Les pays devraient être dotés d’un cadre juridique et administratif efficace qui facilite la collaboration entre les autorités fiscales et les autorités répressives et services de renseignement nationaux.
Lutte contre la délinquance fiscale ‒ les dix principes mondiaux, deuxième édition
Principe 8. Mettre en place un cadre efficace pour promouvoir la coopération entre organismes nationaux
Abstract
Introduction
110. La lutte contre la délinquance financière s’articule autour d’un certain nombre d’étapes essentielles, dont la prévention, la détection, les enquêtes et les poursuites relatives aux infractions, ainsi que le recouvrement des produits de l’infraction. En fonction des circonstances, plusieurs organismes publics peuvent y être associés, et notamment l’administration fiscale, l’administration des douanes, les autorités de réglementation financière, les autorités de lutte contre le blanchiment de capitaux – dont la CRF –, la police et les autorités répressives spécialisées, ainsi que les autorités chargées de la lutte contre la corruption et le ministère public.
111. De plus, les différents organismes peuvent posséder des renseignements ou des pouvoirs d’enquête et de répression qui leur sont propres, et qui sont susceptibles de faire avancer l’enquête menée par un autre organisme sur un délit particulier. C’est ce qui fait toute l’importance et toute l’utilité de la coopération entre les organismes concernés. Cette coopération peut notamment prendre la forme d’un échange de renseignements. Les types de coopération décrits ci-après peuvent aussi être utilisés en parallèle les uns avec les autres, l’un n’excluant pas forcément l’autre. Pour tirer le meilleur parti de la coopération, les organismes concernés auront tout intérêt à mettre en place des points de contact identifiables pour l’échange de renseignements et la coopération, et à se faire une idée claire des types de renseignements et de pouvoirs que possèdent les autres organismes.
112. Toute coopération de cet ordre est soumise au droit interne et à la nécessité d’empêcher tout abus de pouvoir, point qui sera détaillé ci-dessous. De plus, en fonction de la structure organisationnelle en place dans un pays et de l’organisme en charge des enquêtes sur les délits fiscaux, des formes de coopération différentes peuvent se justifier (voir le Principe 5 pour plus de détails).
Échange de renseignements
113. La coopération prend couramment la forme de l’échange de renseignements. Dans le cadre de leurs activités, différents organismes publics réunissent et conservent des renseignements sur des personnes physiques ou morales ou sur des opérations, lesquels peuvent intéresser directement les travaux d’autres organismes chargés de lutter contre la délinquance financière.
114. Les mécanismes d’échange de renseignements peuvent contribuer à améliorer la prévention et la détection des délits, et à recueillir des éléments de preuve pour déclencher de nouvelles enquêtes et étayer les enquêtes en cours. Dans certains cas, les renseignements n’auraient pas pu être obtenus directement, en particulier quand ils sont de nature spécialisée, comme ceux que détient l’administration fiscale ou la CRF. Dans d’autres cas, ces échanges donnent la possibilité de réduire les doubles emplois entre organismes, et donc de réduire la durée et le coût des enquêtes, d’accélérer les poursuites et de les rendre plus fructueuses, et d’accroître les chances de recouvrer les produits de l’infraction.
115. De plus, l’échange de renseignements peut être utilisé pour repérer de nouvelles pistes d’enquête, par exemple quand une investigation sur une infraction fiscale met au jour d’autres activités délictueuses et de blanchiment de capitaux. Croiser des renseignements de sources diverses peut aider les agents à mieux comprendre un aspect donné ou les activités d’un suspect, voire à mener des recherches plus efficaces. Il y a lieu de noter que les mécanismes d’échange de renseignements peuvent servir à renforcer les relations entre les organismes et leurs principaux responsables, et à les encourager ainsi à tisser de nouvelles formes de coopération plus étroite.
Passerelles juridiques d’échange de renseignements
116. Pour pouvoir procéder à un échange de renseignements, des passerelles juridiques doivent être mises en place entre les organismes concernés. Ces passerelles peuvent prendre plusieurs formes :
la législation primaire fournit souvent le cadre général de la coopération, par exemple en imposant explicitement à un organisme donné de communiquer des données particulières dans certaines circonstances, ou en autorisant l’échange de renseignements entre les organismes d’une manière générale, moyennant quelques exceptions ;
lorsque la loi les y autorise, les organismes peuvent conclure des accords bilatéraux, ou « mémorandums d’accord », dans lesquels ils conviennent de transmettre des renseignements lorsque ceux-ci intéressent les activités de l’autre partie. La nature des renseignements concernés, les circonstances de l’échange ainsi que les éventuelles restrictions applicables (par exemple lorsque les renseignements ne peuvent être utilisés qu’à certaines fins) y sont généralement précisées. Les mémorandums d’accord peuvent aussi définir d’autres modalités fixées d’un commun accord par les organismes, telles que la forme prise par les demandes, le nom des autorités compétentes habilitées à les traiter, ainsi que les périodes de préavis et autres délais, ou prévoir l’obligation, pour l’organisme destinataire, de faire connaître l’issue des investigations dans lesquelles les renseignements ont été employés.
Modèles d’échange de renseignements
117. D’une manière générale, il existe quatre types de coopération en ce qui concerne l’échange de renseignements entre des organismes différents :
accès direct aux renseignements détenus dans des archives ou des bases de données. Il peut s’agir d’un accès direct à des données volumineuses ou en vrac, ou de droits d’accès spécifiques à un casier ou à un dossier judiciaire particulier ;
obligation de communiquer des renseignements automatiquement (c’est-à-dire à intervalles réguliers) ou spontanément (lorsque les informations utiles sont identifiées), généralement lorsque ces catégories de renseignements sont prédéfinies (on parle parfois de « notification obligatoire ») ;
capacité, mais pas obligation, de communiquer spontanément des renseignements ;
obligation ou capacité de communiquer des renseignements, mais uniquement en réponse à des demandes spécifiques faites au cas par cas.
Formes d’échanges de renseignements
118. Des formes d’échange de renseignements différentes peuvent être particulièrement efficaces dans des contextes variés, par exemple :
lorsque les renseignements sont destinés à des analyses et à une évaluation des risques de haut niveau, l’accès direct, ou l’échange automatique ou spontané pourrait être particulièrement efficace. Sur le plan opérationnel, l’efficacité est particulièrement élevée lorsque les types de renseignements à échanger sont clairement définis et que leur échange peut être automatisé. Cela peut aussi favoriser la détection d’activités délictueuses auparavant dissimulées avec succès. Organiser des formations sur l’utilisation des mécanismes d’accès direct, et sur les protections et procédures nécessaires pour garantir la confidentialité et la protection des données, peut s’avérer utile dans ce cas ;
l’échange de renseignements spontané discrétionnaire peut être très fructueux lorsque les organismes concernés coopèrent depuis longtemps et savent donc bien quelles informations peuvent être utiles à leur partenaire. À l’instar de l’accès direct ou de l’échange automatique, cela peut contribuer à alerter un organisme sur des activités délictuelles dont elle n’avait pas connaissance. Cela passera au minimum par un échange spontané de renseignements, entre les administrations fiscales et les autorités répressives nationales concernées, sur les soupçons d’infractions graves, dont la corruption transnationale, le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ; (OCDE, 2009[9]) (OCDE, 2010[10])
lorsque les renseignements requis sont très spécifiques ou doivent être présentés sous une forme précise, l’échange sur demande ou l’accès direct à un casier judiciaire donné peut être plus indiqué. Ce sera particulièrement utile lorsqu’une enquête est relativement avancée et que l’organisme qui en est chargé dispose déjà de renseignements suffisants pour étayer sa demande.
119. Compte tenu du grand nombre de techniques d’enquête pouvant être utilisées tout au long d’une investigation, il serait particulièrement judicieux que l’éventail le plus large possible des méthodes d’échange de renseignements soit disponible, auprès et au profit de l’agence qui enquête sur les délits à caractère fiscal. Toutefois, quel que soit le type de renseignements utilisés, il est important de protéger leur confidentialité, ainsi que l’intégrité des activités menées par d’autres organismes, dans le respect du droit interne. Il faudra probablement définir des paramètres clairs pour déterminer les personnes et les finalités autorisées pour l’accès aux renseignements, et mettre en place des mécanismes de gouvernance garantissant une utilisation adéquate des renseignements.
Autres formes de coopération
120. Outre l’échange de renseignements, d’autres formes de coopération sont utilisées par les autorités répressives, illustrées par les exemples ci-dessous.
Équipes communes d’enquête
121. Les équipes communes d’enquête permettent aux organismes partageant un intérêt commun de travailler ensemble lors d’une enquête. Outre l’échange de renseignements, l’équipe d’enquête peut puiser dans un large vivier de compétences et d’expériences de membres ayant une formation et un parcours différents. Des enquêtes communes peuvent éviter les doublons générés par des enquêtes parallèles, et améliorer l’efficacité en permettant aux agents de chaque organisme de concentrer leurs efforts sur différents aspects de l’enquête, en fonction de leur expérience et des pouvoirs juridiques dont ils sont investis. Dans certains cas, les passerelles pour l’échange de renseignements sont plus larges lorsque les organismes participent à une enquête commune que dans d’autres circonstances.
Encadré 8.1. Le Groupe de travail sur les infractions financières graves en Australie
Le Groupe de travail sur les infractions financières graves (Serious Financial Crimes Taskforce, ou SFCT) est un groupe de travail interinstitutionnel placé sous la direction de l’ATO qui a été établi le 1er juillet 2015. Il réunit les connaissances, les ressources et l’expérience des autorités répressives et de réglementation compétentes afin d’identifier et de combattre les formes de délinquance financière les plus graves et les plus complexes. À ce titre, le SFCT est le principal mécanisme utilisé par l’ATO pour lutter contre les infractions financières graves.
Parmi les participants au SFCT figurent la Police fédérale australienne (Australian Federal Police, ou AFP), l’Administration fiscale australienne (Australian Taxation Office, ou ATO), la Commission australienne du renseignement judiciaire (Australian Criminal Intelligence Commission, ou ACIC), le ministère du Procureur général (Attorney-General’s Department, ou AGD), le Centre australien d’analyse et de déclaration des transactions financières (Australian Transaction Reports and Analysis Centre, ou AUSTRAC), la Commission australienne des valeurs mobilières et de l’investissement (Australian Securities and Investments Commission, ou ASIC), le Procureur général de la Fédération (Commonwealth Director of Public Prosecutions, ou CDPP), le ministère de l’Intérieur, ainsi que son bras opérationnel, la Force australienne de protection des frontières (Australian Border Force, ou ABF), et la Direction des services (Services Australia).
Le SFCT réunit les connaissances, les ressources et l’expérience des autorités répressives et de réglementation compétentes afin d’identifier et de lutter contre les infractions graves qui mettent le plus à mal le système fiscal et de retraite de l’Australie.
Le SFCT soutient aussi la participation de l’Australie en tant que membre du Joint Chiefs of Global Tax Enforcement (J5).
Centres de renseignement interinstitutionnels
122. Ils sont généralement créés pour centraliser les processus de collecte et d’analyse de renseignements pour un certain nombre d’organismes. Les centres interinstitutionnels peuvent être mis en place pour traiter principalement des renseignements opérationnels (renseignements et investigations relatifs à une affaire précise) ou stratégiques (évaluation plus large des risques et des menaces, concentration sur une zone géographique spécifique ou un certain type d’activités délictueuses, ou rôle plus large dans l’échange de renseignements). Ces centres mènent des analyses en s’appuyant sur des recherches directes et sur les renseignements obtenus par les organismes participants. En centralisant ces activités, les responsables peuvent se familiariser avec certaines questions juridiques et pratiques, et ils peuvent mettre en place des systèmes spécialisés qui augmentent leur efficacité. Cette centralisation est également synonyme d’économies, car les coûts de collecte, de traitement et d’analyse des données peuvent être partagés entre organismes participants.
Détachement de personnel
123. Il s’agit d’un moyen efficace d’assurer un transfert de compétences, tout en permettant aux agents de nouer des contacts avec leurs homologues dans un autre organisme. Les agents détachés mettent en commun leurs compétences, leur expérience et leurs connaissances spécialisées, tout en participant directement aux travaux menés par l’organisme qui les accueille. D’après les pays concernés, ces accords sont particulièrement propices à la coopération interinstitutionnelle, en encourageant les agents à s’engager plus activement auprès de leurs homologues d’autres organismes, en améliorant l’efficacité de la coopération en cours, et en accélérant et en accroissant l’efficience de l’échange de renseignements.
Autres modèles
124. Les autres stratégies employées incluent l’utilisation de bases de données partagées, la diffusion d’outils de renseignement stratégiques de type bulletin d’information et notes de renseignement, des comités conjoints chargés de coordonner l’action dans des domaines de responsabilité commune, et les réunions et sessions de formation interinstitutionnelles destinées à échanger des renseignements sur les tendances en matière de délinquance financière, à fournir des orientations sur les techniques d’enquête et à présenter les meilleures pratiques de gestion des affaires.
125. À la lumière de ces éléments, on observe que, dans certains pays, la coopération interinstitutionnelle a été couronnée de succès dans différents domaines :
octroi à l’administration fiscale d’un accès aux DOS (ou « rapports sur les activités suspectes ») ; (OCDE, 2015[8])
octroi à la CRF d’un accès aux renseignements détenus par l’administration fiscale ;
élaboration d’une stratégie coordonnée pour analyser les DOS et y donner suite ;
imposition aux responsables de l’administration fiscale de l’obligation de signaler les soupçons de délits non fiscaux à la police ou au procureur ;
recours à des groupes d’action interinstitutionnels pour lutter contre la délinquance financière ;
mise en place d’une structure centralisée pour la coopération interinstitutionnelle ;
élaboration d’une approche coordonnée pour recouvrir les produits de l’infraction ;
coopération avec le secteur privé dans la lutte contre la délinquance fiscale.
126. Pour de plus amples informations sur les modèles de coopération interinstitutionnelle, voir le rapport de l’OCDE de 2017 intitulé Une coopération interinstitutionnelle efficace pour lutter contre les délits à caractère fiscal et autres délits financiers. (OCDE, 2017[5])
Références
[4] OCDE (2017), Effective Inter-Agency Co-Operation in Fighting Tax Crimes and Other Financial Crimes (Une coopération interinstitutionnelle efficace pour lutter contre les délits à caractère fiscal et autres délits financiers) - troisième édition, Éditions OCDE, Paris, https://www.oecd.org/fr/fiscalite/delits/une-cooperation-interinstitutionnelle-efficace-pour-lutter-contre-les-delits-a-caractere-fiscal-et-autres-delits-financiers.htm.
[3] OCDE (2015), Improving Co-operation between Tax and Anti-Money Laundering Authorities (Améliorer la coopération entre les autorités fiscales et les autorités de lutte contre le blanchiment d’argent), Éditions OCDE, http://www.oecd.org/tax/crime/improving-cooperation-between-tax-and-anti-money-laundering-authorities.htm.
[2] OCDE (2010), Recommandation du Conseil en vue de faciliter la coopération entre les autorités fiscales et les autorités répressives pour lutter contre les délits graves, http://acts.oecd.org/Instruments/ShowInstrumentView.aspx?InstrumentID=266.
[1] OCDE (2009), Recommandation du Conseil sur les mesures fiscales visant à renforcer la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, https://legalinstruments.oecd.org/fr/instruments/OECD-LEGAL-0371.