Le présent chapitre présente un scénario d’Atténuation du changement climatique impliquant une taxe carbone mondiale et la décarbonation du secteur mondial de l’électricité. L’origine fossile des plastiques étant fondamentalement liée au changement climatique, l’objectif est de mieux comprendre les liens entre les politiques relatives aux plastiques et celles d’atténuation du changement climatique et de fournir un aperçu des synergies et des antagonismes entre ces deux domaines d'action. Le chapitre compare les effets sur les émissions de gaz à effet de serre du scénario d’Ambition mondiale présenté au Chapitre 8 et du scénario d’Atténuation du changement climatique, et examine ensuite les impacts économiques et sur les émissions d’une combinaison des deux dans un scénario d’Ambition mondiale et d’Atténuation du changement climatique conjoint.
Perspectives mondiales des plastiques
9. Interactions entre les politiques relatives aux plastiques et celles d’atténuation du changement climatique
Abstract
Principaux messages
Le cycle de vie des plastiques est fondamentalement lié au changement climatique. Les plastiques sont en grande partie dérivés de combustibles fossiles, et la production de plastiques et la gestion des déchets consomment toutes deux de l’énergie et entraînent donc des émissions de gaz à effet de serre (GES).
En plus de réduire fortement les rejets de plastiques (son objectif principal), le scénario d’Ambition mondiale (présenté au Chapitre 8) réduit également les émissions de GES liées au cycle de vie des plastiques en 2060 de 2,1 gigatonnes d’équivalent CO2 (Gt éq. CO2), soit 50 % en dessous du scénario de Référence. Cette réduction est principalement obtenue grâce à la forte baisse de l’utilisation des plastiques.
Le principal objectif du scénario d’Atténuation du changement climatique est la réduction des émissions de GES. Par l’intermédiaire d’une taxe carbone mondiale et de la décarbonation du secteur de l’électricité, il réduit les émissions mondiales de GES en 2060 d’environ un tiers par rapport au scénario de Référence, ce qui correspond à un niveau d’émissions brutes mondiales de 63 Gt éq. CO2. Tandis que les effets sur l’utilisation des plastiques sont limités, le scénario d’Atténuation du changement climatique augmente légèrement la part des plastiques secondaires (recyclés) en augmentant le prix des intrants fossiles dans la production de plastiques primaires.
Combiner les politiques relatives aux plastiques et celles d'atténuation du changement climatique permet de tirer pleinement parti de la complémentarité de ces deux domaines de l’action environnementale. On estime que le scénario d’Ambition mondiale et d’Atténuation du changement climatique permettra une baisse des émissions de GES tout au long du cycle de vie des plastiques de 67 % par rapport au scénario de Référence en 2060 (de 4,3 à 1,4 Gt éq. CO2, ce qui est inférieur aux niveaux d’émissions de 2019). Alors que les politiques relatives aux plastiques atténuent principalement les émissions de GES liées au cycle de vie des plastiques en réduisant l’utilisation des plastiques et la génération de déchets, les politiques d’atténuation du changement climatique réduisent encore les émissions de GES en améliorant l’intensité en GES de la production de plastiques et de la gestion des déchets.
Des politiques d’accompagnement sont nécessaires pour éviter toute intéraction négative concernant les émissions entre les politiques relatives aux plastiques et celles d’atténuation du changement climatique dans la gestion des déchets. Les émissions de GES issues de la gestion des déchets pourraient augmenter si le recyclage vient à remplacer la mise en décharge sanitaire. Si le recyclage remplace l’incinération, l’impact sur les GES dépendra de l’utilisation ou non de processus de valorisation énergétique des déchets, et de l’intensité carbone de l’énergie remplacée par ces processus.
9.1. Les politiques d’atténuation du changement climatique viennent compléter les interventions publiques dans le domaine des plastiques
Le cycle de vie des plastiques est fondamentalement lié au changement climatique de bien des façons, parfois contradictoires. Les plastiques contribuent au changement climatique du fait des gaz à effet de serre qui sont émis tout au long de leur cycle de vie – de la production à leur fin de vie (voir le Chapitre 6). Il existe dans certains cas des synergies évidentes entre les politiques relatives aux plastiques et celles d’atténuation du changement climatique, par exemple lorsqu’elles mènent à des utilisations plus efficientes des ressources dans l’économie. Il existe dans d’autres cas des antagonismes, comme dans la gestion des déchets plastiques, où le recyclage est à l’origine d’émissions de GES. Ainsi, les interactions entre les politiques relatives aux plastiques et celles d’atténuation du changement climatique justifient une approche globale dans laquelle les politiques œuvrent de concert pour exploiter les synergies et surmonter les antagonismes.
Le présent chapitre présente un scénario d’Atténuation du changement climatique afin de mieux comprendre les interconnexions entre les politiques relatives aux plastiques et celles d’atténuation du changement climatique et de fournir un aperçu des synergies et des antagonismes entre ces deux domaines d’action. Ce scénario est étudié en lui-même, et associé au scénario d’Ambition mondiale sur les plastiques, présenté au Chapitre 8 (le scénario d’Ambition mondiale et d’Atténuation du changement climatique)
Les politiques d’atténuation du changement climatique modélisées dans ces scénarios visent une décarbonation de tous les secteurs de l’économie mondiale. Cela amènerait les émissions mondiales de GES en 2060 environ un tiers en dessous des niveaux prévus dans le scénario de Référence pour 2060, ce qui correspond à un niveau d’émissions brutes mondiales de 63 Gt éq. CO21. On constate deux grandes interactions entre les plastiques et le climat :
La production de plastiques et la gestion des déchets utilisent de l’énergie. Les émissions de GES liées à la production de plastiques dépendent du type de plastique produit – les émissions issues de la production et de la transformation d’une tonne de plastique primaire peuvent varier de 2,7 à 6,3 t éq. CO2 en fonction du polymère concerné, ainsi que de l’énergie utilisée pour produire les plastiques et du mix énergétique du pays dans lequel ils sont produits. Le cas est identique pour le recyclage des déchets, qui requiert de l’énergie pour convertir les déchets plastiques en plastiques secondaires.
Les combustibles fossiles sont la principale matière première de la production de plastiques. Comme les combustibles fossiles sont la matière de base de la production de plastiques primaires, cette production est inévitablement liée aux marchés des combustibles fossiles. Une augmentation de la demande de matières fossiles dans le secteur des plastiques entraîne, toutes choses égales par ailleurs, une hausse des prix des combustibles fossiles, qui à son tour affecte la combustion des combustibles fossiles et les émissions de GES dans d’autres secteurs. Inversement, toute hausse des prix des combustibles fossiles, induite par des mesures d’atténuation du changement climatique ou non, fait grimper le prix relatif des plastiques d’origine fossile, et donc baisser leur production et les émissions de GES connexes (voir l’Encadré 6.1 du Chapitre 6). L’évolution de la demande de plastiques primaires affecte également la demande pour d’autres types de plastiques, comme les plastiques secondaires (recyclés) et les bioplastiques, et entraîne des changements dans les émissions de GES2.
Le scénario d’Atténuation du changement climatique analyse ces interactions en détail en modélisant l’impact de deux des principaux instruments de décarbonation : la tarification du carbone et la transformation structurelle du secteur de l'électricité (Tableau 9.1 et Annexe B).3 Dans ce scénario, la tarification du carbone freine les émissions de GES issues de la combustion des combustibles fossiles dans l’ensemble de l’économie, y compris les ménages et dans tous les secteurs, tandis que la transformation structurelle du secteur de l'électricité réduit une grande partie des émissions mondiales de GES grâce au déploiement de technologies de génération d’électricité peu émettrices de GES4.
Tableau 9.1. Description du scénario d’Atténuation du changement climatique
Instrument d’action |
Principe |
Quantification |
---|---|---|
Tarification du carbone |
Augmentation progressive du prix mondial du carbone de 2020 à 2050, stable par la suite. |
Le prix mondial du carbone augmente progressivement pour atteindre 69 USD/tCO2 en 2060 (155 USD/tCO2 dans l’OCDE, 42 USD/tCO2 dans les pays non membres de l’OCDE), contre 6 USD/tCO2 dans le scénario de Référence. |
Transformation structurelle du secteur de l'électricité |
Basculement progressif des combustibles fossiles vers des sources peu émettrices de GES dans toutes les régions entre 2020 et 2050, puis stabilité. |
La part de la production d’électricité à partir de combustibles fossiles diminue et passe de 69 % en 2019 à 15 % en 2060 (contre 62 % en 2060 dans le scénario de Référence). |
Note : davantage de détails sur les hypothèses sont fournies à l'Annexe B.
Lorsque les politiques relatives aux plastiques et celles d’atténuation du changement climatique sont mises en œuvre conjointement (scénario d’Ambition mondiale et d’Atténuation du changement climatique), deux interconnexions supplémentaires sont prises en compte :
La demande sectorielle de plastiques varie en fonction des prix des plastiques. Les secteurs qui nécessitent des matières plastiques en tant qu’intrant ont également besoin d’énergie et génèrent parfois des émissions de GES depuis d’autres sources. Toute variation des prix des plastiques donne ainsi lieu à des substitutions et modifie les émissions de ces secteurs. La teneur en plastique des biens produits par ces secteurs peut également influer sur la quantité d'énergie impliquée dans leur utilisation (par exemple si le poids est altéré), et ainsi modifier les émissions de GES issues de la phase d’utilisation de ces biens. En outre, les secteurs fournissant des alternatives aux intrants de plastiques (comme l'aluminium, le verre, etc.) consomment également de l’énergie et génèrent parfois des émissions de GES inhérentes aux procédés. Par conséquent, toute substitution par ces solutions alternatives a également des effets sur les émissions de gaz à effet de serre dans leur globalité.
L’intensité des émissions de GES varie selon les techniques de gestion des déchets. L’utilisation des plastiques produit des déchets, qui à leur tour participent aux émissions de GES. Parmi les différentes fins de vie des plastiques, l’incinération émet le plus de gaz à effet de serre (2,3 t éq. CO2 par tonne de plastique en moyenne). Certaines de ces émissions peuvent être compensées si l’énergie est récupérée à l’aide de processus de valorisation énergétique des déchets, mais le potentiel d'atténuation dépend fortement des sources de production d’électricité dans le pays (OCDE, 2023[1]). Le recyclage et la production subséquente de plastiques secondaires produisent en moyenne 0,9 t éq. CO2 par tonne de plastique, ce qui est inférieur à ce qui est émis par les processus de production de plastiques primaires. Globalement, la transition vers la production de plastiques secondaires peut contribuer à réduire les émissions de GES si l’intensité en GES du recyclage dans une région est suffisamment faible (selon une moyenne mondiale d’intensité en GES du recyclage et en fonction du polymère, il est possible d’éviter au moins 1,8 t éq. CO2 par tonne de plastiques primaires remplacée par des plastiques secondaires). La mise en décharge sanitaire est la solution de fin de vie la moins intensive en GES pour les plastiques (0,1 t éq. CO2 par tonne).
D'autres interconnexions entre les politiques relatives aux plastiques et celles d’atténuation du changement climatique n’ont pas pu être prises en compte dans le modèle ENV-Linkages de l’OCDE. Par exemple, des recherches récentes menées par Royer et al. (2018[2]) et basées sur des données expérimentales montrent que les rejets de plastiques dans l’environnement ont également un impact sur les émissions de GES. Les émissions mondiales de méthane dues à la dégradation non contrôlée du plastique dans l’environnement sont estimées à environ 2 Mt éq. CO2 par an (Shen et al., 2020[3]). En outre, de nouvelles études suggèrent que les plastiques présents dans l’environnement accentuent les effets du changement climatique sur la vie sauvage et les écosystèmes (Ford et al., 2022[4]). Dans les océans, il est possible que les plastiques réduisent l’efficacité photosynthétique du phytoplancton marin et affectent le stockage du carbone par les océans (Shen et al., 2020[5]). De plus, la présence de microplastiques peut être un facteur de stress supplémentaire dans les écosystèmes extrêmement fragiles comme les régions polaires, où ils peuvent potentiellement diminuer la capacité de la surface à réfléchir le rayonnement solaire, et ainsi accélérer la fonte glacière (Evangeliou et al., 2020[6]).
Globalement, ces scénarios climatiques sont conçus pour être ambitieux sans être excessivement disruptifs. Ils sont axés sur les mécanismes d’interaction, sans chercher à contribuer directement à l’objectif d’une transition vers une économie neutre en carbone. Il faudrait pour cela une analyse plus exhaustive des implications pour la demande d’énergie de l’utilisation des plastiques dans les produits lors de la phase d’utilisation, ainsi qu’une quantification des nombreuses perturbations des structures économiques et des stratégies de production découlant d’une décarbonation totale. Par exemple, l'analyse par modélisation devrait être capable de quantifier plus précisément le remplacement des plastiques conventionnels d’origine fossile par des alternatives bas carbone, notamment les impacts des plastiques biosourcés sur le changement d'utilisation des terres et les conséquences pour le stockage du carbone qui en découlent (voir le Chapitre 6), ainsi que les exigences en matière de plastique propres aux technologies pour une transition bas-carbone. Des travaux récents commencent à aborder ces questions à l’échelle régionale – comme ceux menés par SYSTEMIQ (2022[7]) en Europe – mais les données sont pour l’instant insuffisantes pour effectuer une évaluation mondiale détaillée.
9.2. Le scénario d’Ambition mondiale contribue à l'atténuation du changement climatique, mais de façon limitée
Pour mieux comprendre les interactions entre les politiques relatives aux plastiques et celles d’atténuation du changement climatique, il est utile d’identifier dans un premier temps les canaux par lesquels les politiques relatives aux plastiques peuvent affecter les émissions de gaz à effet de serre. Le premier objectif du scénario d’Ambition mondiale est d’éliminer quasiment les rejets de plastiques dans l’environnement, et aucune des politiques du scénario ne vise directement la réduction des émissions de GES issues du cycle de vie des plastiques (voir le Chapitre 8). Néanmoins, les politiques de ce scénario influent sur les émissions de GES en modifiant la quantité et la structure de l’utilisation des plastiques, et les traitements en fin de vie des plastiques. En outre, les politiques relatives aux plastiques affectent les processus de production des plastiques, dans lesquels les intrants de combustibles fossiles et l’utilisation d’énergie jouent un rôle important. Globalement, le scénario d’Ambition mondiale réduit ces émissions de 2,1 Gt éq. CO2 (barre à l'extrême droite dans le Graphique 9.1) par rapport au scénario de Référence (barre à l’extrême gauche), ce qui correspond à une diminution de 50 % des émissions de GES liées au cycle de vie des plastiques en 2060.
Ces réductions des émissions découlent de plusieurs déterminants (Graphique 9.1),5 mais ceux ayant le plus fort impact sont la diminution de l’utilisation des plastiques (deuxième barre) et de la génération de déchets (troisième barre). Cet effet dû au « volume » donne lieu à une réduction des émissions de GES liées au cycle de vie des plastiques d’environ 2,3 Gt éq. CO2 en 2060, dont 2,1 Gt découlent de la baisse de l’utilisation des plastiques (le scénario d’Ambition mondiale permet une réduction de l’utilisation des plastiques d’environ 400 Mt ; voir le Chapitre 8), combinée à la transition vers les plastiques secondaires.
Tous les autres déterminants, y compris la composition des déchets et l’évolution de l’intensité en GES de la production de plastiques et des déchets, ont un impact moindre (d’un ordre de grandeur) par rapport à l'effet « volume », et tendent plutôt à accroître les émissions de GES. Dans le scénario d’Ambition mondiale, la part des polymères plus émetteurs de GES comme les fibres textiles augmente, tout comme celle des traitements en fin de vie plus émetteurs de GES, notamment le recyclage. Les mesures prévues dans ce scénario augmentent aussi légèrement l’intensité en GES de la production et de la fin de vie des plastiques. Ces effets découlent du rôle des plastiques sur les marchés des combustibles fossiles : avec une baisse de la demande liée au scénario d’Ambition mondiale, les prix mondiaux des combustibles fossiles ont tendance à légèrement diminuer, et ce qui provoque une baisse des prix relatifs des produits plus émetteurs de GES (comme les fibres textiles) par rapport aux autres. Les politiques relatives aux plastiques entraînent également une plus forte demande de combustibles fossiles pour l’énergie dans les activités économiques, notamment de la production et du recyclage des plastiques.
Parmi les trois piliers du scénario d’Ambition mondiale, (voir le Chapitre 8), c’est la limitation de la demande de plastiques qui réduit le plus les émissions de gaz à effet de serre, suivie de l’augmentation du recyclage (Graphique 9.2, Partie A). La raison en est que la majeure partie de l’augmentation des émissions dans le scénario de Référence est due à la hausse de l’utilisation des plastiques (Chapitre 6) et que ces piliers visent directement la consommation et la production des produits plastiques via des taxes ou l’allongement de la durée de vie des produits. Toutefois, une partie de l’atténuation des émissions en lien avec la gestion des déchets induite par le renforcement du pilier recyclage est contrebalancée par l’augmentation du recyclage qui remplace la mise en décharge sanitaire et les déchets mal gérés, eux-mêmes moins émetteurs6. Enfin, la fermeture des voies des rejets n'a qu’un impact limité sur les émissions de GES liées au cycle de vie des plastiques.
Ces résultats soulignent que le potentiel d’atténuation du changement climatique des politiques relatives aux plastiques réside principalement dans la baisse de la demande de plastiques (à la fois primaires et secondaires), et que la structure et la technologie de production et de gestion des déchets ne jouent qu’un rôle minime. Comme indiqué dans les Perspectives mondiales des plastiques : Déterminants économiques, répercussions environnementales et possibilités d’action (OCDE, 2023[1]), une conclusion plus précise sur cette question exige une étude plus détaillée de l’impact sur les GES des possibles substitutions des plastiques par d’autres produits et matériaux, et des répercussions des politiques relatives aux plastiques sur d’autres secteurs de l’économie.
Les politiques du scénario d’Ambition mondiale affectent également les émissions totales de GES (Graphique 9.2, Partie B), et pas uniquement celles issues du cycle de vie des plastiques. L’évolution des émissions mondiales de GES dépend de déterminants très divers comparée à celle des émissions liées aux plastiques : les émissions liées aux plastiques se concentrent dans quelques secteurs économiques et ne représentent pas forcément un pourcentage élevé des émissions de GES de ces secteurs, alors que les émissions mondiales de GES concernent l’ensemble des secteurs. L’évolution des émissions mondiales de GES résulte de changements dans l’activité économique et dans l’intensité en GES moyenne de l’activité économique, qui sont le reflet des modifications induites par l’action publique dans la production sectorielle. Si la baisse de l’utilisation des plastiques est contrebalancée par l’utilisation de matériaux à forte intensité d’émissions de GES, les émissions mondiales pourraient augmenter. Cela n’est heureusement pas le cas, car les projections d’évolution des émissions mondiales de GES dans le scénario d’Ambition mondiale indiquent une baisse de 0,8 Gt éq. CO2 (-0,8 %) par rapport aux émissions du scénario de Référence en 2060.
Cette diminution des émissions mondiales de GES est plus importante que la réduction de l’activité économique (-0,7 %, comme indiqué dans le Graphique 9.7). Cette situation révèle que les politiques relatives aux plastiques ont de petites répercussions positives pour le climat dans d’autres secteurs de l’économie, ce qui implique que ces mesures ne donnent pas lieu à d’importantes substitutions par des matériaux à forte intensité de GES. Elles ne semblent pas non plus augmenter sensiblement les émissions issues de l’utilisation de produits plastiques qui ne sont pas incluses dans les émissions liées au cycle de vie des plastiques (par exemple dues au remplacement des plastiques par des matériaux plus lourds dans la production automobile, ce qui augmente le poids des véhicules et par conséquent les émissions de GES). Ce résultat montre ainsi que les politiques relatives aux plastiques sont un moyen efficace de réduire les émissions de GES liées au cycle de vie des plastiques7.
Comme pour les émissions de GES liées au cycle de vie des plastiques, la réduction de la demande est ce qui contribue le plus aux réductions des émissions mondiales de GES. L’amélioration du recyclage et la fermeture des voies des rejets augmentent les émissions mondiales, mais d’un ordre de grandeur bien inférieur à la réduction de la demande. Il est intéressant de noter que la fermeture des voies des rejets a des répercussions plus importantes sur les émissions totales de GES que sur celles liées au cycle de vie des plastiques. Alors que les effets directs sur la production de plastiques et sur les quantités de plastiques recyclées ou incinérées sont limités, les investissements compris dans ce pilier modifient la répartition de la valeur ajoutée dans le secteur et l’orientent vers la gestion des déchets et les activités de construction (voir le Chapitre 8) au détriment d’autres activités ; ces effets donnent lieu à une légère augmentation des émissions totales de GES.
9.3. Le scénario conjoint d’Ambition mondiale et d’Atténuation du changement climatique fait baisser les émissions de gaz à effet de serre liées au cycle de vie des plastiques
9.3.1. Les politiques d’atténuation du changement climatique seules ont peu d’impact sur l’utilisation des plastiques
Bien que ne portant pas spécialement sur le secteur des plastiques, le scénario d’Atténuation du changement climatique devrait permettre de réduire l’utilisation des plastiques de 34 millions de tonnes (Mt) d’ici 2060, et de 24 Mt s’il est mis en œuvre conjointement avec le scénario d’Ambition mondiale (Graphique 9.3). Ces réductions de l’utilisation des plastiques sont modestes comparées à l’utilisation totale de plastiques prévue en 2060, qui est de 1 231 Mt dans le scénario de Référence, et comparées à la baisse de l’utilisation dans le scénario d’Ambition mondiale (environ 403 Mt). Ceci parce que les politiques du scénario d’Atténuation du changement climatique ne visent pas la production de plastiques directement, et ne l’influencent que par l’intermédiaire de la tarification du carbone et des prix de l’électricité, qui ont à leur tour un effet sur les prix de production des plastiques et sur le mix énergétique utilisé pour produire les plastiques. Par rapport à la taxe de 1 000 USD/tonne sur les plastiques dans le scénario d’Ambition mondiale, le prix moyen du carbone dans le monde de 69 USD/tonne de CO2 dans le scénario d’Atténuation du changement climatique n’équivaut qu’à 241 USD/tonne de plastique (en utilisant l’intensité en CO2 de référence moyenne de 2060). Par ailleurs, les taxes sur la consommation de plastiques sont également complétées par d’autres mesures dans le scénario d’Ambition mondiale.
Malgré leur faible effet sur l’utilisation mondiale de plastiques, les politiques d’atténuation du changement climatique ont bel et bien une influence sur la structure de la consommation de plastiques, en particulier l’équilibre entre plastiques primaires et secondaires (Graphique 9.4). Le scénario d’Atténuation du changement climatique devrait entraîner la baisse de la production des plastiques primaires et secondaires, car ces deux procédés de production nécessitent de l’énergie. Toutefois, la production de plastiques primaires est plus touchée que celle des secondaires car elle est plus énergivore. Cette situation entraîne une nouvelle augmentation de la part des plastiques secondaires dans la production totale de plastiques lorsque les politiques d'atténuation du changement climatique sont mises en œuvre seules. Lorsqu’elles sont combinées à des politiques sur les plastiques dans le scénario d’Ambition mondiale et d’Atténuation du changement climatique, la part des plastiques secondaires dans la consommation totale de plastiques n’augmente alors pas autant. Cela tient au fait que les plastiques secondaires affichent également un profil d’émission de GES non négligeable.
9.3.2. Un ensemble de mesures combinées permet de réduire sensiblement les émissions de GES liées au cycle de vie des plastiques
Les politiques du scénario d’Atténuation du changement climatique ont d’importantes répercussions sur les émissions de GES liées au cycle de vie des plastiques (Graphique 9.5), les réduisant de 1,3 Gt éq. CO2 en 2060 par rapport au scénario de Référence (soit une baisse de 31 %). Le scénario conjoint d’Ambition mondiale et d’Atténuation du changement climatique réduit encore davantage ces émissions : de 2,8 Gt éq. CO2 en 2060 (baisse de 67 %) à 1,4 Gt éq. CO2, ce qui est en dessous du niveau des émissions de 2019.
La principale voie par laquelle le scénario d’Atténuation du changement climatique affecte les émissions de GES liées au cycle de vie des plastiques est un transfert de la consommation d’énergie dans les activités liées aux plastiques (production et transformation et, dans une moindre mesure, fin de vie) vers des sources à moindre intensité de carbone, comme l’électricité et le gaz. Il en est ainsi que le scénario d’Atténuation du changement climatique soit mis en œuvre seul (Partie A du Graphique 9.6) ou combiné avec le scénario d’Ambition mondiale (Partie B). Ce transfert de la consommation d’énergie vers des sources à moindre intensité de carbone est motivé par la tarification du carbone, qui réduit la part de l’énergie fossile, et la transformation structurelle du secteur de l'électricité, qui réduit les émissions de GES indirectes issues de la production d’électricité. Le recyclage est la seule option d'élimination qui est affectée par la tarification du carbone – car les émissions de GES découlant de l’incinération sont principalement des émissions directes et non liées à la consommation d’énergie, et parce que les émissions résultant de la mise en décharge sanitaire sont très faibles. La tarification du carbone entraîne une diminution du volume de plastiques recyclés, mais comme le secteur du recyclage n’est pas très émetteur de GES, cette baisse est modérée. C’est pourquoi la contribution de la fin de vie à l’atténuation des GES est limitée. La composition des polymères et des déchets ne contribue pas à l’effort d’atténuation, mais cela peut être dû à une limite du modèle ENV-Linkages, qui ne différencie pas l’intensité en GES des polymères du fait du manque d’informations sur les structures de coûts des différents polymères, ce qui ne permet pas aux politiques d'atténuation du changement climatique d’avoir des répercussions spécifiques selon les polymères.
Les politiques d’atténuation du changement climatique et celles relatives aux plastiques influent donc sur les émissions de GES liées au cycle de vie des plastiques via des circuits différents : l’intensité en GES de la production de plastiques pour les premières (Graphique 9.6), et la réduction de l’utilisation de plastiques pour les dernières (Graphique 9.1). Cela signifie que ces deux séries de mesures présentent des synergies permettant d’optimiser l’atténuation des émissions de GES liées au cycle de vie des plastiques.
Ne se limitant pas aux émissions de GES liées au cycle de vie des plastiques, le scénario d’Atténuation du changement climatique réduit les émissions mondiales de GES de 31,6 Gt éq. CO2 en 2060, soit une réduction de 33 % (Graphique 9.7, Partie B), ce qui constitue son objectif premier. Les politiques relatives aux plastiques du scénario d’Ambition mondiale ont des effets limités sur les émissions de GES, avec une réduction globale de 0,8 Gt éq. CO2 (Section 9.3), alors que le scénario d’Atténuation du changement climatique permet une réduction des émissions mondiales de GES de 32,1 Gt éq. CO2. Les effets globaux des deux ensembles de mesures sur les émissions mondiales de GES sont supérieurs à la somme de leurs composantes, ce qui montre que les politiques sur les plastiques et celles d’atténuation du changement climatique sont largement complémentaires. Toutefois, les politiques d’atténuation du changement climatique ne peuvent pas se substituer à celles relatives aux plastiques pour réduire les rejets de plastiques (comme indiqué dans la Section 9.3.1), et ces dernières ne peuvent pas remplacer les actions spécialement menées pour atténuer le changement climatique.
9.3.3. Les effets économiques de la combinaison des scénarios d’Ambition mondiale et d’atténuation du changement climatique soulignent leur complémentarité
Comme la réduction des émissions de gaz à effet de serre est le principal l’objectif des politiques d’atténuation du changement climatique, elles présentent un meilleur rapport coût-efficacité que celles relatives aux plastiques pour atteindre cet objectif (Partie A dans Graphique 9.7). Le coût des mesures du scénario d’Atténuation du changement climatique devrait donner lieu à une réduction du PIB de 2,2 % en 2060, et à une diminution des émissions de GES de 33 %. Seul, le scénario d’Ambition mondiale réduit le PIB de 0,7 %, et les émissions de GES sont réduites de 0,8 % par voie de conséquence. De ce fait, les politiques d’atténuation du changement climatique sont un moyen plus efficient de réduire les émissions. Ceci est tout à fait normal, car les politiques d’atténuation du changement climatique ciblent l’économie dans son ensemble, tandis que celles relatives aux plastiques ne ciblent que le secteur des plastiques. Les réductions des émissions de GES ne sont cependant pas l’objectif majeur des politiques relatives aux plastiques, et celles-ci fournissent d’autres bienfaits importants pour l’environnement, notamment la réduction des rejets de plastiques dans l’environnement (Chapitres 7 et 8).
Les coûts des politiques d’atténuation du changement climatique ne sont pas sensiblement affectés par l’existence de politiques relatives aux plastiques. L’impact sur le PIB des politiques d’atténuation, considéré seul ou en plus de celui des politiques relatives aux plastiques, est d’environ -2,2 % par rapport au scénario de Référence dans les deux cas. Enfin, au niveau mondial, les politiques des deux scénarios sont complémentaires, car les coûts du scénario commun relatif aux plastiques et au climat (Ambition mondiale et Atténuation du changement climatique) sont très proches de la somme des coûts des deux scénarios pris individuellement. Cet état de fait souligne que les synergies entre les mesures relatives aux plastiques et celles d’atténuation du changement climatique se trouvent surtout dans le secteur des plastiques.
Références
[8] Agence internationale de l’énergie (2018), World Energy Outlook 2018, Agence internationale de l’énergie, Paris, https://www.iea.org/reports/world-energy-outlook-2018.
[6] Evangeliou, N. et al. (2020), « Atmospheric transport is a major pathway of microplastics to remote regions », Nature Communications, vol. 11/1, p. 3381, https://doi.org/10.1038/s41467-020-17201-9.
[4] Ford, H. et al. (2022), « The fundamental links between climate change and marine plastic pollution », Science of The Total Environment, vol. 806, p. 150392, https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2021.150392.
[1] OCDE (2023), Perspectives mondiales des plastiques : Déterminants économiques, répercussions environnementales et possibilités d’action, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/5c7bba57-fr.
[2] Royer, S. et al. (2018), « Production of methane and ethylene from plastic in the environment », PLOS ONE, vol. 13/8, https://doi.org/10.1371/journal.pone.0200574.
[3] Shen, M. et al. (2020), « (Micro)plastic crisis: Un-ignorable contribution to global greenhouse gas emissions and climate change », Journal of Cleaner Production, vol. 254, p. 120138, https://doi.org/10.1016/j.jclepro.2020.120138.
[5] Shen, M. et al. (2020), « Can microplastics pose a threat to ocean carbon sequestration? », Marine Pollution Bulletin, vol. 150, p. 110712, https://doi.org/10.1016/j.marpolbul.2019.110712.
[7] SYSTEMIQ (2022), ReShaping Plastics: Pathways to a Circular, Climate Neutral Plastics System in Europe, http://www.systemiq.earth (consulté le 27 avril 2022).
Notes
← 1. Cette réduction des émissions mondiales de GES ne suffit pas pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris de contenir l’augmentation des températures mondiales nettement en dessous de 2 °C, et si possible 1,5 °C. Toutefois, le scénario reste utile pour illustrer l’impact des politiques de changement climatique sur les plastiques et les éventuelles synergies avec les politiques relatives aux plastiques.
← 2. Les plastiques secondaires utilisent moins d’énergie pour leur production, mais le processus de recyclage nécessaire pour créer les débris plastiques entraîne d’importantes émissions de GES. La production de plastiques primaires biosourcés implique moins d’émissions directes que la production de plastiques d’origine fossile. Toutefois, les effets globaux, en tenant compte de l’éventuelle modification de l’utilisation des sols, sont ambigus, et dépendent des techniques de production de la biomasse et de la quantité de déforestation qui pourrait être causée par la hausse de la production de plastiques biosourcés (ainsi qu’il est expliqué en détail dans la Section 6.1.2 du Chapitre 6).
← 3. Ces deux instruments sont adaptés en fonction des informations issues des scénarios de développement durable des Perspectives mondiales de l’énergie 2018 (Agence internationale de l'énergie, 2018[8]). Globalement, ce scénario correspond à une ambition modérée d’atténuation du changement climatique, car il réduit environ d’un tiers les émissions de GES d’ici 2060 (voir la Section 9.3.3).
← 4. Les deux instruments sont modélisés conjointement dans le modèle ENV-Linkages de l’OCDE. Le modèle inclut une représentation détaillée du secteur de l'électricité avec différentes technologies ; et des options d’atténuation pour les entreprises et les ménages en permettant la substitution des combustibles dans les différentes fonctions de production des entreprises et fonctions d’utilité dans les ménages. Le modèle a été mis à jour pour intégrer la structure de production et le devenir en fin de vie des plastiques primaires et secondaires, et pour adopter une approche axée sur le cycle de vie des émissions de GES attribuables aux plastiques (voir l’Annexe A). En tant que modèle d’équilibre général mondial, ENV-Linkages est aussi capable de représenter les riches interconnexions entre les secteurs et les régions. À ce titre, il est particulièrement adapté pour étudier les interactions entre les politiques d'atténuation du changement climatique et les politiques relatives aux plastiques. Toutefois, les limites en matière de disponibilité des données et la structure du modèle ne permettent pas à l’évaluation d’inclure les effets des changements d'utilisation des terres dus à la production de plastiques biosourcés, ni le possible potentiel d’atténuation de la valorisation énergétique des déchets. Mais ces lacunes restent mineures, car le scénario d’Ambition mondiale n’inclut pas de transition vers les plastiques biosourcés, et le potentiel d’atténuation de la production d’électricité par la valorisation énergétique des déchets est encore sujet à débat.
← 5. Davantage de détails sur la méthodologie utilisée pour analyser les effets qui conduisent à l’évolution des émissions sont fournis à l’Annexe A.
← 6. Cet effet peut être surévalué ou sous-évalué en fonction de la part des déchets incinérés via des processus de valorisation énergétique, et du mix électrique dans le pays où a lieu l’incinération.
← 7. L’ampleur des réductions d’émissions permises par les politiques relatives aux plastiques doivent également être confirmées par des analyses plus fines des effets induits par les substitutions, car la modélisation de ces substitutions dans le modèle ENV-Linkages n’est opérationnelle qu’à un niveau sectoriel global.