Une deuxième étape importante consiste à définir de façon rigoureuse le concept et le champ d'application du SGIP de façon à ne laisser aucune marge d'interprétation. Toutefois, cette tâche n'est pas aisée, notamment en raison de la complexité inhérente au sujet. Typiquement, cette définition du concept et du champ d’application se traduit par différentes questions : Comment les investissements publics sont-ils définis ? Quelles dépenses sont considérées comme des dépenses d’investissement public ? Quels projets, plans et programmes doivent être soumis au SGIP, et dans quelle mesure ? Quels sont les institutions et les acteurs tenus de se conformer à l'ensemble des règles, normes et procédures du SGIP, et dans quelle mesure ? Existe-t-il des dérogations ? Le SGIP prévoit-il des procédures simplifiées et accélérées pour les projets prioritaires ? Prévoit-il un niveau d'examen plus élevé pour les projets complexes et de grande envergure ? Il n'existe pas de solutions et de réponses universellement acceptées à ces questions, et chaque pays doit avoir sa propre définition et sa propre compréhension conceptuelle du champ d'application du SGIP qui doivent être traduites dans le cadre juridique et réglementaire. En outre, le champ d'application du SGIP peut changer au fil des réformes, et le cadre réglementaire doit être mis à jour si nécessaire. (Banque Mondiale, 2020[6]). Par exemple, au début de l’implémentation de la réforme, il est possible d'établir des seuils plus élevés pour l'évaluation détaillée des propositions d'investissement, afin de permettre aux parties prenantes et particulièrement aux porteurs de projets de développer leurs compétences. Ces seuils pourraient être progressivement réduits à mesure que l'expérience des parties prenantes se développe. En Irlande, le seuil à partir duquel une analyse coûts-bénéfices est obligatoire a été ajusté à la suite du renforcement des capacités. En effet, le seuil qui a été initialement fixé à EUR 50 millions a été abaissé à EUR 30 millions, avant de se stabiliser à EUR 20 millions (Fonds Monétaire International (FMI), 2017[7]).
La réforme du SGIP requiert des ressources économiques et humaines adéquates. Pour assurer le succès de la réforme, une approche graduelle peut s'avérer judicieuse car cela permet de disposer progressivement des ressources et les capacités indispensables à la mise en œuvre complète de la réforme. De plus, cela permet aux porteurs de projets de se préparer et de s'adapter aux nouvelles règles, ce qui peut favoriser l’acceptation de la réforme elle-même (OECD, 2010[1]). Cependant, il est également important de noter que l’aspect « progressif » de la réforme peut aussi parfois entraîner de l'inertie, entravant ainsi la réalisation complète du processus de réforme. Pour gérer ce risque, un soutien politique continu et l'engagement des parties prenantes demeurent essentiels.
Les investissements publics et leur gestion peuvent revêtir différentes significations, reflétant également les caractéristiques et les circonstances nationales. En outre, ils englobent souvent une grande variété et une grande hétérogénéité de projets, de plans et d'initiatives. Les investissements publics peuvent concerner des actifs corporels et incorporels tels que les infrastructures sociales (écoles et universités, hôpitaux, piscines publiques locales, parcs et jardins publics, etc.), les infrastructures de transport (routes, autoroutes, lignes ferroviaires, aéroports, ports, etc.), les infrastructures de télécommunication, les activités de recherche et développement, et tout actif permettant la fourniture de divers services publics tels que les transports publics, l’accès et la distribution de l'eau, l'énergie et l'électricité, etc. (Banque Mondiale, 2020[6]; International Monetary Fund (IMF), 2022[8]; OCDE, 2019[3]; Manescu, 2021[9]). En somme, tous les actifs corporels et incorporels pourraient être considérés comme des investissements publics et donc être soumis au SGIP. Au vu des différentes catégories d’actifs, le SGIP doit garantir un bon équilibre entre normalisation et flexibilité. La définition de procédures normalisées et formalisées pour la gestion des investissements publics garantit la cohérence et l'homogénéité du processus décisionnel, mais une certaine souplesse est également nécessaire pour tenir compte des caractéristiques spécifiques des projets d'investissement (International Monetary Fund (IMF), 2022[8]).
En général, le SGIP définit des règles et des processus généraux auxquels la plupart des projets d’investissement public doivent se conformer, mais le principe de proportionnalité devrait toujours s’appliquer. Cela signifie que les processus de planification, d'évaluation et d'exécution des investissements publics doivent être calibrés en fonction des caractéristiques spécifiques de chaque projet, telles que sa taille, sa valeur, sa complexité, son secteur et sa source de financement, ainsi que des capacités de ceux qui en sont responsables. En général, seuls les projets de grande taille et complexes, d'importance nationale, devraient être soumis à des processus d'évaluation et d'approbation approfondis, tandis que les projets de petite envergure peuvent bénéficier de processus simplifiés et moins longs. (International Monetary Fund (IMF), 2022[8]).
Les projets prioritaires ou d'urgence (par exemple, en réponse à des situations d'urgence, qu'il s'agisse de catastrophes naturelles ou causées par l'homme) peuvent également bénéficier de procédures simplifiées et accélérées. En outre, certains projets de certains secteurs, tels que la défense et la sécurité sont exemptés du SGIP mais doivent toutefois bénéficier de procédures ad hoc pour garantir un niveau élevé de contrôle et une mise en œuvre adéquate.
Le champ d'application du SGIP peut également être défini en fonction de la source de financement ou du niveau de gouvernement et/ou de l'entité porteuse du projet d'investissement.
Pour le financement : le SGIP peut s'appliquer exclusivement aux investissements entièrement financés par le budget national, ou il peut également couvrir des projets financés par des partenariats public-privé (PPP) et/ou cofinancés par des bailleurs de fonds (par exemple, la Commission européenne, le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, les banques multilatérales de développement, etc.). Par ailleurs, des procédures ad hoc ou simplifiées pourraient être envisagées pour les projets financés par des sources autres que le budget de l'État.
Pour le champ d’application en rapport avec les entités porteuses de projets : Toutes les institutions qui reçoivent un budget de l’État pour leurs investissements pourraient être tenues de se conformer au SGIP, y compris les autorités locales et territoriales, les entreprises publiques et les établissements publics. C’est le cas par exemple en Irlande, où tous les ministères et organismes publics, ainsi que tous les organismes recevant des fonds publics, doivent se conformer, le cas échéant, aux exigences pertinentes du code des dépenses publiques, qui régit également les investissements publics. Dans le cas des entreprises publiques, le conseil d'administration doit s'assurer chaque année de la conformité avec le code des dépenses publiques (Department of Public Expenditure, NDP Delivery and Reform, 2023[10]).
Néanmoins, des exigences ad hoc pourraient être élaborées pour des acteurs et des institutions spécifiques. Par exemple, le SGIP pourrait prévoir des protocoles spécifiques pour les entreprises publiques en fonction de leur rôle, de leur actionnariat et/ou de leur source de financement. Les entreprises publiques pourraient aussi être totalement exemptées de la conformité au SGIP et devraient se conformer à d'autres cadres réglementaires pour la préparation et la mise en œuvre des projets d'investissement. Dans les pays avec un SGIP mature, généralement, les investissements des EEPs sont exclus du système national de gestion des investissements publics (Glenday et al., 2021[11]) car l'État actionnaire et les systèmes de gouvernance en place doivent permettre d’assurer la performance des EEPs y compris dans le cadre de leurs investissements. Cependant, dans certains pays lorsque les EEPs reçoivent des fonds provenant du budget de l’État pour la réalisation d’investissements, ces derniers peuvent être inclus dans le SGIP comme c’est le cas en Corée (Glenday et al., 2021[11]) ou en Colombie. Par ailleurs, lorsque les EEPs reçoivent des fonds (budgets) de l’État pour des raisons qui ne sont pas en lien avec l’investissement, leurs investissements ne sont pas soumis au SGIP (Ministère des Finances - Colombie, n.d.[12]).En ce qui concerne les collectivités territoriales, même si leurs investissements peuvent être exclus du SGIP, les systèmes incluent généralement les investissements qui bénéficient de transferts ou dotations du budget de l’État. Par ailleurs lorsque le SGIP n’inclut pas les collectivités territoriales dans leurs périmètres, ces dernières doivent reproduire le système à leur niveau comme c’est le cas en Australie ou au Royaume-Uni (Banque Mondiale, 2020[6]).
Au Maroc, les investissements publics couvrent une grande variété de projets et impliquent différents acteurs du niveau national et infranational ainsi que les EEPs (voir section 2.1.1.). C'est pourquoi la définition du champ d'application du SGIP, y compris les exemptions et les procédures simplifiées ou personnalisées, est essentielle à l’efficacité et à la faisabilité de la réforme. La décision d’inclure et de quelle façon inclure les investissements réalisés par les EEPs et les collectivités territoriales dans le périmètre du SGIP est une décision nationale (Glenday et al., 2021[11]). En effet, si les collectivités territoriales et les EEPs sont intégrés, il faudra prévoir des mécanismes pour assurer une bonne gouvernance du SGIP en adaptant le cadre institutionnel et législatif, à travers par exemple, la mise en place d’un comité ou de commissions avec des représentants des différents secteurs (Ministères), ainsi que des différentes entités jouant un rôle important dans les investissements publics.