Ce chapitre examine l’impact de la transformation numérique sur les modèles d’affaires et la création de valeur. Il décrit les caractéristiques principales des marchés numériques et leur incidence sur le processus de création de valeur. Il accorde une importance toute particulière aux modèles d’affaires à forte composante numérique, et analyse trois des caractéristiques les plus fréquemment observées dans certains d’entre eux.
Les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l'économie – rapport intérimaire 2018
Chapitre 2. Numérisation, modèles d’affaires et création de valeur
Abstract
2.1. Synthèse
Les progrès technologiques ont entraîné une baisse rapide du coût unitaire du traitement des données. Celle-ci s’est traduite à son tour par un essor considérable de l’information numérique, qui peut être exploitée très rapidement à des coûts marginaux très faibles. Ces évolutions ont favorisé la généralisation et l’intégration des produits et des transactions numériques, à l’origine de la transformation structurelle en cours de l’économie.
Ce chapitre présente une analyse approfondie des mécanismes de création de valeur dans différents modèles d’affaires numériques, dans l’objectif d’éclairer les débats actuels sur la fiscalité internationale. La section 2 décrit les principales caractéristiques des marchés numériques. Ces caractéristiques déterminent les trois processus de création de valeur identifiés dans la section 3 (chaîne de valeur, réseau de valeur et atelier de valeur) et analysés plus en détail dans la section 4 dans le cadre d’études de cas. La section 5 présente trois des facteurs les plus caractéristiques des entreprises à forte composante numérique, en tenant compte des différents points de vue des membres du Cadre inclusif sur le BEPS en la matière. Cette section jette les bases des discussions relatives aux répercussions de la numérisation de l’économie sur le cadre fiscal international qui seront abordées dans le Chapitre 5.
Il apparaît que la structure des entreprises et le processus de création de valeur ont considérablement évolué, en particulier pour certaines entreprises. Il est important, pour tenter de comprendre ces évolutions, de mettre en évidence les principales caractéristiques communes aux entreprises à forte composante numérique. Ces caractéristiques, qui concerneront un nombre encore plus grand d’entreprises à mesure que progresse la numérisation de l’économie, sont les suivantes : portée internationale sans masse ; le rôle essentiel des actifs incorporels et notamment des droits de propriété intellectuelle (PI) ; importance des données ; participation des utilisateurs ; et synergies entre ces données et la propriété intellectuelle.
Portée internationale sans masse. La numérisation a permis aux entreprises, dans bon nombre de secteurs, de localiser les différentes phases de leur processus de production dans différents pays, et en même temps d’avoir accès à une clientèle plus nombreuse dans le monde entier. Elle permet également à des ’entreprises déjà largement converties au numérique d’occuper une place importante dans l’économie de différents pays ou territoires malgré une présence physique faible ou nulle, et d’atteindre ainsi une grande portée opérationnelle locale sans masse locale (ci-après la « portée sans masse »).
Rôle essentiel des actifs incorporels et notamment des droits de propriété intellectuelle. L’analyse montre également que les entreprises à forte composante numérique se caractérisent par l’importance croissante des investissements dans les actifs incorporels, et notamment dans les actifs incorporels (pouvant aussi bien appartenir à l’entreprise qu’être loués à des tiers). Nombreuses sont les entreprises à forte composante numérique dont le modèle d’affaires est centré sur l’utilisation intensive de certains actifs incorporels comme les logiciels et les algorithmes qui sous-tendent les plateformes, les sites web et de nombreuses autres fonctionnalités essentielles.
Données, participation des utilisateurs et synergies avec la PI. L’utilisation des données, la participation des utilisateurs, les effets de réseaux et la fourniture de contenu créé par les utilisateurs caractérisent souvent le modèle d’affaires des entreprises à forte composante numérique. Les bienfaits de cette analyse peuvent en outre augmenter en même temps que la quantité d’informations collectées au sujet d’un utilisateur ou d’un client en particulier. L’importance du rôle joué par la participation des utilisateurs peut être observée dans le cas des réseaux sociaux, dont l’activité ne pourrait être telle qu’on la connaît aujourd’hui en l’absence des données, des effets de réseaux et du contenu créé par les utilisateurs. En outre, la participation des utilisateurs peut globalement prendre deux formes : une participation active et une participation passive. Néanmoins, ce degré de participation n’est pas nécessairement corrélé au degré de numérisation. L’informatique en nuage, par exemple, peut être considérée comme une activité à plus forte composante numérique associée à une participation seulement limitée des utilisateurs.
Relation entre modèle d’affaires à forte composante numérique et création de valeur. Si les membres du Cadre inclusif reconnaissent généralement l’existence de ces trois caractéristiques couramment observées dans les entreprises à forte composante numérique, aucun consensus ne se dégage quant à leur pertinence et à leur importance au regard du lieu de création de valeur et de l’identité de l’entité créatrice de valeur. On s’accorde généralement à penser que la portée opérationnelle sans masse et le rôle croissant des actifs incorporels peuvent être des éléments essentiels du processus de création de valeur des entreprises à forte composante numérique. Toutefois, il est également admis que ces facteurs ne sont pas spécifiques à ces entreprises.
S’il y a convergence d’opinions sur le fait que les données et la participation des utilisateurs sont des caractéristiques communes aux entreprises à forte composante numérique, les avis divergent néanmoins quant à la réalité et à l’importance du rôle joué par ces facteurs dans le processus de création de valeur par l’entreprise. Certains membres du Cadre inclusif envisagent la participation des utilisateurs comme un déterminant spécifique et important de la création de valeur pour les entreprises à forte composante numérique. Ces pays pointent la participation des utilisateurs et leur implication dans la durée qui permet à ces entreprises de réunir de grandes quantités de données grâce à un suivi étroit des contributions qu’ils fournissent de manière délibérée et des comportements qu’ils adoptent. Ils mettent aussi en avant les apports en contenu faits par les utilisateurs, qui peuvent tenir une place primordiale dans l’offre d’une entreprise numérique et contribuer de manière déterminante à attirer d’autres utilisateurs et créer des effets de réseau.
Ces pays estiment aussi que la participation des utilisateurs (à travers la formulation d’avis ou la prestation de services, par exemple) peut être pour beaucoup dans la confiance et la réputation dont jouissent certaines entreprises numériques et contribuer à leur image de marque et à l’extension de leurs réseaux d’utilisateurs. Ils tendent par exemple à considérer que, dans certains modèles d’affaires, la collecte, via une plateforme numérique, de données et de contenu d’utilisateurs dans un pays ou un territoire et l’emploi de ces données pour augmenter la fréquentation de la plateforme en question et adresser en retour de la publicité aux utilisateurs font partie intégrante des activités créatrices de valeur menées dans ce pays ou territoire quand bien même ladite plateforme est exploitée à distance. Pour eux, la participation des utilisateurs est potentiellement créatrice de valeur pour les entreprises numériques. Les utilisateurs ont recours à des modèles d’affaires spécifiques pour interagir entre eux. À titre d’exemple, la fourniture de contenu accessible à d’autres utilisateurs accroît l’utilité et la valeur d’une plateforme. Par le passé, ce contenu devait être produit ou acheté par les entreprises concernées. De l’avis de ces pays, la contribution des utilisateurs à la création de valeur est un phénomène absolument nouveau qui va au-delà de la simple consommation d’un service (soit la fourniture d’un accès au modèle d’affaires).
D’autres pays, en revanche, considèrent la collecte des données sur les utilisateurs, la participation de ces derniers et la fourniture de contenu généré par ces mêmes utilisateurs comme des transactions conclues entre les utilisateurs (en tant que fournisseurs de données/contenu) et l’entreprise numérique concernée, laquelle, en échange de ces données/contenu, offre aux utilisateurs une contrepartie qui peut être financière ou non financière (services d’hébergement de données, de messagerie électronique ou de divertissements numériques par exemple). Les pays qui soutiennent cette opinion s’accordent à penser que l’interaction entre les utilisateurs et l’entreprise numérique considérée constitue une transaction qui pourrait donner lieu à un impôt sur les sociétés, même s’ils constatent également que les règles actuelles d’imposition des bénéfices des sociétés prennent rarement en compte ce type d’opérations de troc ne donnant lieu à aucune contrepartie financière d’un côté ou de l’autre de la transaction (paiement en espèces par exemple). Ces pays ne considèrent pas le fait que les entreprises numériques obtiennent des données sur les utilisateurs comme une activité qui justifie d’attribuer un bénéfice à ladite entreprise au seul motif que ces données peuvent avoir de la valeur. En ce sens, ils estiment que la fourniture de données par l’utilisateur constitue un intrant au même titre que ceux fournis par un tiers indépendant au sein de la chaîne d’approvisionnement de l’entreprise (stockage de données, accès haut débit, électricité, par exemple). Certains d’entre eux jugent néanmoins que les données des utilisateurs peuvent être considérées comme participant aux actifs incorporels de valeur des entreprises numériques, et, en ce sens, comme étant associées aux défis plus larges identifiés plus haut pour les actifs incorporels. D’autres pays cependant ne voient pas la fourniture de contenu généré par les utilisateurs ou les interactions entre eux et les entreprises à forte composante numériques comme des opérations de troc entre ces deux parties.
L’importance du rôle attribué ou non, selon les points de vue, aux données et à la participation des utilisateurs dans le processus de création de valeur conditionnera la question de savoir si ces facteurs doivent être considérés comme des défis fiscaux résultant de l’évolution des modèles d’affaires, que ces défis soient spécifiques à l’application des règles fiscales internationales aux entreprises à forte composante numérique ou concernent dans tous les cas les règles fiscales internationales dans leur ensemble. De plus, étant donné que le degré de participation des utilisateurs peut ne pas toujours être étroitement corrélé au degré de numérisation, on pourrait, en centrant exclusivement l’attention sur ces deux facteurs en l’absence de toute référence aux autres caractéristiques, déduire que les défis fiscaux ne concernent qu’un ensemble spécifique, plus limité, d’entreprises à forte composante numérique1. Dans ce contexte, des travaux supplémentaires sont nécessaires pour évaluer dans quelle mesure il est possible de concilier les différents points de vue pour obtenir un consensus sur l’ampleur des défis fiscaux à long terme et, partant, sur les solutions pérennes envisageables. Les répercussions fiscales de l’analyse sur la numérisation, les modèles d’affaires et la création de valeur présentée dans ce chapitre sont examinées plus en détail dans le chapitre 5.
2.2. Infrastructure de l’économie telle qu’affectée par la numérisation de l’économie
Avant d’étudier le processus de création de valeur, il est utile de cerner les principales caractéristiques des marchés numériques, c’est-à-dire l’infrastructure sur laquelle se développent les entreprises à forte composante numérique. L’objectif de la présente section est d’appréhender de façon globale la dynamique de marché dans laquelle s’inscrit la transformation numérique de l’économie avant de pouvoir examiner les implications de la transformation numérique sur le système fiscal. Cette étape est importante, d’une part pour mieux cerner les retombées plus générales des mesures fiscales qui seront envisagées plus loin dans ce rapport, et, d’autre part parce que les caractéristiques des marchés numériques déterminent le processus de création de valeur décrit dans les sections 3 et 4 du présent chapitre. Au vu de la multitude de modèles d’affaires à forte composante numérique et de caractéristiques des marchés numériques à prendre en compte, la difficulté consiste notamment à présenter les informations de façon précise mais concise. En ligne avec cet objectif, la classification des modèles d’affaires/lignes d’activité présentée dans cette section s’appuie sur celle adoptée dans les ouvrages spécialisés (Hagiu et Wright, 2015a).
L’impact économique de la numérisation fait l’objet d’un nombre croissant d’études théoriques et empiriques depuis au moins le début des années 20002. S’agissant de l’espace où deux parties ou plus échangent des biens ou des services, ces études font souvent la différence entre marchés virtuels (ou « numériques » ou « en ligne ») et marchés physiques. Les premiers se distinguent des seconds par l’accentuation de certaines caractéristiques, qui ne leur sont toutefois pas exclusives. Bien que les analyses varient souvent quant au propos développé et à leur objectif, il existe une large convergence d’opinions sur les caractéristiques des marchés numériques :
Effets de réseau directs : sur les marchés numériques, l’utilité associée à la consommation d’un bien ou d’un service spécifique dépend souvent du nombre d’autres utilisateurs finaux qui consomment le même bien ou service. Cette relation constitue ce que l’on appelle une « externalité de réseau directe », ou « effet de réseau direct » ou encore « externalité de consommation » ; il s’agit d’une externalité positive car plus le réseau est étendu, plus l’utilité pour l’utilisateur final est grande. Les exemples les plus évidents à cet égard sont les médias sociaux et les services de messagerie en ligne. Ces deux applications ne présentent aucune utilité pour l’utilisateur si celui-ci est le seul à les utiliser, mais leur utilité croît à mesure qu’augmente le nombre de leurs utilisateurs. On peut également parler d’effets de réseau, par exemple, dans le cas des jeux en ligne ou des systèmes d’exploitation.
Effets de réseau indirects : contrairement aux effets de réseau directs, les effets de réseau indirects s’exercent dans le cadre de marchés multifaces. Comme on le verra de façon plus détaillée plus bas, ces effets se produisent lorsqu’un groupe donné d’utilisateurs finaux (d’un réseau social, par exemple) bénéficie de la possibilité d’être en contact avec un autre groupe d’utilisateurs (annonceurs sur un réseau social), par exemple par l’intermédiaire d’une plateforme en ligne. La numérisation a permis l’apparition des plateformes et réseaux en ligne, ce qui a stimulé la création d’entreprises-plateformes dans de nombreux secteurs, comme la location d’hébergements, les transports ou le commerce électronique entre particuliers.
Économies d’échelle : la production de biens et services numériques comporte souvent des coûts fixes relativement élevés et des coûts variables bas. Le développement logiciel, par exemple, nécessite des investissements considérables en infrastructures et en personnel, mais une fois que le programme final a été élaboré, il peut être maintenu, vendu ou distribué à un coût très bas. Si les coûts marginaux, souvent, ne sont pas négligeables, tout un éventail de biens de consommation non rivaux, comme les logiciels, les livres électroniques ou la musique, peuvent être reproduits à un coût marginal effectif nul3.
Coûts de changement de fournisseur et effets de verrouillage : les transactions numériques peuvent être effectuées sur différents appareils électroniques, mais avec divers systèmes d’exploitation. Les clients peuvent donc se retrouver captifs d’un système d’exploitation donné une fois qu’ils ont fait l’acquisition d’un appareil. Cet effet est dû à des coûts de changement de système qui sont psychologiques autant que monétaires. Là encore, les médias sociaux ou les services de messagerie sont un bon exemple, car le passage d’une application à une autre implique le transfert d’un grand nombre de données personnelles et de contacts. Autre exemple, le changement de smartphone (et de système d’exploitation), qui implique une perte d’accès aux applications et données accumulées auparavant.
Complémentarité : bon nombre des biens et services échangés sur les marchés numériques sont des compléments les uns des autres ; autrement dit, les clients tirent une plus grande utilité de la consommation de deux (ou plus) biens complémentaires ensemble. Par exemple, l’utilité d’un ordinateur portable ou d’un smartphone est grandement accrue lorsque l’appareil est utilisé avec les logiciels correspondants – systèmes d’exploitation, applications ou jeux. De même, l’utilité de fréquenter une plateforme de média social est plus grande pour une personne qui possède un smartphone donnant accès à diverses applications qui lui permettent de partager davantage de contenu.
Ces caractéristiques peuvent servir à décrire les aspects propres aux marchés numériques et non numériques ; de ce fait, elles ne sont pas exclusives à la numérisation de l’économie. Il reste que l’évolution en cours vers les produits et les transactions numériques en a accentué la pertinence, et comme elles se renforcent les uns les autres, ces caractéristiques ont induit une transformation structurelle de l’économie (OCDE, à paraître).
En particulier, de faibles coûts marginaux et la dimension planétaire de l’Internet permettent aux entreprises à forte composante numérique de changer rapidement d’échelle. Les effets de réseau directs et indirects accroissent la valeur créée par ces entreprises, étant donné qu’une clientèle plus nombreuse va directement de pair avec une augmentation de l’utilité et par conséquent également de la valeur économique. De plus, les complémentarités entre différentes lignes d’activité, par exemple, dans le développement de divers appareils, systèmes d’exploitation et applications destinés à l’utilisateur final, permettent de bénéficier d’économies de gamme. Du fait que les coûts de développement communs peuvent être répartis entre les différentes activités et que les applications peuvent être rationnalisées de façon à réduire le coût cognitif pour les utilisateurs, les entreprises à forte composante numérique peuvent acquérir des avantages concurrentiels en élargissant l’éventail de leurs activités. Ces avantages peuvent devenir durables car les utilisateurs hésitent à assumer les coûts associés au changement d’appareil, de système d’exploitation et d’applications.
Pour ces raisons, les marchés numériques ne sont souvent pas concurrentiels, dans la mesure où certaines entreprises accèdent à une taille suffisante pour influencer les prix du marché (elles ne sont pas preneuses de prix). D’une part, cela implique qu’il pourrait être plus difficile pour les nouvelles entreprises de prendre des parts de marché importantes si une entreprise en place domine déjà le marché (OECD, 2015b). D’autre part, les faibles coûts marginaux et la non-rivalité de nombreux biens numériques implique aussi que les nouveaux entrants peuvent remplacer une entreprise en place en relativement peu de temps, simplement en offrant un bien de qualité supérieure. Une fois qu’une masse critique d’utilisateurs est passée au nouveau produit, il devient possible que l’entreprise qui dominait jusque-là le marché perde rapidement l’intégralité de sa part de marché. Cela s’est produit, par exemple, pour les moteurs de recherche, les navigateurs web et les plateformes de médias sociaux (Evans, 2011).
Les effets de cette transformation sont encore amplifiés par le fait que la numérisation accélère aussi les activités économiques. Dans l’espace numérique, les transactions entre utilisateurs de différents pays ou territoires peuvent être conclues sans perte de temps et il est possible d’accéder au contenu numérique instantanément à partir de n’importe quel appareil connecté à l’Internet. Les produits et services numériques sont ainsi diffusés plus rapidement, le fonctionnement des marchés est plus fluide, les idées circulent plus vite et il devient beaucoup plus facile pour les entreprises d’identifier, d’approcher et de développer leur clientèle. Cette accélération de l’activité économique implique qu’une entreprise peut s’approprier d’importants avantages concurrentiels en étant la première à s’aventurer sur un nouveau marché, et éventuellement le dominer4.
Ensemble, ces mutations structurelles induites par la numérisation transforment l’économie, favorisant l’émergence de nouveaux modèles d’affaires et la transformation en profondeur de modèles plus anciens. En particulier, les concepts d’effets de réseau indirects et de marchés multifaces sont essentiels pour comprendre le succès de plusieurs entreprises à forte composante numérique parmi les plus innovantes ; ces concepts sont donc examinés plus en détail dans les deux sous-sections suivantes, où est proposée une première évaluation des incidences qu’ils ont eu sur les modèles d’affaires.
2.2.1. Marchés numériques multifaces
Comme les marchés matériels, les marchés numériques ou en ligne peuvent être monofaces ou multifaces. Sur les marchés monofaces, les vendeurs s’adressent uniquement à un ensemble spécifique de clients (lecteur achetant un livre dans une librairie, par exemple). Les marchés multifaces se caractérisent par la présence de plusieurs ensembles de consommateurs qui acquièrent différents produits et services auprès d’une même entreprise. Les marchés multifaces existent depuis déjà un certain temps, sous la forme par exemple de la publicité télévisée ; la presse écrite propose également de la publicité à ses lecteurs. Néanmoins, la numérisation de l’économie a facilité l’émergence de nouvelles entreprises ancrées sur des marchés multifaces.
La numérisation a en particulier considérablement fait baisser les coûts de communication, ce qui a permis aux entreprises d’atteindre rapidement un bassin mondial de fournisseurs, d’utilisateurs ou de clients et d’établir des réseaux d’utilisateurs à travers les frontières grâce aux sites web, aux plateformes en ligne et aux applications mobiles. Les nouvelles entreprises à forte composante numérique jouent souvent le rôle d’intermédiaire entre différents groupes d’utilisateurs qui auraient autrement du mal à entrer directement en relation dans le monde physique, non numérique. La capacité de créer de tels réseaux et de permettre des échanges à travers les frontières entre divers groupes d’utilisateurs est au cœur des marchés multifaces et offre un formidable potentiel de création de valeur. L’analyse économique a défini le concept de marchés multifaces pour étudier certains des nouveaux modèles d’affaires à forte composante numérique qui ont commencé à tirer parti de cette capacité de créer de vaste réseaux (Rochet et Tirole, 2003, 2006 ; Ellison et Fudenberg, 2003 ; Armstrong, 2006).
Les marchés multifaces sont définis par la réunion de deux caractéristiques : des externalités de réseau indirectes et des stratégies de fixation des prix non neutres. Il y a effets de réseau indirects lorsqu’une augmentation du nombre d’utilisateurs finaux d’un côté du marché accroît l’utilité des utilisateurs finaux d’un autre côté du marché. Prenons l’exemple d’une plateforme en ligne qui aide les particuliers à louer un hébergement en mettant en relation les personnes qui cherchent un hébergement et celles qui en ont un à proposer. Les deux types d’utilisateurs finaux – ceux qui cherchent un hébergement et ceux qui en ont un à offrir – bénéficient indirectement d’un certain effet si le nombre d’utilisateurs finaux augmente de l’autre côté du marché : les premiers bénéficient du fait que les offres sont plus nombreuses, et les seconds du fait que le nombre de clients potentiels augmente.
Comme l’illustre cet exemple, la plateforme en ligne joue un rôle déterminant pour faciliter les échanges et mettre en relation les deux côtés du marché (les personnes qui cherchent un hébergement et celles qui en ont un à proposer) ; sans elle, en effet, la plupart des transactions n’auraient pas eu lieu et les clients potentiels auraient probablement réservé un hébergement plus classique.
De ce point de vue, les plateformes en ligne assurent essentiellement des services d’intermédiation entre les différentes faces d’un marché numérique (Caillaud et Jullien, 2003 ; Rosenblatt et Stark, 2016) et peuvent varier selon le degré de contrôle qu’elles exercent sur leurs utilisateurs (Aslam et Shah, 2017). La réussite économique des modèles d’affaires à forte composante numérique reposant sur l’intermédiation entre différents groupes d’utilisateurs finaux dépend de façon déterminante de l’existence d’une masse critique d’utilisateurs finaux de chaque côté du marché. À cet égard, l’Internet permet aux entreprises à forte composante numérique d’atteindre un grand nombre de participants des deux côtés du marché. L’une des principales caractéristiques qui permet aux plateformes multifaces en ligne d’atteindre leur ampleur considérable est leur capacité d’adapter leur structure de prix en prélevant des droits d’adhésion et d’utilisation différents des deux côtés du marché (Lambrecht et al., 2014).
Cela nous amène à la seconde caractéristique des marchés multifaces : la structure non neutre des prix. Comme Rochet et Tirole (2003, 2006) l’ont montré, la prévalence d’externalités indirectes positives implique que l’entreprise exploitant la plateforme peut bénéficier d’avantages qui dépassent l’utilité marginale pour les utilisateurs finaux, ce qui permet d’augmenter le nombre d’utilisateurs (ou de transactions) en augmentant les prix d’un côté du marché tout en les réduisant pour les utilisateurs finaux sur d’autres côtés. Conséquence de cela, les structures de prix ne sont pas neutres, car les prix optimaux peuvent être inférieurs au coût marginal sur un côté du marché, tandis qu’ils peuvent être supérieurs sur un ou plusieurs autres côtés du marché ; en général, plus l’élasticité-prix sera faible, plus les prix seront élevés, et inversement.
Cela implique aussi qu’il peut être optimal, pour les exploitants de plateforme, selon l’ampleur des externalités de réseau indirectes, de fournir des biens ou des services gratuitement sur l’un des côtés du marché (voire sur plusieurs). Cela peut donc donner lieu à des opérations de troc, c’est-à-dire à des échanges effectifs de biens ou de services, sans contrepartie monétaire, mais contre d’autres éléments de valeur, comme la participation ou les données de l’utilisateur ou le contenu généré par ce dernier. Ce type de stratégie est par exemple adopté par beaucoup de plateformes de réseaux sociaux, de fournisseurs de services de messagerie électronique ou de médias. En pareils cas, les utilisateurs finaux bénéficient souvent d’un accès « libre » à un service donné. Toutefois, les exploitants de plateforme compensent en général cette gratuité par l’exploitation des données sur les utilisateurs et les transactions, puis par la vente de services fondés sur ces données de l’autre côté du marché, l’exemple le plus éloquent étant la vente de publicités ciblées sur les clients aux annonceurs.
2.2.2. Émergence de nouveaux modèles d’affaires sur les marchés numériques
Après la description, dans les sous-sections précédentes, des marchés numériques, c’est-à-dire de l’infrastructure sur laquelle les entreprises à forte composante numérique exercent leurs activités, la sous-section 2.2 examine les nombreuses entreprises qui exercent leur activité sur ces marchés. Pour mieux comprendre en quoi l’apparition de marchés numériques monofaces et multifaces a transformé le processus de création de valeur, on décrit dans la présente section les principales caractéristiques économiques des modèles d’affaires. Le processus de création de valeur sera examiné plus en détail dans le cadre des études de cas présentées à la section 4 et dans l’annexe 2.A.
Dans le contexte de la numérisation de l’économie, les relations des entreprises avec les utilisateurs passent par de nombreux types d’interfaces en ligne, souvent qualifiées de plateformes dans la presse ou la documentation spécialisée. Néanmoins, pour éviter toute confusion et être en phase avec les autres publications de l’OCDE (OCDE, à paraître), le terme « plateforme » sera utilisé dans le présent chapitre pour désigner précisément les plateformes multifaces telles qu’elles sont définies et en ligne avec l’approche suivie par Hagiu et Wright (2015a, 2015b)5.
Selon une définition donnée précédemment (Rochet et Tirole, 2003, 2006), une plateforme n’est qualifiée de multiface que s’il existe des externalités de réseau directes qui influent sur les structures de prix des divers côtés du marché. Hagiu et Wright y ajoutent deux autres conditions : (i) la plateforme permet une interaction directe entre utilisateurs finaux des différents côtés du marché et (ii) les utilisateurs finaux de chaque côté du marché doivent s’affilier à la plateforme (ce qui implique des coûts de changement de fournisseur non nuls).
Cette définition plus étroite permet de différencier plus précisément les plateformes multifaces des autres entreprises à forte composante numérique. Les auteurs examinent quatre types stylisés d’entreprises exerçant leurs activités sur des marchés monofaces ou multifaces. il est important, dans un souci d’efficacité, de préciser que cette classification porte sur des modèles d’affaires ou, en d’autres termes, des lignes d’activité, et non sur des entreprises dans leur ensemble. À titre d’exemple, Amazon Marketplace appartient à une catégorie, tandis qu’Amazon e-commerce appartient à une autre. En raison des économies de gamme décrites plus haut, il est souvent impossible de classer une entreprise toute entière dans une catégorie spécifique (entreprises à forte composante numérique, par exemple), les entreprises plus anciennes, en particulier, possédant généralement plusieurs lignes d’activité. Le graphique 2.1 résume chacun des types d’entreprises en fonction d’un certain nombre de critères. Bien que toutes les entreprises puissent utiliser des sites web, des applications ou des interfaces similaires pour vendre leurs produits et gérer leurs relations avec leurs clients, seul le premier groupe correspond à ce qui est défini comme plateformes multifaces au sens strict dans le paragraphe précédent.
Plateformes multifaces : plateformes qui permettent aux utilisateurs finaux d’effectuer des échanges et des transactions tout en laissant, pour l’essentiel, le fournisseur assumer les droits6 et les responsabilités7 à l’égard des clients en matière de contrôle; les utilisateurs finaux s’affilient à la plateforme et interagissent entre les côtés du marché de sorte que les réseaux indirects deviennent d’une importance cruciale ; par exemple Uber, Didi Chuxing, Airbnb, Xiaozhu, BlaBlaCar, Weibo, Amazon Marketplace, Taobao, Facebook, NetEase ou Google, Deliveroo, Foodora, UberEATS.
Revendeurs : entreprises qui font l’acquisition de produits, y compris les droits de contrôle, auprès de fournisseurs et les revendent à des acheteurs ; les revendeurs contrôlent les prix et assument la responsabilité à l’égard des clients ; ils ne permettent pas l’interaction des utilisateurs finaux et n’exigent pas forcément que les clients soient affiliés à la plateforme en ligne ; par exemple Amazon pour le commerce électronique, les plateformes Alibaba, JD.com, Spotify, la distribution de musique, avec Tencent, ou encore Netflix (achat de contenu).
Entreprises verticalement intégrées : entreprises qui ont fait l’acquisition de fournisseurs et ont donc intégré à leurs activités le côté offre du marché ; par exemple Amazon (entreposage et logistique), Xiaomi (appareils et applications pour l’utilisateur final), Huawei (matériel et informatique en nuage), Netflix (production de films).
Fournisseurs d’intrants : entreprises ou particuliers qui fournissent des intrants intermédiaires nécessaires à un processus de production de biens ou de services dans une autre entreprise. Contrairement aux plateformes multifaces, les fournisseurs d’intrants ne sont pas des intermédiaires et n’ont de contact qu’avec l’autre entreprise et pas avec le client final (Intel ou Tsinghua Unigroup, par exemple).
Une fois établie la distinction entre ces modèles d’affaires stylisés de type plateforme, il est possible de formuler un certain nombre d’observations intéressantes, qui devraient permettre de mieux comprendre la dynamique de la transformation numérique de l’économie, et notamment ses implications pour le système fiscal.
La numérisation a été essentielle à l’émergence des plateformes multifaces et des fournisseurs d’intrants, tandis que les revendeurs et les entreprises verticalement intégrées sont des structures organisationnelles qui avaient cours bien avant la transformation numérique de l’économie. De plus, plusieurs entreprises à forte composante numérique parmi les plus importantes ont commencé à développer comme première ligne d’activité une plateforme multiface, qu’elles ont ensuite progressivement transformée en structures plus intégrées ou hybrides à mesure de la création de nouvelles lignes d’activité. Du point de vue de la dynamique du marché, les entreprises verticalement intégrées traditionnelles sont parfois mises en difficulté par les nouvelles plateformes multifaces, qui peuvent bénéficier dans certains cas d’avantages comparatifs par rapport à ces dernières. Par exemple, dans les secteurs des transports et de l’hébergement, les entreprises traditionnelles de taxi et d’hôtellerie sont concurrencées par les plateformes multifaces que sont Uber, Didi Chuxing, Lyft, Expedia, Taobao, Airbnb et Booking.com.
La décision d’exercer ou non ses activités selon une formule de plateforme multiface peut être considérée comme un choix stratégique d’une entreprise. Comme indiqué plus haut, en raison d’économies de gamme, beaucoup d’entreprises à forte composante numérique combinent différent éléments des quatre modèles stylisés ou retiennent des modèles différents selon les secteurs d’activité. Les sites de vente en ligne d’Alibaba et d’Amazon, par exemple, agissent comme revendeurs sur des segments du marché où l’on s’attend que les fluctuations de la demande soient faibles, tandis qu’AliExpress et Amazon Marketplace sont des plateformes multifaces qui s’adressent à des segments de marché où la demande est plus fluctuante. Ainsi, le risque de faible demande est circonscrit au vendeur et la plateforme multiface n’a pas à assumer le risque d’inventaire. De même, les entreprises de diffusion de musique en flux comme Spotify et Deezer exploitent souvent deux modèles d’affaires différents : un service à abonnement gratuit ou « freemium » qui est entièrement financé par la publicité (plateforme multiface) et un service à abonnement « premium » qui est financé par des frais d’abonnement (revendeur). Par ailleurs, Netflix a commencé par des activités de revendeur pur et simple mais a depuis intégré la production de films dans son modèle d’affaires.
Le choix entre les différents modèles d’affaires, en particulier entre plateformes multifaces et revendeurs, et combinaisons hybrides, dépend des stratégies de développement des entreprises ainsi que d’autres facteurs comme :
les économies d’échelle et de gamme ;
l’ampleur des effets de réseau directs et indirects;
les asymétries d’information entre fournisseurs, opérateurs de marché et utilisateurs ;
les avantages sur le plan des coûts marginaux entre les formes d’organisation.
L’encadré 2.1, qui s’appuie sur les travaux de Hagiu et Wright (2015a) décrit les facteurs spécifiques qui déterminent le choix d’un type d’activité plutôt qu’un autre. Il vise à appréhender de façon globale la dynamique de la numérisation de l’économie, au-delà de ses implications pour le système fiscal.
En résumé, nous nous sommes attachés dans cette section à décrire les caractéristiques économiques structurelles des marchés numériques et des entreprises qui exercent leurs activités sur ces marchés. Soucieux de décrire avec précision une multitude de caractéristiques pertinentes tout en restant concis, nous nous sommes inspirés de la classification des modèles d’affaires/lignes d’activité adoptée dans les ouvrages spécialisés (Hagiu et Wright, 2015a ; OCDE, 2015c). L’objectif poursuivi était double : d’une part, nous estimons important, avant toute analyse des implications pour le système fiscal, d’appréhender de manière globale la dynamique de marché dans laquelle s’inscrit la transformation numérique de l’économie pour pouvoir mieux cerner les retombées plus générales des mesures fiscales qui seront envisagées plus loin dans ce rapport ; d’autre part, les caractéristiques décrites dans cette section déterminent le processus de création de valeur décrit dans les sections 3 et 4 du présent chapitre.
Encadré 2.1. Choix du modèle d’affaires
Comparaison du modèle de plateforme multiface et du modèle de revendeur
Du point de vue d’une entreprise à forte composante numérique, la décision d’exercer son activité en tant que plateforme multiface ou revendeur est fonction de trois principaux facteurs (Hagiu et Wright, 2015a). Premièrement, les effets de réseau directs et indirects accentuent l’avantage de l’entreprise par rapport à ses fournisseurs sur le plan de l’information, ce qui implique que la revente devient plus intéressante, surtout si l’entreprise investit dans la collecte et l’analyse de données.
Deuxièmement, les économies de gamme sur les produits et les clients favorisent la revente. Par exemple, les plateformes en ligne qui ne proposent qu’un type de service, comme l’hébergement ou le transport, sont souvent exploitées en multiface. Étant donné que chaque transaction fait le lien entre une offre et une demande très spécifiques, les avantages économiques liés à l’élargissement de la gamme de produits sont limités et il est préférable pour les opérateurs de laisser les droits de contrôle et les responsabilités à chaque fournisseur. En revanche, si les produits sont plus normalisés, un revendeur existant peut facilement adapter son activité pour proposer des gammes de produits plus étendues à un coût moyen plus bas. Le fait de développer une clientèle mondiale renforce cet effet car les utilisateurs auront davantage tendance à rester fidèles au même revendeur une fois qu’ils auront créé un compte. Si les économies de gamme sont plus importantes, il est avantageux d’acquérir les droits de contrôle et d’agir en qualité de revendeur.
Troisièmement, les avantages sur le plan des coûts marginaux entre les différents fournisseurs et les revendeurs influent aussi sur la décision. Plus la relation entre les coûts fixes (élevés) et les coûts marginaux (bas) est tendue, plus il est coûteux de s’adapter aux fluctuations de la demande. Par exemple, s’agissant des biens numériques comme la musique ou les films, les coûts marginaux sont influencés uniquement par les limites de la puissance de calcul. Un revendeur (ou une entreprise verticalement intégrée) propriétaire des droits sur un film ou une chanson est exposé(e), comparativement, à de faibles risques liés à la baisse de la demande. Si les coûts marginaux sont au contraire plus élevés, comme c’est le cas pour les services de transport, les périodes « à vide » présentent un risque plus important du fait que l’entreprise doit assumer les coûts en capital et les coûts marginaux. Pour les produits dont la demande est moins fluctuante, les revendeurs pourraient conserver un avantage sur le plan des coûts par rapport aux différents fournisseurs ; en revanche, si la demande fluctue beaucoup, il serait plus risqué et probablement plus coûteux pour l’entreprise exploitant une plateforme d’exercer son activité comme revendeur. Dans de telles conditions, il est donc parfois plus efficient de fournir des biens et des services par le truchement d’une plateforme multiface.
Modèles de plateformes multifaces et de revendeurs comparés au modèle de fournisseur d’intrants
Contrairement aux plateformes multifaces et aux revendeurs, les fournisseurs d’intrants n’agissent pas en tant qu’intermédiaires. Ils produisent et possèdent des intrants intermédiaires nécessaires à un processus de production donné et les vendent à d’autres entreprises, en général verticalement intégrées, sur des marchés monofaces classiques. Ils se distinguent des autres types d’entreprises examinées ici en ce qu’ils n’interagissent pas avec les clients du produit final. Intel ou Tsinghua Unigroup, par exemple, sont des fournisseurs d’intrants, dans la mesure où ils fournissent des microprocesseurs et d’autres éléments nécessaires à la construction d’ordinateurs personnels, sans avoir de contact direct avec les clients.
Modèle d’entreprise verticalement intégrée comparé au modèle de revendeurs
La décision d’intégrer ou d’exploiter en tant que revendeur, est fonction de plusieurs facteurs qui ont été bien étudiés. Par ailleurs, l’intégration verticale est source d’avantages, sur le plan de la coordination, car elle permet à l’entreprise de contrôler et de gérer les opérations, d’où un gain d’efficience de la production puisque l’entreprise peut alors exploiter des économies d’échelle et de gamme. Certaines entreprises de diffusion en flux en ligne, par exemple, ont débuté comme revendeurs et élargi par la suite leurs activités pour y intégrer progressivement la production audiovisuelle et médias. Par ailleurs, l’intégration verticale comporte aussi des coûts supplémentaires car elle implique que l’entreprise recrute, ce qui suppose un coût pour accompagner des activités supplémentaires.
Une entreprise verticalement intégrée, d’une part, a le contrôle du processus de production ; elle décide de la technologie à utiliser, de la localisation de la production et de l’effectif à recruter. En définitive, les décisions concernant le niveau de production déterminent par conséquent le coût moyen par unité de production. Les revendeurs, d’autre part, ne gèrent pas de processus de production. Ils analysent plutôt le marché et achètent des biens matériels ou immatériels directement auprès de producteurs ou d’intermédiaires ; leurs coûts moyens sont donc déterminés par les prix des producteurs, bien qu’ils puissent néanmoins être très bas si les coûts marginaux de production se rapprochent de zéro.
Du côté du consommateur, cependant, les entreprises verticalement intégrées et les revendeurs sont en présence de choix stratégiques semblables. Du fait qu’ils ont la possibilité de (re)vendre des biens par l’intermédiaire d’une plateforme en ligne, ils peuvent atteindre une clientèle mondiale. Si les coûts marginaux de production sont effectivement très bas, comme c’est le cas pour les biens numériques (ou immatériels), les entreprises verticalement intégrées peuvent ajuster leurs prix pour attirer la demande des segments des biens numériques et non numériques, comme les livres. Les revendeurs peuvent prendre une décision analogue une fois qu’ils ont acquis les droits sur certains biens immatériels comme les films, la musique ou d’autres contenus médias. Toutefois, si les coûts marginaux restent nettement supérieurs à zéro, les deux types d’entreprises devront décider si elles investissent dans des stocks en fonction des fluctuations de la demande des divers biens finaux qu’elles proposent, et le cas échéant dans quelle mesure. Étant donné que le développement d’une plateforme en ligne et d’une clientèle mondiale constitue une part très importante des dépenses d’investissement, les entreprises qui offrent une large gamme de produits bénéficient d’économies de gamme car en offrant une gamme plus large de produits sur le même site web, elles peuvent réduire leurs coûts moyens par rapport à ceux de leurs concurrents dont l’offre est plus limitée.
2.3. Le processus de création de valeur
Nous avons montré, dans la section précédente, l’impact de la transformation numérique sur la structure des marchés. Par conséquence, la numérisation de l’économie a non seulement permis aux entreprises de développer de nouveaux produits et services, mais a aussi enclenché des mutations économiques structurelles qui ont modifié des aspects fondamentaux des modèles d’affaires des entreprises multinationales comme des start-ups (Brynjolfsson et McAfee, 2015 ; OCDE, 2015a), y compris leur processus de création de valeur. Dans la présente section, il s’agira de voir l’impact que la transformation numérique a eu sur la création de valeur dans les modèles d’affaires. Compte tenu de la grande diversité des différents processus de création de valeur, on procédera d’abord à une classification de ces processus, des plus traditionnels à ceux misant le plus résolument sur le numérique. On distinguera trois groupes : chaînes de valeur, réseaux de valeur et ateliers de valeur. On décrira ensuite le processus de création de valeur dans chacun de ces groupes.
2.3.1. Trois concepts de création de valeur
Les discussions sur la création de valeur commencent en général par la chaîne de valeur. Cette notion, élaborée par Michael Porter au milieu des années 80, est l’outil standard que les universitaires et les entreprises utilisent pour analyser l’avantage comparatif d’une entreprise (Porter, 1985). L’analyse de la chaîne de valeur décompose l’entreprise en activités discrètes afin de déterminer comment créer plus de valeur. Il existe à cet égard deux possibilités : offrir des produits différenciés qui justifient un prix supérieur, ou réduire les coûts.
Depuis la publication du livre de Porter, la chaîne de valeur a fait l’objet de plusieurs critiques, toutes pertinentes, en ce qui concerne la transformation numérique : (1) sa capacité limitée à prendre en compte la valeur créée à partir des flux d’information ; (2) le fait qu’elle était à l’origine pensée pour être appliquée aux entreprises locales ; et (3) son applicabilité limitée aux services.
S’agissant de la première critique, il est clair qu’une caractéristique clé de la numérisation de l’économie est la transmission efficiente et rapide des données et de l’information sur l’Internet. Porter a bien vu l’Internet comme un facteur d’amélioration de l’efficience, mais pas comme un vecteur de transformation de la stratégie des entreprises (Porter, 2001). On souligne aussi qu’il importe d’adapter la chaîne de valeur de Porter pour prendre en compte le rôle central que l’information joue depuis longtemps dans la création de valeur. Dans cette optique, Rayport et Sviokla (1995) ont introduit le concept de chaîne de valeur virtuelle, qui affine utilement la chaîne de Porter. Elle décrit comment la valeur peut être créée à partir de l’information collectée au cours d’activités principales.
En ce qui concerne la deuxième critique, le concept de chaîne de valeur a été élargi pour tenir compte de la possibilité que les processus de production chevauchent plusieurs pays ou territoires en introduisant la notion de chaîne de valeur mondiale (CVM). La CVM décrit la nécessité de coordonner géographiquement les activités des entreprises. Cet aspect est très important dans le contexte de l’économie numérique compte tenu de la facilité avec laquelle des étapes du processus de production, ainsi que les biens finaux, peuvent traverser les frontières. En fait, quand on parle de création de valeur, l’hypothèse sous-jacente est maintenant que les différentes étapes du processus ne sont pas circonscrites à un site géographique ou même à une entreprise unique. Comme on le verra dans la section 5, cela aura d’importantes implications pour le système fiscal8.
Enfin, s’agissant de la troisième critique de la chaîne de valeur de Porter, si celle-ci est adaptée à la description d’un processus dans lequel les intrants sont convertis en extrants de façon séquentielle – que l’on pourrait comparer à une chaîne de montage traditionnelle –, elle convient moins pour décrire des modèles d’affaires axés sur la fourniture de services comme catégorie générale (des services faisant peu appel au numérique, voire pas du tout, aux services à forte composante numérique). Stabell et Fjeldstad (1998) ont été les premiers à faire cette observation. Citant l’exemple d’une compagnie d’assurances, ils posent la question suivante : « Qu’est-ce qui est reçu, qu’est-ce qui est produit et qu’est-ce qui est expédié ? » L’application du concept de chaîne de valeur à un modèle d’affaires du secteur des assurances encouragerait un analyste à considérer les personnes non assurées comme de la matière première ou un intrant, mais cela reste imprécis.
Stabell et Fjeldstad (1998) proposent comme solution que la chaîne de valeur de Porter ne constitue que l’une des trois configurations génériques de la valeur. En effet, outre celle de Porter, qui modélise la création de valeur allant de la matière première au produit fini, ils retiennent deux autres modèles : le réseau de valeur et l’atelier de valeur. Étant donné que les entreprises à l’ère de la transformation numérique sont de plus en plus concernées par la prestation de services que par la fabrication de biens matériels, il est tout à fait logique d’élargir la réflexion sur la création de valeur dans cette optique.
Le concept de chaîne de valeur modélise les entreprises qui créent de la valeur selon un processus de production linéaire, comme par exemple les entreprises manufacturières verticalement intégrées. Il englobe également les revendeurs, dans la mesure où leurs activités principales suivent un schéma séquentiel. Le concept de réseau de valeur, lui, représente les entreprises où la création de valeur découle de la mise en relation d’utilisateurs, de fournisseurs ou de clients (autrement dit, de la création d’une relation réticulaire) par l’entremise d’une technologie. Cette catégorie comprend tous les types de plateformes multifaces. Le concept d’atelier de valeur, de son côté, décrit les entreprises où la création de valeur repose sur la mobilisation de ressources – matériel, logiciels et connaissances spécialisées – en vue de résoudre les problèmes des clients ou de répondre à leurs demandes. Cela inclut les prestataires de services numériques et non numériques qui (i) ne fonctionnent pas selon un processus de production linéaire et (ii) n’agissent pas comme intermédiaires sur les marchés multifaces.
Il est important de souligner que toute classification des processus de création de valeur trouve ses limites quand on l’applique à la réalité des entreprises et de leur ligne d’activité. Il peut certes exister d’autres cadres d’analyse utiles, mais la classification proposée ici est efficace pour deux raisons. D’abord, elle aide à systématiser la grande variété d’entreprises fortement tributaires du numérique en reventilant leur processus de création de valeur selon trois ensembles : chaînes de valeur, réseaux de valeur et ateliers de valeur. Ensuite, elle décrit systématiquement ces processus de création de valeur dans les différents modèles d’affaires. Chacun des concepts de création de valeur est examiné plus en détail dans les sous-sections suivantes.
2.3.2. La chaîne de valeur
La théorie de la chaîne de valeur est une théorie de l’entreprise qui modélise une technologie de production séquentielle9 (Thompson, 1967) consistant à créer de la valeur en transformant des intrants normalisés en extrants normalisés au cours d’une suite fixe d’activités distinctes mais connexes (dont chacune peut être considérée comme une fonction de production). C’est un outil systématique qui permet d’examiner toutes les activités que mène une entreprise pour concevoir, produire, commercialiser et livrer ses produits, y compris le service après-vente, ainsi que l’interaction de toutes ces fonctions.
La chaîne de valeur de base comprend cinq activités principales et quatre activités de soutien (voir le graphique 2.2), dont l’efficacité détermine la marge bénéficiaire.
Les activités principales sont celles qui interviennent dans la création matérielle du produit, et de sa vente et de sa livraison au client final. Ces activités sont les suivantes : logistique amont, exploitation, logistique aval, marketing et ventes, et service10. Telles qu’isolées par Porter (1985), elles sont décrites plus en détail ci-après :
Logistique amont : Activités associées à la réception, à l’entreposage et à l’affectation des intrants (manutention, entreposage, gestion des stocks, affectation des véhicules et retours aux fournisseurs).
Exploitation : Activités associées à la transformation des intrants sous forme de produit final (usinage, emballage, assemblage, entretien des équipements, essais, impression et fonctionnement des installations).
Logistique aval : Activités associées à la collecte, à l’entreposage et à la distribution physique du produit aux acheteurs (entreposage des produits finis, manutention, exploitation des véhicules de livraison, traitement et programmation des commandes).
Marketing et ventes : Activités associées à la mise à disposition d’un moyen permettant aux acheteurs de faire l’acquisition du produit et les incitant à le faire (publicité, promotion, équipes de ventes, choix du circuit, relations avec le circuit choisi et fixation du prix).
Service : Activités associées à la prestation de services destinés à améliorer ou maintenir la valeur du produit (installation, réparation, formation, pièces de rechange et ajustement du produit).
Les modalités selon lesquelles une entreprise mène à bien chaque activité correspondent dans une large mesure au(x) produit(s) concerné(s). Par exemple, pour un revendeur (comme Alibaba, Amazon retail, Carrefour, JD.com, Spotify premium services ou Walmart), la logistique amont et aval sont les deux activités fondamentales, tandis que l’exploitation sera l’activité principale la plus importante pour une entreprise manufacturière (par exemple, l’activité fabrication d’Apple, Huawei, Siemens). Les autres facteurs importants qui déterminent les caractéristiques d’une chaîne de valeur donnée sont l’historique de l’entreprise, sa stratégie et les aspects économiques sous-jacents de l’activité. Dans toute entreprise, toutes les catégories d’activités principales seront présentes dans une certaine mesure et joueront un rôle en contribuant à l’avantage concurrentiel de l’entreprise.
Les activités principales sont appuyées par les activités de soutien, qui fournissent les intrants achetés, la technologie, les ressources humaines et remplissent diverses fonctions à l’échelle de l’entreprise. Les activités de soutien comprennent les achats, la gestion des ressources humaines, le développement technologique et l’infrastructure de l’entreprise. Chacune des trois activités de soutien peut être associée à des activités principales spécifiques ou soutenir l’intégralité de la chaîne. L’infrastructure de l’entreprise, en revanche, n’est pas associée à l’une ou l’autre activité principale mais soutient la totalité de la chaîne. Telles qu’isolées par Porter (1985), les autres activités de soutien sont décrites plus en détail ci-après :
Achats : Activités associées à la fonction qui consiste à faire l’acquisition des intrants destinés à être utilisés dans la chaîne de valeur de l’entreprise. Ces intrants sont les matières premières, les fournitures et autres consommables ainsi que des actifs comme les machines, l’équipement de laboratoire, le matériel de bureau et les bâtiments.
Gestion des ressources humaines : Activités associées à la sélection, au recrutement, à la formation, au développement du capital humain et à la rémunération de toutes les catégories de personnel.
Développement technologique : Activités regroupées grosso modo autour des efforts visant à améliorer les produits et processus, depuis la recherche fondamentale et la conception du produit jusqu’à la recherche-médias.
Infrastructure de l’entreprise : Activités comprenant la gestion générale, la planification, les finances, la comptabilité, les affaires juridiques, les affaires publiques et la gestion de la qualité.
S’agissant des modèles d’affaires recensés dans la section 2, ils correspondent à des entreprises manufacturières traditionnelles, verticalement intégrées qui produisent des biens matériels (BMW, Coca Cola, Unilever, IKEA, par exemple) mais aussi à toute autre entreprise exploitant un processus de production linéaire visant à produire des biens ou services immatériels comme les films, les jeux, la musique ou les logiciels (Disney pour les films, Sony pour les jeux, Microsoft pour les logiciels mais aussi Netflix qui crée ses contenus originaux). Ces modèles englobent aussi les revendeurs qui exploitent des sites web pour divers types de produits matériels (Alibaba, Amazon retail, JD.com, Walmart) et immatériels (Netflix qui achète des contenus, Spotify, ou Tencent pour la distribution de musique). Enfin, ils comprennent aussi les fournisseurs d’intrants, comme les entreprises qui créent des biens destinés à être vendus à des revendeurs (Intel) et celles qui créent et développent des applications destinées à être vendues sur les app stores.
2.3.3. Le réseau de valeur
Si le début du XXe siècle a marqué le début de la production matérielle de masse, à commencer par la production automobile, le début du XXIe siècle est associé à la production de masse des services. Conséquence de la transformation numérique, les entreprises, de plus en plus, sont davantage susceptibles de fournir des services que de fabriquer des biens matériels. Cette évolution remet en question le bien-fondé de la chaîne de valeur décrite dans la sous-section 3.2 comme le cadre universel d’analyse des modèles d’affaires. Le concept de réseau de valeur offre un cadre plus naturel permettant d’englober beaucoup plus largement les entreprises à forte composante numérique et en particulier celles qui exploitent des plateformes, comme les plateformes multifaces décrites dans la sous-section 2.3.
Les réseaux de valeur reposent sur une technologie d’intermédiation : une technologie qui est utilisée par les opérateurs de plateformes pour mettre en relation les clients intéressés à conclure une transaction ou à entrer en relation (de nature financière ou non). La technologie qui assure l’intermédiation facilite les échanges entre utilisateurs finaux répartis dans le temps et dans l’espace. Parmi les exemples de réseaux de valeur traditionnels non numériques, on peut retenir les agences de placement, qui mettent en relation les employeurs et les personnes en recherche d’emploi, ou les banques, qui mettent en contact investisseurs et emprunteurs. L’avènement du numérique a grandement élargi le rôle de la technologie d’intermédiation, qui met relation les utilisateurs et les clients avec tout type de fournisseur ou de service imaginable (Hagel et Singer, 1999).
Les réseaux de valeur sous-tendus par l’Internet comprennent les réseaux sociaux, qui mettent en relation les individus dans un contexte social et permettent aux annonceurs de cibler des groupes d’utilisateurs spécifiques. Les moteurs de recherche remplissent une fonction comparable en proposant certains services web gratuitement tout en tirant des recettes de la publicité ciblée et de la monétisation des données des utilisateurs. Les plateformes pair-à-pair commerciales permettent aux utilisateurs d’échanger des biens et des services. D’autres opérateurs de plateforme facilitent la consommation collaborative de biens ou d’actifs durables en permettant aux individus de se connecter et de mutualiser des ressources incomplètement utilisées comme l’automobile ou le logement.
Ces modèles d’affaires développent des procédures et des services pour répondre aux besoins des producteurs et des clients, et traiter de l’information concernant ces derniers. Le terme « réseau » de valeur met l’accent sur l’idée qu’un élément déterminant de la valeur pour un utilisateur est l’ensemble, ou le réseau, des autres utilisateurs qui sont connectés. Dans un réseau de valeur, la valeur est créée par la mise en relation : l’organisation et la facilitation des échanges entre utilisateurs. Cette mise en relation peut être directe, comme dans le cadre d’un service téléphonique, d’un réseau social ou de tout autre service mettant en contact deux personnes qui ne l’auraient pas été autrement. En pareil cas, la mise en relation se fait au moyen d’informations auxquelles les utilisateurs ont donné leur consentement (numéro de téléphone ou nom d’utilisateur sur le réseau social, ou encore identification d’un besoin particulier). La mise en relation peut aussi être indirecte, comme dans la banque au détail ou les assurances, où un client n’est pas directement mis en relation avec un autre, mais un groupe de clients est lié par le truchement d’un regroupement de fonds.
Le réseau de valeur de base se compose de trois activités principales et des quatre mêmes activités de soutien présentées dans la chaîne de valeur (graphique 2.3), dont l’efficacité détermine la marge bénéficiaire.
Les activités principales qui composent le réseau de valeur sont les suivantes :
Promotion du réseau et gestion des contrats : Activités associées au processus d’invitation des utilisateurs potentiels à adhérer au réseau, à la sélection de ceux autorisés à le faire et à l’initialisation, à la gestion, et à la résiliation des contrats régissant la prestation de service et à la facturation.
Prestation de service : Activités associées à l’établissement, au maintien et à la cessation des liaisons entre les clients et à la facturation pour la valeur reçue. Les liaisons peuvent être synchrones, comme dans un service téléphonique, ou asynchrones, comme dans un service de messagerie ou un service bancaire. La facturation peut nécessiter de mesurer l’utilisation individuelle de la capacité du réseau en volume ou en temps (les appels téléphoniques facturés à la minute, et l’utilisation des données, au volume, par exemple).
Fonctionnement de l’infrastructure réseau : Activités associées à la maintenance et au fonctionnement de l’infrastructure physique et informationnelle. Ces activités maintiennent le réseau en mode actif, prêt à répondre aux demandes des utilisateurs.
Comme dans la chaîne de valeur, les modalités selon lesquelles une entreprise mène à bien chaque activité correspondent dans une large mesure au(x) produit(s) ou service(s) concerné(s). Cependant, à la différence de la chaîne de valeur, dans laquelle les différentes activités se déroulent selon une séquence donnée, les activités qui s’inscrivent dans un réseau de valeur se déroulent simultanément, comme l’illustre le graphique 2.3, où l’on voit le chevauchement des activités principales.
Dans les réseaux de valeur, les recettes peuvent provenir de droits d’adhésion (LinkedIn Premium, par exemple) ou d’une tarification en fonction de l’utilisation qui est faite du service (Airbnb, BlaBlacar, par exemple). Dans d’autres cas, comme Instagram, Facebook, Twitter et Weibo, l’entreprise peut proposer ce que certains pays regarderont comme un genre de troc en donnant accès à sa plateforme sans demander de contrepartie financière à l’utilisateur qui apporte d’autres d’éléments de valeur. Il peut s’agir d’informations personnelles sur les centres d’intérêt de l’utilisateur, qui pourront être utilisées pour générer des recettes à partir d’annonces publicitaires ciblées. Il peut également s’agir de contenus accessibles par d’autres utilisateurs, et qui permettent d’accroître l’utilité et la valeur de la plateforme. Comme on l’explique dans la section 2, ce mécanisme non neutre de tarification, qui permet de fixer des prix inférieurs au coût marginal d’un côté du marché, est typique des entreprises qui exercent leurs activités sur des marchés multifaces.
S’agissant des modèles d’affaires recensés dans la section 2, ils correspondent à diverses plateformes multifaces, comme les intermédiaires du commerce électronique (AliExpress, Amazon Marketplace et les app stores comme iTunes d’Apple, par exemple), les entreprises de consommation collaborative (comme Airbnb, Blablacar, Didi Chuxing) et les réseaux sociaux (comme Facebook, Nice, Kuaishou, Sina Weibo, Tencent Weibo, Twitter ou Qzone).
2.3.4. L’atelier de valeur
Le concept de réseau de valeur décrit une partie des entreprises à plus forte composante numérique, mais tous les modèles d’affaires de service ne sont pas tributaires de relations réticulaires. Le concept d’atelier de valeur, lui, permet de décrire les types de service qui ne correspondent pas à la chaîne de valeur ou au réseau de valeur. Le modèle de l’atelier de valeur est appliqué sur des marchés monofaces où les interactions se font avec un type spécifique d’utilisateur ou de client ; il se caractérise par l’utilisation d’une technologie intensive pour répondre à la demande ou résoudre le problème d’un client spécifique. On entend par technologie intensive l’utilisation combinée de matériel, de logiciel et de connaissances pour modifier un résultat donné ; on retrouve cette situation habituellement dans la catégorie des services professionnels. Le problème à résoudre ou, en d’autres termes, le type de demande du consommateur, détermine l’intensité des activités de l’atelier.
Dans cette catégorie entrent par exemple la technologie médicale utilisée pour diagnostiquer et traiter une pathologie, les technologies de laboratoire utilisées dans la recherche universitaire pour mener des expériences, le conseil d’entreprise, l’analyse de données spécialisées, le développement logiciel et l’informatique en nuage. Il s’agit là de solutions technologiques très personnalisées qui permettent aux entreprises de sous-traiter leur infrastructure.
Les problèmes de clients se définissent comme l’écart qui sépare un état actuel d’un état auquel les clients aspirent. Par exemple, entre des activités économiques ne faisant pas appel au numérique et des activités misant sur le numérique et l’informatique en nuage. La résolution de problèmes, et donc la création de valeur, est le passage d’un état à un autre, tandis que la technologie intensive est le moyen qui permet de mettre en œuvre la solution.
Il est important de noter que l’atelier de valeur est souvent le fruit d’une forte asymétrie d’information entre l’entreprise et son client ; l’asymétrie est la raison pour laquelle le client s’adresse à l’entreprise. Bien que les problèmes des clients puissent être résolus au moyen de solutions plus ou moins normalisées, le processus de création de valeur d’un atelier de valeur est organisé pour traiter des situations uniques.
Le réseau de valeur de base se compose de cinq activités principales et des quatre mêmes activités de soutien présentées dans la chaîne de valeur (graphique 2.4), dont l’efficacité détermine la marge bénéficiaire.
Les activités principales qui composent l’atelier de valeur sont les suivantes:
Constatation et appropriation des problèmes : Activités associées au recensement, à l’examen et à la formulation du problème à résoudre. La constatation et l’appropriation des problèmes ont beaucoup en commun avec l’activité marketing et ventes dans la chaîne de valeur. Le client est propriétaire du problème à résoudre.
Résolution de problèmes : Activités associées à la formulation et à l’évaluation des solutions possibles.
Choix : Activités associées au choix d’une solution au problème parmi les différentes solutions possibles. Le choix est une catégorie d’activité qui, dans la plupart des contextes, est d’une importance limitée en termes d’efforts et de temps, mais importante du point de vue de la valeur.
Exécution : Activités associées à la communication, à l’organisation et à la mise en œuvre de la solution choisie.
Contrôle et évaluation : Activités associées à la mesure et à l’évaluation du degré de résolution du problème à la suite de la mise en œuvre de la solution retenue.
Comme l’illustre le graphique 2.4, l’atelier de valeur est un système de valeur cyclique dont l’évaluation post-exécution peut correspondre à l’activité de constatation de problème d’un nouveau cycle de résolution de problème.
Dans l’atelier de valeur, la création de valeur découle de la mise en œuvre de solutions relativement certaines pour répondre aux demandes du client, plutôt que de services offerts à bas prix. La réputation est un important signal de valeur, qui est démontrée par des récompenses, le recrutement de personnalités connues, des publications dans des revues prestigieuses et une forte demande des clients sous la forme de longues files d’attente ou de difficultés d’accès.
S’agissant des modèles d’affaires recensés dans la section 2, ils correspondent à des fournisseurs d’intrants de puissance de calcul à d’autres entreprises (les entreprises d’informatique en nuage, par exemple) ainsi qu’à des entreprises verticalement intégrées de services professionnels.
2.3.5. Classification des modèles d’affaires selon leur processus de création de valeur
Dans les sous-sections précédentes, on a décrit la création de valeur selon trois catégories – la chaîne de valeur, le réseau de valeur et l’atelier de valeur – qui constituent une classification générale de la création de valeur à l’ère de la transformation numérique de l’économie. Nous avons jusqu’ici rattaché la création de valeur aux modèles d’affaires, mais il convient de souligner ici qu’il est plus précis de la rattacher à des lignes d’activité. Comme cela a été décrit, la structure et la dynamique de la numérisation de l’économie, et en particulier les économies de gamme, facilitent les modèles d’affaires modulaires dans la mesure où les entreprises tirent parti de leur puissance de marché ainsi que des complémentarités à concrétiser entre les lignes d’activité. De fait, il est même courant qu’un modèle d’affaires couvre plusieurs catégories de création de valeur. Par exemple, la ligne de commerce de détail d’Amazon est considérée comme une chaîne de valeur, comme certaines de ses autres lignes d’activité, telles les audiolivres Audible ; alors qu’Amazon Marketplace, qui met en relation acheteurs et vendeurs pour qu’ils échangent est considéré comme un réseau de valeur ; et Amazon Web Services, comme un atelier de valeur. Le modèle d’affaires d’Alibaba présente une modularité semblable. Par souci de clarté, nous allons examiner la création de valeur dans les différentes lignes d’activité prises isolément avant d’examiner le modèle d’affaires d’une entreprise dans son ensemble.
Le graphique 2.5 récapitule les principales caractéristiques de chaque concept de création de valeur présenté ci-dessus. De plus, compte tenu du fait qu’il peut être utile d’attacher à chaque concept de création de valeur des noms d’entreprises spécifiques, des exemples de lignes d’activité de l’économie fondée sur le numérique sont indiqués dans la dernière rangée du graphique. Les lignes d’activité sont regroupées en types (fabrication de biens, revendeurs, plateformes multifaces de divers types, y compris les réseaux sociaux et l’informatique en nuage, par exemple) afin d’orienter le lecteur sur la base des classifications communes des modèles d’affaires. Il convient toutefois de noter que cette liste d’entreprises ne se veut pas exhaustive. La section 4 s’appuie sur le cadre empirique analysé ici pour étudier la création de valeur selon une étude de cas réalisée après avoir étudié et consulté de vraies entreprises, d’autres études de cas étant présentées dans l’annexe 2.A.
2.4. Modèles d’affaires : étude de cas
La présente section présente un cadre d’analyse utile aux fins de l’étude de différents processus de création de valeur. Ce cadre d’analyse est appliqué, dans la section 4 et l’annexe 2.A, à plusieurs types de modèles d’affaires à forte composante numérique : un revendeur de biens matériels comme exemple de chaîne de valeur, deux plateformes multifaces, à savoir une entreprise de VTC ou de covoiturage payant et un réseau social, comme exemples de réseaux de valeur et, enfin, une société d’informatique en nuage, comme exemple d’atelier de valeur. Le processus de création de valeur est dans tous les cas analysé en détail, dans l’objectif d’isoler les caractéristiques pertinentes pour le système fiscal.
Le cœur de la présente section est centré sur le modèle économique du réseau social, dont les implications de la numérisation sur le système fiscal sont considérées comme les plus manifestes. Les exemples relatifs au revendeur de biens matériels, à l’entreprise de de VTC ou de covoiturage payant et à la société d’informatique en nuage seront étudiés dans l’annexe 2.A.
L’approche suivie dans cette section consiste d’abord à identifier les intrants, les extrants et les relations sur lesquels repose le modèle d’affaires. Cela permet de mettre en évidence les transactions importantes entre le siège de l’entreprise et les autres entités qui lui sont liées, ainsi qu’entre l’entreprise et les clients finaux, y compris en précisant quelles transactions sont de type transfrontalier.
Pour déterminer comment le modèle d’affaires a évolué dans le temps, on compare ensuite l’entreprise ayant la plus forte composante numérique avec son homologue plus traditionnelle (lorsqu’une simple comparaison est possible)11. Cette comparaison vise à établir si la transformation numérique a rendu possibles de nouveaux moyens de création de valeur. Les indications ainsi recueillies contribueront à déterminer l’impact de la transformation numérique sur le système fiscal.
2.4.1. Réseau de valeur : un réseau social à recettes publicitaires
Description générale du modèle d’affaires
Le type de réseau social envisagé ici est une plateforme multifaces recueillant des données sur les utilisateurs et fournissant des services publicitaires. Ce modèle d’affaires a deux objectifs. Premièrement, d’un côté du marché, il fournit aux utilisateurs une plateforme leur permettant de se connecter entre eux et de partager du contenu. Les utilisateurs se connectent à d’autres usagers sur la base de relations préexistantes ou d’intérêts particuliers qui ne sont pas nécessairement liés à l’existence de relations dans le monde réel (Facebook, LinkedIn, Nice, Kuaishou, Sina Weibo, Tencent Weibo, Twitter et Qzone). Du côté de l’utilisateur, un réseau social fonctionne en recueillant le contenu généré par le groupe d’utilisateurs auquel il est connecté par un flux web ou un flux de nouvelles, c’est-à-dire un format de données permettant de fournir aux utilisateurs du contenu fréquemment mis à jour. Un utilisateur accède à ce flux par l’intermédiaire du web ou d’une application ; cet accès est généralement fourni à titre gratuit. L’équivalent de ce modèle d’affaires hors ligne serait un club social reposant sur des adhésions individuelles.
Deuxièmement, de l’autre côté du marché, un réseau social permet aux personnes et entités qui souhaitent placer des annonces publicitaires sur la plateforme d’atteindre un public ciblé (c’est-à-dire les utilisateurs) de manière efficace et efficiente. Des espaces publicitaires sont vendus aux acteurs cherchant à faire connaître leurs idées, leurs marques, leurs produits ou leurs services, et à accroître leur visibilité et élargir leur public ou leur clientèle. Les entreprises de réseaux sociaux offrent différents types de services publicitaires sur leurs plateformes, par exemple la promotion de certains contenus des flux de nouvelles, de certaines tendances ou de certains comptes d’utilisateur. La diffusion des annonces publicitaires est déterminée par des critères tels que la localisation géographique, les caractéristiques démographiques, les domaines d’intérêt, certains événements, des mots-clés ou des types d’appareils. L’équivalent de ce modèle d’affaires hors ligne serait une entreprise vendant de la publicité sur des supports traditionnels comme la presse écrite ou la télévision.
Pour les entreprises présentes sur des marchés multifaces, les deux objectifs de connexion des utilisateurs et de fourniture de services publicitaires sont complémentaires : atteindre le premier objectif est indispensable pour recueillir les données de marché qui permettront d’atteindre le second. Dans leur interaction avec un réseau social, les utilisateurs fournissent des informations, par exemple des données de localisation, des informations à caractère démographique, des contenus volontaires et des données comportementales. Ces données permettent à l’entreprise de connaître sa base d’utilisateurs. Les caractéristiques de ses différentes catégories d’utilisateurs sont importantes car ce sont elles qui lui permettent d’attirer ses principaux clients commerciaux : les annonceurs. Le graphique 2.6 ci-après montre schématiquement le modèle d’affaires d’un réseau social.
Revenus
Les réseaux sociaux génèrent le plus souvent des revenus en vendant des espaces publicitaires à des tierces parties qui souhaitent atteindre les utilisateurs de la plateforme, ainsi qu’en cédant éventuellement à des tiers l’accès aux données des utilisateurs. Les entreprises de réseaux sociaux tirent en général la majorité de leurs recettes de la publicité.
Utilisation et détention de la propriété intellectuelle
Les entreprises de réseaux sociaux protègent généralement leurs droits de propriété intellectuelle par divers moyens tels que marques déposées, habillages commerciaux, noms de domaines, droits d’auteur, secrets commerciaux et brevets. Elles signent aussi parfois des accords de confidentialité et des accords de cession d’invention avec leurs employés, leurs sous-traitants et d’autres tierces parties, afin de restreindre l’accès, la divulgation et l’utilisation d’informations confidentielles et de technologies brevetées. Comme décrit plus en détail dans les pages qui suivent, les algorithmes jouent un rôle essentiel dans l’analyse des données, qui permet à une plateforme de renforcer au maximum l’intérêt du réseau pour les utilisateurs et de fournir des services publicitaires très fortement ciblés et efficients.
Données
Les entreprises de réseaux sociaux exploitent les données de deux façons principales : pour améliorer la fonctionnalité du réseau pour les utilisateurs et pour aider les annonceurs à mieux cibler leurs clients afin d’accroître la vente de services publicitaires. Bien que les annonceurs constituent leur clientèle commerciale, il est important pour les réseaux sociaux d’améliorer l’expérience des utilisateurs afin d’accroître au maximum leur nombre, la taille du réseau et le temps d’interaction des utilisateurs sur la plateforme. Tous ces facteurs augmentent l’aptitude d’un réseau social à accroître ses revenus publicitaires. Les réseaux sociaux ont conscience de la nécessité de maintenir un équilibre entre les annonces publicitaires et le contenu généré par les utilisateurs, et de bien cibler les annonces publicitaires pour optimiser l’expérience des utilisateurs. Les méthodes de ciblage de la publicité se fondent sur les données relatives aux utilisateurs et sur le contenu généré par ces derniers : plus grande est la quantité de ces données et de ce contenu, plus précise est l’analyse des données et plus élevés sont les profits potentiels. L’information fournie par les utilisateurs est synthétisée sous la forme de mots-clés décrivant leurs caractéristiques et intérêts individuels. Les annonces publicitaires peuvent ainsi être dirigées vers les utilisateurs dont le profil correspond à celui que les annonceurs veulent atteindre.
Réseau de valeur
Comme on l’a vu, un réseau de valeur comprend trois activités principales : promotion du réseau et gestion des contrats, prestation de service et fonctionnement de l’infrastructure réseau. Cette section compare une entreprise de réseau social à un exemple type de société traditionnelle, à savoir une société de télévision diffusant des programmes entrecoupés d’annonces commerciales.
Le graphique 2.7 montre le réseau de valeur d’une agence de télévision de type traditionnel (partie A) et d’une entreprise de réseau social à recettes publicitaires (partie B). En comparant les deux modèles d’affaires au regard de chacune des activités principales d’un réseau de valeur, les paragraphes ci-dessous examinent aussi l’évolution des aspects essentiels du modèle de société de télévision traditionnel induite par la transformation numérique.
Promotion du réseau et gestion des contrats
La promotion du réseau et la gestion des contrats désignent la catégorie des activités associées au processus d’invitation des utilisateurs potentiels à adhérer au réseau, à la sélection de ceux autorisés à le faire, à l’initialisation, la gestion, et la résiliation des contrats régissant la prestation de service, et à la facturation.
Le modèle d’affaires de réseau social consiste à promouvoir un réseau pour offrir ensuite un public aux publicitaires. Pour servir au mieux leurs clients publicitaires, les réseaux sociaux s’efforcent de développer de larges communautés d’utilisateurs motivés. Ils invitent à cette fin des personnalités influentes, y compris des leaders mondiaux, des personnalités gouvernementales, des célébrités, des sportifs et des journalistes, ainsi que des organes de média et des marques renommées, à être présents sur le réseau. Comme ils opèrent dans un marché bifaces, les réseaux sociaux peuvent mettre à profit la flexibilité des prix décrite à la section 2 en fixant à zéro le prix des transactions avec les utilisateurs sur l’un des côtés du marché, un service gratuit étant mieux à même d’attirer un très grand nombre d’utilisateurs.
Une société de télévision traditionnelle est soumise à la nécessité de promouvoir le réseau, de façon semblable à une entreprise de réseau social : toutes deux chercher à créer une communauté d’utilisateurs intéressée par le contenu mis en ligne. Cela passe, dans le premier cas, par la diffusion de programmes sur une chaîne de télévision, et, dans le second cas, par la mise en ligne de messages sur le site web ou l’application du réseau social.
De plus, la société de télévision traditionnelle tout comme le réseau social sont intéressés par deux types de promotion du réseau : la consommation par les téléspectateurs/utilisateurs de contenu sur leur plate-forme, et les interactions entre les annonceurs et les téléspectateurs/utilisateurs12. À la différence près, toutefois, que les téléspectateurs n’interagissent pas entre eux de la même façon que les utilisateurs des réseaux sociaux.
Connexion des utilisateurs entre eux
La promotion du réseau reliant les utilisateurs constitue un aspect essentiel du modèle d’affaires d’une entreprise de réseau social : plus grand est le nombre d’utilisateurs et plus ils passent de temps sur le réseau (et plus ils communiquent entre eux), plus grand est le nombre de contenu qu’ils produisent et plus ils peuvent être ciblés par la publicité. Ces différents facteurs sont essentiels pour accroître les recettes publicitaires de la plateforme. Les effets de réseau directs sont plus importants pour un réseau social que pour une société de télévision, étant donné que les téléspectateurs n’interagissent pas directement sur la plateforme et qu’aucune donnée ne peut donc être collectée sur ces interactions.
Comme indiqué plus haut, pour encourager les utilisateurs à adhérer, les réseaux sociaux offrent l’utilisation de leur plateforme sans aucune contrepartie financière. En outre, les dispositifs d’accès au site d’un réseau social peuvent être réduits au minimum. Toutefois, elle est généralement requise pour publier du contenu – mais le compte peut parfois être ouvert sans que l’utilisateur ait à indiquer son identité réelle (par exemple sur Twitter). En abaissant les obstacles à l’accès au réseau, l’entreprise cherche à inciter les utilisateurs à se connecter à son site web ou à son application mobile aussi souvent et aussi longtemps que possible. Certains réseaux sociaux, cependant, exigent des utilisateurs qu’ils révèlent leur identité réelle (Facebook, Sina Weibo). Lorsque cela est le cas, le réseau social fonctionne aussi comme moyen de validation de l’identité des utilisateurs sur d’autres plateformes.
Connexion des publicitaires et des utilisateurs
Le recrutement d’une clientèle d’annonceurs et le maintien des relations avec elle sont deux aspects sous lesquels les réseaux sociaux et les sociétés de télévision traditionnelles se ressemblent. Les deux modèles ont besoin d’une clientèle d’entreprises auxquelles vendre des espaces publicitaires. Les utilisateurs des réseaux sociaux étant disséminés partout dans le monde, ces réseaux cherchent à travailler avec des entreprises d’envergure mondiale. Les réseaux télévisés, en revanche, interviennent généralement sur des marchés régionaux en raison des contraintes réglementaires et des différences linguistiques.
Prestation de service
Les activités de fourniture de services publicitaires des entreprises de réseaux ressemblent aussi par certains aspects à celles des sociétés de télévision traditionnelles : les deux types d’entreprises doivent disposer des moyens nécessaires pour placer la publicité afin qu’elle atteigne un large public. Cependant, la différence manifeste entre une entreprise de réseau social et une société de télévision traditionnelle en matière de placement des annonces est que l’ensemble des contenus d’un réseau social se trouve en ligne et peuvent être ciblés sur les utilisateurs au niveau individuel. Les annonces télévisées, à l’inverse, sont consultées simultanément par un nombre relativement important de téléspectateurs. Un annonceur choisit le créneau de diffusion de ses annonces en fonction des émissions que son public cible est susceptible de regarder.
Les méthodes de mesure de l’exposition des utilisateurs aux contenus publicitaires, par conséquent, ne sont pas les mêmes et cela constitue une différence essentielle entre les deux modèles d’affaires. Une entreprise de réseau social peut atteindre de ce point de vue une plus grande précision qu’une société de télévision traditionnelle en recueillant des données sur les trajets et les activités des utilisateurs sur l’internet, ce qui n’est pas possible avec la télévision. Si les mesures d’audience télévisée visent à déterminer le nombre et le profil des spectateurs qui visionnent une annonce publicitaire donnée, elles donnent des estimations plus approximatives que les données quantitatives recueillies par les entreprises de réseaux sociaux. Une campagne publicitaire en ligne visant par exemple à stimuler l’utilisation d’une application quelconque est en mesure de déterminer le nombre d’adoptions de l’application pouvant être attribuées à la promotion d’un produit particulier.
Les réseaux sociaux établissent le profil de leurs utilisateurs sur la base de leurs intérêts, de leurs caractéristiques psychologiques et de leurs préférences en analysant les contenus (messages et tweets) qu’ils envoient en ligne, ainsi que les groupes auxquels ils appartiennent et leurs données de navigation. Les réseaux sociaux peuvent savoir précisément en temps réel comment les utilisateurs réagissent aux produits sur lesquels portent la publicité, très souvent même en déterminant l’impact d’une publicité particulière sur l’achat d’un produit. Ils sont donc bien mieux à même d’évaluer l’efficacité d’une campagne publicitaire.
Le fait que, dans les deux cas, les téléspectateurs et les utilisateurs des réseaux sociaux sont attirés sur la plateforme par le contenu mis à leur disposition encourage la fourniture de services aux annonceurs. Il est important de noter que, dans le cas de la télévision, le contenu est soit produit par la chaîne elle-même, soit acheté à un tiers à des fins de diffusion. Dans le cas des réseaux sociaux, néanmoins, une très grande partie du contenu est fourni par les utilisateurs eux-mêmes. Ce contenu est original et accessible sans contrepartie financière.
Les données et les contenus individuels dont se servent les réseaux sociaux les rendent particulièrement aptes à cibler la publicité mais ils exposent leurs utilisateurs à des risques en matière de vie privée et de sécurité. Les réseaux sociaux doivent donc, dans le cadre de leur service client, protéger les utilisateurs contre le piratage informatique, le détournement de compte ou l’usurpation d’identité, par exemple. Les sociétés de télévision ignorent généralement ces préoccupations.
Enfin, une autre différence entre entreprises de réseaux sociaux et agences de publicité traditionnelles sous l’angle de la fourniture des services tient au fait que si les sociétés de télévision sont à même de fournir aux annonceurs publicitaires des informations de base, réunies par les agences de notation, au sujet de la part de marché obtenue et de l’audience réalisée par différents programmes ou à différents horaires, les entreprises fondées sur les réseaux sociaux proposent des services nettement plus axés sur le placement de la publicité, en s’appuyant sur l’analyse de données massives au moyen d’algorithmes complexes. À cela s’ajoute que les entreprises de réseaux sociaux n’ont pas besoin des mêmes analyses de marché que les chaînes de télévision puisque la nature du contenu proposé suffira généralement à attirer et fidéliser de nouveaux utilisateurs sur leur site, ce qui s’explique en partie par le fait que ce contenu est taillé sur mesure pour l’utilisateur, qui a de plus la possibilité d’interagir avec les autres. C’est pourquoi ces entreprises sont susceptibles de fournir du contenu qui intéresse davantage le public.
Fonctionnement de l’infrastructure réseau
L’exploitation de l’infrastructure du réseau comprend dans les deux modèles d’affaires : (i) la collecte de données sur les cibles possibles à des fins publicitaires ; (ii) le développement de méthodes pour atteindre les publics cibles ; et (iii) la fixation des tarifs sur la base de différentes caractéristiques des annonces. Ces activités sont communes aux réseaux sociaux et aux agences de publicité traditionnelles mais leur mise en œuvre emprunte des voies différentes.
Alors que les sociétés de télévision classiques réalisent des études de marché, soit par leurs propres moyens, soit en faisant appel à une tierce partie, les entreprises de réseaux sociaux ont l’avantage de pouvoir générer numériquement leurs propres données sur les utilisateurs de la plateforme. En analysant les contenus que produisent les utilisateurs, par opposition à leurs profils individuels ou aux données à caractère démographique, elles parviennent à connaître plus précisément leurs intérêts et leurs préférences. En outre, elles ont accès aux données des utilisateurs sur la plateforme du réseau social en temps réel, alors que les études de marché et les chiffres relatifs au visionnement portent sur des séries chronologiques antérieures. En conséquence, les entreprises de réseaux sociaux ont la possibilité d’identifier les domaines d’intérêt en hausse et d’adapter la promotion des produits à ce que souhaitent les utilisateurs.
En ce qui concerne la fixation des tarifs publicitaires, tout comme d’autres entreprises fortement numérisées différencient leurs prix en se servant des données sur l’offre de produits et la demande, les entreprises de réseaux sociaux recourent en général à un système d’enchères pour fixer les prix de leurs produits publicitaires. Cela leur permet d’obtenir le prix maximum que les entreprises sont prêtes à payer pour la publicité13. Les sociétés de télévision traditionnelles, en revanche, établissent leurs tarifs sur la base des caractéristiques des annonces (longueur, par exemple) et de la popularité de certains créneaux horaires (lors de la retransmission des grandes manifestations sportives ou des pics de visionnement, par exemple). Le prix de la publicité sur un réseau social dépend en définitive du niveau de participation des utilisateurs ; cependant, on dispose encore de peu d’informations publiques sur les systèmes exacts de tarification utilisés par les entreprises de réseaux sociaux.
Enfin, du fait de la plus grande facilité avec laquelle la logistique amont des entreprises de réseaux sociaux traverse les frontières nationales, les activités opérationnelles de ces entreprises ont lieu également dans plusieurs pays à la fois.
Technologie
Pour une entreprise de réseau social, le développement de la plateforme est la clé de ses opérations et c’est ce qui la distingue des entreprises publicitaires de type traditionnel. Cette plateforme exige d’importants investissements dans des intrants technologiques : matériel informatique et logiciels, ingénieurs informaticiens, concepteurs de sites web, algorithmes, serveurs, etc. Une entreprise de réseau social doit en particulier assurer la stabilité et l’intégrité de sa plateforme en protégeant la vie privée des utilisateurs et en maintenant un espace serveur suffisant pour traiter un volume important de trafic.
2.5. Caractéristiques communes des modèles d’affaires à forte composante numérique
La précédente section et l’annexe 2.A analysent les modèles d’affaires à forte composante numérique à l’aide de plusieurs études de cas concrètes comparant le processus de création de valeur des entreprises fortement axées sur le numérique et celui de leurs homologues traditionnels. Il ressort que si les principaux objectifs et les activités de base sont toujours les mêmes, la structure des entreprises et le processus de création de valeur ont en revanche considérablement évolué, en particulier pour certaines d’entre elles. Cette section, qui s’appuie sur l’analyse qui a été faite à la section 4 ainsi que sur la théorie économique et les données empiriques, met en évidence certaines des principales caractéristiques communes aux modèles d’affaires à plus forte composante numérique. Ces caractéristiques sont les suivantes : portée internationale sans masse ; importance des données ; participation des utilisateurs ; et synergies entre ces données et les actifs incorporels. S’agissant des autres éléments intervenant dans la création de valeur (par exemple, les fonctions administratives, marketing et humaines), les différences entre les entreprises traditionnelles et celles à plus forte composante numérique semblent être moins nombreuses. C’est pourquoi la présente analyse se concentre uniquement sur les différences les plus importantes entre ces deux types d’entreprises. Pour finir, cette section évalue dans quelle mesure ces caractéristiques représentent des facteurs clés de création de valeur pour les entreprises à forte composante numérique, en se faisant l’écho de la diversité des points de vue exprimés par les membres du Cadre inclusif sur le BEPS. Les implications, pour le système fiscal international, des conclusions de l’analyse des modèles d’affaires des entreprises à forte composante numérique faite dans ce chapitre sont étudiées dans le chapitre 5 de ce rapport.
2.5.1. Portée internationale sans masse : mondialisation des fonctions et des activités des entreprises
Si la mondialisation a permis aux entreprises de localiser les différentes phases de leur processus de production dans différents pays, et en même temps d’avoir accès à une clientèle plus nombreuse dans le monde entier, cette tendance a été renforcée par la transformation numérique. L’élargissement de la portée commerciale des entreprises induit par l’essor du numérique a eu lieu indépendamment de la localisation des utilisateurs et/ou des clients des entreprises, voire de leur siège, ou encore de la distance qui les sépare.
Bon nombre d’entreprises à forte composante numérique peuvent, grâce aux technologies à distance, s’impliquer très activement dans la vie économique de pays ou territoires où elles n’ont aucune présence physique significative, atteignant ainsi une grande portée opérationnelle sans la masse14. L’une des conséquences de cette évolution est qu’un nombre croissant d’entreprises peuvent avoir une présence économique dans un pays sans y être présentes physiquement.
Bien que la relation entre la présence physique – ou les ressources matérielles – d’une entreprise et sa portée soit différente dans chacun des cas analysés à la section 4 et dans l’annexe 2.A, il est clair que la transformation numérique suscite également, dans un grand nombre d’entreprises davantage axées sur le numérique, un processus de dématérialisation15. Le processus de dématérialisation de l’économie n’en est peut-être encore qu’à ses débuts, même dans les économies les plus avancées (OCDE, à paraître). À mesure qu’un nombre croissant d’entreprises investira dans le numérique (par exemple en s’orientant vers l’informatique en nuage), il deviendra de plus en plus facile pour les entreprises au champ d’action auparavant uniquement national d’interagir avec leurs clients par voie numérique. L’accès au numérique n’étant pas limité aux grandes entreprises multinationales, les petites entreprises peuvent donc elles aussi, de plus en plus, avoir une clientèle dans le monde entier.
Si le levier que représente le numérique a été utilisé par de nombreuses entreprises pour atteindre une portée internationale sans masse, il convient d’admettre que la croissance de l’empreinte économique mondiale des entreprises n’est pas spécifique aux modèles d’affaires numériques. Le fait qu’un nombre croissant d’entreprises soient en mesure d’accroître leur présence économique sur un territoire donné en l’absence de présence physique significative est également une caractéristique de la mondialisation en général et n’est pas propre aux entreprises numériques.
2.5.2. Rôle essentiel des actifs incorporels et notamment des droits de propriété intellectuelle
Les actifs incorporels (également appelés capital intellectuel) peuvent être un ressort important de la création de valeur par une entreprise. Le lieu où celle-ci détient ou gère ces actifs pourra donc exercer une influence significative sur le lieu d’imposition de ses bénéfices. L’analyse ci-après montre que les actifs incorporels contribuent de façon déterminante à la création de valeur dans les entreprises à forte composante numérique. Les études de cas analysées dans la section 4 et dans l’annexe 2.A pointent dans cette direction et ces conclusions sont étayées par de nombreuses données empiriques.
D’après une analyse de la base de données statistiques de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), la demande de droits de propriété intellectuelle a enregistré une forte hausse au cours de la décennie précédente16. Considérées dans leur ensemble, les demandes de droits de propriété intellectuelle portant sur des dessins industriels, brevets, marques et modèles d’utilité ont enregistré une augmentation annuelle moyenne de quelque 7.1 % entre 2004 et 2016, soit une hausse totale de plus de 125 % sur cette période (OMPI, 2018). Les données plus granulaires (OMPI, 2016) montrent que les marques (36.5 millions) et les brevets (10.6 millions) représentent la majorité des droits de propriété intellectuelle actuellement en vigueur, les demandes de droits se sont accrues sensiblement au niveau mondial en 2015, et ce dans la plupart des catégories : 27 % pour les modèles d’utilité, 13.7 % pour les marques, 7.8 % pour les brevets et 0.6 % pour les dessins industriels. Pour ces quatre catégories, l’essentiel des demandes se concentre en Asie, où l’on enregistre 95.6 % des nouvelles demandes de modèles d’utilité, 68 % de celles de dessins industriels, 61.9 % des brevets et 55.3 % des marques. En ce qui concerne les brevets, quatre cinquièmes environ des nouvelles demandes déposées en 2015 avaient été enregistrées dans cinq offices seulement : Chine (38.1 %), États-Unis (20.4 %), Japon (11 %), République de Corée (7.4 %) et Europe (5.5 %). Clausen et Hirth (2016) montrent que les actifs incorporels acquièrent au fil du temps une importance croissante dans le bilan des entreprises ; ces effets semblent s’être maintenus pendant toute la durée de la crise économique, de 2008 à 201217.
Le phénomène de l’utilisation et de la demande accrues de droits de propriété intellectuelle semble se traduire par une croissance globale, ce qui confirme le rôle important des actifs incorporels dans la création de valeur. Corrado et al. (2009) ont mis au point une méthode empirique pour mesurer la quantité d’actifs incorporels et la contribution de ces actifs à la croissance des États-Unis de 1973 à 2003. Les auteurs distinguent trois groupes d’actifs incorporels : les données informatiques, le capital innovation et les compétences économiques18. Leurs travaux montrent que les méthodes de calcul traditionnelles sous-estiment considérablement le capital des entreprises : le taux de croissance de la production horaire augmente de 10 à 20 % environ lorsque l’on tient compte des actifs incorporels ; à partir de 1995, les actifs incorporels sont à égalité avec les actifs matériels pour ce qui est de leur contribution à la croissance. Corrado et al. (2012) ont mené une étude similaire pour les pays européens. Bien que les entreprises européennes investissent moins dans les actifs incorporels que leurs homologues américaines, la contribution à la croissance de ces actifs demeure importante, ce qui confirme l’importance croissante des actifs incorporels au regard de la croissance. Considérées dans leur ensemble, ces contributions empiriques montrent que les entreprises à plus forte composante numérique se caractérisent par l’importance croissante des investissements dans les actifs incorporels, qui ont des effets positifs non négligeables sur la valeur et la croissance de la production des entreprises.
Si les entreprises à forte composante numérique se caractérisent pas le rôle essentiel des actifs incorporels, l’exploitation de ces derniers, de plus en plus, représente un important vecteur de création de valeur pour l’ensemble des sociétés, et pas uniquement celles à forte composante numérique.
2.5.3. Importance des données et de la participation des utilisateurs
Comme le montrent l’ensemble des études de cas sur les modèles d’affaires présentées au chapitre 4 et dans l’annexe 2.A, l’utilisation croissante – et de plus en plus approfondie – des données par les entreprises a permis à ces dernières d’améliorer sensiblement leurs produits et leurs services. Des effets positifs ont été relevés en termes de croissance de la productivité19. L’utilisation, la collecte et l’analyse des données font désormais partie intégrante des modèles d’affaires des entreprises à plus forte composante numérique, quoiqu’à des degrés différents d’une ligne d’activité et d’une entreprise à une autre. À mesure que la transformation numérique se poursuivra, ces caractéristiques deviendront probablement de plus en plus courantes dans les modèles d’affaires d’un nombre encore plus grand d’entreprises.
L’analyse des données a souvent permis aux entreprises d’en savoir plus sur le surplus du consommateur et, par conséquent, d’accroître éventuellement leur rentabilité. Les bienfaits de cette analyse peuvent en outre augmenter de façon exponentielle en même temps que la quantité d’informations disponibles au sujet d’un client en particulier. Cela s’explique par les économies de gamme réalisées : plus un ensemble de données est varié et plus il procure des renseignements. Les ensembles de données détaillés permettent par exemple aux entreprises à forte composante numérique de mieux cibler les publicités en ligne s’adressant à des groupes d’utilisateurs particuliers. Les transactions et les interactions directes avec une clientèle répartie dans le monde entier auront de plus en plus lieu par voie numérique, ce qui signifie qu’à l’avenir, davantage d’entreprises bénéficieront de la collecte et de l’analyse des données ainsi que de leur éventuelle monétisation.
Certaines entreprises monétisent directement les données recueillies sur leurs clients en vendant des publicités en ligne ciblées à des clients d’un autre marché ; d’autres utilisent ces données principalement pour améliorer leurs opérations, la conception de leurs produits ou leurs activités de commercialisation. Dans certains cas, la collecte de données et l’accumulation de vastes ensembles de données qui s’en est suivie ont entraîné de fortes hausses de la valeur des entreprises, en raison des gains susceptibles d’être obtenus grâce à l’exploitation des données en question.
Pour comprendre le rôle important que peuvent jouer les données dans le processus de création de valeur, il est important de comprendre la nature des gains économiques procurés par ces données. En s’appuyant sur les études de cas des entreprises ainsi que sur les précédentes analyses de l’OCDE (2015d), ce processus peut être décrit comme un cycle vertueux incluant plusieurs phases interconnectées:
La création de données : Il s’agit de la phase de production de données numériques à partir des activités en ligne que sont les transactions, la création ou les communications ; est également inclus dans ces données le contenu généré par les utilisateurs, c’est-à-dire les données créées par les utilisateurs ou les clients, et les données sur le comportement des utilisateurs obtenues grâce à l’utilisation des cookies. Alors que les données numériques en ligne sont faciles à saisir ou à collecter, les données relatives à des activités hors ligne sont de plus en plus recueillies à l’aide de capteurs fixés sur les machines de production, les produits de consommation finale ou autres objets physiques ; l’interconnexion de ces objets via l’Internet – l’Internet des objets – devrait encore accélérer la capacité des entreprises à recueillir des données.
Les données massives obtenues grâce à la collecte des données : Les processus de collecte de données entraînent une augmentation des volumes de données numériques stockées par les entités publiques et privées. Toutefois, sans traitement ni analyse ultérieurs par les entreprises, la valeur économique de ces données est généralement limitée. Alors que les sources de ces données (c’est-à-dire les utilisateurs ou les machines situés dans un pays/territoire particulier) ne sont pas toujours très mobiles, les bases de données contenant des informations sur leurs caractéristiques, leurs préférences, leurs habitudes d’utilisation et leurs comportements se présentent sous forme numérique et sont donc extrêmement mobiles. D’autre part, l’origine des données et la base de données ne se trouveront pas nécessairement à l’intérieur du même pays ou territoire.
L’analytique des données : Le traitement, l’interprétation et l’analyse des données sont des étapes nécessaires pour produire de la valeur économique. La fonction d’analyse n’est pas liée à un lieu particulier ; la numérisation permet aux entreprises de dissocier l’emplacement de la source des données de celui de leur stockage, leur analyse ou leur utilisation. L’analyse des données relatives à un pays/territoire particulier peut ainsi être effectuée par des scientifiques hautement qualifiés situés à un autre endroit (généralement là où se trouve le siège), ou automatiquement à l’aide d’un algorithme.
L’établissement d’une base de connaissances : Les connaissances accumulées grâce aux activités d’analyse deviennent la base de la valeur économique générée tout au long du cycle de valeur, comme décrit dans l’annexe 2.A en ce qui concerne les sites de vente en ligne qui utilisent les données des clients pour améliorer leur stratégie commerciale et la modulation des prix. Les bases de connaissances peuvent en outre être mises à jour automatiquement ou améliorées en continu, par exemple grâce à un processus d’apprentissage automatique.
La prise de décisions fondée sur les données : Les connaissances acquises lors des phases précédentes (comme l’analyse des données) servent de base à la prise de décisions et produisent donc de la valeur économique.
Participation des utilisateurs
Comme indiqué dans la sous-section 5.3, les données et leur analyse deviennent des atouts de plus en plus fondamentaux dans la prise de décisions des entreprises. Il est courant aujourd’hui de voir les entreprises analyser les données internes provenant de leurs ventes, leurs stocks et leurs processus pour optimiser leur production et prendre des décisions plus rationnelles. Le changement apporté par la transformation numérique est que les utilisateurs jouent aujourd’hui un rôle de plus en plus important, car les données qui les concernent sont analysées pour chaque entreprise afin d’en savoir plus sur les marchés et l’évolution de la demande. Ces informations peuvent être utilisées pour prendre des décisions stratégiques concernant les stocks ou les produits et services, par exemple, ou pour développer de nouveaux produits ou de nouvelles marques pour pallier les limites de l’offre à un moment donné. De plus, l’analyse des données des clients permet aux entreprises d’obtenir un avantage concurrentiel significatif en s’attachant à améliorer et personnaliser l’expérience des utilisateurs.
Les avis divergent quant à savoir si les données des clients et le contenu généré par les utilisateurs contribuent à la création de valeur et alors dans quelle mesure. Du côté de la contribution maximale se trouvent les réseaux sociaux, où la participation des utilisateurs est au centre de l’activité de la plateforme. Sans cette participation et sans le contenu généré par les utilisateurs, les réseaux sociaux tels que nous les connaissons n’existeraient pas, même s’il convient de reconnaître que c’est la plateforme développée grâce aux investissements dans les technologies de l’information et dans certains actifs incorporels comme les algorithmes qui permet d’attirer les utilisateurs. Les utilisateurs contribuent en apportant toutes sortes de contenu et en jouant un rôle actif dans l’élargissement du réseau (en ajoutant des amis). Tous ces éléments, ainsi que les renseignements détaillés fournis par les utilisateurs, peuvent être utilisés pour proposer des services publicitaires ciblés. Du côté de la contribution minimale se trouvent les entreprises verticalement intégrées, où la principale interaction avec le client est la vente et l’achat de produits. Il existe dans ce cas une possibilité de collecte de données et de participation de l’utilisateur dans le processus de production, mais elle est limitée (bien qu’elle soit appelée à se développer à l’avenir) et sa contribution utile au processus de création de valeur est donc certainement plus incertaine. À mi-chemin de ces deux extrêmes, se trouve le modèle de l’atelier. Dans ce contexte, les données massives générées par les utilisateurs revêtent davantage d’importance pour l’entreprise qui veut fournir un produit ou service précis et pointu.
Ces exemples montrent que la numérisation a complètement modifié le rôle des utilisateurs en leur permettant de participer de plus en plus au processus de création de valeur. Ce phénomène se produit à différents degrés d’intensité selon les activités de l’entreprise concernée et les conditions du marché, et selon l’exploitation qui est faite des données et de la participation des utilisateurs.
Évaluer l’intensité de la participation des utilisateurs est une tâche complexe car elle nécessite toutes sortes d’actions et d’interactions avec de nombreuses parties d’une entreprise. La participation des utilisateurs peut être de différents types et avoir une portée et une importance variables. Cela peut être le marquage d’une page, le visionnage d’une vidéo ou, sur un mode plus actif, la rédaction d’un avis sur un produit ou l’invitation/l’ajout d’amis sur un réseau. L’examen attentif des différentes activités des utilisateurs et de leur utilité pour les entreprises peut permettre de mieux appréhender la participation des utilisateurs, son ampleur, sa pertinence et son intensité dans le contexte d’une activité en particulier, ainsi que le degré de sa contribution éventuelle au processus de création de valeur.
La participation des utilisateurs est de deux types : active et passive. La participation passive n’implique pas nécessairement la saisie d’informations par l’utilisateur lui-même, mais des données sont néanmoins collectées par l’entreprise grâce à l’utilisation de cookies par exemple, même une fois que l’utilisateur a quitté la plateforme de l’entreprise dès lors qu’il passe par d’autres sites. La participation active des utilisateurs suppose une action explicite. Les données sont générées par une action de l’utilisateur, et leur contenu est limité à ce que l’utilisateur accepte de partager. De manière générale, l’utilisateur transmet des informations en échange de services, de produits ou d’autres biens. Une participation active est par exemple le marquage d’une page ou la création et mise en ligne d’une vidéo ou d’un message. Ces deux activités requièrent de l’utilisateur qu’il prenne du temps pour saisir des informations nécessitant des degrés divers d’attention et d’interaction. S’agissant de la seconde activité, la contribution de l’utilisateur est de même qualité qu’un contenu qui, par le passé, était sans doute vendu par des circuits commerciaux et dont le paiement s’effectuait selon les modèles d’affaires traditionnels. Les deux modes de participation diffèrent également en raison de la valeur qu’ils apportent à l’entreprise. On distingue par ailleurs trois grandes catégories de participation active : faible, moyenne ou élevée selon le degré de valeur créée par l’action de l’utilisateur.
Tout d’abord, les activités comme le marquage de pages, l’étiquetage et la publication de notations sont des actions de filtrage d’un autre genre, qui constituent la base des mécanismes de recommandation (comme ceux que l’on trouve par exemple sur les sites de vente en ligne ou de diffusion en continu de films et de musique). Ces activités requièrent peu d’efforts. Un second niveau de participation, plus exigeant, est requis pour des activités comme la rédaction de commentaires, la publication d’avis (par exemple, sur TripAdvisor), ainsi que la prise/l’enregistrement et la mise en ligne de photos et de vidéos (par exemple sur Instagram, SoundCloud, Nice, Kuaishou ou YouTube). Dans ce cas de figure, l’utilisateur crée activement le contenu de la plateforme (on parle de contenu généré par l’utilisateur), aide les autres utilisateurs à choisir un produit et accroît la confiance dans la plateforme. Une troisième forme d’engagement, plus intense, englobe les actions visant à élargir directement la plateforme en ajoutant des amis, en créant des communautés et en constituant des réseaux. Cette activité est extrêmement utile pour de nombreux réseaux sociaux car l’augmentation du nombre d’utilisateurs équivaut à plus de données (y compris de contenu créé par les utilisateurs) et, finalement, à plus de recettes. Cela permet en outre à la plateforme d’atteindre la masse critique, ce qui procure un avantage concurrentiel majeur, et donc des bénéfices.
La participation passive de l’utilisateur se caractérise par l’absence d’activité directe de la part de l’utilisateur. Cela dit, même la contribution la plus passive suppose quelques actions, par exemple le téléchargement d’une application mobile, l’utilisation d’un appareil particulier ou l’autorisation de collecte des données de l’utilisateur. La collecte de données est une activité dérivée de l’Internet, qui a lieu sans la participation directe de l’utilisateur ni sa transmission active des données. L’exemple le plus connu est l’utilisation de cookies pour enregistrer la navigation de l’utilisateur, mais ces cookies renseignent aussi sur la localisation de l’utilisateur, son adresse IP ou le type d’appareil utilisé. En règle générale, le but est de connaître les préférences des utilisateurs et leurs comportements, sachant que ces informations peuvent être directement monétisées lorsque les annonces publicitaires sont facturées au coût par clic ou au coût par impression par exemple.
Le mécanisme de confiance
Comme le montre le document OCDE (à paraître), les notations et les avis semblent inspirer confiance dans les vendeurs et les fournisseurs, et sont l’un des principaux moteurs de la confiance des clients sur les plateformes mettant en relation les particuliers. En d’autres termes, les notations et les avis favorisent la confiance, considérée, par certains pays, comme un important vecteur de création de valeur. Les clients accordent plus de valeur aux avis qu’aux notations, et ils sont plus susceptibles d’accorder du crédit aux avis qui sont rédigés au sujet d’un produit ou d’un service lorsqu’ils sont nombreux. Ces mécanismes de confiance et ces systèmes de réputation sont des composants fondamentaux des plateformes collaboratives. Ils permettent d’atténuer les éventuelles inquiétudes des consommateurs concernant la qualité des « produits », et aux autres clients de réaliser des achats en connaissance de cause (au lieu de disposer d’informations incomplètes et/ou limitées). La fiabilité de ces mécanismes est devenue essentielle pour de nombreuses entreprises, et l’authenticité des retours d’information des utilisateurs est par conséquent très précieuse. Certaines entreprises, comme Amazon, protègent activement l’intégrité des avis en poursuivant les sites qui publient des avis mensongers. En plus de jouer un rôle essentiel d’instauration de la confiance, ces systèmes peuvent aussi contribuer, grâce aux mécanismes de suivi, de retour d’informations et de pression de la part des autres consommateurs, à discipliner les comportements (Strahlevits, 2006).
Le contenu créé par les utilisateurs
Le contenu créé par les utilisateurs incluent tous les types de contenu (vidéos, blogs, messages sous forme de discussions, images numériques, fichiers audio et autres supports) qui ont été générés par les clients ou les utilisateurs finaux d’un système ou service en ligne, et qui sont mis à la disposition des autres clients et utilisateurs finaux. Ce contenu est d’une très grande utilité pour de nombreuses entreprises, car il attire du trafic, contribue à l’instauration de la confiance comme indiqué précédemment et, dans certains cas, peut constituer leur cœur de métier. Ainsi, dans son rapport annuel de 2016, TripAdvisor décrit sa multitude de contenu créé par les utilisateurs comme l’un de ses principaux atouts et points forts. Cela lui permet d’attirer d’autres utilisateurs, de créer une communauté et de convertir les visiteurs en utilisateurs réguliers qui, à leur tour, créeront du contenu ainsi que de la valeur ajoutée. Des considérations similaires s’appliquent à des sociétés comme Yelp, qui considèrent que sa communauté dynamique d’utilisateurs constitue le cœur de son activité. Chaque avis, conseil ou photo vient renforcer la richesse du contenu de la plateforme, entraînant de puissants effets de réseaux. D’un autre côté, la plateforme, développée grâce aux investissements dans les TIC et dans certains actifs incorporels comme les algorithmes, est elle aussi pour beaucoup dans l’attractivité. Données et technologies de l’information sont à cet égard étroitement imbriquées.
Participation des utilisateurs selon la ligne d’activité de l’entreprise
Après avoir défini dans les grandes lignes la participation et la contribution des utilisateurs, on peut désormais évaluer à titre indicatif l’intensité de cette participation pour chaque ligne d’activité et processus de création de valeur d’entreprises décrits dans les précédentes sections. Cette analyse n’est en aucun cas exhaustive et ne reflète que partiellement la participation des utilisateurs à diverses catégories d’entreprises. De surcroît, les entreprises appartenant à la même catégorie peuvent avoir des caractéristiques différentes, d’où la nécessité de procéder à un examen approfondi des faits, des circonstances et des modèles d’affaires liés à chaque entreprise pour obtenir une classification précise. Celle-ci n’a qu’une valeur indicative.
Le graphique 2.8 illustre le degré de participation des utilisateurs associé à différentes lignes d’activité. À l’extrémité inférieure du classement, les activités caractérisées par une faible participation des utilisateurs sont par exemple l’informatique en nuage et les entreprises verticalement intégrées. Les données passives y sont utilisées de façon limitée, de même que les données fournies volontairement par les utilisateurs. À noter que les données stockées sur le nuage par les utilisateurs ne sauraient être considérées comme du contenu créé par les utilisateurs, car elles ne sont généralement pas accessibles par le fournisseur de services d’infonuagique pour en faire une analyse détaillée (ou seulement dans des circonstances en lien direct avec les objectifs convenus par le client) ; elles ne sont pas non plus partagées, ou uniquement entre un nombre réduit d’utilisateurs. Il arrive évidemment que le degré de participation des utilisateurs soit plus important dans certaines entreprise d’informatique en nuage : s’agissant par exemple des fournisseurs de services d’infonuagique comme Dropbox ou Weiyun, les utilisateurs contribuent activement à l’élargissement des réseaux/de la clientèle de l’entreprise en invitant d’autres internautes à partager des fichiers.
Une autre catégorie d’activité où le degré de participation des utilisateurs est légèrement plus élevé que la précédente est celle du commerce en ligne de biens matériels. L’historique de navigation, les avis et les notations sont utilisés pour doper les ventes, personnaliser les services et améliorer le ciblage des clients. S’agissant en revanche du commerce électronique de biens immatériels, les possibilités d’interaction sont encore plus nombreuses et le degré de participation des utilisateurs y est donc plus important en comparaison avec le commerce de biens matériels. Les utilisateurs peuvent contribuer à l’augmentation de la clientèle en partageant leur liste de titres musicaux (par exemple sur Deezer, Spotify ou Tencent) ou créer du contenu (pour les jeux en ligne).
Les entreprises de consommation collaborative se caractérisent par un degré de participation des utilisateurs plus élevé. Une grande partie des informations fournies passivement sont parfois essentielles pour la fourniture du service, et les utilisateurs sont souvent obligés de communiquer leurs préférences pour accéder aux services (par exemple, lorsqu’ils recherchent un hébergement, ils doivent obligatoirement, pour pouvoir effectuer la transaction, fournir des informations comme la ville recherchée, la taille de l’hébergement, leur budget et le quartier souhaité). Le contenu créé par les utilisateurs est également important : les utilisateurs rédigent des avis et décrivent en ligne le produit ou le service qu’ils ont acquis, souvent à l’aide de photos ou d’autres types d’informations, selon le site concerné. Comme souligné plus haut, les avis et les commentaires sont déterminants pour inspirer confiance aux clients. Les utilisateurs ont souvent la dure tâche de devoir vérifier la qualité des produits (d’où les notations des chauffeurs sur Uber et Didi Chuxing, ou des hébergements sur Trivago et Booking.com).
Pour finir, le type d’entreprise où la participation des utilisateurs est la plus élevée est celui des réseaux sociaux : les utilisateurs y jouent en effet un rôle capital. La taille de la communauté d’utilisateurs et le niveau d’implication de ces derniers conditionnent la réussite de ces entreprises et déterminent en grande partie leurs résultats financiers. Les utilisateurs des réseaux sociaux fournissent différents types de contenu et contribuent activement à l’élargissement du réseau de la plateforme. Pour des sites comme Facebook ou Weibo, par exemple, l’évolution du nombre d’utilisateurs a une incidence sur les recettes dans la mesure où elle influe sur le nombre de publicités qui peuvent être affichées et la valeur que représentent les utilisateurs pour les distributeurs. Les statistiques sur la contribution et la participation des utilisateurs sont des indicateurs clés pour les entreprises précitées. Les rapports annuels et les documents d’introduction en bourse contiennent souvent des informations sur l’évolution du nombre d’utilisateurs actifs, ainsi que des données comme le chiffre d’affaires par utilisateur pour les différentes zones géographiques, afin de montrer les différents taux de monétisation et le potentiel d’évolution.
Le graphique 2.8 représente le degré de participation des utilisateurs aux activités des différentes catégories d’entreprises. Il ressort que ce degré de participation n’est pas nécessairement corrélé au degré de conversion au numérique. L’informatique en nuage, par exemple, peut être considérée comme une activité à plus forte composante numérique mais associée à une participation plus limitée des utilisateurs. En d’autres termes, les entreprises fortement axées sur le numérique ne sont pas toutes centrées sur la participation des utilisateurs, et d’autres caractéristiques comme la portée sans masse sont également importantes (informatique en nuage, par exemple). Comme indiqué plus haut, cette classification des lignes d’activité et des processus de création de valeur en fonction du degré de participation des utilisateurs est fournie uniquement à titre indicatif et n’est pas censée servir de référence.
Certains membres du Cadre inclusif sur le BEPS considèrent que la participation des utilisateurs est un déterminant spécifique et important de la création de valeur pour les entreprises à forte composante numérique, qui passe par la collecte des données fournies passivement par les utilisateurs (données relatives à leurs préférences ou à leur comportement), comme de celles fournies activement (contenu généré par les utilisateurs invités à fournir des avis ou des messages, par exemple). Ces données sont ensuite analysées par l’entreprise et peuvent être utilisées pour vendre des annonces publicitaires ciblées sur les utilisateurs ou pour adapter les produits et services offerts afin d’en accroître la valeur. Dans certains cas, les contributions des utilisateurs peuvent être mises en ligne sur la plateforme de sorte à attirer d’autres utilisateurs et à accroître la valeur de la plateforme, et créer ainsi des effets de réseaux. Ces pays pointent la participation des utilisateurs et leur implication dans la durée qui permet aux entreprises à forte composante numérique de réunir de grandes quantités de données grâce à un suivi étroit des contributions qu’ils fournissent de manière délibérée et des comportements qu’ils adoptent. Ils mettent aussi en avant les apports en contenu faits par les utilisateurs, qui peuvent tenir une place primordiale dans l’offre d’une entreprise à forte composante numérique et contribuer de manière déterminante à lui attirer d’autres utilisateurs et créer des effets de réseau. Ils jugent enfin que la participation des utilisateurs (à travers la formulation d’avis ou la prestation de services, par exemple) peut être pour beaucoup dans la confiance et la réputation dont jouissent certaines entreprises à forte composante numérique et contribuer à leur image de marque et à l’extension de leurs réseaux d’utilisateurs.
D’autres pays, en revanche, considèrent la collecte des données sur les utilisateurs, la participation de ces derniers et la fourniture de contenu généré par ces mêmes utilisateurs comme des transactions conclues entre les utilisateurs (en tant que fournisseurs de données/contenus) et l’entreprise à forte composante numérique concernée, laquelle, en échange de ce(s) données/contenu, offre aux utilisateurs une contrepartie qui peut être financière ou non financière (services d’hébergement de données, de messagerie électronique ou de divertissements numériques par exemple). Les pays qui soutiennent cette opinion s’accordent à penser que l’interaction entre les utilisateurs et l’entreprise à forte composante numérique considérée constitue une transaction qui pourrait donner lieu à un impôt sur les sociétés, même s’ils constatent également que les règles actuelles d’imposition des bénéfices des sociétés prennent rarement en compte ce type d’opérations de troc ne donnant lieu à aucune contrepartie financière d’un côté ou de l’autre de la transaction (paiement au comptant par exemple). Ces pays ne considèrent pas le fait que les entreprises à forte composante numérique obtiennent des données sur les utilisateurs comme une activité qui justifie d’attribuer un bénéfice à ladite entreprise au seul motif que ces données peuvent avoir de la valeur. En ce sens, ils estiment que la fourniture de données par l’utilisateur constitue un intrant au même titre que ceux fournis par un tiers indépendant au sein de la chaîne d’approvisionnement de l’entreprise (stockage de données, accès haut débit, électricité, par exemple). Certains d’entre eux néanmoins jugent que les données des utilisateurs peuvent être considérées comme des actifs incorporels de valeur pour les entreprises du numérique, et, en ce sens, comme étant associés aux défis plus larges identifiés plus haut pour les actifs incorporels. D’autres en revanche ne voient pas la fourniture de contenu généré par les utilisateurs ou les interactions entre eux et les entreprises à forte composante numérique comme des opérations de troc entre ces deux parties. Aucun consensus ne se dégage à ces sujets entre les pays.
L’importance du rôle attribué ou non, selon les points de vue, aux données et à la participation des utilisateurs dans le processus de création de valeur sous l’angle fiscal conditionnera la question de savoir si ces facteurs doivent être considérés comme des défis fiscaux résultant de l’évolution des modèles d’affaires, ou si ces défis doivent être considérés comme spécifiques à l’application des règles fiscales internationales aux entreprises à forte composante numérique ou concernent dans tous les cas les règles fiscales internationales dans leur ensemble. De plus, certaines entreprises à forte composante numérique peuvent ne pas poser de difficultés sur le plan fiscal, si ces difficultés sont définies uniquement en référence à l’utilisation des données et à la participation des utilisateurs. En effet, les entreprises à forte composante numérique ne sont pas toutes tributaires au même degré des données et de la participation des utilisateurs.
Dans ce contexte, des travaux supplémentaires peuvent être nécessaires pour évaluer dans quelle mesure il est possible de concilier les différents points de vue pour obtenir un consensus sur l’ampleur des défis fiscaux à long terme et, partant, sur les solutions pérennes envisageables. Les répercussions fiscales de l’analyse sur la numérisation, les modèles d’affaires et la création de valeur présentée dans ce chapitre sont examinées plus en détail dans le chapitre 5.
Références
[95] Alstadsæter, A. et al. (2015), Patent Boxes Design, Patents Location and Local R&D, CEPR Discussion Paper, https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2624634.
[70] Amador, J. et F. Di Mauro (2015), « The age of global value chains: Maps and policy issues », Centre for Economic Policy Research (CEPR), http://dx.doi.org/10.1002/1521-3862(200008)6:4<185::AID-CVDE185>3.0.CO;2-M.
[69] Armstrong, M. (2006), « Competition in two-sided markets », The RAND Journal of Economics, pp. 668--691.
[68] Aslam, A. et A. Shah (2017), Taxation and the Peer-to-Peer Economy, IMF Working Papers.
[105] Bacache-Beauvallet, M. (2017), « Tax competition, tax coordination, and e-commerce », Journal of Public Economic Theory, http://dx.doi.org/10.1111/jpet.12254.
[67] Baldwin, R. (2006), « Globalisation: the great unbundling(s) », http://appli8.hec.fr/map/files/globalisationthegreatunbundling(s).pdf (consulté le 31 octobre 2017).
[71] Bauer, J. et M. Latzer (2016), Handbook on the economics of the internet, Edward Elgar Publishing.
[73] Belleflamme, P. et E. Toulemonde (2016), Tax Incidence on Competing Two-Sided Platforms: Lucky Break or Double Jeopardy, CESifi Working Paper Series, http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2777364 (consulté le 02 novembre 2017)
[75] Bloch, F. et G. Demange (2017), « Taxation and privacy protection on Internet platforms », Journal of Public Economic Theory, http://dx.doi.org/10.1111/jpet.12243.
[24] Bloch, F. et al. (2016), « Taxation and Privacy Protection on Internet Platforms * ».
[74] Bourreau, M., B. Caillaud et R. De Nijs (2017), « Taxation of a digital monopoly platform », Journal of Public Economic Theory, http://dx.doi.org/10.1111/jpet.12255.
[66] Brandenburger, A. et H. Stuart (1996), « Value-based Business Strategy », Journal of Economics & Management Strategy, vol. 5/1, pp. 5-24, http://dx.doi.org/10.1111/j.1430-9134.1996.00005.x.
[84] Brynjolfsson, E. (2011), « ICT, innovation and the e-economy », European Investment Bank Papers, vol. 16/2, https://www.econstor.eu/handle/10419/54668 (consulté le 02 novembre 2017), pp. 60-76.
[65] Brynjolfsson, E. et et al. (2015), Open letter on the digital economy, https://scholar.google.fr/scholar?hl=fr&as_sdt=0,5&q=brynjolfsson+mcafee+2015 (consulté le 31 octobre 2017).
[64] Brynjolfsson, E. et A. McAfee (2015), « Will Humans Go the Way of Horses », Foreign Affairs, vol. 94, http://heinonline.org/HOL/Page?handle=hein.journals/fora94&id=780&div=&collection= (consulté le 31 octobre 2017).
[96] Brynjolfsson, E. et al. (2008), « Scale without mass: business process replication and industry dynamics », Harvard Business School Technology & Operations Mgt. Unit Research Paper.
[22] Caillaud, B. et B. Jullien (2003), « Chicken & egg: competition among intermediation service providers », RAND Journal of Economics Journal of Economics, vol. 34/2, pp. 309-328.
[63] Clausen, S. et S. Hirth (2016), « Measuring the value of intangibles », Journal of Corporate Finance, vol. 40, pp. 110-127, http://dx.doi.org/10.1016/j.jcorpfin.2016.07.012.
[62] Coase, R. (1937), « The nature of the firm », economica, vol. 4/16, pp. 386--405.
[59] Corrado, C. et al. (2012), Intangible Capital and Growth in Advanced Economies: Measurement and Comparative Results, CEPR Discussion Paper, https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2153512 (consulté le 31 octobre 2017).
[61] Corrado, C., C. Hulten et D. Sichel (2009), « Intangible Capital and U.S. Economic Growth », Review of Income and Wealth, vol. 55/3, pp. 661-685, http://dx.doi.org/10.1111/j.1475-4991.2009.00343.x.
[60] Corrado, C. et B. Van Ark (2016), The Internet and productivity, Edward Elgar Publishing.
[78] Crémer, J. (2015), « Taxing network externalities », Taxation and the digital economy: A survey of theoretical models.
[58] Crozet, M. et E. Milet (2017), « Should everybody be in services? The effect of servitization on manufacturing firm performance », Journal of Economics & Management Strategy, http://dx.doi.org/10.1111/jems.12211.
[20] Delipalla, S. et M. Keen (1992), « The comparison between ad valorem and specific taxation under imperfect competition », Journal of Public Economics.
[57] Devereux, M. et S. Loretz (2012), « What do we know about corporate tax competition? », Oxford University - Centre for Business Taxation, http://eureka.sbs.ox.ac.uk/4386/1/WP1229.pdf (consulté le 31 octobre 2017).
[56] Dischinger, M. et N. Riedel (2011), « Corporate taxes and the location of intangible assets within multinational firms », Journal of Public Economics, vol. 95/7-8, pp. 691-707, http://dx.doi.org/10.1016/J.JPUBECO.2010.12.002.
[54] Dudar, O., C. Spengel et J. Voget (2015), « The Impact of Taxes on Bilateral Royalty Flows », ZEW Centre for European Economic Research, http://ftp.zew.de/pub/zew-docs/dp/dp15052.pdf (consulté le 31 octobre 2017).
[55] Dudar, O. et J. Voget (2016), Corporate Taxation and Location of Intangible Assets: Patents vs. Trademarks, ZEW- Centre for European Economic Research Discussion Paper, https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2753656 (consulté le 31 octobre 2017).
[51] Evans, D. (2016), Multisided Platforms, Dynamic Competition, and the Assessment of Market Power for Internet-Based Firms, University of Chicago Coase-Sandor Institute for Law & Economics Research Paper No.753, https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2746095 (consulté le 31 octobre 2017).
[53] Evans, D. et R. Schmalensee (2013), The Antitrust Analysis of Multi-Sided Platform Businesses, http://www.nber.org/papers/w18783 (consulté le 31 octobre 2017).
[50] Evans, D. et al. (2011), Platform Economics: Essays on Multi-Sided Businesses, https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1974020 (consulté le 31 octobre 2017).
[49] Feld, L., J. Heckemeyer et M. Overesch (2013), « Capital structure choice and company taxation: A meta-study », Journal of Banking & Finance, vol. 37/8, pp. 2850-2866, http://dx.doi.org/10.1016/J.JBANKFIN.2013.03.017.
[85] Filistrucchi, L., D. Geradin et E. Van Damme (2013), « Identifying Two-Sided Markets », World Competition, vol. 36, http://heinonline.org/HOL/Page?handle=hein.kluwer/wcl0058&id=37&div=&collection= (consulté le 02 novembre 2017).
[48] Fink, C., M. Khan et H. Zhou (2016), « Exploring the worldwide patent surge », Economics of Innovation and New Technology, vol. 25/2, pp. 114-142, http://dx.doi.org/10.1080/10438599.2015.1055088.
[47] Fontagné, L. et A. Harrison (2017), « The factory-free economy: Outsourcing, servitization and the future of industry », NBER Working Paper series, http://www.nber.org/papers/w23016 (consulté le 31 octobre 2017).
[46] Fudenberg, D. et G. Ellison (2003), Knife-Edge or Plateau: When Do Market Models Tip?, Harvard University Department of Economics.
[45] Gibbons, R. (2005), « Four formal(izable) theories of the firm? », Journal of Economic Behavior & Organization, vol. 58, pp. 200-245, http://dx.doi.org/10.1016/j.jebo.2004.09.010.
[106] Goldfarb, A., S. Greenstein et C. Tucker (2015), Economic analysis of the digital economy, University of Chicago Press.
[44] Griffith, R., H. Miller et M. O'Connell (2014), « Ownership of intellectual property and corporate taxation », Journal of Public Economics, vol. 112, pp. 12-23, http://dx.doi.org/10.1016/j.jpubeco.2014.01.009.
[90] Hagel, J. et M. Singer (1999), « Unbundling the corporation. », Harvard business review, vol. 77/2, http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/10387769 (consulté le 02 novembre 2017), pp. 133-41, 188.
[93] Hagiu, A. et J. Wright (2015a), « Marketplace or Reseller? », Management Science, vol. 61/1, pp. 184-203, http://dx.doi.org/10.1287/mnsc.2014.2042.
[94] Hagiu, A. et J. Wright (2015b), « Multi-sided platforms », International Journal of Industrial Organization, vol. 43, pp. 162-174.
[43] Haucap, J. et U. Heimeshoff (2014), « Google, Facebook, Amazon, eBay: Is the Internet driving competition or market monopolization? », International Economics and Economic Policy, vol. 11/1-2, pp. 49-61, http://dx.doi.org/10.1007/s10368-013-0247-6.
[42] Imbs, J. et I. Mejean (2017), « Trade Elasticities », Review of International Economics, vol. 25/2, pp. 383-402, http://dx.doi.org/10.1111/roie.12270.
[41] Jorgenson, D. et Z. Griliches (1967), « The Explanation of Productivity Change », The Review of Economic Studies, vol. 34/3, p. 249, http://dx.doi.org/10.2307/2296675.
[79] Karkinsky, T. et N. Riedel (2012), « Corporate taxation and the choice of patent location within multinational firms », http://dx.doi.org/10.1016/j.jinteco.2012.04.002.
[12] Keen, M. (1998), « The Balance between Specific and Ad Valorem Taxation », Fiscul Studies, vol. 19/1, pp. 1-37.
[40] Keen, M. et K. Konrad (2012), « International Tax Competition and Coordination », Working Paper of the Max Planck Institute for Tax Law and Public Finance , http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.2111895.
[8] Kind, H. et M. Koethenbuerger (2017), « Taxation in digital media markets », Journal of Public Economic Theory, vol. 1.
[10] Kind, H., M. Koethenbuerger et G. Schjelderup (2009), « On revenue and welfare dominance of ad valorem taxes in two-sided markets », Economics Letters.
[11] Kind, H., M. Koethenbuerger et G. Schjelderup (2008), « Efficiency enhancing taxation in two-sided markets », Journal of Public Economics.
[9] Kind, H., M. Koethenbuergery et G. Schjelderup (2010), « Tax responses in platform industries », Oxford Economic Papers.
[86] Knut, H. et Ø. Fjeldstad (2017), which business models are most affected by digital?, The Smart Manager, http://www.thesmartmanager.com/digitization/which-business-models-are-most-affected-by-digital.html (consulté le 02 novembre 2017).
[80] Kotsogiannis, C. et K. Serfes (2010), « Public Goods and Tax Competition in a Two-Sided Market », Journal of Public Economic Theory, vol. 12/2, pp. 281-321, http://dx.doi.org/10.1111/j.1467-9779.2009.01439.x.
[39] Kuchinke, B. et M. Vidal (2016), « Exclusionary strategies and the rise of winner-takes-it-all markets on the Internet », Telecommunications Policy, vol. 40/6, pp. 582-592, http://dx.doi.org/10.1016/J.TELPOL.2016.02.009.
[38] Lambrecht, A. et al. (2014), « How do firms make money selling digital goods online? », Marketing Letters, vol. 25/3, pp. 331--341.
[37] McAfee, A. et E. Brynjolfsson (2008), « Investing in the IT that makes a competitive difference », Harvard Business Review, vol. 86, https://scholar.google.fr/citations?user=lqyGZpQAAAAJ&hl=fr&oi=sra (consulté le 31 octobre 2017), p. 98.
[97] OCDE (2016), « ICTs and Jobs: Complements or Substitutes? », OECD Digital Economy Papers, no. 259, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/5jlwnklzplhg-en.
[98] OCDE (2015), « Mapping the global data ecosystem and its points of control », dans Data-Driven Innovation : Big Data for Growth and Well-Being, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/9789264229358-6-en.
[110] OCDE (2014), Global Value Chains: Challenges, Opportunities, and Implications for Policy.
[100] OCDE (2015b), Addressing the Tax Challenges of the Digital Economy ACTION 1: 2015 Final Report, Éditions OCDE, Paris.
[103] OCDE (2015c), ICTS, Jobs and Skills: New Evidence from the OECD PIAAC Survey, Éditions OCDE, Paris.
[111] OCDE (2015d), Science, technologie et industrie : Tableau de bord de l'OCDE 2015 : L'innovation au service de la croissance et de la société, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/sti_scoreboard-2015-fr.
[99] OCDE (2015a), « The Future of Productivity », Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/9789264248533-en.
[101] OCDE (à paraître), Vectors of Digital Transformation, Éditions OCDE, Paris.
[81] Olbert, M. et C. Spengel (2017), « International Taxation in the Digital Economy: Challenge Accepted? », World Tax Journal 3, https://www.ibfd.org/sites/ibfd.org/files/content/img/product/april_ppv_wtj_2017_01_int_4_international_taxation.pdf (consulté le 02 novembre 2017).
[102] OMPI (2016), Propriété intellectuelle : Faits et chiffres de l’OMPI 2016, http://www.wipo.int/edocs/pubdocs/fr/wipo_pub_943_2016.pdf (consulté le 31 octobre 2017).
[77] Peitz, M. et J. Waldfogel (2012), The Oxford handbook of the digital ecoomy, Oxford University Press, https://scholar.google.fr/scholar?hl=fr&as_sdt=0%2C5&q=Peitz+and+Waldfogel&btnG= (consulté le 02 novembre 2017).
[87] Porter, M. (2001), « Strategy and the Internet », Harvard Business Review, vol. 79/3, https://hbswk.hbs.edu/item/strategy-and-the-internet (consulté le 02 novembre 2017), pp. 64-78.
[109] Porter, M. (1985), Competitive Advantage Creating and Sustaining Superior Performance, The Free Press, New York.
[36] Rayport, J. et J. Sviokla (1995), « Exploiting the Virtual Value Chain », Harvard Business Review, https://www.os3.nl/_media/2011-2012/rayport_-_exploiting_the_virtual_value_chain.pdf (consulté le 31 octobre 2017).
[35] Rochet, J. et J. Tirole (2003), « Platform competition in two-sided markets », Journal of the european economic association, pp. 990--1029.
[5] Rochet, J., J. Tirole et J. Tir (2006), « Two-Sided Markets: A Progress Report », Source: The RAND Journal of Economics Journal of Economics, vol. 37/3, pp. 645-667.
[33] Rosenblat, A. et L. Stark (2016), « Algorithmic labor and information asymmetries: A case study of Uber’s drivers », International Journal of Communication, vol. 10, pp. 3758-84.
[4] Rysman, M. (2009), « The Economics of Two-Sided Markets What Defines a Two-Sided Market? », Journal of Economic Perspectives—Volume, vol. 23/3—Summer, pp. 125-143.
[31] Shapiro, C. et H. Varian (1999), Information rules : a strategic guide to the network economy, Harvard Business School Press, https://books.google.fr/books?hl=en&lr=&id=z0hQ12PrERMC&oi=fnd&pg=PR9&dq=Information+rules:+a+strategic+guide+to+the+network+economy&ots=XAUC-yNij9&sig=HO4zSS1eaNivaJ4sm3EaLPP-Zug&redir_esc=y#v=onepage&q=Information%20rules%3A%20a%20strategic%20guide%20to%20the%20network%20economy&f=false (consulté le 31 octobre 2017).
[3] Shy, O. (2011), « A Short Survey of Network Economics », Review of Industrial Organization.
[107] Shy, O. (2001), The economics of network industries, Cambridge University Press.
[30] Solow, R. (1957), « Technical Change and the Aggregate Production Function », The Review of Economics and Statistics, vol. 39/3, https://faculty.georgetown.edu/mh5/class/econ489/Solow-Growth-Accounting.pdf (consulté le 31 octobre 2017), pp. 312-320.
[29] Stabell, C. et Ø. Fjeldstad (1998), Configuring Value for Competitive Advantage: On Chains, Shops, and Networks, Wiley, http://dx.doi.org/10.2307/3094221.
[108] Thompson, J. (1967), Organizations in action : social science bases of administrative theory, Transaction Publishers.
[83] Tremblay, M. (2016), « Taxation on a Two-Sided Platform ».
[91] Varian, H., J. Farrell et C. Shapiro (2004), The economics of information technology : an introduction, Cambridge University Press.
[28] Williamson, O. (1976), « Franchise bidding for natural monopolies-in general and with respect to CATV », The Bell Journal of Economics, pp. 73-104.
[104] WIPO (2016), WIPO IP Facts and Figures 2016, http://www.wipo.int/edocs/pubdocs/en/wipo_pub_943_2016.pdf (consulté le 31 octobre 2017).
[27] Wu, T. (2010), « In the grip of the new monopolists », The Wall Street Journal, https://scholar.google.com/scholar?q=In+the+grip+of+the+new+monopolists (consulté le 31 octobre 2017).
Annexe 2.A. Les modèles d’affaires à forte composante numérique
Chaîne de valeur : revendeur de biens matériels
Description générale du modèle économique
Un revendeur crée de la valeur en vendant des biens aux clients finaux par l’intermédiaire d’une boutique en ligne. L’objectif général pour la valeur est de revendre des biens achetés à des fournisseurs d’intrants aux clients finaux avec une majoration de prix. Les biens peuvent être de type matériel (livres, par exemple) ou immatériel (par exemple, téléchargement numérique de musique ou de logiciels). La boutique en ligne d’un revendeur peut exister parallèlement ou non à des magasins de détail dans le monde réel.
Le graphique de l’annexe 2.A.1 montre sous une forme schématisée les composantes du modèle d’affaires d’un revendeur. L’entité centrale est responsable de l’infrastructure de l’entreprise (organisation, systèmes de contrôle), de la gestion des ressources humaines, du développement technologique (y compris le développement de la plateforme et de l’infrastructure informatique essentielle), des activités de recherche-développement et des stratégies globales de marketing et de vente. Cette entité a une filiale située dans un autre pays (probablement en fait plusieurs filiales situées en de nombreux endroits différents). La filiale s’occupe des ventes locales à l’intérieur de son propre pays ou d’un pays voisin (lorsqu’elle dessert une région). Cela exige un certain degré d’adaptation locale de la plateforme, par exemple la traduction du site internet principal dans la ou les langues locales. La filiale traite les interactions avec les clients finaux. Les clients consultent le site internet de l’entreprise dans leur langue, choisissent les biens à acheter et fournissent les informations requises en tant qu’utilisateurs, à savoir une adresse électronique, une adresse physique pour la livraison des biens, et des données de paiement. Leur commande est ensuite traitée directement par la filiale ou transmise pour exécution à un fournisseur distinct de services logistiques. Les filiales locales peuvent mener des activités de développement de logiciels en sus des services locaux d’assistance au consommateur et des activités locales de marketing et de vente.
Revenus
Dans le modèle d’affaires de type revendeur, la principale source de bénéfice est la majoration du prix de vente des biens (matériels ou immatériels). Certains revendeurs offrent des services premiums comme la gratuité progressive de l’expédition sur certains produits via un système d’abonnement (par exemple, Amazon Prime). Les revendeurs peuvent aussi vendre à des tiers les données qu’ils recueillent sur les clients.
Utilisation et détention de la propriété intellectuelle
La propriété intellectuelle est une importante source de valeur pour nombre d’entreprises à forte composante numérique, y compris les revendeurs. Les droits de propriété intellectuelle (DPI) sont les droits exclusifs détenus par divers propriétaires d’actifs liés au savoir bénéficiant d’une protection légale au titre de la législation applicable en matière de propriété intellectuelle. Les principaux types de DPI englobent les brevets, les droits d’auteur, de conception et de marque, et les indications géographiques. Les secrets commerciaux sont aussi parfois considérés comme propriété intellectuelle, bien qu’un grand nombre de pays ne leur accordent pas expressément ce statut.
Les entreprises de revendeurs sont souvent détentrices de marques commerciales, de marques de services, de droits d’auteur, de brevets, de noms de domaine, d’habillages commerciaux, de secrets commerciaux et de technologies brevetées qui sont essentielles à leurs activités numériques. Un revendeur en ligne ne peut exister sans une plateforme et des technologies brevetées. Ces entreprises signent aussi parfois des accords de confidentialité et/ou de licence avec leurs employés, leurs clients, leurs partenaires et d’autres acteurs afin de protéger l’exclusivité de leurs droits.
Données
Lors de leur interaction avec le site internet ou l’application de l’entreprise, les clients fournissent des données. Cette interaction peut être délibérée, par exemple lorsqu’ils créent un profil, sauvegardent des sujets d’intérêt pour consultation ultérieure ou effectuent un achat. Elle peut aussi être passive, par exemple lorsqu’ils visitent le site de l’entreprise ou autorisent cette dernière à accéder à leur historique de navigation ou à leurs données de géolocalisation. L’entreprise peut aussi avoir accès à des données par la voie des applications ouvertes en même temps ou d’autres sites visités par un client. Cette collecte d’information, et la valeur qu’il est possible d’en tirer au moyen de l’analyse des données, constitue un aspect important du modèle d’affaires des revendeurs.
Un revendeur extrait de la valeur des données des clients de deux façons. Premièrement, il utilise certaines informations à caractère personnel comme les données de type démographique ainsi que les données sur le comportement des clients et leurs choix de produits pour connaître leurs préférences individuelles et, sur la base de celles-ci, améliorer ses produits et personnaliser ses activités de marketing. Les boutiques et applications en ligne peuvent être adaptées à chaque consommateur. Deuxièmement, un revendeur peut aussi se servir des données pour différencier les prix, en faisant payer aux clients des prix différents en fonction des données personnelles recueillies.
Il existe encore peu d’informations publiques sur les stratégies potentielles de différenciation des prix des revendeurs. Certaines entreprises nient modifier leurs prix en fonction des données personnelles des consommateurs mais les indications empiriques à ce sujet sont néanmoins très nombreuses (Mohammed, 2017). Passant en revue les éléments montrant que les détaillants américains pratiquent la différenciation des prix, un rapport du Conseil économique de la Présidence des États-Unis de 2015 identifie trois types de méthodes de différenciation des prix : (i) l’exploitation de la courbe de la demande, qui s’appuie sur la réalisation de tests en ligne pour déterminer l’élasticité de la demande ; (ii) le pilotage et la différenciation des prix sur la base des données démographiques ; et (iii) le ciblage comportemental et la tarification personnalisée (CEA, 2015). Pour autant que ces méthodes soient utilisées, elles permettent aux revendeurs de s’approprier le surplus du consommateur20 en se servant des données et en maximisant ainsi leurs profits.
Chaîne de valeur
Comme indiqué précédemment, la chaîne de valeur de Porter comprend cinq activités principales : logistique amont, exploitation, logistique aval, marketing et ventes, et service. Le graphique de l’annexe 2.A.2 montre les chaînes de valeur correspondant à un revendeur traditionnel (partie A) et à un revendeur ayant adopté un modèle d’affaires à forte composante numérique (ci-après « revendeur numérique ») (partie B). En comparant les modèles d’affaires de détail traditionnel et ceux à plus forte composante numérique au regard de chacune des activités essentielles de la chaîne de valeur, les paragraphes suivants examinent comment les éléments clés du modèle d’affaires de détail traditionnel sont affectés par la transformation numérique.
Dans la chaîne de valeur, la technologie a pour fonction de soutenir chacune des activités principales. Cela est vrai aussi bien dans l’économie traditionnelle que dans la numérisation de l’économie. Cependant, dans le contexte de la transformation numérique, la technologie a pris une importance capitale. L’utilisation et le développement de la technologie constituant des atouts concurrentiels déterminants entre entreprises à forte composante numérique, nous examinons aussi le rôle de la technologie dans les deux types de modèle d’affaires (traditionnel/numérique) au regard de chacune des activités principales de la chaîne de valeur.
Logistique amont
Les activités logistiques amont d’un revendeur numérique sont par bien des aspects similaires à celles d’un revendeur traditionnel : l’un et l’autre ont besoin de s’approvisionner en produits et de recourir à des fournisseurs, de recevoir et de stocker les produits à vendre, et de maintenir des stocks dans des entrepôts. Toutefois, il existe aussi un certain nombre de différences entre eux.
La première différence concerne la portée géographique de leurs activités : alors qu’un revendeur traditionnel opère généralement dans un seul pays ou territoire ou dans un nombre limité de pays où se trouve le bassin de clients qu’il dessert, la vente de produits en ligne permet à un revendeur numérique d’atteindre directement les clients du monde entier. Cela l’oblige par conséquent à effectuer aussi une partie de sa logistique amont à l’échelle mondiale. La recherche de fournisseurs de produits finis, par exemple, peut être effectuée à la fois dans le pays où se trouve le siège de l’entreprise et dans les pays où existe un marché, en particulier si le détaillant cherche à répondre aux préférences des clients locaux.
En outre, un revendeur numérique qui vend des marchandises à l’échelle mondiale peut maintenir en partie des stocks de produits à l’intérieur ou à proximité des pays où existe un marché, ce qui exige pour lui de disposer d’équipements d’entreposage ou de traitement des commandes à l’intérieur ou à proximité de ces pays. Une dernière différence en termes de logistique amont tient au fait qu’alors qu’un revendeur traditionnel maintient une ou plusieurs boutiques de détail physiques et a donc besoin d’immobilier commercial, un revendeur numérique, même s’il lui faut disposer d’immobilier logistique sous la forme d’entrepôts, a moins besoin – au moins jusqu’ici – de boutiques de détail en dur. Cela permet à l’entreprise d’économiser les coûts fixes associés à l’immobilier commercial – coûts d’achat ou de location – ainsi que les coûts variables de la main-d’œuvre nécessaire au fonctionnement des boutiques de détail.
Exploitation
De même que la logistique amont, l’exploitation d’un revendeur numérique est similaire à celle d’un revendeur traditionnel : l’un et l’autre doivent maintenir des systèmes d’inventaire et de paiement et participer potentiellement à la fabrication de biens. La différence essentielle est qu’un revendeur numérique doit prendre en charge le développement technologique d’une plateforme en ligne, qui est la clé de ses opérations et de sa stratégie commerciale.
Les intrants technologiques qui sous-tendent la plateforme – matériel informatique et logiciels, ingénieurs en logiciels, concepteurs de site internet, algorithmes et propriété intellectuelle plus généralement – représentent chacun un investissement clé pour un revendeur numérique, alors que ces intrants ne jouent qu’un rôle limité dans l’exploitation d’un revendeur traditionnel. Certains revendeurs numériques effectuent eux-mêmes cet investissement crucial, tandis que d’autres externalisent les fonctions correspondantes (par exemple via une entreprise d’informatique en nuage). Quoi qu’il en soit, le développement technologique constitue un aspect essentiel de leur modèle d’affaires.
La gestion des stocks présente généralement les mêmes caractéristiques pour les deux types de revendeurs mais un revendeur numérique gère principalement des marchandises entreposées (et non des stocks conservés à la fois en entrepôt et dans des boutiques de détail). En ce qui concerne la réception des paiements, comme il accepte uniquement les paiements par voie électronique, un revendeur numérique n’a pas besoin d’organiser le transport physique régulier d’argent liquide et de chèques jusqu’à une banque. Les systèmes d’inventaire et de paiement peuvent être gérés au siège central de l’entreprise ou dans les centres régionaux.
Logistique aval
Les principales activités logistiques en aval d’un revendeur traditionnel comprennent le transport des marchandises depuis les entrepôts jusqu’aux magasins de détail et le maintien des stocks de ces magasins. Aucune de ces activités n’est nécessaire pour un revendeur numérique. Les marchandises sont vendues directement à partir du réseau d’entrepôts de l’entreprise sans qu’il soit besoin de conserver des stocks au niveau de boutiques de détail.
Un revendeur numérique reçoit les commandes des clients par le biais de sa plateforme en ligne et ces commandes peuvent émaner de n’importe quel pays étranger où l’entreprise, bien que n’y ayant pas son siège, a une présence commerciale. Un revendeur numérique n’a pas besoin de boutiques de détail dans les pays qu’il dessert commercialement mais il aura quand même besoin le plus souvent d’y maintenir des équipements d’entreposage et des employés pour effectuer les tâches d’exécution des commandes. Les revendeurs numériques emploient généralement de nombreux manutentionnaires dans leurs entrepôts mais il est probable que les tâches correspondantes seront de plus en plus automatisées à l’avenir.
Les clients emportent généralement leurs achats en sortant d’une boutique de détail et, en dehors des entreprises dont les ventes comportent une part importante de livraisons à domicile, il n’est pas généralement nécessaire d’assurer l’expédition des marchandises. En revanche, l’organisation systématique du traitement des commandes reçues via internet et de l’expédition des marchandises aux clients finaux constitue un aspect essentiel de l’activité d’un revendeur numérique. Le regroupement des commandes et les tâches d’expédition sont effectués dans des centres de traitement qui existent dans divers pays et font un usage intensif des technologies robotiques pour gérer la réception, le stockage, la collecte et l’expédition des produits. Un revendeur numérique peut recourir pour l’expédition des produits à des entreprises tierces spécialisées. Il peut aussi gérer sa propre entreprise d’expédition.
Marketing et ventes
Comme indiqué plus haut à propos de l’utilisation des données des consommateurs dans le contexte de la vente de détail, les activités de vente et de marketing d’un revendeur numérique diffèrent sous plusieurs aspects importants de celles d’un revendeur traditionnel. Alors qu’un revendeur traditionnel collecte des données sur ses clients potentiels en analysant les commandes antérieures et en réalisant des études de marché, la navigation internet laisse derrière elle une traînée d’informations numériques bien plus riches que celles qu’il était possible de recueillir auparavant, et ces données de portée beaucoup plus étendue sont recueillies en grandes quantités en temps réel. Les données recueillies par un revendeur numérique sont aussi de meilleure qualité car elles portent sur les modes de comportement et les préférences des usagers individuels. L’utilisation de ces données induit plusieurs différences fondamentales entre les modèles d’affaires des revendeurs classiques et axé sur le numérique.
La première différence fondamentale concerne la fixation des prix de détail. Un revendeur numérique a toujours la possibilité de différencier les prix en se servant des données sur l’offre d’un produit et la demande des consommateurs, le niveau de la demande pour un produit donné étant déterminé en analysant les achats antérieurs des usagers et leur historique de navigation. La différenciation des prix permet aussi à un revendeur numérique d’imposer le prix maximum que les consommateurs sont prêts à payer.
Un revendeur numérique peut différencier les prix au niveau individuel, alors qu’un revendeur traditionnel ne peut les différencier que très grossièrement, par exemple en fonction de l’âge des consommateurs, en offrant des prix réduits à certains groupes d’âge (par exemple les rabais pour personnes âgées). Un revendeur traditionnel attache une étiquette de prix matérielle à chacun de ses produits en stock, tandis qu’un revendeur numérique peut modifier les prix de manière numérique. La possibilité d’ajuster les prix en temps réel permet à une entreprise numérique de capturer une plus grande partie du surplus du consommateur qu’un revendeur traditionnel en différenciant les prix de façon plus fréquente.
La seconde différence fondamentale concerne les activités de marketing. Un aspect important de l’activité d’un revendeur numérique est sa capacité à analyser l’information relative aux consommateurs de façon à adapter et cibler la publicité en fonction des préférences et du comportement de chaque consommateur. Alors qu’un revendeur traditionnel recourt généralement à des formes de publicité visant un large public (presse écrite, télévision, panneaux d’affichage), un revendeur numérique a la possibilité d’intégrer la publicité aux pages web particulières que visitent les consommateurs, que ce soit sur son site propre (par exemple en présentant une version adaptée du site à chaque consommateur) ou ailleurs sur le web (au moyen d’annonces payées de type plus traditionnel). La publicité en ligne permet aux annonceurs de cibler plus précisément leurs dépenses publicitaires ; en outre, la structure de coût de cette forme de publicité repose généralement sur le « paiement par clic », c’est-à-dire qu’ils ne paient une annonce que lorsqu’un consommateur la consulte explicitement. Ces caractéristiques font que la publicité en ligne offre aux annonceurs un produit bien supérieur à ses homologues qui utilisent encore des supports traditionnels.
L’analyse des données et le ciblage du consommateur ont, dans une certaine mesure, des équivalents dans le commerce de détail traditionnel : les revendeurs peuvent en effet recueillir des données sur les achats consécutifs de chaque consommateur, par exemple au moyen de cartes de fidélité, et analyser ces achats afin de lui recommander certains produits à l’avenir (en différenciant les prix). Cependant, l’emploi de ces méthodes reste limité dans le cadre des modèles d’affaires classiques. La différence est claire avec la capacité d’un revendeur numérique à analyser les données relatives aux usagers puisque celui-ci peut collecter et analyser de manière systématique une grande quantité de données afin d’améliorer continûment les activités de l’entreprise et leur rentabilité. En particulier, la collecte de données sur la navigation des usagers permet à un revendeur numérique d’enregistrer chacun des produits examinés en ligne par les consommateurs (sans nécessairement les acheter).
Un revendeur numérique, s’il réussit ainsi à identifier des produits désirés mais non achetés, peut mettre à profit cette information en faisant la promotion de ces produits ou en les offrant à un prix inférieur, en obtenant ainsi le prix maximum qu’un consommateur est prêt à payer pour chaque produit. La navigation sur l’Internet laisse des traces numériques qui sont utiles pour connaître les préférences des consommateurs, et le développement des capacités informatiques a rendu possibles leur analyse rapide et le marketing ciblé (y compris la fixation des prix) en temps réel. En outre, les données sont analysées en temps réel, en permettant de suggérer au consommateur qui navigue sur l’Internet des produits pertinents.
Service
Le service client d’un revendeur traditionnel prend la forme d’une aide du personnel de magasin, par exemple pour le traitement des retours. Cette aide a plus de chances d’être fournie de manière électronique par un revendeur numérique, par l’échange de courriels ou au moyen de groupes de discussion en ligne, mais autrement elle n’est pas fondamentalement différente. Un revendeur numérique a cependant la possibilité de maintenir un système d’évaluation en ligne permettant aux usagers d’échanger des avis sur leurs achats récents.
Technologie
Bien que le développement des technologies soit classé parmi les activités de soutien d’un réseau de valeur et non parmi ses activités principales, il est instructif de comparer également les deux modèles d’affaires sous cet angle, étant donné le rôle clé des technologies dans l’économie telle qu’elle est affectée par la transformation numérique. L’infrastructure technologique constitue en effet un intrant clé pour une entreprise de revendeur numérique, qui exige d’importants investissements initiaux et une solide expertise.
L’élément essentiel du modèle d’affaires d’un revendeur numérique est la plateforme en ligne, qui permet de remplacer un réseau de boutiques de détail physiques par un seul magasin virtuel adapté aux besoins de chaque consommateur. Le fait que la vente au détail soit effectuée en ligne permet à l’entreprise d’avoir accès à un large flux de données numériques pertinentes sur la clientèle et d’analyser ces données pour mieux aligner ses produits sur les besoins des consommateurs. Ces capacités reposent sur des moyens technologiques, des logiciels et des algorithmes complexes, qui constituent chacun une source essentielle de valeur et d’avantage concurrentiel pour un revendeur numérique.
Réseau de valeur : activités de VTC et de covoiturage payant
Description générale du modèle d’affaires
Le modèle d’affaires des activités de VTC (véhicules de tourisme avec chauffeur) et de covoiturage payant repose en général sur une plateforme numérique qui produit de la valeur en mettant en relation des conducteurs et des passagers afin que ces derniers puissent effectuer un trajet en payant à chaque course. Il implique les principales étapes suivantes : Premièrement, l’entreprise de VTC ou de covoiturage payant commence par recruter des conducteurs disposant de leur propre véhicule. Deuxièmement, elle gère centralement l’activité des conducteurs, notamment en saisissant les données concernant leurs heures de travail et leur localisation en vue de créer une plateforme de transport. Troisièmement, elle développe une plateforme ainsi qu’une application mobile permettant aux passagers de réserver un véhicule. Enfin, elle veille au maintien de la qualité des transactions à l’aide d’un système d’évaluation permettant aux conducteurs et aux passagers de choisir une note pour décrire la qualité de leur interaction.
Le graphique de l’annexe 2.A.3 décrit schématiquement ce modèle d’affaires. Le siège de l’entreprise est responsable de l’infrastructure (organisation, systèmes de contrôle), de la gestion des ressources humaines, du développement technologique (de la plateforme en particulier), des activités de recherche-développement, ainsi que des stratégies globales de marketing et de vente.
La plateforme peut être utilisée par autre entité pour dans une autre localité (vraisemblablement contre redevance mais les modalités exactes de rémunération ne sont pas connues). Cette entité peut ainsi offrir des services locaux en reconfigurant localement la plateforme et en adaptant en partie le logiciel. La version locale de la plateforme est utilisée par des clients non commerciaux (les conducteurs) et des clients commerciaux (les passagers). Les transactions ont lieu entre conducteurs et passagers, ces derniers payant leur trajet électroniquement à l’entreprise de covoiturage.
Les entreprises de VTC ou de covoiturage payant font généralement appel à un fournisseur de services extérieur (par exemple, une entreprise d’informatique en nuage) pour héberger l’application, stocker les données et assurer d’autres services informatiques comme l’exécution des algorithmes d’analyse des données.
Revenus
La principale source de revenus d’une entreprise de VTC ou de covoiturage payant est constituée par l’ensemble des commissions perçues sur les trajets qui, selon le système de tarification utilisé, peuvent atteindre 20 ou 30 % du prix de chaque transaction. Dans la plupart des cas, le prix de la course est fixé de manière dynamique en fonction de l’offre de véhicules et de la demande de transport dans une localité donnée (Didi Chuxing, Lyft, Ola et Uber) mais, dans certains cas (BlaBlaCar), le prix est basé sur une estimation des coûts encourus par le conducteur. Pour pouvoir utiliser l’application de l’entreprise, un passager doit fournir ses données de carte de crédit afin de permettre le prélèvement automatique du prix de la course à l’arrivée. Une entreprise de covoiturage peut aussi tirer des revenus d’activités commerciales complémentaires comme, par exemple, une plateforme de livraison de repas (UberEATS).
Utilisation et détention de la propriété intellectuelle
Une entreprise de VTC ou de covoiturage payant peut détenir en propre des brevets et des marques protégées afin de protéger sa propriété intellectuelle ainsi que les icônes et la conception de ses applications. Il s’agit souvent de modèles d’utilité portant principalement sur des procédés commerciaux. Comme exemples de modèles d’utilité, on peut citer les éléments visuels servant à faciliter la navigation et les systèmes et méthodes de positionnement dynamique de l’offre de services sur demande. Une entreprise de VTC ou de covoiturage payant peut aussi déposer des logos, les icônes de ses applications et leur modèle. Les brevets et marques déposées peuvent être détenus par l’entreprise mère ou par des filiales étrangères.
Données
Les données des utilisateurs – conducteurs et passagers – sont un intrant essentiel du service fourni par les entreprises de covoiturage. L’énorme quantité de données conservées au sujet des parcours antérieurs, notamment le lieu de départ et d’arrivée, les données de paiement et les coordonnées des utilisateurs (nom, numéro de téléphone et adresse électronique) peut être analysée pour aider l’entreprise à adapter ses modalités de service et ses tarifs. Les données de localisation des utilisateurs, par exemple, sont indispensables au bon fonctionnement des services de VTC et de covoiturage, car la mise en relation des conducteurs et des passagers s’effectue sur la base des données optimales de localisation de tous les conducteurs et passagers du réseau.
Les données recueillies sur les utilisateurs sont également exploitées par l’algorithme de fixation dynamique des prix de l’entreprise, qui tient compte de l’évolution de l’offre de véhicules et de la demande de transport en temps réel. Cela permet à l’entreprise de capturer le surplus du consommateur au moyen de ce qu’on appelle une discrimination par les prix de premier type, c’est-à-dire en personnalisant les prix pour un service identique (Shapiro et Varian, 1999).
Avec la fixation dynamique des prix, l’augmentation de la demande de véhicules par rapport au niveau de l’offre entraîne une hausse des tarifs. Un passager a alors le choix entre accepter de faire le trajet à un tarif plus élevé et attendre que le tarif se rapproche de son prix de réserve. La fixation dynamique des prix permet donc aux entreprises de VTC ou de covoiturage payant d’assurer que les transactions ont lieu au prix maximum qu’un passager est prêt à payer, en transformant ainsi le surplus du consommateur en revenu. Cette méthode de fixation des prix est couramment utilisée par les entreprises reposant sur des plateformes multifaces mettant en contact des acheteurs et des vendeurs (Rochet et Tirole, 2006).
Enfin, les données relatives aux utilisateurs servent à améliorer le service. Conducteurs et passagers évaluent chaque transaction et leurs évaluations sont agrégées sous forme d’une notation sur laquelle l’entreprise s’appuie pour maintenir l’assurance de la qualité du réseau. L’entreprise analyse aussi les données relatives aux utilisateurs pour améliorer la couverture du réseau, par exemple en prenant des mesures pour inciter les conducteurs à circuler à certaines tranches horaires dans certaines parties du réseau. En outre, les données recueillies sur la circulation routière, par exemple sur le temps de conduite ou le nombre des passagers à certaines heures, peuvent présenter un intérêt commercial pour d’autres entreprises telles que les prestataires de services logistiques et les compagnies de transport public.
Réseau de valeur
Comme on l’a vu, un réseau de valeur comprend trois activités principales : promotion du réseau et gestion des contrats, prestation de service et fonctionnement de l’infrastructure réseau. Le graphique de l’annexe 2.A.4 montre les activités du réseau de valeur correspondant à une entreprise de taxis de type classique (partie A) et à une entreprise numérique de VTC ou de covoiturage payant (partie B). Dans les paragraphes qui suivent, nous comparons les deux réseaux de valeur afin de déterminer l’évolution de ce modèle d’affaires induite par la transformation numérique.
Promotion du réseau et gestion des contrats
La promotion du réseau et la gestion des contrats englobent les activités associées au processus d’invitation des utilisateurs potentiels à adhérer au réseau, à la sélection de ceux autorisés à le faire, à l’initialisation, à la gestion, et à la résiliation des contrats régissant la prestation de service, et à la facturation commerciale. L’établissement et la gestion des contrats sont nécessaires aussi bien pour les clients commerciaux que non commerciaux.
La similitude est grande entre le réseau d’une entreprise de VTC ou de covoiturage payant et celui d’une entreprise de taxis de type classique puisque l’un et l’autre reposent sur des chauffeurs disposant d’un véhicule (bien que cela pourrait changer avec la mise en circulation prévue de voitures sans conducteur) et sur des passagers. Les deux types d’entreprise sont tenues de vérifier que les conducteurs sont qualifiés et aptes à conduire aux termes de la réglementation locale. Dans les deux cas, les conducteurs doivent aussi signer un contrat de travail avec l’entreprise et la gestion des contrats des conducteurs est sans doute assez semblable dans les deux types d’entreprises. Néanmoins, il existe plusieurs différences très nettes entre les deux.
La première différence tient au fait qu’aucune condition n’est requise pour devenir passager d’un taxi de type classique, alors que les passagers d’une entreprise de VTC ou de covoiturage payant doivent se munir au préalable de l’application de l’entreprise et sont donc obligés de révéler leur identité au conducteur (nom et numéro de téléphone) et à l’entreprise (nom, numéro de téléphone et carte de crédit). Comme elles disposent ainsi de données spécifiques sur les utilisateurs, les entreprises de VTC ou de covoiturage payant ont la possibilité d’établir peu à peu un profil des conducteurs et des passagers incluant la localisation, les trajets antérieurs, la disposition à payer le prix fort et la notation de la qualité du service. Lorsqu’ils achèvent une course, conducteurs et passagers sont invités à évaluer au moyen d’une note la qualité de l’interaction. Ces notes sont ensuite agrégées sous forme de résultats dont les entreprises de VTC ou de covoiturage payant se servent pour maintenir la qualité de leurs réseaux (de conducteurs et de passagers). Alors que n’importe qui peut prendre un taxi, seuls les passagers ayant obtenu des notes positives peuvent utiliser l’application, et donc le service ; et tandis que n’importe quel chauffeur qualifié peut conduire un taxi, seuls les conducteurs ayant obtenu des notes positives peuvent utiliser l’application, et donc le service. L’assurance de la qualité du réseau d’une entreprise de VTC ou de covoiturage payant est une valeur créée par la numérisation d’un modèle d’affaires traditionnel.
Une autre différence entre entreprises de VTC ou de covoiturage payant et entreprises de taxis de type classique est que le réseau des premières est beaucoup plus étendu, tant d’un point de vue géographique que par le nombre de conducteurs. Une entreprise de VTC ou de covoiturage payant peut maintenir un réseau mondial de conducteurs et de passagers. Pour devenir conducteur d’une entreprise de covoiturage, un individu doit fournir : un permis de conduire (dont la validité est vérifiée par l’entreprise localement ou par une tierce partie) ; un véhicule dans un état acceptable (mais les conducteurs peuvent aussi louer un véhicule de l’entreprise ou d’une entreprise tierce) ; des plaques d’immatriculation conformes à la réglementation ; et la preuve que le véhicule est couvert par une assurance professionnelle. La seule autre chose dont un conducteur a besoin est l’application de l’entreprise. En revanche, dans la plupart des pays, les chauffeurs de taxi sont soumis à des conditions réglementaires beaucoup plus strictes ; ils doivent en particulier souvent passer un examen professionnel avant de pouvoir commencer à travailler dans le secteur. Une entreprise de VTC ou de covoiturage payant peut donc recruter plus facilement comme sous-traitants un grand nombre de conducteurs, sans avoir à mettre en place des moyens importants de gestion opérationnelle dans les localités où ont lieu les transactions et sans avoir besoin d’y employer un grand nombre de travailleurs. La possibilité pour une entreprise de VTC ou de covoiturage payant de maintenir un réseau mondial de conducteurs constitue, elle aussi, une source de valeur puisqu’un passager peut utiliser le service dont il a l’habitude presque partout dans le monde.
De même, la seule chose que doit faire un passager est de télécharger l’application et de fournir un moyen de paiement électronique. Les entreprises de VTC ou de covoiturage payant peuvent ainsi développer leur base de clients au moyen de la seule transmission des données, sans avoir besoin d’employés ou de personnel d’encadrement dans d’autres pays que celui où elles sont basées.
Prestation de service
La prestation de service englobe les activités associées à l’établissement, au maintien et à la cessation des liaisons avec la clientèle, et à la facturation des services reçus, cette dernière permettant de mesurer l’utilisation des services par les clients.
La fourniture d’un service de transport se fait en trois temps : (i) le conducteur et le passager sont mis en relation ; (ii) une fois mis en relation, ils effectuent la course ; (iii) le passager règle la course. Ces phases sont identiques dans le modèle d’affaires traditionnel et le modèle d’affaires à forte composante numérique – puisque, dans les deux cas, un passager est transporté de A à B dans un véhicule loué – mais l’objectif de transport est atteint par des moyens différents.
Dans le modèle le plus élémentaire d’entreprise de taxis, passagers et conducteurs entrent en relation sans l’aide d’une technologie ou d’un intermédiaire. La transaction a lieu entièrement à l’intérieur d’une seule juridiction et très peu de données – sinon aucune – ne sont conservées au sujet de la transaction. Celle-ci est réglée directement entre le passager et le conducteur.
Dans un modèle légèrement plus avancé d’entreprise de taxis, les passagers peuvent réserver un taxi par téléphone21. Dans ce cas, conducteurs et passagers sont mis en relation par un intermédiaire ou répartiteur. La mise en relation n’implique pas un contact physique et la course, en fait, n’a pas lieu nécessairement dans la localité où se trouve le répartiteur. Néanmoins, la mise en relation des conducteurs et des passagers nécessite une intervention humaine et n’est donc pas infiniment extensible.
Certaines données peuvent être conservées, par exemple l’adresse et le numéro de téléphone des passagers. Ces données peuvent servir à établir une fiche client à des fins d’utilisation future mais ne font sans doute pas l’objet d’une analyse systématique à grande échelle. Le prix de la course est fixé sur la base de tarifs préétablis qui peuvent varier selon l’heure de la journée (par exemple en cas de supplément aux heures de pointe). La transaction est réglée directement entre le passager et le conducteur ou sous forme d’un paiement électronique transmis à l’entreprise, dont une part est ensuite reversée au conducteur.
Contrairement aux entreprises de taxis, les entreprises numériques de VTC ou de covoiturage payant mettent en relation passagers et conducteurs au moyen d’une application ou d’une plateforme recevant les données des utilisateurs en temps réel et reposant sur une technologie de cartographie et des algorithmes. Comparées à un répartiteur de taxis traditionnel, les plateformes de ces entreprises sont beaucoup plus avancées sur le plan technologique. Leurs algorithmes apparient de façon rapide et efficiente conducteurs et passagers à partir des données de localisation des uns et des autres dans une aire donnée. Ces plateformes sont capables de traiter de nombreuses demandes simultanément et sont donc facilement extensibles.
Les passagers communiquent leurs demandes de véhicule au moyen de l’application. Leurs données – localisation actuelle et destination – sont traitées par l’algorithme de l’entreprise qui les apparie à celles d’un conducteur proche. Une fois cette opération effectuée, les données de chacune des parties sont communiquées à l’autre, après quoi le conducteur arrive à l’endroit indiqué par le passager et le contact de numérique devient physique. Les passagers reçoivent une estimation précise de l’heure d’arrivée de leur conducteur et peuvent visualiser l’endroit où il se trouve sur une carte si le lieu de rencontre n’est pas suffisamment précis. Les conducteurs peuvent eux-mêmes voir si un passager s’est éloigné du lieu convenu. Il est clair, par conséquent, que l’infrastructure informatique et la synergie entre données et algorithmes contribuent fortement à la création de valeur.
Les utilisateurs peuvent télécharger l’application n’importe où et l’utiliser dans n’importe quelle localité où l’entreprise est présente. Par conséquent, comme dans le cas d’une course de taxi commandée par le biais d’un répartiteur, il n’est pas nécessaire que le couple conducteur-passager et la plateforme se trouvent dans la même localité. La différence, cependant, est l’échelle à laquelle une entreprise de VTC ou de covoiturage payant peut mettre en relation conducteurs et passagers avec un besoin réduit d’intervention humaine. Le nombre de mises en relation dépend uniquement des capacités informatiques et ces opérations peuvent être effectuées rapidement et de manière efficiente dans le monde entier. En ce qui concerne le règlement de la course, les systèmes de paiement employés dans les deux modèles d’affaires – si l’on compare une entreprise de VTC ou de covoiturage payant à une entreprise de taxis de type classique qui prélève électroniquement le règlement des passagers avant d’en reverser une partie au conducteur – sont les mêmes. Le règlement de la transaction n’est pas effectué entre le passager et le conducteur mais entre le passager et l’entreprise via les données de paiement fournies dans l’application.
Enfin, des différences existent aussi entre entreprises de VTC ou de covoiturage payant et entreprises de taxis de type classique au niveau des services fournis, principalement parce que les premières recueillent des données – informations sur les utilisateurs et évaluations des transactions – qu’elles peuvent ensuite analyser afin de prendre en compte le retour d’information de la clientèle et de mieux répondre à ses besoins. En outre, l’ensemble des transactions sont enregistrées sous forme électronique et un reçu est envoyé systématiquement aux passagers par courriel.
En différenciant les passagers sur la base de leurs besoins et/ou de leurs préférences, les entreprises de VTC ou de covoiturage payant peuvent aussi capturer une part plus grande du surplus du consommateur au moyen d’une discrimination par les prix de deuxième type, c’est-à-dire en créant des versions différentes d’un même produit ou en introduisant des tarifs forfaitaires. Diverses formes de discrimination par les prix existaient cependant déjà dans le modèle d’affaires de taxis de type classique, par exemple selon le type de véhicule (petite voiture, break ou camionnette, par exemple). Les services de location de voiture avec chauffeur permettaient aussi à leurs clients de choisir entre plusieurs catégories de véhicules (voiture professionnelle ou limousine, par exemple) en payant un supplément.
Fonctionnement de l’infrastructure réseau
Le fonctionnement de l’infrastructure réseau englobe les activités associées à la maintenance et à la gestion de l’infrastructure physique et informationnelle d’une entreprise. Les modèles d’affaires traditionnel et à forte composante numérique se ressemblent sous l’angle de l’infrastructure physique puisqu’ils reposent l’un et l’autre sur des véhicules appartenant à et entretenus soit par l’entreprise, soit par les conducteurs. Néanmoins, il existe des différences bien marquées entre les deux. Premièrement, comme indiqué à la section 2, dans une plateforme multifaces, les fournisseurs du service – dans le cas présent les conducteurs – conservent généralement les droits de contrôle et les responsabilités à l’égard de la clientèle. Cela veut dire que la plateforme mettant en contact conducteurs et passagers externalise les risques associés à l’achat du véhicule, aux coûts d’entretien et aux délais de latence, qui incombent aux conducteurs. Il s’agit là d’une source supplémentaire d’avantage concurrentiel. Deuxièmement, une entreprise de VTC ou de covoiturage payant se distingue par la taille importante de son infrastructure informatique, alors que celle-ci reste très limitée dans une entreprise de taxis de type classique.
L’infrastructure informatique d’une entreprise de VTC ou de covoiturage payant présente plusieurs aspects. Premièrement, la fourniture des services repose sur l’obtention de données précises sur la localisation des conducteurs et des passagers, afin de pouvoir les mettre en relation de façon efficiente au moyen d’un algorithme informatique. Deuxièmement, l’entreprise collecte et conserve des données sur les utilisateurs – trajets antérieurs, profil individuel et données de paiement ou informations bancaires – qui contribuent au développement de produits et au maintien de la qualité du réseau. En outre, les entreprises de VTC ou de covoiturage payant exploitent les données relatives aux utilisateurs au moyen d’un algorithme complexe de fixation des prix. Dans le modèle d’affaires d’entreprise de taxis de type classique, les prix reposent sur un système de tarification (parfois établi par la réglementation gouvernementale), varient souvent en fonction de l’heure (en particulier pendant les heures de pointe) et dépendent de l’intensité de la circulation et de la durée de la course. Certains de ces facteurs sont également pris en compte dans les prix pratiqués par les entreprises de VTC ou de covoiturage payant mais celles-ci recourent aussi à la tarification dynamique, c’est-à-dire la fixation des prix en temps réel par un algorithme prenant en compte certains critères habituels (par exemple, le niveau de la circulation et la durée prévue de la course), l’offre de véhicules et la demande de transport dans une aire géographique donné à un moment particulier.
Technologie
Le développement de la plateforme, qui constitue le cœur opérationnel d’une entreprise de VTC ou de covoiturage payant puisqu’elle permet de mettre en relation conducteurs et passagers via la connectivité internet et d’exécuter des algorithmes de fixation des prix, est ce qui distingue clairement les deux modèles d’affaires. Chacun des intrants technologiques sur lesquels repose la plateforme représente un investissement important et décisif, alors que de tels intrants sont bien moins importants dans une entreprise de taxis de type classique. Ces intrants comprennent à la fois une composante physique (matériel informatique, serveurs, etc.) et une composante de capital basé sur le savoir et de propriété intellectuelle (logiciels, ingénieurs informaticiens, algorithmes, etc.). Étant donné cette différence très nette entre les modèles d’affaires, la question de savoir si les entreprises de VTC ou de covoiturage payant devraient être classées parmi les entreprises de transport ou parmi les entreprises de services numériques n’est pas encore résolue.
Les services technologiques essentiels au fonctionnement de ces entreprises peuvent être externalisés et confiés à des tiers (par exemple, des sociétés d’informatique en nuage). Une entreprise de VTC ou de covoiturage payant peut aussi recourir à d’autres prestataires de services (par exemple, Google Maps pour les données de localisation) pour permettre aux utilisateurs de se localiser mutuellement sur l’application.
Par contre, la seule technologie que requiert éventuellement une entreprise de taxis de type classique est un réseau de communication radio entre les conducteurs et/ou les conducteurs et un répartiteur de taxis, ainsi que des moyens de stockage des données de la clientèle (nom, numéro de téléphone, adresse) afin de servir les clients réguliers.
Atelier de valeur : une entreprise d’informatique en nuage
Nous examinons maintenant l’informatique en nuage comme exemple d’atelier de valeur Le choix de l’informatique en nuage comme étude de cas est motivé par le fait que ce modèle d’affaires joue un rôle fondamental dans la numérisation accélérée d’autres entreprises, et donc de l’ensemble de l’économie.
Description générale du modèle d’affaires
Une entreprise d’informatique en nuage crée de la valeur en fournissant à ses clients un large éventail de services informatiques sur demande. Ces services sont généralement fournis sous une forme standardisée et fortement automatisée et, comme indiqué plus en détail dans les pages qui suivent, ils sont de trois types, à savoir : les services infrastructurels en ligne (IaaS), les services de plateforme en ligne (PaaS) et les services logiciels en ligne (SaaS).
Avec l’informatique en nuage, toute une gamme d’activités économiques à base de technologie peuvent être effectuées sur un réseau de serveurs distants accessibles via l’Internet au lieu de serveurs locaux ou d’ordinateurs individuels. Les entreprises – petites et grandes – ont ainsi la possibilité d’externaliser certaines activités. Recourir à l’informatique en nuage leur permet d’éviter d’importants investissements initiaux dans le matériel informatique, en libérant ainsi des ressources pour leur activité principale. En abaissant leurs coûts initiaux, l’informatique en nuage facilite l’entrée sur le marché des start-ups et des entreprises de petite taille qui ne disposent pas généralement des ressources financières et/ou techniques pour développer leur infrastructure propre.
Elles peuvent ainsi s’assurer des capacités informatiques de type et de dimensions adéquates et y avoir accès sur demande. En l’absence de services d’informatique en nuage, une entreprise est obligée par exemple de maintenir des capacités informatiques suffisantes pour traiter un volume maximal : un détaillant en ligne doit disposer de capacités informatiques lui permettant de faire face aux fortes pointes d’activité du trafic sur le site, notamment pendant la période des fêtes, même si ses besoins informatiques sont beaucoup moins élevés pendant le reste de l’année.
L’informatique en nuage permet en outre aux entreprises d’avoir accès à la technologie la plus récente car les systèmes en place dans le nuage sont constamment mis à jour à distance. Ces avantages contribuent à l’adoption rapide des services d’informatique en nuage dans divers secteurs de l’économie, en favorisant la numérisation croissante des entreprises qui mettent à profit cette évolution pour se développer.
Les services d’informatique en nuage, qui rendent possible l’accès à des serveurs virtuels, offrent la capacité d’utiliser et de gérer des applications web via l’informatique à distance, d’exécuter dans certaines éventualités des programmes sur des ordinateurs distants et de réaliser des opérations informatiques groupées à l’échelle requise. Les services de stockage englobent le stockage dans le nuage et le transport des données.
Les services de bases de données comprennent l’entreposage de données, la gestion de bases de données et les systèmes d’antémémoire. Les services de migration de données incluent la migration des bases de données et le transport des données (éventuellement avec une composante physique). Les services de mise en réseau et de fourniture de contenus englobent l’accès à un nuage privé virtuel (nuage isolé contrôlé par le client) et l’utilisation d’un réseau mondial d’acheminement de contenu (grâce auquel des produits comme des vidéos peuvent être fournis très rapidement aux utilisateurs).
Airbnb et Spotify sont deux exemples connus d’entreprises recourant à l’informatique en nuage. Un an après sa création, Airbnb a transféré ses services informatiques à Amazon Web Services afin de disposer d’une plus grande flexibilité dans l’utilisation des serveurs. Amazon Web Services a rendu possible une croissance extrêmement rapide d’Airbnb : le nombre des clients de l’entreprise est en effet passé de 4 millions en janvier 2013 à 15 millions en juin 2014. Airbnb s’en sert pour son application, la mise en mémoire cache (qui permet d’accroître la vitesse des sites web reposant sur des bases de données en mettant en cache les données stockées et en réduisant ainsi le nombre de lectures requises d’une source de données externe) et les serveurs de recherche. Amazon Web Services héberge aussi les fichiers de sauvegarde et les fichiers statiques d’Airbnb, notamment 10 téraoctets de photos d’utilisateurs du site. Spotify utilise ces services pour stocker l’énorme volume de contenu musical, qui est accessible aux utilisateurs du site web et de l’application mobile de Spotify dans le monde entier. De plus, Spotify se sert du CloudFront d’Amazon Web Services pour la fourniture à ses utilisateurs de l’application Spotify et des mises à jour logicielles.
Le graphique de l’annexe 2.A.5 montre schématiquement le modèle d’affaires général d’une entreprise d’informatique en nuage complète, c’est-à-dire offrant les trois types de services mentionnés plus haut (IaaS, PaaS et SaaS). En général, une entreprise de ce type regroupe ses services en trois grandes catégories : services de base, services d’application et services de déploiement et de gestion. Elle commercialise et vend ses services à des clients contre paiement, ce qui implique généralement une relation continue car les services d’informatique en nuage s’intègrent à l’architecture technologique des activités d’un client.
Les entreprises d’informatique en nuage offrent à certains de leurs clients des modules visant à soutenir leur modèle d’affaires au moyen de consultations et d’une aide technologique supplémentaires. Ces modules sont conçus pour inciter les grands utilisateurs à développer et promouvoir leurs activités. Les sociétés d’informatique en nuage offrent aussi parfois des modules de formation et de certification afin d’aider leurs clients à acquérir des connaissances et à développer leurs compétences techniques. Dans ce cas, les participants paient des frais de formation et des frais d’inscription aux examens nécessaires pour obtenir la certification.
Revenus
Dans les modèles d’affaires d’informatique en nuage, les revenus proviennent de la vente de services au niveau mondial. Bien que le système de tarification ne soit pas toujours le même, un attrait essentiel pour les clients est que les services peuvent souvent être utilisés et payés de façon ponctuelle, sans frais initiaux et sans engagement de longue durée. Certaines sociétés d’informatique en nuage déclarent donner la priorité dans leur stratégie à l’innovation infrastructurelle, afin de maintenir les coûts à un niveau peu élevé, car elles conçoivent l’informatique en nuage comme un secteur d’activité à volume élevé et à faible marge bénéficiaire.
Utilisation et détention de la propriété intellectuelle
La création de matériel informatique, d’infrastructure de réseau, de logiciels et d’algorithmes brevetés est un facteur clé d’avantage concurrentiel pour une entreprise d’informatique en nuage. Les sociétés d’informatique en nuage sont propriétaires de divers actifs incorporels.
Données
Hormis leur stockage sur des serveurs, les entreprises d’informatique en nuage n’utilisent guère les données de leurs clients car le maintien de la confidentialité de l’ensemble de l’information qui leur est confiée est pour elles une préoccupation majeure vis-à-vis de la clientèle. Il leur arrive néanmoins d’analyser les données de certains clients, avec leur accord, afin de les aider à améliorer leurs connaissances.
Atelier de valeur
Comme on l’a vu, un atelier de valeur comprend cinq activités principales : constatation et appropriation des problèmes, résolution des problèmes, choix, exécution, et contrôle et évaluation. Lors de la description d’exemples de chaîne de valeur ou de réseau de valeur, nous avons cherché à comparer les modèles d’affaires à forte composante numérique avec leurs homologues traditionnels mais on voit mal ce qui pourrait tenir lieu d’homologue traditionnel d’une entreprise d’informatique en nuage.
Parmi les différents modèles d’affaires examinés dans ce chapitre, le modèle d’affaires d’informatique en nuage est le seul qui soit véritablement nouveau. Dans les paragraphes qui suivent, nous examinons ce modèle économique pour lui-même – sans le comparer au monde pré-numérique – en nous servant du concept d’atelier de valeur décrit précédemment et illustré dans le graphique de l’annexe 2.A.6.
Constatation et appropriation des problèmes
Comme indiqué dans le chapitre précédent, la constatation et l’appropriation des problèmes désignent la catégorie d’activités associées au recensement, à l’examen et à la formulation du problème à résoudre, et au choix de la méthode globale de résolution de ce problème. La constatation et l’appropriation des problèmes ont beaucoup en commun avec l’activité marketing et ventes dans la chaîne de valeur, à savoir l’identification des besoins d’un client et l’application de ressources pour y répondre Selon l’étendue géographique de leurs activités, les sociétés d’informatique en nuage maintiennent en général une force de vente régionale ou mondiale pour l’acquisition de clients, y compris des gouvernements et d’autres clients du secteur public, des individus et des entreprises.
La stratégie commerciale de certaines sociétés d’informatique en nuage consiste, on l’a vu, à acquérir des parts de marché en maintenant les prix à un niveau peu élevé pour stimuler l’accroissement du volume. Les systèmes de tarification sont aussi un moyen d’attirer la clientèle : les modèles tarifaires à la carte permettent en particulier aux petites entreprises de changer rapidement d’échelle sans coûts initiaux importants. Les services d’informatique en nuage favorisent ainsi la numérisation de l’économie et l’apparition d’entreprises plus fortement numérisées présentant les caractéristiques décrites précédemment : économies d’échelle et aptitude à développer des réseaux étendus et souvent transnationaux. Les clients peuvent passer à une échelle opérationnelle supérieure sans avoir besoin d’atteindre une masse critique puisqu’ils n’ont pas besoin d’investir dans leur propre infrastructure informatique. En outre, ils acquièrent la capacité d’effectuer facilement des transactions dans d’autres pays car les services d’informatique en nuage sont aujourd’hui accessibles dans la plupart des régions du monde et peuvent être fournis partout où la connectivité internet existe.
Les entreprises d’informatique en nuage permettent de résoudre de très nombreux problèmes dans le contexte de l’économie telle qu’elle est affectée par la transformation numérique ; leurs services répondent à la quasi-totalité des besoins d’infrastructure technologique des entreprises : de l’espace serveur à la gestion de bases de données et aux applications web.
Résolution de problèmes
Les entreprises d’informatique en nuage offrent généralement des services de trois types principaux :
Des services infrastructurels en ligne (IaaS) : ces services concernent la fourniture de moyens infrastructurels, en particulier des capacités informatiques. Également appelés « services de hardware en ligne », les services IaaS englobent l’ensemble des ressources informatiques physiques nécessaires à la fourniture de services logiciels en ligne, y compris des services informatiques, des capacités de stockage de données et des capacités réseau. Ces services permettent aux clients de réaliser de très importantes économies en leur donnant accès à des capacités informatiques supplémentaires sur demande, sans qu’il soit nécessaire pour eux d’effectuer des investissements lourds dans de nouveaux matériels.
Des services de plateforme en ligne (PaaS) : ces services permettent l’utilisation à distance d’une plateforme informatique complète sur l’Internet au moyen de l’informatique en nuage. Ils englobent un large éventail d’outils infrastructurels tels que systèmes d’exploitation, plateformes d’applications et services de bases de données. Ils permettent aux clients d’externaliser leurs besoins d’infrastructure de plateforme et donc d’éviter d’avoir à acheter et mettre en œuvre une nouvelle plateforme. Ce modèle de service permet généralement aux firmes d’informatique en nuage de facturer à leurs clients uniquement la part des ressources qu’ils utilisent, ce qui est particulièrement bienvenu pour les entreprises ayant besoin d’une application spécifique qu’elles n’utilisent qu’occasionnellement.
Des services logiciels en ligne (SaaS) : ces services comprennent la fourniture et la gestion à distance d’une application logicielle pour un client via l’Internet. Ils reposent sur l’hébergement centralisé d’une application logicielle à laquelle on accède par l’intermédiaire d’un navigateur web. Ils peuvent être configurés de façon à permettre un accès ouvert ou un accès restreint, seuls les utilisateurs dûment accrédités pouvant dans ce cas se servir de l’application logicielle hébergée.
Choix
Le choix englobe les activités associées au choix d’une solution au problème parmi les différentes solutions possibles. Les options offertes par les sociétés d’informatique en nuage englobent toute une gamme de ressources informatiques auxquelles les clients peuvent avoir accès sur demande. Selon le type de service, le choix pourra être de type entièrement numérique – par exemple la location de puissance informatique ou l’exécution d’un programme sur un serveur distant – ou bien impliquer certaines étapes physiques, par exemple le transport de données depuis la localité du client jusqu’au site d’une entreprise d’informatique en nuage pour transfert dans le nuage.
Exécution
Les activités d’exécution sont les activités associées à la communication, à l’organisation et à la mise en œuvre de la solution choisie. Lorsqu’un client achète un service d’informatique en nuage, il sélectionne des zones de disponibilité ou autorise l’entreprise concernée à choisir des zones de disponibilité pour lui. Un client peut choisir d’être hébergé dans certaines zones de disponibilité particulières afin d’être plus près de ses marchés ou de se conformer à la législation.
Les services d’informatique en nuage sont en général fournis à partir d’un seul pays ou d’un petit nombre de pays dans une région plus étendue. Cependant, la modularité opérationnelle est un aspect important des services fournis à la clientèle. Les zones de disponibilité sont souvent connectées entre elles au moyen d’un réseau à fibre optique qui permet au fournisseur d’assurer la continuité des services client en cas de baisse de la puissance de calcul dans une zone en commutant automatiquement le trafic vers une autre. En outre, des dispositifs visant à assurer la fiabilité de la connectivité peuvent être mis en place entre régions. Un client pourra ainsi recourir à plusieurs zones de disponibilité à l’intérieur des régions et/ou entre elles.
Le type de services qu’ils offrent à leur clientèle représente un avantage concurrentiel important pour les sociétés d’informatique en nuage. Les clients sont préoccupés avant tout par la sécurité de leurs données et la continuité des processus de l’entreprise, car ils reposent crucialement sur l’informatique en nuage pour desservir leur propre clientèle (les capacités de diffusion en flux en ligne de Netflix, par exemple, lui sont fournies par Amazon Web Services).
Contrôle et évaluation
Le contrôle et l’évaluation est la catégorie d’activités associées à la mesure et à l’évaluation du degré de résolution du problème à la suite de la mise en œuvre de la solution retenue.
Les sociétés d’informatique en nuage travaillent aussi en coopération avec leurs clients pour élaborer des solutions adaptées à leurs problèmes spécifiques. Elles veillent à apporter un soutien technique suffisant à leurs clients les plus importants. Elles organisent également des webinaires et des conférences pour permettre à leurs experts techniques de présenter leurs activités et leurs nouveaux produits. Enfin, les sociétés d’informatique en nuage organisent fréquemment des activités de formation afin de faciliter l’acquisition des compétences techniques requises pour utiliser les services de l’entreprise.
Technologie
Les services d’informatique en nuage exigent de lourds investissements dans le matériel et l’infrastructure technologique, y compris des machines comme les serveurs, l’équipement réseau et les systèmes d’alimentation électrique, pour pouvoir atteindre un niveau de capacités suffisant. Dans les domaines opérationnels particulièrement sensibles, les entreprises d’informatique en nuage préfèrent parfois développer leur infrastructure en interne au lieu de l’obtenir d’entreprises non affiliées. La technologie et le matériel infrastructurels développés en interne comprennent, par exemple, les serveurs, les routeurs réseau, les composants spécifiques à base de silicium, les racks de serveurs de stockage pour conserver de l’espace disque et la programmation du matériel électrique.
Les sociétés d’informatique en nuage sont tributaires des fournisseurs de services internet (FSI) dont elles louent généralement des infrastructures en fibre optique pour assurer la connexion entre leurs centres de données. Le maintien de l’accès à des ressources électriques suffisantes est aussi un aspect essentiel de leur technologie. Les centres de données de l’informatique en nuage consomment énormément d’électricité à cause de la très grande quantité d’énergie nécessaire pour alimenter les serveurs et réguler leur température (c’est-à-dire les refroidir). Les sociétés d’informatique en nuage doivent aussi louer ou acquérir des équipements immobiliers pour héberger leurs centres de données.
Les services d’informatique en nuage reposent sur le maintien d’infrastructures globales par des entreprises spécialisées. Comme indiqué plus haut, l’infrastructure en nuage est souvent organisée par régions, chaque région contenant au moins deux zones de disponibilité. Les zones de disponibilité comprennent un ou plusieurs centres de données distincts à partir desquels sont exécutés les services d’informatique en nuage. Ces services peuvent être exécutés à la fois par plusieurs centres reliés par fibre optique. Une application activée dans un centre, par exemple, peut exploiter des données conservées dans un autre.
Chaque zone de disponibilité est isolée mais les zones de disponibilité d’une région sont connectées entre elles. En connectant ces zones, les sociétés d’informatique en nuage peuvent assurer la sauvegarde des ressources, c’est-à-dire stocker des ressources en plusieurs lieux afin de pouvoir, en cas de défaillance de l’un des systèmes, accéder aux ressources conservées dans un site de sauvegarde. Ce mode d’organisation assure la stabilité et la continuité des services. Pour garantir une sécurité encore plus grande, les ressources peuvent aussi être dupliquées dans toutes les régions.
L’offre de services d’informatique en nuage varie parfois selon la zone de disponibilité. Tous les services ne sont pas accessibles dans chaque zone. Toutefois, le choix d’un service par un client n’est pas limité par des considérations géographiques : si un service n’est pas offert dans une région donnée, le client peut décider d’y avoir accès dans une autre. Recourir à des services d’informatique en nuage plus distants de la région où se trouvent les consommateurs finaux peut allonger le temps de latence, c’est-à-dire le délai d’activation du transfert des données après une commande, et réduire au minimum ce délai est particulièrement important, par exemple, pour les opérateurs de sites de diffusion en flux de contenu vidéo ou musical.
Notes
← 1. Selon le point de vue exprimé par certains pays, les bénéfices des sociétés sont calculés en soustrayant des recettes des ventes (prix multiplié par la quantité) les coûts liés à leur fourniture, et sont une fonction de l’offre et de la demande. Par conséquent, selon ces pays, la création de valeur au sein de la chaîne d’approvisionnement, qui représente la contribution du côté de l’offre, doit être prise en compte au même titre que la contribution de la demande dans la détermination des bénéfices des sociétés attribuables à une juridiction fiscale donnée.
← 2. Pour un aperçu de travaux antérieurs sur le sujet, voir Varian et al. (2004) et Shy (2001, 2011) ; on trouvera des contributions plus récentes dans Peitz et Waldfogel (2012), Goldfarb et al. (2015), et Bauer et Latzer (2016).
← 3. Les biens non rivaux peuvent être consommés par un consommateur, sans empêcher leur consommation simultanée par d'autres. Il s'agit bien souvent de biens immatériels.
← 4. Les travaux spécialisés sur la politique de concurrence et de réglementation pour les marchés numériques traitent de nombreuses questions connexes comme la définition des marchés, les fusions, les stratégies d’exclusion et la monopolisation (voir Evans and Schmalensee, 2013 ; Evans, 2016 ; Filistrucchi et al., 2013 ; Kuchinke et Vidal, 2016). Bon nombre des conclusions qui se dégagent de ces contributions étayent l’analyse proposée dans le présent chapitre car elles jettent un éclairage important sur les caractéristiques des marchés numériques. Néanmoins, pour que l’analyse reste centrée sur les questions de politique fiscale, le présent chapitre n’aborde pas directement les questions de concurrence, qui sont plutôt examinées dans OCDE (2015b) et dans les ouvrages qui y sont cités.
← 5. Cette approche permet à Hagiu et Wright de faire le lien entre les travaux relativement récents sur les marchés multifaces et les théories microéconomiques standard de l’intégration verticale, des coûts de transaction et des limites de l’entreprise (qui remontent à Coase (1937), et Williamson (1976). Pour une synthèse plus récente, voir Gibbons 2005).
← 6. L’entreprise cliente affiliée à la plateforme conserve le contrôle des intrants utilisés pour fournir le service aux clients de l’autre côté du marché. Par exemple, le propriétaire d’un appartement loué via une plateforme conservera la propriété et le contrôle de l’appartement. Ce sera le cas aussi pour le chauffeur à l’égard du véhicule utilisé pour assurer des services de transport.
← 7. L’entreprise cliente affiliée à la plateforme est responsable de tout préjudice causé aux clients de l’autre côté du marché. Par exemple, le propriétaire d’un appartement loué par l’intermédiaire d’une plateforme aura la responsabilité de veiller à ce que l’appartement demeure habitable.
← 8. Voir OCDE (2014, à paraître) pour plus de détails et un examen des implications non fiscales connexes.
← 9. Une technologie de production séquentielle est un processus de production qui consiste à transformer des intrants normalisés en extrants normalisés au cours d’une suite fixe d’activités.
← 10. Chaque activité principale peut être décomposée en un certain nombre d’activités subsidiaires. Par exemple, pour une société pharmaceutique, l’activité principale peut-être subdivisée en trois étapes : (i) recherche axée sur la découverte d’un nouveau médicament ; (ii) essais cliniques d’un nouveau médicament potentiel et homologation officielle ; et (iii) obtention de brevet et fabrication.
← 11. Comme indiqué précédemment, la distinction entre entreprises traditionnelles et entreprises à forte composante numérique n’est pas toujours clairement définie. Il est plus judicieux de situer les entreprises en un point donné le long d’un continuum allant des activités non numériques traditionnelles aux activités où la transformation numérique est la plus poussée.
← 12. Les annonceurs publicitaires traditionnels se préoccupent aussi de l’efficience de l’interaction avec les utilisateurs de l’autre côté du marché. Le succès de la publicité télévisuelle, par exemple, reposait essentiellement sur la taille du public et, par conséquent, une grande attention était accordée à la diffusion de contenu attrayant.
← 13. Toutefois, dans certains cas, un réseau social peut décider de ne pas attribuer automatiquement un espace publicitaire à l’entreprise offrant le meilleur prix, notamment au vu d’autres considérations comme l’impact que le placement d’une publicité particulière pourrait avoir sur la qualité de l’expérience des utilisateurs.
← 14. La masse fait référence à la présence physique des entreprises là où se trouve le marché de ses utilisateurs ou de ses clients.
← 15. La seule exception possible est l’informatique en nuage, qui nécessite une infrastructure matérielle considérable. Il est clair néanmoins que l’utilisation croissante des services infonuagiques par de nouvelles entreprises est également un facteur clé de ce processus de dématérialisation.
← 16. Selon l’OMPI, les droits de propriété intellectuelle comportent deux volets : la propriété industrielle et les droits d’auteur. Tandis que celui-ci s’applique aux œuvres littéraires ou artistiques, la propriété industrielle englobe quant à elle les brevets et les modèles d’utilité, les dessins industriels, les marques, les marques de services, les schémas de circuits intégrés, les noms commerciaux et les désignations commerciales, les indications géographiques et la protection contre la concurrence déloyale.
← 17. Les auteurs s'appuient sur la base de données Compustat regroupant les bilans des entreprises des États-Unis de 1980 à 2012.
← 18. La première catégorie concerne principalement les logiciels informatiques, tels que figurant dans les tableaux de la comptabilité nationale des revenus et des produits (National Income and Products Accounts) publiés par le Bureau of Economic Analysis des États-Unis. La seconde catégorie s’appuie sur deux séries de données : les dépenses de R&D de l’industrie (qui mesurent la R&D scientifique au sens traditionnel du terme) recueillies par la National Science Foundation ; les recettes de la R&D non scientifique à vocation commerciale consacrée aux produits et aux processus, comptabilisées dans le cadre de l’enquête Services Annual Survey (SAS) du Census Bureau. La troisième catégorie, qui concerne les compétences économiques, s’appuie elle aussi sur deux ensembles de données : d’une part, les dépenses consacrées à la planification stratégique, à la reconception des produits et aux marques ; d’autre part, les investissements dans les ressources humaines et structurelles spécifiques à chaque entreprise. Les informations proviennent de la SAS et du Bureau of Labour Statistics des États-Unis.
← 19. Outre l’augmentation de la productivité, le document OCDE (2015d) décrit les effets positifs que peuvent avoir ces pratiques en matière de bien-être et de croissance inclusive.
← 20. Le surplus du consommateur désigne l’écart entre le montant total que les consommateurs sont prêts et en mesure de payer pour un bien ou un service (tel qu’indiqué par la courbe de la demande) et le montant total effectivement payé (c’est-à-dire le prix du marché).
← 21. Cependant, avec la numérisation croissante du secteur des taxis, les entreprises de taxis traditionnelles offrent de plus en plus fréquemment leurs services au moyen d’une application.