Ce chapitre examine les caractéristiques sociodémographiques des émigrés tunisiens et de leurs descendants. Les dimensions étudiées comprennent principalement leur niveau d’éducation et leurs compétences. Les résultats soulignent le niveau d’éducation relativement faible des émigrés tunisiens par rapport aux autres groupes d’émigrés, en particulier dans les principaux pays d’accueil européens. A l’inverse, les pays d'Amérique du Nord ou certains pays comme la Suisse ou Israël accueillent principalement des émigrés tunisiens ayant un niveau d’éducation élevé. L’évolution dans le temps montre une hausse globale du niveau d’éducation des émigrés tunisiens. Les situations sociale et familiale des émigrés tunisiens sont également analysées, ainsi que l’intégration sociale.
Talents à l'étranger
Chapitre 3. Les caractéristiques sociodémographiques de la diaspora tunisienne
Abstract
Les données statistiques concernant Israël sont fournies par et sous la responsabilité des autorités israéliennes compétentes. L’utilisation de ces données par l’OCDE est sans préjudice du statut des hauteurs du Golan, de Jérusalem Est et des colonies de peuplement israéliennes en Cisjordanie aux termes du droit international.
Ce chapitre débute par une étude approfondie de la distribution de l’éducation des émigrés tunisiens dans les pays de l’OCDE et met en évidence la hausse de leur niveau d’éducation. Cette analyse est ensuite détaillée par pays de destination et par sexe et montre le rattrapage des femmes émigrées tunisiennes en termes de niveau d’éducation. Des analyses similaires sont présentées pour les descendants d’émigrés tunisiens dans les pays européens pour lesquels des données sont disponibles. Les niveaux de compétences des émigrés tunisiens sont également analysés en se basant sur les données PIAAC. Quelques caractéristiques d’intégration sociale sont ensuite décrites.
Les émigrés tunisiens dans les pays de l’OCDE ont majoritairement un faible niveau d’éducation, mais il augmente
Une répartition géographique contrastée des émigrés tunisiens selon leur niveau d’éducation
Les émigrés tunisiens ont, en moyenne, un niveau d’éducation relativement faible (pour une définition des niveaux d’éducation, voir Tableau A.1.1 – annexe chapitre 1). En 2015/16, Dans l’ensemble des pays de l’OCDE, 47 % des émigrés tunisiens avaient un niveau d’éducation inférieur ou égal au premier cycle de l’enseignement secondaire, ce qui représentait plus de 280 000 personnes (Graphique 3.1, panel A). Cette proportion d’émigrés ayant un niveau d’éducation faible est élevée par rapport aux émigrés résidant dans les pays de l’OCDE dans leur ensemble (31 % ont un niveau d’éducation faible) mais néanmoins comparable aux proportions observées pour les émigrés originaires des autres pays d’Afrique du Nord, parmi lesquels 49 % ont un niveau d’éducation faible. La proportion d’émigrés tunisiens ayant un niveau d’éducation faible est d’ailleurs parmi les plus élevées au sein des émigrés de la région, après les émigrés marocains (Graphique 3.2).
Même si l’effectif d’émigrés tunisiens ayant un niveau d’éducation élevé – c’est-à-dire un diplôme de l’enseignement supérieur – représente plus de 140 000 individus, leur part reste relativement faible (Graphique 3.1, panel B). En 2015/16, seuls 24 % des émigrés tunisiens étaient diplômés du supérieur et ils étaient 29 % à avoir un niveau d’éducation intermédiaire. Bien que cette part soit relativement faible, elle reste supérieure à celle observée pour le Maroc (dont 17 % des émigrés ont un niveau d’éducation élevé), et proche de celle des personnes nées dans le pays (Graphique 3.2).
Les différences de niveau d’éducation des émigrés entre pays de destination peuvent être importantes, reflétant notamment des vagues d’immigration différentes (Pouessel, 2017[1]). Dans les pays européens, les émigrés tunisiens sont relativement peu éduqués. C’est par exemple le cas en Italie, où 72 % des émigrés tunisiens ont un niveau d’éducation faible. En France, près de la moitié (45 %) des émigrés tunisiens ont un faible niveau d’éducation. A l’inverse, les émigrés tunisiens faiblement qualifiés sont peu nombreux dans les pays d’Amérique du Nord : seuls 7 % des émigrés tunisiens au Canada ont un faible niveau d’éducation et 15 % aux États-Unis. L’Europe accueille donc la majorité des émigrés tunisiens peu diplômés (Graphique 3.3).
En revanche, au Canada et aux États-Unis, la proportion d’émigrés tunisiens ayant un niveau d’éducation élevé est plus importante que dans les pays européens (Graphique 3.1). Au Canada, 81 % des émigrés tunisiens sont diplômés du supérieur contre 61 % aux États-Unis. Ces deux pays nord-américains, qui regroupent 17 % des émigrés tunisiens diplômés du supérieur, semblent être ceux qui les attirent le plus mais font aussi partie des pays où le niveau d’éducation des émigrés dans leur ensemble est le plus élevé. La proportion de diplômés du supérieur parmi les émigrés tunisiens dans ces deux pays est d’ailleurs significativement supérieure à celle observée dans la population générale.
Bien que les personnes ayant un niveau d’éducation élevé ne représentent qu’une faible proportion du total des émigrés tunisiens dans les pays européens, ce sont toutefois dans ces pays où elles sont les plus nombreuses. Le Graphique 3.3 illustre bien que, parmi les émigrés tunisiens ayant un niveau d’éducation élevé, plus de 90 000 d’entre eux se trouvent en France, soit près des deux tiers (63 %), suivis, de loin, par à peine plus de 6 500 en Italie (5 % du total). Le Canada et les États-Unis regroupent au total environ 26 000 émigrés diplômés du supérieur. Israël accueille également une part significative d’émigrés tunisiens diplômés du supérieur, puisque plus de 8 000 d’entre eux y résident.
Les différences dans la distribution de l’éducation parmi les émigrés tunisiens entre les pays européens et les pays d’Amérique du Nord peuvent s’expliquer en partie par les différences de politiques migratoires et de perspectives d’emploi pour les travailleurs hautement qualifiés. Un autre facteur clé est la temporalité différente des migrations tunisiennes vers ces deux régions. Une proportion significative des émigrés tunisiens résidant dans les pays européens, notamment en France, est en effet arrivée dans la seconde moitié du 20e siècle en réponse à des besoins de main-d’œuvre peu qualifiée. Comme le souligne le chapitre 2 à propos du dynamisme des flux d’émigration tunisienne vers le Canada depuis les années 2000, l’émigration vers les pays d’Amérique du Nord est plus récente et répond à des besoins de main d’œuvre parfois hautement qualifiée.
Néanmoins, en Europe, les proportions d’émigrés diplômés du supérieur varient considérablement d’un pays à l’autre, de 6 % en Italie à 35 % en Suisse. En France, en Belgique, aux Pays-Bas et en Suède, les diplômés du supérieur représentent entre 21 % et 26 % du total des émigrés tunisiens, des proportions souvent comparables à celles observées parmi les personnes nées dans le pays d’accueil. En Italie, la proportion de diplômés du supérieur parmi les émigrés tunisiens est particulièrement faible : elle est à la fois plus faible que celle observée dans l’ensemble des émigrés résidant en Italie (13 %) et que la proportion de diplômés du supérieur au sein de la population en Tunisie (13 % également) (Institut National Statistique, 2015[2]). Cette spécificité peut s’expliquer notamment par la proximité géographique entre la Tunisie et l’Italie. Celle-ci facilite, relativement aux autres destinations, l’émigration de personnes ayant des ressources financières limitées et moins d’alternatives du fait de leur niveau d’éducation plus faible.
À l’inverse, en Suisse et au Royaume-Uni, plus d’un tiers des émigrés tunisiens ont un niveau d’éducation élevé. Cela est notamment lié à des politiques migratoires plus restrictives, en partie du fait de la nature même des frontières de ces pays avec les autres pays européens. De plus, le niveau de salaire dans ces pays relativement aux autres pays européens contribue à y attirer des personnes plus qualifiées.
Une tendance à la hausse du niveau d’éducation
En 2000/01, environ 71 000 émigrés tunisiens vivant dans les pays de l’OCDE avaient un niveau d’éducation élevé. En 2015/16, ils étaient plus du double (143 000) ; au cours de cette période, leur part dans le total des émigrés tunisiens est passée de 16 % à 24 %. Dans le même temps, la part des émigrés tunisiens ayant un niveau d’éducation faible est passée de 56 % à 47 % (Graphique 3.4). La hausse du niveau d’éducation des émigrés tunisiens est supérieure à la hausse du niveau d’éducation observée pour l’ensemble des émigrés dans les pays de l’OCDE, mais seulement légèrement supérieure à celle des émigrés nord-africains.
Cette évolution au sein de l’effectif des émigrés tunisiens est essentiellement due à une hausse marquée du niveau d’éducation parmi les émigrés récents, même si la mortalité des Tunisiens appartenant à des vagues migratoires anciennes joue également un rôle. Les migrants de retour peuvent également contribuer à cette évolution puisqu’ils sont en moyenne légèrement moins éduqués que les émigrés arrivés récemment dans les pays de destination (voir chapitre 5).
La comparaison entre les émigrés récents (c’est-à-dire dans le pays depuis au plus cinq ans) et les émigrés installés (c’est-à-dire dans le pays depuis plus de cinq ans) confirme en effet cette dynamique. Les émigrés récents étaient, en 2015/16, 40 % à être diplômés du supérieur contre 21 % des émigrés installés (Graphique 3.5), ce qui reflète largement l’évolution des flux récents en provenance de Tunisie documentée dans le chapitre 2 : accroissement des flux d’étudiants, intentions d’émigration plus élevées parmi les diplômés du supérieur et prépondérance des motifs liés au manque d’emplois qualifiés en Tunisie.
Parmi les principaux pays d’accueil, la hausse du niveau d’éducation est particulièrement marquée dans certains pays européens. C’est notamment le cas en Italie, où la part des diplômés du supérieur parmi les émigrés tunisiens récents en 2015/16 était de 23 %, alors qu’ils ne représentaient que 5 % des émigrés présents depuis plus de cinq ans. De même, en France, principal pays de destination, la part des diplômés du supérieur parmi les émigrés tunisiens récents était de 38 % en 2015/16, alors que cette proportion était seulement de 23 % parmi les émigrés présents depuis plus de cinq ans (Graphique d’annexe 3.A.1).
L’effectif d’émigrés tunisiens diplômés du supérieur vivant dans les pays de l’OCDE semble avoir augmenté au cours des dernières années plus rapidement que le nombre de diplômés du supérieur en Tunisie. En effet, le taux d’émigration des diplômés du supérieur est passé de 10.3 % en 2010/11 à 12.3 % en 2015/16. Dans le même temps, le taux d’émigration total a augmenté d’un tiers de point de pourcentage (de 6.3 % à 6.6 %).
Par rapport à ses voisins, la Tunisie affiche un taux intermédiaire d’émigration des diplômés du supérieur : alors que près d’un quart des diplômés du supérieur nés au Maroc résidaient en 2015/16 dans un pays de l’OCDE, cette proportion n’était que de 10 % pour l’Algérie, 7 % pour la Libye, et 3 % pour l’Égypte. Une comparaison plus large indique que la Tunisie ne fait pas partie des pays les plus touchés par cette émigration des plus éduqués, puisque plus de 70 pays ont un taux d’émigration des diplômés du supérieur plus élevé.
La question de l’émigration des diplômés du supérieur est naturellement sensible pour la Tunisie, comme pour nombre de pays en développement et émergents qui investissent dans l’éducation des jeunes et font face à l’émigration d’une partie d’entre eux vers des pays où les opportunités d’emploi sont plus favorables. Toutefois, la simple mesure de l’effectif d’émigrés diplômés du supérieur peut conduire à surestimer ce phénomène. En effet, parmi ceux-ci, tous n’ont pas effectué leurs études supérieures dans leur pays d’origine. Dans le cas de la Tunisie, comme souligné dans les chapitres 1 et 2, de nombreux Tunisiens effectuent tout ou partie de leurs études supérieures dans des pays de l’OCDE (notamment en France), soit dans le cadre d’une mobilité étudiante, soit parce qu’ils ont quitté la Tunisie avant de commencer leurs études.
La hausse du niveau d’éducation est particulièrement marquée pour les femmes
Au sein de la diaspora tunisienne dans les pays de l’OCDE, le niveau moyen d’éducation des femmes a augmenté plus rapidement celui des hommes entre 2000/01 et 2015/16. Le Graphique 3.6 met en évidence cette évolution positive pour les émigrées tunisiennes : en 2015/16, 24 % d’entre d’elles sont diplômées du supérieur contre 14 % en 2000/01, alors que la proportion de diplômés du supérieur parmi les hommes au augmenté de 18 % à 24 %. Le nombre d’émigrées tunisiennes diplômées du supérieur est ainsi passé de 28 000 en 2000/01 à plus de 48 000 en 2015/16. Cette croissance de 72 % du nombre de femmes émigrées ayant un niveau d’éducation élevé est de 28 points de pourcentage supérieure à celle de leurs homologues masculins, dont les effectifs sont passés de 45 000 en 2000/01 à près de 65 000 en 2015/16. Les femmes conservent néanmoins un niveau d’éducation moyen inférieur à celui des hommes car elles sont toujours aujourd’hui sur-représentées parmi les émigrés tunisiens ayant un niveau d’éducation faible.
L’élévation du niveau d’éducation des femmes s’illustre aussi par la part élevée des diplômées du supérieur parmi les émigrées tunisiennes récentes. En 2015/16, parmi les émigrés tunisiens récents dans les pays de l’OCDE, les femmes sont 48 % à avoir un niveau d’éducation élevé tandis que cette part s’élève à 34 % pour leurs homologues masculins (Graphique 3.7). Bien que cette tendance à la hausse du niveau d’éducation ne soit pas limitée à la diaspora tunisienne, elle est particulièrement marquée pour les émigrés tunisiens. Par exemple, les hommes émigrés récents nés en Afrique du Nord demeurent plus fréquemment diplômés du supérieur que leurs homologues féminines.
Un premier facteur explicatif de cette augmentation du niveau d’éducation des femmes émigrées tunisiennes est la progression plus récente du niveau d’éducation des femmes dans les pays du Maghreb, par rapport à l’évolution observée pour les hommes. Alors que la proportion de diplômés du supérieur en Tunisie était, en 2000, inférieure à 4 % parmi les femmes et proche de 7 % parmi les hommes, elle était la même pour les deux sexes, autour de 13 %, en 2015. De plus, l’insertion professionnelle des femmes diplômées en Tunisie est encore plus défavorable que celle des hommes, ce qui peut les pousser à émigrer davantage. Leur accès à l’enseignement supérieur s’accompagne d’ailleurs d’une plus grande autonomie sociale qui leur permet d’émigrer seule plus facilement qu’auparavant (Boubakri, 2011[3]).
Ce nombre croissant d’émigrées tunisiennes diplômées du supérieur représente à la fois une source potentielle de main d’œuvre qualifiée pour les marchés du travail des pays de l’OCDE et un atout pour la Tunisie si ces compétences peuvent être également mobilisées pour le développement économique.
Les émigrés tunisiens ayant la nationalité de leur pays d’accueil sont plus diplômés
Les niveaux d’éducation des émigrés tunisiens sont différents selon qu’ils possèdent ou non la nationalité du pays d’accueil. Dans l’ensemble des pays de destination, les émigrés nés en Tunisie et ayant la nationalité du pays d’accueil ont en moyenne un niveau d’éducation plus élevé que ceux ne l’ayant pas. Les émigrés tunisiens naturalisés sont par exemple 44 % à avoir un faible niveau d’éducation alors qu’ils sont 55 % à avoir ce niveau d’éducation parmi ceux n’ayant pas la nationalité du pays d’accueil. En France, principal pays d’accueil des émigrés tunisiens, seulement 45 % des émigrés tunisiens ayant la nationalité française ont un faible niveau d’éducation, tandis que cette proportion est de 54 % parmi ceux qui n’ont pas la nationalité française (Graphique 3.8). Cette différence est encore plus marquée en Israël, où les émigrés tunisiens ayant la nationalité israelienne sont 35 % à avoir un faible niveau d’éducation, 30 points de pourcentage de moins que ceux n’ayant pas la nationalité.
Les canaux explicatifs de cette relation entre possession de la nationalité du pays d’accueil et niveau d’éducation sont multiples. Par exemple, les émigrés plus éduqués ont de meilleures perspectives d’intégration économique dans les pays d’accueil, ce qui peut leur permettre une installation durable débouchant éventuellement sur l’acquisition de la nationalité. De plus, certains émigrés tunisiens diplômés du supérieur ont effectué une partie de leurs études dans leur pays de destination, ce qui favorise dans certains pays de l’OCDE l’acquisition de la nationalité (la question des flux d’étudiants tunisiens vers les pays de l’OCDE est abordée dans le chapitre 2).
Cette relation n’est toutefois pas systématique et est plus difficile à constater dans les pays où la sélection à l’entrée des émigrés est déjà plus forte. Au Canada et en Suisse par exemple, les différences en termes de niveau d’éducation entre les émigrés ayant ou non acquis la nationalité du pays d’accueil sont marginales. Toutefois, ces deux pays sont aussi ceux au sein desquels les émigrés tunisiens ont déjà un niveau d’éducation relativement élevé.
Les descendants d’émigrés tunisiens ont en moyenne un niveau d’éducation inférieur aux natifs sans ascendance migratoire
Dans les pays européens, les descendants d’émigrés tunisiens ont un meilleur niveau d’éducation que les natifs sans ascendance migratoire
Dans les pays européens de l’OCDE, les descendants d’émigrés tunisiens affichent un niveau d’éducation moyen inférieur à celui de l’ensemble des natifs dont les parents sont eux-mêmes nés dans le pays (Graphique 3.9). Les descendants d’émigrés tunisiens sont un tiers à avoir un niveau d’éducation supérieur tandis que moins d’un quart de l’ensemble des natifs est diplômé du supérieur. Bien que les descendants d’émigrés d’Afrique du Nord soient aussi représentés parmi les diplômés du supérieur que les descendants d’émigrés tunisiens, ces derniers ont le pourcentage de faiblement diplômés le plus bas, avec seulement 23 %. Par contraste, cette part s’élève à 10 points de plus pour l’ensemble des natifs et les descendants d’émigrés marocains sont par exemple 31 % à avoir un niveau d’éducation faible (OCDE, 2017[4]). Le contraste entre les descendants d’émigrés tunisiens et les émigrés tunisiens en termes de niveau d’éducation est par ailleurs très marqué.
Les descendants d’émigrés tunisiens en France : une sur-représentation aux extrémités de la distribution de diplômes
En France, selon l’enquête Trajectoires et Origines, les descendants d’émigrés tunisiens (c’est-à-dire des personnes nées en France ayant au moins un parent immigré tunisien) sont en moyenne plus diplômés que les émigrés tunisiens. Les descendants d’émigrés tunisiens sont 12 % à n’avoir aucun diplôme (9 % pour les personnes nées dans le pays) et 24 % à être diplômés du supérieur avec au moins un bac +3, alors que les personnes nées dans le pays sont 17 % à l’être (Graphique 3.10). Les descendants d’émigrés tunisiens tendent à moins se diriger vers des filières courtes d’éducation technologique et techniques. Ils sont en effet 10 points de pourcentage moins représentés parmi les CAP, BEP ou équivalent. Les femmes descendantes d’émigrés tunisiens en France sont par ailleurs sous-représentées aux extrêmes de la distribution de diplômes, en particulier dans l’ensemble des filières du supérieur.
Au-delà des niveaux d’éducation, les émigrés tunisiens ont des niveaux de compétences variés
Les compétences des adultes émigrés tunisiens en littératie et numératie restent inférieures à celles des natifs
Les compétences en littératie et numératie des émigrés tunisiens dans les pays de l’OCDE sont en moyenne inférieures à celles des personnes nées dans les pays de destination, selon les données du Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PIAAC) (Graphique 3.11). Les émigrés tunisiens ont par ailleurs des niveaux de compétence inférieurs à la moyenne des autres émigrés résidant dans les pays de l’OCDE. Les niveaux de compétence des émigrés tunisiens sont inférieurs d’au moins 40 points à ceux des personnes nées dans le pays, s’agissant à la fois des compétences en numératie et littératie. Cela correspond à un écart de compétences d’environ cinq à six années de scolarité1.
L’écart est particulièrement marqué pour les compétences en littératie. Les écarts entre personnes nées dans le pays et les émigrés tunisiens sont de l’ordre de 50 points, soit l’équivalent de sept années d’études. De plus, les émigrés tunisiens ont un niveau de compétences en littératie inférieur à celui de la moyenne des autres émigrés d’environ 20 points. Les écarts de compétences en numératie entre personnes nées dans le pays et émigrés tunisiens sont légèrement inférieurs (43 points) à ceux observés pour les compétences en littératie (Graphique 3.11). Les émigrés tunisiens ont un niveau de compétences moyen en numératie de 15 points inférieur à la moyenne des autres émigrés.
Encadré 3.1. L’Enquête PIAAC et l’évaluation des compétences
L’Enquête pour l’évaluation des compétences des adultes (PIAAC) regroupe les réponses d’environ 166 000 adultes, représentant 724 millions d’adultes âgés de 16 à 65 ans. Ils ont été interrogés en 2012 dans 24 pays et régions sous-nationales dans la/les langue(s) officielle(s) des pays. Au-delà des qualifications formelles, l’Enquête PIAAC mesure les compétences en littératie, en testant les capacités de l’individu à lire un texte.
La composante de l'évaluation directe étudiée dans ce rapport mesure les compétences des adultes dans trois domaines fondamentaux. Ces compétences sont considérées comme des compétences « clés » dans le traitement de l'information dans le sens où elles jettent les bases du développement d’autres compétences cognitives, de plus haut niveau, et sont des conditions préalables à l’accès et à la compréhension de domaines spécifiques de connaissances. En outre, ces compétences sont nécessaires dans un large éventail de contextes, allant de l’éducation au travail en passant par la vie de tous les jours. Les compétences qui sont évaluées sont les suivantes :
La littératie
La littératie est la capacité à comprendre et à utiliser l'information contenue dans des textes écrits dans divers contextes pour atteindre des objectifs et pour développer des connaissances et des aptitudes. Il s'agit d’une exigence de base pour développer des compétences de plus haut niveau et pour atteindre des résultats positifs en termes économique et sociaux. Des études antérieures ont montré que la compréhension de l’écrit est étroitement liée à des résultats satisfaisants dans le cadre du travail, à la participation sociale, et à l’apprentissage tout au long de la vie. Contrairement aux évaluations précédentes de la littératie, celle-ci évalue la capacité des adultes à lire des textes numériques (par exemple des textes contenant de l’hypertexte et des fonctions de navigation, telles que le défilement ou en cliquant sur des liens) ainsi que des textes imprimés traditionnels.
La numératie
La numératie est la capacité à utiliser, appliquer, interpréter et communiquer des informations et des idées mathématiques. Il s’agit d’une compétence essentielle à une époque où les individus rencontrent, de plus en plus souvent, un large éventail d'informations quantitatives et mathématiques dans leur vie quotidienne. La numératie est une compétence parallèle à la compréhension de l'écrit, et il est important d'évaluer comment ces compétences interagissent car elles sont réparties différemment selon les sous-groupes de la population.
La maîtrise de la langue du pays d’accueil par la diaspora tunisienne
La maîtrise de la langue est un facteur fondamental de l’intégration économique et sociale des émigrés dans le pays d’accueil. La bonne connaissance de la langue du pays d’accueil facilite l’acquisition de connaissances pendant la scolarité mais aussi l’intégration sur le marché de travail, et plus largement les interactions avec les autres membres de la société. À ce titre, l’âge à l’arrivée dans le pays d’accueil est un déterminant clé de l’apprentissage de la langue et de la réussite dans le système éducatif (OCDE/UE, 2014[5] ; OCDE/UE, 2015[6]).
La grande majorité des émigrés tunisiens vivant en France maitrisent la langue française : 90 % des émigrés tunisiens déclarent bien parler la langue française2, 88 % des déclarent bien le comprendre, 82 % déclarent bien le lire et 66 % déclarent bien l’écrire. Les émigrés tunisiens tendent ainsi à mieux maitriser le français que l’ensemble des émigrés en France, pour qui ces parts sont respectivement de 86 %, 88 %, 76 % et 60 %. Toutefois, ce niveau de maitrise est comparable, voire légèrement supérieur aux niveaux de maitrise déclarés par les émigrés du Maroc ou d’Algérie.
Une des raisons pouvant expliquer la meilleur maitrise (déclarée) de la langue française par les émigrés tunisiens par rapport à celle de l’ensemble des émigrés repose sur la langue reçue pendant l’enfance. Selon l’enquête Trajectoires et Origines, 57 % des émigrés tunisiens en France ont parlé le français (parmi d’autres langues) pendant l’enfance (Graphique 3.12). Le niveau de compréhension actuel du français déclaré par les émigrés tunisiens dépend d’ailleurs significativement de leur niveau à l’arrivée en France. Cette population ayant déjà reçu la langue française pendant l’enfance bénéficie d’une barrière en moins pour l’intégration dans leur pays d’accueil. Par ailleurs, la différence entre la part de ceux qui ont reçu la langue française pendant l’enfance et ceux qui déclarent dorénavant la maitriser atteste d’une appropriation de la langue de leur pays de résidence et donc d’une intégration de la diaspora.
Une autre raison pouvant expliquer la bonne maitrise de la langue française par les émigrés tunisiens est leur âge d’arrivée en France et leur durée de séjour. Bien que les émigrés tunisiens étant arrivés plus jeunes (avant 16 ans) déclarent une meilleure compréhension de la langue française que les émigrés tunisiens arrivés après 16 ans, le lien statistique entre ces deux variables n’est pas significatif, à l’inverse de ce qui peut être observé pour les émigrés marocains ou algériens par exemple. Le lien entre la durée de séjour en France et le niveau de compréhension du français est encore plus distendu. Les émigrés tunisiens en France depuis plus de cinq ans ont un niveau de français seulement très légèrement supérieur à celui des émigrés tunisiens arrivés dans les cinq dernières années. La relation entre ces deux variables n’est d’ailleurs pas statistiquement significative. Par contraste, un lien significatif peut être constaté pour les émigrés marocains et algériens.
Contrairement au français, qui reste la première langue étrangère du pays (Mejri, Said et Sfar, 2009[7]), l’usage et l’apprentissage de l’italien demeure moins commun en Tunisie. Selon l’Enquête Condizione e Integrazione sociale dei Cittadini Stranieri (2011-12), les émigrés tunisiens en Italie ont massivement l’arabe comme langue maternelle (85 %) tandis que très peu ont l’italien comme langue maternelle (Graphique 3.13). Cette tendance s’estompe néanmoins pour les émigrés tunisiens ayant émigré durant leur enfance (génération dite 1.5) : 8 % d’entre eux ont l’italien en langue maternelle. Près de deux tiers des enfants nés en Italie d’émigrés tunisiens ont l’italien comme langue maternelle.
Une intégration sociale dans les pays d’accueil globalement réussie
Des normes culturelles et sociales encore présentes mais qui s’estompent : l’exemple de la France
Pour les émigrés, la prévalence des mariages avec des personnes non-originaires du même pays est une dimension de l’intégration sociale dans le pays d’accueil. En France, parmi les émigrés tunisiens mariés, 70 % sont en couple avec un conjoint né en Tunisie et un quart d’entre eux sont en couple avec une personne née en France, selon l’enquête Trajectoires et Origines. Cette part est légèrement plus élevée que pour les émigrés algériens et marocains, pour qui ces parts sont respectivement de 62 % et 69 %. Les émigrés tunisiens se marient autant que les émigrés marocains avec des personnes nées en France (24 %) mais plus de 10 points de moins que les émigrés algériens, qui sont eux, 35 % à être mariés à des personnes nées en France.
Les mariages mixtes sont de plus en plus répandus au sein de la jeune génération d’émigrés tunisiens. Les émigrés tunisiens de plus de 50 ans sont en effet 80 % à être mariés à un autre émigré tunisien tandis que cette part tombe à 45 % pour les 25-35 ans. La moitié des émigrés tunisiens de moins de 25 ans mariés ont un conjoint né en France. Les descendants d’émigrés tunisiens continuent toutefois à être en couple avec des conjoints nés en Tunisie : 44 % ont épousé un émigré tunisien. La mixité des couples et le fait d’être en couple avec une personne née en France est encore plus prononcée quand tous les couples sont considérés et pas uniquement les couples mariés. Près d’un tiers des émigrés tunisiens sont en couple avec une personne née en France et cette part s’élève à 63 % pour les émigrés tunisiens de moins de 25 ans.
Le nombre moyen d’enfants des émigrés tunisiens en France est plus élevé que pour le reste de la population, avec respectivement 2.3 et 1.4 enfants, selon l’enquête Trajectoires et Origines. Ce chiffre est plus élevé que celui des émigrés marocains (2.2) et algériens (1.3). En revanche, les descendants d’émigrés tunisiens tendent à avoir un taux de fécondité similaire voire inférieur au reste de la population, notamment du fait du plus jeune âge de ce groupe.
La volonté de quitter le pays d’accueil et le ressenti de discrimination en France
Les émigrés tunisiens sont relativement nombreux à vouloir quitter la France : 27 % d’entre eux déclarent l’envisager selon l’enquête Trajectoires et Origines3. Comparativement, les émigrés marocains ne sont que 12 % à le désirer. Les intentions de quitter la France varient toutefois avec l’âge et le niveau de diplôme. Le Graphique 3.14 montre que les émigrés les plus jeunes sont ceux qui expriment le plus le souhait de retourner en Tunisie : en 2008, plus d’un émigré tunisien âgé de 18 à 24 ans sur deux en France souhaite quitter la France. Ce résultat peut suggérer par exemple qu’ils envisagent de retourner dans leur pays d’origine pour s’y établir professionnellement. Par ailleurs, les moins diplômés sont ceux qui expriment le plus fréquemment le souhait de quitter la France. En effet, près d’un tiers des émigrés tunisiens ayant un niveau d’éducation faible a déclaré vouloir quitter la France. Ce chiffre reflète les difficultés accrues rencontrées par les moins diplômés sur le marché du travail (voir chapitre 4).
Les descendants d’émigrés tunisiens manifestent également une volonté de quitter la France assez élevée : plus d’un tiers (37 %) d’entre eux expriment ce souhait. Contrairement aux émigrés tunisiens, plus les descendants d’émigrés tunisiens sont diplômés et plus ils expriment cette volonté de quitter leur pays de résidence. On retrouve cette volonté de quitter la France également pour les émigrés tunisiens. Près de la moitié (48 %) des émigrés tunisiens avec un diplôme du supérieur expriment ce souhait, tandis que cela concerne seulement un quart (25 %) de ceux ayant un faible niveau d’éducation. Cela peut en partie s’expliquer par le plus fort ressenti de discrimination de la part des descendants d’émigrés tunisiens ayant un niveau d’éducation élevé par rapport aux émigrés tunisiens ayant un niveau d’éducation élevé : 33 % des descendants d’émigrés tunisiens diplômés du supérieur affirment avoir parfois ou souvent fait face à de la discrimination contre moins de 20 % des émigrés tunisiens diplômés du supérieur.
Conclusion
Le niveau d’éducation de la diaspora tunisienne dans les pays de l’OCDE est en moyenne relativement faible. Bien que dans l’ensemble des pays de l’OCDE, 47 % des émigrés tunisiens aient un niveau d’éducation faible, ces émigrés tunisiens peu diplômés se concentrent en réalité dans quelques pays européens. Les deux principaux pays d’accueil de cette diaspora, la France et l’Italie, sont en effet les deux pays dans lesquels se concentrent ces émigrés tunisiens ayant un faible niveau d’éducation. À l’inverse, Israël, la Suisse, les États-Unis ou le Canada attirent ou ont attiré proportionnellement plus les émigrés tunisiens ayant un niveau d’éducation élevé. La tendance récente d’élévation moyenne du niveau d’éducation des émigrés tunisiens concerne les femmes plus que les hommes permettant un rattrapage des femmes dans le retard en matière de niveau d’éducation. Dans les pays de l’OCDE, les descendants d’émigrés tunisiens sont plus diplômés que les émigrés tunisiens et que l’ensemble des personnes nées dans le pays. Enfin, la diaspora tunisienne se caractérise par une intégration dans les sociétés d’accueil assez réussie. La diaspora tunisienne adopte en effet assez fréquemment ses normes démographiques, en particulier pour les descendants d’émigrés. Toutefois, la volonté de quitter le pays d’accueil peut être relativement élevée, comme c’est le cas en France.
Références
[3] Boubakri, H. (2011), Femmes et migrations en Tunisie, http://www.eui.eu/RSCAS/Publications/.
[2] Institut National Statistique (2015), Recensement Général de la Population et de l'Habitat 2014.
[7] Mejri, S., M. Said et I. Sfar (2009), « Pluringuisme et diglossie en Tunisie », Synergies 1, pp. 53-74, https://www.gerflint.fr/Base/Tunisie1/salah1.pdf (consulté le 10 octobre 2018).
[4] OCDE (2017), Talents à l'étranger : Une revue des émigrés marocains, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/9789264264304-fr.
[8] OCDE (2013), Technical Report of the Survey of Adult Skills (PIAAC) 2013, Éditions OCDE, Paris.
[6] OCDE/UE (2015), Les indicateurs de l'intégration des immigrés 2015 : Trouver ses marques, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/9789264233799-fr.
[5] OCDE/UE (2014), Gérer les migrations économiques pour mieux répondre aux besoins du marché du travail, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/9789264217027-fr.
[1] Pouessel, S. (2017), « Tunisia and Its Diaspora: Between Protection and Control », http://dx.doi.org/10.1007/978-3-319-56342-8_13.
Annexe 3.A. Graphiques additionnels
Notes
← 1. Pour des informations détaillées sur la méthodologie du Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PIAAC), voir (OCDE, 2013[8]).
← 2. Sont considérés ici les personnes répondant bien ou très bien pour estimer leur niveau de pratique orale du français.
← 3. Sont considérés les individus répondant oui ou peut-être à la question d’avoir pour projet de vivre un jour dans un DOM-TOM ou un autre pays que la France.