La croissance mondiale a enfin retrouvé sa vitesse de croisière. Pour la première fois depuis plusieurs années, toutes les grandes régions du monde connaissent un redressement généralisé et dans une large mesure synchronisé, même si certaines économies connaissent une expansion régulière depuis bien plus longtemps que d'autres. On peut ainsi espérer que la stagnation des niveaux de vie subie par une grande partie de la population dans de nombreuses économies de l'OCDE arrive à son terme. L'accélération du recul du chômage observée ces derniers mois est à l'évidence un signal encourageant. Cependant, les améliorations enregistrées sur les marchés du travail ne se sont pas encore traduites par des gains salariaux significatifs et généralisés. Des réformes structurelles d'ampleur s'imposent pour asseoir une croissance plus vigoureuse au-delà du cycle conjoncturel, créer des emplois plus nombreux et mieux rémunérés, améliorer les perspectives et renforcer l'inclusion.
Or, si l'on se fonde sur les mesures prises en matière de priorités d'action structurelle passées en revue dans la présente édition d'Objectif croissance, on voit peu de signes d'une accélération imminente des réformes. Tout au plus le rapport fait-il état d'un léger ralentissement des réformes en 2017 par rapport au rythme déjà modeste observé au cours des deux années précédentes. Cela étant, certains pays ont réussi à lancer des réformes d'envergure l'année dernière. Au Japon, des mesures ont été prises pour développer les capacités d’accueil de jeunes enfants, aidant ainsi les femmes à garder un emploi. La France a mis en œuvre une vaste réforme du marché du travail qui vise à la fois la législation sur la protection de l'emploi et les négociations collectives. L'Inde a mis en place une taxe sur les biens et les services, tandis que l'Argentine vient d'adopter une large réforme fiscale.
Dans l'ensemble, les pouvoirs publics ont continué de porter une attention plus grande à l'emploi et à la protection sociale, notamment en prenant aussi des mesures visant à améliorer l'offre de soins de santé. C'est par exemple le cas de la Grèce et de l'Italie, où des mesures importantes ont été prises pour renforcer la protection sociale, mais aussi de la Chine, où l'accès aux soins de santé pour les travailleurs migrants a été amélioré. L'attention plus grande portée à l'emploi et aux garanties de ressources est importante dans l'optique d'une plus grande inclusivité et d'une distribution plus équilibrée des revenus. Dans une large mesure, les efforts de réforme portent leurs fruits : le taux d'emploi des personnes peu qualifiées et des jeunes, encore faible dans les pays ayant été le plus durement touchés par la crise, s'améliore et a déjà retrouvé quasiment son niveau d'avant la crise au niveau international en moyenne, tandis que le taux d'activité des femmes continue de croître.
Toutefois, les réformes de grande ampleur ont été beaucoup trop peu nombreuses pour permettre de stimuler la productivité et de réduire la dépendance aux mesures macroéconomiques de relance. Le retour à une croissance mondiale plus vigoureuse est un moment propice pour progresser à nouveau sur le plan des réformes structurelles, avec des chances plus grandes de les voir porter rapidement leurs fruits. Les décideurs publics doivent, individuellement et collectivement, trouver les moyens de surmonter la résistance politique aux réformes qui permettraient de s'attaquer aux points de blocage de la croissance bien connus, et faire en sorte que leurs économies puissent tirer le meilleur parti de la transformation numérique en cours. Une croissance plus forte et plus soutenue contribuerait également à réduire les risques financiers associés au niveau élevé de la dette publique aussi bien que privée qui s'est accumulée dans un contexte de faiblesse des taux d'intérêt.
L'investissement des entreprises, s'il commence enfin à s'affermir, reste modeste par rapport à ce qu'il a pu être pendant des périodes d'expansion antérieures. En outre, des données récentes montrent que l'investissement dans les technologies numériques, essentiel pour stimuler la productivité, varie fortement d'un pays à l'autre et d'une entreprise à l'autre. L'écart de productivité grandissant entre les entreprises à la pointe et celles qui accusent un retard constitue lui-même une source d'aggravation des inégalités salariales et de ralentissement de la productivité. Les analyses de l'OCDE laissent à penser que les entreprises sont confrontées à différentes contraintes qui ont un impact à la fois sur les incitations qui leur sont offertes à investir dans ces technologies et sur leur capacité à le faire.
Pour augmenter les incitations à l'investissement, il est nécessaire de prendre des mesures permettant de créer un environnement des entreprises plus compétitif, notamment en favorisant l'entrée d'entreprises par une diminution des freins réglementaires à la création d'entreprises et une réduction des obstacles à l'investissement direct étranger. Malgré les progrès accomplis en la matière, par exemple au sein de l'Union européenne avec l'adoption du paquet « Services », l'entrée sur le marché des services aux entreprises dans des pays comme la France, l'Allemagne et l'Espagne reste entravé par des obstacles administratifs et réglementaires. Parallèlement, il faut faire davantage pour réduire les barrières à l'investissement étranger dans les pays où elles sont encore relativement élevées, comme en Indonésie, au Mexique et en Russie. Le protectionnisme commercial ne peut que nuire à l'investissement parce qu'il fait augmenter les coûts, accroît les incertitudes, érode l'environnement concurrentiel et réduit les possibilités de croissance qui s'offrent aux entreprises qui réussissent.
Il serait également possible, dans de nombreux pays, de réformer les régimes d'insolvabilité afin de faciliter la sortie ordonnée ou la restructuration des entreprises en échec. De telles mesures sont importantes, à la fois pour encourager l'expérimentation d'idées nouvelles et pour libérer les ressources nécessaires à l'expansion des entreprises innovantes et performantes. Ainsi, on trouvera au Chapitre 3 du présent rapport de nouveaux indicateurs des régimes d'insolvabilité dans les différents pays élaborés par l'OCDE, et présentant les principales caractéristiques qui permettraient d'atteindre ces objectifs. Dans des pays comme l'Afrique du Sud, l'Australie et l'Italie, l'abaissement des obstacles à la restructuration des entreprises en cas de difficultés est une priorité. Des réformes s'imposent également pour harmoniser les procédures d'insolvabilité dans l’ensemble de États membres Union européenne.
La fiscalité constitue un autre domaine dans lequel les pouvoirs publics peuvent agir pour accroître les incitations privées à investir. Il s'agit notamment de mettre en œuvre des réformes des systèmes fiscaux permettant d'élargir la base d'imposition en supprimant les niches, en particulier celles qui bénéficient aux personnes ayant les plus hauts niveaux de revenu ou de patrimoine, tout en ménageant la possibilité de procéder à des réductions de taux, en particulier sur les sources plus mobiles comme le capital et les revenus du travail. Des réformes s'inscrivant dans cette logique ont été mises en œuvre dans plusieurs pays comme l'Argentine, le Canada et l'Espagne, tandis que les taux d'imposition ont été abaissés aux États-Unis. Cependant, les réformes doivent encore s'attaquer à une distorsion majeure des systèmes fiscaux, celle qui consiste à privilégier l'endettement par rapport aux financements par fonds propres. En effet, ce biais contribue non seulement à rendre la croissance excessivement dépendante de la dette, mais il aboutit aussi à une discrimination à l'endroit des jeunes entreprises innovantes.
Plus largement, la plupart des pays ont une bonne marge pour procéder à des réformes permettant de concilier objectifs de croissance et objectifs d'inclusivité, notamment en s'appuyant davantage sur les recettes fiscales provenant des biens immobiliers et des successions. À l'échelle internationale, dans le cadre des efforts déployés pour rendre l'imposition des entreprises plus équitable et plus transparente, des progrès sont accomplis pour limiter l'évasion fiscale des multinationales grâce au Plan d'action BEPS sur l'érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices élaboré sous les auspices du G20 et de l'OCDE et par la mise en œuvre de l'échange automatique de renseignements.
Dans des pays comme l'Inde, l'Indonésie et la Turquie, mais aussi en Italie et en Grèce, le travail informel reste une difficulté majeure lorsqu'il s'agit de favoriser la croissance inclusive. Pour y remédier, il est nécessaire de réformer les réglementations contraignantes des marchés des produits et du travail et de réduire en même temps le coin fiscal sur le travail des travailleurs faiblement rémunérés dans les pays où il est encore élevé. Accroître le nombre de travailleurs occupant un emploi formel permettra de leur offrir de plus larges perspectives d'amélioration des compétences et de la productivité ainsi qu'une protection sociale de meilleure qualité. En Chine, de nouvelles mesures permettant d'ouvrir un accès plus équitable aux services publics tout en supprimant le système d'enregistrement des ménages permettraient de favoriser la mobilité du travail, la productivité et l'inclusion. L'efficacité des réformes dans ces domaines sera amplifiée par une mise en œuvre effective de mesures visant à intensifier la lutte contre la corruption, comme cela a été fait au Mexique, et à renforcer l’État de droit.
Dans les économies émergentes comme dans les économies avancées, la pénurie de compétences, notamment en matière managériale et organisationnelle, est l'un des facteurs qui limite la capacité de nombreuses entreprises à adopter des technologies numériques. Pour y faire face à plus long terme, il faudrait réformer les systèmes d'enseignement et de formation pour faire en sorte que les travailleurs puissent acquérir les compétences cognitives et non cognitives rendues de plus en plus nécessaires par les nouvelles technologies numériques et le capital intellectuel. Il s'agit notamment de prendre des mesures pour faciliter l'accès à l'éducation des groupes défavorisés de manière à réduire la fracture numérique. À plus court terme, la réponse aux pénuries de compétences consiste à offrir aux travailleurs de meilleures perspectives de relèvement du niveau de leurs qualifications et à corriger le déséquilibre entre les compétences qu'ils possèdent et celles qu'attendent les employeurs. Mettre au point des programmes de formation et d'éducation permanente bénéficiant à ceux qui en ont le plus besoin reste un défi commun à la plupart des pays.
C'est pourquoi, en dépit du raffermissement de la croissance économique, l'heure n'est pas à l'autosatisfaction. Dans cette édition d'Objectif croissance sont exposées des priorités et des recommandations pour l'action publique qui ont pour objet de lever les blocages au développement des compétences et de libérer les capacités d'innovation, de favoriser la dynamique des entreprises et la diffusion des connaissances, et d'aider les travailleurs à exploiter au mieux la rapidité d'évolution du marché du travail. Dans l'optique d'assurer le caractère durable des gains enregistrés tant au niveau des revenus que du bien-être, les risques et goulets d'étranglement environnementaux sont aussi pris en compte dans une mesure croissante (voir le chapitre 2). Le redressement économique actuel est propice à la mise en œuvre réussie des réformes les mieux à mêmes d'atteindre l'objectif d'une croissance forte, inclusive et durable. Il ne faut pas laisser passer cette occasion.
Álvaro Pereira
Chef économiste de l'OCDE par intérim