Les pays devraient mettre en place un cadre juridique qui incrimine les manquements au droit fiscal et prévoit des sanctions pénales en conséquence.
Lutte contre la délinquance fiscale ‒ les dix principes mondiaux, deuxième édition
Principe 1. Incrimination des infractions fiscales
Abstract
Introduction
1. La plupart des contribuables s’acquittent spontanément de leurs obligations fiscales. Certains, toutefois, s’obstinent à ne pas les honorer et utilisent tous les moyens à cette fin. C’est à l’égard de ces contribuables, pour lesquels accompagnement et suivi n’entraînent pas d’amélioration de la discipline fiscale, que le droit pénal joue un rôle important. Cela permet en outre de renforcer les effets préventifs généraux que peut avoir l’application du droit pénal et de réduire l’indiscipline fiscale.
2. Les pays tirent des conclusions différentes quant au moment précis où l’application du droit pénal se justifie. Les dispositions du droit pénal définissent les actes qui sont considérés comme des délits fiscaux ainsi que le type de sanctions pénales qui sont jugées appropriées. Ces actes et sanctions pénales ne sont pas définis de la même manière dans tous les pays.
3. Dès lors qu’il existe une distinction entre non-respect des obligations et non-respect du droit pénal, les pays doivent avoir la possibilité d’appliquer des sanctions pénales en cas de violation du droit fiscal. D’un point de vue préventif, cela s’explique par plusieurs raisons :
i. faire passer un message quant à l’intégrité, à la neutralité et à l’équité de la loi (personne n’est au-dessus des lois) ;
ii. dissuader, de manière générale, ceux qui pourraient être tentés d’échapper à leurs obligations fiscales si l’occasion s’en présentait, en faisant en sorte que toute activité délictueuse ait des répercussions en termes de réputation et de sanctions ;
iii. dissuader, de manière spécifique, toute personne ayant été reconnue coupable et sanctionnée par le passé, afin qu’elle ne soit pas tentée de recommencer. La mise en œuvre effective des dispositions pénales destinées à punir ceux qui ont décidé de ne pas respecter leurs obligations est essentielle pour rendre la justice et renforcer la crédibilité de ces dispositions et du système juridique lui-même.
4. L’incrimination des manquements au droit fiscal garantit aussi la présence des pouvoirs d’enquête et de répression sur le plan pénal qui sont nécessaires pour établir la vérité indépendamment de la coopération du prévenu. Dans certains pays, elle sert également de socle à la coopération nationale avec d’autres autorités répressives en vertu du droit pénal, ainsi qu’à la coopération internationale aux termes d’une convention d’entraide judiciaire (CEJ), par exemple.
5. Le moyen précisément choisi pour incriminer les infractions au droit fiscal varie selon les pays. Chaque pays est doté d’un système juridique différent, qui traduit et produit des interactions avec la culture, le contexte de l’action publique et le cadre législatif qui lui sont propres.
6. Quelles que soient ses spécificités, le cadre juridique est particulièrement efficace dès lors que :
la loi définit clairement les infractions fiscales qui sont incriminées ;
une sanction pénale est appliquée lorsque l’infraction est établie ;
les infractions plus graves sont passibles de sanctions pénales plus sévères ;
les sanctions pénales sont appliquées dans la pratique.
La loi définit clairement les infractions fiscales qui sont incriminées
7. Les infractions relevant de la délinquance fiscale peuvent être définies de manière générale pour désigner un large éventail d’activités, comme les actes délictueux destinés à frauder l’administration. Il est également possible de définir les infractions spécifiques de façon plus détaillée dans la loi, en fixant pour chacune les critères permettant d’établir quels actes précis constituent un délit.
8. Quelle que soit l’approche adoptée en matière de définition, les pays peuvent aussi opter pour des approches différentes au regard du seuil au-delà duquel un acte est considéré comme une infraction. Ils peuvent ainsi incriminer les actes correspondant à un non-respect des obligations, comme une omission délibérée de remplir correctement une déclaration fiscale. Certains autres pays peuvent appliquer le droit pénal à partir d’un seuil plus élevé lorsque le non-respect délibéré d’une obligation fiscale s’accompagne de circonstances aggravantes, notamment si le montant de la fraude fiscale excède un certain seuil monétaire, si l’infraction est commise à plusieurs reprises, si le revenu imposable est activement dissimulé ou si les registres ou autres documents justificatifs sont délibérément falsifiés. Certains pays peuvent aussi fixer un seuil très élevé pour classer les délits fiscaux, comme les délits commis en bande organisée dans un but lucratif, ou les fraudes fiscales accompagnées de circonstances particulièrement aggravantes. On trouvera ci-dessous des exemples courants de ces divers cas de figure :
Catégorie |
Exemples |
---|---|
Infraction découlant du non-respect des obligations (peut s’appliquer indépendamment de l’intention ou du résultat) |
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Infractions fiscales intentionnelles |
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Infractions spécifiques |
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9. Les pays doivent aussi incriminer tout acte visant à faciliter ou à permettre la commission d’une infraction fiscale par un tiers, y compris en lui prêtant aide ou assistance, ou toute entente en vue de la commission d’une infraction fiscale (« complicité »), comme les actions des professionnels facilitant la commission d’infractions (voir ci-après).
10. Les pays peuvent, par exemple, regrouper ces infractions pénales dans un texte de loi ou un code couvrant toutes les activités délictueuses, dans une loi fiscale générale, dans leur texte de loi relatif à l’impôt sur le revenu ou à la TVA, ou dans tout autre texte de loi spécifique. Quelle que soit l’approche adoptée, les dispositions juridiques devraient exposer les éléments qui sont constitutifs du délit, ce qui implique d’énoncer clairement le comportement ou l’activité spécifique qui constitue l’acte délictueux, ainsi que l’état d’esprit requis de la part de la personne concernée lors de la commission de cet acte (intention, imprudence ou négligence grave, par exemple). Ces infractions devraient être décrites dans les textes en termes clairs, ce qui permettrait de prévenir certains désaccords et malentendus éventuels relatifs à la terminologie employée tant du côté des contribuables que du côté de la justice pénale.
11. Les pays devraient pouvoir engager des poursuites à l’encontre des personnes physiques, mais aussi des personnes morales et des constructions juridiques en cas de commission d’un délit fiscal. À titre d’exemple, lorsqu’une entreprise s’est prêtée à une fraude fiscale, il se peut qu’aucune personne physique responsable du délit ne puisse être identifiée, mais que les actions délictueuses commises résultent des actions conjuguées réalisées par plusieurs personnes en tant que représentants de l’entreprise. La loi peut ainsi permettre d’engager la responsabilité pénale de la personne morale ou de la construction juridique à raison du délit, et d’imposer des sanctions aux principaux acteurs, comme les administrateurs, dirigeants, agents ou salariés clés de la personne morale ou de la construction juridique, qui sont jugés pénalement responsables. La capacité des répondants à l’enquête d’engager la responsabilité pénale des personnes morales est la suivante :
Une sanction pénale est appliquée lorsque l’infraction est établie
12. Les dispositions juridiques devraient prévoir des sanctions dès lors que les éléments du délit ont été établis. Ces sanctions devraient être conçues pour favoriser le respect des obligations et empêcher leur inobservation en constituant une menace crédible. Tout délai de prescription relatif à l’imposition d’une sanction pénale devrait tenir compte de la gravité du délit et de la sévérité de la peine prescrite. L’existence d’un délai de prescription suffisamment long pour les infractions graves a pour conséquence pratique qu’il laisse suffisamment de temps aux organismes compétents pour identifier et poursuivre les auteurs d’actes délictueux. Cet aspect revêt une importance particulière pour les affaires complexes, dans lesquelles la conduite d’enquêtes et de poursuites efficaces peut prendre du temps.
Les infractions plus graves sont passibles de sanctions pénales plus sévères
13. Un certain nombre de comportements peuvent constituer un délit à caractère fiscal. Pour atteindre les objectifs de l’incrimination exposés précédemment, les comportements ou les délits plus graves commis dans des circonstances plus graves devraient être passibles de sanctions pénales plus sévères, proportionnelles à la nature de l’infraction.
14. Comme on l’a vu, chaque pays adopte sa propre approche pour classer les différents types d’infractions et leur gravité. Quelle que soit l’approche suivie, la gravité des conséquences pour le délinquant doit être à la mesure de la gravité de l’infraction.
Il existe un régime de sanctions permettant de poursuivre les professionnels facilitant la commission d’infractions (intermédiaires fiscaux)
15. Bien que la majorité des professionnels soient respectueux du droit et jouent un rôle important dans l’accompagnement des entreprises et des personnes physiques en les aidant à mieux comprendre et respecter la législation, les pays devraient disposer de régimes de sanctions visant le petit nombre de professionnels faisant usage de leurs compétences et de leurs connaissances pour faciliter la commission de délits fiscaux et autres délits financiers par leurs clients. Ces professionnels, au nombre desquels peuvent figurer des juristes, des comptables et des conseillers fiscaux, peuvent jouer un rôle essentiel en ce qu’ils donnent aux contribuables les moyens de frauder l’État et de se soustraire à leurs obligations fiscales, par exemple en mettant à leur disposition des structures et des dispositifs opaques pour occulter la véritable identité des individus à l’origine des activités illégales.
16. Les pouvoirs publics sont de plus en plus conscients de la nécessité de poursuivre ces intermédiaires fiscaux. Plusieurs pays ont répondu que les complices, parmi lesquels les professionnels ayant facilité la commission d’une infraction, sont pénalement responsables et que, dans la majorité des cas, ils peuvent être tenus pour responsables de la même infraction et sont passibles de la même sanction pénale que l’auteur lui-même de l’infraction. Dans certains cas, la personne concernée peut encourir une sanction plus lourde, par exemple lorsqu’il s’agit d’un conseiller fiscal et que son intervention pour faciliter la commission de l’infraction est considérée comme un facteur aggravant. Certains pays infligent également des sanctions civiles aux professionnels se comportant comme des intermédiaires ou des instigateurs de délits fiscaux. On trouvera ci-après une ventilation des sanctions appliquées, établie à partir des données tirées de l’enquête :
Tableau 1.1. Types de régimes permettant de poursuivre les intermédiaires fiscaux
Possibilité d’engager des poursuites en vertu des règles de portée générale visant les auteurs d’infractions primaires ou secondaires |
Régime de sanction spécial |
Sanction non pénale |
---|---|---|
Autriche |
Argentine1 |
Australie |
Azerbaïdjan |
Chili2 |
France3 |
Brésil |
Israël |
Pays-Bas4 |
Canada |
Italie |
Irlande5 |
Colombie |
Corée |
|
Costa Rica |
Mexique |
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République tchèque6 |
Suède |
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France |
Royaume-Uni |
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Géorgie |
États-Unis |
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Allemagne |
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Grèce |
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Honduras |
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Hongrie |
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Japon |
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Pays-Bas |
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Nouvelle- Zélande |
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Norvège |
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Afrique du Sud |
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Espagne |
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Suisse |
1. Sanction spéciale applicable aux professionnels ayant facilité la commission d’infractions prévue dans la Loi sur la Délinquance Fiscale.
2. Infraction spéciale inscrite dans le Code des impôts.
3. La France peut appliquer à la fois des règles de portée générale relatives à la participation à la commission d’infractions primaires/secondaires et une sanction administrative.
4. Les Pays-Bas peuvent appliquer à la fois des règles de portée générale relatives à la participation à la commission d’infractions primaires/secondaires et une sanction administrative.
5. Des sanctions, notamment l’interdiction d’exercer sa profession, peuvent être infligées par l’ordre dont relèvent ces professionnels.
6. Peut être considéré comme une circonstance aggravante.
Les sanctions pénales sont appliquées dans la pratique
17. La législation incriminant les infractions fiscales devrait être mise en application. Lorsque l’infraction est établie lors d’une procédure judiciaire, il convient d’appliquer la sanction pénale qui a le plus de chances d’être efficace et qui est adaptée aux faits et aux circonstances. Les sanctions devraient être appliquées de manière équitable et cohérente.
18. Selon l’affaire, il pourrait être judicieux d’imposer une sanction pécuniaire. Par exemple en ce qui concerne les pays ayant répondu à l’enquête pour lesquels des données étaient disponibles, les amendes infligées par les autorités compétentes pour infractions au droit fiscal ont représenté un montant excédant 1.4 milliard EUR en 2017.
19. Selon l’affaire concernée, il peut être bon d’appliquer d’autres types de sanctions pénales, comme des travaux d’intérêt général, la dénonciation publique des auteurs de l’infraction ou des facilitateurs, l’interdiction d’exercer certaines fonctions, la suspension du permis de conduire ou autres avantages, des ordonnances spécifiques de confiscation ou de restitution d’actifs, voire plusieurs de ces sanctions à la fois.
20. Neuf des 31 pays ayant participé à l’enquête ont répondu avoir recouru à des sanctions autres qu’une peine d’emprisonnement ou une amende entre 2015 et 2018.1
Références
OCDE (2021), En finir avec les montages financiers abusifs : Réprimer les intermédiaires qui favorisent les délits fiscaux et la criminalité en col blanc, OCDE, Paris. http://www.oecd.org/fr/fiscalite/delits/en-finir-avec-les-montages-financiers-abusifs-reprimer-les-intermediaires-qui-favorisent-les-delits-fiscaux-et-la-criminalite-en-col-blanc.htm
Note
← 1. Australie, Azerbaïdjan, Canada, États-Unis, France, Géorgie, Mexique, Nouvelle-Zélande et République tchèque.