Ce chapitre part du constat qu’aucun consensus n’a été trouvé concernant la nécessité et le bien-fondé de la mise en œuvre de mesures provisoires, puisqu’un grand nombre de pays s’opposent à leur introduction en raison des risques et des effets négatifs qu’elles induisent indépendamment de la façon dont elles sont conçues. D’autres pays, sans nier ces difficultés, estiment malgré tout nécessaire d’adopter de telles mesures provisoires et considèrent possible, en partie tout au moins, d’atténuer leurs éventuelles retombées négatives. Les pays en faveur de l’introduction de mesures provisoires ont défini, à l’attention des pays qui envisagent leur mise en œuvre, des indications sur les éléments à prendre en considération au moment de leur conception.
Les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l'économie – rapport intérimaire 2018
Chapitre 6. Mesures provisoires permettant de relever les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie
Abstract
6.1. Synthèse
Les travaux concernant les défis fiscaux liés à la numérisation de l’économie sont déjà lancés, selon les axes décrits au chapitre 5, et l’atteinte d’une solution fondée sur un consensus à ce sujet prendra du temps. Dans l’intervalle, un certain nombre de juridictions envisagent d’adopter une mesure provisoire.
Cependant, l’approche selon laquelle la prise de telles mesures provisoires serait nécessaire et appropriée ne fait pas l’objet d’un consensus et par conséquent, ce rapport ne recommande pas leur introduction. Un certain nombre de pays estiment que l’adoption d’une mesure provisoire n’ira pas sans risques ni conséquences négatives, quelles que soient les limites imposées lors de l’élaboration d’une telle mesure et s’opposent de ce fait à toute mesure de ce genre. Sans nier ces écueils possibles, d’autres pays estiment nécessaire d’appliquer cette taxe sur leur territoire à certaines ventes de services en ligne destinées à leur marché local, et considèrent qu’une conception appropriée de la mesure permettra d’en atténuer les éventuelles retombées négatives. Ces pays reconnaissent aussi que la multiplication de mesures provisoires différentes devrait être évitée, et estiment donc préférable de définir des critères de conception à prendre en compte quand on envisage d’adopter de telles mesures.
6.2. Introduction
Comme indiqué en détail dans le chapitre 2, l’un des défis fiscaux posés par la numérisation de l’économie tient à la possibilité, pour certaines entreprises, d’être fortement impliquées dans la vie économique d’une juridiction dans laquelle leur présence imposable se révèle limitée, voire nulle. Les chapitres 5 et 8 proposent un aperçu des réponses plus pérennes que les juridictions peuvent apporter à ces problématiques, ainsi que les prochaines étapes à suivre pour conduire de tels travaux.
L’élaboration d’une solution d’ensemble, son adoption et la mise en œuvre effective des mesures ainsi définies prendront toutefois du temps, or les gouvernements de certains pays ont lancé des appels insistants en faveur d’actions correctives immédiates. Leurs préoccupations les plus immédiates concernent généralement les entreprises à forte composante numérique, qui disposent d’une présence significative sur le marché local alors même que leur présence physique y reste limitée, et dont les modèles d’affaires reposent fortement sur les actifs incorporels, les données, la participation des utilisateurs et les effets de réseau. Un certain nombre de ces juridictions envisagent l’adoption d’une mesure provisoire prenant la forme d’une taxe d’accise1 sur certaines ventes de services en ligne destinées à leur marché local, qui serait calculée sur le montant brut versé en contrepartie de la fourniture de ces services par un prestataire enregistré à ce titre. En conséquence, cette section fait référence à une telle taxe d’accise sur les services en ligne.
Aucun consensus n’a été trouvé concernant la nécessité et le bien-fondé de la mise en place de mesures provisoires, puisqu’un certain nombre de pays s’oppose à leur introduction, indépendamment de leur conception. Ces pays contestent le fait que certaines caractéristiques telles que l’« échelle sans masse », une forte dépendance aux actifs incorporels ou la « contribution de l’utilisateur » justifient l’application d’une mesure provisoire, et considèrent qu’une telle taxe serait assortie d’un certain nombre de risques et de conséquences non souhaitables, notamment :
Des effets sur l’investissement, l’innovation et la croissance : comme tout impôt calculé sur la fourniture de certains services, une mesure provisoire viendra accroître le coût du capital, réduisant les incitations à l’investissement et entraînant des conséquences négatives pour la croissance. Une mesure qui cible exclusivement les secteurs atteints par la numérisation peut freiner les investissements consacrés à l’innovation par les entreprises soumises à cette taxe ou affectées indirectement par celle-ci. Bien que les effets dépendent également du mode de financement de l’investissement, à défaut d’imposer les restrictions appropriées, comme une exonération en faveur des PME, la mise en place d’une taxe calculée sur une base d’imposition brute pourrait pénaliser les start-up et d’autres entreprises en phase de croissance qui dégagent des bénéfices faibles ou qui enregistrent des pertes et offrir un avantage compétitif à des entreprises matures et profitables, en contribuant à instaurer une barrière à l’entrée venant consolider la domination des participants bien établis.
Des effets sur le bien-être global : un autre inconvénient lié à l’adoption d’un impôt appliqué sur des montants bruts est le fait qu’il équivaut à une taxe sur les intrants. Un tel impôt peut donc introduire des effets de distorsion dans les décisions des entreprises en matière d’intrants et affecter leurs choix de production. En d’autres termes, l’adoption d’une telle mesure peut avoir deux effets : soit la production baisse, soit davantage de ressources sont requises pour atteindre le même niveau de production. Par conséquent, elle peut induire des effets négatifs sur les niveaux de bien-être global et de production d’une économie. Ces effets, dont l’importance dépend de l’élasticité de substitution, seront d’autant plus limités que la mesure sera ciblée.
Des effets potentiels de la fiscalité sur la consommation et l’activité des entreprises : suivant la sensibilité aux prix des acteurs de l’offre et de la demande, et la structure du marché, l’imposition peut se voir reportée, pour tout ou partie, sur les consommateurs locaux moyennant une hausse des prix des biens ou services. Ce risque de report de la charge fiscale sur les clients est d’autant plus fort que ceux-ci affichent une faible sensibilité aux prix et que le marché est fortement concurrentiel. En d’autres termes, plus les consommateurs sont réticents à renoncer à l’achat d’un service spécifique ou à le substituer par un autre, moins imposé, plus ils seront affectés par l’introduction de la taxe. Si les services fournis entre entreprises présentent les mêmes caractéristiques de sensibilité aux prix, la création de la taxe induira une hausse du coût des intrants pour d’autres entreprises situées en aval de la chaîne de production, alors que celles-ci n’étaient pas visées par la mesure. De même, les petites entreprises peuvent être affectées en tant qu’utilisatrices des services ainsi taxés, même si les services en ligne qu’elles fournissent à leur tour sont exclus du champ d’application de la mesure.
Les risques d’appliquer une imposition excessive : pour respecter ses obligations internationales, un pays peut être amené à appliquer le nouvel impôt à la fois aux contribuables résidents et non résidents et à limiter tout mécanisme de crédit d’impôt au titre d’autres impositions. Des cas d’imposition excessive peuvent en découler (par exemple, des paiements au titre de certains services en ligne pourraient être soumis à une mesure provisoire et à l’impôt sur les bénéfices des sociétés), ce qui irait à l’encontre même de l’objectif qui avait motivé l’adoption de la mesure, à savoir : couvrir les ventes transfrontalières de services en ligne qui, selon des règles fiscales actuelles, échappent à l’impôt dans la juridiction du marché. Une double imposition économique pourrait aussi résulter d’effets en cascade lorsqu’une prestation de certains services en ligne est réalisée auprès d’un client qui intègre ces services dans une prestation effectuée en aval elle-même soumise à la taxe.
De possibles difficultés peuvent entourer la mise en œuvre d’un impôt en tant que mesure provisoire : une fois mis en œuvre, les impôts sont souvent difficiles à supprimer et, au regard du temps nécessaire à concevoir puis appliquer une mesure provisoire, il est fondé de s’interroger sur la pertinence d’une initiative qui suppose d’introduire un tout nouvel ensemble de règles, et les procédures administratives correspondantes, dont la validité devrait être limitée dans le temps.
Des coûts de mise en conformité et d’administration : une mesure provisoire pourrait générer des coûts de mise en conformité et d’administration parfois non négligeables au regard des recettes fiscales qu’elle permet de mobiliser, à plus forte mesure lorsque sa durée d’application est limitée. Ces coûts de mise en conformité seront d’autant plus élevés que les divergences entre les mesures unilatérales adoptées par les pays seront marquées. La juridiction d’imposition pourrait, en outre, rencontrer des difficultés pour vérifier l’exactitude des déclarations déposées et des paiements réalisés par des non-résidents.
Les pays qui sont favorables à la mise en place de mesures provisoires reconnaissent que de telles difficultés peuvent survenir, mais considèrent que des impératifs pressants justifient une initiative permettant d’appliquer à certaines entreprises une taxe proportionnelle à la valeur qu’ils considèrent générée sur leur territoire, en rappelant le temps déjà consacré aux discussions sur ce sujet. Ces pays considèrent généralement que la participation des utilisateurs constitue un facteur clé de création de valeur pour certaines entreprises numériques, à travers leur contribution au contenu d’une plateforme, la création d’effets de réseau et la fourniture de données du fait de leurs activités et d’une participation régulière. Ils estiment qu’il est nécessaire de réformer les règles fiscales internationales afin de prendre en compte ces déterminants de valeur dans la manière dont les bénéfices de ces entreprises sont répartis entre les pays à des fins fiscales. En l’absence de réforme, ils sont convaincus que le décalage entre le bénéfice imposable et la création de valeur pourrait remettre en question l’équité, la pérennité et l’acceptabilité du système par la population. Pour cette raison, et compte tenu du temps qu’il faudra pour parvenir à une solution fondée sur un consensus et la mettre en œuvre, ces pays estiment qu’il est nécessaire d’envisager une action plus immédiate (par exemple, par le biais d’une taxe sur certains services en ligne), conçue pour offrir aux juridictions une compensation au titre de la valeur non reconnue qu’elles estiment générée sur leur territoire, en attendant qu’un consensus soit trouvé autour d’une solution globale. Ces pays reconnaissent que les impôts qui frappent certains services en ligne ne vont pas sans poser certains défis mais ils sont d’avis qu’il convient de les apprécier en regard du risque politique de non-action et estiment que les efforts consacrés à l’élaboration de la mesure permettraient d’atténuer une partie des effets négatifs. À titre d’exemple, l’importance des risques d’imposition excessive liés à la mesure peut dépendre de plusieurs facteurs, comme le champ d’application de la taxe, son taux, les seuils d’assujettissement, et du fait que les dépenses liées aux services en ligne puissent, ou non, être comptabilisées par un client comme des charges déductibles, et de la présence de différentes mesures, de nature fiscale ou budgétaire, totalement indépendantes de la taxe elle-même. De même, les coûts de mise en conformité et d’administration peuvent être minimisés en utilisant les mécanismes de déclaration et de recouvrement déjà mis en place au titre d’autres taxes (comme le recouvrement de la TVA en cas de fourniture de services aux consommateurs), et en veillant à se rapprocher des modalités retenues par les autres pays ayant adopté des mesures similaires.
Compte tenu de ces enjeux, et gardant à l’esprit les risques liés aux incertitudes, aux coûts et aux inefficacités qui pourraient résulter de l’adoption par les pays d’une multitude de mesures unilatérales différentes, les pays qui envisagent la mise en place d’une mesure provisoire jugent opportun de définir des critères de conception à prendre en compte afin de limiter les effets néfastes éventuels associés à une mesure provisoire. Les analyses présentées dans ce chapitre concernant les mesures provisoires ne préjugent en rien des débats et travaux, en cours et à venir, concernant l’élaboration de solutions pérennes pour répondre aux défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie.
En conséquence, les pays qui prévoient de mettre en place des mesures provisoires ont identifié un certain nombre de points qu’ils estiment nécessaires de prendre en compte par les juridictions envisageant l’adoption de mesures provisoires de cette nature, afin de fournir à ces juridictions des orientations sur la manière de limiter les divergences potentielles entre des mesures ainsi que les éventuels effets indirects néfastes de telles mesures.
Les juridictions, ou les ensembles régionaux, qui envisagent l’adoption de mesures provisoires devraient analyser avec soin, au regard du contexte qui leur est propre, les avantages et inconvénients de telles mesures.
6.3. Éléments à prendre en compte pour la conception de mesures provisoires
Les pays qui sont favorables à l’adoption de mesures provisoires reconnaissent que celles-ci devront respecter les principes suivants : i) être conformes aux obligations internationales souscrites par le pays concerné ; ii) être de nature temporaire ; iii) être ciblées ; iv) minimiser les risques d’imposition excessive ; v) minimiser les effets négatifs sur la création d’entreprises, les start-up et, plus généralement, les petites entreprises ; et vi) minimiser les coûts et la complexité. Ces différents éléments à prendre en compte sont exposés en détail ci-après.
6.3.1. Des mesures conformes aux obligations internationales
Tout nouvel impôt mis en place par un pays doit rester conforme aux obligations internationales souscrites par celui-ci. Chaque pays devra analyser la formulation des dispositions de toutes les conventions qu’il a conclues afin de connaître les conséquences de leurs dispositions sur une éventuelle mesure provisoire. Ces obligations sont celles qui découlent de son adhésion à des conventions fiscales bilatérales ou à des accords commerciaux, par exemple ceux conclus au titre de son accession à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ou de son appartenance à des unions politiques et économiques, comme l’Union européenne (EU) ou l’Espace économique européen (EEE).
Cet ensemble de restrictions peut se traduire par des limitations importantes lors de l’élaboration d’une mesure provisoire. En particulier, les conventions fiscales bilatérales conclues par un pays peuvent retirer à son administration fiscale la possibilité d’appliquer un impôt sur le revenu ou sur un quelconque élément de revenu, tandis que les obligations commerciales et autres obligations internationales souscrites par ce pays peuvent entraîner d’autres limitations, par exemple en exigeant qu’un impôt s’applique à tous les contribuables, résidents ou non résidents. Ces restrictions et leurs conséquences potentielles sur l’élaboration de mesures provisoires sont détaillées ci-dessous.
Une mesure provisoire ne doit pas aller à l’encontre des dispositions des conventions fiscales
Comme indiqué au chapitre 5, aux fins de la plupart des conventions fiscales, les bénéfices réalisés par une entreprise d’un État contractant sont, sauf exception, imposables uniquement dans cet État, à moins que l’entreprise n’exerce son activité dans l’autre État contractant par l’intermédiaire d’un établissement stable qui y est situé2. En conséquence, les États qui ont conclu une convention fiscale conforme au Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune (OCDE, 2017[1]) ne sont généralement pas autorisés à imposer les bénéfices obtenus par un non-résident au titre de la vente de services en ligne en soumettant celui-ci à un impôt couvert par une convention.
L’article 2 (impôts visés) du Modèle de Convention fiscale de l’OCDE indique que la Convention s’applique aux « impôts sur le revenu » ou aux « éléments du revenu », « quel que soit le modèle de perception ». En outre, l’article 2 prévoit que la Convention doit également s’appliquer à tous les nouveaux impôts de nature identique ou « analogue » aux impôts considérés. Les Commentaires sur l’article 2 du Modèle de Convention fiscale de l’OCDE indiquent que l’objectif de cet article est « d’étendre le plus possible le champ d’application de la Convention en y incluant, autant que possible, en harmonie avec les règles de la législation interne des États contractants, les impôts perçus par les subdivisions politiques ou les collectivités locales, d’éviter la nécessité de conclure une nouvelle convention à chaque modification de la législation interne des États contractants et de faire en sorte que chaque État contractant ait notification des modifications importantes de la législation fiscale de l’autre État »3.
Compte tenu de ce champ d’application étendu, dans ce contexte, il peut se révéler difficile d’établir si un impôt est couvert, ou non, par une convention fiscale. Le fait que les impôts sur le revenu soient, sur le plan théorique tout au moins, centrés sur le bénéficiaire du revenu plutôt que sur le consommateur d’une prestation de biens ou de services spécifiques, peut permettre de distinguer les impôts sur le revenu, ou sur des éléments du revenu, des autres impôts. De fait, en règle générale, un impôt sur le revenu s’applique explicitement au bénéficiaire du revenu et tient compte des caractéristiques et de la situation économique de celui-ci.
Si l’assiette d’un impôt sur le revenu correspond généralement au revenu net perçu par le contribuable, dans la pratique, ses contours sont parfois difficiles à délimiter, lorsque l’impôt est calculé sur un montant brut. À titre d’exemple, une retenue à la source sur le montant brut d’une redevance appliquée dans l’État du payeur sera généralement déduite par ce dernier du montant versé en contrepartie de l’utilisation de la propriété intellectuelle ainsi que de l’impôt sur le revenu que le bénéficiaire du paiement doit acquitter dans son propre pays.
Alors qu’un impôt sur le revenu est généralement considéré comme une charge fiscale incombant au bénéficiaire au titre de ses revenus, pour déterminer si un impôt est couvert par les dispositions de l’article 2, aucune distinction n’est faite selon que les impôts sont prélevés par le biais d’une retenue à la source, ou selon qu’ils s’appliquent à un montant net ou à un montant brut. De même, ni la méthode d’évaluation retenue ni le mode de prélèvement applicable en vertu du droit interne n’entrent en ligne de compte.
Les dispositions de l’article 2 couvrent non seulement les impôts sur le revenu, mais également sur des éléments du revenu. Toute mesure provisoire qui taxerait un élément de revenu et qui s’appuierait sur certaines caractéristiques du bénéficiaire du revenu ou sur sa situation économique, par exemple, le fait que le fournisseur réalise des bénéfices, risque d’entrer dans le champ d’application de l’article 2. À l’inverse, une mesure provisoire qui viserait les prestations de services elles-mêmes, plutôt que leur fournisseur, et qui serait centrée exclusivement sur le volet dépenses du paiement (c’est-à-dire, sur la nature et la valeur des prestations fournies), serait probablement considérée comme exclue du champ d’application de l’article 2. Dès lors, même si elle est recouvrée auprès du fournisseur, et que celui-ci est tenu de s’identifier aux fins de recouvrement dès lors qu’un seuil minimal est franchi, une taxe respectant ces conditions restera généralement exclue du champ d’application de la convention.
Comme indiqué ci-dessus, un impôt couvert par une convention fiscale vise généralement le fournisseur plutôt que les prestations de services. En outre, l’argument selon lequel une taxe d’accise sur les services en ligne n’est pas considérée comme un impôt sur le revenu que les conventions fiscales ont vocation à couvrir, serait renforcé en particulier dès lors que les conditions suivantes sont respectées : (i) elle cible les ventes d’une ou de plusieurs catégories de services en ligne bien définies et est acquittée par les parties qui assurent la fourniture de ces services indépendamment de la situation économique ou fiscale du fournisseur ; (ii) le montant dû est calculé en appliquant un taux fixe au montant versé en contrepartie des services (sans s’intéresser au revenu net perçu par le fournisseur ni au revenu généré par la prestation de services) ; et (iii) elle n’ouvre droit à aucun type de déduction ou d’allégement qui viendrait réduire l’impôt sur les bénéfices des sociétés dû au titre du paiement considéré.
Une taxe d’accise n’entrera pas dans le champ d’application du Modèle de Convention fiscale de l’OCDE (sauf pour certains de ses articles, comme ceux relatifs à l’échange de renseignements, à l’assistance en matière de recouvrement des impôts ou à la non-discrimination), dans la mesure où cette taxe ne constitue pas (ni dans la forme, ni sur le fond) un impôt sur le revenu ou sur des éléments du revenu. La dénomination attribuée à un impôt n’étant pas un critère déterminant, l’article 2 du Modèle de Convention pourrait s’appliquer à des impôts qui sont présentés comme des taxes d’accise mais qui sont, en substance, des impôts sur le revenu. Une taxe d’accise applicable à une catégorie particulière de paiements pourrait présenter de fortes similarités avec un impôt calculé sur le montant brut d’une redevance ou d’une commission pour services rendus en application du droit interne de certains États. De plus, dans la mesure où de nombreuses conventions bilatérales s’écartent de la définition figurant dans le Modèle de Convention fiscale de l’OCDE, il est difficile d’établir si un impôt entre, ou non, dans le champ d’application d’une convention fiscale particulière sans conduire une analyse au cas par cas. Si la plupart des conventions fiscales sont conformes aux dispositions de l’article 2 du Modèle de Convention de l’OCDE, nombreuses sont celles qui s’en éloignent, la différence la plus fréquente étant l’omission des deux premiers paragraphes, de sorte que le champ d’application de l’article 2 couvre les impôts listés au paragraphe 3 et s’étend aux nouveaux impôts conformément au paragraphe 4.
Chaque pays doit analyser les caractéristiques précises de la mesure provisoire et la formulation des dispositions de la convention fiscale correspondante pour établir si celle-ci est, ou non, applicable à la mesure provisoire. Les pays devront donc analyser le contenu de toutes leurs conventions fiscales bilatérales afin d’en évaluer les effets potentiels sur l’élaboration de toute mesure provisoire.
Un impôt qui n’entre pas dans le champ des conventions fiscales ne devrait pas pouvoir être imputé sur l’impôt prélevé par la juridiction de résidence du contribuable et ne devrait pas ouvrir droit à un crédit d’impôt au titre d’une quelconque convention fiscale conclue avec cette juridiction.
(a) L’application de la mesure provisoire aux non-résidents n’introduit généralement pas de discrimination au regard des conventions fiscales bilatérales
Si les conventions fiscales s’appliquent, en règle générale, uniquement aux impôts sur le revenu (ou sur un élément du revenu), certaines de leurs dispositions peuvent néanmoins couvrir d’autres catégories d’impôts : c’est notamment le cas de l’article relatif à la non-discrimination. Une mesure visant exclusivement les non-résidents ne devrait toutefois pas soulever de problèmes au regard d’un tel article dès lors que ses dispositions sont équivalentes à celles figurant à l’article 24 du Modèle de Convention fiscale de l’OCDE, sous réserve de ce qui suit.
L’article 24 du Modèle de Convention fiscale de l’OCDE permet d’éviter toute discrimination fiscale dans des cas de figure spécifiques. Cet article et les commentaires correspondants reconnaissent que la distinction entre résidents et non-résidents constitue une caractéristique normale et habituelle des régimes d’imposition qu’il convient de respecter. À titre d’exemple, il est normal de pratiquer des retenues à la source sur les paiements bruts d’intérêts ou de dividendes versés à des non-résidents, alors que les résidents ne sont pas concernés par ce prélèvement ; en tout état de cause, les résidents sont habituellement imposés au titre de ces paiements sur la base des montants nets. En particulier, le paragraphe 1 de l’article 24, qui interdit les discriminations fondées sur le critère de nationalité (à savoir, nationalité des personnes physiques ; celle du pays où l’entité a été constituée pour les personnes morales), prévoit que les nationaux d’un État ne peuvent être traités moins favorablement que les ressortissants de l’autre État contractant « qui se trouvent dans la même situation, notamment au regard de la résidence ». Il apparaît ainsi clairement que la résidence du contribuable est l’un des éléments entrant en ligne de compte lorsqu’il s’agit de déterminer si des contribuables se trouvent dans la même situation. Un contribuable qui n’est pas un résident d’un État contractant n’est pas considéré comme se trouvant dans la même situation qu’une personne qui est un résident de cet État et peut, de ce fait, se voir appliquer un traitement fiscal différent. Les mesures fiscales qui limitent la déductibilité de certains paiements versés à des non-résidents sont soumises aux dispositions relatives à la non-discrimination prévues au paragraphe 4 de l’article 24 du Modèle de Convention fiscale de l’OCDE, mais ce paragraphe n’est pas applicable aux mesures provisoires qui ne limitent pas la déductibilité des intérêts, redevances et autres dépenses (ou la déductibilité des dettes dans le cas des prélèvements sur les gains en capital).
(b) Membres de l’UE et de l’EEE
Toute mesure provisoire applicable aux États membres de l’Union européenne (UE) et aux États parties à l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) doit être conforme à la législation de l’UE, et respecter notamment les libertés fondamentales définies dans les traités de l’UE et le principe d’interdiction des aides d’État.
Afin d’être certain qu’elle n’entrave ni la liberté d’établissement ni la libre prestation de services, la mesure devrait donc s’appliquer de la même façon aux résidents et aux non-résidents. Toute caractéristique de conception qui aurait pour effet d’établir une distinction entre les résidents et les non-résidents devrait, pour assurer le respect de ces libertés, être justifiée par l’une des rares circonstances admises par la Cour européenne de Justice dans le contexte de la fiscalité directe et indirecte, et être proportionnée à cette circonstance.
Afin d’être certain qu’elle ne constitue pas une aide d’État illégale lorsqu’elle est appliquée par les juridictions, la mesure devrait être conçue de telle sorte à n’accorder aucun avantage sélectif à un groupe de contribuables quel qu’il soit. En d’autres termes, une mesure provisoire devrait éviter d’appliquer des traitements différents à des entreprises qui se trouvent, tant du point de vue juridique que factuel, dans des situations comparables.
La mesure provisoire applicable aux pays membres de l’UE devrait également être conçue de telle sorte à ne pas prendre la forme d’une taxe sur la valeur ajoutée qui serait incompatible avec la Directive relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée de l’Union européenne.
(c) Membres de l’OMC
Toute mesure provisoire devrait également tenir compte des autres obligations internationales applicables à un pays, notamment celles découlant de son appartenance à l’OMC, comme les exigences de non-discrimination relatives au principe du traitement national et à la clause de la nation la plus favorisée.
Des mesures de nature temporaire
Toute mesure provisoire devrait être mise en œuvre en reconnaissant son caractère temporaire, et être levée aussitôt qu’une action corrective aura été convenue et sera mise en œuvre à l’échelle internationale pour répondre aux défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie. C’est une conséquence directe de la logique qui justifie le recours à des mesures provisoires. Ce principe reflète en outre le consensus partagé par tous les membres du Cadre inclusif, quant au fait qu’une solution exhaustive et mondiale doit être préférée à des mesures unilatérales, que celles-ci soient déployées à l’échelle d’un pays ou d’une région, par exemple au sein de l’UE.
Il est essentiel que les pays confirment leur engagement en faveur de l’atteinte d’un consensus à l’échelle internationale, et permettent à une solution davantage pérenne et mondiale d’être mise en application de manière rapide et coordonnée dès qu’elle aura été élaborée, sachant qu’une mesure provisoire ne doit pas être pérennisée, ni compromettre ou entraver les actions conduites à l’échelle internationale. Si un pays a déjà adopté une mesure provisoire, celle-ci devrait s’appliquer selon des principes similaires.
Des mesures ciblées
Compte tenu des effets négatifs potentiels induits par l’adoption d’une mesure provisoire, il est important que cette mesure cible aussi précisément que possible les entreprises considérées comme soulevant les risques les plus élevés à savoir, dans un certain nombre de pays, celles qui peuvent bénéficier de changements d’échelle sans masse et dont les modèles d’affaires dépendent fortement de la participation des utilisateurs et des effets de réseau. Dans la mesure où elle n’a pas vocation à apporter une solution exhaustive, une mesure provisoire ne devrait pas chercher à couvrir l’ensemble des transactions pour lesquelles la transformation numérique fait naître des risques réels ou supposés.
Une définition pertinente et ciblée du champ d’application de la mesure présente un triple avantage : elle favorise le respect de leurs obligations par les contribuables ; facilite l’administration de la mesure par les autorités fiscales ; et limite autant que possible les effets indirects de la mesure sur les règles fiscales nationales et internationales.
La mesure provisoire ne devrait pas s’appliquer aux livraisons de biens matériels (opérations qui se limitent à un transfert de propriété entre le vendeur et l’acheteur), en application d’un contrat qui a été conclu en ligne. La vente en ligne de biens peut être comparée aux services d’intermédiation, examinés plus en détail ci-dessous, lorsqu’une plateforme d’intermédiation dématérialisée facilite l’échange de biens matériels entre tierces parties. En effet, si l’on tient compte de l’importance des infrastructures physiques que nécessite la vente de biens matériels (notamment pour la gestion des stocks, l’entreposage et les opérations logistiques), ainsi que des conclusions des travaux récents conduits au titre des Actions 7 à 10 du projet BEPS, il apparaît que ce modèle d’affaires ne présente pas de risques importants à même de justifier l’adoption d’une mesure provisoire. Par ailleurs, l’introduction d’une mesure provisoire sur les livraisons de biens aurait des conséquences très étendues, dépassant sans conteste celles appropriées pour une mesure provisoire, puisque qu’elle couvrirait, par exemple, les ventes en ligne de produits alimentaires réalisées par un supermarché local.
La mesure provisoire devrait aussi être limitée à certains services en ligne spécifiques et ne devrait pas avoir vocation à couvrir l’ensemble des services au seul motif que la fourniture correspondante a été réalisée via l’Internet. Comme indiqué au chapitre 2, une définition aussi large des services en ligne couvrirait aussi les entreprises dont les activités sont caractérisées par une participation des utilisateurs relativement limitée. L’application d’une taxe d’accise à un large éventail d’entreprises présentant des niveaux de rentabilité et des degrés d’utilisation des technologies numériques très variables est susceptible de déclencher des perturbations ou des conséquences non prévues sur l’économie nationale, ce qui pourrait peser sur l’innovation et la croissance de l’offre de solutions et de services numériques.
La création d’une taxe provisoire générale sur l’ensemble des services en ligne risquerait de plus de faire naître des incertitudes et des anomalies pouvant entraîner des coûts inattendus de mise en conformité et d’administration de la mesure, tout en ouvrant la voie à de nouvelles pratiques de planification fiscale. À titre d’exemple, il peut être difficile de déterminer si un service considéré a été fourni par l’intermédiaire d’Internet lorsque le fournisseur de services en ligne dispose de différents moyens de communiquer avec son client. De plus, le traitement fiscal pourrait différer selon qu’une fourniture a été assurée sous une forme matérielle ou par voie électronique. Par exemple, une taxe applicable à tous les services en ligne, mais pas aux ventes de biens réalisées en ligne, couvrirait les opérations supposant la fourniture en ligne de musique, de logiciels, de films et d’autres supports protégés par les droits d’auteur, mais exclurait les opérations supposant la livraison des mêmes produits sous leur forme matérielle (à savoir sous la forme de CD, de disques ou de DVD). Enfin, un champ d’application large pourrait également exacerber les problèmes liés aux effets en cascade et aux cas d’imposition excessive.
Un certain nombre de pays considèrent qu’une mesure provisoire ciblée pourrait se concentrer sur la publicité sur Internet et les services d’intermédiation en ligne parce qu’ils estiment que les catégories concernées de fournisseurs de services électroniques réalisent généralement leurs activités à distance, que ces activités présentent une forte dépendance à l’égard d’actifs incorporels, de l’utilisation de données, de la participation des utilisateurs et des effets de réseau et considèrent en conséquence que la création de valeur a lieu dans leur juridiction.
(a) Publicité en ligne
La publicité en ligne est un service répertorié et largement répandu, qui s’est développé rapidement dans le sillage des technologies numériques. Ce service peut être fourni à distance, sans que le prestataire soit tenu d’établir une présence imposable dans la juridiction du marché que ciblent ses messages publicitaires. Comme indiqué au chapitre 2, la publicité en ligne est caractérisée par de forts effets de réseau et dépend traditionnellement de l’exploitation des données issues de la participation des utilisateurs.
Une taxe sur la publicité en ligne viserait les services consistant à assurer une communication publicitaire ou promotionnelle spécifique auprès d’un utilisateur final par l’intermédiaire d’Internet. Elle couvrirait exclusivement les opérations publicitaires ou promotionnelles payantes. La taxe d’accise s’appliquerait, par exemple, lorsqu’un fournisseur de sites Web facture à d’autres sites Web la promotion de liens vers leurs sites, ou lorsqu’un fabricant de biens rémunère une agence de publicité ou une plateforme de médias sociaux pour la mise en ligne de publicités pour ses produits. Elle ne viserait pas les utilisateurs de plateformes de médias sociaux qui mettent en ligne des photos ou vidéos de nature promotionnelle, sauf si la plateforme concernée facture effectivement à ces utilisateurs la publication de tels contenus.
Pour délimiter le champ d’application d’une taxe d’accise sur la publicité en ligne, il est parfois difficile d’établir dans quelle mesure un montant versé en contrepartie d’une prestation de services « composite » est attribuable à un élément de publicité en ligne. À titre d’exemple, l’administration fiscale devrait préciser si la vente d’un espace publicitaire dans une publication imprimée est traitée comme une fourniture (ou une fourniture partielle) d’un service en ligne lorsque les lecteurs ont également eu accès à cette publication en ligne. Les juridictions peuvent aussi être amenées à envisager le recours à des règles anti-évasion afin d’empêcher que les entreprises ne requalifient leurs services dans le but de se soustraire à l’impôt, notamment en modifiant la qualification juridique des services fournis mais sans en toucher la substance.
(b) Services d’intermédiation
Les services d’intermédiation en ligne (parfois appelés plateformes d’intermédiation) sont assurés par des sites internet et des applications mobiles qui visent à faciliter l’échange de biens ou services entre tierces parties. L’activité des prestataires de services d’intermédiation dépend en règle générale de la participation active des utilisateurs et d’effets indirects de réseau qui participent à la création d’une place de marché virtuelle. La définition des services en ligne engloberait alors tout marché virtuel qui permet à des tierces parties d’échanger des biens ou des services. Elle pourrait notamment recouvrir des jeux multijoueurs en ligne, dès lors que ceux-ci permettent l’échange de services dans le jeu. Les pays peuvent envisager de sortir de cette définition les plateformes qui proposent la fourniture de services financiers (comme des opérations de prêt, des services d’assurance ou des achats de titres ou de produits de base), dans la mesure où l’environnement réglementaire et le traitement fiscal correspondant à la fourniture de ces services ne justifient pas que ces services fassent l’objet d’une mesure provisoire. De plus, ces catégories de services peuvent déjà être soumises à des impôts spécifiques sur les transactions financières (comme un droit de timbre).
Cette catégorie de services en ligne serait donc limitée aux activités rémunérées d’intermédiation de transactions entre des tierces parties, et exclurait les ventes de services en ligne qu’un vendeur réalise directement auprès de clients grâce à son propre site internet. Par exemple, un site internet autorisant des voyageurs à effectuer des réservations en ligne de vols et d’hébergements auprès de compagnies aériennes et d’hôtels qui sont des tiers pourrait être considéré comme fournissant des services d’intermédiation, et la taxe d’accise pourrait s’appliquer à toute commission payée par une compagnie aérienne ou par un hôtel en contrepartie de chaque réservation effectuée sur ce site. En revanche, si la réservation de vols ou d’hébergements est réalisée directement auprès d’une compagnie aérienne ou d’un hôtel sur leur propre site web, aucun service d’intermédiation n’est fourni et la taxe d’accise ne serait pas applicable4. Un principe de proportionnalité pourrait être appliqué pour déterminer quelles sont les fournitures respectivement imposables et non imposables lorsque seule une partie de la prestation de services correspond à des services d’intermédiation.
Tout comme les services de publicité en ligne, les services d’intermédiation en ligne représentent une activité répertoriée et largement répandue qui peut être assurée à distance, sans que le prestataire soit tenu d’établir une présence physique dans la juridiction dans laquelle les services sont vendus ou réalisés. Par ailleurs, si la taxe d’accise couvrait uniquement la publicité en ligne, certaines entreprises pourraient modifier leur modèle d’affaires afin de requalifier leur activité comme service d’intermédiation. Néanmoins, certains services d’intermédiation supposent des niveaux de participation des utilisateurs plus faibles que d’autres (par exemple, dans le cas de produits ou services génériques et interchangeables avec un nombre de clients et/ou de fournisseurs potentiels limité). Les modèles d’affaires des services d’intermédiation, si on les compare avec ceux de la publicité en ligne, présentent des divergences plus importantes du point de vue de leur dépendance directe et indirecte aux effets de réseau. Ainsi, certaines plateformes d’intermédiation s’appuient semble-t-il essentiellement sur des effets indirects de réseau, ne laissant qu’une faible place aux effets directs, avec une contribution des utilisateurs moins « active » et moins essentielle au fonctionnement de leur modèle d’affaires. Une taxe d’accise peut engendrer un traitement fiscal plus favorable pour les entreprises dont les activités sont intégrées verticalement, par comparaison avec les plateformes en ligne, et inciter les fournisseurs de services d’intermédiation à modifier leur modèle d’affaires et leur offre de services pour échapper à la mesure. Une taxe sur les services d’intermédiation peut en outre avoir des retombées négatives pour les petites entreprises qui recourent à ces services pour commercialiser leurs biens et services. Les pays devraient donc analyser avec soin les avantages et inconvénients d’une extension du champ d’application de toute mesure provisoire aux services d’intermédiation.
Des mesures qui minimisent les risques d’imposition excessive
L’un des principaux objectifs d’une mesure provisoire est d’offrir une approche équilibrée, en permettant une réponse rapide aux défis soulevés par la numérisation de l’économie sans pour autant soumettre les contribuables concernés à une imposition excessive. Le taux d’imposition et le champ d’application de la mesure sont deux facteurs clés pour l’atteinte de cet équilibre. En particulier, plus le champ d’application de la mesure est étendu, plus grands sont les risques d’entraîner une imposition excessive pour certains contribuables, ce qui irait à l’encontre de l’objectif initial. Le taux d’imposition devrait être fixé à un niveau adapté aux marges bénéficiaires des entreprises ciblées, c’est-à-dire faible. Il est plus difficile de déterminer le taux d’imposition approprié lorsque la taxe s’applique sur des montants bruts et, dans la pratique, ces difficultés sont encore accrues si la mesure vise un ensemble vaste de services et de prestataires de services. Les marges bénéficiaires, les flux de trésorerie et les coûts du crédit de chaque fournisseur de services en ligne seront tous différents. Par conséquent, suivant les règles appliquées pour comptabiliser les paiements et établir les déclarations, la taxe peut avoir des retombées imprévisibles et hors de proportion pour certains des fournisseurs concernés.
Une mesure provisoire prenant la forme d’une taxe d’accise calculée sur le montant brut versé en contrepartie de la fourniture de services est susceptible d’entraîner une double imposition économique. Comme indiqué plus haut, une telle double imposition économique peut survenir si la taxe est appliquée à tous les contribuables, résidents ou non résidents, sans ouvrir droit à une quelconque déduction qui viendrait réduire l’impôt sur les bénéfices des sociétés dû au titre du même paiement. Ce résultat peut sembler paradoxal si l’on songe que l’une des principales justifications d’une mesure provisoire est la facilité avec laquelle un non-résident peut fournir des services en ligne dans une juridiction sans y avoir de présence imposable.
Un autre cas de double imposition économique peut se présenter lorsqu’une prestation de services en ligne est exécutée au bénéfice d’une personne qui intègre les services en question dans une prestation exécutée en aval, elle-même soumise à la taxe en vertu de la législation nationale ou de la législation d’un autre pays. L’importance de ces effets en cascade dépendra des caractéristiques de conception de la taxe d’accise, en particulier la manière dont sont définis son champ d’application, le taux d’imposition et le seuil d’enregistrement. La suppression des effets en cascade suppose le plus souvent de remanier la conception même de la taxe ou de modifier la manière dont le fournisseur de services en ligne assure ces prestations dans la juridiction considérée, ce qui génère des coûts administratifs et de mise en conformité supplémentaires.
Un mécanisme permettant de parer à ces effets en cascade consisterait en une exonération lorsque le fournisseur peut prouver (certifier) que les services en ligne sont utilisés dans le cadre d’une prestation imposable en aval. L’expérience acquise par les pays (notamment dans le contexte de l’imposition de ventes au détail) montre toutefois que ce type de mécanisme peut être difficile à appliquer dans la pratique, qu’il peut créer de vastes possibilités de fraude et qu’il ne permet pas nécessairement de neutraliser tous les effets de double imposition en cascade. De même, la solution consistant à permettre au destinataire des services de demander un crédit d’impôt au titre de la taxe d’accise acquittée par son fournisseur reviendrait à rapprocher la mesure provisoire d’une TVA et pourrait compliquer encore la conception de la taxe de manière non souhaitable, notamment au regard de la nature temporaire de cette mesure.
Des mesures qui minimisent les effets négatifs sur la création d’entreprises, les start-up et, plus généralement, les petites entreprises
La conception d’une mesure provisoire devra également chercher à limiter tout effet non souhaité sur les créations d’entreprises liées à la numérisation de l’économie, en gardant à l’esprit les effets positifs de la numérisation sur la croissance et la productivité (présentés dans le chapitre 2 qui décrit les modèles d’affaires et la création de valeur). Le risque qu’une mesure provisoire rende certaines entreprises économiquement non viables est particulièrement présent lorsque les contribuables visés sont des start-up (et, plus généralement, des petites entreprises), puisque les contraintes financières auxquelles elles sont exposées sont souvent plus fortes que celles subies par les entreprises plus importantes ou plus matures. Les petites entreprises peuvent aussi être pénalisées indirectement si elles utilisent un volume élevé de services en ligne. Ces risques seront accentués si la taxe est calculée sur des montants bruts.
Dans le même sens, il convient de souligner qu’une mesure provisoire peut entraîner des obligations administratives qui supposent un fardeau économique indirect pour les entreprises. Lors des premières étapes de la création d’une entreprise, les coûts de mise en conformité peuvent être élevés, alors que les recettes fiscales ainsi générées peuvent rester faibles. Cette conséquence non souhaitée peut survenir en dépit des efforts visant à concevoir une mesure provisoire simple à mettre en œuvre et à administrer, ce qui rappelle l’importance de ne pas pénaliser la création d’entreprises, les start-up et, plus généralement, les petites entreprises.
Il apparaît donc qu’une mesure provisoire doit prévoir un seuil d’activité à partir duquel la taxe d’accise devient applicable. Ce seuil doit être défini, d’une part, en veillant à ne pas pénaliser les entreprises en phase de création ou de démarrage et, plus généralement, les petites entreprises, et, d’autre part, en évitant d’offrir des avantages ou un traitement préférentiel à certaines catégories de contribuables. Ce seuil doit en outre tenir compte du poids relativement plus important des coûts de mise en conformité pour les petites entreprises, et du fait que celles-ci ne disposent pas, sauf exception, des niveaux d’activité et de rentabilité compatibles avec l’application d’une taxe d’accise sur les services de publicité et d’intermédiation assurés en ligne. De même, du point de vue de l’administration fiscale, l’analyse relative aux coûts engagés et à la discipline fiscale plaide elle aussi en faveur d’un seuil suffisant élevé. Ce seuil doit être fixé en fonction des résultats de l’exercice comptable précédent, de manière à assurer la lisibilité des critères d’application de la mesure.
L’une des approches susceptible d’obéir à ces principes consiste à associer un seuil sur le chiffre d’affaires brut de l’ensemble du groupe et un seuil sur le chiffre d’affaires national. Seuls les prestataires de services en ligne qui dépassent ces deux seuils seraient tenus de s’enregistrer. Une autre approche consisterait à appliquer un seuil uniquement au chiffre d’affaires national.
Le seuil relatif au chiffre d’affaires brut apporte une démarcation claire qui écarte les entreprises dont les activités restent limitées à l’échelle internationale. Les petites entreprises qui entrent sur un nouveau marché national sont ainsi dispensées de suivre leur volume d’activités dans chaque juridiction pour établir si elles sont soumises à la mesure provisoire. L’administration de la mesure par les autorités fiscales s’en trouve également facilitée. Pour fixer ce seuil, les pays pourraient s’appuyer sur des standards internationaux bien établis, comme le seuil pour le dépôt de la déclaration pays par pays. Celui-ci, établi à 750 millions EUR de chiffre d’affaires pour l’ensemble du groupe n’a pas été conçu dans cette optique, mais présente l’avantage d’être un standard connu et administrativement simple à appliquer par les autorités fiscales et les contribuables. Un seuil associé au chiffre d’affaires brut offre aux entreprises dont les activités restent inférieures à ce niveau la certitude de rester hors du champ d’application de ces mesures.
Ce seuil relatif au chiffre d’affaires brut serait complété par un seuil portant sur les ventes locales, afin d’exclure les prestataires de services en ligne qui réalisent un volume de services en ligne faible dans une juridiction ou sur un marché géographique donné, et éviter des coûts d’administration et de mise en conformité probablement trop élevés pour justifier l’application et le recouvrement d’une taxe. En effet, un faible volume de ventes révèle que le niveau de participation des utilisateurs et les effets de réseau correspondants restent faibles ou minimes sur le marché local.
Pour déterminer s’ils atteignent le seuil de chiffre d’affaires, les prestataires de services en ligne devraient ajouter à leurs ventes de services couverts par la mesure provisoire, celles réalisées par d’autres membres de leur groupe. Des règles anti-évasion peuvent se révéler nécessaires pour contrer les accords artificiels ou les accords de revente conclus avec des entreprises qui ne sont pas membres du groupe et qui visent à contourner le seuil relatif aux ventes locales.
Des mesures qui minimisent les coûts et la complexité
Les coûts de mise en conformité et de gestion administrative à la charge des contribuables et des autorités fiscales constituent un facteur essentiel à prendre en considération lors de l’élaboration de toute mesure fiscale. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne les mesures provisoires qui sont, par définition, temporaires et dont les coûts administratifs et la complexité doivent être aussi réduits que possible. Quelle que soit la mesure envisagée, les aspects relatifs à la simplicité d’administration devraient être pris en compte dès la phase d’élaboration et se voir attribuer une pondération importante dans le processus d’évaluation. Cet argument pourrait, par exemple, plaider en faveur d’une large utilisation des procédures fiscales et mécanismes de recouvrement existants, comme ceux mis en place pour administrer des taxes sur la valeur ajoutée ou sur le chiffre d’affaires, et conduire à privilégier une mesure ciblée de portée limitée, ainsi que de l’introduction de seuils d’assujettissement pertinents.
En particulier, une mesure provisoire prenant la forme d’une taxe d’accise devrait inclure une règle relative à la localisation habituelle de la prestation, pour déterminer si la prestation des services en ligne a eu lieu sur le territoire de la juridiction qui a la compétence fiscale. Il convient d’appliquer une approche cohérente à la définition du lieu de la prestation des services en ligne, afin de renforcer la sécurité juridique et de réduire les coûts et inefficacités non souhaités qui résulteraient de l’adoption par les pays de mesures provisoires assorties de règles différentes pour définir le lieu de prestation des services. La règle la plus appropriée pour déterminer le lieu de prestation aux fins de l’application de cette mesure provisoire dépend de la nature des services en ligne couverts par la mesure.
a) Services de publicité assurés dans la juridiction du marché visé par la publicité
Dans le cas des services de publicité, plusieurs raisons justifient de considérer que la prestation a lieu dans la juridiction du marché visé par la publicité :
Dans les faits, le message publicitaire est proposé dans la juridiction où se trouve la personne qui y a accès et le visionne (l’utilisateur final) (et non dans la juridiction de l’acheteur des services publicitaires).
Le choix d’établir le lieu de prestation du service dans la juridiction où le contenu publicitaire est diffusé assure de plus que la taxe d’accise ne pourra être évitée par le simple fait d’acquérir des services de publicité via une entité située dans une juridiction qui n’applique pas de taxe d’accise aux services en ligne.
Par ailleurs, on peut s’attendre à ce que les annonceurs disposent généralement des outils nécessaires pour recueillir les données sur le nombre de visionnages d’un message publicitaire ainsi que la localisation des internautes concernés puisque, bien souvent, ils s’appuient sur ces informations pour facturer leurs services. Cela devrait permettre de limiter la charge de mise en conformité pour les entreprises concernées par l’application de la mesure provisoire, ainsi que les coûts d’administration pour les autorités fiscales.
Les pays qui envisagent d’instituer une mesure provisoire sur les services de publicité en ligne peuvent examiner certaines composantes des principes clés figurant dans les Principes directeurs internationaux pour l’application de la TVA/TPS, qui décrivent les données sur lesquelles un fournisseur peut s’appuyer pour déterminer le lieu d’imposition d’opérations conduites entre une entreprise et un consommateur final. Les principes directeurs invitent les juridictions à autoriser les fournisseurs à s’appuyer, autant que possible, sur les informations qu’ils obtiennent habituellement de leurs clients dans le cadre de leur activité commerciale normale, pour autant que ces informations fournissent une preuve raisonnablement fiable du lieu de résidence habituelle de ces clients.
Si tous les annonceurs ne collectent pas nécessairement les données relatives à la localisation de l’utilisateur final comme indiqué ci-dessus, ils ont le plus souvent accès aux adresses IP utilisées pour visualiser les contenus publicitaires, voire à d’autres données relatives à l’utilisateur final pouvant être utiles pour le localiser (par exemple, des informations sur la langue préférée de l’utilisateur, ou le lieu principal d’accès aux contenus).
b) Services d’intermédiation considérés comme assurés dans la juridiction de résidence du client du service d’intermédiation
Bien qu’aucun lieu de présence physique ne puisse être attribué aux places de marché virtuelles créées par les services d’intermédiation, l’une des approches consiste à taxer les commissions perçues sur les ventes qui sont réalisées sur le marché où les ventes sous-jacentes ont eu lieu. Si un intermédiaire peut, dans certains cas, rencontrer des difficultés pour établir quel est le lieu de fourniture des biens ou services vendus, la juridiction dans laquelle est situé son client constitue une bonne variable de substitution. Dans le cas des services d’intermédiation, le client serait donc la personne qui a conclu un contrat pour s’assurer la fourniture de tels services. Ainsi, dans le cas des sites internet de réservations hôtelières qui facturent des commissions pour services d’intermédiation à chaque hôtel concerné, la prestation de services serait considérée comme ayant été réalisée dans cet hôtel. De même, pour les ventes de biens au titre desquelles le vendeur verse une commission à son prestataire de services en ligne, ce vendeur serait considéré comme le client des services d’intermédiation (et dans ce cas, c’est le pays de résidence du fournisseur des biens qui perçoit l’impôt et non celui de l’acheteur). Lorsque le prestataire de services facture séparément des frais à différentes parties au regard de différents aspects de la même transaction (par exemple dans le cas d’un service d’intermédiation, à la fois au vendeur et à l’acheteur des biens et services échangés sur une plateforme), alors la prestation serait considérée comme ayant été réalisée à proportion de la contrepartie versée par chaque partie5.
Références
[2] Groupe de travail n°3 du Comité fiscal (1957), « F.C. / W.P.3(57)1 », dans Listing and Definition of Taxes on Income and Capital, http://www.taxtreatieshistory.org/.
[1] OCDE (2017), Model Tax Convention on Income and on Capital: Condensed Version 2017, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/mtc_cond-2017-en.
Notes
← 1. Dans certains pays, on parle de taxe ou de prélèvement de péréquation.
← 2. Comme indiqué au chapitre 5, le Modèle de Convention fiscale prévoit des règles spécifiques pour certaines catégories de revenus, comme ceux générés par les biens immobiliers, les intérêts, dividendes ou redevances. Cependant, aucune de ces catégories ne serait concernée dans le cas d’une taxe sur les services en ligne.
← 3. Pour de plus amples informations sur le champ d'application de l'article 2, voir (Groupe de travail n°3 du Comité fiscal, 1957[2]).
← 4. La question de savoir si une personne réalise des ventes en ligne de biens ou de services de manière directe ou au moyen de services d’intermédiation doit être analysée au cas par cas, en se référant au contenu des accords conclus entre les parties à la transaction. Un opérateur qui assure la revente en ligne de biens appartenant à des tierces parties peut être considéré comme fournissant à ces vendeurs tiers une plateforme de vente en ligne (donc, un service en ligne) si les accords conclus entre les parties indiquent que ce revendeur n’assume aucun risque de stock au titre de la propriété des biens ainsi vendus. De même, un fournisseur de contenus en ligne peut être considéré comme offrant une plateforme de vente en ligne qui permet aux titulaires de droits d’auteur de vendre ou de céder sous licence des contenus directement auprès d’utilisateurs si, dans la pratique, ce fournisseur n’exerce qu’un rôle limité dans la définition ou le contrôle des contenus mis à disposition sur cette plateforme, et si les accords de licence conclus avec les titulaires de droits d’auteur sont, pour l’essentiel, assimilables à des accords prévoyant le versement d’une commission fixe.
← 5. Pour déterminer si des services d’intermédiation ont été fournis dans une juridiction particulière, notamment lorsque le client concerné peut être établi dans plusieurs juridictions, les pays peuvent envisager de suivre l’approche décrite dans les Principes directeurs internationaux pour l'application de la TVA/TPS concernant les opérations entre entreprises, en considérant que la fourniture a lieu dans la juridiction dans laquelle est situé l'établissement qui utilise le service ou l'actif incorporel concerné.