Ce chapitre examine l’impact de la transformation numérique sur le système fiscal au-delà des règles fiscales internationales. Il recense les opportunités et les défis pour les autorités et les administrations fiscales, et circonscrit les domaines dans lesquels des travaux ultérieurs aideront les pouvoirs publics, notamment dans les pays en développement, à tirer parti des dernières avancées technologiques.
Les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l'économie – rapport intérimaire 2018
Chapitre 7. Étude spéciale – Au-delà des règles fiscales internationales : l’impact de la numérisation de l’économie sur d’autres aspects du système fiscal
Abstract
7.1. Synthèse
Les chapitres 1 et 2 de ce rapport décrivent les répercussions profondes de la transformation numérique. Au‑delà des règles fiscales internationales, d’autres éléments du système fiscal moderne sont façonnés par les bouleversements induits par le passage au numérique, porteurs à la fois d’opportunités et de défis. Depuis la conception du système fiscal jusqu’à l’administration de l’impôt, les évolutions pertinentes englobent la montée en puissance des modèles d’affaires qui favorisent l’essor de l’économie à la demande et de l’économie du partage1 et la progression d’autres transactions entre particuliers (P2P), le développement de technologies telles que la blockchain et l’accroissement des capacités de collecte et de recoupement de données. Ce chapitre analyse quelques-unes de ces transformations, en s’intéressant aux domaines où des travaux supplémentaires dans les années à venir procureront aux pouvoirs publics des outils pour mieux comprendre et exploiter les opportunités offertes par ces évolutions, tout en veillant à maintenir l’efficacité du système fiscal. Il faudra également réfléchir à la façon dont une partie des avancées réalisées dans ce domaine pourront être effectivement déployées dans les pays en développement, en tenant compte des contraintes et du contexte qui leur sont propres.
7.2. Les plateformes en ligne et leur impact sur l’économie formelle et informelle
L’essor rapide des plateformes en ligne multifaces constitue l’une des grandes transformations de l’économie favorisées par le numérique. Les plateformes en ligne multifaces facilitent souvent les transactions entre vendeurs individuels de biens et de services à des consommateurs individuels, qualifiées de transactions entre particuliers (peer-to-peer, P2P), qui sont réalisées en dehors des structures économiques traditionnelles (les places de marché, par exemple). En particulier, les plateformes en ligne sous-tendent la croissance et la généralisation de l’économie à la demande et de l’économie du partage. Des exemples bien connus sont la location temporaire d’une chambre d’ami, d’un appartement inoccupé ou d’une place de parking libre ; ou la prestation d’un service comme la livraison d’un produit, la fourniture de services occasionnels à domicile ou de services de transport ou de taxi.
Certaines transactions facilitées par les plateformes en ligne, y compris les transactions P2P, ont longtemps été réalisées par le biais d’autres mécanismes tels que le bouche à oreille, les marchés physiques ou la publicité et le réseautage communautaires. Dans ce contexte, les autorités fiscales rencontrent souvent des difficultés pour suivre et évaluer le montant et la valeur de ces transactions, de sorte que ces activités se sont concentrées dans l’économie informelle. Comme le chapitre 2 l’explique, la numérisation a favorisé l’émergence de plateformes multifaces, car la portée mondiale de l’Internet permet aux entreprises numériques d’augmenter rapidement et à moindre coût leur base d’utilisateurs et de tisser de vastes réseaux englobant les différentes composantes du marché, y compris à une échelle internationale. Comme les transactions auparavant informelles, y compris entre particuliers, transitent désormais par des plateformes en ligne où elles sont enregistrées, les autorités fiscales ont aujourd’hui la possibilité de contrôler et d’appréhender des bases d’imposition qui n’étaient pas déclarées jusqu’alors.
La taille de l’économie à la demande et de l’économie du partage n’est pas encore bien mesurée. Malgré leur croissance rapide, elles restent relativement modestes, d’après la plupart des estimations (voir l’encadré 7.1 ci-dessous). Considérées globalement, les caractéristiques de ce modèle d’affaires économique laissent toutefois penser que sa part pourrait continuer de croître fortement, compte tenu de l’importance des actifs qui ne sont que partiellement utilisés par des particuliers, de la demande probablement non satisfaite d’une organisation différente du travail, et de la commodité d’utilisation tant pour les acheteurs que pour les vendeurs, y compris l’existence de mécanismes solides renforçant la confiance. Ce phénomène pourrait avoir des effets bénéfiques sur l’économie et sur le bien‑être en facilitant une activité économique supplémentaire et les choix individuels, et en transférant une partie de l’activité de l’économie informelle vers l’économie formelle. Ces effets devraient se répercuter positivement sur les recettes fiscales. Toutefois, ces nouveaux modèles d’affaires posent aussi un certain nombre de questions de politique publique concernant la concurrence équitable avec d’autres fournisseurs, ainsi que leurs répercussions sur la protection sociale, les droits à la retraite, la protection du consommateur et les deniers publics, et notamment les recettes tirées de l’impôt et des cotisations de sécurité sociale. Par exemple, dans les pays de l’OCDE, de plus en plus de travailleurs perçoivent un revenu qui échappe au cadre traditionnel des relations entre employeur et salarié. Cette tendance se manifeste depuis un certain temps déjà dans divers pays de l’OCDE, mais elle s’est récemment renforcée sous l’effet de l’essor continu de l’économie numérique, qui entraîne une augmentation de la prestation de services par les travailleurs indépendants par le biais de plateformes multifaces.
Encadré 7.1. Comprendre la taille de l’économie à la demande et de l’économie du partage
On constate un déficit de données fiables sur la taille de l’économie à la demande et de l’économie du partage, en partie à cause des différences de définition. Vaughan et Hawksworth (2014) estiment qu’à l’échelle mondiale, l’économie collaborative valait 15 milliards USD en 2014 et pourrait atteindre 335 milliards USD d’ici 2025. Au sein de l’Union européenne (UE), Vaughan et Daverio (2016) ont calculé que les cinq principaux secteurs de l’économie du partage ont généré près de 4 milliards EUR de recettes et ont été à l’origine de 28 milliards EUR de transactions en 2015, ce qui dépasse les prévisions de croissance initiales. Goudin (2016) estime que les gains potentiels induits par la levée des obstacles à l’utilisation d’actifs sous‑employés se chiffrent à environ 572 milliards USD par an dans l’UE. Des données d’enquête montrent également que les gens sont de plus en plus nombreux à s’engager dans des transactions P2P. Une enquête réalisée par le Pew Research Centre (2016) auprès de 4 787 adultes aux États-Unis conclut qu’environ 72 % des adultes américains ont déjà eu recours à l’un des onze différents services de partage et à la demande. Stokes et al. (2014) ont calculé qu’en 2014, 25 % des adultes au Royaume-Uni avaient déjà utilisé une plateforme P2P pour partager des actifs ou des ressources.
Les opportunités offertes par les plateformes multifaces en ce qui concerne la fiscalité sont doubles :
i. Faciliter l’intégration dans l’économie formelle. Des transactions jusqu’alors non déclarées (notamment dans l’économie parallèle) sont désormais réalisées via des plateformes en ligne multifaces et génèrent des revenus partiellement ou totalement déclarés, de sorte que l’intégration de contribuables et d’activités dans l’économie formelle progressera. Si, à l’inverse, l’augmentation attendue des transactions effectuées sur des plateformes multifaces ne s’accompagne pas d’une hausse des déclarations, elle favorisera le développement de l’économie informelle.
ii. Soutenir la croissance et augmenter les recettes fiscales. Les plateformes multifaces ouvrent souvent la voie à de nouvelles activités économiques tout en encourageant le passage à l’économie formelle. Cette évolution pourrait contribuer à soutenir la croissance et à accroître les recettes publiques. L’effet sur la croissance peut se manifester directement, via le regain d’activité économique, et indirectement grâce aux retombées sur d’autres secteurs de l’économie. Cela peut par exemple prendre la forme d’une augmentation des flux touristiques ou de la demande de services induite par l’offre de transport accrue, etc. L’effet sur la croissance et sur les recettes dépendra aussi du fait de savoir si l’activité économique via les plateformes multifaces s’exerce au détriment de concurrents directs existants. L’effet positif sur la croissance et les recettes, important dans tous les pays, devrait être particulièrement prononcé pour les pays en développement dotés d’une économie informelle de grande taille.
Pour que ces avantages puissent se concrétiser, et pour relever une partie des défis induits par les plateformes en ligne, il convient de traiter un certain nombre de questions.
7.2.1. Comprendre les implications fiscales de l’évolution de la nature du travail
Avec l’essor de l’économie à la demande et de l’économie du partage, les transformations des statuts fiscaux – avec par exemple le passage du statut de salarié à celui de travailleur indépendant ou de société – peuvent avoir d’importantes conséquences. Lorsque le statut fiscal change, des règles différentes peuvent s’appliquer, par exemple aux déductions et aux seuils aux fins de l’impôt sur le revenu et des cotisations de sécurité sociale. Si ces changements concernent de vastes segments de la population active, ils se répercuteront sur les recettes publiques et susciteront d’autres préoccupations tenant à la politique publique, y compris du fait de la perte de certains droits en matière d’emploi. Ces transformations peuvent résulter de la décision de particuliers d’opter pour d’autres formes de travail ou de l’évolution des préférences des employeurs, au moins dans certaines sphères de leur activité, ou des deux. Le recours grandissant aux plateformes dans certains secteurs a probablement déjà pour effet de réduire le nombre relatif de contrats d’emploi standard.
Par exemple, la législation de certains pays prévoit un allégement des cotisations de sécurité sociale pour les contrats de travail non standard. Dans d’autres pays, le système fiscal comporte des incitations à proposer des services de main‑d’œuvre en tant que société fermée plutôt que salarié, statut soumis à un taux de l’impôt sur le revenu des personnes physiques plus élevé. Ces caractéristiques du système fiscal peuvent entraîner des pertes de recettes en cas d’évolutions majeures des formes de travail et du statut fiscal. Si les pouvoirs publics souhaitent maintenir les dépenses à leur niveau actuel, ils devront compenser les pertes par une augmentation de la charge fiscale sur des bases d’imposition moins élastiques, comme le patrimoine et la consommation. La nécessité de s’orienter vers des sources de recettes moins volatiles pourrait aussi être amplifiée par la difficulté de taxer les bénéfices d’entreprises à forte composante numérique, comme le soulignent d’autres chapitres de ce rapport. Du point de vue de la politique fiscale au sens large, l’impact de ces changements sur les recettes et sur le système fiscal devra être étudié dans le cadre d’une évaluation globale et inclusive de l’effet de cette mutation sur le bien‑être de l’ensemble de la population.
De nombreux gouvernements et tribunaux examinent déjà ces questions. L’évolution de ces plateformes et la nature des contrats conclus entre les plateformes et leurs utilisateurs pourraient, par exemple, offrir davantage de possibilités de structurer des activités dans le but de réduire l’assiette fiscale et le montant d’impôts.
L’incidence des plateformes sur l’évolution du statut fiscal des acteurs économiques, toutes formes d’emploi confondues, mérite un examen plus poussé. L’OCDE est prête à approfondir les travaux sur ce sujet. Des dispositions initiales ont été prises en vue d’analyser les incitations fiscales destinées aux plateformes, et plus généralement aux employeurs, à recourir à des contrats de travail non standard, et pour encourager les salariés à proposer leurs services en qualité de travailleurs indépendants ou en constituant une société fermée.
7.2.2. Promouvoir l’innovation et garantir l’égalité de traitement fiscal avec des activités existantes similaires
Pour favoriser le développement d’activités économiques nouvelles et assurer un traitement fiscal approprié, les pouvoirs publics doivent tenir compte de l’impact des charges administratives sur les utilisateurs des plateformes en ligne. Cette question n’est pas nouvelle et de nombreux pays tentent déjà d’y répondre en adoptant des régimes fiscaux simplifiés pour les micro-entreprises et les petites et moyennes entreprises, et pour les activités qui ne sont pas principalement exercées en tant qu’activités commerciales.
Encadré 7.2. Mesures de politique fiscale ciblant l’économie du partage
Au Danemark, les ministres de l’Industrie, des Entreprises et des Affaires financières, des Transports, de la Construction et du Logement, et des Finances ont récemment présenté la stratégie du gouvernement pour stimuler la croissance de l’économie du partage. Cette stratégie comporte 22 initiatives, telles que le relèvement de l’abattement à la base pour la location de biens immobiliers, de véhicules automobiles et de bateaux si un tiers (une plateforme, par exemple) déclare la totalité du revenu correspondant aux autorités fiscales. Une initiative vise également à concevoir une solution numérique pour déclarer le revenu généré par l’économie du partage.
En Italie, un régime d’imposition facultatif a été mis en place pour les revenus perçus dans le cadre d’une location de courte durée, qui permet au contribuable d’opter pour un prélèvement forfaitaire (à la place de l’impôt sur le revenu des personnes physiques) de 21 % sur les revenus locatifs bruts. La nouvelle loi s’applique aux contrats de location n’excédant pas 30 jours, tant pour les contrats définis en ligne que pour ceux définis de manière traditionnelle.
Le Royaume-Uni a instauré deux abattements fiscaux annuels distincts en faveur des particuliers, de 1 000 GBP chacun, au titre du revenu tiré d’une transaction ou d’un bien, dans le but de simplifier le système fiscal et de soutenir le développement de l’économie numérique et collaborative. Si l’abattement couvre l’intégralité du revenu correspondant (avant dépenses) d’un particulier, celui-ci n’est plus tenu de déclarer ce revenu ou d’acquitter un impôt. Les contribuables qui perçoivent un revenu supérieur à l’abattement pourront, lors du calcul de leur bénéfice imposable, défalquer l’abattement de leurs revenus plutôt que déduire le montant réel de leurs dépenses admissibles.
Aller plus loin, par exemple en créant des régimes fiscaux spéciaux pour les activités facilitées par l’utilisation de plateformes, ne serait pas forcément judicieux : ces activités feront directement concurrence à des activités existantes (services de taxi, par exemple). Par conséquent, des activités substantiellement identiques seraient soumises à un traitement fiscal différent. En revanche, il pourrait être pertinent d’envisager des mesures transitoires simplifiées pour inciter les activités existantes et nouvelles à rejoindre l’économie formelle, et pour prendre en compte le probable manque d’expérience de certains utilisateurs des plateformes vis-à-vis de leurs obligations fiscales. Des travaux supplémentaires pourraient être entrepris en vue d’analyser les options permettant d’atteindre un équilibre entre l’allégement de la charge administrative pesant sur certains acteurs et le maintien de l’équité des règles du jeu. Cet aspect est particulièrement important au regard de l’essor de l’économie à la demande et de l’économie du partage évoqué dans l’encadré 7.1.
7.2.3. Améliorer l’imposition effective des activités facilitées par les plateformes en ligne
Lorsqu’une transaction implique un paiement entre deux particuliers, plutôt que la gratuité ou un accord de partage des coûts (le partage des coûts de carburant lors d’un trajet en commun, par exemple), les parties en cause peuvent être assujetties à l’impôt. Les plateformes peuvent exposer leurs utilisateurs à certaines difficultés sur le plan fiscal, notamment une incertitude quant à leurs obligations fiscales, surtout dans le cas de transactions P2P.
Pour les administrations fiscales, les difficultés posées par les plateformes en ligne, et notamment par les transactions P2P, incluent le manque d’informations sur l’identité des utilisateurs et le montant des paiements effectués au titre des activités facilitées par la plateforme. La difficulté d’accéder à ces informations est aggravée lorsque la plateforme se trouve dans une juridiction différente de celle du bénéficiaire du paiement et de celle disposant de la compétence fiscale.
Il existe différentes solutions pour remédier à ces difficultés, notamment des campagnes ciblées d’éducation des contribuables et le recueil d’informations directement auprès des plateformes. Ces deux approches sont examinées plus en détail ci‑dessous.
Améliorer l’éducation des contribuables et l’autodéclaration
En fonction des accords contractuels qui lient la plateforme et ses utilisateurs, une relation d’emploi traditionnelle ou une relation commerciale autre peut ne pas exister. Par conséquent, l’administration fiscale n’aura généralement pas accès aux paiements aussi aisément que pour les salariés par exemple, qui dans de nombreux pays sont soumis à une retenue à la source. En l’absence de coopération plus poussée entre la plateforme et l’administration fiscale, et entre les administrations fiscales, la taxation de ce revenu dépend ainsi de la bonne volonté du contribuable. L’autodéclaration sera d’autant plus complète que le contribuable sait que l’administration fiscale peut se procurer les données ou, mieux encore, lorsque ces données lui sont communiquées directement.
La méconnaissance des obligations fiscales par les utilisateurs des plateformes, notamment le point de savoir si l’activité est imposable, peut amplifier l’absence d’autodéclaration. Cet aspect peut être délicat, avec des difficultés notamment pour déterminer le statut correct en matière d’emploi, les seuils de revenu éventuellement applicables, et si l’activité exercée est une activité commerciale. Aux yeux de certains utilisateurs de plateforme, leur activité s’apparente à un passe-temps plutôt qu’à une activité commerciale. Par conséquent, ils sont nombreux à ne pas déclarer cette source de revenu. À cet égard, la diffusion d’instructions en temps voulu par les autorités fiscales sur le traitement fiscal approprié et les obligations déclaratives en lien avec les nouveaux modèles d’affaires peut être extrêmement utile. Même si les utilisateurs sont informés, l’absence de documentation mise à disposition du public et la complexité inhérente à la déclaration de ces revenus peuvent conduire certains d’entre eux à ne pas agir, par conviction que les risques et les sanctions potentielles sont faibles.
Améliorer l’éducation des contribuables en ciblant les fournisseurs de biens et de services sur les plateformes P2P peut contribuer grandement à assurer l’imposition effective des activités facilitées par ces plateformes. L’examen de ces questions peut s’appuyer sur des travaux antérieurs qui ont permis de recenser les bonnes pratiques internationales en matière d’éducation des contribuables, tels que le rapport de 2015 intitulé Édifier une culture fiscale, du civisme et de citoyenneté2, en vue d’étudier spécifiquement les initiatives de sensibilisation des contribuables qui utilisent des plateformes en ligne dont l’empreinte est globale. Associé à l’amélioration de l’accès des administrations fiscales à l’information, examinée plus en détail ci‑dessous, cet exercice devrait aboutir à de nets progrès dans le respect volontaire des obligations fiscales liées à ce type d’activités.
Encadré 7.3. Sensibiliser les contribuables aux obligations fiscales liées à l’économie collaborative
L’Agence du revenu du Canada (ARC) a ajouté de nouvelles pages à son site Internet afin de procurer des informations sur les obligations en matière d’inscription, de perception, de déclaration et de versement de la taxe sur les produits et services (TPS)/taxe de vente harmonisée (TVH) au titre des revenus générés par l’économie collaborative. Ces pages Internet contiennent des renseignements destinés spécifiquement aux contribuables qui n’ont pas déclaré de revenu les années précédentes et qui souhaitent régulariser leur situation fiscale. L’ARC collabore également avec une grande plateforme de partage de logements, en utilisant le propre outil de communication de la plateforme, pour informer ses utilisateurs sur leurs obligations fiscales, et envisage d’engager une collaboration similaire avec des plateformes plus petites.
En France, les plateformes P2P sont désormais tenues de communiquer des informations sur les obligations fiscales et sociales incombant à leurs utilisateurs. Cette exigence est réputée respectée si le message envoyé par la plateforme à ses utilisateurs après chaque transaction contient des informations exactes, dénuées d’ambiguïté et transparentes sur ces obligations, et comprend, « de façon claire », des liens hypertexte menant aux sites Internet des autorités fiscales et des organismes de sécurité sociale. En outre, les plateformes doivent adresser à leurs utilisateurs un relevé annuel (avant le 31 janvier) du montant brut perçu au titre des transactions effectuées via ces plateformes.
Se procurer des données fiscales sur les transactions facilitées par les plateformes
Remédier au manque d’informations dont disposent les administrations fiscales sur l’identité des utilisateurs de ces plateformes, notamment pour les transactions P2P, apporterait une contribution significative au renforcement de la discipline fiscale dans ce secteur. Comme le chapitre 2 l’explique, certaines plateformes multifaces font souvent office d’intermédiaires de paiement. D’autres facilitent les transactions alors que le paiement s’effectue directement entre les parties. Dans les deux cas, la plateforme conserve en général à tout le moins certaines informations pertinentes, par exemple sur l’identité des parties à la transaction et sur son montant. D’autres tiers peuvent également détenir des informations pertinentes sur les transactions facilitées par les plateformes, par exemple les prestataires de services de paiement qui sont liés à la plateforme.
Lorsque de tels outils ne sont pas déjà disponibles, la mise en œuvre de mesures législatives imposant aux plateformes ou à d’autres tiers l’obligation légale de communiquer aux administrations fiscales les données d’identification et de paiement relatives aux utilisateurs P2P et/ou permettant aux administrations fiscales d’effectuer des demandes d’information de groupe pourrait permettre de renforcer la discipline fiscale ou la sélection des dossiers à contrôler. La transmission des données aurait probablement pour effet de favoriser l’autodéclaration. Grâce aux efforts permanents déployés par les administrations fiscales pour améliorer l’usage des données, il sera de plus en plus facile d’associer ces informations à d’autres données sur les revenus, ouvrant des possibilités de produire des déclarations de revenu préremplies ou d’automatiser le contrôle des déclarations. La retenue d’impôt à la source est une autre possibilité, bien qu’elle puisse s’accompagner de contraintes administratives supplémentaires pour l’autorité fiscale, la plateforme ou le contribuable, en fonction de la façon dont la mesure en question est conçue.
Toutefois, les obligations législatives nationales ne sont pas toujours directement applicables si les données se trouvent dans une juridiction autre que celle du vendeur. En pareil cas, il est parfois possible d’obtenir de la plateforme l’engagement de transmettre les informations directement à l’administration fiscale, encore que cette pratique puisse enfreindre les règles de protection des données dans certaines juridictions en l’absence de consentement de l’utilisateur de la plateforme. Les informations peuvent aussi être obtenues de plateformes situées dans d’autres juridictions en adressant des demandes individuelles à l’administration fiscale compétente. Néanmoins, pour être considérées comme légitimes, les informations demandées doivent être suffisantes pour identifier le contribuable concerné ou satisfaire aux critères relatifs aux demandes groupées, lorsque les accords internationaux les autorisent. Cette approche n’est généralement ni coûteuse, ni fastidieuse. Certaines administrations fiscales ont tenté d’augmenter le nombre de demandes d’informations en recourant à des techniques d’extraction automatique de données sur le web, malgré la difficulté de cette approche dont l’efficacité dépend des systèmes employés par la plateforme.
Encadré 7.4. Recueil d’informations fiscales directement auprès des plateformes
Le Bureau estonien des impôts et des douanes (ETCB) a conclu un accord de coopération avec deux plateformes connues de covoiturage en vue de partager l’information. Dans un premier temps, ces plateformes demandent aux chauffeurs de les autoriser à communiquer à l’ETCB des informations sur le revenu. Une fois cette autorisation reçue, elles compilent les données concernées dans un fichier unique contenant le nom, le code personnel et le montant du revenu, et transmettent ce fichier à l’ETCB avant le début de la période d’envoi des déclarations de revenu. L’ETCB préremplit la déclaration de revenu des personnes physiques à partir de toutes les données disponibles. Le contribuable doit vérifier sa déclaration préremplie, la modifier si nécessaire et l’envoyer. Le processus est entièrement électronique.
L’administration fiscale finlandaise (FTA) concentre ses efforts sur les plateformes collaboratives dans le domaine de l’hébergement, du prêt entre particuliers et des activités de financement participatif. Bien que la législation nationale soit efficace pour collecter des données de tiers auprès de plateformes P2P et de financement participatif situées en Finlande, elle ne trouve pas à s’appliquer lorsque la plateforme est présente uniquement à l’étranger. La FTA a également recours à des techniques d’extraction sur le web et à des mécanismes de coopération administrative internationale, y compris grâce à l’échange spontané d’informations. Toutefois, les données obtenues par ce biais sont rarement complètes et des obstacles administratifs se sont fait jour.
Au Mexique, l’administration fiscale mexicaine (SAT) a coopéré avec un service de VTC (véhicules de tourisme avec chauffeur) afin d’aider ses chauffeurs à se conformer à la réglementation fiscale, y compris l’envoi de factures électroniques à tous les clients. Dans ce contexte, Uber demande à ses chauffeurs de se procurer le certificat électronique d’enregistrement fiscal requis pour signer électroniquement les factures avant de s’inscrire sur la plateforme. Les chauffeurs peuvent utiliser les systèmes propriétaires de la plateforme pour déclarer et communiquer leurs revenus à la SAT et pour télécharger des factures à des fins d’archivage.
En Équateur, l’administration fiscale a obtenu d’une société de taxi qu’elle prépare, déclare et transmette une facture électronique mensuel à chaque passager rendant compte de leur utilisation de la plateforme (détaillant leurs courses) et à chaque chauffeur un relevé électronique mensuel détaillant les commissions versées par la société de taxi. L’administration fiscale recevra toutes ces factures par voie électronique.
Suivre une approche collaborative
Dans ce contexte, de nombreux arguments militent en faveur d’une réflexion collective entre les administrations fiscales et les plateformes sur les possibilités d’accéder aux données d’identification et de transaction détenues par les plateformes multifaces, notamment lorsqu’elles concernent des transactions P2P. Dans le cadre du Forum de l’OCDE sur l’administration fiscale, 50 administrations fiscales ont récemment résolu de collaborer sur ce projet, dont l’achèvement est prévu en 2018 et qui sera structuré autour de quatre axes :
Parvenir à une compréhension commune des différents types de plateformes, de l’ampleur des défis et des opportunités, ainsi que de la localisation et de l’accessibilité des données détenues par les plateformes.
Comprendre les approches déjà suivies par différentes administrations fiscales pour renforcer la discipline fiscale des utilisateurs de plateformes, y compris au moyen d’initiatives d’éducation, de changements législatifs et de projets de collaboration avec les plateformes.
Étudier l’étendue des informations dont les administrations fiscales ont besoin pour mettre en correspondance le revenu tiré des activités facilitées par la plateforme et les utilisateurs qui sont résidents fiscaux de leur juridiction. Ces informations devraient être à bien des égards similaires à celles requises au titre de la Norme commune de déclaration (NCD), en vertu de laquelle des renseignements sont communiqués tous les ans sur les comptes financiers détenus dans d’autres juridictions, afin d’identifier le titulaire effectif du compte dans la juridiction qui reçoit les renseignements. Même dans le cas où la plateforme n’est pas l’intermédiaire du paiement et où les paiements sont effectués par un autre tiers ou entre les parties à la transaction, il se peut que la plateforme détienne des informations utiles.
Consulter certaines des plus grandes plateformes qui exercent des activités internationales en vue de s’accorder sur un ensemble commun d’informations qui, sous réserve que les dispositions juridiques appropriées soient prises, pourraient être communiquées par ces plateformes à toutes les administrations fiscales dans les juridictions où leurs utilisateurs sont situés. Cette solution commune, qui dépendra probablement de la législation interne relative à la communication de données et des accords d’échange spontané de renseignements conclus entre autorités fiscales, allégerait les contraintes qui à défaut pèseraient sur les plateformes et sur les administrations fiscales si les informations étaient demandées par de nombreuses administrations différentes, dans des formats et dans des délais différents. Il faudra s’entendre sur l’ensemble commun d’informations, le format, le mécanisme de transmission et le calendrier communs, ainsi que sur la législation interne nécessaire.
Possibilité de conclure des accords multilatéraux pour l’échange de données
Outre la recherche de solutions permettant d’obtenir des données d’identification et des informations sur le revenu grâce à la coopération entre administrations fiscales et plateformes, et à partir des conclusions de ces travaux, il pourrait être opportun d’analyser plus avant la possibilité de conclure un accord multilatéral entre pays. Un tel accord, inspiré de la Norme commune de déclaration (NCD), pourrait prévoir que toutes les plateformes exerçant un type spécifique d’activité communiqueront des informations, dans un format uniforme, sur leurs utilisateurs, les transactions et le revenu à l’autorité fiscale de leur juridiction de résidence qui les transmettra, via des mécanismes juridiques appropriés, à la juridiction dans laquelle se trouve la résidence fiscale de l’utilisateur. Cet ensemble d’informations, ainsi que la législation et les accords internationaux sous‑jacents, devraient être globalement similaires à ceux requis par la NCD.
7.3. Numérisation de l’économie et discipline fiscale
Comme indiqué précédemment, les plateformes en ligne facilitent l’enregistrement de transactions P2P qu’il était jusqu’alors très difficile de suivre. Sous réserve d’être communiquées aux autorités fiscales, ces informations peuvent venir alimenter l’analyse de recoupement de données en vue de renforcer la discipline fiscale. De fait, la technologie augmente les capacités des administrations fiscales de bien des manières, et permet d’accroître l’efficacité des activités de contrôle, d’améliorer le service aux contribuables et d’alléger les contraintes administratives. La section suivante décrit certaines avancées parmi les plus récentes, ainsi que les risques potentiels induits par la numérisation de l’économie.
7.3.1. Accroître l’efficacité des activités de discipline fiscale
Ces dernières années, le volume des données de tiers accessible aux autorités fiscales a considérablement augmenté, tandis que les coûts de stockage ont baissé et les techniques d’analyse ont progressé. Ces informations portent sur les transactions et le revenu, incluent des données comportementales qui résultent des relations entre les contribuables et l’administration fiscale, des données opérationnelles sur la propriété, l’identité et la localisation, ainsi que des données libres provenant des réseaux sociaux et de la publicité. Utilisées de façon autonome ou combinée, ces données permettent de connaître en tout ou partie le revenu imposable et de dévoiler des cas de sous‑déclaration, de fraude ou d’évasion. Elles peuvent également servir à mieux comprendre le comportement des contribuables, à mesurer l’impact des activités et à identifier les actions les plus efficaces, que ces actions soient proactives ou réactives.
Les administrations fiscales sont de plus en plus nombreuses à utiliser des algorithmes pour analyser le vaste spectre de données auxquelles elles ont désormais accès en vue de définir plus précisément les risques. Ces nouveaux processus se substituent à certaines mesures de vérification, y compris la sélection des dossiers à vérifier et d’autres contrôles jusqu’alors effectués par des agents. Ces évolutions permettent aux autorités fiscales d’accroître le nombre de ces vérifications, passant d’un faible pourcentage des déclarations à une proportion beaucoup plus élevée, ce qui augmente le montant des recettes fiscales recouvrées.
Les nouvelles technologies servent aussi à lutter contre la sous‑déclaration des ventes ou la surdéclaration de déductions par falsification de factures, qui sont des formes de fraude fiscale elles-mêmes facilitées par l’emploi de technologies telles que les logiciels de suppression des ventes ou des outils de falsification plus sophistiqués. Un certain nombre d’administrations fiscales ont imposé l’utilisation de logiciels d’enregistrement des données qui consignent les données sur les ventes au moment de la transaction, et dans certains cas les transmettent en temps réel aux autorités fiscales. La mise en œuvre de l’obligation d’utiliser une technologie électronique d’enregistrement des données a permis d’accroître les recettes de TVA jusqu’à 20 % dans certains pays3, et a également conduit à engager des poursuites pénales pour fraude fiscale. Par ailleurs, ces outils aident utilement les propriétaires d’entreprise à se prémunir contre le vol de leurs employés et à s’acquitter plus aisément de leurs obligations fiscales.
La technologie a également permis d’importantes avancées dans la transparence fiscale au niveau national et international, notamment grâce au renforcement de l’échange de renseignements entre administrations fiscales. La Norme commune de déclaration (NCD) de l’OCDE pour l’échange automatique de renseignements sur les comptes financiers procure aux autorités fiscales des informations sur des transferts et des comptes offshore qui étaient jusqu’alors non détectés ou indétectables. En s’appuyant sur la technologie offerte par le Système commun de transmission élaboré par l’OCDE, la plateforme qui sous‑tend les échanges bilatéraux sécurisés de renseignements entre administrations fiscales participantes, ces échanges s’effectuent désormais de façon automatique et périodique. Les autorités doivent veiller au bon déploiement de l’échange automatique, et recouper les données obtenues avec les sources d’information existantes sur les contribuables concernés.
Encadré 7.5. Impact des technologies d’enregistrement des données et de facturation électronique sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales
En Hongrie, l’obligation de se doter de caisses-enregistreuses électroniques a permis d’accroître les recettes de TVA de 15 % dans les secteurs ciblés, un montant supérieur au coût de mise en place du nouveau système.
Rien qu’au Québec, plus de 1.2 milliard CAD a été recouvré grâce au déploiement de la technologie d’enregistrement des données dans le secteur de la restauration. Ce chiffre devrait atteindre 2.1 milliards CAD d’ici 2018-19.
Au Rwanda, au cours des deux années qui ont suivi l’introduction de caisses-enregistreuses électroniques en mars 2013, les recettes de la TVA sur les ventes ont augmenté de 20 %.
En République slovaque, plus de 500 millions EUR de demandes de remboursement de TVA douteuses ont été identifiés après la mise en place de processus électroniques de croisement des données de factures.
Au Mexique, 4.2 millions de micro-entreprises ont rejoint l’économie formelle après l’établissement de la facturation électronique obligatoire.
En Russie, le Service fiscal fédéral a déployé un système qui lui permet d’évaluer le respect des règles de TVA à l’échelle nationale en temps réel, ce qui réduit considérablement les risques de fraude. La démarche repose sur un recoupement automatique du total des paiements de TVA et des demandes de remboursement de TVA pour l’ensemble des parties aux transactions. Les résultats pour 2016 révèlent une augmentation des recettes de TVA de 8.5 % par rapport à 2015, tandis qu’en 2015 et 2014 les hausses s’élevaient respectivement à 12.2 % et 16.8 %.
Le Forum de l’OCDE sur l’administration fiscale va plus loin en lançant une enquête destinée à recenser les approches innovantes pour l’analyse des données procurées par la NCD. Dans ce cadre, les autorités fiscales coopèrent afin de procéder à une analyse plus systématique des schémas de comportement propres à l’évasion et à la fraude fiscales nationales et internationales, y compris pour différents segments de contribuables tels que les particuliers, les petits commerçants et les micro-entreprises. Le moment venu, ces approches permettront non seulement de détecter des mécanismes existants de fraude fiscale, mais aussi de prévenir et de dissuader ces comportements grâce à l’emploi d’outils ciblés.
7.3.2. Améliorer le service aux contribuables
L’accès facilité aux données et les progrès des techniques d’analyse contribuent aussi à améliorer le service aux contribuables. Il s’agit notamment de cerner les moyens de mieux comprendre et faire connaître les obligations fiscales, par exemple en analysant un jeu étendu de données en vue de repérer les zones d’incertitude ou les erreurs de déclaration, ainsi que pour déterminer les aspects à clarifier dans les instructions et communications destinées aux contribuables, ou les processus que l’administration fiscale pourrait devoir repenser. L’utilisation de ces techniques peut aussi procurer des enseignements comportementaux, en permettant aux autorités fiscales de faire un usage plus efficace des techniques incitatives destinées à influer sur le comportement des contribuables, par exemple pour empêcher l’accumulation d’arriérés d’impôt en intervenant en amont ou pour encourager les contribuables à corriger leurs erreurs potentielles dans leurs déclarations en attirant l’attention sur des contribuables qui se trouvent dans une situation comparable ou sur des informations déjà disponibles concernant le contribuable en question.
De nombreuses administrations fiscales offrent désormais aux contribuables des options en libre‑service par le biais d’applications mobiles et web, en cherchant à utiliser les circuits de communication accommodants pour les contribuables. Ces applications peuvent aider les contribuables à mettre à jour leurs données personnelles, à s’enregistrer à des fins fiscales (et pour d’autres services proposés par l’administration), à télécharger des déclarations électroniques et à recevoir des notifications électroniques. Cette évolution s’accompagne souvent d’un passage à une logique axée sur l’usager, qui peut s’intégrer à des initiatives d’administration électronique de plus vaste portée, sous réserve des limites liées à la protection des données.
La disponibilité accrue de services en ligne pour les contribuables vise à maintenir et à améliorer le respect volontaire de leurs obligations, dans un contexte où de nombreux contribuables nourrissent des attentes plus élevées en matière de niveau de services et d’accès à l’administration fiscale. Le développement des applications en libre-service passe aussi par un renforcement de la sécurité afin de protéger les informations confidentielles et de réduire les risques de fraude. À cet égard, diverses administrations fiscales emploient désormais des techniques d’authentification plus sophistiquées, faisant intervenir un processus de vérification en plusieurs étapes et des identifiants uniques comme l’identification biométrique.
Compte tenu de leur aptitude à faciliter l’interaction des contribuables avec le système fiscal, l’expérimentation et le déploiement de nouvelles technologies à l’appui d’une offre plus efficace de services aux contribuables doivent faire l’objet d’un suivi continu. Il faudrait intensifier les efforts actuellement déployés pour recenser les meilleures pratiques et faciliter la mise en commun des connaissances entre administrations fiscales en vue de rehausser le niveau de service aux contribuables à l’échelle mondiale, et veiller à ce que les administrations fiscales des pays en développement puissent contribuer à ces évolutions et en tirer profit.
Encadré 7.6. Améliorer le service aux contribuables grâce à l’utilisation de la technologie
En Inde, le gouvernement a mis en place une base de données biométrique nationale qui rassemble les empreintes digitales et les captures de l’iris de plus d’un milliard de résidents. Un numéro d’identification à 12 chiffres est délivré à chaque résident et est utilisé à des fins de sécurité dans de nombreux services de l’administration publique et du secteur privé, y compris pour les déclarations au titre de l’impôt sur le revenu.
L’administration fiscale péruvienne, la SUNAT, a lancé sa première application mobile en février 2015. Celle‑ci garantit un accès permanent, via tablette ou téléphone portable, à un ensemble de services qui incluent l’enregistrement à des fins fiscales, l’émission de factures, la consultation d’un guide fiscal en ligne et la possibilité de signaler les fraudeurs.
L’administration fiscale danoise (SKAT) collabore avec des développeurs de logiciel en vue d’intégrer des instructions et des fonctionnalités de nature fiscale dans des logiciels comptables de tiers destinés aux petites entreprises. L’objectif à long terme est de faire en sorte que les données transactionnelles qui transitent des banques vers les systèmes comptables constituent la base d’un processus semi-automatisé qui s’intègre dans les propres processus opérationnels de la SKAT.
7.3.3. Alléger les contraintes de discipline fiscale
Diverses administrations fiscales ont depuis longtemps mis en place des processus visant à alléger la charge de conformité fiscale pour les salariés, notamment en instaurant la déclaration automatisée des revenus, voire même une retenue à la source sur les salaires par prélèvements périodiques. Ces approches, qui reposent sur des informations obtenues auprès de tiers, s’avèrent également renforcer la discipline fiscale. Aujourd’hui, ces processus sont enrichis par la disponibilité croissante de données sur d’autres sources de revenu, qui dans certains pays permettent de préremplir en grande partie les déclarations. Les administrations fiscales cherchent de plus en plus à mettre la discipline fiscale au cœur du système, tant pour les entreprises que pour les particuliers.
À cet égard, l’existence d’informations numériques et l’utilisation de la technologie par les contribuables permettent de plus en plus aux administrations fiscales d’intégrer les obligations fiscales et déclaratives dans les systèmes existants des contribuables (comme les logiciels comptables et les outils de tenue de registres, les applications de banque en ligne, les caisses-enregistreuses électroniques et les applications mobiles). Les autorités fiscales coopèrent de plus en plus avec des fournisseurs de logiciels tiers et des prestataires de services fiscaux, et s’attachent à développer des solutions internes, telles que des applications dédiées à l’enregistrement, au calcul, à la déclaration et au paiement de l’impôt. L’intégration de la discipline fiscale, y compris au stade initial des vérifications, dans la conception des systèmes de l’administration fiscale offre la possibilité de réduire sensiblement les contraintes administratives, libérant ainsi les ressources du contribuable comme de l’administration fiscale tout en améliorant la discipline d’ensemble.
L’allégement des contraintes pesant sur les contribuables passe aussi par l’amélioration de l’efficience et de la sécurité des déclarations de revenu et de transactions, et un certain nombre d’administrations fiscales envisagent d’utiliser la blockchain à cette fin. La blockchain est une technologie reposant sur un registre distribué qui peut servir à stocker n’importe quel type de données, y compris les transactions financières. En enregistrant les détails d’une transaction au moment où elle se produit (transfert de la propriété d’actifs, par exemple) et en garantissant que les règles de l’entreprise sont respectées sans intervention d’une autorité de vérification centrale, la blockchain offre des applications utiles aux autorités fiscales. Par exemple, une méthode sécurisée d’enregistrement et d’authentification des contribuables, ou l’enregistrement des transactions (registres fonciers, par exemple).
À l’instar d’autres technologies, la blockchain pose aussi certains risques liés notamment à l’absence de mécanisme centralisé de gouvernance et d’établissement de règles. Certaines de ses applications, telles que les cryptomonnaies4, peuvent aussi ouvrir la voie à de nouvelles pratiques de dissimulation de l’identité des émetteurs et des bénéficiaires des paiements. À ce titre, elle peut engendrer de nouveaux risques de transparence qui, s’ils ne sont pas maîtrisés, pourraient saper les progrès accomplis ces dix dernières années pour combattre l’évasion fiscale offshore. Plus largement, les possibilités de délits fiscaux et d’autres délits financiers créées par les cryptomonnaies pourraient justifier des travaux supplémentaires.
Une intégration plus poussée des systèmes d’information des administrations publiques et de tiers, conjuguée à une conception plus efficace des processus, promettent de réduire les contraintes liées au respect des règles pour les contribuables. Comme avec toutes les nouvelles technologies, il faudra veiller à comprendre pleinement leurs avantages et leurs risques, et à les atténuer dans la mesure du possible. Bon nombre de ces technologies sont déployées à l’échelle mondiale, de sorte que les initiatives qui permettront aux administrations de travailler ensemble à l’avenir pour analyser ces questions représenteraient un usage efficient des ressources et garantiraient une diffusion efficace des retombées.
Encadré 7.7. Utilisation de données électroniques pour renforcer la discipline fiscale
De nombreuses administrations fiscales ont déjà adopté les déclarations préremplies pour tout ou partie des revenus des personnes physiques. Certains pays, dont la Belgique, le Danemark, la Finlande, la Hongrie, l’Islande, la Lituanie, la Malaisie, Malte, la Norvège, Singapour et la Slovénie, ont adopté le principe de « l’acceptation présumée » des déclarations préremplies passé un certain délai. Sous leur forme la plus aboutie, les déclarations fiscales préremplies couvrent près de 100 % des contribuables redevables de l’impôt sur le revenu dans un certain nombre de juridictions.
L’administration fiscale australienne a intégré dans son application mobile un outil qui permet aux utilisateurs d’enregistrer leurs dépenses déductibles en temps réel. Grâce à l’appareil photo qui équipe leur téléphone portable, les contribuables peuvent photographier les reçus et utiliser les services de géolocalisation pour consigner leurs déplacements professionnels et ainsi déclarer les dépenses correspondantes, sans devoir tenir des registres papier.
L’autorité fiscale kenyane a mis en place le système iTax en 2013. Il s’agit d’un système en ligne de prélèvement de l’impôt qui prévoit une solution intégrée et automatisée pour l’administration de l’impôt sur le revenu, y compris le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, de la TVA et d’autres types de retenues à la source. Il permet aux contribuables de mettre à jour leurs informations pour l’enregistrement à des fins fiscales, de remplir leurs déclarations fiscales, d’enregistrer tous leurs paiements et de faire des demandes sur l’état d’avancement d’un cas, avec un suivi en temps réel de leur compte.
7.4. Les nouveaux territoires de la fiscalité et de la numérisation
Les exemples cités dans ce chapitre ne donnent qu’un petit aperçu des répercussions à grande échelle que les nouvelles technologies, portées par la numérisation, pourraient avoir sur l’ensemble du système fiscal. Elles vont de l’impact de l’automatisation et de l’intelligence artificielle sur la main‑d’œuvre, des bouleversements que l’essor de l’impression 3-D et de la réalité augmentée pourraient provoquer dans les chaînes de valeur, à la capacité des données massives (Big Data) et des techniques d’analyse à transformer radicalement l’élaboration des politiques et le respect des règles fiscales selon des modalités qui permettent de mener des actions en temps réel et taillées sur mesure.
Face aux possibilités d’améliorer le service aux contribuables, de renforcer la discipline et de réprimer la fraude et l’évasion fiscales, il serait opportun d’engager des travaux supplémentaires sur les thèmes évoqués dans ce chapitre, y compris pour trouver le meilleur moyen d’aider les pays moins développés à concrétiser ces avantages. Des dispositions initiales ont d’ores et déjà été prises pour avancer sur certains de ces sujets, et notamment :
L’impact des plateformes en ligne sur l’évolution du statut fiscal d’acteurs économiques relevant de différentes formes d’emploi. Il s’agit du passage de contrats de travail standard à des contrats atypiques, qui peuvent impliquer l’offre de services de main‑d’œuvre en qualité de travailleur indépendant ou de société fermée. Ces travaux seront présentés en 2019.
Les options permettant aux autorités fiscales d’accéder aux informations détenues par les plateformes en ligne concernant les activités génératrices de revenu facilitées par ces plateformes. Ces travaux seront achevés en 2018. En fonction des conclusions, on pourrait envisager de mettre en place un mécanisme multilatéral d’échange de données, de manière à ce que les informations détenues par les plateformes soient communiquées automatiquement et périodiquement aux autorités fiscales.
L’analyse des données relatives aux comptes financiers dont les administrations fiscales disposent désormais grâce à la NCD, en vue d’identifier les schémas de comportement propres à l’évasion et à la fraude fiscales nationales et internationales, afin d’améliorer les outils de détection et de dissuasion correspondants. Ces travaux seront présentés en 2019.
Une réflexion sur des mesures garantissant l’équilibre entre l’allégement des contraintes de discipline qui pèsent sur les nouveaux acteurs du marché, et le maintien de l’équité des conditions de concurrence vis-à-vis d’activités existantes de nature similaire.
D’autres domaines de travail pourraient être envisagés, comme le souligne ce chapitre :
La poursuite des travaux liés aux politiques fiscales en cours afin d’évaluer l’impact du passage de contrats de travail standard à des contrats atypiques sur les recettes et sur la structure fiscale. En l’occurrence, il faudra procéder à une évaluation globale et inclusive de l’effet de cette mutation sur le bien‑être de l’ensemble de la population.
La mise à profit des bonnes pratiques existantes en matière d’éducation des contribuables afin d’attirer l’attention sur les situations impliquant des activités internationales en ligne, de manière à améliorer la compréhension des obligations fiscales et à encourager l’autodéclaration et la discipline volontaire.
Le partage de connaissances entre administrations fiscales en vue de bâtir une base de données des bonnes pratiques et de suivre les nouvelles tendances dans l’utilisation des technologies au profit de l’amélioration du service aux contribuables.
L’analyse de la nature et de l’importance des possibilités, mais aussi des risques en matière de contraintes administratives pour les contribuables, offertes par l’intégration des systèmes d’information du secteur public et de tiers, et l’examen des options permettant d’atténuer les risques tout en assurant une diffusion efficace des retombées positives.
L’analyse des risques d’évasion fiscale induits par les cryptomonnaies et la technologie blockchain en général, ainsi que des solutions potentielles, telles que des mesures législatives imposant aux plateformes d’échange d’actifs numériques et autres tiers une obligation déclarative, et/ou permettant aux administrations fiscales de demander des informations sur les transactions ayant pour objet des actifs numériques tels que les cryptomonnaies ainsi que l’échange ciblé de renseignements.
Dans chacun de ces domaines de travail actuels et potentiels, il faudra veiller à ce que les pays en développement, en tant que membres à part entière du Cadre inclusif sur le BEPS, puissent contribuer à ces évolutions et en tirer profit, en tenant compte de leurs contraintes et de leur situation spécifiques. Le cas échéant, cela peut impliquer de travailler avec des organismes régionaux chargés de l’administration de l’impôt, ainsi qu’avec la Plateforme de collaboration sur les questions fiscales.
De façon plus générale, le GREN devrait continuer de suivre les évolutions, y compris les innovations technologiques, susceptibles de se répercuter sur l’efficacité des systèmes fiscaux, depuis les aspects théoriques jusqu’aux questions d’administration, au vu du changement rapide induit par la numérisation de l’économie. Un bilan des progrès réalisés dans chacun de ces domaines viendra alimenter le rapport de 2020 du Cadre inclusif sur la fiscalité et la numérisation.
Références
[2] OCDE/FIIAPP (2015), Édifier une culture fiscale, du civisme et de citoyenneté : Un document de référence global de l'éducation des contribuables, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/9789264230163-fr.
[1] OECD (2017), Technology Tools to Tackle Tax Evasion and Tax Fraud, OECD Publishing, http://www.oecd.org/tax/crime/technology-tools-to-tackle-tax-evasion-and-tax-fraud.htm (consulté le 12 mars 2018).
Notes
← 1. Le terme « économie à la demande » désigne un marché du travail caractérisé par la prévalence de contrats de courte durée et souvent atypiques ou du travail indépendant, par opposition aux emplois permanents et aux contrats de travail standard. Le terme « économie du partage » désigne un marché dans lequel les actifs ou les services sont partagé entre particuliers, soit gratuitement, soit contre rémunération. L’économie à la demande et l’économie du partage sont stimulées par la numérisation et en particulier par l’utilisation de l’Internet, qui permet l’expansion rapide de ces activités à une échelle mondiale.
← 2. Pour plus d’informations sur les travaux antérieurs de l’OCDE sur ce sujet, voir le rapport de 2015(OCDE/FIIAPP, 2015[2]).
← 3. (OECD, 2017[1]).
← 4. Une cryptomonnaie est un actif numérique utilisé comme moyen d’échange et qui recourt à la cryptographie pour sécuriser ses transactions, contrôler la création d’unités supplémentaires et vérifier le transfert d’actifs. Il s’agit d’une forme de monnaie virtuelle, c’est-à-dire une unité numérique d’échange qui n’a pas de cours légal fixé par l’État.