Si les programmes de clémence peuvent être un instrument puissant pour détecter les ententes et soutenir l'application de la législation sur la concurrence, les juridictions doivent fournir les incitations adéquates pour que les entreprises demandent la clémence, y compris un risque élevé de détection et des sanctions dissuasives. La loi tunisienne sur la concurrence respecte les normes internationales relatives aux programmes de clémence, mais aucune demande n'a jamais été présentée à ce jour. L'adoption de lignes directrices peut aider la Tunisie à rendre son programme de clémence plus efficace. Cette section présente une vue d'ensemble des lignes directrices relatives aux programmes de clémence dans certaines juridictions, afin d'aider les autorités tunisiennes à mettre en œuvre leurs propres lignes directrices.
Le rôle des lignes directrices dans la promotion de la politique de concurrence en Tunisie
6. Programmes de clémence
Abstract
6.1. Aperçu du régime de clémence en Tunisie
La Tunisie a mis en place un programme de clémence en 2003. La loi no 2015-36, et notamment son article 26, a mis à jour le cadre juridique et encadre actuellement cette question, qui regroupe les ententes et tout type d’accord anti-compétitif. Par ailleurs, il existe un décret gouvernemental no 2017-252 du 8 février 2017 qui précise les procédures relatives aux demandes de clémence. Les autorités tunisiennes de la concurrence n’ont cependant reçu aucune demande de clémence à ce jour.
L’inclination des entreprises à demander la clémence dépend de leur perception de la menace d’être démasquées et lourdement sanctionnées (OCDE, 2023, p. 14[31]). Pour qu’un programme de clémence fonctionne, il doit exister un risque élevé de détection et de sanctions significatives, ce qui ne semble pas être le cas en Tunisie. Comme indiqué lors de l’Examen par les pairs, les activités de répression des ententes en Tunisie sont encore peu nombreuses et certaines décisions relatives à des ententes ont été rendues sans qu’aucune amende ne soit imposée, réduisant ainsi considérablement leur effet dissuasif (OCDE, 2022[1]).
Par conséquent, la simple modification du cadre réglementaire ne suffira pas à garantir l’efficacité du programme de clémence. L’amélioration du programme de clémence doit s’accompagner d’un plus grand nombre de décisions d’application et de sanctions plus lourdes. Il est donc nécessaire que les autorités tunisiennes poursuivent leur engagement en faveur de méthodes volontaristes de détection, notamment l’analyse économique (par exemple les facteurs de collusion, les études sectorielles et l’analyse du marché), l’utilisation d’informations tirées d’affaires antérieures (y compris d’autres juridictions), la surveillance du secteur (par exemple par la presse et internet, le suivi de la carrière des dirigeants du secteur et les contacts réguliers avec les représentants du secteur), la coopération interinstitutionnelle (autorités nationales ou étrangères de la concurrence ou autres instances) et le filtrage assisté par la technologie (par exemple les filtres structurels et les filtres comportementaux) (OCDE, 2023[31]).
Les programmes de clémence peuvent mettre un certain temps à devenir efficaces et à s’établir. Les données issues de la base de données CompStats de l’OCDE montrent qu’il existe une corrélation positive entre le nombre de demandes de clémence et l’ancienneté du programme de clémence. Le Graphique 6.1 illustre cette corrélation en évoquant la situation plutôt inhabituelle du programme de clémence en vigueur en Tunisie depuis 20 ans. Même si elle dispose du programme le plus ancien de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique, la Tunisie – qui ne compte aucune demande à ce jour – affiche des résultats bien inférieurs à la moyenne régionale établie à douze demandes de clémence par an enregistrées au cours de la période 2015-22 (OCDE, 2023[32]).
D’une manière générale, la Tunisie respecte les normes internationales concernant les programmes de clémence. Par exemple, la clémence peut garantir une immunité totale ou partielle contre les sanctions, suivant la situation du demandeur par rapport aux autres demandeurs et la connaissance préalable de l’infraction par l’autorité de la concurrence. Par ailleurs, des éléments de procédure ont été introduits par le décret gouvernemental no 2017-252, conformément aux pratiques en vigueur dans d’autres juridictions. Parmi ces éléments figurent la manière dont la demande peut être soumise (par écrit ou oralement), les informations requises et la possibilité de demander un marqueur.
En plus de prévoir des incitations adéquates (par exemple, des outils volontaristes de détection et des amendes dissuasives), le succès d’un programme de clémence repose sur la transparence et la prévisibilité. En effet, la transparence permet aux entreprises de comprendre en amont les avantages qu’elles auraient à se manifester. De même, les entreprises doivent être informées de l’existence et des caractéristiques du programme de clémence, en particulier de ce qu’elles peuvent attendre en échange de leur coopération (OCDE, 2023, p. 23[31]). À cet égard, la Recommandation du Conseil de l’OCDE concernant une action efficace contre les ententes injustifiables affirme que, pour garantir des programmes de clémence efficaces, les juridictions devraient définir clairement les règles et procédures qui régissent les programmes de clémence et les avantages qu’ils procurent, et établir des normes claires concernant la nature et la qualité des informations admissibles au programme de clémence (OCDE, 2019[33]).
L’article 1 du décret gouvernemental no 2017-252 prévoit que les demandes de clémence peuvent être soumises soit à la direction chargée de la concurrence au sein du ministère du Commerce, soit au rapporteur général du Conseil de la concurrence. Cette disposition soulève d’importantes préoccupations sur la possibilité de garantir la confidentialité, qui est un élément clé des programmes de clémence réussis, comme mentionné ci-avant. Par exemple, les juridictions indiquent d’ordinaire un point de contact spécifique auquel les parties intéressées doivent s’adresser pour soumettre une demande de clémence. L’incertitude sur la confidentialité est encore plus grande puisque ni la loi no 2015-36 ni le décret gouvernemental no 2017-252 ne contiennent de dispositions à cet égard.
En outre, l’article 26 de la loi no 2015-36 prévoit qu’avant d’accorder la clémence, le Conseil de la concurrence doit consulter le commissaire du gouvernement. Cette disposition remet en cause l’indépendance du conseil dans l’application de son programme de clémence.
Les procédures introduites par le décret gouvernemental no 2017-252 sont également limitées et ne couvrent pas tous les aspects principaux des demandes de clémence, comme souligné ci-après. Une fois de plus, il est essentiel que les avantages, les exigences et les procédures soient clairement définis pour assurer le bon fonctionnement des programmes de clémence.
6.2. Lignes directrices sur les programmes de clémence
Les lignes directrices sur les programmes de clémence peuvent être un outil efficace pour assurer la transparence et la prévisibilité, en incitant davantage les entreprises à demander à bénéficier d’un programme de clémence. Par exemple, de telles lignes directrices peuvent décrire les avantages, les exigences et les procédures se rapportant à une demande de clémence.
Cette section aborde les éléments communément couverts par les lignes directrices sur les programmes de clémence en comparant les lignes directrices publiées dans les juridictions de l’échantillon. Ces éléments pourront servir aux autorités tunisiennes de la concurrence lors de l’élaboration de leurs propres lignes directrices dans ce domaine.
6.2.1. Aperçu des lignes directrices analysées
L’équipe de projet a évalué les lignes directrices sur les programmes de clémence publiées dans les juridictions de l’échantillon, dont on trouve la liste au Tableau A A.3 et la synthèse dans le Tableau 6.1.
Tableau 6.1. Aperçu des lignes directrices analysées
Juridiction |
Lignes directrices |
Date des lignes directrices |
---|---|---|
Pays de l’OCDE |
||
Belgique |
✓ |
2022 |
Canada |
✓ |
2019 |
Union européenne |
✓ |
2022 |
France |
✓ |
2015 |
Pays non membres de l’OCDE |
||
Kenya |
✓ |
2017 |
Philippines |
✓ |
2019 |
Afrique du Sud |
✓ |
2008 |
6.2.2. Caractéristiques communes des lignes directrices analysées
Les lignes directrices des juridictions de l’échantillon contiennent les éléments suivants, dont on trouve la synthèse dans le Tableau 6.2.
Tableau 6.2. Synthèse des caractéristiques communes figurant dans les lignes directrices sur les programmes de clémence par juridiction (échantillon)
Juridiction |
Considérations introductives |
Infractions couvertes |
Critères à remplir |
Conditions |
Avantages |
Procédure |
Confidentialité |
---|---|---|---|---|---|---|---|
Pays de l’OCDE |
|||||||
Belgique |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
Canada* |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
Union européenne |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
France |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
Pays non membres de l’OCDE |
|||||||
Kenya |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
Philippines |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
Afrique du Sud |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
✓ |
Note : * Le Canada opère une distinction entre immunité et clémence, cette dernière faisant référence à l’immunité totale et la première à l’immunité partielle (c’est-à-dire à la réduction des sanctions).
Considérations introductives
La plupart des lignes directrices comportent d’abord des considérations introductives, qui, en règle générale, exposent leurs objectifs, la manière dont elles ont été élaborées et/ou l’importance des programmes de clémence.
Par exemple, les lignes directrices de la Commission européenne indiquent qu’elles visent à clarifier « certains concepts et certaines pratiques actuelles lorsque la Commission applique la communication sur la clémence afin d’assurer un degré élevé de transparence et de prévisibilité », ainsi qu’à « mieux faire connaître les protections et avantages supplémentaires dont bénéficient les entreprises qui demandent la clémence, en plus de ceux décrits dans la communication sur la clémence » (Commission européenne, 2022[34]).
Dans leur introduction, les lignes directrices belges définissent la nature et le cadre juridique du programme de clémence, tout en soulignant qu’elles visent à apporter une sécurité juridique aux personnes et entreprises concernées (Autorité belge de la Concurrence, 2020[35]). Les lignes directrices françaises exposent tout d’abord le cadre juridique du programme de clémence et les précédentes lignes directrices adoptées à cet égard, et décrivent le processus de révision le plus récent ayant conduit aux lignes directrices actuelles (Autorité de la concurrence, 2015[36]).
Les lignes directrices kenyanes indiquent qu’elles ont été élaborées pour « informer les parties (...), les praticiens du droit et le grand public de la manière dont l’autorité traitera les demandes de clémence » (Autorité de la concurrence du Kenya, 2017[37]). De même, les lignes directrices des Philippines prévoient qu’elles « servent à aider le public à comprendre le concept de clémence et à assurer la transparence de la procédure visant à bénéficier des avantages offerts par le programme » (Commission de la concurrence des Philippines, 2019[38]).
La partie introductive peut également contenir une explication de la raison d’être du programme de clémence. Par exemple, les lignes directrices canadiennes reconnaissent l’importance de la clémence pour mettre au jour et faire cesser toute activité anticoncurrentielle et décourager quiconque d’adopter un comportement similaire (Bureau de la concurrence, 2019[39]).
Infractions couvertes par le programme de clémence
L’ensemble des lignes directrices examinées indiquent expressément les infractions à la concurrence auxquelles le programme de clémence s’applique. Si la plupart des programmes de clémence ne visent que les ententes injustifiables, certaines lignes directrices couvrent également d’autres infractions.
Par exemple, les lignes directrices canadiennes affirment que l’immunité s’applique aussi en cas de pratiques commerciales trompeuses (Bureau de la concurrence, 2019, p. 7[39]). Par ailleurs, les lignes directrices de la Commission européenne prévoient que la clémence peut concerner des ententes moins traditionnelles, notamment des pratiques telles que la discussion des facteurs de tarification sur les cours de référence hebdomadaires, l’échange d’informations précises sur les positions de négociation et les tentatives d’influencer les taux d’intérêt de référence, les ententes entre acheteurs et la coordination visant à restreindre la concurrence en matière de progrès technique (Commission européenne, 2022, pp. 1-2[34]). Les lignes directrices françaises précisent qu’outre les ententes injustifiables, le programme de clémence s’applique également à tout autre comportement anticoncurrentiel similaire entre concurrents et notamment les pratiques concertées mises en place par l’intermédiaire d’acteurs en relation verticale avec les auteurs de la pratique (« hub and spoke ») (Autorité de la concurrence, 2015, p. 2[36]).
Qui peut bénéficier du programme de clémence (critères à remplir) ?
La plupart des lignes directrices indiquent les personnes qui peuvent demander la clémence, c’est-à-dire généralement des entreprises ou associations d’entreprises impliquées dans une entente (pour autant qu’elles remplissent certaines conditions, comme indiqué ci-après). Par ailleurs, certaines lignes directrices prévoient que les personnes physiques impliquées dans une entente peuvent demander la clémence, comme en Belgique, au Canada et aux Philippines. Les lignes directrices kenyanes établissent que la clémence peut aussi s’appliquer aux directeurs et aux employés du demandeur, mais elles ne précisent pas si les particuliers eux-mêmes peuvent demander la clémence (Autorité de la concurrence du Kenya, 2017, p. 3[37]). Les lignes directrices de l’Afrique du Sud et de la Commission européenne indiquent que les particuliers ne peuvent pas demander la clémence, mais qu’ils peuvent être considérés comme des donneurs d’alerte. Les lignes directrices de la Commission européenne précisent toutefois que les États membres de l’UE doivent veiller à ce que les employés des entreprises sollicitant l’immunité auprès des autorités nationales de la concurrence et de la commission soient protégés contre les sanctions au niveau de l’État membre, à condition qu’ils coopèrent avec les autorités compétentes (Commission européenne, 2022, p. 12[34]).
En outre, les lignes directrices de la Commission européenne précisent que les facilitateurs (c’est-à-dire « une entreprise qui n’était pas présente sur le marché faisant l’objet de l’entente mais qui, par ailleurs, a activement contribué à la réalisation des objectifs de l’infraction ») peuvent demander à bénéficier du régime de clémence (Commission européenne, 2022, p. 3[34]).
De plus, la plupart des lignes directrices indiquent que les acteurs du marché qui ont contraint d’autres entreprises à adhérer à l’entente ou à y rester ne peuvent prétendre à une immunité totale (Belgique, Canada, CE, France et Philippines), bien qu’ils puissent encore bénéficier d’une réduction des amendes. Les lignes directrices des Philippines soulignent en outre que le chef de file ou l’initiateur de la pratique anticoncurrentielle ne peut pas non plus bénéficier de l’immunité totale (Commission de la concurrence des Philippines, 2019, p. 21[38]). Les lignes directrices kenyanes prévoient que le demandeur de clémence ne doit pas avoir contraint ou incité d’autres personnes à mettre en œuvre l’accord, ce qui laisse supposer que cette disposition couvre également la clémence partielle (Autorité de la concurrence du Kenya, 2017, p. 4[37]).
Conditions
L’ensemble des lignes directrices définissent les conditions qu’un demandeur doit remplir pour bénéficier du régime de clémence. Les éléments suivants sont présents dans la totalité des lignes directrices de l’échantillon : (i) le demandeur doit mettre fin à sa participation à l’entente immédiatement après sa demande (sauf demande contraire de l’autorité de la concurrence, lorsque cela est nécessaire pour garantir l’intégrité de l’enquête) ; (ii) le demandeur doit coopérer pleinement et dans les meilleurs délais avec l’autorité de la concurrence concernant les pratiques anticoncurrentielles signalées, ce qui implique de fournir toutes les informations et preuves dont il a ou aura connaissance et de répondre rapidement aux demandes de l’autorité de la concurrence ; (iii) le demandeur ne doit pas détruire, falsifier ou dissimuler des informations ou des preuves relatives à l’infraction signalée ; (iv) le demandeur ne doit pas divulguer sa demande et son contenu (sauf accord contraire de l’autorité de la concurrence).
Outre ces conditions générales, des conditions spécifiques doivent être remplies pour qu’un demandeur obtienne l’immunité totale ou partielle (voir ci-après).
Avantages procurés par le programme de clémence
Comme indiqué ci-avant, la Recommandation de l’OCDE concernant une action efficace contre les ententes injustifiables prévoit qu’un programme de clémence efficace repose sur la mise en place d’avantages clairs pour les demandeurs (OCDE, 2019[33]). Ainsi, toutes les lignes directrices précisent les avantages que les demandeurs de clémence peuvent obtenir s’ils respectent toutes les conditions.
La plupart des lignes directrices prévoient une immunité totale ou une réduction des sanctions, suivant la situation du demandeur par rapport aux autres demandeurs et la connaissance préalable de l’infraction par l’autorité de la concurrence. L’immunité totale est en règle générale accordée à la première entité qui révèle sa participation à une entente et qui fournit à l’autorité de la concurrence des informations et des preuves lorsque l’autorité n’a pas connaissance de la pratique anticoncurrentielle ou, si l’autorité a connaissance de l’infraction, lorsqu’elle ne dispose pas de preuves suffisantes pour engager des poursuites contre l’entente.
Certaines lignes directrices (notamment celles du Canada, de la Commission européenne, de la France, du Kenya et des Philippines) indiquent qu’une immunité totale protège les employés des entreprises bénéficiant de la clémence contre les poursuites pénales, tandis que les lignes directrices belges sont muettes à cet égard. En revanche, les lignes directrices sud-africaines indiquent expressément que l’immunité totale n’exonère pas le demandeur de la responsabilité pénale résultant de sa participation à une infraction à la législation sur les ententes (Commission de la concurrence d’Afrique du Sud, 2008, p. 5[40])1.
La plupart des lignes directrices prévoient également une immunité partielle (c’est-à-dire une réduction de la sanction) lorsque les demandeurs de clémence ne remplissent pas les conditions requises pour bénéficier d’une immunité totale, mais apportent des preuves supplémentaires. Les lignes directrices sur la clémence fixent généralement des « fourchettes de clémence » avec différents niveaux de réduction, en tenant compte du moment de la demande et de la valeur ajoutée représentée par les preuves supplémentaires présentées. C’est le cas, par exemple, des lignes directrices de la Belgique, de la Commission européenne, de la France, du Kenya et des Philippines. Les lignes directrices canadiennes fixent une fourchette unique, c’est-à-dire une réduction maximale de 50 % (Bureau de la concurrence, 2019, p. 30[39]).
En Afrique du Sud, les lignes directrices prévoient que le programme de clémence ne bénéficie qu’aux « premiers arrivés », bien qu’une immunité partielle puisse être accordée aux demandeurs ultérieurs par le biais d’autres outils (Commission de la concurrence d’Afrique du Sud, 2008, p. 5[40]).
Procédure
L’ensemble des lignes directrices décrivent la procédure à suivre à l’occasion d’une demande de clémence. Les étapes de la procédure de clémence sont similaires dans toutes ces lignes directrices : premier contact, demande de marqueur, dépôt d’une demande, octroi d’une clémence conditionnelle et décision finale.
Toutes les lignes directrices soulignent que les demandeurs peuvent contacter l’autorité de la concurrence de manière informelle, sans révéler leur identité, afin d’obtenir des informations générales et des précisions sur le programme de clémence (par exemple, pour savoir s’il s’applique à un comportement spécifique).
Certaines lignes directrices (par exemple, celles de la Belgique, du Canada, de la Commission européenne et des Philippines) prévoient également la possibilité de présenter une demande hypothétique afin de déterminer si la clémence est accessible dans le cas de l’entente spécifique impliquant le demandeur potentiel. À cette fin, le demandeur potentiel doit désigner à l’autorité de la concurrence les produits concernés, la portée géographique et la durée de l’infraction, mais il n’est pas tenu de divulguer son identité.
En outre, l’ensemble des lignes directrices prévoient la possibilité de demander un marqueur, qui protège la place du demandeur dans la ligne des demandes relatives à une infraction spécifique, en lui permettant de rassembler les informations et les preuves nécessaires pour remplir les conditions requises pour bénéficier de la clémence au cours d’une période donnée. Si la plupart des lignes directrices indiquent que l’autorité de la concurrence déterminera au cas par cas le délai de mise au point de la demande, d’autres fixent un délai plus ou moins précis2.
Toutes les lignes directrices mentionnent également que le demandeur de clémence doit présenter à l’autorité de la concurrence les informations et les éléments de preuve utiles dont il dispose, bien que certaines lignes directrices fournissent plus de détails à cet égard. Par exemple, les lignes directrices belges indiquent que la demande doit être accompagnée d’une déclaration de clémence contenant les informations suivantes : (i) le nom et l’adresse du demandeur, ainsi que le nom et la fonction des personnes physiques qui, au sein du demandeur, étaient impliquées dans l’entente ; (ii) le nom et l’adresse des autres entreprises, associations d’entreprises ou personnes physiques impliqués dans l’entente ; (iii) les produits ou services en cause ; (iv) l’étendue géographique ; (v) la durée ; (vi) l’estimation du volume du marché ; (vii) les lieux et moments auxquels se sont tenus les échanges relatifs à l’entente, de même que le contenu de ces échanges et les participants ; (viii) la nature de l’entente ; (ix) toutes explications pertinentes concernant les éléments de preuve fournis ; (x) des informations sur toutes les demandes de clémence relatives à l’entente introduites dans d’autres juridictions ; et (xi) les éléments de preuve qui soutiennent la demande (Autorité belge de la Concurrence, 2020, p. 7[35]). En outre, les lignes directrices des Philippines donnent des exemples d’éléments de preuve qui peuvent être utiles, tels que courriels, lettres et procès-verbaux de réunions (Commission de la concurrence des Philippines, 2019, p. 12[38]).
En règle générale, les demandes peuvent être présentées par écrit ou oralement. Les demandes orales sont souvent transcrites par l’autorité de la concurrence. Seules les lignes directrices des Philippines ne mentionnent pas les demandes présentées oralement. En outre, les lignes directrices indiquent clairement le point de contact au sein de l’autorité de la concurrence (en règle générale un poste spécifique), élément important pour garantir la confidentialité.
Après avoir reçu la demande de clémence, l’autorité de la concurrence l’évalue et accorde une clémence provisoire ou conditionnelle si toutes les conditions sont remplies. À la fin de la procédure, si le demandeur a respecté toutes les conditions requises, la clémence conditionnelle est convertie en clémence définitive. La clémence conditionnelle peut être révoquée si le demandeur ne respecte pas ses obligations.
Confidentialité
Toutes les lignes directrices contiennent des dispositions relatives à la confidentialité, qui est une caractéristique importante pour garantir le succès des programmes de clémence. En effet, selon la Recommandation de l’OCDE concernant une action efficace contre les ententes injustifiables, les juridictions devraient fournir une protection appropriée de la confidentialité aux demandeurs de clémence (OCDE, 2019[33]), afin de garantir un juste équilibre entre l’action publique et les actions privées et de préserver l’incitation à demander la clémence (OCDE, 2023, p. 15[31]).
La portée de la confidentialité varie néanmoins considérablement en fonction des lignes directrices. Certaines d’entre elles sont plus directives et indiquent clairement que les documents relatifs à la clémence sont protégés contre toute divulgation au plaignant et parties intéressées.
Selon les lignes directrices belges, par exemple, le plaignant et les tiers intéressés n’ont pas accès aux demandes de clémence, pièces et décisions. Les autres parties à l’enquête ne peuvent pas avoir accès aux documents relatifs à la clémence, sauf pour exercer leurs droits de défense (Autorité belge de la Concurrence, 2020, p. 10[35]).
Les lignes directrices de la Commission européenne prévoient que les demandes de clémence (c’est-à-dire les demandes et les déclarations des entreprises) sont protégées contre la divulgation dans le cadre d’un recours civil, y compris la communication préalable, grâce à l’utilisation d’e-Leniency (une plateforme en ligne mise au point par la commission). En outre, les lignes directrices précisent les attentes de la commission à l’égard des demandeurs de clémence, qui doivent renoncer totalement à la confidentialité pour permettre à celle-ci de partager les documents relatifs à la clémence avec d’autres autorités de la concurrence (Commission européenne, 2022[34]).
Les lignes directrices kenyanes affirment que l’identité du demandeur de clémence reste confidentielle pendant l’enquête ainsi qu’après l’adoption d’une décision. Elles indiquent également que tout demandeur de clémence peut demander la confidentialité de l’ensemble ou d’une partie des documents transmis à l’autorité de la concurrence (Autorité de la concurrence du Kenya, 2017, pp. 6-7[37]).
En revanche, d’autres lignes directrices sont plus générales et moins détaillées. Par exemple, les lignes directrices françaises ne sont pas très précises, se contentant de préciser que l’Autorité de la concurrence préserve, dans la limite de ses obligations nationales et communautaires, la confidentialité de l’identité du demandeur de clémence pendant la durée de la procédure jusqu’à l’envoi de la notification des griefs aux parties concernées (Autorité de la concurrence, 2015, p. 9[36]).
En outre, les lignes directrices sud-africaines prévoient que la Commission de la concurrence garantit la confidentialité de toutes les informations, éléments de preuve et documents transmis par les demandeurs de clémence tout au long de la procédure. La divulgation de toute information fournie par les demandeurs de clémence avant l’octroi de l’immunité est soumise à leur consentement (Commission de la concurrence d’Afrique du Sud, 2008[40]).
Les lignes directrices des Philippines prévoient que l’identité des demandeurs de clémence est confidentielle et ne sera pas divulguée, sauf si la PCC décide que leur témoignage ou leur déclaration sous serment est nécessaire dans le cadre d’une procédure administrative ou civile engagée par l’autorité de la concurrence (Commission de la concurrence des Philippines, 2019, p. 24[38]).
Au Canada, les lignes directrices sur la clémence prévoient que le Bureau de la concurrence traite l’identité d’un demandeur d’immunité ou de clémence et tout renseignement que ce dernier a communiqué comme étant confidentiel. Les lignes directrices énumèrent toutefois certaines exceptions à la confidentialité, notamment lorsque la divulgation est exigée par la loi ou lorsque celle-ci est nécessaire pour obtenir une autorisation judiciaire visant l’exercice de pouvoirs d’enquête ou pour en préserver la validité, ainsi que lorsque la partie a consenti à la divulgation (Bureau de la concurrence, 2019, pp. 41-42[39]).
6.2.3. Caractéristiques moins courantes mais utiles figurant dans les lignes directrices analysées
L’analyse a révélé la présence, dans les lignes directrices des juridictions de l’échantillon, de caractéristiques moins courantes mais utiles qui méritent d’être mentionnées. Une synthèse de ces caractéristiques est présentée dans le Tableau 6.3.
Tableau 6.3. Caractéristiques moins courantes mais utiles figurant dans les lignes directrices sur les programmes de clémence
Juridiction |
Caractère juridiquement non contraignant |
Terminologie |
Conséquences en matière de responsabilité civile |
Liste de vérification et documents modèles |
---|---|---|---|---|
Pays de l’OCDE |
||||
Belgique |
✓ |
|||
Canada |
✓ |
✓* |
Implicite |
✓ |
Union européenne |
✓ |
✓ |
||
France |
✓ |
|||
Pays non membres de l’OCDE |
||||
Kenya |
✓ |
|||
Philippines |
Implicite |
✓ |
||
Afrique du Sud |
✓ |
Note : * Les lignes directrices canadiennes ne contiennent pas de glossaire, mais apportent des précisions sur certains termes dans l’introduction.
Caractère juridiquement non contraignant des lignes directrices
À l’instar des lignes directrices sur les concentrations, il est également possible que les autorités de la concurrence souhaitent indiquer expressément que les lignes directrices sur la clémence ne sont pas juridiquement contraignantes pour les tribunaux, même si cela est sous-entendu dans certaines juridictions.
Par exemple, les lignes directrices canadiennes signalent que le document « ne contient pas d’avis de nature juridique » (Bureau de la concurrence, 2019, p. 7[39]). De même, les lignes directrices de la Commission européenne précisent qu’elles « n’ont pas pour objet de constituer un énoncé du droit et ne préjugent pas de l’interprétation de l’article 101 et de la communication sur la clémence par les juridictions européennes » (Commission européenne, 2022, p. 1[34]).
Quant aux lignes directrices des Philippines, il est indiqué que ce document « ne se substitue pas à la loi du pays sur la concurrence (PCA) et aux règles de clémence » (Commission de la concurrence des Philippines, 2019, p. 3[38]).
Terminologie
Certaines lignes directrices, comme celles de la Belgique et du Kenya, contiennent un glossaire définissant les principaux termes techniques, ce qui permet de mieux comprendre le programme de clémence. Un glossaire peut s’avérer particulièrement utile dans les juridictions où la clémence est une pratique nouvelle ou moins efficace.
Sans disposer d’un glossaire formel, les lignes directrices canadiennes expliquent la signification de certains termes, tels que « partie », « demandeur d’immunité » et « demandeur de clémence » (Bureau de la concurrence, 2019, p. 7[39]).
Conséquences en matière de responsabilité civile
Certaines lignes directrices mentionnent les conséquences de la clémence en termes de responsabilité civile. Un petit nombre de lignes directrices (par exemple, celles de la France et de l’Afrique du Sud) précisent que l’immunité accordée dans le cadre de la clémence ne protège pas le demandeur de la responsabilité civile résultant de sa participation à une entente.
Les lignes directrices européennes expliquent que le programme de clémence protège les demandeurs contre tout risque d’actions civiles en dommages-intérêts. Plus précisément, les bénéficiaires de l’immunité ne sont solidairement responsables envers leurs clients directs et indirects et envers les autres victimes de l’entente que s’il n’est pas possible d’obtenir une compensation totale de la part des autres membres de l’entente (Commission européenne, 2022, p. 12[34]).
En revanche, les lignes directrices des Philippines indiquent que les actions civiles engagées par la PCC au nom des parties concernées et des tiers peuvent être évitées ou réduites grâce au programme de clémence (Commission de la concurrence des Philippines, 2019, p. 8[38]).
Les lignes directrices canadiennes ne mentionnent pas expressément que les demandeurs ne sont pas protégés contre les actions civiles en dommages et intérêts, mais elles précisent que le Bureau de la concurrence n’a aucun intérêt à pénaliser les demandeurs pour sa divulgation précoce ou sa coopération à une action civile (Bureau de la concurrence, 2019, p. 43[39]).
Liste de vérification et documents modèles
Les lignes directrices canadiennes prévoient une liste de vérification pour guider les demandeurs concernant les informations à fournir à l’autorité de la concurrence. Il s’agit par exemple des parties, du produit, du secteur, du marché, du comportement et de son incidence. Les lignes directrices canadiennes comprennent également des documents modèles qui peuvent faciliter le dépôt d’une demande de clémence et offrir une plus grande transparence aux demandeurs.
Principaux éléments à retenir – Programmes de clémence
S’il est vrai que les programmes de clémence peuvent constituer un outil véritablement efficace pour détecter les ententes et soutenir l’application des règles de concurrence, les juridictions doivent veiller à ce que les entreprises soient incitées à demander la clémence, notamment en leur faisant courir un risque élevé de détection et en leur imposant des sanctions dissuasives.
La transparence et la prévisibilité sont essentielles pour garantir le succès des programmes de clémence.
Le droit tunisien de la concurrence suit les normes internationales en matière de programmes de clémence, mais aucune demande de clémence n’a jamais été présentée à ce jour.
L’adoption de lignes directrices sur la clémence peut aider la Tunisie à renforcer l’efficacité de son programme de clémence.
Lors de l’élaboration de lignes directrices sur la clémence, plusieurs éléments devraient être pris en compte, notamment l’identité du point de contact de l’autorité de la concurrence auquel les parties intéressées doivent s’adresser pour présenter une demande, la possibilité de demander un marqueur et les informations et éléments de preuve qui doivent être présentés.
Notes
← 1. Il convient de noter que seule la pratique des soumissions concertées est pénalisée en Belgique, tandis que les autres juridictions de l’échantillon sanctionnent les ententes injustifiables de manière générale (OCDE, 2020[47]).
← 2. Par exemple, les lignes directrices canadiennes et kenyanes prévoient 30 jours, tandis que les lignes directrices des Philippines fixent 28 jours (Bureau de la concurrence, 2019[39] ; Autorité de la concurrence du Kenya, 2017, p. 7[37]). Les lignes directrices de la Commission européenne mentionnent que, dans des affaires récentes, elle a accordé un délai d’un mois, mais ce délai peut être plus long dans certains cas (Commission européenne, 2022, p. 6[34]).