Pour la première fois, le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) a mesuré les compétences des élèves âgés de 15 ans en réflexion créative, en évaluant leur capacité à s’engager de manière productive dans la génération d’idées, à les évaluer et à les enrichir. Face aux changements environnementaux, sociaux et économiques complexes du XXIe siècle, il est crucial que les élèves soient innovants, entreprenants et qu’ils fassent preuve de créativité et d’esprit critique.
La créativité constitue en effet un atout dans de nombreuses professions, notamment dans les secteurs qui exigent un haut niveau de qualification. Selon le Rapport sur l'avenir de l'emploi 2023 du Forum économique mondial, la pensée créative est la deuxième compétence professionnelle la plus importante, juste après la pensée analytique. Des entreprises comme LinkedIn et Deloitte arrivent aux mêmes conclusions et soulignent le rôle déterminant de la pensée créative au sein de la main-d'œuvre actuelle.
On attend en effet aujourd’hui des travailleurs qu’ils contribuent au changement, qu’ils s’efforcent constamment d’exploiter les nouvelles technologies et d’adapter leurs méthodes de travail pour rester compétitifs. Avec les progrès de l’intelligence artificielle et de la transformation numérique, l’innovation, la créativité et la pensée critique prennent le pas sur les compétences classiques, plus susceptibles d’être automatisées.
Cependant, l’importance de la créativité dépasse de loin la seule nécessité de rester compétitif sur le marché du travail. Elle représente également un outil puissant en faveur de l’apprentissage, car elle permet une meilleure assimilation des acquis de l’apprentissage, fait appel aux compétences cognitives d’ordre supérieur et favorise l’épanouissement émotionnel, la résilience et le bien-être.
Malgré l’importance que revêt la créativité, l’acquisition des compétences créatives ne va pas de soi. Ainsi, l’enquête de l’OCDE sur les compétences sociales et émotionnelles de 2023 a montré que les jeunes de 15 ans avaient tendance à être moins créatifs et à moins bien se connaître que ceux âgés de 10 ans. Les psychologues du développement expliquent en partie cette régression par le passage à l’adolescence, mais l’ampleur des disparités à cet égard entre les pays suggère que l’éducation et l’environnement ont également un rôle à jouer dans ce domaine. Dès la naissance, les enfants ont une créativité débordante, ils veulent apprendre, désapprendre et réapprendre sans cesse, mais l’école valorise davantage la conformité et récompense les élèves qui se plient aux normes de pensée de l’époque plutôt que de les remettre en question.
Si la performance scolaire et la performance créative peuvent se renforcer mutuellement, l’une ne requiert pas forcément l’autre. En effet, certains systèmes d’éducation comme celui de Singapour, de la Corée et du Canada sont parmi les plus performants en termes de créativité de même qu’en mathématiques, en compréhension de l’écrit et en sciences, quatre autres systèmes ayant obtenu de très bons résultats au PISA – Hong Kong (Chine), Macao (Chine), Taipei chinois et la Tchéquie – se classent en deçà ou au niveau de la moyenne de l’OCDE dans le domaine de la pensée créative. Les résultats montrent que certains élèves excellent en pensée créative sans pour autant être particulièrement brillants dans les matières scolaires classiques.
Les élèves issus de milieux défavorisés obtiennent, sans surprise, des résultats nettement inférieurs à ceux des élèves plus aisés en pensée créative. Les élèves provenant de milieux difficiles font face à des problèmes tels que l’insécurité alimentaire, le mal-logement ou ont d’importantes responsabilités familiales qui accaparent leur temps et leur énergie, laissant peu de place à des activités créatives. En outre, les enseignants des établissements insuffisamment dotés ont tendance à se concentrer sur les matières et compétences de base et à avoir recours aux évaluations standardisées pour améliorer les résultats des élèves, délaissant ainsi involontairement les activités et pratiques créatives. Il reste encore beaucoup à faire dans les pays participant au PISA pour combler les écarts en matière d’apprentissage créatif liés au milieu socio-économique des élèves.
Il est en effet important de rappeler que les capacités créatives peuvent être enseignées. Les enseignants peuvent libérer le potentiel créatif de leurs élèves en les encourageant à explorer et générer de nouvelles idées et à y réfléchir. Ce n’est pas un hasard si les systèmes les plus performants disposent de lignes directrices officielles relatives au développement et à l’évaluation de la créativité, que ce soit en général ou chez les élèves en particulier. Pourtant, seule environ la moitié des élèves estiment que la créativité est une particularité qu’ils ont le pouvoir de changer.
L’enseignement et l’épanouissement des capacités créatives des élèves leur permettent d’innover, de résoudre des problèmes et de s’adapter à un monde en pleine mutation. Cet enseignement est particulièrement utile aux garçons qui ont tendance à obtenir des résultats plus faibles que les filles aux évaluations de la créativité. Un enseignement qui favorise une meilleure implication dans des activités d’apprentissage libres et centrées sur l’élève offre l’occasion de renforcer la confiance en soi et de stimuler la curiosité et la créativité des élèves. Les professionnels de l’éducation doivent ainsi proposer et accompagner des activités qui favorisent l’exploration des capacités créatives de leurs élèves pour leur faire prendre conscience que la créativité n’est pas innée, mais qu’elle s’acquière et se perfectionne par la pratique.
Il est en effet important de comprendre non seulement le contenu des apprentissages des élèves, mais également la façon dont ils apprennent si l’on veut promouvoir un véritable changement politique. Le présent rapport PISA devrait offrir un éclairage précieux aux décideurs politiques sur la façon dont les élèves acquièrent les compétences dont ils ont besoin pour s’épanouir dans leur vie adulte. Grâce à sa méthodologie solide et cohérente, l’enquête PISA présente des conclusions probantes sur lesquelles pourront se fonder les futures politiques d’éducation et qui favoriseront une coopération internationale en vue d’améliorer la qualité de l’apprentissage.
Andreas Schleicher
Directeur de la Direction de l’éducation et des compétences et conseiller spécial du Secrétaire général de l’OCDE, chargé de la politique de l’éducation