant la priorité aux transports du quotidien, à la rénovation des réseaux existants et l’amélioration à court terme du service rendu aux usagers. »

Parmi ses prérogatives, la commission Mobilité 21 a été chargée de classer et prioriser les projets de développement et les principales opérations de rénovation et de modernisation des réseaux identifiés dans le projet de schéma national des infrastructures de transport (SNIT), dont le montant sur 25 ans s’élève à plus de 245 milliards d’euros. Pour ce faire, la commission s’est appuyée sur une évaluation multicritère non pondérée des projets, qui s’est articulée autour de quatre thèmes d’évaluation :

• La contribution aux grands objectifs de la politique des transports

• La performance écologique

• La performance sociétale

• La performance socio-économique

Six critères furent évalués sous chacun de ces thèmes, comme suit : 1) Compétitivité ; 2) Fracture territoriale ; 3) Mobilité du quotidien ; 4) Transition écologique et énergétique ; 4) Sécurité ; 6) Cadre de vie, nuisances. Chaque thème fut noté sur 20, et après moyenne de chaque thème, le projet obtenait également une note sur 20. La commission put ainsi obtenir un classement, mais la priorisation ne prenait pas uniquement en compte la note du projet, mais également sa temporalité. Ainsi, les projets furent repartis en trois temporalités comme suit :

• Les projets à engager avant 2030 dont les études doivent être poursuivies de façon active – ces projets bénéficient d’un classement par ordre de priorité

• Les projets ayant vocation à être engagés entre 2030 et 2050 et dont les études doivent être poursuivies en fonction de cette échéance, mais sans classement précis

• Les projets à horizons plus lointains qui rassemblent les opérations ayant vocation à être engagées au-delà de 2050, dont les études devraient à ce stade être interrompues, et qui ne font pas non plus l’objet d’un classement.

Source : (Crozet, 2016[53])

Divers critères peuvent ainsi être pris en compte pour la priorisation, cependant, le Nouveau Modèle de Développement met l’accent sur un critère de priorisation en particulier. En effet, il est notamment précisé que la gouvernance des ressources naturelles implique de rendre effectifs les mécanismes d’évaluation des impacts environnementaux des programmes d’investissement en tant que critère incontournable pour leur choix, et ordonne au secteur public d’y adhérer pleinement. (Commission Spéciale sur le Modèle de Développement, 2021[19])

La prise en compte systématique de la dimension environnementale des investissements publics est essentielle pour atteindre les objectifs de neutralité climatique et de résilience écologique du pays, tels que contenus dans la Stratégie Nationale de Développement Durable susmentionnée (voir Section 2.1.3). La Stratégie a notamment constaté plusieurs défaillances dans différents volets, et notamment dans le volet économique où malgré un fort taux d’investissement, la présence de stratégies sectorielles, et une politique volontariste sur les dernières années, des freins à la compétitivité économique ont été soulevés, et pourraient être atténués par la convergence intersectorielle et une meilleure intégration des considérations socio-environnementales. (Royaume du Maroc, 2017[54])

Les investissements publics de capital et notamment d’infrastructure sont un facteur de contribution majeur aux émissions de gaz à effet de serre, et sont sensibles à l'évolution des conditions climatiques et aux phénomènes météorologiques extrêmes. Ainsi, une planification solide de l’investissement public implique une systématisation de la prise en compte de facteurs environnementaux dans la préparation et la sélection des projets. La formalisation des critères environnementaux dans le choix des projets d’investissement public permettrait de mieux éclairer le processus décisionnel. (OECD, 2023[55]) Cependant, cette prise en compte doit également se faire à la lumière du principe de proportionnalité, en fonction de la taille du projet et des risques qu’il comporte, car en effet, les critères environnementaux seront moins pertinents pour un projet local à faible coût ayant peu d'incidences environnementales ou sociales nouvelles comparé à un projet d’envergure multirégional comportant des risques techniques et environnementaux complexes qui affectent de nombreuses parties prenantes. (OECD, 2023[56]) L’Encadré 2.13 fournit un exemple de méthodologie de sélection des projets d’investissement intégrant les facteurs environnementaux en Italie.

Encadré 2.13. Exemples d’intégration des considérations environnementales dans le processus de sélection de projets d’investissement public en Italie

Le Ministère de l’Infrastructure et des Transports italien a récemment adopté un nouveau cadre pour la planification et l’évaluation des projets d’infrastructure. Parmi les outils développés sous ce cadre, un nouveau système de notation nommé SIMS (Score pour une infrastructure et une mobilité durables) a été créé afin de mieux évaluer les propositions de projets d'infrastructure en fonction de différentes dimensions de développement durable et définir un ordre de priorité pour le financement des projets. Cette sélection s’effectue de manière annuelle et permet de rendre le processus de sélection des projets davantage transparent. Ainsi, la méthode SIMS repose sur une analyse multicritère de plusieurs dimensions avec des sous-critères comme suit :

1. La dimension économico-financière, qui comprend l'analyse coût-bénéfice/rentabilité et les impacts du projet sur le développement économique du territoire.

2. La dimension environnementale qui examine les contributions substantielles du projet à un ou plusieurs des 6 objectifs environnementaux tels que définis par la taxonomie de l'UE. Cette dimension regarde également si le projet respecte le principe « Do No Significant Harm », une politique d’évitement de tout projet qui aurait un impact trop important sur l’environnement.

3. La dimension sociale, qui inclue l’impact du projet sur les inégalités territoriales, l’emploi, l’accessibilité etc.

4. La dimension institutionnelle et de gouvernance, qui examine notamment la cohérence du projet avec les stratégies nationales et européennes.

La note finale est une moyenne pondérée des notes obtenues pour chacune des quatre dimensions, elle-même déterminée par la note obtenue dans chaque sous-critère. La pondération des dimensions permet au Ministère de moduler la sélection des projets en fonction de ses priorités.

Source : (OECD, 2023[55])

2.3.3. Promouvoir une approche stratégique de l’arbitrage budgétaire des projets d’investissement public

Un système robuste d’investissement public implique une planification budgétaire solide et transparente, afin de garantir la viabilité des projets d’investissement. Il y a en effet, de manière générale, plus de projets d’investissement que ne le permettent les contraintes budgétaires. (OECD, 2020[57]) La Recommandation du Conseil sur la gouvernance des infrastructures définit la viabilité budgétaire comme la capacité d'un État à maintenir les finances publiques dans une position crédible et fonctionnelle sur le long terme, en prenant en compte le coût du service de la dette et les facteurs socioéconomiques et environnementaux qui mettent à l’épreuve les budgets publics.

Elle préconise en outre que les pouvoirs publics doivent veiller à ce que l’enveloppe budgétaire globale allouée aux investissements dans les infrastructures soit durable à moyen et à long terme, en tenant compte du niveau global d’endettement et des objectifs d’action publique, en mesurant, diffusant et suivant les engagements de dépenses pluriannuels, y compris les engagements hors bilan résultant de projets d’infrastructure. Elle recommande en outre l’élaboration d’un cadre de budgétisation des investissements solide, permettant la reddition de comptes, et permettant de recenser, mesurer et présenter de façon périodique les dépenses en infrastructure annuelles et pluriannuelles. (OCDE, 2020[58])

Le cadre budgétaire marocain a bénéficié de certaines améliorations au cours des dernières années (comme la Programmation Budgétaire Triennale-PBT), et il possède une certaine influence sur la sélection des projets d’investissement public. En effet, comme évoqué dans la section 2.3.1, la priorisation suit en effet le cycle budgétaire en raison de la contrainte imposée par la loi annuelle de finance. La programmation budgétaire intervient de mars à octobre d’une année donnée, durant laquelle les différents ministères négocient avec la direction du budget du MEF pour ajuster leurs propositions budgétaires (voir Graphique 2.5).

Graphique 2.5. Cycle de la programmation budgétaire au Maroc

Sources : (Royaume du Maroc, 2023[12]), (OCDE, 2023[59])>

Le cycle de budgétisation commence en effet avec la circulaire du Chef de Gouvernement, qui doit être diffusée aux ministères au plus tard le 15 mars et qui présente les grandes orientations à adopter et les chantiers prioritaires, à la lumière de la trajectoire triennale. La circulaire du Chef du gouvernement donne les orientations et les mesures à entreprendre sur la PBT, mais ne fixe pas les plafonds de dépenses. Cette circulaire prend en compte dans la définition des orientations générales de la PBT les Orientations Royales mais aussi d’autres paramètres tels que le programme gouvernemental, le nouveau modèle de développement, la conjoncture nationale et internationale, etc. Les Ministères sont ensuite chargés d’élaborer des propositions de programmation budgétaire triennale assortie des objectifs et indicateurs de performance avant le 15 avril. Ces propositions sont examinées au niveau des commissions de programmation et de performance entre le 15 avril et le 15 mai, période durant laquelle la Direction du Budget échange avec les départements ministériels sur les propositions et notamment leur pertinence et leur montant. (OCDE, 2023[59])

Le MEF, sur la base de ces discussions, élabore deux programmations budgétaires triennales au niveau des départements ministériels et au niveau global. Le budget détaillé est ensuite préparé par chaque ministère sectoriel sur la base de la note d’orientation du Chef de Gouvernement et les lettres de cadrage, qui fixent les orientations budgétaires, ainsi que les plafonds de dépenses. Ces budgets détaillés sont discutés durant le mois septembre au niveau des commissions budgétaires, afin d’arrêter le projet de loi de finances. Le projet de loi de finances est déposé au bureau de la Chambre des représentants avant le 20 octobre et son vote doit intervenir dans un délai de 58 jours à partir de la date de son dépôt. (OCDE, 2023[59])

Au cours de ce cycle, la contrainte budgétaire influence l’investissement public notamment en termes de plafonds de dépenses qui sont fixés chaque année par les lettres de cadrage précitées. La Loi organique relative à la loi de finances de 2015 prévoit en effet des plafonds de dépenses pluriannuels à titre indicatif, tandis que la loi de finances annuelle fixe des plafonds de dépenses annuels contraignants au niveau des départements ministériels pour l’année N de la loi de finances. Les ministères doivent ainsi tenir compte de ces plafonds de dépenses pour prioriser leurs projets d’investissement public, et sont amenés à choisir des projets qui peuvent rentrer dans ce cadre budgétaire. Les plafonds budgétaires influencent également la priorisation des projets pour l’année suivante. En tenant compte de la possibilité de report de 30% des crédits d’investissements ouverts d’une année à l’autre, il arrive en effet que les ministères gardent une partie du budget octroyé pour l’année en cours afin de financer tout ou partie d’un projet d’investissement pour l’année suivante. (Royaume du Maroc, 2023[12])

Un autre effet délétère de ces plafonds concerne le découpage des projets. En effet, en raison des besoins en investissements plus importants que la contrainte budgétaire, les porteurs de projets sont parfois amenés à découper les projets d’investissements en plusieurs sous-projets, afin que l’implémentation d’une partie du programme puisse s’effectuer, sans dépasser les plafonds fixés par la loi de finances. Cette pratique a pour conséquence, le démarrage de plusieurs projets d’investissements mais avec des durées de réalisation beaucoup plus longues. Les porteurs de projets sont également amenés à sélectionner des solutions moins coûteuses pour la réalisation de leurs investissements. Cela amène, par exemple, à construire une route avec une épaisseur d’asphalte plus fine afin de respecter les contraintes budgétaires. (Royaume du Maroc, 2023[12])

Lors de l’examen de la loi de finances, le Parlement est chargé notamment d’examiner les « morasses budgétaires », qui présentent les dépenses prévues dans le budget général, en suivant la nomenclature budgétaire. Outre le plafonnement des dépenses, la nomenclature budgétaire contribue à la priorisation plutôt budgétaire que stratégique de l’investissement public. Cette nomenclature a en effet été réformée en 2018 par le biais de la réforme budget-programme, afin d’opérer une transition d’une nomenclature basée sur la nature de la dépense vers une nomenclature orientée vers la destination de la dépense. Cette réforme visait également à instaurer une évaluation de la performance et la redevabilité des départements ministériels sur l’atteinte des objectifs de politiques publiques. (Bengrine, 2018[60])

Cependant, selon un rapport de l’OCDE, la nomenclature budgétaire reste dominée par la nature des dépenses, qui reste le principal prisme d’examen et de décision budgétaire malgré une volonté d’axer l’élaboration du budget sur la performance (OCDE, 2023[59]). Toutefois, instaurer une programmation budgétaire moins axée sur la nature des dépenses et davantage stratégique peut prendre plusieurs années pour être assimilée par les principales parties prenantes. Une fois assimilée, cette nouvelle classification permettra également d’identifier de potentielles synergies entre les différentes stratégies sectorielles identifiées dans la section 2.1.3.

La Cour des Comptes du Royaume du Maroc a également souligné que si la Constitution consacre la planification sectorielle pour assurer une impulsion budgétaire optimale, la politique gouvernementale n’était pas déclinée de manière claire et lisible dans les lois de finance. Elle souligne également que la nomenclature budgétaire ne permet pas le rattachement des programmes d’investissement afin de servir les objectifs des différentes politiques publiques. Elle indique également que la nomenclature budgétaire actuelle ne permet pas une convergence entre les structures des programmes et des projets vers les différentes politiques publiques sur des missions de services publics bien définies. (Cour des Comptes du Royaume du Maroc, 2023[40])

Ainsi, pour que la priorisation des projets d’investissement publics au Maroc ne soit pas principalement influencée par la contrainte budgétaire, plusieurs améliorations du système de sélection des projets peuvent être entrepris et notamment l’utilisation plus stratégique de la programmation budgétaire triennale pour les projets priorisés en amont sur la base de critères clairs, mais également par le renforcement de l’élaboration du budget basé sur la destination des dépenses afin qu’elle devienne un principal prisme d’examen, en plus de la nature des dépenses.

2.4. L’optimisation du suivi et d’évaluation des projets

2.4.1. Pour un meilleur suivi physique des projets d’investissement public

La recommandation de l’OCDE sur la gouvernance des infrastructures préconise un suivi de l’actif tout au long du cycle de vie (voir Encadré 2.14). Le suivi des projets d’investissement est en effet crucial afin de s’assurer que l’objet de l’investissement réponde aux objectifs initialement identifiés lors de la préparation des projets (voir section 2 sur la préparation des projets d’investissement public.) A ce titre, la fonction de suivi peut être définie comme une fonction exercée par les ministères et les entités apparentées pour s'assurer que la mise en œuvre d'un investissement dans les infrastructures respecte les étapes et les engagements fixés au moment où la décision d'investir a été prise, avec une période de mise en œuvre débutant à la décision de poursuivre un projet d’investissement et l’utilisation active de l’objet de cet investissement. (OECD, 2020[57]) Le suivi des projets d’investissement peut répondre à deux objectifs différents, c’est-à-dire faciliter la bonne allocation des ressources, et l’identification rapide des problèmes potentiels et de leurs mesures correctives. (European Commission, 2022[48])

Ainsi, un manque de suivi des projets d’investissement public, et notamment d’infrastructures peut engendrer des pertes économiques considérables en raison de nombreux risques existants, tels que des retards dans la mise en œuvre du projet, des coûts plus élevés et des modifications de l’objet même de l’investissement en raison de différences entre les scénarios contenus dans la préparation des projets et les conditions réelles de mise en œuvre. À ce titre, une étude menée par le Project Management Institute, révèle qu’à l’échelle mondiale, 31% des projets ne satisfaisaient pas les objectifs fixés initialement, que 11.4 % de la valeur totale des projets fut gaspillé dans le secteur public en raison d'une mauvaise performance, représentant près de USD 114 millions, et que 53 % seulement des projets étant achevés dans les délais et 59 % dans le respect du budget. (Public Management Institute, 2020[61])

Encadré 2.14. Recommandation du Conseil sur la gouvernance des infrastructures, Principe IX

ix) Veiller à ce que l’actif assure sa fonction tout au long du cycle de vie, et pour cela :

a) optimiser les coûts sur le cycle de vie et la qualité de l’actif en veillant à l’efficacité des dispositifs de définition des prix et de la qualité, de la conception, de la budgétisation, du suivi, de l’exploitation, de la maintenance et du démantèlement des projets, en prenant régulièrement en compte l’évolution des besoins et des techniques.

b) suivre la performance des actifs à l’aune d’objectifs de prestation de services et de résultats attendus prédéfinis.

c) examiner régulièrement la valeur et la dépréciation des actifs, ainsi que leur impact sur les comptes publics.

d) préparer et gérer efficacement la fin des contrats d’infrastructures (marchés publics, PPP et contrats de concession) et la transition vers le nouveau dispositif, quel qu’il soit, en s’assurant qu’une évaluation ex post de l’optimisation de la dépense publique est réalisée et qu’elle est utilisée dans le processus décisionnel.

Source : (OCDE, 2020[2])

Le périmètre de suivi de l’investissement public

Les discussions menées lors des missions exploratoires de l’OCDE en Mars et Mai 2023 ont révélé que le suivi des projets d’investissement public au Maroc, bien qu’existant, concerne majoritairement le suivi financier des projets. Ainsi, le décret relatif à l’exécution de la loi de finances énonce que les porteurs de projets sont appelés à communiquer des informations sur l’exécution budgétaire. Le suivi financier est assuré par les porteurs de projets eux-mêmes, mais également par la Direction du Budget du MEF, Elle est notamment chargée du suivi des axes de report des crédits, du suivi des projets d’investissement publics, de la restructuration des morasses budgétaires et de l’élaboration de la note de répartition régionale d'investissement public. Par ailleurs, chaque année la Direction du budget produit une note sur la répartition régionale d'investissement public qui est un rapport annuel accompagnant le Projet de Loi de Finances au Parlement. Cette note comporte une présentation de quelques grands projets d’investissement selon leur implantation géographique et le secteur d’intervention, et donne un aperçu sur l’état d’avancement financier et physique de la mise en œuvre des quelques grands projets en cours d’exécution, et présente notamment leurs coûts totaux. (Royaume du Maroc, 2023[12])

Outre un suivi principalement à caractère financier, le suivi physique des projets d’investissement est hétérogène et dépend largement du secteur et du porteur de projet. Les discussions menées lors des missions exploratoires de l’OCDE ont révélé un manque de suivi physique systématique et régulier des projets pour la plupart des secteurs, notamment par manque de capacité. Le suivi physique est en général assuré du fait des exigences des bailleurs de fonds. (Royaume du Maroc, 2023[12])

Quelques EEPs ont toutefois démontré de bonnes pratiques comme l’ONCF qui a indiqué, lors des discussions tenues au cours des missions exploratoires de l’OCDE, produire régulièrement des rapports sur l’avancement physique des projets d’investissements, non seulement pour les bailleurs de fonds, mais également pour les comités d’investissement, au cours desquels un bilan de suivi des conventions et de réalisation des projets est dressé, ainsi qu’avec la Direction des Entreprises Publiques et de la Privatisation au sein du ministère de l’économie et des finances. L’ONCF a ainsi indiqué un niveau de suivi quasi-quotidien au sein même de l’Office, un niveau de suivi connexe/mensuel avec le directeur général, et un niveau annuel de suivi avec le comité d’investissement. (Royaume du Maroc, 2023[12])

Une mesure de suivi applicable à tous les secteurs concerne le rapport d’achèvement dans le cadre des marchés publics. En effet, le décret n°2-22-431 relatif aux marchés publics prévoit dans son article 157 que tout marché dont le montant est supérieur à MAD 1,000,000 (Environ EUR 91,132) toutes taxes comprises, fait l'objet d'un rapport d'achèvement établi par le maître d'ouvrage, au plus tard dans un délai maximum de trois mois après réception définitive des prestations. Ce rapport doit, entre autres, décrire le bilan physique et financier faisant ressortir les changements intervenus au niveau du programme initial, les variations dans la masse et la nature des prestations, et, le cas échéant, la révision des prix. Il doit inclure en outre, depuis mars 2023, l’appréciation de la réalisation des objectifs assignés au projet ou à la prestation objet du marché et de l’atteinte des indicateurs y relatifs, ainsi que les écarts constatés entre les objectifs initialement prévus et le bilan des réalisations et leur justification. Ce rapport présente donc des similitudes avec un rapport d’évaluation ex-post, cependant, contrairement à celui-ci, il s’opère uniquement à l’achèvement du marché. Ce rapport est adressé, selon le cas, au ministre concerné ou au président du conseil d'administration de l'établissement public concerné. (Royaume du Maroc, 2023[12])

Il n’y a donc pas de suivi physique formalisé des projets d’investissement public qui serait commun à tous les porteurs de projets. Pourtant, ce suivi permettrait de pallier les difficultés d’exécution des projets et d’optimiser les dépenses en investissement. Outre le suivi financier, le suivi physique à la lumière des risques identifiés lors de la préparation des projets est essentiel et devrait s’inscrire, et s’articuler dans un système de suivi plus global, comprenant tous les aspects différents du suivi de l’investissement (financier, technique, performance, etc.). En plus d’assurer le bon déroulement de l’implémentation du projet, le suivi permet de récolter des informations tout au long du cycle d'investissement qui devraient alimenter les décisions concernant l'investissement dans les phases ultérieures de l'investissement. (OECD, 2020[62])

Ce suivi est d’autant plus préconisé durant tout le cycle de l’investissement du fait de difficultés dans l’exécution des projets d’investissement, notamment révélés par le taux d’exécution des crédits. En effet, les discussions menées lors des missions exploratoires ont permis de comprendre que les porteurs de projets, notamment dans chaque secteur, négocient les budgets annuels lors du processus d’élaboration de la loi de finances et établissent une liste de projets à implémenter pour l’année. Cependant, les porteurs de projets ne sont pas toujours en mesure de mettre en œuvre tous les projets prévus pour l’année, en raison d’un manque de capacité. Parfois, les porteurs de projets ne peuvent pas prédire avec certitude la durée exacte de mise en œuvre car cette dernière peut être impactée par de nombreux facteurs tels que la disponibilité du foncier, le temps de mise en œuvre des marchés publics etc. Ainsi, le suivi des projets devrait se faire dès l’identification du projet, avec une planification solide et détaillée. (Royaume du Maroc, 2023[12])

Un suivi minimum financier et physique devrait être commun à tous les projets d’investissements, mais certains projets devraient bénéficier d’un suivi plus poussé, en raison des risques élevés, de leur caractère stratégique ou encore de la taille du projet. Plusieurs pays ont ainsi choisi cette approche (voir Encadré 2.15)

Encadré 2.15. Le suivi des grands projets d’investissement dans différents pays

Royaume-Uni

Au Royaume-Uni, l’Autorité chargée des Infrastructures et des Projets est chargée du suivi du portefeuille des grands projets du Gouvernement. Ses activités incluent la vérification que les projets d'infrastructure et les grands projets produisent les effets bénéfiques escomptés pour la société et l’optimisation des ressources du contribuable. L’Autorité est également chargée de mesurer la performance des projets dans le temps, d’identifier des mesures d’amélioration de la performance du système et l'ajuster en conséquence.

Suisse

En Suisse, une base de données a été développée afin de suivre la mise en œuvre des projets développés sous la Nouvelle Politique Régionale (NPR). La NPR est en effet une stratégie ayant pour but de favoriser le développement des différentes régions et à réduire les inégalités territoriales. Cette base de données contient également un suivi des programmes de mise en œuvre cantonaux et supra-cantonaux, etc. La NPR a été lancée en 2008 et est régulièrement actualisée, et tous les projets sont disponibles sur la base de données depuis 2016, mais de nombreux projets avant 2016 sont également disponibles.

France

En France, le Secrétariat général pour l’investissement, placé sous l’autorité du premier ministre, est chargé du suivi des projets répondant au grand plan d’investissement de la France (France 2030). À ce titre, le Secrétariat est chargé d’une évaluation dite « in itinere », c’est-à-dire pendant que l’investissement est encore en cours de réalisation. Ce suivi permet au Secrétariat de s’assurer que les effets observés d’un projet investissement sont bien conformes à ceux attendus lors de la préparation du projet. Si le Secrétariat constate que trajectoire empruntée par le projet s’écarte de celle qui permettra d’atteindre la cible fixée à l’horizon prévu, il peut proposer des mesures correctives pendant la réalisation du projet.

Sources : (France Stratégie, 2016[50]) (OECD, 2020[62]) (OECD, 2020[57])

Le cadre institutionnel du suivi de l’investissement public

Un suivi optimal de l’investissement public implique la création d’un cadre de suivi multiniveaux. La mise en place de ce cadre n’est pas toujours facile pour les gouvernements nationaux et infranationaux, car elle implique des coûts supplémentaires ainsi qu’un renforcement des capacités en ressources humaines. (OECD, 2020[62]) La régularité, le type, et le niveau de détail du suivi va varier en fonction de l’autorité en charge du suivi (voir Graphique 2.6).

Graphique 2.6. Les différents niveaux de suivi des projets d’investissement

Sources : (European Commission, 2022[48]) (OECD, 2020[57])

Par exemple, l’autorité porteuse de projet sera requise d’assurer un suivi régulier du projet, tant au niveau de l’avancée physique, qu’au niveau financier. L’autorité porteuse du projet pourra être par exemple un EEP, ou encore une division au sein d’un ministère. Le ministère de tutelle joue également un rôle important dans le suivi des projets, car il doit avoir une vision globale de tous les projets d’investissement sous sa tutelle et d’évaluer si ceux-ci répondent aux objectifs fixés. Ce contrôle doit être régulier, et il est important pour les porteurs de projets de collecter et transmettre des données fiables concernant ces projets, car elles permettront au ministère de tutelle de prendre des décisions, le cas échéant concernant l’ajustement des projets.

Un dernier niveau de suivi de plus haut niveau est également nécessaire pour vérifier que les projets d’investissement public dans leur globalité répondent bien aux objectifs de la vision stratégique et des différentes politiques publiques. (European Commission, 2022[48]) Ceci inclut un suivi financier qui est généralement exercé par la direction budgétaire du MEF, ainsi qu’un suivi plus stratégique et technique qui est souvent exercé par l’autorité dédiée en charge du suivi de l’investissement public. Ce suivi stratégique et technique est l’une des vocations de la Banque de Données des Projets à mettre en place et qui devrait permettre, entre autres, d’inventorier, cartographier et prioriser les projets d’investissement public, de faciliter leur suivi physique et financier et de favoriser la transparence et la reddition des comptes. (Royaume du Maroc, 2023[12]) Enfin, la Cour des Comptes peut également jouer un rôle important d’audit externe, à la fois financier et de performance.

Cependant, l’établissement de critères de suivi ne doit pas se limiter à l’exécution du budget. Il faut pour cela que les décideurs politiques comprennent les objectifs de l’action publique et la relation entre les indicateurs et les résultats. (OECD, 2020[62]) Comme dit précédemment, afin que ce suivi soit efficace, les données collectées doivent être fiables et doivent concerner les informations clés sur les coûts, les calendriers, les différentes étapes et les principaux éléments à livrer sous le projet d’investissement. (European Commission, 2022[48])

La collection des données peut s’avérer problématique, notamment au niveau local, en raison de la fragmentation des données et du manque de capacité des autorités locales. Un renforcement des capacités sur le suivi des projets d’investissement serait ainsi bénéfique pour expliquer les méthodologies de suivi, les critères de suivi et les données nécessaires. En Argentine, par exemple, le Conseil fédéral de la modernisation et de l’innovation dans l’administration a organisé en 2018 des sessions de formation à la planification, au suivi et à l’évaluation, avec la participation de plus de 50 fonctionnaires des gouvernements provinciaux. Le Conseil a également créé plusieurs sous-comités pour faciliter la coordination entre le gouvernement national et les gouvernements infranationaux. (OECD, 2020[62])

Les outils de suivi de l’investissement public

La Direction du Budget du MEF a également la charge du maintien du système d’information « Istithmar ». Ce système, acquis en fin 2018, a été mis en place afin de faciliter notamment le suivi budgétaire relatif à l’exécution de grands programmes d’investissement publics financés par le budget de l’État. Ainsi, le système a débuté avec un objectif de suivi de 20% des crédits d’investissement en 2019. À partir de 2021, et dans le cadre du programme Hakama II financé par l’Union Européenne, l’application « Istithmar » ainsi paramétrée, a permis de prendre en charge le suivi de plus de 60 grands projets. Le programme Hakama II avait en effet pour objectif « d’accroître l’efficacité, l’efficience et la qualité de l’action publique au Maroc, par la mise en œuvre d’une gestion publique plus performante et transparente. » (Expertise France, 2021[63]) Dans le cadre de ce programme, le pourcentage cible de suivi a été élevé à 40%. En 2022, 6 départements ministériels, dont le Ministère de l’Équipement et de l’Eau, le Ministère de la Santé, le Ministère de l’Éducation nationale, ont été tenus de fournir des données sur le système concernant les grands projets structurants, et environ 66 projets sont suivis sur le système. (Royaume du Maroc, 2023[12])

Le nombre de projets pour atteindre l’indicateur de suivi de 40% du budget des départements ministériels est hétérogène selon les Ministère. En effet, pour certains départements comme le Ministère de l’Équipement et de l’Eau, le choix des projets à suivre peut se faire aisément en raison de la taille des projets, notamment en infrastructure, tandis que d’autres départements comme le Ministère de l’Éducation mettent en œuvre des projets de plus petite taille, et pour lesquels il a été décidé de regrouper ces projets sous « Istithmar » pour un suivi plus efficace. Le suivi consiste à saisir les états relatifs à l’identification (fiches de projets), à la programmation et au suivi trimestriel budgétaire et financier des projets d’investissement programmés par la Loi de Finances annuelle, et offre la possibilité de générer des rapports standards de suivi. Cela passe par le renseignement des indicateurs relatifs, entre autres, aux émissions des crédits, aux décaissements des financements et aux taux d’avancement physique des projets identifiés, mais ce suivi d’avancement physique est moindre, car le suivi budgétaire fut considéré comme prioritaire par la Direction du Budget. (Royaume du Maroc, 2023[12])

Dans le cadre du programme Hakama II, le suivi au travers du système Istithmar a donné lieu à la rédaction de bilans annuels par la Direction du Budget. Ces bilans ont été rédigés en premier lieu au titre de la loi de finances 2021, pour trois départements ministériels pilotes (Eau, Équipement et Enseignement supérieur). Ce rapport porte sur l’analyse de l’état d’avancement (physique et financier) des grands projets d’investissement de ces 3 départements ministériels pris en charge au niveau de l’application « Istithmar », et permet d’apprécier les réalisations effectuées et d’en connaitre les difficultés rencontrées. (Royaume du Maroc, 2023[12])

Quelques bonnes pratiques d’outils de suivi ont également été observées au niveau de quelques Ministères. Par exemple, le ministère de l’équipement et de l’eau possède plusieurs systèmes informatiques permettant le suivi physique et financer, incluant un système de suivi de la mise en œuvre des projets d’investissement, et notamment l’avancement physique des routes. Enfin, le Ministre de l’Équipement et de l’Eau a également commandité la mise en place d’une base de données territoriales de tous les projets afin de suivre leur avancée physique et financière.

L’utilisation d’outils informatiques pour le suivi budgétaire est cependant en cours d’évolution. La Direction du Budget a en effet souhaité un suivi plus avancé que le système « Istithmar », et a jugé opportun de de l’intégrer comme module spécifique de suivi des investissements publics dans le système de programmation budgétaire de la Direction du Budget « e-Budget2 ». L’objectif est de développer un dispositif intégré qui prendra en charge tout le processus de préparation de la loi de finances et notamment les volets de programmation triennale, de la performation et de la gestion des morasses, et des projets d’investissement (Royaume du Maroc, 2023[12]). Cependant, ce module contient principalement des informations financières et budgétaires D’après les discussions menées lors des missions exploratoires, il pourrait être envisagé de développer Istithmar pour qu’il puisse couvrir tout le cycle de vie d’un projet, en particulier la phase de préparation des projets. En outre, lors de l’intégration de Istithmar comme module dans le système e-Budget2, il sera demandé aux départements de renseigner le taux de réalisation du projet et de fournir la phase dans laquelle le projet se situe (études, génie civil, gros œuvre etc.). (Royaume du Maroc, 2023[12]).

Actuellement le système Istithmar ne suit que les projets financés par le budget de l’État. La mise en place d’un système d’information plus global (Budget de l’État, EEPs et collectivités territoriales, etc.), commun à tous les secteurs et englobant tous les projets (au-delà des projets financés par le budget de l’État), permettrait donc un suivi optimal des projets d’investissement (Royaume du Maroc, 2023[12]). À ce titre, d’autres pays ont également pris l’initiative de développer des outils pour le suivi de leurs investissements publics, tels que la Banque de Projets Intégrée au Chili ou l'Investment Tracker en Irlande (voir Encadré 3.16).

Encadré 2.16. Exemples d’outils de gestion des investissements publics au Chili et en Irlande

Le système irlandais de suivi des projets et programmes d’investissement : le Tracker des Investissements (Investment Tracker)

Le système irlandais de suivi des projets et programmes d'investissement est un système d'information qui permet de suivre les investissements majeurs à travers leurs différentes étapes de mise en œuvre. Le système est géré par le département des dépenses publiques et de la mise en œuvre et la réforme du Plan National de Développement (PND), et les données sont fournies par les ministères et les agences gouvernementales concernés. Le système est accessible au public sur le site web du département.

Le système de suivi intègre un portefeuille de projets dont le coût est estimé à plus de 20 millions d'euros. Il s'agit de projets à tous les stades de leur cycle de vie, depuis l'évaluation stratégique jusqu'à la mise en œuvre et l'examen, en passant par l'analyse de rentabilité préliminaire et l'analyse de rentabilité finale. Le graphique ci-dessous décrit le nombre de projets intégrés dans le système en 2023 pour chaque étape du cycle des investissements publics.

Le système de suivi a été mis en ligne pour la première fois en septembre 2017. Une autre innovation en 2019 a été le développement de « MyProjectIreland », une nouvelle carte interactive axée sur les citoyens qui permet à l'utilisateur d’explorer les projets d'investissement public à travers le pays et de découvrir les développements dans leur région locale de manière accessible.

Graphique 2.7. Nombre de projets dans le système irlandais de suivi des projets et programmes d'investissement, par étape du cycle d’investissements publics en 2023

Source : Gouvernement de l'Irlande, 2023 - Welcome to myProjectIreland (arcgis.com)

La banque de projets intégrée du Chili

La Banque de Projets Intégrée (BIP) au Chili est gérée par la Division d'Évaluation des Investissements Sociaux dans le Ministère du Développement Social et a été développée par Datawheel, un pionnier dans les projets de visualisation de données publiques.

La BIP consiste en un système d'information où sont enregistrées tous les projets d'investissement qui requièrent un financement de l'État. Toutes les institutions soumises au Système National d'Investissement (SNI) peuvent accéder à la BIP. Toute partie intéressée, y compris les citoyens, peut consulter la fiche d'initiative d'investissement (IDI), qui contient plusieurs informations y compris des données générales relatives aux projets d’investissement public, un résumé des résultats de l'évaluation ex ante, un rappel des résultats attendus et une section relative à l'état d'avancement de l'exécution budgétaire. Dans certains cas, la fiche contient un lien vers le géoréférencement du projet.

L'objectif principal de la BIP est de soutenir la prise de décision dans le domaine des investissements publics (tout au long de leur cycle de vie). Par ailleurs, la BIP vise également à améliorer l'allocation des ressources sur le territoire national dans le but de promouvoir l'équité territoriale et de maximiser l'impact sur la croissance. En outre, il favorise la transparence et la responsabilité vis-à-vis des citoyens, qui peuvent accéder directement aux informations contenues dans la BIP.

La BIP offre différentes fonctionnalités :

• Consultation des informations ; présentation des données les plus pertinentes des processus d'investissement public accessibles à tous.

• Enregistrement des projets ; enregistrement, saisie et modification par les agents publics d’informations, de données ou de documents liées aux projets d'investissement public dont ils ont la charge. Une fois enregistrés, les projets sont soumis à une évaluation socio-économique effectuée par la Division de l'évaluation des investissements sociaux, qui émet ensuite le résultat de l'analyse. Les résultats de l'analyse socio-économique peuvent être : (Recommandation satisfaisante), MI (Manque d'informations) OT (Objection technique), ou NC (Non-conformité aux règlements). Seules les propositions recommandées de manière satisfaisante sont autorisées à passer à l'étape de la recherche de financement.

• Gestion et analyse des informations : possibilité d’extraire des informations de la base de données afin de soutenir les activités d'analyse et de contrôle des investissements publics.

Source : (OECD, 2023[44]; Jenkinson, 2018[64]; CEPAL, 2022[65]; Ministère du Développement social et de la Famille du Chili, n.d.[66]; Gouvernement d'Irlande, n.d.[67])

2.4.2. Pour l’instauration d’une évaluation ex-post des projets d‘investissement public

En plus du suivi financier et physique du projet d’investissement lors de son implémentation, le suivi de son exploitation devrait continuer après son achèvement et sa mise en service jusqu’à sa mise hors service et son démantèlement. Comme indiqué dans la section 2.2, dès la phase de préparation des projets d’investissement public, les entités publiques vérifient la nécessité du projet et les contributions qu'il peut apporter à la réalisation des objectifs fixés dans les plans nationaux ou sectoriels. Les objectifs du projet lui-même sont ensuite définis et des indicateurs sont créés afin de mesurer si ces objectifs ont été atteints. Ainsi, l’évaluation ex-post ne devrait pas mesurer uniquement si l’investissement public a été réalisé dans le temps et dans le budget impartis, mais elle permet en effet d’évaluer si le projet a atteint ses objectifs pour lesquels il a été conçu et de quelle manière il a atteint ses objectifs (voir Graphique 2.8). L’évaluation ex-post d’un projet d’investissement permet également de vérifier les mesures d'entretien et de maintenance nécessaire pour garantir l'efficacité, la sécurité et l'accessibilité des services publics. (OECD, 2020[57])

Graphique 2.8. L’évaluation des objectifs tout au long du cycle de l’investissement public

Source : (OECD, 2020[57])

Outre la performance du projet, l’évaluation ex-post permet d’éclairer de manière détaillée les futures décisions d’investissement mais également de tirer les leçons nécessaires concernant la gouvernance des investissements publics, ce qui permet par exemple de mesurer l’impact d’une certaine politique sur les investissements, les améliorations à apporter à certains contrats programmes, ou encore l’impact fiscal du système d’investissement public. (European Commission, 2022[48]) Cette évaluation ex-post peut notamment être plus ou moins poussée suivant l’importance et la complexité des projets, et faire l’objet d’une méthodologie à plusieurs critères comme en Norvège (voir l’ Encadré 2.17)

Encadré 2.17. L’évaluation ex-post à trois niveaux de succès pour les projets larges du gouvernement norvégien

Depuis 2012, une évaluation ex-post systématique des projets d’investissement a été entreprise dans le cadre d'un programme de recherche financé par le ministère des finances norvégien, le programme « Concept ». Les évaluations sont fondées sur un cadre axé sur les objectifs élaboré initialement par le Comité d'aide au développement de l'OCDE, qui comprend à l’origine cinq critères, mais qui a été élargi pour inclure le rapport avantages-coûts comme sixième critère. Les projets sont ainsi évalués sur la base d’un score allant de 1 à 6 pour chaque critère.

Le cadre d’évaluation ex-post norvégien est comme suit :

 

Niveau de succès	Critère d’évaluation	Définition
Opérationnel	Efficience	Mise en œuvre et performance du projet en termes de coût, de délai et de qualité.
Tactique	Efficacité	Est-ce que les objectifs convenus ont été atteints et dans quelle mesure le projet a contribué à ce résultat
Stratégique	Autres impacts	Toutes les conséquences, au-delà du résultat convenu, qui peuvent être attribuées au résultat du projet, positives et négatives, à court terme et à long terme, pour les différentes parties prenantes
	Pertinence	Un projet est pertinent s'il y a un besoin pour ce que le projet peut délivrer. La pertinence du projet est mesurée par rapport aux priorités politiques nationales et aux préférences des parties prenantes.
	Durabilité	Un projet est durable si ses avantages sont susceptibles de persister tout au long de sa durée de vie. Les impacts totaux (financiers, environnementaux et sociaux) doivent être acceptables à long terme, mesurés par rapport aux priorités politiques nationales et aux préférences des parties prenantes.
	Rapport avantages-coûts	Volonté de payer le coût total du projet par rapport aux bénéfices qu’il rapporte, en relation avec l'analyse coûts-avantages.

Les projets sont ainsi évalués sur la base d’un score allant de 1 à 6 pour chaque critère.

Source : (ITF, 2022[68])

D’après les discussions menées lors des missions exploratoires, il n’y a pas de pratique établie concernant l’évaluation ex-post des projets d’investissement au Maroc, hormis les projets financés par les différents bailleurs de fonds, dont l’évaluation ex-post suit une série de règles qui sont propres à chaque bailleur. Le Nouveau Modèle de Développement, à ce titre, indique explicitement que le renforcement de l’évaluation représente un levier essentiel de la reddition des comptes et d’amélioration de l’efficience de l’action publique. Cette évaluation devrait comprendre les stratégies, les politiques publiques et les programmes, incluant in fine les projets d’investissement public. Il précise en outre que cette évaluation complémenterait les missions d’audit de la Cour des Comptes et du Parlement, au niveau des départements chargés de la mise en œuvre des projets, et permettrait de mieux piloter leur action et de l’ajuster en fonction de leurs observations faites lors de l’évaluation. (Commission Spéciale sur le Nouveau Modèle de Développement, 2021[69]). Cette évaluation ex-post devrait généralement se faire à deux niveaux, par les porteurs de projets eux-mêmes et par les autorités d’audit.

En effet, les obligations en matière d’évaluation du cycle de vie de l’investissement public incombent généralement à l’entité ou au ministère responsable de l'exploitation du projet d’investissement. Cette évaluation régulière est en général complémentée par des évaluations ex-post entreprises par les institutions supérieures de contrôle telles que la Cour des Comptes, ou bien le Ministère des Finances ou toute autre institution en charge du système de gestion des investissements publics. Cet examen porte en général sur les projets d'investissement dans les infrastructures d'un gouvernement, comme c’est le cas pour le National Audit Office au Royaume-Uni, qui a notamment produit des rapports examinant si les grands projets d’investissement public du gouvernement ont bien produit les effets bénéfiques escomptés. (OECD, 2020[57]) En France, le secrétaire général pour l'investissement est mandaté de préparer annuellement un rapport public relatif aux projets d'investissements intitulé « Évaluation des grands projets d'investissements publics ». Ce rapport est ensuite annexé au projet de loi de finances de l'année. Ce rapport précise par ailleurs que « l’évaluation d’un investissement public est complexe : les critères financiers tels que le retour sur investissement ou la valeur actualisée financière nette d’un projet sont moins pertinents pour le secteur public que pour les organisations privées. En revanche, l’évaluation socio-économique permet de calculer la valeur actualisée nette socio-économique pour la collectivité. » (Assemblée Nationale Française, 2023[70])

Un autre volet important de l’évaluation ex-post est la transparence vis-à-vis du public. En effet, le Nouveau Modèle de Développement préconise lui-même que le renforcement de l’évaluation comme outil d’efficacité du pilotage de l’action publique implique « un accès à l’information ouvert, fiable, et régulier, dans le respect de la protection des données ». (Commission Spéciale sur le Nouveau Modèle de Développement, 2021[69]) La transparence de l’évaluation permettrait de communiquer des informations claires au public, ainsi que des prévisions positives ou négatives concernant le projet d’investissement. Cette association du public permettrait également d’asseoir la crédibilité des investissements futurs dans l’opinion des citoyens. (France Stratégie, 2016[50]) Cette implication du public a notamment été formalisée en France, dans le domaine des transports (voir Encadré 2.18).

Encadré 2.18. L’évaluation ex-post dans le secteur des transports en France

L’évaluation ex-post dans le domaine des transports est systématique et formalisée en France depuis la loi d’orientation des transports intérieurs du 30 décembre 1982, qui a ensuite été codifiée à l’article L1511-6 du Code des transports en 2010. Le Code des Transports prévoit en effet que « Les grands projets d’infrastructures et les grands choix technologiques sont évalués sur la base de critères homogènes mesurant les impacts des effets externes des transports sur, notamment, l’environnement, la sécurité et la santé et permettant des comparaisons à l’intérieur d’un même mode de transport ainsi qu’entre les modes ou les combinaisons de modes de transport. » Le Code poursuit en disposant que les porteurs de projets doivent réaliser un bilan des résultats économiques et sociaux du projet d’investissement au plus tard cinq ans après sa mise en service, et ce bilan doit être rendu public.

Les objectifs de ces bilans ex-post incluent :

• D’informer le public sur les conditions de réalisation de l’opération, en particulier sur les écarts entre la réalité constatée et les prévisions, et de repérer les causes de ces écarts

• De rendre compte de l’utilisation des crédits publics en évaluant ex-post l’efficacité économique, sociale et environnementale des investissements réalisés

• De fournir un retour d’expérience qui doit permettre d’améliorer les méthodes d’évaluation ex- ante des projets.

Le caractère public de ces évaluations ex-post dans le domaine des transports a été identifié comme un exercice de transparence salutaire vis-à-vis des citoyens, et il a été préconisé d’étendre cette pratique à d’autres domaines de l’action publique.

Source : (France Stratégie, 2016[50]),

Ainsi, le suivi du projet d’investissement pendant son implémentation devrait se poursuivre après son achèvement avec la mise en place d’un système d’évaluation durant son exploitation. Ces évaluations permettraient d’assurer une meilleure efficience des investissements marocains, avec des indicateurs prédéfinis. La transparence de ces bilans permettrait aussi de mieux informer les citoyens marocains sur les différents chantiers d’investissement entrepris par le gouvernement.

Résumé des recommandations

 

Thématique clé	Recommandation
Vision stratégique	Développer une vision stratégique pour les investissements publics. Cette vision devra prendre en compte la vision stratégique du pays, ses priorités ainsi que les stratégies de développement des collectivités territoriales.
	Développer des stratégies sectorielles réalistes en adéquation avec les dotations budgétaires. Par ailleurs, un suivi régulier des stratégies permettrait de les mettre à jour afin d’assurer leur implémentation effective.
	Améliorer la coordination verticale dans le domaine des investissements publics
	Renforcer la coordination horizontale (entre les secteurs) de l’investissement public
Préparation des projets	Mettre en place un cadre pour une évaluation systématique et rigoureuse des projets d’investissement public qui examine la nécessité et l’opportunité d’entreprendre un investissement donné. Ce cadre devrait définir des étapes communes pour tous les projets d’investissement, ainsi que l’analyse minimale requise en fonction de la taille et de la complexité du projet.
	Mettre à disposition des outils et renforcer les procédures existantes pour l’évaluation des projets afin d’intégrer les considérations environnementales. En particulier, développer des méthodologies standardisées pour inclure la dimension climat (atténuation et adaptation au changement climatique) lors de l’évaluation des projets pourrait aider à mieux éclairer le processus de prise de décision.
	Harmoniser les méthodes et paramètres pour calculer les valeurs tutélaires, qui seraient communes à toutes les entités.
Priorisation	Mettre en place des efforts de coordination concernant la priorisation des projets dans certains secteurs similaires (Ministère de l’Équipement et de l’Eau et Ministère des Transports, ou Ministère de l’Éducation Nationale et Ministère de l’Enseignement Supérieur).
	Formaliser les critères financiers, techniques, socio-économiques et environnementaux de priorisation des projets afin d’assurer que les ressources, parfois limitées, soient allouées à des projets qui auront un impact positif et maximal dans chacune de ces considérations
	Assurer la prise en compte systématique de critères environnementaux dans les projets d’infrastructure en raison de leur facteur de contribution majeur aux émissions de gaz à effet de serre et leur sensibilité à l'évolution des conditions climatiques et aux phénomènes météorologiques extrêmes. Cette prise en compte doit tenir compte également du principe de proportionnalité
	Utiliser la programmation budgétaire triennale de manière plus stratégique pour les projets priorisés en amont sur la base de critères clairs. Prioriser les projets lors de l’élaboration du budget en se basant davantage sur la destination des dépenses, et non uniquement sur leur nature, afin de répondre aux objectifs des différentes politiques publiques.
Suivi et évaluation ex-post	Mettre en place un suivi physique formalisé des projets d’investissement public qui serait commun à tous les porteurs de projets permettrait de pallier les difficultés d’exécution des projets et d’optimiser les dépenses en investissement au Maroc.
	Assurer un suivi minimum financier et physique qui devrait être commun à tous les projets d’investissement publics, mais certains projets devraient bénéficier d’un suivi plus poussé, en raison des risques élevés, de leur caractère stratégique ou encore de la taille du projet.
	Assurer la mise en place d’un cadre de suivi multiniveaux (suivi très régulier par le porteur de projet, suivi régulier par le ministère de tutelle, suivi par exemple annuel par le MEF).
	Renforcer les capacités sur le suivi des projets d’investissement (méthodologies de suivi, les critères de suivi et les données nécessaires, etc.).
	Mettre en place un système d’information global, commun à tous les secteurs et les projets
	Instaurer une évaluation ex-post des investissements publics qui permettrait au gouvernement marocain de mesurer si l’investissement public a été réalisé dans le temps et dans le budget impartis, mais également d’évaluer si le projet a atteint ses objectifs pour lesquels il a été conçu et de quelle manière il a atteint ses objectifs.
	Assurer la transparence des évaluations ex-post afin de permettre de mieux informer les citoyens marocains sur les différents chantiers d’investissement entrepris par le gouvernement.

Références

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