Ce chapitre décrit la situation des marchés et présente les projections à moyen terme relatives aux marchés mondiaux des produits halieutiques et aquacoles sur la période 2019-28. Il passe en revue les évolutions prévues en termes de prix, de production, de consommation et d’échanges pour le poisson et les produits de la pêche et de l’aquaculture, et examine en conclusion les principaux risques et incertitudes susceptibles d’avoir une incidence sur les marchés mondiaux des produits halieutiques et aquacoles dans les dix années à venir
Perspectives agricoles de l'OCDE et de la FAO 2019-2028
Chapitre 8. Produits halieutiques et aquacoles
Abstract
8.1. Situation du marché
La croissance des secteurs de la pêche et de l’aquaculture s’est globalement poursuivie en 2018, comme l’illustrent les records atteints par la production, les échanges et la consommation. La production doit son développement à l’augmentation des captures (d’anchois en Amérique du Sud surtout) et à la montée en puissance ininterrompue de l’aquaculture, au rythme de 3 à 4 % par an.
Le poisson1 a vu ses prix augmenter sur la première partie de 2018, sous l’effet d’une progression plus rapide de la demande que de l’offre pour certaines grandes espèces, avant de se déprécier sur le restant de l’année, l’offre se montrant plus abondante et les consommateurs moins demandeurs aux États-Unis et sur certains marchés européens. L’indice agrégé des prix du poisson de la FAO2 a atteint un sommet en mars 2018 (165, pour une base 100 en 2002‑04), avant d’amorcer un léger repli. Les prix de la plupart des espèces et produits sont toutefois restés supérieurs aux niveaux de 2017. Cette appréciation, alliée à des volumes d’échanges toujours importants, a hissé la valeur des échanges totaux de poisson frais et transformé à 166 milliards USD en 2018, soit une hausse de plus de 7 % par rapport à l’année précédente.
8.2. Principaux éléments des projections
Les prix du poisson resteront tous relativement stationnaires en valeur réelle sur la période de projection, les contraintes de production excluant toute dépréciation du même ordre que celle escomptée du côté des viandes de substitution comme la volaille. Dans tous les cas, les prix devraient évoluer dans une fourchette de +/‑1 % par an, avec une légère dépréciation des espèces issues de la pêche, du prix mondial du poisson échangé et de la farine de poisson, et une légère appréciation des espèces aquacoles et de l’huile de poisson. Par rapport à la décennie passée (2009‑18), les prix devraient tous ralentir leur rythme de croissance annuelle ou rester orientés à la baisse. Dans la lignée des sommets atteints par de nombreux produits agricoles au cours des dix années passées, les prix de la farine et de l’huile de poisson en particulier sont plus élevés que jamais et devraient le rester aussi loin que l’on puisse prévoir. Le prix moyen réel pondéré des espèces aquacoles augmente plus rapidement que celui des aliments pour animaux faiblement protéinés comme le maïs. Cette tendance pourrait être de bon augure pour la rentabilité car ces aliments sont l’un des principaux intrants de la production de nombreuses espèces aquacoles. En valeur nominale, les prix de tous les types de poissons devraient suivre une courbe légèrement haussière.
La quantité de poisson produite à l’échelle mondiale devrait continuer de croître (1.1 % par an), tout en ralentissant le pas par rapport à la décennie précédente (2.4 % par an). Ce coup de frein est dû notamment au 13e plan quinquennal chinois (2016‑2020)3, qui touchera la production halieutique aussi bien qu’aquacole, ainsi qu’à la révision à la baisse des chiffres de la production chinoise depuis 20094. L’aquaculture devrait rester une filière de premier plan et continuer de monter en puissance (graphique 8.1). Sur la période de projection, sa croissance moyenne (2.0 % par an) devrait constituer le principal moteur de la production totale de poisson à l’échelle mondiale. D’ici 2028, la production aquacole devrait dépasser de loin les captures (8.0 Mt). La gouvernance inadéquate et l’épuisement des stocks dont pâtissent certaines pêches dans le monde devraient rester problématiques, mais les projections tablent sur une légère augmentation du volume des captures (0.2 % par an), notamment parce que l’amélioration des conditions de gestion dans plusieurs régions devrait continuer de porter ses fruits.
Selon les projections, la production de poisson servira essentiellement à l’alimentation humaine (178 Mt en 2028), les usages non alimentaires restant limités à 9.4 % (farine et huile de poisson principalement). L’aquaculture devrait fournir une part croissante du poisson destiné à la consommation humaine, de 52 % en moyenne en 2016‑18 à 58 % en 2028. La production mondiale de poisson devant croître à un rythme moins soutenu, la consommation mondiale de poisson destiné à l’alimentation humaine ne devrait augmenter que de 1.3 % par an, soit bien moins que les 2.7 % annuels observés lors de la décennie précédente. À l’échelle mondiale, la consommation humaine apparente5 de poisson devrait atteindre 21.3 kg par habitant en 2028, contre 20.3 kg en 2016‑18. La consommation par habitant devrait légèrement diminuer en Afrique subsaharienne et rester stationnaire sur l’ensemble du continent africain, mais elle devrait afficher les taux de croissance les plus élevés en Amérique latine et en Europe.
Le poisson frais et transformé (poisson destiné à la consommation humaine et farine de poisson) figure parmi les denrées les plus échangées dans le monde. D’ici 2028, les volumes d’exportation de ces produits devraient représenter environ 36 % de la production totale (31 % si l’on exclut les échanges intra-UE). Les échanges mondiaux de poisson destiné à la consommation humaine devraient continuer de s’intensifier sur les dix prochaines années (+1.1 % par an), mais moins rapidement qu’au cours de la décennie écoulée (+1.9 % par an), étant donné le ralentissement de croissance de la production. La tendance à long terme imprimée par les pays d’Asie, qui occupent une part de plus en plus importante dans ces échanges, devrait se maintenir puisqu’ils devraient représenter 52 % des exportations mondiales en 2028, contre 49 % en 2016‑18. Après leur contraction lors de la décennie passée, les échanges mondiaux de farine de poisson devraient repartir à la hausse sur la période de projection, dopés par la production plus abondante ; en effet, la transformation des déchets de poisson permet de récupérer davantage de farine et les captures sont en légère hausse.
Ces projections constituent le scénario le plus probablement appelé à se produire, sous réserve de certaines hypothèses relatives à l’économie et à l’action publique. De multiples incertitudes planent sur les perspectives des secteurs de la pêche et de l’aquaculture s’agissant de l’évolution des conditions environnementales, de la gouvernance dans le secteur de la pêche et des politiques commerciales, ainsi que de l’accès aux marchés. Les conséquences de ces évolutions dépendront à la fois de la mesure dans laquelle elles s’écartent de l’hypothèse retenue et de la capacité du secteur d’y faire face.
8.3. Prix
Les prix du poisson devraient rester relativement stables sur la période de projection en valeur réelle, avec un léger recul attendu dans la plupart des cas en 2028 par rapport à la période de référence. C’est la production halieutique qui devrait connaître la baisse la plus importante (‑6.5 %), suivie par la farine de poisson (‑4.0 %), le poisson transformé échangé (‑3.0 %) et enfin l’aquaculture (‑2.2 %), tandis que le prix de l’huile de poisson devrait s’inscrire en légère hausse (+1.8 %) (graphique 8.2).
Les hypothèses les plus déterminantes sur lesquelles reposent les présentes Perspectives concernant la pêche et l’aquaculture sont, comme en 2018, celles relatives aux conséquences les plus probables qu’aura le 13e plan quinquennal chinois (2016‑2020). Ces conjectures, alliées au fait que les chiffres de la production chinoise depuis 2009 ont été révisés à la baisse après le recensement, ont entraîné une nette réduction de la production halieutique et aquacole. Celle-ci se traduit par une augmentation des prix chinois d’autant plus marquée que l’épizootie de peste porcine qui sévit actuellement réduit la production de porc et accroît la demande de poisson. La Chine assure 59 % de la production aquacole dans le monde (moyenne des années 2016‑18). L’importance relative de sa contribution, alliée au fait que la croissance démographique et des revenus nourrit une demande soutenue de poisson à l’échelle planétaire, limite la chute à venir des prix mondiaux.
Certes, la farine de poisson devrait voir son prix légèrement reculer en termes réels, mais elle part de niveaux très élevés et, en 2028, les prix devraient afficher une augmentation de 53 % par rapport à ceux observés en 2005, juste avant qu’ils n’amorcent leur montée en flèche. Le même scénario se dessine, de manière plus marquée encore, pour l’huile de poisson, dont le prix réel en 2028 devrait être supérieur de 83 % à celui de 2005. À elles deux, et toutes choses égales par ailleurs, ces évolutions portent à croire que la transformation de captures et de déchets de poissons en farine et en huile demeurera une activité lucrative sur la période de projection.
À long terme, les prix mondiaux de la farine et de l’huile de poisson devraient continuer globalement d’évoluer en tandem avec ceux des produits oléagineux, du fait des nombreuses possibilités de substitution qui existent. La farine devrait toutefois s’apprécier légèrement par rapport aux tourteaux d’oléagineux en raison de l’augmentation limitée de l’offre, qui baisse même les années où survient un épisode El Niño6, et parce que ce produit reste prisé pour ses caractéristiques nutritionnelles, à la fois par l’aquaculture, dont la production augmente, et par d’autres activités comme l’élevage (porcs et volaille surtout). Du côté des huiles, l’écart de prix entre l’huile de poisson et l’huile végétale restera élevé car le changement structurel qu’il a connu en 2012 devrait perdurer. Celui-ci est essentiellement à mettre sur le compte de la demande accrue, pour l’alimentation humaine, d’acides gras oméga-3, présents à des teneurs particulièrement élevées dans l’huile de poisson.
Les rations alimentaires sont le principal poste de dépense de la plupart des producteurs pratiquant l’élevage intensif de poissons et l’importance croissante des ingrédients d’origine végétale dans ces rations fait du rapport entre les prix de l’aquaculture et du maïs un bon indicateur de la rentabilité potentielle de l’aquaculture. L’écart entre les deux devrait rester élevé sur la période de projection, ce qui porte à croire que le secteur aquacole sera rentable la plupart des années concernées.
8.4. Production
La production totale de poisson à l’échelle mondiale devrait atteindre 196.3 Mt en 2028, soit une augmentation de 14 % par rapport à la période de référence (moyenne des années 2016‑18) et une production supplémentaire de 24.1 Mt de produits halieutiques et aquacoles en termes absolus (graphique 8.3). Bien que la croissance de la production se poursuive, son accélération et sa valeur absolue continuent de se contracter. En termes absolus, la croissance de la production halieutique et aquacole mondiale sur la période devrait atteindre 51 % de celle enregistrée au cours de la décennie passée, durant laquelle la production mondiale annuelle avait augmenté de 32.2 Mt.
L’aquaculture restera le principal artisan de cette croissance, avec une production qui devrait augmenter de 2 Mt par an en moyenne, pour atteindre 102.2 Mt en 2028, soit une progression de 28 % sur la période de projection. Certes, la production aquacole fera date en 2027‑2028 en passant pour la première fois la barre des 100 Mt, mais son taux de croissance annuelle devrait continuer de ralentir sur les dix prochaines années, à moins de la moitié de ce qu’il était au cours de la décennie passée (2.0 % contre 4.6 %). Cet essoufflement est dû en grande partie à l’effet modérateur qu’aura le plan quinquennal actuel de la Chine sur la croissance de la production aquacole du pays. Celle-ci devrait augmenter de 24 % sur les dix prochaines années, soit moitié moins qu’au cours de la décennie passée (54 %). La Chine a assuré 59 % de la production aquacole mondiale sur la période de référence (moyenne des années 2016‑18), une contribution qui devrait se replier à 57 % d’ici 2028, bien que la part de l’aquaculture dans la production totale de produits halieutiques et aquacoles en Chine passe dans le même temps de 75 % à 82 % selon les prévisions (graphique 8.3), sous l’effet d’une baisse des captures (‑14 %). À l’échelle de la planète, la production aquacole devrait également ralentir le pas en raison du tassement des gains de productivité entraîné par le durcissement de la réglementation environnementale dans la filière et de la raréfaction des sites de production optimaux.
Après s’être plutôt stabilisée autour d’un palier ces dernières années, la production halieutique devrait repartir en légère hausse et atteindre 94.2 Mt dans le monde en fin de période, soit environ 1.7 Mt et 1.9 % de plus que la moyenne constatée sur la période de référence 2016‑18. Elle devrait ainsi croître malgré la réduction escomptée des captures en Chine, grâce aux effets que devrait avoir l’amélioration de la gestion dans certaines régions (par exemple, Amérique du Nord et Amérique Latine, Europe) et au prix relativement élevé du poisson. Au niveau pays, les plus fortes augmentations absolues des captures devraient se produire en Fédération de Russie et en Indonésie. Il n’est par conséquent plus prévu que la production aquacole supplante le total des captures (y compris celles destinées à des usages non alimentaires) avant 2022, alors que ce basculement était attendu en 2021 auparavant. Les épisodes El Niño escomptés en 2021 et 2026 entraîneront une baisse de la production halieutique sur les deux années concernées, ce phénomène environnemental récurrent ayant un impact considérable sur les pêches d’espèces pélagiques des pays d’Amérique du Sud.
À l’échelle des groupes d’espèces, toutes les formes de production aquacole continueront de croître, mais à des rythmes différents selon le groupe, ce qui modifiera l’importance relative des diverses espèces en termes de quantités produites dans le monde. En 2028, les carpes et mollusques devraient toujours figurer en tête des groupes d’espèces aquacoles, représentant à eux deux 55 % de la production totale (35.8 % pour les carpes et 19.2 % pour les mollusques). Leur avance continue toutefois de s’effriter, notamment celle des mollusques, dont la contribution s’érode lentement depuis le record de 77 % atteint au milieu des années 90, au profit d’autres espèces dont la production croît plus rapidement. Cette tendance se poursuivra au cours de la prochaine décennie puisque le taux de croissance le plus élevé, de 3.4 % par an, est attendu chez les tilapias, suivis par les silures et pangas (qui appartiennent au groupe des poissons d’eau douce et diadromes) (graphique 8.4).
Après dix ans de croissance ténue de la production d’huile de poisson et de baisse de la production de farine, ces deux produits devraient s’inscrire en hausse sur la période de projection, signant des progressions de 3.9 % pour l’huile et de 10.6 % pour la farine de poisson entre la période de référence et 2028. Ce regain de vigueur est escompté bien que la part des captures transformées en farine et en huile reste peu ou prou stationnaire, à environ 16 %. Il s’explique plutôt par d’autres facteurs : la proportion croissante de farine et d’huile issues de la transformation de déchets de poisson, l’augmentation relative du prix de ces produits et la légère hausse des captures escomptée. La proportion de farine et d’huile de poisson issues de la transformation de déchets devrait passer de 25 % et 35 % respectivement en 2018 à 31 % et 40 % en 2028.
8.5. Consommation
Le poisson est une denrée aux formes et aux usages multiples qui comporte une grande variété d’espèces. Il peut être préparé et consommé de bien des manières et sous des formes très diverses, que ce soit dans l’alimentation humaine ou non. Les modes d’utilisation, de transformation et de consommation du poisson varient aussi considérablement d’un continent, d’une région et d’un pays à l’autre. Dans sa très grande majorité, la production de poisson est utilisée pour satisfaire la consommation humaine, et cet usage devrait absorber 91 % de la production en 2028, contre 89 % sur la période de référence (2016‑18). Dans l’ensemble, la quantité de poisson destiné à la consommation humaine devrait augmenter de 25 Mt d’ici 2028, pour atteindre 178 Mt, soit une progression de 16 % par rapport à la moyenne de 2016‑18, contre 32 % au cours de la décennie précédente. Ce tassement s’explique essentiellement par la croissance moins vigoureuse de la production disponible, la modération de l’expansion démographique et la saturation de la demande dans certains pays, en particulier dans les économies développées, où la consommation de poisson destiné à l’alimentation humaine ne devrait guère progresser (+0.6 % par an d’ici 2028).
L’augmentation de la demande sera surtout imputable aux pays en développement (Asie en tête), qui devraient représenter 93 % de la hausse de la consommation et absorber 81 % du poisson destiné à l’alimentation humaine en 2028 (contre 79 % en 2016‑18). Dans l’ensemble, l’Asie devrait consommer 71 % (ou 126 Mt) du total du poisson destiné à l’alimentation humaine, tandis qu’à l’autre bout du spectre, l’Océanie et l’Amérique latine afficheront les quantités les plus modestes. L’Asie restera par ailleurs le principal moteur de croissance de la consommation puisqu’elle absorbera 71 % de la quantité supplémentaire de poisson produite à l’horizon 2028. L’essor de la consommation, en particulier en Asie de l’Est (hors Japon) et du Sud-Est, sera nourri par de nouvelles hausses de la production intérieure, notamment aquacole, par l’augmentation des revenus et de la commercialisation, et par l’expansion démographique de pays déjà très peuplés qui, conjuguée à un phénomène d’urbanisation, favorisera la consommation de protéines animales, poissons compris, au détriment des aliments d’origine végétale. Premier producteur de poisson, la Chine en restera de loin le premier consommateur mondial. Elle devrait ainsi représenter quelque 36 % de la consommation mondiale totale en 2028 et sa consommation par habitant devrait atteindre environ 44.3 kg, contre 39.3 kg sur la période de référence.
Dans l’ensemble, la croissance de la demande devrait aussi être stimulée par l’évolution actuelle des habitudes alimentaires, qui devrait continuer de tendre vers une plus grande variété des aliments proposés et un intérêt grandissant pour la santé, la nutrition et la diététique. En tant que source concentrée de protéines et de nombreux autres acides gras essentiels et oligoéléments, le poisson joue un rôle particulier à cet égard en apportant une contribution précieuse et nutritive à une alimentation saine et équilibrée. Les échanges devraient rester un facteur déterminant en étendant la commercialisation du poisson, ce qui aura pour effet non seulement de réduire l’impact de la situation géographique et d’une production intérieure limitée, mais d’élargir aussi les débouchés commerciaux de nombreuses espèces et de permettre aux consommateurs de bénéficier d’une offre plus diversifiée. Les importations devraient couvrir jusqu’à 69 % de la consommation de poisson destiné à l’alimentation humaine en Europe, et jusqu’à 71 % en Amérique du Nord (graphique 8.5).
La consommation de poisson par habitant (graphique 8.6) devrait augmenter sur tous les continents à l’exception de l’Afrique, où elle devrait rester stationnaire. Un léger fléchissement est attendu en Afrique subsaharienne. Malgré une offre totale de poisson destiné à l’alimentation humaine plus abondante (+30 % en Afrique et +31 % en Afrique subsaharienne par rapport à la période de référence) grâce à une hausse de la production et des importations, la consommation par habitant ne parviendra pas à croître suffisamment vite pour dépasser les rythmes de croissance démographique similaires qui prévalent sur le continent, si bien qu’elle restera stationnaire, voire en baisse. Cette évolution étale à l’échelle de l’Afrique dans son ensemble et à la baisse dans la région subsaharienne suscite de vives inquiétudes à l’égard de la sécurité alimentaire, étant donné que l’Afrique est le continent où la sous-nutrition sévit le plus dans le monde et que la sécurité alimentaire s’y est récemment dégradée, en particulier dans certaines régions subsahariennes7. Même si la consommation de poisson par habitant est actuellement inférieure à la moyenne mondiale sur le continent, cette denrée joue un rôle de premier plan dans la région en fournissant des oligoéléments et protéines très utiles, dans des proportions supérieures à la moyenne mondiale dans le cas des protéines.
Le poisson consacré à des usages non alimentaires devrait représenter tout juste moins de 10 % de la production. La grande majorité de ce poisson est utilisé pour produire de la farine et de l’huile et environ 2 % est destiné à des usages tels que la production de poissons d’ornement, de poissons d’élevage, de progénitures et alevins, d’appâts ou d’intrants destinés à l’industrie pharmaceutique, et peut servir directement d’aliment aux espèces aquacoles, au bétail et à d’autres animaux. La farine et l’huile de poisson peuvent être fabriquées à partir de poissons entiers, de chutes de parage ou d’autres sous-produits du poisson issus de sa transformation. Ces deux produits sont utilisés avant tout comme aliments dans l’aquaculture ou l’élevage (porcin surtout) ainsi que comme compléments alimentaires et ingrédients dans des préparations alimentaires industrielles destinées à la consommation humaine. À l’heure actuelle, environ 70 % de la farine et 75 % de l’huile de poisson sont employées pour nourrir les poissons d’élevage. Par ailleurs, quelque 7 % de l’huile de poisson sert de complément alimentaire8. Aucune évolution notable n’est escomptée au cours de la prochaine décennie, mis à part l’augmentation possible de la proportion d’huile employée comme complément alimentaire, un segment sur lequel les prix sont généralement plus élevés.
La farine et l’huile de poisson, qui affichent une hausse limitée des volumes de production et des prix élevés, en plus de demander des efforts considérables en matière d’innovation, seront plus fréquemment employées comme ingrédients stratégiques afin de stimuler la croissance à certaines étapes de la production d’espèces aquacoles et d’élevage, car elles sont considérées comme les ingrédients les plus nutritifs et digestibles à cette fin. Leurs taux d’incorporation aux aliments composés destinés à l’aquaculture sont nettement en baisse car elles sont employées de manière plus sélective et remplacées par des tourteaux d’oléagineux, meilleur marché (graphique 8.7). D’ici 2028, l’aquaculture devrait utiliser près de 9 Mt de tourteaux d’oléagineux, contre 4.4 Mt pour la farine de poisson. Premier producteur aquacole au monde, loin devant les autres pays, la Chine restera le principal consommateur de farine de poisson et représentera environ 38 % de la consommation totale ; la Norvège, quant à elle, demeurera le premier consommateur d’huile de poisson en raison de sa filière salmonicole.
8.6. Échanges
Les échanges de poisson frais et transformé (poisson destiné à la consommation humaine et farine de poisson) vont continuer de croître sur la période de projection, en ralentissant toutefois le rythme par rapport à la décennie précédente, freinés par la décélération de la production et la guerre commerciale qui oppose les États-Unis et la Chine. Les échanges resteront déterminants dans les secteurs de la pêche et de l’aquaculture, notamment à l’égard de l’offre et de la sécurité alimentaires. À l’échelle mondiale, le poisson tend à représenter une part croissante des apports totaux en protéines animales, notamment en raison du développement des échanges de poisson frais et transformé.
Les échanges mondiaux de poisson destiné à la consommation humaine devraient atteindre au total 45.8 Mt en équivalent poids vif en 2028 (hors échanges intra-UE), soit une augmentation de 11 % par rapport à la période de référence de 2016‑18. Les exportations de poisson destiné à la consommation humaine devraient se concentrer dans un nombre plus restreint de pays sur la période de projection (graphique 8.8). La part des cinq plus grands exportateurs (Chine, Viet Nam, Norvège, Union européenne [qui sera détrônée par l’Indonésie en 2028] et Fédération de Russie) dans le total des volumes d’exportation devrait passer de 45 % en moyenne en 2016‑18 à 46 % en 2028. Parmi eux, c’est en Norvège qu’est attendu le taux de croissance le plus faible, puisque les exportations y suivent la tendance imprimée par la production. À l’inverse, la croissance la plus vigoureuse est prévue en Indonésie. Étant donné l’essor de sa production, le pays devrait se hisser au quatrième rang des plus grands exportateurs de poisson destiné à la consommation humaine en 2028, devant l’Union européenne et la Fédération de Russie, alors qu’il se classait en dixième position sur la période de référence. Parmi les autres grands pays exportateurs, le Chili et la Thaïlande devraient afficher des taux de croissance robustes. À l’inverse, un repli des volumes d’exportation est attendu aux États-Unis, sous l’effet du bras de fer commercial entre les États-Unis et la Chine, qui devrait perdurer jusqu’en 2028.
Les importations, quant à elles, devraient devenir moins concentrées sur la période de projection. L’Union européenne, les États-Unis, la Chine, le Japon, et la Thaïlande resteront les cinq principaux importateurs de poisson destiné à la consommation humaine (graphique 8.9). La part qu’ils représentent dans les volumes mondiaux d’importation devrait toutefois passer de 56 % en 2016‑18 à 52 % en 2028 avec le recul des importations japonaises et chinoises. Sur l’Archipel nippon, la consommation de poisson, importé en partie, continuera de fléchir, les nouvelles générations de Japonais lui préférant la viande. Les importations chinoises devraient quant à elles légèrement baisser à mesure que le secteur aquacole s’adaptera aux préférences des consommateurs locaux en termes d’espèces. On attend en particulier un recul des importations d’espèces marines sur la période de projection. Globalement, la part de l’Asie dans les importations mondiales de poisson destiné à la consommation humaine devrait légèrement baisser, en passant de 40 % sur la période de référence à 39 % en 2028.
Les échanges de farine de poisson devraient augmenter de 9.8 % ces dix prochaines années, pour s’élever à 3.1 Mt (en poids produit) en 2028, tirés par l’augmentation des volumes de production, hormis en 2026, année qui devrait être marquée par un phénomène El Niño sévère. C’est plus que durant la période 2013‑2016, caractérisée par des quotas de pêche drastiques au Pérou et la survenue d’un épisode El Niño. Le Pérou devrait rester de loin le principal exportateur de farine de poisson, suivi par l’Union européenne et le Chili. La Chine en restera le principal importateur et absorbera près de la moitié du total des importations en 2028 pour alimenter son importante filière aquacole, puisque la farine est utilisée pour produire les aliments des poissons d’élevage. Les échanges d’huile de poisson devraient s’élever à 0.9 Mt (en poids produit) en 2028, en hausse par rapport à période sombre de 2013‑2016, pour les mêmes raisons que celles évoquées ci-dessus. L’huile de poisson est essentiellement importée par l’Union européenne et la Norvège, où elle est employée comme complément alimentaire et dans la production de saumon.
L’achoppement des négociations du cycle de Doha sur l’accès aux marchés a entraîné la prolifération d’accords commerciaux bilatéraux et régionaux. Dans les présentes Perspectives, les sept accords commerciaux suivants ont été expressément pris en compte : États-Unis – Corée (KORUS), Union européenne – Corée, Canada – Corée (CKFTA), Chine – Corée, Canada – Union européenne (CETA), accord de partenariat économique (APE) Union européenne – Japon et Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP)9. Ces accords ont conduit à une première réduction des droits de douane sur les poissons frais et transformés en 2012, 2013, 2015, 2017, 2018, 2019 et 2019 respectivement.
8.7. Principales questions et incertitudes
Les projections présentées dans les présentes Perspectives reposent sur un certain nombre d’hypothèses concernant l’évolution de l’économie, de l’action publique et de l’environnement. Toute modification drastique de ces variables modifierait les projections concernant les produits halieutiques et aquacoles. De nombreuses incertitudes et difficultés sont susceptibles de naître au cours de la période de projection. Plusieurs d’entre elles ont été analysées dans des éditions précédentes des Perspectives (état des stocks, pollution, difficultés propres à chaque secteur, etc.) et restent d’actualité. La présente section examine certains points d’incertitude particuliers.
Les chiffres de la production halieutique et aquacole chinoise sur la période 2009‑2016 ont été revus à la baisse à la lumière des résultats du nouveau recensement. Cette révision a été prise en compte dans les Perspectives, de même que l’évolution la plus probable de la mise en œuvre du 13e plan quinquennal chinois (2016‑2020), ce qui a considérablement réduit la production chinoise de poisson par rapport aux chiffres escomptés auparavant. Les retombées exactes du plan quinquennal restent toutefois empreintes d’incertitudes. La Chine étant le principal producteur et exportateur de produits halieutiques et aquacoles, tout écart par rapport au scénario de référence pourrait avoir un impact considérable sur les volumes totaux de production, d’échange et de consommation de poisson frais et transformé. Par exemple, si toutes les dispositions du plan sont mises en œuvre, la production chinoise totale sera inférieure de 4 à 5 Mt au volume pris en compte dans ces Perspectives.
Le changement climatique10, la variabilité des conditions météorologiques et l’évolution de la fréquence et de l’ampleur des phénomènes météorologiques extrêmes devraient avoir une forte incidence sur la disponibilité et les échanges de poisson frais et transformé, le plus souvent en aggravant plus ou moins la destruction des habitats et en altérant les comportements migratoires des poissons et la productivité naturelle des stocks. En raison de la complexité de l’exercice, le changement climatique n’a toutefois pas été expressément pris en compte dans la modélisation réalisée pour ces Perspectives, hormis l’influence des épisodes El Niño, qui sont explicitement intégrés au modèle (en 2021 et 2026) sur la base des épisodes passés. La question des droits de pêche internationaux devrait être encore compliquée par le fait que les stocks se déplacent vers de nouvelles zones économiques. La pénétration d’espèces dans de nouvelles eaux territoriales exacerbera le risque de conflit, ainsi que le risque de déficience provisoire des politiques de gestion des pêches, le temps que les pays s’adaptent aux nouvelles routes migratoires. Aujourd’hui déjà, le déplacement des stocks de maquereau vers l’Islande et les Îles Féroé crée un différend sur la gestion de cette espèce. L’Islande et le Groenland n’ont pas approuvé la proposition de répartition des quotas entérinée par l’Union européenne, les Îles Féroé et la Norvège.
Les présentes Perspectives ne tiennent aucun compte de l’incidence du Brexit. Étant donné l’impasse dans laquelle se trouve actuellement la recherche d’un accord, les incertitudes qui se posent et les nombreuses issues possibles du processus, il n’est pas possible d’en tenir compte dans le scénario de référence. Le Brexit pourrait par exemple réduire l’accès aux eaux britanniques aux navires des États membres de l’Union européenne et entraîner une hausse des droits de douane appliqués aux producteurs de poisson d’outre-Manche qui exportent vers l’Union européenne. Celle-ci est le premier marché d’exportation de produits de la mer du Royaume-Uni, si bien que l’impact des droits de douane ou les retards liés aux formalités de dédouanement de produits frais vivants ou éminemment périssables peut se révéler coûteux pour les producteurs et changer la physionomie des échanges.
La production mondiale de poisson, aquaculture et pêche réunies, est fortement influencée par la politique de gestion et les mécanismes de contrôle. Les pouvoirs publics reconnaissent de plus en plus la nécessité d’améliorer les cadres de gestion des pêches. Certaines régions du monde ayant adopté des pratiques de gestion des ressources plus adaptées et plus efficaces, certains stocks commencent à se reconstituer et certaines pêches montrent des signes de redressement, des tendances qui devraient se poursuivre au cours de la prochaine décennie. Elles permettront à la production halieutique globale de se maintenir, voire de progresser, grâce à une augmentation des captures dans certaines pêches et zones de pêche. L’ampleur du phénomène est encore relativement incertaine, mais cette perspective compte parmi les améliorations possibles. Malheureusement, les ambitions en matière de durabilité de la pêche peuvent être contrecarrées par des mesures qui ont tôt ou tard pour effet d’encourager des méthodes de production et des volumes de capture non durables, comme c’est le cas des mesures visant à accroître les revenus ou la production. À cet égard, il est important que les pays se soient fixé comme objectif dans le cadre des ODD des Nations Unies de rétablir la durabilité des pêches et de supprimer les mesures de soutien dommageables.
Les progrès qui seront réalisés dans la suppression des mesures de soutien dommageables sont un autre facteur d’incertitude pour l’activité halieutique. Les mesures de soutien peuvent avoir des effets indésirables, comme celui d’accroître l’effort de pêche plus qu’on ne le souhaite ou d’entraîner une surcapacité des flottes, ainsi que de rendre la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN) plus attrayante aux yeux des pêcheurs. La conjugaison de ces facteurs réduit les bénéfices et le revenu des pêcheurs, fait baisser la production de poisson pour les consommateurs et induit des risques pour la santé du milieu marin. Des travaux menés récemment par l’OCDE11 indiquent qu’il est possible de soutenir le secteur de la pêche et de prendre des mesures qui bénéficient aux pêcheurs, sans engendrer outre mesure de surpêche ou de surcapacité ; par exemple, rediriger le soutien existant accordé au titre des engins, du carburant, des navires ou d’autres intrants, vers toutes les formes de soutien qui peuvent aider les pêcheurs à mieux conduire leur activité, pourrait permettre d’augmenter le revenu des pêcheurs de pratiquement 2 milliards USD par an, de réduire la pression exercée sur les stocks, et d’accroître les volumes de capture de près d’un demi-million de tonnes par an. Ces évolutions dépendent toutefois de l’avancée des travaux au niveau de l’OMC et des réformes de la politique de la pêche dans chaque pays.
La guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis, qui a entraîné une augmentation de 25 % des droits de douane chinois sur l’ensemble des produits de la pêche en provenance des États-Unis à compter de mi-2018, a été prise en compte dans le scénario de référence. Faute de signes de détente dans ce bras de fer, cette majoration a été conservée tout au long de la période de projection. Dans l’ensemble, l’impact de ce conflit commercial devrait être limité. En effet, la Chine devrait être à même de s’approvisionner auprès d’autres partenaires commerciaux, tandis que, de la même manière, les États-Unis devraient être en mesure de rediriger une partie de leurs exportations vers d’autres marchés. On ne sait toutefois avec certitude si la majoration des droits de douane restera en vigueur tout au long de la période de projection. Selon la durée de leur application, ces droits majorés pourraient réduire les volumes échangés et modifier la physionomie des échanges.
Notes
← 1. Dans le présent chapitre et dans cette publication, le terme « poisson » englobe les poissons, les crustacés, les mollusques et autres animaux aquatiques, mais ne comprend ni les mammifères et plantes aquatiques, ni les crocodiles, caïmans et alligators. Les quantités sont exprimées en équivalent poids vif, hormis celles concernant la farine et l’huile de poisson.
← 2. Indice calculé en valeur nominale et englobant les produits halieutiques et aquacoles.
← 3. Comme c’était le cas dans les projections de 2018, les présentes Perspectives ne retiennent que les retombées les plus probables du plan quinquennal chinois.
← 4. 4 Les chiffres de la pêche aussi bien que de l’aquaculture en Chine ont été révisés à la lumière de nouveaux renseignements livrés par le recensement.
← 5. Le terme apparent se rapporte à la quantité de produits d’alimentation humaine disponible pour consommation, un chiffre qui n’est pas égal à la consommation moyenne de produits comestibles. La consommation apparente est calculée en appliquant la formule suivante : production + importations – exportations – usages non alimentaires, +/- variation des stocks, chaque élément étant exprimé en équivalent poids vif.
← 6. L’ampleur escomptée des épisodes El Niño pris en compte dans les Perspectives est déterminée sur la base des épisodes précédents du phénomène au moyen des valeurs de l’indice océanique El Niño (ONI), qui mesure l’oscillation australe. Leur impact est pris en compte dans les chiffres de 2021 et 2026.
← 7. FAO, FIDA, UNICEF, PAM et OMC. 2018. État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde, 2018. Renforcer la résilience face aux changements climatiques pour la sécurité alimentaire et la nutrition. Rome, FAO. Licence : CC BY-NC-SA 3.0 IGO.
← 8. Source : The Marine Ingredients Organisation (IFFO)
← 9. Les échanges bilatéraux des six pays (Canada, Chine, Union européenne avec le Royaume-Uni, le Japon, la Corée et les États-Unis) ont pu être pris en compte dans le modèle, grâce aux renseignements issus du modèle de simulation SEASIM aimablement fournis par le ministère Pêche et Océans Canada (MPO).
← 10. Barange, M., et al. (Eds.) (2018), « Impacts of Climate Change on fisheries and Aquaculture: Synthesis of Current Knowledge, Adaptation and Mitigation Options », FAO, Document technique sur les pêches, no 627 http://www.fao.org/3/I9705EN/i9705en.pdf.
← 11. Martini, R. et J. Innes (2018), « Relative Effects of Fisheries Support Policies », OECD Food, Agriculture and Fisheries Papers, no 115, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/bd9b0dc3-en.