Ce chapitre met en lumière le cheminement vers la décentralisation qui s’est opéré dans la majorité des pays de l’OCDE au cours des dernières décennies. Il souligne par ailleurs que les tendances à la décentralisation dans le monde sont souvent allées de pair avec un changement d’échelle de la gouvernance infranationale, via les regroupements de communes, la coopération intercommunale, la gouvernance métropolitaine, et le renforcement des régions. Le morcellement administratif du territoire a poussé les pouvoirs publics à adopter des politiques encourageant, voire imposant, les fusions ou la coopération. Parallèlement, on a assisté à la montée en puissance de la décentralisation dite asymétrique (le fait que des administrations infranationales de même échelon possèdent des compétences politiques, administratives ou budgétaires différentes). Si les dispositifs asymétriques semblent plus « naturels » dans les pays fédéraux, ils se rencontrent de plus en plus souvent dans les pays unitaires. Enfin, on verra que la décentralisation est trop souvent perçue comme un simple renforcement des compétences des collectivités locales. Or, la réalité est plus complexe, puisque les responsabilités sont, pour la plupart, partagées entre différents niveaux d’administration. La décentralisation consiste à reconfigurer les relations entre le pouvoir central et les administrations infranationales, dans le sens d’une coopération accrue et d’un rôle plus stratégique des administrations nationales/fédérales.
Réussir la décentralisation
Chapitre 3. Tendances actuelles de la décentralisation
Abstract
Les données statistiques concernant Israël sont fournies par et sous la responsabilité des autorités israéliennes compétentes. L’utilisation de ces données par l’OCDE est sans préjudice du statut des hauteurs du Golan, de Jérusalem Est et des colonies de peuplement israéliennes en Cisjordanie aux termes du droit international.
Le présent chapitre porte sur les tendances de la décentralisation dans les pays de l'OCDE, mais aussi dans le reste du monde. Au cours des 70 dernières années, la tendance générale s’est exercée dans le sens d'une décentralisation plus poussée, parfois qualifiée de « révolution silencieuse » (Ivanyna et Shah, 2014[1]). Les indicateurs qui mesurent les pouvoirs dévolus aux régions administratives (indice de compétence régionale, ICR) montrent que toutes les régions du monde ont vu cet indice s’élever, à partir des années 1960-1970 pour les pays occidentaux (principalement européens) ; des années 1980 pour les pays d’Asie et du Pacifique ; et des années 1980 pour les pays d’Amérique latine, quoique dans une moindre mesure (Hooghe et al., 2016[2]). En Europe, l’indice d’autonomie locale (IAL) fait apparaître un accroissement de l’autonomie locale entre 1990 et 2005, en particulier dans les pays d’Europe centrale et orientale (Ladner, Keuffer et Baldersheim, 2016[3]).
Plusieurs pays de l’OCDE, qu'il s'agisse de fédérations ou d’États unitaires, ont déjà une longue tradition, solidement ancrée, d'autonomie des administrations infranationales. Cette tendance à la décentralisation n'a cessé de s’intensifier sur les dernières décennies, en particulier dans les États unitaires. D’autres pays ont toutefois connu des allers-retours entre décentralisation et recentralisation.
La crise mondiale de 2008-2009 a conduit dans certains pays à une recentralisation, accompagnée d'une hausse des dotations de l’administration centrale aux collectivités territoriales. Il ne s'agissait cependant que d'une tendance temporaire, puisqu’elle a été suivie, dans la plupart des pays, de coupes claires dans les dotations versées par l’administration centrale après 2010-2011. De nombreux pays, dont près d’un tiers des pays membres de l’OCDE, ont adopté dans le sillage de la crise des règles budgétaires visant à maîtriser les dépenses infranationales. Il est possible aussi que ce contrôle renforcé exige une coordination accrue entre administrations, laquelle renforce le pouvoir de négociation dont jouissent les collectivités infranationales pour influencer l’élaboration des politiques nationales (de Mello et Tovar Jalle, 2018).
Il se dégage, au sein du mouvement de décentralisation, plusieurs tendances complémentaires qui doivent être replacées dans le contexte de la dépendance mutuelle entre niveaux de l’administration : i) l’accroissement des dépenses et des recettes au niveau infranational ; ii) le renforcement de l’autonomie locale (compétences locales) ; iii) l’intensification de la gouvernance infranationale, reposant sur la coopération intercommunale, la gouvernance métropolitaine et le renforcement des régions ; et iv) le développement de la décentralisation asymétrique, c’est-à-dire le fait que les administrations infranationales ne disposent pas toutes des mêmes compétences.
Hausse des dépenses et des recettes infranationales dans les pays de l’OCDE
Accroissement des dépenses infranationales
Dans la majorité des pays de l’OCDE, les dépenses des administrations infranationales augmentent depuis 1995, tant en pourcentage du PIB que du total de la dépense publique (graphique 3.1). Les hausses les plus fortes, sur les 21 dernières années (1995-2016), ont été enregistrées en Pologne, en Allemagne, au Danemark, en Belgique, en Suède et en Espagne. C’est en Espagne que l’augmentation a été la plus forte. Dans ce pays, en effet, la décentralisation de l’éducation et de la santé, opérée en 2002 et 2005, s’est traduite par une progression de 13 points de pourcentage de la part des administrations infranationales dans la dépense publique et de 5 points de pourcentage de la contribution des dépenses infranationales au PIB entre 1995 et 2016. En Belgique, la hausse considérable du poids de la dépense infranationale dans le PIB (6 points de pourcentage) et dans la dépense publique (11 points) s’explique par l'adoption, en 2011, de la sixième réforme de l’État (entrée en vigueur en 2014), qui a délégué de nouvelles responsabilités de l’administration fédérale aux régions et aux communautés. En Suède, les dépenses infranationales ont augmenté constamment sur cette période et, aujourd’hui, l'administration infranationale n’est plus simplement prestataire des services publics locaux proprement dits, mais aussi de plusieurs fonctions redistributives de l’État-providence, notamment dans les domaines de l'éducation et de la santé (OCDE, 2017[4]). En Pologne, l’accroissement des dépenses infranationales a commencé avant 1995, avec l’adoption de la loi de 1990 sur les collectivités territoriales rétablissant l'autonomie des collectivités locales et leur transférant de larges responsabilités. Une deuxième vague de décentralisation a eu lieu en 1999, lorsque les niveaux régionaux et intermédiaires ont été créés pour prendre en charge plusieurs domaines de compétences, comme l’éducation, la santé, la protection sociale, les transports et le développement économique régional, suivie, en 2009, d'un nouveau transfert de missions au bénéfice des régions.
Dans d'autres pays de l'OCDE, la progression des dépenses infranationales sur la période, si elle s’explique aussi par la décentralisation, comme en Allemagne, au Danemark, au Canada, etc. (annexe 3), peut néanmoins être imputée à d'autres facteurs, comme l'augmentation des besoins sociaux – en particulier avec la crise –, le vieillissement démographique, le relèvement des normes environnementales, de sécurité et de qualité, ainsi que le coût des services.
A l’inverse, plusieurs pays de l’OCDE ont enregistré une réduction de la part des dépenses infranationales dans le PIB ou dans les dépenses publiques sur les vingt dernières années. Ainsi, en Hongrie, la recentralisation a débuté en 2011-2012 avec la réforme de la Constitution et la loi sur les collectivités locales, qui ont amené le gouvernement à réorganiser le secteur hongrois des collectivités territoriales et à reprendre la main sur de nombreuses fonctions antérieurement exercées par les communes et les comtés. En conséquence, la Hongrie, qui était auparavant très décentralisée par rapport aux autres pays de l'OCDE, est devenue l'un des pays les plus centralisés. Alors qu’en 2010, les dépenses infranationales se montaient à 25 % des dépenses publiques, soit 12 % du PIB, elles avaient diminué de moitié en 2017, revenant respectivement à 13 % et 6 % (OCDE, 2018[5]).
Une telle baisse des dépenses infranationales peut aussi résulter d’autres tendances, en particulier depuis la crise mondiale, qui a lourdement pesé sur les budgets infranationaux. Dans plusieurs pays, le recul des dépenses infranationales s’explique moins par une démarche de recentralisation proprement dite que par des mesures d'assainissement budgétaire (réduction des dépenses, programmes d’économies) ou des réformes de la gestion publique visant à améliorer l’efficacité et l’efficience (mutualisation et accords de partage de services, évaluation des performances, réformes de la fonction publique, gestion des actifs, etc.).
Le cas de l’Irlande est intermédiaire. La forte baisse des dépenses infranationales enregistrées en 2005, 2010 et 2014 résultait à la fois d'une tendance à la recentralisation (services des eaux et autres missions, en 2014) des réformes dites « Better Local Government », pour l’amélioration de la gestion territoriale, qui a fusionné 114 collectivités locales en 31 administrations territoriales et aboli les huit régions existantes, et de la récession de 2008. La crise a sensiblement réduit les revenus des collectivités locales et nécessité des réductions de dépenses et d’effectifs imposées par l'administration centrale (Quinn, 2015[6]).
Aux Pays-Bas, une baisse des dépenses infranationales n'a été observée qu’en 1995-1996, celles-ci sont alors passées de 40 % à 33 % de la dépense publique et de 21 % à 15 % du PIB. Depuis cette date, les dépenses des collectivités territoriales ont été très stables et les dépenses sociales transférées en 2007 et 2015 sont compensées par des mesures d'assainissement budgétaire et des réformes de gestion (OCDE, 2014[7]).
Accentuation de la décentralisation des recettes
À l’échelle de l’OCDE, la part des dotations dans le total des recettes est restée relativement stable en moyenne entre 1995 et 2016. Toutefois, deux étapes se sont succédé durant cette période, avant et après la crise (Blöchliger et Kim, 2016[8]). Pendant les années 1990 et jusqu’en 2008 environ, la politique généralisée de décentralisation des responsabilités, dans des domaines tels que l’éducation, la protection sociale, les infrastructures de transport, les services d'intérêt général, etc., était financée principalement par des transferts de l’administration centrale, tandis que les recettes fiscales des collectivités territoriales demeuraient, pour l’essentiel, stables. Il en a résulté une aggravation du déséquilibre budgétaire vertical (la différence entre les recettes propres des collectivités et leurs dépenses obligatoires). La réponse à l'augmentation des dépenses infranationales a été l’élargissement toujours plus grand du régime des subventions. Un recours accru aux transferts a également été utilisé pour prévenir les disparités régionales, corriger les déséquilibres horizontaux entre collectivités, et satisfaire aux obligations de service public de l’administration centrale (Daniel et al., 2006[9]).
Au niveau des pays, la part des transferts s'est accrue de 1995 à 2005, principalement pour répondre à la politique généralisée de décentralisation des dépenses. Pendant la crise économique et budgétaire, les transferts de l’État ont augmenté considérablement dans certains pays afin de soutenir les plans de relance, mais cela n'a pas duré. Après la crise, les programmes d'assainissement des finances publiques adoptés par de nombreux pays se sont traduits par le gel ou la réduction des transferts de l'administration centrale. C’est en Irlande, en Slovénie, au Portugal, en France et en Grèce que le recul des dotations en pourcentage des recettes infranationales a été le plus marqué entre 2005 et 2016. De ce fait, et malgré les fluctuations observées ces 21 dernières années, la composition des recettes des collectivités territoriales dans les pays de l’OCDE est en moyenne aujourd'hui très proche de son niveau de 1995. Au niveau des pays, sur l’ensemble de la période 1995-2016, la part des subventions dans le total des recettes infranationales a le plus augmenté en République slovaque, au Danemark, en Lettonie et en Nouvelle-Zélande. Les plus fortes diminutions ont été enregistrées, sur cette période, en Hongrie, en République tchèque, en Italie et en Irlande.
Les recettes fiscales infranationales, quant à elles, ont augmenté légèrement, tant en proportion du PIB que du total des recettes fiscales de l’État. Les recettes fiscales englobent les impôts partagés et les recettes propres, ce qui ne permet pas d'évaluer l'évolution de l’autonomie fiscale. Entre 1995 et 2016, les recettes fiscales infranationales ont sensiblement augmenté – ou diminué – dans plusieurs pays en pourcentage du total des recettes fiscales de l’État et du PIB. Ces changements reflètent généralement la santé de l’économie, puisque les taxes et impôts sur le revenu des particuliers, le bénéfice des sociétés, la valeur ajoutée, les transactions immobilières, la consommation, le secteur de la construction, etc. sont sensibles aux fluctuations économiques. Ils résultent aussi des réformes fiscales qui touchent indirectement les collectivités territoriales (variations de la part partagée de l’impôt sur le revenu des particuliers ou des sociétés, par exemple) ou qui les concernent directement.
Au cours des 21 dernières années, plusieurs réformes de la fiscalité ont eu pour objet d'accroître la place des recettes fiscales dans le financement des collectivités territoriales, soit en allouant une fraction plus large des impôts nationaux aux administrations infranationales, soit en accordant à ces dernières davantage de compétences fiscales (pouvoir de création de taxes locales, de détermination des taux et des assiettes, et d’octroi de déductions ou d’allégements fiscaux). Ces réformes ont entraîné une hausse significative des recettes fiscales infranationales en Belgique (2002 et 2014), en République tchèque (2005), en Pologne (2004), en Slovénie (2009) et en Espagne (2002, 2009 et 2012). En Italie, après la réforme Bassanini de 1998, les recettes fiscales ont considérablement augmenté, passant de 25 %, en 1997, à 41 % du total des recettes infranationales après la réforme de 2009.
A l’inverse, la part des impôts dans les recettes infranationales s’est contractée au Danemark (surtout après la réforme des collectivités locales de 2007 et l’abolition des comtés, qui collectaient auparavant des impôts), en Hongrie (réforme de recentralisation), en Lettonie, en Norvège (abolition, en 1999, de l'impôt national sur le bénéfice des sociétés en tant que taxe locale), en République slovaque (réforme de 2005) et en Suisse.
Cependant, ces chiffres ne donnent pas une idée juste des changements, en l’absence de distinction entre impôts partagés et recettes fiscales propres, pour lesquelles les collectivités territoriales ont une certaine marge de manœuvre quant aux taux et à l’assiette. En France, par exemple, la réforme des finances locales de 2010 n’a pas modifié la part des recettes fiscales dans les recettes locales ou dans le PIB, mais elle a fortement réduit la part des recettes propres et, de fait, l’autonomie fiscale des collectivités. Dans d'autres pays, c’est la situation inverse qui prévaut : on a pu observer une stabilité des recettes fiscales alors que l’autonomie fiscale avait été élargie avec l'introduction d’une nouvelle fiscalité locale propre et l'élargissement de la latitude offerte aux collectivités locales pour fixer les taux ou l’assiette de taxes locales existantes (taxe foncière, par exemple).
Si l'on veut avoir une image complète de la situation, on peut consulter les indicateurs d'autonomie fiscale élaborés par le Réseau de l'OCDE sur les relations budgétaires entre les différents niveaux d'administration (Fiscal Network). Ils montrent que, de 1995 à 2011, l’autonomie fiscale s’est accrue, aux dépens des régimes de fiscalité partagée (Blöchliger et Kim, 2016[8]). Au Danemark et en France, les réformes fiscales ont conduit à une contraction de l’autonomie infranationale en matière de recettes, alors qu’en Finlande, en Italie, au Japon, en Corée, au Portugal et en Turquie, l'autonomie fiscale des collectivités locales s’est développée (OCDE, 2017[10]).
Modeste élargissement des compétences infranationales en matière de dépenses de 1995 à 2014
Bien souvent, la part infranationale des dépenses financières ne reflète pas exactement les compétences des collectivités territoriales en matière de dépenses, parce que les dépenses infranationales sont, de manière générale, strictement réglementées ou autrement influencées par l'administration centrale. À partir des réponses reçues des pays membres du Réseau sur le fédéralisme budgétaire de l'OCDE à la suite du récent questionnaire sur la capacité budgétaire, l’OCDE a construit des indicateurs institutionnels comparant ces compétences infranationales entre pays et entre secteurs de l’action publique (OCDE, à paraître[11]).
Ces résultats laissent penser que les prérogatives infranationales en matière de dépenses sont, en moyenne, relativement faibles. Cette capacité budgétaire est très équilibrée entre les secteurs, tout en étant moins élevée dans la santé et les soins tertiaires, et plus élevée dans le logement social, les transports ainsi que l’enseignement primaire et secondaire (« l’éducation »).
Si les données recueillies à partir de questionnaires isolés ne permettent pas d’établir des comparaisons au fil du temps, la base de données de l’OCDE sur le fédéralisme budgétaire contient néanmoins des informations utiles à des fins descriptives. Par exemple, l’évolution du pouvoir fiscal de 1995 à 2014 peut être décrit à l'aide des données sur les recettes fiscales infranationales en pourcentage du PIB et en pourcentage du total des recettes fiscales de l’État.
On constate ainsi que la part moyenne des recettes fiscales infranationales a légèrement augmenté entre 1995 et 2014 (graphique 3.5). Le schéma d'évolution du pouvoir d’imposition a été, lui, plus complexe, avec des fluctuations selon les années et les types de collectivités (la base distingue les données relatives aux États fédérés et aux collectivités locales). En moyenne, la part des recettes fiscales infranationales dans le total des recettes fiscales a progressé de 0.9 point de pourcentage, soit 1.1 point pour le niveau des États et 0.43 point pour les collectivités locales.
Renforcement de l'autonomie locale dans les pays couverts par l'indice d'autonomie locale (IAL)
Comme expliqué au chapitre 2, les données financières ne sont pas suffisantes pour évaluer l’autonomie locale. D'autres éléments doivent aussi entrer en ligne de compte, comme le degré auquel les collectivités sont libres de décider du type de services qu’elles souhaitent financer, comment elles veulent s’organiser et si elles peuvent influer sur les décisions prises à un niveau d'administration supérieur. La section qui suit examine les tendances de ces différentes dimensions de l'autonomie locale dans 39 pays européens (Keuffer et Ladner, 2018[12]).
L'indice d'autonomie locale (IAL) compte sept dimensions :
1. L'autonomie légale indique si l’existence des collectivités territoriales est garantie par la Constitution et si elles peuvent ou non être fusionnées contre leur gré, par exemple.
2. Le périmètre des compétences décrit la gamme des services que les collectivités sont chargées d’assurer.
3. La liberté d'action rend compte du pouvoir décisionnel dont jouissent les collectivités dans l'accomplissement de leurs missions.
4. L'autonomie financière signifie que les collectivités disposent de leurs propres ressources financières, peuvent collecter l’impôt et en fixer l'assiette et le taux, et sont en mesure d’emprunter des fonds.
5. L'autonomie d'organisation décrit la possibilité, pour les collectivités territoriales, d’organiser leur administration et de la doter en personnel comme elles l’entendent ainsi que de décider des caractéristiques de leur système politique.
6. La non-ingérence se rapporte aux relations verticales avec les niveaux supérieurs de l’administration et décrit la manière dont s'organise la supervision ainsi que l’existence ou non de transferts financiers accordés sans condition.
7. L'accès rend compte du degré auquel les collectivités peuvent influencer les décisions des niveaux supérieurs.
En ce qui concerne la dimension légale, l’examen de l’IAL semble indiquer que les législateurs, en Europe, renforcent progressivement le degré d'autonomie accordé aux collectivités territoriales (tableau 3.1). S'agissant du périmètre des compétences, il subsiste d'amples différences entre pays européens ; les pays nordiques et quelques pays d’Europe centrale se situent au sommet de l’échelle, tandis que certains pays de la mer Noire ainsi que le Royaume-Uni et l’Irlande se trouvent à l’autre extrémité. Le périmètre des compétences varie aussi en fonction des secteurs examinés (éducation, assistance sociale, santé, aménagement du territoire, transports publics, logement, police ou encore aide à la personne). Les collectivités locales jouissent de compétences plus larges dans les domaines de l’aménagement du territoire (plan d’occupation des sols, permis de construire), des locaux scolaires, du logement, des fonctions d'aide à la personne et des transports publics. Dans de nombreux pays européens, ce sont les collectivités locales qui sont chargées de ces missions. Il est plus inhabituel qu’elles soient responsables de la police, des activités menées à l'intérieur des établissements d’enseignement (programmes scolaires, recrutement et rémunération des enseignants) ou des services de santé.
L'autonomie financière fait l'objet de vastes variations, non seulement au fil du temps mais aussi entre pays. Pendant la majeure partie de la période 1990-2014, la tendance dominante a été à l'accroissement de l'autonomie financière. C’était particulièrement vrai pour les pays d’Europe centrale et orientale sortant de l’ère communiste qui sont partis d'un très bas niveau d'autonomie financière. Une progression a également été observée dans d'autres parties du continent, en Italie et à Malte, notamment. Avec la crise financière de 2008, cette tendance globale s’est en partie inversée, les changements les plus visibles concernant la réglementation de l’emprunt et se situant dans les pays les plus durement touchés par la crise. Il est intéressant de noter que l’IAL ne permet pas de montrer que l’attribution d’un large éventail de fonctions aux collectivités locales génère un désir accru de contrôle des finances locales. Il semble même que ce soit plutôt le contraire, l'autonomie en matière de fiscalité et d’emprunt est souvent plus grande dans les pays où la décentralisation fonctionnelle est plus large.
D’après l’IAL, la plupart des administrations infranationales d’Europe jouissent d'un niveau très élevé d’autonomie organisationnelle. Les collectivités territoriales sont habituellement en mesure d’élire leur exécutif au suffrage direct et ont quelque latitude pour organiser leur administration comme elles l’entendent. Dans certains pays, les collectivités peuvent décider de certaines caractéristiques de leur système électoral, comme le nombre et la taille de leurs circonscriptions, le type de scrutin – proportionnel ou majoritaire –, ainsi que la forme, ou la taille, de leur exécutif (par exemple, au Danemark, en Estonie, en Islande, en Norvège, en République tchèque, en Suède et en Suisse). Dans la plupart des pays, toutefois, ces paramètres sont fixés par la législation nationale. En ce qui concerne l'administration locale, elle est libre, dans la plupart des pays, de recruter elle-même son personnel, d’en fixer la rémunération, de choisir un modèle d'organisation et de créer des entités juridiques et des entreprises locales. Dans certains pays, cependant, l'administration locale est plus directement organisée et administrée par l’administration centrale (en France, par exemple). Si des changements se sont produits dans le degré d'autonomie organisationnelle, la plupart ont eu lieu pendant les années 1990. En effet, c’est pendant cette période qu'ont été consolidées, dans de nombreux pays mais surtout en Europe centrale et orientale, les réformes actives de la démocratie et la transformation de la culture politique.
Les résultats de l’IAL signalent une accentuation générale de l’autonomie entre 1990 et 2009. Les indicateurs de la base de données de l’OCDE sur le fédéralisme budgétaire font état d’une tendance similaire. C’est un phénomène qui a touché en particulier les nouvelles démocraties d’Europe centrale et orientale, comme l’Albanie, la Bulgarie et la Roumanie. Certains pays, comme la Hongrie, poursuivent cependant des politiques de recentralisation depuis quelques années. L’IAL montre que, en 2014, la Suisse et les pays nordiques (Finlande, Islande, Danemark, Suède et Norvège) se classaient parmi les pays offrant le plus d'autonomie locale, aux côtés de l’Allemagne, du Liechtenstein et de la Pologne (tableau 3.1 et encadré 3.1).
Tableau 3.1. Indice d'autonomie locale (IAL), classement des pays en 2014, en 1990 et évolution
Pays |
IAL 2014 |
IAL 1990 |
Variation |
Pays (suite) |
IAL 2014 |
IAL 1990 |
Variation |
---|---|---|---|---|---|---|---|
Suisse |
79.6 |
78.4 |
1.2 |
Pays-Bas |
59.6 |
53.6 |
6 |
Finlande |
79.4 |
75.2 |
4.2 |
Macédoine |
59.3 |
33.4 |
25.9 |
Islande |
78.1 |
68.4 |
9.7 |
Roumanie |
58.1 |
29.3 |
28.9 |
Suède |
75.1 |
73.7 |
1.4 |
Croatie |
56.7 |
41 |
15.8 |
Danemark |
74.7 |
75.8 |
-1.1 |
Luxembourg |
55.9 |
62.6 |
-6.7 |
Pologne |
74.1 |
68.5 |
5.6 |
Espagne |
55 |
60.6 |
-5.6 |
Allemagne |
73.9 |
73.5 |
0.4 |
Lettonie |
54.2 |
51.3 |
3 |
Norvège |
73.9 |
65.1 |
8.8 |
Hongrie |
50.8 |
62.8 |
-12.1 |
Liechtenstein |
69.4 |
72.7 |
-3.3 |
Albanie |
50.6 |
13.5 |
37.2 |
Italie |
68.2 |
51.1 |
17.1 |
Slovénie |
48.9 |
23.6 |
25.4 |
Serbie |
67 |
48.4 |
18.6 |
Grèce |
47.9 |
41.5 |
6.4 |
France |
66.8 |
64.2 |
2.6 |
Ukraine |
47.7 |
42.4 |
5.3 |
Bulgarie |
66.2 |
25.3 |
40.9 |
Royaume‑Uni |
45.7 |
46.8 |
-1.2 |
Lituanie |
65.1 |
47.3 |
17.8 |
Chypre1 |
42.3 |
37.1 |
5.2 |
République tchèque |
64.9 |
43.7 |
21.2 |
Turquie |
39.7 |
40.2 |
-0.5 |
Autriche |
64.8 |
63.5 |
1.4 |
Malte |
39.2 |
30.1 |
9.1 |
Estonie |
63.7 |
64.5 |
-0.8 |
Géorgie |
38.4 |
23 |
15.4 |
Portugal |
61.6 |
51.8 |
9.7 |
République de Moldova |
35.9 |
16.5 |
19.4 |
Belgique |
61.3 |
51.9 |
9.4 |
Irlande |
34.9 |
30.4 |
4.5 |
Slovaquie |
60.9 |
44 |
16.8 |
Note : classement des pays : 2014. Pour l’Albanie, la Lettonie, Malte, la Roumanie et l’Ukraine : pas de données pour 1990. Les premières années de mesure pour ces pays sont 1992, 1991, 1993, 1992 et 1991, respectivement.
Source : Keuffer, N. et A. Ladner (2018[12]), The Local Autonomy Index Project – Extent, Patterns and Effects of Local Autonomy in Europe.
Encadré 3.1. Autonomie locale : des schémas propres aux pays
Plus parlants qu’un simple classement général, les schémas propres aux pays renseignent davantage sur le degré d'autonomie locale. La Finlande, par exemple, affiche un profil « complet », atteignant un degré élevé sur chacune des sept dimensions, alors que l’Irlande est dans le cas opposé. A l’inverse, un degré élevé d’autonomie légale associé à une moindre autonomie sur les autres dimensions est un cas de figure caractéristique parmi les nouvelles démocraties d’Europe de l’Est comme la Bulgarie, la Roumanie, l’Estonie et la République tchèque. Ces deux derniers pays se distinguent par leur degré élevé d'autonomie organisationnelle.
La France, après avoir intensifié ses efforts de décentralisation pendant les années 1980, affiche un degré substantiel d'autonomie sur pratiquement toutes les dimensions, à l’exception de certains éléments du système politique et de l’organisation administrative au niveau local. En Suisse, les collectivités territoriales sont autonomes en matière financière et organisationnelle, et jouissent en outre d'une protection légale, mais elles ont moins de latitude pour décider des politiques à appliquer. Cette situation est en rapport avec la petite taille de ces collectivités et la version suisse du fédéralisme, qui offre aux cantons la liberté d'action en matière politique. Les collectivités locales d’Allemagne, beaucoup plus grandes – malgré la structure fédérale du pays –, sont plus autonomes eu égard au périmètre des compétences et à la liberté d’action.
La Hongrie, la Slovénie et l’Ukraine partagent un même schéma, fait d’une absence d’autonomie financière et d'un déficit d'accès et de non-ingérence. Ces pays obtiennent un score moyen sur les quatre autres dimensions de l’autonomie. Il est intéressant de noter aussi les similitudes entre l’Espagne et le Royaume-Uni. Dans la première, toutefois, l'autonomie organisationnelle est faible et l’autonomie financière est grande, tandis que c’est le contraire dans le second. Le schéma pour l’Irlande fait apparaître, en définitive, des niveaux très faibles d'autonomie sur pratiquement toutes les dimensions.
Source : Keuffer, N. et A. Ladner (2018[12]), The Local Autonomy Index Project – Extent, Patterns and Effects of Local Autonomy in Europe.
Une analyse préliminaire semble indiquer que l’IAL est positivement corrélé avec la confiance placée dans l’administration locale et régionale, même quand d'autres variables sont prises en compte (Keuffer et Ladner, 2018[12]). Quant aux résultats, les analyses font apparaître deux corrélations importantes lorsqu'on observe la taille moyenne des collectivités territoriales et des pays post-communistes, à savoir entre l’autonomie locale et un faible degré de corruption et entre l’autonomie locale et un niveau élevé de bonheur. Les analyses de l’IAL montrent aussi que l'autonomie financière est la dimension qui est presque toujours la plus fortement corrélée avec les différentes mesures de la performance. Très souvent, on constate aussi des corrélations positives entre le périmètre de compétences de l'administration locale et la marge de manœuvre politique d'un côté, et les indicateurs de performance de l’autre. Ces résultats pointent vers la nécessité de mener une analyse plus approfondie. Le développement plus poussé de ces indicateurs est une étape essentielle pour mener une analyse empirique de bonne qualité portant sur les effets et l’efficacité de la décentralisation.
Porter la gouvernance à un échelon supérieur : le rôle croissant des régions et des métropoles
Si la décentralisation implique un élargissement de l'autonomie locale, elle va aussi de pair avec un changement d’échelon de la gouvernance infranationale, reposant sur la coopération intercommunale, la gouvernance métropolitaine et le renforcement des régions. La présente section expose les données factuelles dessinant ces tendances au niveau intercommunal, métropolitain et régional, et met en évidence certaines conséquences pour l’action publique.
Regroupement de communes et coopération territoriales
Le morcellement administratif du territoire, qui peut se traduire par un manque d’efficience dans la prestation des services locaux et qui pose des problèmes d'équité dans l’accès aux services de manière générale et à des services de qualité équivalente, pousse les pouvoirs publics à adopter des politiques encourageant ou à imposer des fusions de communes. Il donne également lieu à des politiques qui favorisent la coopération intercommunale (OCDE, 2017[10]) aux fins de générer des économies d'échelle, des gains d'efficience et des réductions de coûts.
Au cours des dernières décennies, la plupart des pays de l'OCDE ont procédé à des fusions de communes. Dans certains pays, les réformes ont été menées par vagues successives. Dans d'autres, le processus a été progressif et étalé sur une longue période, qui peut être encore en cours. La crise mondiale a fait office de catalyseur pour réactiver ou instaurer des politiques de regroupement de communes. Ainsi, des réformes ont eu lieu récemment en Grèce (2011), en Turquie (2012-2014), en Irlande (2014) et en Estonie (2017), où le nombre de communes a été ramené de 213 à 79 (dont 14 urbaines et 65 rurales) après la réforme administrative qui s’est achevée en octobre 2017 (OCDE, 2018[13]). Les fusions de communes se poursuivent, au coup par coup, dans plusieurs pays, dont la Finlande, la France, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Norvège. Par ailleurs, certains États fédéraux ont procédé à des fusions sous l'égide de leurs États fédérés, notamment les cantons de Thurgovie, de Fribourg, de Vaud, du Tessin et des Grisons en Suisse, les États de Nouvelle-Galles du Sud et d’Australie méridionale en Australie, le Land de Styrie en Autriche, et le Land de Saxe-Anhalt en Allemagne.
Les raisons présidant à ces fusions sont nombreuses et comprennent notamment la nécessaire adaptation aux changements démographiques (vieillissement, migrations et expansion ou contraction de la population, par exemple) et la réduction du décalage entre des frontières administratives obsolètes et les zones fonctionnelles d'activité socioéconomique. Parmi les justifications figurent aussi la nécessité de réaliser des économies d'échelle et de gamme, de générer des économies et d'internaliser les retombées dans la prestation des services publics locaux, de renforcer les capacités administratives des collectivités, d'améliorer la qualité et la quantité des infrastructures locales et, plus généralement, d’améliorer la gouvernance, le professionnalisme et l’efficience de la gestion locale (OCDE, 2017[10]). Cependant, en dépit des incitations à la fusion, la mise en œuvre des politiques de regroupement se heurte souvent à une résistance, ce qui conduit certains pays à rendre les fusions territoriales obligatoires, à tempérer leurs ambitions initiales ou à abandonner purement et simplement ce projet.
Aujourd'hui, la coopération intercommunale (CIC) est très répandue dans l’OCDE, et fermement ancrée dans les pratiques de gestion territoriale en Europe et dans les autres pays de l’OCDE. Elle s’est installée dans tous les pays, indépendamment de la taille des collectivités, et elle offre des avantages aux zones rurales comme métropolitaines (chapitre 4). Différents facteurs ont fait progresser la CIC, surtout depuis la crise mondiale (graphique 3.7).
Les cadres juridiques et les politiques à l’appui de la coopération intercommunale ont considérablement évolué au cours des 15 dernières années (tableau 3.2). Aujourd'hui, les modalités de collaboration entre communes sont extrêmement diverses et reflètent des degrés variables de coopération. Il existe, au sein des pays de l’OCDE, différents formats de CIC, allant des formes d'intégration les plus légères – accords ou contrats de coopération à vocation unique ou multiple (par exemple, les accords ou programmes de partage de services en Angleterre/Royaume-Uni, Nouvelle-Zélande, Australie ou Irlande) – aux plus approfondies (autorités supracommunales dotées de fonctions déléguées, comme en Espagne, au Portugal et en France). Entre les deux, la coopération couvre toute une série de formes et de domaines, qu'elle soit centrée sur des questions techniques ou porte sur le développement social et économique (OCDE, 2017[10]).
Tableau 3.2. Progrès de la coopération intercommunale (CIC) dans les pays de l’OCDE
Pays |
Cadres juridiques et politiques |
---|---|
Allemagne |
La CIC est fortement encouragée par les Länder, en particulier pour certains services locaux standards, comme la gestion des déchets, l’eau et l’assainissement ou encore les transports (Zweckverbände et associations communales). |
Australie |
Les Regional Organisations of Councils, une importante forme de coopération à vocation multiple entre les conseils régionaux depuis plus de 70 ans, ont été profondément restructurés ou réformés ou, dans certains États, ont entièrement disparu. Il existe d'autres formes de CIC : administrations locales régionales (Australie-Occidentale), Regional Subsidiaries (Australie-Méridionale), conseils de comté (Nouvelle-Galles du Sud), etc. Les dispositifs de mutualisation des services sont encouragés au niveau des États et des administrations infranationales dans toute l’Australie. |
Autriche |
La CIC est conçue et mise en œuvre par les différents Länder, mais la Constitution stipule que les collectivités territoriales peuvent joindre leurs forces par voie contractuelle ou légale pour former des organisations intercommunales (Gemeindeverbände). Un amendement apporté en 2011 à la Constitution fédérale a encore conforté la capacité des collectivités à s’associer entre elles. |
Belgique |
Les régions de Flandre et de Wallonie encouragent aujourd’hui la « supracommunalité ». En Flandre, il existe cinq structures juridiques de CIC : l'association interlocale, l’association de projet, l'association prestataire de services, l'association chargée de mission et l’association avec participation du secteur privé. |
Canada |
Les agences spéciales, conseils conjoints et commissions sont des formes répandues de coopération permettant de fournir des services spécifiques à des groupes de collectivités locales. Certaines provinces peuvent avoir des politiques spéciales de promotion de la CIC, comme le Nouveau-Brunswick. |
Chili |
Une loi de 2009 permet aux associations de communes d’obtenir la personnalité juridique de droit privé. En 2011, une nouvelle loi a donné un élan renouvelé à la création d'associations communales. |
Corée |
Les administrations infranationales peuvent créer des communautés de communes, mais ces structures ne sont guère utilisées. |
Danemark |
La CIC relève d'initiatives volontaires, comme les « Business Regions ». |
Espagne |
Les Mancomunidades sont des structures de création volontaire destinées à réaliser des projets conjoints et à fournir des services communs. La loi n° 27/2013 encourage l'intégration ou la coordination de services municipaux à l’aide d'incitations financières. |
Estonie |
Il existe un cadre pour la CIC volontaire afin d'assurer des missions non obligatoires pour le compte des collectivités locales qui est défini dans la loi de 1993 sur l’organisation des collectivités locales (ONG, entreprises municipales, etc.). La récente réforme territoriale encourage une CIC renforcée. |
États-Unis |
La CIC est conçue et mise en œuvre par les États fédérés. En 2012, il existait 51 146 structures officielles (circonscriptions scolaires, districts pour les transports, gestion des eaux, services d'incendie), qui sont en cours de consolidation. Les accords formels de partage de services gérés par l'administration de l’État existent depuis 20 à 30 ans. |
Finlande |
Les collectivités conjointes à vocation spéciale (184 actuellement) assurant des services pour plusieurs collectivités territoriales, principalement dans la santé et l’éducation, seront concernées par la réforme en cours des administrations infranationales, qui créera des régions et leur transférera certaines fonctions communales. |
France |
Il existe différentes catégories de structures de CIC dotées d'un pouvoir fiscal (EPCI à fiscalité propre) et notamment, depuis les changements apportés par la loi dite « MAPTAM » de 2014 : les communautés de communes, en milieu rural, ainsi que les communautés d'agglomération et onze communautés urbaines en milieu urbain et pour les métropoles (plus de 400 000 habitants). La loi NOTRe, de 2015, a relevé le seuil démographique pour les communautés de communes. |
Grèce |
Les structures de CIC à vocation unique ou multiple sont autorisées par le code territorial, mais nombre d’entre elles sont inactives. |
Hongrie |
La CIC est encouragée par la loi de 1997 sur les associations et la coopération des collectivités locales. La loi cardinale de 2011 sur les collectivités locales prévoit la mutualisation obligatoire des services administratifs pour les collectivités de moins de 2 000 habitants au sein de bureaux communs, de districts ou de micro-régions. |
Irlande |
Un programme est en cours d'élaboration pour la réglementation de la gestion des déchets et des services partagés. |
Islande |
La CIC existe à l'échelle régionale et prend la forme de conseils régionaux, de fédérations régionales et d'agences de développement économique cogérés par les collectivités locales (loi n° 45/1998 sur les collectivités locales). La CIC est obligatoire pour les petites communes (moins de 8 000 habitants) à la suite de la décentralisation des services sociaux pour les personnes handicapées. |
Israël |
Il existe des associations de communes. |
Italie |
La CIC est encouragée depuis 1990, en particulier sous la forme d'unions communales et de communautés de territoires montagneux. La loi n° 56, de 2014, a encouragé la CIC en renforçant les unions communales, en établissant un seuil minimal et en élargissant le périmètre de leurs missions. La CIC est obligatoire pour les petites communes (moins de 5 000 habitants). Cette loi a aussi transformé les provinces en structures de CIC, y compris les 14 métropoles. |
Japon |
La CIC repose sur des accords de partenariat volontaire créés par la loi sur l'autonomie locale entrée en vigueur en 2014. |
Luxembourg |
Il existe environ 75 syndicats intercommunaux qui mènent une très large gamme d'activités. |
Mexique |
Depuis 1999, les collectivités locales peuvent créer des syndicats intercommunaux et conclure des accords intercommunaux formels pour la prestation conjointe de services publics comme l’eau et l’assainissement, la sécurité publique et les transports publics. |
Norvège |
Depuis la loi de 1992 sur les collectivités locales et la loi du 29 janvier 1999 sur les entreprises intercommunales, les accords de CIC et les structures intercommunales sont très répandues. En 2006, un amendement à la loi de 1992 a élargi la gamme des missions déléguées, par contrat, aux structures de CIC ou à une « collectivité hôte ». |
Nouvelle-Zélande |
La CIC et le partage de services entre collectivités locales sont encouragés par la loi de 2013 sur les collectivités locales, amendant la loi de 2002 en la matière. |
Pays-Bas |
Quelque 700 structures de CIC avaient été créées en 2010 aux termes de la loi sur les réglementations communes (Wet Gemeenschappelijke Regelingen) et, depuis 2004, de la loi sur le travail et la sécurité sociale (création de centres de services partagés, par exemple pour les services sociaux), outre des régions fonctionnelles pour la sécurité et la santé. |
Pologne |
L’instauration des « contrats territoriaux », en 2014, visait à resserrer les partenariats et à améliorer la coordination des activités axées sur les territoires que menaient diverses parties prenantes. |
Portugal |
La CIC est encouragée depuis les lois de 2003 qui ont créé les communautés de communes (comunidades intermunicipais). En 2013, une nouvelle loi a imposé la création de 23 communautés de communes, regroupant des communautés urbaines, des syndicats intercommunaux à vocation générale et certaines métropoles créées en 2003 et abolies en 2008. Avec la création des contrats multiniveaux, les accords de partenariat avec la CE sont utilisés pour encourager la CIC. |
République slovaque |
Les collectivités locales coopèrent dans le cadre d'un « bureau local conjoint » de création volontaire. Il s’agit de dispositifs de coordination et d’exécution à vocation multiple couvrant 21 domaines différents. Le Programme ESO 2012-2013 a renforcé le rôle de ces bureaux dans la gestion des fonctions déléguées par l’État. |
République tchèque |
La CIC est encouragée par la loi de 2000 sur les collectivités locales et peut prendre la forme d'associations volontaires de communes et de micro-régions. Quelques 790 structures de CIC sont actives dans les domaines de l’éducation, de l’aide sociale, de la santé, de la culture, de l’environnement et du tourisme. |
Royaume-Uni |
En Angleterre, les Accords sur des services communs (Shared Service Agreements) définissent la collaboration entre au moins deux collectivités locales et encouragent la fusion des administrations en milieu urbain. En Écosse, les collectivités locales sont habilitées à créer des conseils conjoints ou des comités conjoints avec d'autres collectivités pour fournir certains services sur le territoire agrégé des collectivités participantes. |
Slovénie |
Les amendements apportés en 2005 à la loi sur le financement des collectivités territoriales prévoient des incitations financières pour l'administration volontaire de communautés de communes. |
Suède |
Les règles en matière de CIC ont été définies par la loi sur les collectivités locales établissant des contrats, des « comités communs » destinés à gérer conjointement les services de santé ou d'éducation, et des « fédérations territoriales » (kommunalförbund). |
Suisse |
Le cadre et les politiques de CIC sont conçus et mis en œuvre par la Constitution et la loi des cantons. |
Turquie |
Les collectivités locales peuvent fournir conjointement certains services, surtout en milieu rural, par le biais des unions communales et des syndicats communaux d’irrigation. |
Dans l’ensemble, les pays de l’OCDE ont choisi de commencer par appliquer un modèle de droit privé. Celui-ci repose habituellement sur la liberté laissée aux collectivités territoriales d’opter pour différentes formules, comme le contrat, l’association ou l’entreprise commerciale. L’étape suivante consiste souvent à passer à un modèle de droit public. Cela signifie que la coopération fait l'objet d'une réglementation de droit public assez détaillée, portant sur les dispositions contractuelles, le financement, le type de fonctions déléguées, la structure de gouvernance, la supervision, le contrôle, etc.
En termes de financement, les structures intercommunales sont le plus souvent financées par les contributions des communes membres, qui sont habituellement complétées par d’autres sources de recettes, en fonction du service concerné (redevances des usagers, commissions). Elles peuvent aussi recevoir des dotations de l’administration centrale. C’est une manière pour celle-ci d’encourager la coopération et c’est une pratique suivie dans plusieurs pays de l’OCDE (Espagne, Estonie, France et Norvège). La France est le seul pays de l’OCDE qui ait systématiquement créé des structures publiques d’intercommunalité dotées d’un pouvoir fiscal, c’est-à-dire en mesure de lever leurs propres recettes fiscales (EPCI à fiscalité propre).
Gouvernance métropolitaine
Les réformes de la gouvernance métropolitaine visent à remédier au problème du morcellement à l’échelle des zones urbaines fonctionnelles. Une gouvernance métropolitaine efficiente est devenue un sujet brûlant dans de nombreux pays. Les frontières administratives au sein des métropoles, fondées sur des schémas d’urbanisation historiques, ne reflètent plus les activités humaines actuelles ni les relations fonctionnelles, sur le plan économique et social, d'aujourd'hui (OCDE, 2015[14]). Le renforcement de la coopération et de la coordination des politiques publiques à l'échelle d’une métropole, en particulier pour la fourniture des infrastructures et des services publics, a pour but d’améliorer la qualité de la vie dans les grandes villes et leur compétitivité internationale.
Le nombre de structures de gouvernance métropolitaine a considérablement augmenté et, dans les structures créées ou réformées depuis les années 1990, on a observé un nouvel élan dans le contexte de la récession du début des années 1990 et de la crise financière de 2008. Environ deux tiers des zones métropolitaines de l’OCDE disposent aujourd’hui d’une structure de gouvernance qui leur est propre (Ahrend, Gamper et Schumann, 2014[15]). Les responsabilités supplémentaires confiées aux métropoles concernent souvent les infrastructures et la planification, comme les transports publics, l’environnement et l’aménagement du territoire, outre les services destinés aux entreprises locales.
Ces dernières années, de plus en plus de pays de l'OCDE ont adopté une gouvernance locale différenciée pour les zones métropolitaines. Des régions-capitales dotées d'un statut d'autonomie spécial ont souvent vu le jour au milieu du XXe siècle avec des niveaux de compétence plus faibles, en raison de restrictions relatives à la représentation ou à d'autres éléments d'autonomie.
La dernière mise à jour de l'indice de compétence régionale (ICR) (2010-2016) mettait notamment l’accent sur la gouvernance métropolitaine et urbaine (encadré 3.2). Dans les 45 pays qui remplissent les critères relatifs à l'administration régionale, les collectivités métropolitaines et urbaines contribuent toutes à une différenciation de la gouvernance infranationale, mais de différentes manières. Bien que les administrations métropolitaines et urbaines constituent un échelon supplémentaire de l'administration infranationale dans une partie seulement du pays, elles exercent souvent leur pouvoir sur une grande partie de la population. En France, par exemple, les communautés urbaines et les métropoles représentent 1 485 des près de 36 000 communes (4.1 %), mais elles représentent une population d’environ 27.7 millions d'habitants, soit 43 % de la population totale. En Italie, les métropoles (città metropolitana) abritent près de 22 millions de personnes sur une population totale de 59 millions d’habitants (37 %). Les sept métropoles (combined authorities) du Royaume-Uni regroupent 44 collectivités locales, abritant environ 13.5 millions d’habitants, soit environ 21 % de la population totale. Dans certains pays, la quasi-totalité de la population vit dans des collectivités métropolitaines et urbaines. Au Portugal, les communautés de communes et les zones métropolitaines de Lisbonne et de Porto (Área Metropolitana de Lisboa/do Porto) concernent 278 des 308 communes (88 %) et abritent près de 9.5 millions d’habitants, sur une population totale de 10.5 millions de personnes (90 %).
Encadré 3.2. La gouvernance métropolitaine telle que mesurée par l’indice de compétence régionale
L’indice de compétence régionale (ICR) définit l'administration métropolitaine et urbaine selon les mêmes critères qu’une administration régionale.
1. Il s'agit d’un échelon intermédiaire de l’administration qui s’insère entre l'échelon local ou communal et l'administration nationale. Un échelon infra-métropolitain ou infra-urbain peut être composé de conseils ou d'assemblées établis dans des districts de la ville ou dans les collectivités membres.
2. C’est une administration à vocation multiple et non à vocation unique ou spécifique.
3. Elle exerce ses compétences en vertu de la loi et n’est pas une collaboration purement fondée sur une démarche volontaire. Cela signifie que les compétences de l’administration métropolitaine et municipale sont écrites dans la loi, soit dans un texte spécifique, soit dans un chapitre de la loi sur les collectivités locales ou régionales.
4. La taille moyenne de sa population totale est d'au moins 150 000 habitants.
Sources : Keuffer, N. et A. Ladner (2018[12]), The Local Autonomy Index Project – Extent, Patterns and Effects of Local Autonomy in Europe ; Schakel, A. et al. (2018[16]), Final Report on Updating the Regional Authority Index (RAI) for Forty-Five Countries (2010-2016).
Une autre façon dont les administrations métropolitaines contribuent à une différenciation de la gouvernance infranationale réside dans les compétences supplémentaires qu’elles peuvent posséder par rapport à leurs « pairs » du même échelon d'administration. Par exemple, les métropoles d’Italie prennent en charge les compétences des provinces, et se voient confier en outre des responsabilités supplémentaires en matière de police locale, de routes, de transports ainsi que d'aménagement du territoire et d'urbanisme. Le maire de la métropole est élu au suffrage direct. Par comparaison avec les provinces, les métropoles obtiennent de meilleurs scores pour les indicateurs de l'ICR relatifs au périmètre des compétences et au pouvoir exécutif, mais des scores semblables pour la complexité institutionnelle, l’autonomie budgétaire et la liberté d’emprunter. En Hongrie, les villes qui sont dotées des droits d'un comté peuvent emprunter, avec l’approbation préalable de l’administration centrale, alors que les comtés n’ont pas le pouvoir d’emprunter.
Une troisième façon dont les administrations métropolitaines et urbaines contribuent à la différenciation de la gouvernance infranationale réside dans les modalités spéciales d'autonomie qui ne s'appliquent qu’à la capitale. On recense sept capitales qui ont leur loi propre et qui remplissent les critères d'administration régionale : Barcelone, Bruxelles, Bucarest, Copenhague, Helsinki, Paris et Prague. Ce qui distingue ces capitales d'autres capitales régies par une loi spéciale est que ce sont des administrations à vocation générale, exerçant d'importantes compétences supplémentaires par rapport à d'autres administrations régionales. Ainsi, Prague est à la fois une commune et une région et, à la différence des autres régions, qui dépendent complètement de dotations d’une autre administration, la ville peut, en sa qualité de municipalité, fixer le taux de la taxe foncière. De même, Bucarest est une commune jouissant des mêmes droits qu'un comté et qui, avant 1999, avait plus d'autonomie budgétaire et de liberté d’emprunter que les autres comtés, du fait de son statut juridique de commune.
Il existe 26 collectivités métropolitaines et urbaines, ce qui montre que ce type de gouvernance infranationale est un phénomène relativement récent. La tendance générale des compétences régionales enregistre un accroissement significatif à partir des années 1970. La plupart des collectivités métropolitaines et urbaines ont été créées dans les années 1990 et 2000. Sur les onze collectivités de ce type créées avant 1990, toutes sauf deux concernent une zone ou un territoire particuliers. Sur les 16 collectivités créées en 1990 ou plus tard, huit sont constituées d'une entité unique et huit englobent des unités administratives multiples.
Toutes les collectivités métropolitaines et urbaines ont des responsabilités en matière de promotion industrielle, de planification environnementale, d'élimination des déchets, de transports publics, d’aménagement du territoire régional, de développement économique régional, de loisirs, de parcs régionaux, de promotion du tourisme, de planification et de réglementation de la circulation, et d'alimentation en eau. Sur 24 collectivités métropolitaines et urbaines, neuf obtiennent un score de 2 en matière de périmètre de compétences parce qu’elles ont des compétences (limitées) dans les domaines de la culture et de l’éducation (installations culturelles, sportives et de loisirs, bibliothèques intercommunales, musées et locaux scolaires, par exemple), et de la politique sociale (hôpitaux, santé publique, logement social ou services sociaux).
Une autre caractéristique notable de ces collectivités est leur autonomie limitée en matière de budget et d’emprunt. Neuf de ces collectivités dépendent entièrement des transferts de leurs membres et des redevances des usagers, tandis que 15 peuvent fixer le taux de la taxe foncière2. De plus, six collectivités métropolitaines et urbaines ne peuvent pas emprunter et 15 peuvent seulement emprunter selon des règles strictes et avec l’approbation préalable de l'administration centrale (ou de l’échelon régional supérieur). De manière générale, le pouvoir fiscal et l’autonomie budgétaire de ces collectivités sont particulièrement limités, ce qui les rend dépendantes des fonds que leur versent les communes participantes et les administrations régionales et nationales. Cette situation peut non seulement nuire à leur autonomie mais aussi compliquer les négociations budgétaires.
Le rôle croissant des régions
L’indice de compétence régionale (ICR) est utile pour étudier les tendances de la décentralisation dans un grand nombre de pays. Cet indice représente une démarche complète et détaillée visant à mesurer les compétences des administrations intermédiaires, au-delà des indicateurs budgétaires. L’ICR est spécifiquement centré sur les régions, définies comme un échelon intermédiaire de l'administration, entre l'échelon local et l’administration nationale, avec en moyenne un minimum de 150 000 habitants par unité régionale. Cet indicateur décrit les compétences régionales selon dix dimensions, dans 81 pays, entre 1950 et 2010 (Hooghe et al., 2016[2] ; Hooghe, Marks et Schakel, 2010[17]). Parmi les dix dimensions de l’IRC figurent l’autonomie budgétaire et la liberté d’emprunter, mais aussi le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif (encadré 3.3 ; annexe 1).
L’IRC compte deux composantes, l’autonomie et la participation, dont chacune se mesure sur cinq dimensions. Le tableau 3.4 présente le nombre de réformes en faveur de l'autonomie ou du partage des compétences, pour chacune des dix dimensions, dans 81 pays, entre 1950 et 2010. Deux observations sont particulièrement importantes : i) le nombre total de réformes influant sur l’autonomie est plus de trois fois supérieur au nombre total de réformes ayant une incidence sur la participation ; et ii) un examen plus attentif révèle que ce sont les indicateurs budgétaires qui ont le moins fait l’objet de réformes. Les réformes sont trois fois moins susceptibles de concerner les aspects budgétaires (autonomie et pouvoir) et relatifs à l’emprunt (liberté et influence), que d'autres dimensions, comme le périmètre de compétences ou la représentation (graphique 3.11).
Encadré 3.3. ICR : autonomie et participation
L'autonomie (« self-rule ») désigne le pouvoir exercé par une collectivité territoriale, à l'échelle régionale, sur les administrés qui vivent dans cette région. Elle décrit le degré auquel une administration régionale est autonome plutôt que déconcentrée (complexité institutionnelle), la gamme des politiques dont la région est responsable (périmètre des compétences), le pouvoir fiscal indépendant dont jouit la région (autonomie fiscale), l'autonomie dont dispose la région en matière d’emprunt (liberté d’emprunter), et la présence d'un corps législatif et d'un exécutif indépendants (représentation).
La participation (« shared rule ») décrit le pouvoir dont dispose une administration régionale ou ses représentants au sein de l’administration nationale. Elle peut s’exercer par la présence de représentants de la région à la chambre haute du parlement national et par la participation à des réunions interadministrations avec les instances nationales et d'autres exécutifs régionaux. Comme pour l’autonomie, le pouvoir de participation d’une région se décline sur plusieurs dimensions :
le degré auquel les représentants de la région co-déterminent la législation nationale (pouvoir législatif) ;
le degré auquel l’exécutif de la région co-détermine la législation nationale (pouvoir exécutif) ;
le degré auquel les représentants de la région co-déterminent la répartition des recettes de l’impôt national (pouvoir budgétaire) ;
le degré auquel l'administration de la région co-détermine les limites infranationales et nationales en matière d’emprunt (influence en matière d’emprunt) ;
le degré auquel les représentants de la région co-déterminent les modifications de la Constitution.
L’annexe 1 fournit davantage de précisions sur les scores obtenus au regard de chacune de ces dix dimensions.
Sources : Keuffer, N. et A. Ladner (2018[12]), The Local Autonomy Index Project – Extent, Patterns and Effects of Local Autonomy in Europe ; Hooghe, L. et al. (2016[2]), Measuring Regional Authority: A Postfunctionalist Theory of Governance, Oxford University Press, Oxford.
Tableau 3.3. Nombre de réformes en regard des dix dimensions des compétences régionales
Dimension |
Effet positif |
Effet négatif |
Dimension |
Effet positif |
Effet négatif |
---|---|---|---|---|---|
Complexité institutionnelle |
81 |
27 |
Pouvoir législatif |
21 |
15 |
Périmètre des compétences |
76 |
20 |
Pouvoir exécutif |
21 |
1 |
Autonomie budgétaire |
37 |
11 |
Pouvoir budgétaire |
17 |
7 |
Liberté d’emprunter |
38 |
16 |
Influence en matière d’emprunt |
11 |
1 |
Représentation |
93 |
29 |
Réforme constitutionnelle |
27 |
17 |
Autonomie |
325 |
103 |
Participation |
97 |
41 |
Note : nombre de réformes produisant un effet positif ou négatif sur cinq dimensions de l'autonomie et cinq dimensions de la participation, dans 81 pays sur la période 1950-2010. Une réforme est prise en compte dès lors qu’elle entraîne une variation d'au moins 0.1 sur un score de l’ICR d'un pays au cours d'une année donnée.
Source : Schakel, A. et al. (2018[16]), Final Report on Updating the Regional Authority Index (RAI) for Forty-Five Countries (2010-2016).
Toutes les régions sont par l’accroissement de l’ICR (encadré 3.3). Le graphique 3.11 présente le score ICR concernées obtenu par les pays d’Amérique, d’Asie et d’Europe depuis 1950. Il apparaît clairement que les compétences régionales augmentent pour les trois groupes de pays et cette tendance est particulièrement observable à partir des années 1970. En 2010, la moyenne des compétences régionales était de 55 % supérieure à ce qu’elle était en 1950. Sur les 81 pays couverts par l’ICR, 52 ont enregistré une augmentation nette des compétence régionales et seulement neuf ont vu le niveau net de ces compétences diminuer3.
Encadré 3.4. Scores ICR des pays d’Amérique latine, d’Asie et d’Europe
En 1970, le score ICR moyen était de 10.3 pour l’Amérique, de 15.5 pour l’Asie, et de 17.3 pour l’Europe. En 2010, ces scores étaient passés respectivement à 22.6, 29.3 et 27.1. Une augmentation de 10 à 14 points indique que, en moyenne, chaque pays couvert par l’ICR a créé un échelon administratif intermédiaire doté de tous les moyens nécessaires. Une augmentation de 12 points de l’ICR correspond à l’établissement d’un niveau régional chargé de fonctions générales et soumis au veto de l’administration centrale (+ 2 points), investi de compétences en matière de politique économique et culturelle/éducative (+ 2 points), disposant du pouvoir de taux et d’assiette pour des impôts secondaires (+ 2 points), ayant la capacité d’emprunter sans autorisation préalable de l’administration centrale (+ 2 points), disposant d’une assemblée élue au suffrage direct (+ 2 points) et d’un exécutif régional nommé par l’assemblée régionale ou directement élu (+ 2 points).
Source : Schakel, A. et al. (2018[16]), Final Report on Updating the Regional Authority Index (RAI) for Forty-Five Countries (2010-2016).
Les réformes de régionalisation répondent à différents objectifs selon les pays. La taille du pays a son importance parce que les grands pays ont souvent plus d'échelons d'administration infranationale (OCDE-CGLU, 2016[18]). Cependant, de nombreux pays de taille relativement modeste ont aussi instauré ou renforcé un échelon régional au cours des dernières décennies. Les réformes de régionalisation ont pour principaux objectifs une intensification de la gouvernance en vue de réaliser des économies d'échelle dans la prestation des services publics, par exemple dans les secteurs de la santé et des transports publics. Les régions sont peut-être aussi mieux placées pour réagir à l’élargissement des marchés fonctionnels du travail. D’autres objectifs consistent à améliorer la coordination entre les niveaux locaux et intermédiaires de l’administration dans des domaines tels que la réalisation des infrastructures et l'aménagement du territoire. Des régions plus vastes sont par ailleurs supposées être plus compétitives : elles ont en effet une masse critique plus importante, davantage de ressources pour mettre en œuvre des stratégies de développement régional efficaces, ainsi que la possibilité d’encourager la coordination intrarégionale et d'appliquer une planification territoriale plus intégrée. Elles peuvent peut-être mieux cibler les avantages comparatifs régionaux du fait qu’elles ont plus accès aux savoirs locaux que l'administration nationale ou que des administrations locales morcelées.
Plusieurs pays ont créé de nouvelles régions, en particulier en Europe de l’Est dans le sillage de l’élargissement de l’UE. D'autres ont renforcé les régions existantes : c’est le cas des réformes récentes ou en cours dans les pays nordiques, en France ou en Italie. Dans plusieurs pays nordiques et d’Europe centrale et orientale, des responsabilités telles que l’enseignement supérieur, les soins de santé spécialisés et les transports publics régionaux, auparavant prises en charge par les administrations locales et centrales, ont été réaffectées à l'échelon régional nouvellement créé. Ces dernières années, quelques pays européens ont toutefois pris la direction opposée et réduit le rôle des régions. C’est le cas du Danemark, qui a restreint les responsabilités attribuées aux régions, par exemple, ou de la Hongrie, qui a mené des réformes de recentralisation.
Tableau 3.4. Principaux objectifs des réformes de régionalisation
Objectif général |
Objectifs en matière de gouvernance et de gestion |
Problèmes actuels à résoudre |
Contre-arguments |
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Réaliser des économies d'échelle dans la prestation des services publics |
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Renforcer la compétitivité et la croissance régionale |
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Renforcer la démocratie locale |
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Responsabilités conférées aux régions
Par comparaison avec les régions des États unitaires, les régions des pays fédéraux ont souvent des périmètres de compétences plus larges et une certaine latitude pour mettre en œuvre ou organiser certains grands domaines de la politique sociale, comme la santé, l'éducation et la protection sociale. Dans les fédérations, l’échelon régional est généralement responsable de ses emprunts, alors que la situation est plus variée dans les États unitaires. A contrario des collectivités locales, qui sont souvent à vocation générale, il n’est pas rare que les régions soient déconcentrées, possèdent un exécutif dual, ou jouissent d'une autonomie plus limitée, en particulier dans les États unitaires.
La quasi-totalité des régions qui ont une administration à vocation générale jouent un rôle dans la coordination et l'administration de l’enseignement (souvent secondaire), de la santé (soins spécialisés et hôpitaux), des services sociaux, des infrastructures et du développement économique, bien que les niveaux de compétences varient largement. Certaines régions autonomes ont un périmètre de compétences très restreint, comme les Regioner au Danemark ou les Provincias en Espagne. À l’autre extrémité du spectre, on trouve les États australiens, le Québec au Canada et les cantons suisses, qui ont toute latitude en matière de politiques publiques ainsi que les compétences en matière d'immigration, de citoyenneté et de résidence.
Certaines administrations régionales dépendent entièrement du centre ou de leurs collectivités membres pour leur financement, tandis que d'autres jouissent d'une autonomie fiscale et donc de ressources propres importantes, ainsi que d'une part protégée par la Constitution des transferts de l'administration centrale ou des impôts nationaux (partage des recettes fiscales). Les régions qui disposent entièrement de recettes fiscales importantes se trouvent par exemple aux États-Unis, au Canada et en Suisse.
Lorsque l’administration infranationale ne compte que deux échelons, c’est l'échelon régional – entre les collectivités locales et l'administration centrale – qui, parce qu’il opère à plus grande échelle, fournit généralement les services d'intérêt régional. Ceux-ci bénéficient ainsi d'économies d'échelle, génèrent des retombées, s'accompagnent d'une redistribution et sont tenus de respecter le même niveau de qualité sur tout le territoire (OCDE, 2017[19]). L’échelon régional peut aussi faciliter la coopération et la planification stratégique.
Dans un système à trois échelons, comme en Espagne, en France, en Italie et en Pologne, la répartition peut être complexe, donnant parfois lieu à des duplications, chevauchements et problèmes de coordination. Cependant, au cours des dernières décennies, l'échelon intermédiaire, dans une majorité de ces pays, a perdu une grande partie de ses compétences et responsabilités au profit des régions, lesquelles ont gagné en importance. Les administrations intermédiaires sont désormais chargées principalement de tâches administratives et déléguées, leurs budgets sont restreints et elles n’ont généralement qu’un pouvoir fiscal limité, voire nul.
Accroissement des compétences régionales : conséquences pour les politiques publiques et la gouvernance
La tendance à la régionalisation est claire dans les pays de l'OCDE comme dans le reste du monde, et elle entraîne plusieurs conséquences pour les politiques publiques et la gouvernance. Elle accentue la nécessité d’une coordination entre les échelons de l’administration ainsi que le besoin de clarifier l'attribution des responsabilités afin d'éviter tout chevauchement. Le fait que l’autonomie et la capacité budgétaires ne se soient pas renforcés au même rythme que d'autres dimensions (comme le périmètre des compétences) implique que les régions dépendent lourdement de l'administration nationale pour leur financement. Cette situation peut circonscrire l'autonomie de l’administration régionale au point que les transferts de l’administration centrale soient assortis de conditions. Il est fort probable que la tendance à la régionalisation continuera de progresser au cours des décennies à venir, l’objectif étant de générer des économies d'échelle dans la prestation des services publics et d'accroître l’efficacité des politiques de développement régional, compte tenu de la persistance des disparités territoriales. Cependant, dans le contexte actuel de crise de la démocratie s’exprime aussi un appel au renforcement des collectivités locales, l'échelon administratif le plus proche des citoyens. Les questions d'échelle doivent donc être contrebalancées/nuancées par l’obligation de rendre compte et l’exercice de la démocratie. La différenciation des responsabilités assignées aux différentes régions est une autre tendance qui pourrait se développer. La section qui suit étudie cette tendance en détail.
Tendance croissante à la décentralisation asymétrique
Les dispositifs asymétriques sont courants depuis au moins les années 1950, et leur attrait ne cesse de s'accroître. En 1950, il existait, dans la moitié environ des pays couverts par l'ICR, un type ou un autre de gouvernance différenciée au niveau régional. En 2010, près des deux tiers des pays couverts par l’IRC avaient institué des dispositifs asymétriques sous une forme ou une autre. La décentralisation asymétrique est toutefois en phase de transition, entre les années 1950 et 1970, les dispositifs asymétriques concernaient essentiellement l'échelon régional, alors qu’ils semblent désormais s'appliquer aux grandes zones urbaines. La décentralisation asymétrique peut être motivée par des facteurs politiques, économiques ou administratifs (Bird et Ebel, 2006[20]). La présente section examine les tendances récentes en matière de décentralisation asymétrique dans les pays de l'OCDE.
Qu’est-ce que la décentralisation asymétrique ?
La décentralisation est dite asymétrique lorsque des administrations d’un même échelon de l’administration infranationale possèdent des compétences politiques, administratives ou budgétaires différentes (Congleton, 2015[21]) (graphique 3.12). La décentralisation asymétrique sur le plan politique désigne des situations dans lesquelles des régions ou des administrations infranationales jouissent d'une autonomie politique qui ne représente pas la norme ni la moyenne.
La décentralisation asymétrique est souvent répartie en deux catégories, selon qu'il s'agit de dispositions de jure ou de facto (Martinez-Vazquez, 2007[22] ; Bird et Ebel, 2006[20]). La décentralisation asymétrique de jure est fondée sur le statut juridique spécial d'une région. Dans certains cas, ce statut est inscrit dans la Constitution, mais le plus souvent il est établi par la loi (et parfois les deux)5. Les régions dotées d'un statut spécial de jure bénéficient souvent d'une autonomie politique beaucoup plus large que les autres régions. Lorsque l’asymétrie a des fondements politiques, elle conduit habituellement aussi à une asymétrie administrative et budgétaire.
Même lorsque des administrations infranationales appartenant au même échelon de l’administration sont traitées de façon symétrique sur le plan du système politico-juridique, il peut néanmoins exister une asymétrie de facto dans la mise en œuvre concrète. Cette asymétrie administrative a souvent pour but de prendre en considération les différentes capacités des administrations infranationales. Elle peut par exemple consister à appliquer une politique nationale de manière différenciée dans le temps, de sorte que les administrations infranationales qui remplissent certains critères prédéterminés se voient accorder plus d'autonomie en matière de dépenses et de recettes. Les autres administrations infranationales peuvent alors évoluer pour accéder à ce statut au fil du temps.
Les dispositifs budgétaires asymétriques consistent en diverses mesures comprenant notamment un régime spécial pour les responsabilités relatives aux dépenses, l'assiette des recettes ou le pouvoir fiscal, ainsi que des transferts supplémentaires. Les principales formes que prend la décentralisation budgétaire asymétrique peuvent être résumées comme suit.
Compétences différenciées en matière de dépenses. Par exemple, certaines régions ou administrations infranationales peuvent se voir confier la fourniture de services spécifiques, qui seraient autrement assurés par l’administration centrale, ou du moins par un échelon supérieur de l'administration infranationale.
Autonomie différenciée en matière de recettes. Les administrations infranationales dotées de capacités plus grandes peuvent bénéficier d'une autonomie fiscale supérieure, qui peut aussi être utilisée pour collecter des redevances d’utilisation ou vendre des biens immobiliers.
Traitement différencié au sein du système de transferts. Les régions ayant des besoins de services uniques en leur genre ou un environnement opérationnel exceptionnel peuvent recevoir des dotations à usage spécifique ou bénéficier de critères particuliers pour les dotations fondées sur des formules de calcul. Des transferts spéciaux peuvent être utilisés à la place d’un régime d'autonomie différencié en matière de recettes.
Différenciation des règles budgétaires. Certaines administrations infranationales peuvent bénéficier d'une marge de manœuvre plus grande en matière d’emprunt, par exemple. Ce peut être le cas si une administration a des besoins spéciaux d’investissement public et si elle est à même d'assumer ses obligations.
Une tendance croissante à la décentralisation asymétrique
Au cours des sept dernières décennies environ, les dispositions asymétriques sont devenues de plus en plus courantes, surtout dans les États unitaires. En 1950, environ 45 % des pays couverts par l’IRC et constitués de régions pratiquaient une forme ou une autre de gouvernance modulée (autonomie, asymétrie ou dépendance). En 2010, cette proportion atteignait 62 % (Hooghe et al., 2016[2]) (graphique 3.13).
Les dispositifs asymétriques se multiplient dans les zones métropolitaines
La décentralisation asymétrique s’applique souvent à trois échelons différents : la région (ou l’État fédéré, la province), la métropole et l'échelon local (tableau 3.5). La tendance à la décentralisation asymétrique est toutefois en évolution, alors que ces dernières décennies, les dispositifs asymétriques concernaient essentiellement l'échelon régional, ils semblent désormais s'appliquer aux grandes zones urbaines et à une sélection de collectivités locales. Cette transition s’explique peut-être en partie par le fait que les avantages de l’urbanisation et des économies d'agglomération sont aujourd'hui mieux compris et acceptés.
Les dispositifs asymétriques se multiplient surtout dans les États unitaires
Si l’asymétrie est souvent une caractéristique de base des pays fédéraux, il en existe cependant différents degrés ; certains pays fédéraux sont ainsi fortement asymétriques, comme le Canada, l’Espagne, l’Inde et la Russie. Certaines fédérations favorisent plutôt la symétrie, comme l’Allemagne, l’Australie, l’Autriche, les États-Unis et la Suisse. Pourtant, même les fédérations les plus symétriques (comme les États-Unis et la Suisse) possèdent des éléments d’asymétrie (Bird, 2003[23] ; Dafflon, 2006[24]).
Tableau 3.5. Les différents échelons de la décentralisation asymétrique
Échelon régional |
Échelon métropolitain |
Échelon local |
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Dans les États unitaires, la symétrie est souvent l’un des principes de base de l’État, motivé par l’égalité et l'intégration des différentes régions du pays, comme au Chili et en France. Cependant, certains États unitaires ont de robustes éléments d’asymétrie, en particulier lorsqu'ils accordent un statut différent à des territoires qui ont une forte histoire ou identité (comme en Italie et au Royaume-Uni), ainsi qu’à des territoires périphériques comme des terres lointaines, des îles ou des régions isolées (Finlande, France et Portugal, par exemple).
La décentralisation asymétrique s'accentue dans les pays unitaires pour de nouvelles raisons, notamment comme dispositifs de gouvernance métropolitaine ou de décentralisation administrative asymétrique, ou encore pour octroyer davantage de responsabilités aux régions dotées de capacités plus grandes. Il apparaît ainsi une convergence entre pays unitaires et fédéraux dans leur tendance à développer la gouvernance modulée au niveau infranational (tableau 3.6).
Tableau 3.6. Décentralisation asymétrique et fédéralisme
États fédéraux |
États unitaires |
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Une convergence accrue ces dernières années |
Exemples de décentralisation asymétrique
Décentralisation asymétrique sur le plan politique
La décentralisation asymétrique sur le plan politique est couramment pratiquée dans les pays de l’OCDE, entre autres. Ce type de décentralisation concerne généralement l'échelon de la région (ou de l’État fédéré, de la province). En Italie, il existe actuellement cinq régions (sur 20) dotées d'un statut constitutionnel spécial, approuvé par le Parlement italien. Définies par la Constitution italienne en 1948, les îles de Sicile et de Sardaigne ainsi que les régions alpines du Val d’Aoste, du Frioul-Vénétie julienne6 et du Trentin-Haut-Adige jouissent d'un statut spécial dont le but est d'éviter les mouvements séparatistes et de protéger les minorités linguistiques. La décentralisation asymétrique implique que ces régions possèdent d'amples pouvoirs législatifs et d'une autonomie financière considérable. Le Val d’Aoste, par exemple, conserve 90 % du total des impôts qu'il perçoit, et la Sicile jusqu’à 100 %. Si la réforme de la Constitution italienne, en 2001, a accordé à toutes les régions italiennes d’importantes compétences dans le domaine législatif, l'évolution récente en Italie (surtout depuis 2009) indique que la tendance à la décentralisation a commencé à s’inverser, et qu'une recentralisation semble être en cours (mémoire du Conseil de l’Europe, 2015). Si la tendance à la centralisation prévaut dans toutes les régions sauf celles qui bénéficient d'un traitement asymétrique, les différences d’autonomie entre les cinq régions spéciales et les 15 régions ordinaires devraient s’accentuer. De plus, certains éléments récents indiquent qu'une différenciation reste prévue dans certains cas. Ainsi, les régions d’Émilie-Romagne, de Lombardie et de Vénétie ont récemment signé un projet d'accord avec le gouvernement italien en vue d'une autonomie accrue, bien que cette disposition doive encore être approuvée par le Parlement italien avant d’entrer en vigueur7.
La Corse, auparavant département français, est devenue une collectivité territoriale à statut particulier en 1991. Elle dispose de ses propres institutions (Assemblée de Corse et Conseil exécutif de Corse, chacun dirigé par un président) et de pouvoirs plus étendus que les autres régions françaises. Elle est malgré tout régie, dans tous les cas où n’existe aucune disposition spécifique, par le droit applicable aux régions. La réforme des régions de 2015 a ramené le nombre des régions françaises de 22 à 13, hormis la Corse (Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux du Conseil de l'Europe, 2016).
Au Canada, si la Constitution est fondée sur une base unifiée, elle autorise néanmoins des dispositifs asymétriques pour les provinces canadiennes. Plus précisément, la décentralisation asymétrique au Canada repose essentiellement sur le « fédéralisme à la carte », qui offre à chaque province le choix d’adhérer ou non à diverses dispositions. La province du Québec a fait usage de cette option plus fréquemment que les autres provinces (Smith 2005, Milne 2005). De manière générale, le Québec est un exemple de décentralisation asymétrique politique de jure qui repose sur des fondements historiques, culturels et linguistiques. Du fait qu’elle est la plus grande province et la deuxième des dix provinces du Canada par le nombre d’habitants, le Québec francophone est un membre influent au sein de l’administration fédérale du pays. Cette situation contraste avec celle de nombreux autres pays, où les dispositions asymétriques concernent surtout les régions de moindre importance économique. Le Québec dispose par exemple de compétences spécifiques en matière de santé, de régime de retraite, d’utilisation de la langue française dans l'administration et d'immigration. Bien que le mouvement séparatiste québécois bénéficie depuis les années 1980 d’un soutien croissant, la majorité des électeurs, consultés par référendum (1980 et 1995) ont voté contre l'indépendance. Quant à l’efficacité du modèle de décentralisation asymétrique du Canada, si les débats semblent se poursuivre au sujet du traitement équitable des provinces au sein de la fédération, l’objectif principal – préserver l’unité de la fédération canadienne – a été atteint (Bird et Vaillancourt, 2007[25]).
Au Royaume-Uni, depuis la réforme de 1998-1999 qui a délégué certains pouvoirs et responsabilités aux exécutifs régionaux élus, l’organisation et les fonctions des collectivités territoriales sont définies et réformées par le gouvernement (et le Parlement) du Royaume-Uni pour l’Angleterre, et par les instances déléguées pour le Pays de Galles, l’Écosse et l’Irlande du Nord.
Au Portugal, il existe aussi une organisation asymétrique pour deux régions autonomes – les Açores et Madère, qui ont des responsabilités législatives en tant que territoires extérieurs (il n’y a pas de région autonome sur le territoire continental du Portugal). Ces régions autonomes sont responsables du financement et de la supervision générale des collectivités locales sur leur territoire, et elles ont aussi le pouvoir législatif de créer, dissoudre et modifier les frontières des collectivités locales conformément aux lois nationales.
Décentralisation asymétrique sur le plan administratif
La Suède est un exemple de pays fortement décentralisé où les échelons infranationaux de l’administration accomplissent d’importantes missions et jouissent d'une grande autonomie, et où l'approche de la décentralisation est asymétrique et novatrice. La Suède possède une longue histoire de décentralisation asymétrique. Il existe entre les comtés de profondes différences géographiques, démographiques et socioéconomiques, ce qui a incité l’administration centrale à autoriser des initiatives et réformes ascendantes, visant à ajuster les structures de gouvernance et les compétences en fonction des capacités territoriales. Alors qu’une réforme régionale concernant tous les comtés aurait été politiquement difficile, ce sont les comtés eux-mêmes qui ont progressivement et volontairement appliqué eux-mêmes des réformes régionales.
En Finlande, le gouvernement prépare actuellement une vaste réforme régionale, qui sera lancée en 20208. Cette réforme consisterait à transférer aux 18 nouveaux comtés les services sanitaires et sociaux, ainsi que le développement régional et les services du marché du travail, qui relèvent actuellement, pour les premiers, des collectivités locales et, pour les seconds de l’administration centrale. Le secteur de la santé serait organisé de manière asymétrique, puisque les soins hospitaliers les plus pointus, y compris les secours d'urgence, ne seraient fournis que par 12 régions, les six autres régions n'étant pas jugées en mesure de le faire. De plus, la région métropolitaine de Helsinki, au sein de la région de Uusimaa, bénéficierait de dispositions spéciales en matière de développement régional et de services du marché du travail.
En France, en décembre 2017, plusieurs députés français ont présenté une proposition de loi visant à moduler et simplifier les normes applicables sur les territoires. L'objet de cette proposition serait de remplacer les normes réglementaires par des mesures adaptées à la diversité des situations locales. La loi proposée se fonde sur le constat de prolifération des normes applicables aux territoires. Il est également proposé de créer un principe de subsidiarité en chargeant les collectivités locales d'adapter les normes d'application de la loi. Les normes et critères (dans les secteurs du bâtiment, des travaux publics et de l’environnement, par exemple) seraient ainsi différenciés en fonction des particularités géographiques ou de l'administration locale.
Au Royaume-Uni, la loi de 2016 sur la délégation de pouvoirs aux villes et aux collectivités locales est considérée comme une étape importante vers la décentralisation. Cette loi apporte divers amendements à la loi de 2009 pour déléguer davantage de pouvoirs à des collectivités regroupées (logement, transports, planification et pouvoir de police) et pour mettre en place des maires élus directement grâce aux accords de délégations, les Devolution deals, qui font suite aux City deals antérieurs (OCDE, 2017[10]). Les nouveaux accords portent aussi sur les politiques budgétaires, décrites dans la section suivante.
Une autre raison intéressante, mais peut-être moins fréquente, motivant la décentralisation asymétrique est la déréglementation et la simplification des orientations administratives imposées aux collectivités locales. Au fil du temps, la réglementation normative s’est accumulée au point de devenir un obstacle à la fourniture efficace et à la réforme des services publics. La libéralisation des services assurés par les administrations infranationales n’est cependant pas une tâche aisée. C’est pourquoi de nombreux gouvernements choisissent souvent de procéder avec prudence, par exemple en mettant des solutions à l’essai. Par exemple, au Danemark, entre 2012 et 2015, neuf collectivités locales ont été dispensées d’appliquer les règles gouvernementales et les exigences documentaires afin de tester de nouveaux modes d’exécution de leurs missions, dans le cadre d’une expérience dénommée « Municipalité libre »9.
Décentralisation asymétrique sur le plan budgétaire
En Espagne au cours des dernières décennies, le gouvernement central a transféré des compétences de façon asymétrique aux administrations infranationales. Les communautés autonomes bénéficiant du régime foral (le Pays basque et la Navarre) ont un statut constitutionnel spécial et un pouvoir fiscal autonome, alors que les autres régions n’ont qu'un pouvoir fiscal local limité. Les communautés forales administrent de façon autonome l'impôt et peuvent en fixer le taux et l’assiette (dans certaines limites). C’est ainsi que les principales assiettes fiscales, telles que le revenu des particuliers, le bénéfice des sociétés, le patrimoine, les successions et les transferts de patrimoine, sont entièrement gérées par ces administrations régionales. Pour compenser les services que l'administration centrale fournit dans ces régions, celles-ci reversent une quote-part des impôts prélevés à l'administration centrale. Pour ce qui est des dépenses, le régime foral n’est pas différent du régime qui s’applique aux autres régions espagnoles (Garcia-Milà et McGuire, 2007[26]).
Au Royaume-Uni, le financement en capital des collectivités locales offre un exemple de décentralisation asymétrique sur le plan budgétaire. Alors que l’emprunt auprès de l’office des prêts pour les travaux publics (Public Works Loan Board) est la forme la plus courante de financement des équipements pour les collectivités locales, de nouveaux canaux se développent en parallèle pour l’accès aux ressources en capital destinées à financer les investissements dans les infrastructures locales. En 2013-2014, par exemple, le gouvernement britannique a instauré un mécanisme de financement adossé à la hausse des recettes, qui permet aux collectivités locales d’emprunter sur la base de l'accroissement futur des recettes de la taxe sur les biens immobiliers à usage commercial. Un autre exemple est le New Development Deal, une convention de développement dont bénéficient en particulier les villes jouissant d’un statut spécial tel que défini par l’administration centrale. Le budget 2012 a limité à GBP 150 millions le montant qui pouvait être emprunté sur la base de ces conventions, un financement qui ne serait autorisé que pour les « villes principales » (Chambre des Communes, 2016).
En Afrique du Sud, les 278 collectivités locales possèdent des compétences budgétaires et administratives différentes. Le gouvernement sud-africain a adopté une approche de décentralisation différenciée, en particulier sur le plan du financement local. Pour ce faire, les collectivités sont regroupées suivant différentes classifications. La Constitution de 1996 prévoit trois catégories : A (métropoles), B (collectivités locales) et C (districts). Des classifications différentes existent dans d’autres domaines, comme le cadre d'investissement local pour les infrastructures, qui définit sept catégories de collectivités, en fonction de leurs caractéristiques spatiales, de la taille et du budget de leurs institutions et des variables démographiques, entre autres. Le Trésor national classe lui aussi les collectivités ; il les répartit en six groupes de performance sur la base de variables économiques, démographiques et de performance comme l’accès aux services de base, le taux de pauvreté, la viabilité de la collectivité, le besoin de personnel, la dette locale, la densité de population et la taille de l’économie de la collectivité. Comme l'a souligné la Commission financière et budgétaire, l’existence des différentes classifications susmentionnées est une façon de reconnaître que les collectivités locales ont besoin d'une approche différenciée, tenant compte de leurs différents besoins et caractéristiques. Cette commission a toutefois soutenu que cette approche n’était pas toujours claire, et que certaines classifications ne sont pas toujours utiles pour prendre des décisions ou allouer les ressources. La raison en est que ces classements dépendent souvent des politiques publiques qu’ils sont censés servir et omettent souvent de prendre en considération les relations entre collectivités rurales et urbaines. De plus, ce grand nombre de méthodes de classement peut miner les stratégies coordonnées de prise de décisions et d'intervention (OCDE, 2017[19]).
En Colombie, les 1 101 collectivités locales sont chargées de fournir l’électricité, les transports urbains, le service cadastral (registre foncier), la planification locale et la police municipale. Les collectivités sont groupées en unités certifiées ou non-certifiées ; seules les collectivités certifiées sont autorisées à fournir des services importants comme ceux qui concernent la santé, l'éducation, l’eau et l’assainissement. Si la collectivité n’est pas jugée capable de fournir ces services ou n’y est pas admissible pour d'autres raisons, les services sont assurés par le niveau d'administration supérieur (département) (OCDE-CGLU, 2016[18] ; OCDE, 2014[27]).
En Norvège, les petites collectivités rurales qui tirent des recettes substantielles des centrales hydroélectriques offrent un autre exemple de décentralisation asymétrique sur le plan budgétaire. Ainsi, les collectivités où sont situées les centrales perçoivent des taxes et d'autres recettes de la part de la compagnie d'électricité. Ces recettes sont considérées comme une compensation pour les dommages environnementaux subis et elles jouent un rôle important dans le financement local de projets qui profitent à l’ensemble de la société. En 2007, le total des recettes par habitant perçues par les collectivités locales ayant des recettes d’hydroélectricité s'est élevé en moyenne à NOK 32 600 (USD 6 520). Par comparaison, les recettes de toutes les autres collectivités locales se montaient à NOK 28 300 (USD 5 430) (Borge, Parmer et Torvik, 2015[28]).
En Suède, le système de dotations inter-collectivités est un exemple de péréquation « à la Robin des Bois » qui compense une grande partie des différences entre les administrations infranationales eu égard à l’assiette des recettes et au coût des services. Une formule assez complexe sert à calculer les dotations accordées aux collectivités territoriales. Si le système de transferts est essentiellement fondé sur les dotations générales, des subventions discrétionnaires et des dotations conditionnelles sont aussi utilisées. Les dotations dites « structurelles », destinées à appuyer la politique régionale, visent à renforcer les collectivités peu peuplées, dont la population décroît ou dont le marché du travail est en difficulté. Ces dotations sont principalement accordées aux collectivités les plus éloignées, comme le comté de Norrland (OCDE, 2017[4])
Tableau 3.7. Décentralisation asymétrique, par type et par échelon : exemples de pratiques
Politique |
Administrative |
Budgétaire |
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---|---|---|---|
Régional |
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Métropolitain |
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Local |
- |
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Source : Allain-Dupré, Chatry et Moisio, 2018[53]
Conséquences pour l'action des pouvoirs publics
Il existe clairement une tendance au recours accru à la décentralisation asymétrique dans les pays de l’OCDE et le reste du monde. Les tendances montrent aussi que les dispositifs asymétriques, une fois adoptés, restent en place sur le long terme. Ainsi, la totalité des pays qui avaient, en 1950, des dispositifs de décentralisation différenciée avaient encore des régions différenciées en 2010, tandis que 10 des 24 pays sans différenciation en 1950 comptaient des régions différenciées en 2010 (Hooghe et al., 2016[2]).
Il n’existe pas de schéma préétabli ou de stratégie optimale qui permettrait de choisir entre une approche asymétrique ou symétrique, parce que la stratégie optimale dépend généralement de chaque cas et des circonstances locales. Il est néanmoins possible de formuler certaines observations et conclusions sur la base de la littérature économique et de l’expérience tirée de la pratique. La présente section vise à mettre en évidence les avantages et les inconvénients des dispositifs asymétriques en fonction de considérations essentielles relatives aux politiques publiques. La décentralisation asymétrique offre des avantages, mais pose aussi des problèmes. Les avantages sont liés au fait que les cadres institutionnels et budgétaires sont mieux adaptés aux capacités locales et peuvent permettre d'apporter une meilleure réponse aux besoins locaux. De manière générale, la décentralisation asymétrique favorise l’expérimentation, l'apprentissage par la pratique et l’innovation dans l'action des pouvoirs publics. En définitive, il s'agit d'une forme évoluée de politiques publiques territorialisées. Les problèmes que pose la décentralisation asymétrique sont associés au coût de la coordination d’un système complexe qui peut manquer de clarté pour les citoyens et conduire à des problèmes pour ce qui est de rendre compte aux administrés, notamment à l’échelon métropolitain. D’autres difficultés potentielles incluent les différences croissantes de capacités entre régions, qui nécessiteraient des systèmes de péréquation adéquats.
Une application des réformes modulée dans le temps peut aider les administrations centrales et infranationales à tirer des leçons des réussites et des erreurs, et à prendre des mesures pour réviser les réformes si nécessaire. Sous cet angle, la décentralisation asymétrique peut être considérée comme une forme d’expérimentation et de fédéralisme « à la carte », qui permet aux administrations infranationales de choisir volontairement les missions qui servent au mieux leurs propres intérêts (Congleton, 2015[21]). La décentralisation asymétrique contribue en outre à mettre en œuvre des cadres de gouvernance sur mesure et des politiques régionales territorialisées. Par exemple, les chocs exogènes majeurs tels que les catastrophes naturelles ou les effets des changements climatiques ont une incidence différente sur différentes régions. Le fait de tenir compte de préférences différentes en matière d'autonomie politique et budgétaire parmi les régions peut aussi apaiser les mouvements séparatistes et maintenir la stabilité politique.
Le risque qui est peut-être le plus important, en matière de décentralisation asymétrique, se rapporte au fait que, par définition, les dispositions asymétriques ne favorisent pas directement l’égalité de traitement entre citoyens et entre administrations infranationales. Dans certains cas, la décentralisation asymétrique peut donner l'impression que l’asymétrie est synonyme d’écart par rapport à l'objectif global d'égalité. Les missions assorties de dépenses comportant une claire dimension de redistribution, comme l'éducation, la santé et les services sociaux, seraient des exemples de tels services. De plus, le risque existe que la décentralisation asymétrique soit perçue comme un soutien aux régions ou administrations infranationales les plus riches. Les collectivités « favorisées » seraient ainsi en mesure d’attirer des citoyens et des entreprises venant d'autres régions, ce qui pourrait accélérer un développement économique et social différencié entre régions (Congleton, 2006[29]). S'ils sont largement appliqués, les dispositifs asymétriques peuvent réduire la transparence de la gouvernance ainsi que l’obligation de rendre compte, et se traduire par des systèmes administratifs complexes (Bahl et Martinez-Vazquez, 2005[30]). Comme pour la décentralisation en général, les effets et les résultats de la décentralisation asymétrique dépendent des modalités de mise en œuvre.
Partage des responsabilités, dépendance mutuelle et un rôle renouvelé pour les administrations centrales
Les politiques de décentralisation ont bien entendu une incidence sur les administrations infranationales, mais aussi sur les administrations nationales. Elles impliquent une rénovation du rôle des administrations centrales, qui devient plus stratégique mais aussi plus centré sur la mise en place des conditions d’une bonne coordination et d'un alignement des objectifs de l'action publique, d’un suivi de la performance des régions et des villes, et d'un développement équilibré de toutes les composantes du territoire national. Étant donné que la plupart des responsabilités sont partagées, les politiques de décentralisation supposent de gérer la dépendance mutuelle pour atteindre les objectifs communs.
La plupart des responsabilités sont partagées entre les administrations centrales et infranationales
Comme souligné au chapitre 2, la plupart des responsabilités – hormis la défense et la politique monétaire – font l’objet d'un partage entre les différents échelons de l’administration. Le degré de partage dépend aussi du service en question. Ainsi, les responsabilités sont plus souvent partagées dans le domaine des transports publics que dans les soins aux enfants ou aux personnes âgées (OCDE, 2016[31]). Parmi les exemples de responsabilités fréquemment partagées figurent les suivantes :
Les infrastructures physiques et l’investissement public connexe font partie des responsabilités les plus communément partagées (OCDE, 2014). Les administrations infranationales sont généralement responsables du réseau routier et des infrastructures de transport au niveau local. Ce sont habituellement les échelons supérieurs de l’administration qui gèrent les investissements assortis de fortes externalités.
L’éducation est le service public important le plus fréquemment partagé, et de façon approfondie, entre de multiples échelons de l’administration (OCDE, 2016[31] ; 2016[32]). Dans la plupart des pays de l’OCDE, les échelons inférieurs de l’administration sont chargés de la gestion et du financement des premiers degrés de l’enseignement (maternelle, primaire et parfois premier degré du secondaire), tandis que la responsabilité de l’enseignement secondaire, et surtout les degrés supérieurs, relève plus souvent des provinces, des régions ou de l’administration centrale. Par ailleurs, c’est l’administration centrale qui établit la législation cadre, tandis que les collectivités locales se chargent habituellement de l’entretien et de la construction des infrastructures physiques ainsi que de la rémunération du personnel, bien que, dans nombre de cas, elles n’aient pas le pouvoir effectif d’embaucher ou de fixer le niveau des salaires.
La santé est un secteur habituellement plus centralisé que l’éducation parce qu’il s'agit d'un système extrêmement complexe, où les différentes strates de l’administration ont des rôles spécifiques, mais souvent moins d'autonomie. (OCDE, 2016[32])
L’assistance ou la protection sociale est un domaine beaucoup plus varié, plus susceptible d’être géré conjointement, compte tenu du caractère fortement redistributif du service.
L'aménagement du territoire, au niveau local, relève généralement des instances locales, même si plusieurs pays utilisent des schémas directeurs définis au niveau intercommunal ou régional pour établir des plans d’occupation des sols. Les administrations nationales et régionales se chargent avant tout de l’aménagement stratégique et de la formulation de grandes orientations. La plupart des pays n’établissent pas de plans d'occupation des sols pour l’ensemble de leur territoire, mais se concentrent davantage sur les zones présentant une importance particulière (OCDE, 2017[33]).
Tableau 3.8. Responsabilités partagées entre échelons de l’administration dans les pays fédéraux et unitaires
Proportion de décisions faisant intervenir plus d'un échelon de l’administration (%)
|
Éducation |
Soins de santé tertiaires |
Services de transport |
Logement social |
Santé |
---|---|---|---|---|---|
Autriche |
13 |
||||
Australie |
78 |
||||
Argentine |
100 |
||||
Fédération de Russie |
34 |
38 |
44 |
26 |
|
Afrique du Sud |
2 |
34 |
74 |
61 |
|
Belgique |
59 |
42 |
16 |
23 |
39 |
Allemagne |
35 |
82 |
45 |
20 |
|
Italie |
11 |
58 |
44 |
59 |
29 |
Canada |
11 |
23 |
92 |
73 |
13 |
Suisse |
28 |
21 |
54 |
48 |
65 |
Espagne |
21 |
68 |
76 |
93 |
19 |
Brésil |
69 |
68 |
62 |
80 |
|
Mexique |
83 |
78 |
76 |
33 |
77 |
Moyenne pour les pays fédéraux |
35 |
46 |
62 |
54 |
45 |
Chili |
10 |
25 |
28 |
35 |
2 |
Nouvelle-Zélande |
0 |
12 |
5 |
56 |
36 |
Luxembourg |
6 |
38 |
13 |
28 |
32 |
Danemark |
23 |
11 |
33 |
25 |
67 |
Lettonie |
19 |
36 |
42 |
15 |
16 |
Pays-Bas |
0 |
60 |
45 |
40 |
26 |
Norvège |
37 |
35 |
37 |
31 |
26 |
Finlande |
31 |
31 |
42 |
22 |
44 |
Corée |
67 |
14 |
48 |
73 |
|
Indonésie |
67 |
67 |
31 |
60 |
|
Pologne |
43 |
44 |
61 |
48 |
41 |
Estonie |
38 |
58 |
51 |
78 |
20 |
Moyenne pour les pays unitaires |
30 |
36 |
36 |
43 |
28 |
Note : les calculs ci-dessus tiennent compte, pour chaque pays, des réponses « sans objet » et de l'absence de réponse.
Source : OCDE (à paraître), The Spending Power of Subnational Governments across Five Policy Sectors, Éditions OCDE, Paris.
La décentralisation implique un rôle renouvelé pour l’administration centrale
L'incidence de la décentralisation sur l'administration centrale est souvent sous-estimée. La décentralisation s'accompagne en effet de défis considérables pour l’administration centrale parce qu’elle nécessite une profonde modification de l'organisation, des pratiques, de la culture et des compétences au sein de l'administration centrale elle-même (Devas et Delay, 2006[34]).
Qui plus est, les réformes de décentralisation ont des effets non seulement pour l’administration centrale dans la capitale, mais aussi pour la représentation de l’État dans les territoires.
Si l'on ne prend pas pleinement la mesure de ce phénomène, la réussite des réformes peut être compromise, parce que le processus de réforme sera ralenti ou modifié (OCDE, 2017[10]). L’opposant le plus farouche aux efforts de décentralisation est souvent l'administration centrale elle-même, qui peut percevoir la décentralisation comme une menace (encadré 3.5).
Les réformes de décentralisation impliquent que l'administration nationale joue un rôle plus stratégique, centré sur la mise en place de stratégies, de conditions et de règles d’ensemble ainsi que d'incitations – plutôt que sur la mise en œuvre des politiques. Elles entraînent une modification du rôle de l’administration centrale qui, au lieu de participer directement à la prestation des services, doit plutôt rendre possible, conseiller et assister, assurer la cohérence, faciliter le travail des administrations infranationales et parfois aider au partage des bonnes pratiques entre collectivités locales. Il faut pour cela doter l’administration centrale de nouvelles capacités lui permettant de remplir ces nouvelles fonctions, lesquelles couvrent un large éventail de secteurs.
Encadré 3.5. Résistance de l’administration centrale aux réformes de décentralisation
C’est souvent l’administration centrale elle-même qui oppose la plus forte résistance aux réformes de décentralisation, même si elle est le principal promoteur de la réforme et est responsable de sa conception et de sa mise en œuvre. Les directions chargées de diriger le processus de décentralisation peuvent échouer à persuader d'autres directions ou ministères d'abandonner une partie de leurs pouvoirs.
Plusieurs raisons peuvent expliquer cette situation. En premier lieu, l’administration nationale n'a souvent qu'une confiance limitée dans les compétences des administrations infranationales et dans leur aptitude à rendre compte de leurs échecs (Gash, Randall et Sims, 2014[35]). Ensuite, la décentralisation peut entraîner une perte de postes de fonctionnaires et de maîtrise des affaires publiques. Enfin, elle exige de modifier en profondeur l’organisation, les pratiques, la culture et les compétences de l’administration centrale elle-même.
La décentralisation implique une diminution des effectifs de l’administration centrale. Elle peut aussi avoir une incidence directe sur des postes de fonctionnaires, en particulier s’ils sont transférés dans les administrations infranationales, ce qui peut s'accompagner d'une situation moins avantageuse en termes de statut, de salaires, de retraite et d'autres avantages. En Ukraine, par exemple, la décentralisation va réduire d’environ 30 % les effectifs de l'administration centrale car de nombreuses fonctions seront transférées aux échelons infranationaux (OCDE, 2018[36]). Au Chili, la création de régions autonomes, avec l’élection directe et démocratique des gouverneurs, aura aussi un impact sur les bureaux de représentation des ministères nationaux dans les régions (SEREMI) et des antennes régionales de l’administration centrale (OCDE, 2017[19]).
En France, c’est une question qui n'a été abordée que récemment. Les initiatives de décentralisation n’ont pas été accompagnées d'une réforme structurelle de l’administration centrale, surtout au niveau local. Cette situation a engendré des chevauchements de responsabilités, de services et de personnel entre l'administration centrale et les unités infranationales déconcentrées (OCDE, 2017[10]).
Sources : Gash, T., J. Randall et S. Sims (2014[35]), Achieving Political Decentralisation: Lessons from 30 Years of Attempting to Devolve Political Power in the UK, Institute for Government ; OCDE (2018[36]), Maintaining the Momentum of Decentralisation in Ukraine, https://dx.doi.org/10.1787/9789264301436-en ; OCDE (2017[19]), Making Decentralisation Work in Chile : Towards Stronger Municipalities, https://dx.doi.org/10.1787/9789264279049-en ; OCDE (2017[10]), Multi-level Governance Reforms : Overview of OECD Country Experiences, OECD Multi-level Governance Studies, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/9789264272866-en.
Il est essentiel que l'administration nationale ou fédérale fasse en sorte que la décentralisation n'accentue pas les disparités, en termes d’accès et de qualité, pour ce qui est des services publics fournis par les administrations infranationales dans leurs nouvelles fonctions. Il existe un risque d’hétérogénéité considérable des capacités financières et humaines, compte tenu des différences de ressources humaines et de performance locales entre les collectivités territoriales. Dans le contexte de l'approfondissement de la décentralisation, l’administration centrale doit relever ce défi à l’aide d'outils appropriés pour suivre, diagnostiquer et améliorer la performance des services locaux. Il pourrait s'agir par exemple de modèles de gestion et de certification reposant sur des normes de qualité minimales et des indicateurs de performance pour les services locaux essentiels. Au Chili, par exemple, un facteur clé, dans la réforme du système de gestion des collectivités locales, a consisté à fixer un minimum garanti pour les services locaux (Servicios Municipales Garantizados – SEMUG), afin de réduire les disparités horizontales entre collectivités. Dans un premier temps, ce sont sept services locaux qui constituent ensemble la « première génération » du service minimum garanti. Il s'agit de services qui ont une grande incidence sur la communauté ou qui sont assortis d'un coût ou d'un revenu élevé pour la collectivité. Le niveau garanti représente une quantité et une qualité minimales pour qu’un même ensemble de services puisse être assuré de façon certaine par toutes les collectivités locales du Chili, et accessible à tous les citoyens, où qu'ils habitent dans le pays. Les sept services sélectionnés comprennent 22 normes et 47 indicateurs (OCDE, 2017[19]). En Norvège, le système KOSTRA de mesure de la performance publie, sous forme électronique et dans un délai d'un mois après réception, les résultats des collectivités locales, appuyant ainsi la fourniture de services publics et la capacité des collectivités à cet égard. Certains autres pays de l'OCDE, comme les États-Unis, l’Italie ou les Pays-Bas, sont allés au-delà de la définition de normes minimales et ont élaboré des chartes de services afin d’encourager l'amélioration continue des services publics et de prendre des engagements clairs quant aux niveaux de qualité que les citoyens peuvent attendre.
Un autre défi que l'administration centrale doit relever concerne la gestion des ressources humaines, afin que la décentralisation n'aboutisse pas à une fonction publique à deux vitesses. Au Chili, par exemple, bien que les collectivités locales appliquent désormais les mêmes dispositions que l’administration centrale en termes d’emploi dans la fonction publique, elles n’offrent pas les mêmes conditions d’emploi. De ce fait, les capacités locales demeurent insuffisantes parce qu'il est difficile d'attirer et de retenir une main-d’œuvre hautement qualifiée. De bas salaires, des opportunités de carrière limitées et des enjeux politiques ne sont que quelques-uns des facteurs qui pèsent sur l’attractivité des administrations infranationales en tant qu’employeurs, et constituent donc un défi à relever pour que la décentralisation soit une réussite (OCDE, 2017[19]). La décentralisation devrait s'accompagner d'une convergence des statuts, des salaires et des avantages de la fonction publique aux niveaux central et infranationaux. Les disparités entre l'administration centrale et le secteur infranational peuvent être considérables. L’administration centrale a un rôle capital à jouer en matière de réglementation et de coordination pour faire en sorte que les administrations infranationales disposent de l'autonomie et de la flexibilité nécessaires dans ce domaine. Elle devrait ainsi définir le cadre général de l’emploi public (les conditions juridiques, financières et sociales de l’emploi, les procédures de recrutement, les catégories de personnel et la grille des salaires, les conditions du départ à la retraite, les règles déontologiques, la planification des effectifs, le système d’évaluation des performances, etc.), élaborer des programmes de formation et d'apprentissage pour combler le déficit de capacités, encourager la mobilité du personnel entre échelons de l’administration, etc.
L'administration centrale est aussi appelée à revoir son rôle de supervision et de suivi vis-à-vis des administrations infranationales, surtout en matière juridique et budgétaire. Le contrôle devrait en effet s’effectuer a posteriori plutôt qu’a priori. En ce qui concerne la supervision et le contrôle budgétaires et financiers, les dispositifs de contrôle ex post sont essentiels dans un contexte de décentralisation et d'autonomie budgétaire accrues. L'administration centrale a également un rôle à jouer eu égard au principe de l'autonomie locale. L'audit financier est nécessaire pour évaluer la qualité de l’information financière fournie ainsi que la fiabilité et l’exactitude des données financières et de la gestion fournies par les collectivités locales. En ce qui concerne l'audit externe, toutefois, la supervision financière de l’État et le système de contrôle des administrations infranationales devraient être adaptés au nouveau contexte de la décentralisation, et il pourrait se dérouler par exemple en liaison avec un organisme d'audit externe et indépendant. Dans plusieurs pays de l’OCDE, l’institution supérieure de contrôle des finances publiques peut vérifier à la fois les budgets de l’État et des collectivités locales, du côté des dépenses comme des recettes.
Encadré 3.6. Coordination de la fixation des salaires entre échelons central et locaux au niveau des administrations infranationales : l’expérience des pays de l’OCDE
L’OCDE a répertorié plusieurs raisons pour lesquelles une administration nationale peut chercher à influencer ou maîtriser la rémunération et d'autres conditions d’emploi du personnel dans les administrations infranationales. Des différences de conditions d’emploi pourraient : i) entraver la mobilité entre administrations publiques et entre échelons de l'administration, dans le but : ii) d’offrir un moyen de limiter ou plafonner la croissance de la dépense publique, ou ii bis) d'assurer la cohérence des conditions de l’emploi public. Les pays ont recours à divers instruments pour surveiller la masse salariale des collectivités locales, tout en accordant à celles-ci une certaine souplesse pour fixer elles-mêmes le niveau des salaires.
En Espagne, la loi qui réglemente la fonction publique réglemente aussi la structure salariale applicable aux fonctionnaires à l’échelon national et infranational. La hausse de rémunération annuelle est inscrite dans le budget général de l’État. Les emplois sous contrat sont régis par les conditions normales du marché du travail.
En France, chaque collectivité territoriale peut déterminer la rémunération et autres conditions d’emploi de ses agents, mais les mesures qu’elle peut prendre sont inscrites dans la loi et régies par la réglementation assez complexe des corps de l’État.
Au Danemark, les administrations infranationales fixent elles-mêmes le montant des salaires de leurs agents. Cependant, l’Autorité des employeurs publics entretient un dialogue informel et continu avec les associations locales et régionales qui font office d’employeur central pour l’administration infranationale. Cet organisme est aussi représenté au sein des conseils locaux et régionaux chargés des salaires et des tarifs, qui ont pour fonction de représenter les employeurs dans les négociations avec les syndicats de ces secteurs ; il dispose en outre d’un droit de veto au conseil régional.
Sources : OCDE (2008[37]), « Challenges of human resource management for multi-level government », Public Employment and Management Working Party, OCDE, Paris ; OCDE (2017[19]), Making Decentralisation Work in Chile : Towards Stronger Municipalities, https://dx.doi.org/10.1787/9789264279049-en.
C’est le cas en Allemagne, en France (Cour des comptes), en Italie (Corte dei Conti), en Pologne (NIK) et au Portugal, par exemple. Certaines institutions supérieures nationales de contrôle des finances publiques peuvent disposer d'un réseau de chambres régionales (Chambres régionales des comptes, en France, par exemple) (OCDE, 2018[36] ; 2017[19]).
Enfin, le rôle de l’administration nationale qui consiste à établir des mécanismes de coordination adéquats – favorisant l’alignement des objectifs et des politiques au sein des niveaux de l’administration et entre eux – est fondamental dans ce contexte en évolution. Il en va de même pour son aptitude à concevoir des instruments établissant des relations efficaces ainsi que la coopération et le dialogue entre administrations, car ils sont susceptibles de nourrir la confiance au sein d'un processus de réforme (encadré 3.7).
Ce rôle est particulièrement important pour les politiques de développement régional. Les responsabilités en la matière sont en effet aujourd’hui distribuées entre des acteurs nationaux, régionaux et locaux, qui ont des ressources, des objectifs et un statut juridique ou politique différents. Dans ce contexte, l'administration centrale joue un rôle de plus en plus important parce qu’elle peut offrir un cadre général et de grandes orientations pour les politiques de développement régional. Elle doit aussi superviser les mécanismes de coordination qui permettent de formuler et de mettre en œuvre la politique régionale.
Pour que les objectifs et les priorités soient alignés – en particulier dans les activités qui appuient le développement régional mais où les responsabilités ou les intérêts se chevauchent (développement économique, transports, santé et éducation, par exemple), des mécanismes verticaux de coordination sont nécessaires pour encourager une relation de partenariat entre les échelons de l’administration.
Encadré 3.7. L’évolution du rôle de l’administration centrale dans le contexte de la décentralisation
La France a commencé à tenir compte de cette nécessité en 2010 avec la réforme de l'administration territoriale de l’État (RÉATE), qui visait à rationaliser l’administration territoriale et améliorer les relations anciennes et complexes entre déconcentration et décentralisation. En 2015, la loi portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) a découlé d'une réflexion sur la modernisation du fonctionnement des services de l’État au niveau territorial et d’une redéfinition de leur rôle et de leurs missions (Charte de la déconcentration). Plus récemment, le gouvernement français a donné une nouvelle impulsion dans cette direction, sur la base des recommandations formulées par le Comité Action Publique 2022 (CAP 22), face à la nécessité de tirer toutes les conséquences de la décentralisation, d'éliminer le chevauchement des compétences entre les administrations centrale et infranationales et de repenser le rôle ainsi que les domaines et méthodes d’intervention de l’État à l'échelle régionale et locale.
Certains pays de l’OCDE se sont attachés, très tôt dans leur processus de décentralisation, à améliorer les structures de gouvernance entre niveaux d'administration et entre secteurs (chapitre 5). Au Danemark, le Forum sur la croissance régionale intègre les activités de développement au niveau local, régional, national et européen au sein d'une seule et même structure de programmation. En Suède, la politique de croissance régionale vise à améliorer la compétitivité locale et régionale dans toutes les régions grâce à des programmes régionaux et à une amélioration de la coordination régionale et sectorielle (OCDE, 2010[38]).
Encadré 3.8. Le rôle rénové de l’administration centrale dans la gestion des politiques de développement régional
Dans le nouveau paradigme des politiques de développement régional, de nouveaux rôles sont apparus pour l’administration centrale :
favoriser le consensus et la cohérence entre régions et secteurs, notamment par la définition d’objectifs, de calendriers et de périmètres territoriaux ;
recueillir et analyser des données et informations appropriées, et coordonner des débats et des bases de données à propos des besoins et des opportunités ; faciliter le dialogue entre les décideurs ;
construire des cadres juridiques, budgétaires et administratifs, des cadres ou des grandes orientations permettant de gérer la complexité, la pluralité et l'imbrication des hiérarchies qui caractérisent la plupart des modes de coordination ;
faire office de « cour d'appel » pour les différends entre secteurs et entre régions, y compris en assumant la responsabilité politique de la décision ultime, tout particulièrement en cas de défaillance de la gouvernance ;
s’employer à rééquilibrer les différentiels de pouvoirs entre secteurs, régions et échelons de l’administration ; pour un bon fonctionnement de l’ensemble du système de gouvernance, l’administration nationale peut et doit aider les entités plus faibles à construire des stratégies de développement des capacités (y compris en assurant elle-même une formation) ;
évaluer et suivre les résultats de l’action publique ; combler les déficits d'informations et améliorer la qualité de la prise de décisions par les acteurs à tous les échelons de l’administration (OCDE, 2010[38]).
Source : OCDE (2010[38]), Regional Development Policies in OECD Countries, https://doi.org/10.1787/9789264087255-en>.
Assurer un développement équilibré en tous points du territoire national
Dans un contexte décentralisé, l'administration nationale a un rôle clé à jouer pour assurer un développement équilibré en tous points du territoire national et pour minimiser le risque potentiel d’une aggravation des disparités (chapitre 4). Pour ce faire, elle peut appliquer des politiques actives de développement régional au niveau national ainsi que des politiques de péréquation bien conçues, qui encouragent les efforts de développement des administrations infranationales. La péréquation budgétaire vise à corriger les déséquilibres entre collectivités territoriales, de façon à favoriser l'équité entre territoires, qu'il s'agisse de régions ou de localités.
Les disparités budgétaires peuvent être de deux ordres : différences de capacités de mobilisation de recettes ou différences de besoins de financement au titre des services publics. Dans la première catégorie, les inégalités en matière de recettes fiscales résultent de différences de PIB par habitant entre juridictions. Dans la seconde, les inégalités peuvent tenir à des facteurs géographiques spécifiques (régions montagneuses, îles, zones isolées ou faiblement peuplées, etc.) ou à la présence en plus grand nombre de groupes particuliers – enfants, personnes âgées, personnes handicapées, etc. – qui renchérissent le coût par unité de service, relevant ainsi le coût global des services publics.
Les mécanismes de péréquation sont largement utilisés dans les pays de l'OCDE, fédéraux comme unitaires, qu'il s'agisse de transferts verticaux (de l’administration centrale ou fédérale vers les administrations infranationales financièrement plus faibles) ou de transferts horizontaux (des collectivités les plus riches vers les plus pauvres) ou les deux (chapitre 5). Ces mécanismes visent en outre à mettre en place des normes nationales destinées à garantir l'égalité d'accès aux services locaux et un niveau minimal de qualité dans la prestation des services publics locaux.
La plupart des pays de l'OCDE appliquent divers dispositifs de péréquation, qui associent redistribution horizontale et verticale avec une péréquation des recettes fiscales et des coûts. C’est la péréquation verticale qui prévaut généralement, même si chaque système présente des avantages et des inconvénients (OCDE, 2013[39]). Les mécanismes de péréquation des recettes fiscales et des coûts représentent à peu près le même volume, même si les différences de recettes fiscales sont entre quatre et six fois plus grandes que les disparités des coûts (Kim et Lotz, 2008[40]). Lorsqu'il s'agit d’instaurer un système de péréquation, l’une des principales difficultés réside dans la manière de mesurer la capacité à mobiliser des recettes fiscales ou le coût des services (chapitre 5).
En Allemagne, la règle de l'uniformité des conditions de vie de tous les citoyens de la fédération ainsi que le principe de péréquation sont inscrits dans la Constitution. En Suisse, le mécanisme de péréquation a été établi en 1958 par la loi fédérale sur la péréquation financière et entièrement réformé en 2008.
En Australie, la péréquation budgétaire n’est pas mentionnée dans la Constitution, mais l’objectif de répartition équitable est important. Le pays cherche en effet à s'assurer que tous les États aient la même capacité budgétaire par habitant, afin d’offrir les mêmes services et les mêmes infrastructures à tous les résidents.
En Italie, le mécanisme de péréquation horizontal entre les régions, créé en 2001, a été réformé dans le cadre de la loi 42/2009, renforçant la péréquation verticale par le biais d'un fonds géré par l’État. Il vise à garantir le financement des services publics essentiels (santé, éducation et assistance sociale, par exemple) dans les régions dont les recettes fiscales sont modestes.
En Suède, le système de péréquation verticale et horizontale repose sur cinq allocations, visant notamment à l’égalisation des revenus et des coûts. Ce système est régulièrement révisé en vue d'évaluer les effets contreproductifs et dissuasifs qu’il pourrait avoir et de corriger toute dérive, dans une direction ou une autre.
Dans la plupart des cas, la péréquation produit des effets substantiels sur la réduction des disparités budgétaires entre administrations infranationales dans l’OCDE (encadré 3.9). Cependant, la péréquation fait souvent l’objet de débats techniques et politiques, et de critiques à l’encontre de sa complexité, de son manque de transparence et de ses effets potentiellement négatifs en ce qu'ils inciteraient à élargir l’assiette fiscale et accroître le niveau des dépenses (OCDE, 2013[39] ; 2018[41]).
Encadré 3.9. La péréquation dans les pays de l'OCDE : quelques chiffres clés
Pour un ensemble de 15 pays de l'OCDE, la péréquation représente environ 2.3 % du PIB, 4.8 % du total des dépenses publiques et environ la moitié de l’ensemble des dotations interadministrations au titre des transferts de péréquation budgétaire, ce qui confirme qu’il reste une ample marge d'amélioration de la péréquation.
Dans les pays de l'OCDE, la péréquation s’accompagne d'un robuste effet de redistribution ; en moyenne, la péréquation budgétaire réduit les disparités des capacités de collecte de recettes – telles que mesurées par le coefficient de Gini ou de variation – de près des deux tiers, l'abaissant de 29 % à 10 %. Dans certains pays, comme l’Allemagne, l’Australie et la Suède, les disparités à ce titre ont ainsi pratiquement disparu. Après péréquation, les disparités budgétaires sont nettement moins grandes que les disparités économiques, telles que mesurées par le PIB régional. En d'autres termes, l’aptitude à fournir les services publics est répartie plus également que la production économique.
Sources : Keuffer, N. et A. Ladner (2018[12]), The Local Autonomy Index Project – Extent, Patterns and Effects of Local Autonomy in Europe ; OCDE (2013[39]), Fiscal Federalism 2014 : Making Decentralisation Work, https://dx.doi.org/10.1787/9789264204577-en.
Références
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[30] Bahl, R. et J. Martinez-Vazquez (2005), Sequencing Fiscal Decentralization.
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[20] Bird, R. et R. Ebel (2006), « Subsidiarity, solidarity and asymmetry: Aspects of the problem », dans Bird, R. et R. Ebel (dir. pub.), Fiscal Fragmentation in Decentralised Countries, Edward Elgar Publishing Limited et Banque mondiale.
[25] Bird, R. et F. Vaillancourt (2007), « Expenditure-based equalization transfers », dans Martinez-Vazquez, J. et B. Searle (dir. pub.), Fiscal Equalization, Springer, https://doi.org/10.1007/978-0-387-48988-9_11.
[8] Blöchliger, H. et J. Kim (dir. pub.) (2016), Fiscal Federalism 2016 : Making Decentralisation Work, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/9789264254053-en.
[28] Borge, L., P. Parmer et R. Torvik (2015), « Local natural resource curse? », Journal of Public Economics, vol. 131/C, pp. 101-114.
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[16] Schakel, A. et al. (2018), Final Report on Updating the Regional Authority Index (RAI) for Forty-Five Countries (2010-2016).
Notes
← 1. La note de la Turquie : Les informations figurant dans ce document et faisant référence à « Chypre » concernent la partie méridionale de l’Ile. Il n’y a pas d’autorité unique représentant à la fois les Chypriotes turcs et grecs sur l’île. La Turquie reconnaît la République Turque de Chypre Nord (RTCN). Jusqu’à ce qu’une solution durable et équitable soit trouvée dans le cadre des Nations Unies, la Turquie maintiendra sa position sur la « question chypriote ».
La note de tous les États de l’Union européenne membres de l’OCDE et de l’Union européenne : La République de Chypre est reconnue par tous les membres des Nations Unies sauf la Turquie. Les informations figurant dans ce document concernent la zone sous le contrôle effectif du gouvernement de la République de Chypre.
← 2. Les combined authorities, au Royaume-Uni, constituent une exception importante à cet égard. Depuis la réforme de 2016, il est possible d'organiser l'élection directe du maire, et les combined authorities ayant à leur tête un maire élu directement peuvent relever de 2 % le taux de la taxe sur les biens immobiliers à usage commercial. Cette réforme est entrée en vigueur dans six de ces collectivités lorsque leur maire a été élu, le 4 mai 2017. Ces données ne sont pas entrées dans la mise à jour de l’ICR pour 2010-2016.
← 3. Pour les 48 pays couverts par l’ICR pendant la totalité des 60 années, les compétences régionales sont passées d'une moyenne de 8.1 à 12.6.
← 4. En particulier, il se dessine depuis peu, dans des pays de l'OCDE comme l’Allemagne, le Danemark et la Norvège, une tendance à la recentralisation de la prestation des soins de santé. C’est une option qui a aussi été envisagée en Suède. La proposition consistait à réorganiser le système de santé de façon à confier les soins de santé primaires aux collectivités locales et à rapprocher les soins spécialisés des centres de recherche. Une telle décision aurait entraîné une recentralisation des soins de santé spécialisés. Cependant, la réforme régionale qui est en cours en Suède ne va pas dans cette direction, même si certaines options sont en discussion.
← 5. Cette répartition des dispositifs asymétriques (sur une base légale) entre statut constitutionnel et statut légal simple est bien sûr une description simplifiée de la réalité. Dans de nombreux cas, comme en Espagne par exemple, les régions peuvent avoir un statut spécial en vertu de la Constitution et de la loi ordinaire.
← 6. La région du Frioul-Vénétie julienne jouit d'un statut spécial depuis 1963.
← 7. Source : http://www.italianinsider.it/?q=node/6454 (consulté le 16 mai 2018).
← 8. Pages internet du ministère finlandais de la Santé et des Affaires sociales : http://alueuudistus.fi/en/artikkeli/-/asset_publisher/10616/sote-ja-maakuntauudistus-voimaan-1-1-2020-maakuntavaalit-lokakuussa-2018?p_p_auth=opMDJ79x (consulté en février 2018).
← 9. En réalité, la tradition d’expérimentation dans le cadre de l’initiative « Municipalité libre » remonte aux années 1980 dans plusieurs pays nordiques. Les premiers essais ont été lancés en Suède en 1984, au Danemark en 1985, en Norvège en 1987 et en Finlande en 1989. (Gouvernement suédois, 1991). La Norvège a adopté, dès 1993, une loi sur l’expérimentation continue, qui autorise l’expérimentation volontaire dans les collectivités locales, les comtés et l'administration centrale.