Ce chapitre examine la situation sur le marché du travail des émigrés tunisiens en âge de travailler au travers d’indicateurs clés et la compare à celle d’autres groupes d’émigrés. Les émigrés tunisiens ont un taux d’emploi relativement bas et un taux de chômage élevé dans les principaux pays d’accueil de l’OCDE, à l’exception du Canada, des États-Unis, de l’Israël et de la Suisse. Un regard plus précis est porté sur l’évolution dans le temps. Des distinctions selon le sexe et le niveau d’éducation mettent en évidence l’hétérogénéité des situations. Les émigrés tunisiens au niveau d’éducation faible rencontrent particulièrement plus de difficultés sur le marché du travail. Les secteurs d’activité et professions dans lesquels les émigrés tunisiens travaillent sont plutôt de nature peu qualifiés, à l’exception de quelques professions hautement qualifiées. Enfin, le taux relativement faible de déclassement parmi les émigrés et leurs descendants témoigne d’une qualité de l’emploi correcte.
Talents à l'étranger
Chapitre 4. Situation des émigrés tunisiens sur le marché du travail
Abstract
Les données statistiques concernant Israël sont fournies par et sous la responsabilité des autorités israéliennes compétentes. L’utilisation de ces données par l’OCDE est sans préjudice du statut des hauteurs du Golan, de Jérusalem Est et des colonies de peuplement israéliennes en Cisjordanie aux termes du droit international.
Ce chapitre aborde la question de l’intégration sur le marché du travail des émigrés tunisiens. Les indicateurs de participation au marché du travail, d’emploi et de chômage sont présentés pour l’ensemble des émigrés tunisiens. Ces résultats sont ensuite exposés par pays de destination, puis dans une perspective dynamique, afin de prendre en compte les évolutions récentes de l’intégration des émigrés tunisiens sur le marché du travail. Un regard plus précis est porté sur l’intégration dans l’emploi selon le sexe et le niveau d’éducation. La situation des descendants d’émigrés est ensuite mise en évidence. Les secteurs et professions occupés par les émigrés tunisiens sont décrits, ainsi que la qualité de leurs emplois.
Une intégration sur le marché du travail assez délicate
Une participation au marché du travail qui diffère selon les pays de destination
Plus des deux tiers (69 %) des émigrés tunisiens âgés de 15 à 64 ans participent au marché du travail dans les pays de l’OCDE, un taux1 inférieur de seulement cinq points à celui des populations nées dans le pays et des émigrés pris dans leur ensemble. Leur taux de participation au marché du travail est néanmoins supérieur de deux points de pourcentage à celui des émigrés des pays d’Afrique du Nord (Graphique 4.1).
Les différences de taux de participation des émigrés tunisiens dans les principaux pays de destination sont considérables (Graphique 4.1). Le taux de participation est particulièrement faible aux Pays-Bas (59 %) et en Belgique (65 %), tandis que des taux très élevés sont enregistrés au Canada (77 %) et en Suisse (75 %). Dans l’ensemble, les taux de participation au marché du travail sont plus élevés en Amérique du Nord ainsi qu’en Europe du Nord et en Suisse et plus bas dans les pays d’accueil d’Europe de l’Ouest. Cela renvoie en partie à la distribution par niveau d’éducation des émigrés tunisiens dans ces pays, qui est discutée en détail plus bas.
Les écarts entre les taux de participation des personnes nées dans le pays et ceux des émigrés tunisiens sont de surcroit plus élevés dans les pays européens qu’aux États-Unis ou au Canada, où la sélection des émigrés tunisiens est forte, ainsi qu’en Italie, où les taux de participation des personnes nées dans le pays sont relativement bas. Le Canada fait figure d’exception puisque les émigrés tunisiens participent plus au marché du travail que les émigrés d’Afrique du Nord dans leur ensemble et que l’ensemble des émigrés. Aux États-Unis et au Canada, le niveau d’éducation des émigrés tunisiens est particulièrement élevé (voir chapitre 3), ce qui peut en partie expliquer ce résultat.
Des taux d’emploi relativement bas et un chômage élevé
La participation relativement élevée des émigrés tunisiens au marché du travail cache un taux d’emploi relativement faible et un taux de chômage globalement élevé en comparaison avec les personnes nées dans le pays, mais aussi par rapport aux autres groupes d’émigrés.
Le taux d’emploi des émigrés tunisiens, qui s’élève à 53 % en moyenne dans les pays de l’OCDE en 2015/16, reste relativement bas par rapport à celui des émigrés pris dans leur ensemble (Graphique 4.2), mais demeure supérieur à celui des émigrés nord-africains. Environ 15 points de pourcentage séparent le taux d’emploi des émigrés tunisiens de celui des émigrés pris dans leur ensemble. De même, l’écart entre le taux d’emploi des personnes nées dans le pays et celui des émigrés tunisiens s’élève à 13 points de pourcentage.
Des taux d’emploi relativement faibles peuvent être constatés dans l’ensemble des plus importants pays d’accueil des émigrés tunisiens, sauf en Israël, au Canada, en Suisse et aux États-Unis (Graphique 4.2). La Belgique est le pays où le taux d’emploi des émigrés tunisiens est le plus faible. En 2015/16, seuls 44 % des émigrés tunisiens d’âge actif y sont en emploi, tandis qu’au Canada et aux États‑Unis, leur taux d’emploi est respectivement de 67 % et 71 %. La composition en termes de niveau d’éducation des émigrés tunisiens peut expliquer en partie l’écart observé entre pays. Les émigrés tunisiens aux États-Unis sont en effet 61 % à avoir un niveau d’éducation élevé et 81 % au Canada, contre 24 % en Belgique (voir chapitre 3).
Toutefois, l’écart entre le taux d’emploi des émigrés tunisiens et celui des personnes nées dans le pays est aussi relativement élevé au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas. Dans la grande majorité des pays de destination, les émigrés tunisiens ont des taux d’emploi plus bas que la moyenne des émigrés mais plus élevés que les émigrés d’Afrique du Nord.
Plus de 70 000 émigrés tunisiens sont au chômage dans les pays de l’OCDE, soit près d’un quart des actifs (23 %). Le taux de chômage des émigrés tunisiens est plus élevé que celui des personnes nées dans le pays (Graphique 4.3). En moyenne, le taux de chômage des émigrés tunisiens en 2015/16 dans les pays de l’OCDE s’élève à 23 % tandis qu’il est de 7 % pour les personnes nées dans le pays. Les écarts avec les autres populations, tout comme les niveaux, sont très contrastés entre les différents pays de l’OCDE. Au Royaume‑Uni, plus d’un émigré tunisien actif sur quatre est au chômage, alors que le taux de chômage des personnes nées dans le pays est de 5 %. En Belgique, le taux de chômage des émigrés tunisiens s’élève à plus de quatre fois celui des natifs (respectivement 32 % et 7 %) et à environ six fois plus en Suède (respectivement 18 % et 3 %). En France et en Italie, principales destinations des émigrés tunisiens dans les pays de l’OCDE, leur taux de chômage est aussi deux fois plus élevé que celui des natifs. De tels écarts avec la population majoritaire ne sont pas observables en Israël et aux États‑Unis. Dans ce pays, les émigrés tunisiens ont un taux de chômage deux fois inférieur à celui des personnes nées dans le pays (respectivement 3 % et 6 %) et de deux points inférieur à celui de l’ensemble des émigrés d’Afrique du Nord.
Les émigrés tunisiens sont de plus en plus actifs sur le marché du travail dans leurs principaux pays de destination
En France et en Italie, les principaux pays de destination des émigrés tunisiens, le taux d’emploi des émigrés tunisiens s’améliore (Graphique 4.4, panel A), dans le même temps que le taux de chômage augmente (Graphique 4.4, panel B). Entre 2000/01 et 2015/16, le taux d’emploi des émigrés tunisiens est passé de 43 % à 51 % en France et est resté stable à près de 51 % en Italie. Durant cette même période, le taux de chômage des émigrés tunisiens a augmenté de 23 % à 26 % en France et de 12 % à 22 % en Italie. Ces variations traduisent la hausse de la participation des émigrés tunisiens au marché du travail dans ces deux pays, les taux de participation ayant aussi augmenté sur la période, en particulier pour les femmes (voir discussion ci-dessous et Graphique d’annexe 4.A.1).
Une intégration sur le marché du travail différenciée selon les caractéristiques sociodémographiques
Les femmes sont peu insérées dans l’emploi mais l’écart avec les hommes s’atténue avec le temps
De fortes différences existent entre hommes et femmes en termes d’insertion sur le marché du travail parmi les émigrés tunisiens. Les femmes émigrées tunisiennes ont un taux de chômage plus élevé que les hommes et un taux d’emploi inférieur. Dans l’ensemble des pays de l’OCDE, en 2015/16, parmi les émigrés tunisiens, le taux de chômage des femmes s’élevait à près de 28 % tandis que celui des hommes était de 21 %, soit deux à trois fois plus que celui de l’ensemble des émigrés. Les hommes étaient par ailleurs 1.6 fois plus en emploi que les femmes en 2015/16 (62 % contre 39 % pour les femmes) (Tableau 4.1).
Les taux d’emploi des hommes comme des femmes émigré(e)s tunisien(ne)s continuent d’augmenter depuis 2000/01. Au total sur les quinze dernières années, l’augmentation du taux d’emploi des femmes a été plus prononcée que celui des hommes ; le ratio des taux d’emploi hommes-femmes est ainsi passé de 1.8 en 2000/01 à 1.6 en 2015/16 (Tableau 4.1). Les autres groupes d’émigrés n’ont pas connu de réduction aussi importante de l’écart hommes-femmes en termes de taux d’emploi.
Tableau 4.1. Taux d’emploi et de chômage des émigrés tunisiens dans les pays de l’OCDE selon le sexe, 2000/01 et 2015/16
|
Taux d'emploi |
Taux de chômage |
||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
|
Hommes |
Femmes |
Hommes |
Femmes |
||||
|
2000/01 |
2015/16 |
2000/01 |
2015/16 |
2000/01 |
2015/16 |
2000/01 |
2015/16 |
Nés en Tunisie |
56% |
62% |
32% |
39% |
19% |
21% |
24% |
28% |
Nés en Afrique du Nord |
57% |
63% |
33% |
36% |
17% |
22% |
23% |
31% |
Nés à l'étranger |
64% |
76% |
46% |
60% |
9% |
8% |
10% |
10% |
Nés dans le pays |
65% |
72% |
45% |
60% |
7% |
7% |
8% |
7% |
Source : Base de données sur les immigrés dans les pays de l’OCDE (DIOC) 2000/01 et 2015/16, www.oecd.org/fr/els/mig/dioc.htm.
L’écart en termes de taux d’emploi entre les hommes et les femmes est assez hétérogène selon les pays. Le taux d’emploi des femmes tunisiennes est relativement faible dans les pays européens (Graphique 4.5). En Belgique, le taux d’emploi des émigrées tunisiennes est de 34 %, soit un des plus faibles parmi les pays de la zone considérée, et s’accompagne d’un écart marqué avec les hommes, dont le taux d’emploi s’élève à 59 %. Au Canada, bien que le taux d’emploi des femmes soit plus faible que celui des hommes, les niveaux restent supérieurs à ceux des pays européens. Israël fait figure d’exception car le taux d’emploi des femmes dans ce pays est relativement comparable à celui des hommes au sein des émigrés tunisiens, à l’instar de ce qui est observé pour les natifs du pays.
Les normes socioculturelles, les caractéristiques démographiques et la composition des ménages en Tunisie, et plus largement dans les pays nord africains, peuvent contribuer à expliquer la participation au marché du travail plus faible des femmes que des hommes, comme c’est le cas par exemple pour le Maroc (Chicha, 2013[1]), et une intégration sur le marché du travail dans l’ensemble moins réussie pour les émigrées tunisiennes.
Les émigrés tunisiens ayant un faible niveau d’éducation ont une moins bonne situation sur le marché du travail
L’insertion sur le marché du travail dépend fortement du niveau d’éducation : les moins diplômés sont ceux qui rencontrent le plus de difficultés sur le marché du travail. Le Tableau 4.2 montre que l’écart en termes de taux de chômage en 2015/16 entre les émigrés tunisiens ayant un faible niveau d’éducation et ceux diplômés du supérieur était de 12 points de pourcentage (respectivement 26 % et 16 %) tandis que celui en termes de taux d’emploi était de 21 points (45 % contre 66 %).
En 2015/16, plus d’un émigré tunisien peu diplômé actif sur quatre était au chômage, soit plus de deux fois plus que l’ensemble des émigrés peu qualifiés et que les personnes peu qualifiées nées dans le pays. Le taux de chômage des émigrés tunisiens diplômés du supérieur est aussi plus de trois fois plus élevé que celui des natifs diplômés du supérieur et plus de deux fois plus que l’ensemble des émigrés diplômés du supérieur. En revanche, quel que soit le niveau d’éducation considéré, le taux de chômage des émigrés tunisiens est inférieur à celui des émigrés d’Afrique du Nord et de façon similaire, le taux d’emploi des émigrés tunisiens est supérieur à celui des émigrés d’Afrique du Nord.
Les variations du taux d’emploi depuis le début des années 2000 dépendent également du niveau d’éducation. Les émigrés tunisiens ayant un faible niveau d’éducation ont connu une amélioration plus marquée que les émigrés tunisiens hautement qualifiés. Pour les émigrés tunisiens ayant un faible niveau d’éducation, le taux d’emploi a augmenté sur cette période de près de 10 points de pourcentage, alors qu’il est resté relativement stable pour les autres émigrés tunisiens (Tableau 4.2). L’augmentation du taux d’emploi des émigrés tunisiens ayant un niveau d’éducation faible est dans une certaine mesure comparable à l’augmentation du taux d’emploi de l’ensemble des émigrés de 14 points, mais dépasse de loin la hausse constatée pour les émigrés nés en Afrique du Nord (moins de quatre points d’augmentation) et les personnes n’ayant pas émigré (un point de pourcentage). La relative stabilité du taux d’emploi des émigrés tunisiens ayant un niveau d’éducation élevé contraste avec les augmentations constatées pour les natifs et l’ensemble des émigrés ayant un même niveau d’éducation, mais va de pair avec la diminution constatée pour les émigrés d’Afrique du Nord ayant un niveau d’éducation élevé. Dans l’ensemble, les émigrés tunisiens semblent connaître de meilleures évolutions sur le marché du travail que celles des émigrés d’Afrique du Nord.
Tableau 4.2. Taux d’emploi et de chômage selon le niveau d’éducation et le pays de naissance dans les pays de l’OCDE, 2005/06, 2010/11 et 2015/16
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Faible niveau d'éducation |
Niveau d'éducation intermédiaire |
Niveau d'éducation élevé |
|||
---|---|---|---|---|---|---|
|
2000/01 |
2015/16 |
2000/01 |
2015/16 |
2000/01 |
2015/16 |
Taux d'emploi |
||||||
Nés en Tunisie |
35.1 |
44.5 |
53.7 |
53.6 |
66.1 |
65.7 |
Nés en Afrique du Nord |
35.6 |
39.5 |
54.5 |
51.9 |
67.1 |
63.7 |
Nés à l'étranger |
42.4 |
56.4 |
58.7 |
67.4 |
69.7 |
76.5 |
Nés dans le pays |
40.2 |
41.3 |
62.1 |
67.4 |
75.5 |
79.9 |
Taux de chômage |
||||||
Nés en Tunisie |
26.4 |
27.8 |
18.2 |
24.1 |
10.3 |
16.1 |
Nés en Afrique du Nord |
24.4 |
31.5 |
18.4 |
25.5 |
10.6 |
17.7 |
Nés à l'étranger |
13.1 |
11.3 |
9.2 |
8.5 |
5.8 |
6.9 |
Nés dans le pays |
9.7 |
14.5 |
7.8 |
8.1 |
3.6 |
4.5 |
Source : Base de données sur les immigrés dans les pays de l’OCDE (DIOC) 2005/06, 2010/11 et 2015/16, www.oecd.org/fr/els/mig/dioc.htm.
Les émigrés arrivés pour étudier ont une intégration plus favorable
L’insertion dans l’emploi des émigrés tunisiens varie également en fonction des motifs de la migration. Les émigrés qui ont quitté la Tunisie afin d’effectuer leurs études ont les meilleurs résultats sur le marché du travail que ceux venus pour des motifs familiaux (Graphique 4.6). Leur taux d’emploi à 78 % est même supérieur à celui des personnes qui ont émigré pour le travail, pour qui ce taux s’élève à 61 %. Migrer au titre du regroupement familial est en revanche associé à un taux d’emploi assez faible (40 %). Le fait que les femmes tunisiennes soient plus nombreuses à migrer pour des raisons familiales explique en partie leur moins bonne intégration sur le marché du travail par rapport aux hommes. Les hommes, qui migrent proportionnellement plus pour des raisons professionnelles, ont plus de chances de rejoindre le marché du travail.
L’écart de taux d’emploi selon le niveau d’éducation est relativement faible au sein de la catégorie de migrants familiaux. Le niveau d’éducation ne semble pas avoir un effet aussi positif sur le taux d’emploi des émigrés familiaux tunisiens que sur le taux d’emploi des émigrés tunisiens ayant migré pour des motifs d’emploi ou d’études.
Une insertion sur le marché du travail plutôt réussie pour les descendants d’émigrés en Europe
Les descendants d’émigrés tunisiens – les enfants nés dans le pays de résidence d’au moins un parent né en Tunisie – ont une insertion sur le marché du travail plutôt réussie en Europe. Leur taux d’emploi est de trois points inférieur au taux d’emploi de l’ensemble des personnes nées dans le pays (ligne horizontale dans le Graphique 4.7), à respectivement 60 % et 63 %.
Des différences sont aussi observables selon le niveau d’éducation. Le Graphique 4.7 indique que le taux d’emploi des descendants d’immigrés tunisiens diplômés du supérieur dans les pays européens s’élève à 80 %, et à seulement 42 % pour les descendants d’émigrés tunisiens ayant un niveau d’éducation faible. Par rapport à l’ensemble des descendants d’émigrés d’Afrique du Nord ayant un niveau d’éducation faible, les descendants d’émigrés tunisien ayant ce même niveau d’éducation ont un taux d’emploi de 11 points supérieur. L’écart selon le niveau de diplôme est élevé (38 points de pourcentage) mais reste néanmoins inférieur à celui de l’ensemble des descendants d’émigrés (46 points de pourcentage).
Des emplois dans des secteurs et professions peu qualifiés
Une relative surreprésentation dans les secteurs d’activité aux emplois peu qualifiés
Les émigrés tunisiens sont très nombreux à travailler dans les secteurs d’activité où les emplois sont en majorité peu qualifiés (Graphique 4.8). En 2010/11, ils étaient surreprésentés par rapport aux personnes nées dans le pays notamment dans les secteurs de la construction, de l’agriculture, du transport et de l’entreposage, des activités d’hébergement et de restauration, de même que dans les activités de services administratifs et d’appui et dans les activités des ménages privés employant du personnel domestique. Par exemple, le secteur de la construction regroupe plus de 12 % des émigrés tunisiens actifs occupés, alors que moins de 8 % des actifs occupés natifs travaillent dans ce secteur.
En revanche, on retrouve en proportion, légèrement moins d’émigrés tunisiens dans les secteurs dans lesquels les emplois tendent à être plus qualifiés, par exemple dans les secteurs de l’information et la communication ou des activités financières et d’assurance. Cette répartition sectorielle des émigrés tunisiens légèrement différente des natifs peut se comprendre à l’aune des niveaux d’éducation des émigrés, c’est-à-dire de la part relativement élevée des peu diplômés (voir chapitre 3). Par ailleurs, les émigrés tunisiens viennent ou sont venus combler les besoins de main-d’œuvre dans beaucoup de pays – notamment de main-d’œuvre non qualifiée en France ou en Italie (Bruno, 2010[2]). Par conséquent, les secteurs dans lesquels ils sont fortement représentés sont aussi ceux pour lesquels les besoins du pays sont notables et dans lesquels leur réseau professionnel se développe (Fokkema and de Haas, 2011[3]).
Les émigrés tunisiens surreprésentés dans les emplois peu qualifiés en Europe et dans les emplois qualifiés au Canada
Dans l’ensemble des pays de l’OCDE, environ un tiers des émigrés tunisiens occupent un emploi élémentaire, c’est-à-dire un métier faisant appel à des compétences équivalentes à celles apprises dans l’enseignement primaire. Les hommes sont plus représentées dans ces emplois : ils sont 24 % à occuper un emploi élémentaire contre 16 % pour les hommes (Graphique 4.9). Par contraste, seulement 8 % d’hommes nés dans le pays et 11 % de femmes occupent un emploi peu qualifié. En plus d’être fortement représentés dans les emplois élémentaires, ils le sont aussi dans les emplois de l’industrie : 10 % d’entre eux sont conducteurs d’installations et de machines, et ouvriers de l’assemblage, contre 1 % des femmes et 25 % dans les emplois qualifiés de l’industrie et de l’artisanat contre seulement 3 % des femmes émigrées tunisiennes. Néanmoins, ces chiffres sont comparables à la part d’hommes nés dans le pays dans cette profession (respectivement 12 % et 19 %).
Les femmes émigrées tunisiennes sont pour leur part surreprésentées au sein du personnel des services directs aux particuliers, commerçants et vendeurs (28 %), soit largement plus que les hommes émigrés tunisiens (11 %) mais aussi plus que les femmes nées dans le pays (21 %). Les femmes émigrées tunisiennes sont plus de deux fois plus représentées dans les professions intellectuelles et scientifiques que les hommes émigrés tunisiens : 13 % d’entre elles occupent ce type d’emploi contre seulement 6 % d’émigrés tunisiens masculins. Bien que les femmes soient aussi plus représentées dans ces professions au sein de l’ensemble des personnes nées dans le pays, les disparités entre hommes et femmes sont particulièrement marquées au sein de la population émigrée tunisienne.
La situation est contrastée selon les pays : les pays d’Europe sont ainsi ceux où les émigrés tunisiens se retrouvent proportionnellement plus dans les professions peu qualifiées. En Italie, près de la moitié (46 %) des émigrés tunisiens occupent des professions élémentaires tandis que seulement 7 % des actifs occupés occupent un emploi qualifié – i.e. un emploi de directeur ou une profession intellectuelle ou scientifique (Graphique 4.10). La distribution des professions des émigrés tunisiens actifs au Canada est radicalement différente de celle en Italie. Au Canada, 60 % des émigrés tunisiens occupent un emploi qualifié et 4 % seulement ont une profession peu qualifiée. Dans les pays d’Europe du Nord, les émigrés tunisiens sont relativement surreprésentés au sein des professions peu qualifiées par rapport à la France ou la Suisse par exemple. Ces résultats peuvent s’expliquer en partie par les besoins de main-d’œuvre de ces pays, les politiques mises en place pour la migration de travail notamment, mais aussi en partie en raison de la composition des émigrés en termes de niveau d’éducation.
Les émigrés tunisiens sont de plus en plus nombreux dans certaines professions qualifiées spécifiques
En dépit de la prédominance des émigrés tunisiens dans les professions peu qualifiées, une forte proportion de professions hautement qualifiées (regroupant les fonctions de directeurs, les professions intellectuelles et scientifiques, ainsi que les professions intermédiaires) peut être constatée dans certains pays de l’OCDE (Graphique 4.10 et Graphique 4.11). Les émigrés tunisiens sont par exemple plus représentés que l’ensemble des émigrés dans certains secteurs où les emplois sont qualifiés, comme le corps médical ou l’enseignement.
Les médecins et infirmiers tunisiens sont particulièrement nombreux à migrer, et les émigrés tunisiens sont aussi nombreux à se former à ces professions dans leurs pays de destination (Graphique 4.11). En comparaison avec les émigrés de la région d’Afrique du Nord exerçant des professions médicales, les Tunisiens sont proportionnellement nombreux à avoir migré ou à s’être formés à l’étranger sans revenir exercer en Tunisie : en 2010/11, un médecin tunisien sur cinq et 4 % des infirmiers exerçaient leur profession dans un pays de l’OCDE. En 2000/01, ces taux d’expatriation étaient respectivement de 15 % pour les médecins et de moins de 2 % infirmiers (OECD, 2007[4]). En 2010/11, plus de 3 200 médecins et 1 500 infirmiers tunisiens se trouvaient ainsi dans les pays de l’OCDE, tandis qu’en 2000/01, environ 2 600 médecins tunisiens et 400 infirmiers résidaient dans ces pays.
Cette émigration tunisienne qualifiée dans les secteurs de la santé vers les pays de l’OCDE semble continuer à augmenter. Des données préliminaires montrent qu’en 2015/16, près de 4 000 médecins tunisiens exerçaient dans les pays de l’OCDE, ce qui représente un taux d’émigration de près de 22 % pour cette profession. De plus, près de 2 000 infirmiers exerçaient dans ces pays, soit un taux d’émigration de plus de 6 %.
La croissance des taux d’émigration de ces professions témoigne à la fois de l’attractivité pour les professionnels de santé tunisiens d’exercer à l’étranger, mais aussi des besoins de main-d’œuvre des pays de l’OCDE dans ce domaine. Cette accentuation de l’émigration des professionnels de santé renvoie également à l’attractivité de l’enseignement supérieur des pays de l’OCDE pour les étudiants tunisiens (voir Chapitre 2). Certains programmes de mobilité étudiante visent d’ailleurs précisément à permettre aux étudiants étrangers de valoriser leurs qualifications dans leur nouveau pays de résidence.
L’émigration des professionnels de santé tunisiens trouve notamment sa source dans les conditions de travail au sein du secteur médical en Tunisie (niveau de salaire, horaires de travail, etc.) et des conditions comparativement plus favorables dans la plupart des pays de l’OCDE (Buchan and Aiken, 2008[5]). L’impact de cette émigration sur le fonctionnement du système de santé du pays reste difficile à évaluer. En effet, l’émigration de ces professionnels n’implique pas nécessairement un manque de professionnels de santé ayant les qualifications et compétences requises pour exercer en Tunisie. L’émigration de ces professionnels pourrait être problématique si ces compétences étaient en pénurie au niveau national ou au niveau local (Wismar et al., 2011[6]). De ce point de vue, bien que les taux d’émigration dans ces professions soient élevés et puissent alimenter une crainte de fuite des cerveaux, ils restent inférieurs aux taux d’émigration moyens observés dans les pays de l’OCDE – qui s’élèvent en 2010/11 à 22 % pour les médecins ainsi que pour les infirmiers (OECD, 2015[7]) et comparables à ceux observés dans leurs pays voisins (Graphique 4.11). De plus, selon les données de l’Organisation Mondiale de la Santé, la densité de médecins en Tunisie est supérieure à celle observée pour les autres pays d’Afrique du Nord.
Les enseignants sont aussi une des professions fortement représentées au sein des émigrés tunisiens, quel que soit le niveau de l’enseignement délivré. Parmi les professionnels de l’éducation émigrés d’origine africaine, les Tunisiens sont un de ceux ayant un taux d’émigration vers les pays de l’OCDE les plus importants. En 2010/11, environ 3 % des enseignants tunisiens vivaient dans les pays de l’OCDE (Graphique 4.12). De même que pour les émigrés du corps médical, les émigrés tunisiens de l’enseignement semblent être attirés par la possibilité d’exercer leur profession dans les pays de l’OCDE, qu’ils soient formés en Tunisie ou dans le pays dans lequel ils ont émigré. La maîtrise des langues de la plupart des pays d’accueil permet aux émigrés tunisiens du corps éducatif de s’implanter plus facilement dans les pays de l’OCDE, notamment en France. De plus, une grande partie des étudiants tunisiens formés aux méthodes d’enseignement des pays d’accueil décident de rester dans le pays où ils ont étudié après avoir terminé leurs études.
Un niveau de déclassement plus faible pour les émigrés tunisiens que pour l’ensemble des émigrés dans la plupart des pays d’accueil
Bien qu’utile pour dépeindre la situation sur le marché du travail, le taux d’emploi n’est pas l’unique indicateur de l’intégration sur le marché du travail. L’adéquation entre l’éducation et les compétences d’un individu et celles exigées dans son emploi importe aussi pour rendre compte de la valorisation du capital humain de la diaspora tunisienne dans les pays d’accueil (OCDE/UE, 2015[8]).
Dans l’ensemble des pays de l’OCDE, en 2010/11, le taux de déclassement, c’est-à-dire la part des personnes ayant un niveau d’éducation élevé et ayant une profession moyennement ou peu qualifiée (Encadré 4.1), s’élevait à 29 % pour les émigrés tunisiens contre 28 % pour les personnes nées dans le pays (Graphique 4.13). Par rapport au taux de déclassement moyen de l’ensemble des émigrés, et à celui des émigrés d’Afrique du Nord, les émigrés tunisiens ont un taux de déclassement de six points inférieur. Ils ne semblent pas faire face à des difficultés particulières à valoriser leurs diplômes sur le marché du travail dans les pays de l’OCDE. Cela fait écho au relativement faible ressenti de discrimination exprimé par les émigrés tunisiens, notamment en France (voir chapitre 3), mais aussi à l’efficacité des agences de placement tunisiennes. À l’inverse des personnes nées dans le pays, les émigrés tunisiens ont souvent passé leur scolarité en Tunisie et/ou sont diplômés de Tunisie. Or le lieu d’obtention des diplômes est un déterminant de l’intégration sur le marché du travail ; être diplômé du pays d’accueil assure en moyenne de meilleurs résultats sur le marché du travail (Bonfanti and Xenogiani, 2014[9]).
Encadré 4.1. Informations de référence sur la mesure du déclassement
Indicateur : On parle de déclassement lorsque le niveau d’éducation formel de l’individu est plus élevé que celui que requiert l’emploi qu’il occupe. Le taux de déclassement estimé ici est la part des personnes ayant un diplôme de l’enseignement supérieur et occupant un emploi peu ou moyennement qualifié. Le niveau d’étude est mesuré à partir de la Classification internationale type de l’éducation (CITE), les diplômés du supérieur étant classés dans les niveaux 5, 6, 7 et 8. Le niveau de qualification des emplois est mesuré à partir de la Classification internationale type des professions (CITP), une profession très qualifiée comprenant les CITP 1, 2 et 3.
Chez les immigrés, le déclassement est supposé rendre compte du degré de transférabilité du capital humain d’un pays à l’autre. En effet, les diplômes et les compétences linguistiques acquises dans le pays d’origine ne sont pas toujours immédiatement transférables dans le pays d’accueil.
Champ : Population en emploi de 15 à 64 ans ayant un haut niveau d’éducation (CITE 5‑6), non compris les forces armées (CITP 0), dont le niveau de qualification de l’emploi n’est pas référencé.
Les descendants d’immigrés tunisiens sont également relativement touchés par le déclassement dans les pays européens : un quart d’entre eux le sont (Graphique 4.14). Ils ont un taux de déclassement de quatre points supérieur à celui de l’ensemble des personnes nées dans le pays (21 %). Bien qu’ils aient le plus souvent obtenu leur diplôme dans le pays d’accueil de leurs parents et donc dans leur pays de naissance, la valorisation de leur éducation semble difficile. Ce résultat peut expliquer le sentiment relativement élevé de discrimination ressenti par les descendants d’immigrés en France par exemple (voir chapitre 3). Ils sont néanmoins moins affectés par le déclassement que les immigrés tunisiens, qui sont 31 % à l’être dans les pays européens, mais plus que les descendants d’immigrés d’Afrique du Nord (23 % de déclassés). En France, le déclassement affecte également plus les descendants d’immigrés tunisiens que l’ensemble des personnes nées dans le pays (Graphique 4.15). Selon l’enquête Trajectoires et Origines, ils sont 24 % à être déclassés dans leur emploi, soit autant que le taux de déclassement moyen des descendants d’émigrés et seulement deux points de plus que les personnes nées dans le pays.
Conclusion
L’intégration sur le marché du travail des émigrés tunisiens dans les pays de l’OCDE est dans l’ensemble difficile, mais de nombreuses améliorations peuvent nuancer ce constat. Le taux de chômage des émigrés tunisiens est relativement élevé, et leur taux d’emploi relativement faible. Néanmoins, la participation des émigrés tunisiens au marché du travail dans les pays de l’OCDE s’accroit. En particulier, cette augmentation est tirée par la hausse de la participation des femmes au marché du travail. L’écart sur le marché du travail entre hommes et femmes parmi les émigrés tunisiens s’est d’ailleurs réduit. Les situations des émigrés tunisiens sur le marché du travail sont hétérogènes selon les pays d’accueil. En Amérique du Nord ou encore en Suisse, les émigrés tunisiens ne rencontrent pas de difficulté sur le marché du travail. A l’inverse, dans leurs principaux pays de destination européens (France, Italie ou Belgique), les émigrés tunisiens ont des taux d’emploi relativement bas et des taux de chômage relativement élevés. Toutefois, les émigrés tunisiens ne sont pas significativement plus affectés par le déclassement professionnel que l’ensemble des personnes nées dans le pays. Autrement dit, les émigrés tunisiens diplômés du supérieur ne rencontrent pas de difficultés supplémentaires à valoriser leurs diplômes par rapport aux personnes nées dans le pays. Ce résultat suggère une assez faible prévalence de la discrimination envers les émigrés tunisiens diplômés du supérieur, de même qu’une relative efficacité des accords de reconnaissances des diplômes tunisiens à l’étranger.
Références
[9] Bonfanti, S. and T. Xenogiani (2014), “Compétences des migrants : utilisation et inadéquation des compétences et performances sur le marché du travail. Une première exploitation des données issues de l'évaluation des compétences des adultes (PIAAC)”, in Gérer les migrations économiques pour mieux répondre aux besoins du marché du travail, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/9789264217027-11-fr.
[2] Bruno, A. (2010), Les chemins de la mobilité. Migrants de Tunisie et marché du travail parisien depuis 1956, Editions de l'EHESS, Paris.
[5] Buchan, J. and L. Aiken (2008), “Solving nursing shortages: A common priority”, Journal of Clinical Nursing, http://dx.doi.org/10.1111/j.1365-2702.2008.02636.x.
[1] Chicha, M. (2013), “Inégalités de genre et pratiques d'entreprise au Maroc”, Programme pour la Promotion de la Déclaration sur les Principes et Droits Fondamentaux au Travail, http://www.ilo.org/publns.
[3] Fokkema, T. and H. de Haas (2011), “Pre- and Post-Migration Determinants of Socio-Cultural Integration of African Immigrants in Italy and Spain”, International Migration, Vol. 53/6, pp. 3-26, http://dx.doi.org/10.1111/j.1468-2435.2011.00687.x.
[8] OCDE/UE (2015), Les indicateurs de l'intégration des immigrés 2015 : Trouver ses marques, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/9789264233799-fr.
[7] OECD (2015), Changing patterns in the international migration of doctors and nurses to OECD countries.
[4] OECD (2007), Immigrant Health Workers in OECD Countries in the Broader Context of Highly Skilled Migration*.
[6] Wismar, M. et al. (2011), Evidence from 17 European countries Health Professional Mobility and Health Systems Observatory Studies Series.
Annexe 4.A. Graphiques additionnels
Note
← 1. Le taux de participation est calculé en divisant le nombre d’actifs (c’est à dire les chômeurs et les personnes ayant un emploi) par l’ensemble de la population en âge de travailler. Toutes les définitions des termes et mesures utilisés dans ce chapitre peuvent être trouvées dans le tableau 1.A1.1 de l’annexe du chapitre 1.