Les autorités chargées d’enquêter sur les délits fiscaux doivent disposer des pouvoirs d’enquête adéquats.
Lutte contre la délinquance fiscale ‒ les dix principes mondiaux, deuxième édition
Principe 3. Pouvoirs d’enquête
Abstract
Introduction
40. La finalité d’une enquête (fiscale) pénale est d’établir la vérité en enquêtant sur des comportements (fiscaux) délictueux présumés. Lorsqu’ils mènent une enquête, les enquêteurs s’efforcent en règle générale de trouver et d’analyser des renseignements leur permettant de déterminer si un délit a été commis ou non. Les enquêtes peuvent conduire à la découverte de preuves mettant en cause la personne concernée (éléments « à charge ») ou confirmant son innocence (éléments « à décharge »). Les autorités chargées des poursuites s’en servent pour décider s’il y a lieu, ou non, de poursuivre le prévenu. Les contrevenants cherchant à dissimuler la nature délictueuse de leur comportement, les autorités répressives spécialisées dans le droit pénal doivent disposer d’un éventail approprié de pouvoirs d’enquête afin d’obtenir les informations nécessaires. En particulier, pour ce qui est des enquêtes sur les infractions fiscales, il est extrêmement utile de pouvoir enquêter efficacement sur la source et sur les mouvements des actifs financiers. Cela peut être déterminant pour établir la commission d’une fraude, et pour identifier le rôle d’un intermédiaire ou d’un complice, même lorsque les actifs eux-mêmes n’ont pas été déplacés.
41. Selon l’organisme qui est chargé d’enquêter sur les délits fiscaux (voir le Principe 5 pour plus de détails), la nature et l’ampleur des pouvoirs d’enquête peut varier. D’une manière générale, la compétence relative à la conduite des enquêtes fiscales pénales suit l’un des quatre modèles ci-dessous, qui sont décrits dans la publication Effective Inter-agency Co-operation In Fighting Tax Crimes And Other Financial Crimes, Third Edition, 2017 (le « Rapport de Rome ») (OCDE, 2017[5]).
Modèles généraux d’organisation des enquêtes sur les délits fiscaux |
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Modèle 1 |
Modèle 2 |
Modèle 3 |
Modèle 4 |
L’administration fiscale dirige et conduit les enquêtes |
L’administration fiscale conduit les enquêtes, sous la direction du parquet |
Un organisme spécialisé ne relevant pas de l’administration fiscale conduit les enquêtes fiscales, auxquelles des procureurs peuvent être associés |
La police ou le parquet conduit les enquêtes |
42. Une administration fiscale qui mène des enquêtes pénales selon le modèle 1 ne dispose pas toujours de toute la gamme des pouvoirs d’enquête, ni de l’expertise ou des ressources correspondantes, notamment du pouvoir de procéder à des visites et des saisies, d’intercepter des communications ou d’exiger la production de documents. Si l’administration fiscale est responsable de la conduite des enquêtes pénales, mais qu’elle ne dispose pas elle-même de toute la gamme des pouvoirs d’enquête, elle devrait toutefois pouvoir en disposer de manière indirecte en cas de besoin, notamment en faisant appel à la police ou à un autre organisme susceptible de fournir des services d’enquête.
43. Dans les modèles d’organisation 2 et 4, lorsque c’est la police ou le parquet qui conduit et/ou dirige les enquêtes, les pouvoirs d’enquête sont selon toute probabilité similaires à ceux dont dispose la police lorsqu’elle mène d’autres enquêtes financières. Dans le modèle 3, c’est un organisme distinct de l’administration fiscale qui est chargé d’enquêter sur les affaires de délinquance fiscale, et les pouvoirs d’enquête sont aussi très probablement similaires à ceux de la police.
44. Quel que soit le modèle d’organisation utilisé, les organismes chargés d’enquêter sur les infractions fiscales devraient disposer des pouvoirs d’enquête qu’ils jugent nécessaires et efficaces dans le cadre de leur mandat, en tenant compte de la possibilité qui leur est offerte de travailler avec d’autres autorités répressives susceptibles d’être investies d’autres pouvoirs. En dehors des sources d’information plus traditionnelles, ces pouvoirs d’enquête devraient leur donner accès à des informations et à des preuves numériques.
45. La situation, en ce qui concerne les pouvoirs d’enquête, dans les pays ayant répondu à l’enquête est décrite ci-après. Tout au long de la présente section du guide, on notera que les circonstances précises et les procédures juridiques à suivre pour faire usage de ces pouvoirs varient. Le fait, pour un pays, de détenir des « pouvoirs directs » ne signifie pas que le pouvoir en question peut être utilisé dans toutes les enquêtes concernant une infraction fiscale, mais que l’organisme a la possibilité de l’exercer lui-même dans les circonstances autorisées (y compris lorsqu’un mandat ou une autorisation judiciaire est délivrée à l’organisme). La possibilité de disposer de pouvoirs indirects par l’intermédiaire d’un autre organisme correspond à un système dans lequel le pouvoir serait exercé par un organisme différent ne relevant pas de l’autorité chargée des enquêtes fiscales pénales, comme la police.
Pouvoir d’obtenir des informations documentaires détenues par des tiers
46. Le pouvoir d’obtenir des informations peut être nécessaire pour avoir accès à des documents et à des informations détenues par des établissements financiers et d’autres tiers. Ce pouvoir permet d’exiger d’un tiers qu’il communique des documents ou des informations dans un délai précis. Si cette demande n’est pas satisfaite, des pouvoirs plus intrusifs autorisant la visite de locaux ou la recherche de supports numériques peuvent alors être utilisés. Le pouvoir d’obtenir des informations documentaires détenues par un tiers est particulièrement adapté lorsque les informations recherchées ne sont pas immédiatement disponibles sous forme physique (comme dans le cas des banques qui ne conservent pas de copies papier des relevés bancaires de leurs clients, ou des données des fournisseurs de télécommunications) car il lui accorde un délai pour rassembler les supports exigés. Ce pouvoir peut prendre la forme d’une citation à comparaître, d’une injonction de produire ou d’autres pouvoirs permettant d’exiger ou d’imposer la communication d’informations documentaires. Il existe dans les pays ayant répondu à l’enquête comme suit :
Tableau 3.1. Pouvoir d’obtenir des informations documentaires détenues par des tiers
Pouvoirs directs pleins et entiers L’organisme responsable des enquêtes sur les délits fiscaux peut être autorisé à exercer lui-même ces pouvoirs |
Pouvoirs indirects, par l’intermédiaire d’un autre organisme L’organisme responsable des enquêtes sur les délits fiscaux peut solliciter l’assistance d’un autre organisme afin d’exercer les pouvoirs en son nom |
Inexistants |
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Argentine Australie1 Autriche Azerbaïdjan Canada Chili Colombie Costa Rica2 République tchèque3 France Géorgie4 |
Allemagne5 Grèce6 Honduras Hongrie Islande Irlande Israël Italie Japon Corée Mexique7 |
Pays-Bas Nouvelle- Zélande Norvège Afrique du Sud Espagne8 Suède9 Suisse10 États-Unis Royaume-Uni |
Australie11 Brésil Suède12 |
1. AFP
2. Les enquêteurs civils ont le pouvoir d’obtenir des documents de tiers sans mandat (excepté dans le cas de renseignements financiers, pour lesquels une ordonnance judiciaire est requise). Le Parquet peut également faire usage de ce pouvoir, mais uniquement sur mandat délivré par un juge.
3. Police
4. Les enquêteurs doivent déposer une demande écrite auprès du tribunal, lequel décide s’il y a lieu, ou non, de délivrer un mandat pour l’obtention de documents détenus par des tiers.
5. Une ordonnance judiciaire est généralement requise. Une exception s’applique lorsqu’une ordonnance judiciaire ne peut être obtenue sans mettre en péril la finalité de la mesure.
6. DPF, YEDDE et CRF
7. La SAT et la PFF peuvent réunir et analyser l’ensemble des documents et renseignements relatifs à la commission des infractions pénales à caractère fiscal et demander, obtenir et analyser les renseignements recueillis auprès de tiers.
8. En dehors des renseignements fiscaux, AT s’en remet au service de recherche des douanes, à la police et au procureur anti-corruption pour obtenir des documents auprès de tiers.
9. EBM
10. Restriction applicable aux administrations fiscales cantonales : les renseignements ne peuvent obtenus directement auprès des banques.
11. ATO
12. STA-CRF
47. On notera que ce pouvoir d’enquête particulier peut avoir le même objectif que les pouvoirs dont disposent les inspecteurs et contrôleurs des impôts lorsqu’ils procèdent à une vérification fiscale dans le cadre d’une procédure civile, à savoir obtenir des informations. Des mesures de protection des droits procéduraux devant s’appliquer dès lors qu’une enquête civile devient une enquête pénale, afin de protéger les droits du suspect, il importe de déterminer à quel moment cette ligne est franchie (voir le Principe 10). Dans certains pays, les actions civiles doivent prendre fin à ce stade, alors que dans d’autres, les pouvoirs permettant d’obtenir des informations aux fins de l’enquête civile peuvent tout de même être exercés et les actions civiles peuvent être menées parallèlement à la conduite d’une enquête pénale.
48. Toutefois, exercer des pouvoirs de nature civile pour les besoins d’une enquête pénale peut constituer un abus de pouvoir et les éléments de preuve recueillis ne pas être recevables devant les tribunaux. Les mesures de protection des droits procéduraux revêtent une importance particulière dans le modèle d’organisation 1 mentionné ci-dessus, dans lequel l’administration fiscale procède à des enquêtes ou des vérifications dans le cadre d’une procédure civile et est également habilitée à conduire des enquêtes pénales. Dans un tel modèle, il est important de prendre des mesures ou de mettre en place une structure organisationnelle ou une procédure opérationnelle standard pour éviter toute interférence entre des vérifications/enquêtes réalisées dans le cadre d’une procédure civile et des enquêtes pénales, et d’empêcher ainsi tout abus de pouvoir.
Pouvoir de perquisition
49. Ce pouvoir d’enquête concerne la visite d’un lieu et la capacité de rechercher et de saisir des preuves matérielles comme des livres ou états comptables et autres documents permettant de constater un délit fiscal. Ce pouvoir permet généralement à l’autorité chargée des enquêtes de faire un usage raisonnable de la force pour pénétrer un lieu en cas de besoin. Ce pouvoir existe dans les pays ayant répondu à l’enquête comme suit :
Tableau 3.2. Pouvoir de perquisition
Pouvoirs directs pleins et entiers L’organisme responsable des enquêtes sur les délits fiscaux peut être autorisé à exercer lui-même ces pouvoirs |
Pouvoirs indirects, par l’intermédiaire d’un autre organisme L’organisme responsable des enquêtes sur les délits fiscaux peut solliciter l’assistance d’un autre organisme afin d’exercer les pouvoirs en son nom |
Inexistants |
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Argentine Australie1 Autriche Azerbaïdjan Canada Colombie Costa Rica Brésil République tchèque2 Finlande France |
Géorgie Allemagne Grèce3 Hongrie Islande Irlande Israël Italie Japon Corée Mexique |
Pays-Bas Nouvelle- Zélande Norvège Afrique du Sud Espagne4 Suède5 Suisse6 Royaume-Uni États-Unis |
Australie7 Honduras Italie Suède8 |
Suisse9 |
1. AFP
2. Police
3. DPF, YEDDE et CRF
4. Les demandes sont transmises par le Procureur anti-corruption et le Service de recherche des douanes ou la police.
5. EBM
6. Administration fiscale fédérale ou ministère public.
7. ATO
8. STA-CRF
9. Administrations fiscales cantonales
50. Le pouvoir de perquisition devrait s’accompagner des garanties correspondantes pour assurer le respect de la vie privée des personnes concernées et éviter toute visite « déraisonnable ». Dans ces conditions, le pouvoir de perquisition peut être limité par une condition imposant l’existence de motifs raisonnables de croire qu’un délit a été commis et l’obtention d’autorisations de procédure, comme un mandat.
Pouvoir d’interception des correspondances et des communications
51. Il s’agit ici du pouvoir d’analyser les communications d’une personne, et notamment ses courriels, discussions en ligne, médias sociaux, dispositifs de localisation et enregistreurs des numéros composés (appareils permettant d’enregistrer les numéros de téléphone pour les appels entrants et sortants), enregistreurs de frappe, adresses IP, communications sur l’Internet clandestin (dark web) et bien d’autres types d’interceptions. Cela peut constituer une source d’information importante pour recueillir de nouveaux éléments de preuve à charge et à décharge, réunir les éléments nécessaires pour obtenir un mandat de perquisition, ou identifier les lieux potentiels à visiter, les associés et les coparticipants au délit, ainsi que les avoirs criminels. L’expérience des pays montre que le pouvoir d’interception des communications varie, puisque ce pouvoir est relativement intrusif et qu’il ne peut être utilisé que dans les cas les plus graves. Ce pouvoir existe dans les pays ayant répondu à l’enquête comme suit :
Tableau 3.3. Pouvoir d’interception des correspondances et des communications
Pouvoirs directs pleins et entiers L’organisme responsable des enquêtes sur les délits fiscaux peut être autorisé à exercer lui-même ces pouvoirs |
Pouvoirs indirects, par l’intermédiaire d’un autre organisme L’organisme responsable des enquêtes sur les délits fiscaux peut solliciter l’assistance d’un autre organisme afin d’exercer les pouvoirs en son nom |
Inexistants |
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Argentine Australie1 Autriche Azerbaïdjan Brésil Canada Colombie Grèce2 |
Hongrie3 Italie Mexique Pays-Bas Royaume-Uni |
Australie4 Brésil Costa Rica5 République tchèque6 France Allemagne Géorgie7 Grèce8 |
Honduras Islande Israël9 Italie Espagne Afrique du Sud Suède10 |
Chili Costa Rica11 Irlande Japon Corée Norvège Nouvelle- Zélande12 |
Suisse États-Unis |
1. AFP pour les télécommunications
2. CRF
3. NTCA (Administration néerlandaise des impôts et des douanes)
4. ATO
5. Le Parquet peut demander qu’un organisme d’enquête judiciaire (Organismo de Investigación Judicial; OIJ) se charge de l’interception des correspondances et des communications, mais une autorisation préalable d’un juge est requise.
6. Police
7. Organisme opérationnel-technique (Responsabilité professionnelle au regard du respect du droit)
8. DPF et YEDDE
9. L’administration fiscale israélienne a tout pouvoir pour intercepter les correspondances et les communications, une ordonnance judiciaire est toutefois requise.
10. Les procureurs de la SECA peuvent ordonner aux officiers de police de les assister dans tous types d’affaires. Le Service d’enquête sur l’évasion fiscale ne peut agir de sa propre initiative. Il doit passer par le procureur.
11. Les enquêteurs civils n’ont pas le pouvoir d’intercepter les communications.
12. Pouvoir d’ouvrir les correspondances trouvées dans les locaux lors d’une perquisition et d’obtenir des données tirées de communications auprès de prestataires de services tiers.
Pouvoir de rechercher et de saisir du matériel informatique, des logiciels, des téléphones portables et des supports électroniques
52. Les enquêteurs chargés des délits fiscaux peuvent avoir besoin de rechercher et de saisir des éléments de preuve sous forme numérique et de disposer à cette fin des compétences techniques voulues. Si le pouvoir de visite accordé pour obtenir des preuves mentionné ci-dessus porte essentiellement sur la recherche et la saisie de preuves matérielles, le présent pouvoir d’enquête concerne essentiellement la capacité de se procurer des preuves numériques comme des courriels, des messages textuels, des documents électroniques et des relevés bancaires. Ce type de preuve peut se trouver dans du matériel informatique, des logiciels, des téléphones portables ou dans divers supports électroniques, y compris dans le cloud. Pour certains pays, il se peut que la description des pouvoirs d’enquête figurant dans la loi ne soit pas encore au diapason d’un paysage numérique en mutation rapide, et puisse appeler une réforme. Ce pouvoir existe dans les pays ayant répondu à l’enquête comme suit :
Tableau 3.4. Pouvoir de rechercher et de saisir du matériel informatique, des logiciels, des téléphones portables et des supports électroniques
Pouvoirs directs pleins et entiers L’organisme chargé des enquêtes en matière de délinquance fiscale peut être autorisé à exercer lui-même ce pouvoir |
Pouvoirs indirects, par l’intermédiaire d’un autre organisme L’organisme responsable des enquêtes sur les délits fiscaux peut solliciter l’assistance d’un autre organisme afin d’exercer les pouvoirs en son nom |
Inexistants |
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Australie1 Autriche Azerbaïdjan Brésil Canada République tchèque2 Chili Colombie Costa Rica France |
Géorgie Allemagne Grèce3 Hongrie Islande Irlande Israël Italie Japon Corée |
Mexique Pays-Bas Nouvelle- Zélande Norvège Afrique du Sud Espagne Suède4 Suisse5 Royaume-Uni États-Unis |
Argentine Australie6 République tchèque7 Chili Honduras Israël Suède8 Suisse9 |
1. AFP
2. Police ; injonction de produire une pièce, saisie d’une pièce.
3. DPF, YEDDE et CRF
4. EBM
5. Administration fiscale fédérale ou ministère public
6. ATO
7. Police
8. STA-CRF
9. Administrations fiscales cantonales
53. Ce pouvoir est devenu essentiel, la technologie étant de plus en plus utilisée pour commettre des délits fiscaux et en transférer les produits.
54. Pendant une visite de domicile ou de bureaux, des documents peuvent être analysés afin de déterminer rapidement s’ils sont visés ou non par le mandat de perquisition et utiles pour l’enquête. Toutefois, les supports numériques peuvent contenir des centaines de milliers de courriels, documents et messages textuels, créés sur de nombreuses années, et pas nécessairement liés au délit fiscal. Il est donc difficile, voire impossible, de déterminer pendant la visite si une information électronique entre ou non dans le champ du mandat et si elle est utile. Par conséquent, la visite peut notamment consister à créer une copie ou une image numérique des données détenues, et à examiner le contenu dans un laboratoire scientifique afin de déterminer quelles informations sont situées dans le champ du mandat de perquisition et utiles pour l’affaire objet de l’enquête.
Encadré 3.1. Exemple de mise en œuvre réussie de la stratégie de lutte contre la délinquance fiscale des Pays-Bas face à des « mélangeurs » de crypto-monnaies
En 2020, le Service d’information et d’enquêtes en matière fiscale (FIOD) et le ministère public ont fermé l’un des plus gros « mélangeurs » en ligne de cryptomonnaies hors ligne, dénommé Bestmixer.io. Cette opération a porté un coup très rude à la dissimulation de flux d’argent sale au moyen de transactions effectuées sur un mélangeur de crypto-monnaies, notamment de bitcoins. Six serveurs en activité ont été démantelés et saisis aux Pays-Bas et au Luxembourg. L’enquête a été menée en étroite coopération avec l’équipe chargée, aux Pays-Bas, des intrusions numériques (DIGIT-Digital Intrusion Team), Europol et les autorités luxembourgeoises, françaises et lettonnes. En juin 2018, l’équipe chargée de la cybersécurité financière avancée (FACT-Financial Advanced Cyber Team) du FIOD a entrepris d’enquêter sous la supervision du Bureau du Parquet national chargé des fraudes graves, de la délinquance environnementale et de la confiscation des actifs. Cette enquête trouve son origine dans un rapport de la société de cybersécurité McAfee.
Elle a permis de réunir des renseignements relatifs à des transactions réalisées entre des clients et Bestmixer.io. Il s’agissait de clients de toutes les régions du monde, implantés en particulier aux États-Unis, en Allemagne et aux Pays-Bas. Le FIOD a analysé les renseignements avec le concours d’Europol. Les données ont été ensuite partagées avec d’autres pays. Du côté obscur du web, sur l’Internet clandestin, les cryptomonnaies sont un moyen de paiement fréquemment utilisé et souvent utilisé par les milieux criminels. Un mélangeur de cryptomonnaies est une plateforme en ligne offrant la possibilité de dissimuler l’origine ou la destination des cryptomonnaies. C’est une plateforme qui peut être utilisée pour séparer des cryptomonnaies en contrepartie du versement d’une commission, avant qu’elles soient mélangées à nouveau pour former des combinaisons différentes.
Les individus qui ont recours à un mélangeur le font probablement pour renforcer leur anonymat. À ce jour, l’enquête a montré que les cryptomonnaies mélangées avaient une origine ou une destination criminelle. En l’espèce, le mélangeur était probablement utilisé pour dissimuler et blanchir des flux d’argent sale. Le chiffre d’affaires total réalisé sur les marchés de l’Internet clandestin s’élève approximativement à 800 millions USD par an. On pense qu’une grande partie des paiements effectués via l’Internet clandestin le sont via des mélangeurs afin de blanchir de l’argent (de la cryptomonnaie) sale.
Bestmixer.io était l’un des plus grands mélangeurs de cryptomonnaies et offrait des services de mélange de cryptomonnaies comme le Bitcoin, le Bitcoin Cash et le Litecoin. Cette plateforme est entrée en activité en mai 2018 et a réalisé un chiffre d’affaires d’au moins 200 millions USD (soit approximativement 25 000 bitcoins) en l’espace d’un an en garantissant à ses clients la préservation de leur anonymat. L’opération menée contre Bestmixer.io marque une avancée importante et décisive dans la lutte contre la circulation d’argent sale en général, et contre les flux d’argent sale virtuel en particulier.
55. En Australie, par exemple, la police est habilitée à faire fonctionner le matériel électronique découvert dans les locaux visés par le mandat de perquisition afin d’accéder aux données (y compris celles qui ne sont pas détenues dans les locaux). Si les données consultées constituent des éléments de preuve, elles peuvent être copiées et supprimées en faisant fonctionner le matériel ou, si cela est impossible, en saisissant le matériel. Un bien découvert dans les locaux visés par le mandat peut être récupéré pendant 14 jours au plus pour être examiné ou traité afin de déterminer s’il peut être saisi dans le cadre du mandat, si cela s’avère nettement plus commode en termes de délai, de coût d’examen ou de traitement du bien et de possibilité d’obtenir l’assistance d’un expert. Ce procédé s’est révélé particulièrement utile dans les grandes enquêtes complexes sur des cas d’évasion fiscale, qui exigent qu’un grand nombre de données soient examinées sur des supports numériques afin d’identifier les éléments de preuve utiles.
56. La recherche et la saisie de données numériques contenues dans des ordinateurs et autres appareils électroniques peuvent aussi poser des problèmes juridiques. Les données à caractère personnel trouvées dans un appareil électronique peuvent ne pas concerner un délit fiscal présumé, ou comprendre des données protégées par un secret professionnel juridique. Il faudra peut-être que la visite soit soigneusement encadrée pour qu’elle s’en tienne aux termes de l’autorisation. Des problèmes juridiques peuvent également découler de la recherche et de la saisie d’ordinateurs et autres appareils électroniques. C’est tout particulièrement le cas lorsque les pouvoirs de visite prévus par la loi désignent explicitement la recherche ou la saisie de documents physiques, ou lorsqu’une personne conteste la recherche de supports numériques en faisant valoir qu’elle est d’une ampleur excessive et sort du champ du mandat de l’autorité chargée des visites ou qu’elle pourrait porter sur des documents confidentiels.
57. Les données tirées de l’enquête montrent que les problèmes les plus couramment rencontrés par les autorités dans la recherche et la saisie de supports numériques concernaient les données stockées hors du pays ou dans le cloud, leur législation les autorisant uniquement à rechercher les données stockées au niveau local. Les pays ont également cité les problèmes découlant de la recherche d’importants volumes de données, de données protégées par des mots de passe cryptés, et de données dont l’accès est proscrit par la législation sur le secret professionnel. Parmi les solutions possibles mentionnées par les pays figurent le développement d’un système informatique capable de trier les principales données utiles et une formation à l’informatique spécifiquement conçue pour les professionnels des enquêtes sur les délits fiscaux.
Pouvoir d’audition
58. Ce pouvoir d’enquête désigne la capacité d’entendre des suspects, des prévenus et des témoins afin d’obtenir des informations.
59. Le pouvoir d’audition permet généralement d’organiser une audition, plutôt que de contraindre une personne à parler ou à donner des informations pendant cette audition. Il convient d’établir une distinction entre les suspects, les prévenus et les témoins. Le fait qu’un suspect fournisse ou non des informations pendant l’audition dépendant de sa coopération volontaire. Cela procède du droit du suspect à garder le silence et de son droit à ne pas s’incriminer lui-même. C’est pourquoi les suspects devraient être mis en garde au début de l’audition. En ce qui concerne les témoins, bien qu’ils ne jouissent pas de ce droit au silence, les immunités prévues par la loi et les dispositions relatives au secret professionnel peuvent s’appliquer, par exemple pour les membres de la famille ou certaines professions. Ce pouvoir existe dans les pays ayant répondu à l’enquête comme suit :
Tableau 3.5. Pouvoir d’audition
Pouvoirs directs pleins et entiers L’organisme responsable des enquêtes sur les délits fiscaux peut être autorisé à exercer lui-même ces pouvoirs |
Pouvoirs indirects, par l’intermédiaire d’un autre organisme L’organisme responsable des enquêtes sur les délits fiscaux peut solliciter l’assistance d’un autre organisme afin d’exercer les pouvoirs en son nom |
Inexistants |
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Argentine Australie1 Autriche Azerbaïdjan Brésil Canada Chili Colombie Costa Rica République tchèque2 Géorgie |
Allemagne Grèce3 Honduras Hongrie Islande Israël Italie Japon Corée Mexique Pays-Bas |
Nouvelle- Zélande Norvège Afrique du Sud Espagne Suède Suisse Royaume-Uni États-Unis |
Australie4 Grèce5 |
Irlande |
1. AFP et ACIC
2. Police
3. DPF et YEDDE
4. ATO
5. CRF
60. Les pays peuvent aussi accorder le pouvoir de rendre obligatoire la communication d’informations, et notamment un pouvoir d’enquête permettant de citer des témoins potentiels à comparaître devant un tribunal ou une cour afin de répondre à des questions sous serment. Cet outil peut être particulièrement efficace lorsqu’une personne rechigne à fournir des informations, par exemple lorsqu’elle est liée par des obligations contractuelles de confidentialité. Toutefois, les immunités prévues par la loi et le droit d’un suspect à garder le silence continuent de s’appliquer. Ce pouvoir existe dans les pays ayant répondu à l’enquête comme suit :
Tableau 3.6. Pouvoirs d’imposer la communication d’informations
Pouvoirs directs pleins et entiers L’organisme responsable des enquêtes sur les délits fiscaux peut être autorisé à exercer lui-même ces pouvoirs |
Pouvoirs indirects, par l’intermédiaire d’un autre organisme L’organisme responsable des enquêtes sur les délits fiscaux peut solliciter l’assistance d’un autre organisme afin d’exercer les pouvoirs en son nom |
Non disponible |
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Australie1 Autriche Azerbaïdjan Brésil Canada Colombie Costa Rica République tchèque France |
Géorgie Allemagne Hongrie Honduras Islande Italie Pays-Bas Mexique Nouvelle- Zélande |
Norvège Afrique du Sud Espagne Suède Suisse2 Royaume-Uni États-Unis |
Argentine Australie3 |
Chili Grèce Irlande Japon Corée |
1. ACIC
2. Moyennant des restrictions
3. ATO
Pouvoir d’exercer une surveillance secrète
61. Ce pouvoir consiste à surveiller secrètement les déplacements, conversations et autres activités d’un suspect afin d’identifier ses complices ou des témoins, de localiser des éléments de preuve pour obtenir des mandats de perquisition, ou d’identifier les actifs utilisés pour commettre le délit fiscal ou qui en sont les produits. La surveillance secrète peut englober l’observation d’une personne dans des lieux privés, comme son domicile ou son véhicule, ou l’observation d’une personne en public. Elle peut s’avérer particulièrement utile pour enquêter sur les délits fiscaux impliquant le crime organisé. Ce pouvoir existe dans les pays ayant répondu à l’enquête comme suit :
Tableau 3.7. Pouvoir d’exercer une surveillance secrète
Pouvoirs directs pleins et entiers L’organisme responsable des enquêtes sur les délits fiscaux peut être autorisé à exercer lui-même ces pouvoirs |
Pouvoirs indirects, par l’intermédiaire d’un autre organisme L’organisme responsable des enquêtes sur les délits fiscaux peut solliciter l’assistance d’un autre organisme afin d’exercer les pouvoirs en son nom |
Inexistants |
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Australie1 Autriche Azerbaïdjan Brésil Canada2 Colombie République tchèque3 France Géorgie Grèce4 Hongrie |
Irlande Italie Japon Mexique Pays-Bas Nouvelle- Zélande Suède5 Suisse6 Royaume-Uni États-Unis |
Argentine Australie7 Canada8 Costa Rica9 République tchèque10 Islande11 Honduras Norvège Espagne |
Chili Costa Rica Allemagne Israël Corée Afrique du Sud Suisse |
1. AFP
2. La surveillance statique est la principale tactique de surveillance employée par les enquêteurs de l’ARC. Ces derniers ne sont pas formés à la surveillance mobile et ont interdiction d’exercer toute forme de surveillance impliquant un véhicule motorisé. La surveillance mobile peut être externalisée auprès de l’Agence des services frontaliers du Canada, de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) ou d’autres autorités répressives formées à cet effet.
3. Police ; pouvoirs directs pleins et entiers pour la surveillance des personnes et des biens sans enregistrement.
4. DPF, YEDDE et CRF
5. L’EBM dispose de pouvoirs directs pleins et entiers pour exercer une surveillance secrète.
6. AFD
7. ATO
8. La surveillance statique est la principale tactique de surveillance employée par les enquêteurs de l’ARC. Si la surveillance mobile est interdite à l’Agence du revenu du Canada, celle-ci peut toutefois demander aux autorités fédérales répressives de l’exercer en son nom
9. OIJ
10. Police.
11. Si nécessaire pour une enquête, effectué par la police.
Pouvoir de mener des opérations d’infiltration
62. Ce pouvoir désigne la capacité de mener une opération d’infiltration, au cours de laquelle un agent de police prend une nouvelle identité pour obtenir des informations et des éléments de preuve. Ce moyen d’enquête peut revêtir une importance particulière lors des enquêtes portant sur des délits graves en cours, notamment pour identifier les personnes ayant permis la commission d’un délit fiscal ou d’autres délits financiers impliquant le crime organisé. Le type d’informations pouvant être obtenues grâce à ce moyen d’enquête est similaire à celui recherché à travers la surveillance secrète, et qui consiste notamment à identifier les complices et à localiser les actifs.
63. La distinction entre l’exercice d’une surveillance secrète destinée à obtenir ces informations et celui d’une opération d’infiltration tient à l’intégration de l’agent infiltré dans l’organisation criminelle, ou du moins aux contacts directs qu’il entretient avec elle, afin de gagner sa confiance pour obtenir des informations. Ces contacts peuvent prendre la forme de relations physiques ou numériques, par exemple sur une plateforme en ligne. Ce pouvoir existe dans les pays ayant répondu à l’enquête comme suit :
Tableau 3.8. Pouvoir de mener des opérations d’infiltration
Pouvoirs directs pleins et entiers L’organisme responsable des enquêtes sur les délits fiscaux peut être autorisé à exercer lui-même ces pouvoirs |
Pouvoirs indirects, par l’intermédiaire d’un autre organisme L’organisme responsable des enquêtes sur les délits fiscaux peut solliciter l’assistance d’un autre organisme afin d’exercer les pouvoirs en son nom |
Inexistants |
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Australie1 Autriche Colombie Costa Rica France Allemagne Grèce2 Hongrie |
Mexique Pays-Bas Nouvelle- Zélande Suède Royaume-Uni États-Unis |
Argentine Australie3 Brésil Canada4 République tchèque5 Géorgie6 Honduras Islande7 Norvège Espagne |
Argentine8 Azerbaïdjan Chili Irlande Italie Japon Corée Afrique du Sud Suisse |
1. AFP
2. DPF et CRF
3. ATO
4. Les responsables d’enquêtes pénales peuvent prendre contact avec l’antenne locale de la GRC afin d’engager une opération d’infiltration au nom de l’ARC. Les enquêteurs de l’ARC peuvent mener eux-mêmes uniquement les types d’opérations d’infiltration les moins complexes et les moins gênantes, comme le fait de se rendre dans un restaurant, un bar ou un bureau, afin d’obtenir des informations ou des documents aisément accessibles à tous les clients comme des notes, factures ou brochures.
5. Police
6. Organisme opérationnel-technique (Responsabilité professionnelle au regard du respect du droit)
7. Effectué par la police
8. Il est rare que des opérations d’infiltration soient conduites dans des affaires de délinquance fiscale. La loi autorise l’utilisation de techniques spéciales d’enquête (comme des opérations d’infiltration) en cas d’infraction douanière ou de blanchiment de capitaux pouvant être liée au blanchiment des produits d’un délit fiscal.
64. Les opérations d’infiltration sont coûteuses et peuvent être dangereuses, et elles exigent expertise et formation des agents impliqués. De ce fait, elles risquent d’être utilisées moins souvent. À l’instar des autres pouvoirs d’enquête mentionnés dans le principe 3, les questions relatives aux droits et à la protection des suspects, et notamment au respect de leur vie privée, ainsi qu’à la provocation policière à l’infraction doivent être garanties par des procédures juridiques adéquates régissant l’utilisation de ces pouvoirs.
Pouvoir d’arrêter une personne
65. Le pouvoir d’arrêter une personne désigne le pouvoir d’appréhender une personne, de la retenir et de la placer en garde à vue, souvent dans le but de l’inculper officiellement d’une infraction. Le pouvoir d’arrêter une personne et de la placer en garde à vue (avec ou sans restrictions) peut être décisif pendant une enquête concernant un délit fiscal, pour l’empêcher d’influencer d’autres suspects ou témoins, ou lorsque le prévenu ou le suspect risque de s’enfuir, ou afin de retenir cette personne pour éviter qu’elle ne commette d’autres délits. Ce pouvoir existe dans les pays ayant répondu à l’enquête comme suit :
Tableau 3.9. Pouvoir d’arrêter une personne
Pouvoirs directs pleins et entiers L’organisme responsable des enquêtes sur les délits fiscaux peut être autorisé à exercer lui-même ces pouvoirs |
Pouvoirs indirects, par l’intermédiaire d’un autre organisme L’organisme responsable des enquêtes sur les délits fiscaux peut solliciter l’assistance d’un autre organisme afin d’exercer les pouvoirs en son nom |
Inexistants |
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Australie1 Autriche Colombie Costa Rica2 France Géorgie Grèce3 Honduras Irlande Italie |
Suède4 Mexique Pays-Bas Norvège Royaume-Uni États-Unis |
Argentine Canada République tchèque5 Islande Japon Espagne Suisse6 |
Australie7 Azerbaïdjan Allemagne Chili Costa Rica Grèce8 Nouvelle- Zélande Corée Afrique du Sud Suède9 Suisse10 |
1. AFP
2. Ministère public
3.FPD
3. EBM
4. Police
5. Administration fiscale fédérale ou ministère public
6. ATO
7. CRF
8. STA-CRF
9. Administrations fiscales cantonales
66. Dans certains pays, l’arrestation et le placement en garde à vue d’un prévenu ou d’un suspect permettent également de l’entendre sans interruption pendant un certain temps ledit prévenu ou suspect, à condition qu’il bénéficie de certaines protections prévues par la loi.
67. Comme dans le cas de l’utilisation des pouvoirs d’enquête par une autorité répressive, ces pouvoirs doivent s’accompagner de garanties, de contrôles et d’autorisations afin que les suspects et les prévenus soient dûment protégés contre toute utilisation abusive potentielle (voir le Principe 10 pour plus de détails).
Références
[1] OCDE (2017), Effective Inter-Agency Co-Operation in Fighting Tax Crimes and Other Financial Crimes (Une coopération interinstitutionnelle efficace pour lutter contre les délits à caractère fiscal et autres délits financiers) - troisième édition, Éditions OCDE, Paris, https://www.oecd.org/fr/fiscalite/delits/une-cooperation-interinstitutionnelle-efficace-pour-lutter-contre-les-delits-a-caractere-fiscal-et-autres-delits-financiers.htm.